SOMMAIRE
I – L’AVENIR DES PROFESSIONNELS DE LA JUSTICE
II – LE RÔLE DES AUXILIAIRES DE JUSTICE DANS UN ÉTAT DE DROIT
III – QUEL HUISSIER DE JUSTICE POUR L’EUROPE
IV – L’HUISSIER DE JUSTICE, UN PASSEUR DE DROIT
V – LE GREFFIER JURIDICTIONNEL
VI – LES REGLES DEONTOLOGIQUES DES PROFESSIONNELS DU DROIT
I – L’AVENIR DES PROFESSIONNELS DE LA JUSTICE
La question de la réforme des professions
réglementées
Janvier 2017
a) De la fusion à
la pluri-professionnalité élargie par la loi Macron.
C'est en 2009 que la fusion des avocats avec les autres professions du droit
n'a plus été acquise, au moins pour ce qui concerne l'absorption des notaires
par les avocats[1]. En
effet, une commission réunie à l'instigation du président de la République en
juillet 2008 et présidée par Maître Darrois a rendu son rapport le
8 avril 2009 : il y était plus question d'inter-professionnalité dans
des structures communes avec d'autres professions, que de fusion. Le maintien
de la profession notariale était préconisé ; ses propositions seront
indiquées chemin faisant pour chaque profession concernée[2], en observant ici qu'il ne
reste que deux autres professions, strictement judiciaires, éventuellement
concernées par une fusion avec les avocats, celle des avocats aux Conseils et
celle des huissiers de justice, ce qui, pour ces derniers au moins, n'est pas
de même nature qu'avec les avoués ou les conseils juridiques ; leur
activité dans le domaine de l'exécution n'a pas grand-chose à voir avec
l'activité de conseil ou la conduite d'une instance ; lorsque les
professions dont le rapprochement est envisagé exercent des métiers totalement
différents, l'échec est plus probable que la réussite, on l'a bien vu avec la
fusion avortée avec les conseils en propriété industrielle, que préconisait
pourtant la commission Darrois.
C'est
sur cette ligne d'une pluri-professionnalité très large que s'est positionnée
la loi Macron,
dont l'article 65 (validé par le Conseil constitutionnel[3])
autorise le Gouvernement à faciliter, par ordonnance la création de sociétés
d'exercice en commun de plusieurs professions du droit, du conseil en propriété
industrielle et d'expert-comptable[4] ;
la loi intègre les experts-comptables dans ce type de sociétés (ce sont les
grands gagnants de la pluri-professionnalité et… du droit[5]),
leur permettant d’exercer en commun avec les avocats, les avocats aux conseils,
les commissaires-priseurs judiciaires, les huissier de justice, les notaires,
les administrateurs judiciaires et les conseils en propriété
industrielle ; les commissaires aux comptes en sont exclus, ce qui
implique, pour les experts-comptables qui sont aussi commissaires aux comptes,
d’exercer cette dernière activité dans une structure dédiée, séparée de la
société interprofessionnelle d’exercice (SPE) qu’ils intègreront. L’ordonnance
n° 2016-394 du 31 mars fixe les modalités de ces structures[6] ;
pour l’essentiel : toutes les formes sociales sont autorisées, à l’exception
de celles qui confèrent la qualité de commerçants à leurs associés ;
l’objet social pourra inclure l’exercice de toute activité commerciale, à la
double condition qu’il le soit à titre accessoire et ne soit pas interdit à
l’une des professions exercées (pour l’heure, seuls les experts-comptables
peuvent pratiquer une activité commerciale, ce qui limite singulièrement la
portée de la réforme ; la participation au capital est encadrée, le
capital et les droits de vote sont détenus, directement ou pas, par des
personnes exerçant l’une des professions exercées en commun au sein de la
société ou légalement établies dans un État membre de l’UE. Tous les
professionnels de la structure devront s’informer mutuellement des liens
d’intérêts susceptibles d’affecter leur exercice, mais l’indépendance de
l’exercice professionnel et la préservation de la déontologie de chacun sont
renvoyées… aux statuts !
b) Les points sensibles de l'avenir
des professions judiciaires et juridiques réglementées.
1) Les problèmes qui se posent aux professions
juridiques et judiciaires réglementées[7], sont tout à la fois de
relever le défi de la mondialisation, mais surtout celui, qui n'en est qu'une
variante, de la concurrence avec les professionnels européens du droit[8] ;
de gérer, avec toutes les professions judiciaires et les universitaires, la
place du droit romano-germanique dans cette mondialisation, notamment par
rapport aux rapports annuels de la Banque mondiale, Doing business ; de maintenir la possibilité pour les plus démunis
(et cela vise les classes moyennes) d'accéder au droit et à un juge dans des
conditions d'égalité des armes avec l'adversaire (par ex., le problème de la
TVA non récupérable par les particuliers) ; de ne pas apparaître comme des
privilégiés arc-boutés sur leurs tarifs, ni comme des repères d'activités
illégales, tout en préservant le sanctuaire de la confiance absolue avec les
clients (problème de la réponse à donner quant à la directive européenne sur le
blanchiment d'argent pour les avocats et pour les autres professions) ;
d'étendre ou non le périmètre du droit aux juristes d'entreprise[9] ;
de maintenir une qualité de prestations ; de s’investir dans le numérique
pour leurs relations avec leurs clients, etc.[10] Sans parler de la question
d'un numerus clausus ou non à
l'entrée dans la profession d'avocat.
2) Les intérêts à concilier sont
considérables :
d'un côté, assurer la sécurité juridique des actes et maintenir un accès au
droit et à la justice sans obstacles financiers ou juridiques insurmontables,
ce que l'actuelle organisation de ces professions est censée assurer grâce à
leur diversité et à la délégation de mission de service public que l'état accorde à la plupart d'entre elles[11] ;
de l'autre, tenir compte des directives services et qualification
professionnelle de l'UE pour attraire ou non toutes ces professions au droit
des libertés économiques de l'UE (libre circulation et droit d'établissement)
et au droit de la concurrence[12] ;
le droit de l'UE est ici prégnant et la Commission européenne exerce une
pression constante[13] :
il est significatif de constater que c'est une directive de l'UE qui donne une
définition des professions réglementées, la seule que nous ayons trouvée :
« activité ou ensemble d'activités dont l'accès, l'exercice ou une des modalités
d'exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu des
dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession
de qualifications professionnelles déterminées ; l'utilisation d'un titre
professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou
administratives, aux détenteurs d'une qualification professionnelle donnée
constitue notamment une modalité d'exercice »[14].
3) L'aspect économique. C'est sous cet
angle économique, d'un moindre coût pour l'usager et d'une contribution de ces
professions au développement économique (notamment par la création d'emplois)
que plusieurs institutions ont été saisies de ces questions, en amont ou
concomitamment ou en aval de l’examen du projet de loi du ministre des Finances,
M. Macron :
- Ce fut d'abord l'épisode du rapport de l'Inspection générale des finances
de l'été 2014, tenu secret, puis rendu public le 23 septembre 2014[15], sans
doute pour préparer les esprits aux profondes évolutions envisagées par
Bercy !
- Ce fut ensuite la saisine de
l'Autorité de la concurrence par Bercy le 18 juin 2014, pour
qu'elle donne son avis sur 2 questions : quelle ligne de partage entre les
activités qui relèvent de missions de service public et celles qui participent
d'une logique économique ? Quels objectifs et quelles méthodes pour fixer
et réviser les tarifs de ces professions ? Mais poser de telles questions
à cette Autorité, n'était-ce pas déjà prendre parti sur la qualification des
activités de ces professions ? N'était-ce pas considérer que les usagers
du droit et du service public de la Justice sont d'abord des clients de ces
professions, qu'il faut donc les ouvrir largement à la concurrence ?
L'avis a été rendu le 9 janvier 2015[16] : concernant la
tarification, l'Autorité est favorable aux dispositions du projet de loi
« croissance et activité » qui prévoient de nouvelles modalités de
détermination des tarifs des officiers publics ministériels, des
administrateurs et des mandataires judiciaires, de sorte que « soit mieux
pris en compte le coût des prestations des professionnels et que soit mieux
assurée la transparence nécessaire des modalités de fixation des tarifs ».
Elle recommande une « liberté d'installation régulée » pour les
notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, de
permettre aux professionnels exerçant la profession constituant l'objet social
de la SEL en dehors de celle-ci ou une autre profession juridique et judiciaire
de détenir l'intégralité du capital et des droits de vote de la SEL et de
permettre aux experts-comptables de détenir jusqu'à 49 % du capital et des
droits de vote de la SEL, et moins d'un tiers des droits de vote.
- Ce fut enfin le projet du
ministre des Finances (M. Macron), « croissance et activité »[17], projet qui a
immédiatement provoqué l'opposition plus ou moins violente de la plupart des
professions concernées[18], les
plus extrêmes réserves de la ministre de la Justice et un débat parlementaire
houleux avec l’utilisation du « 49-3’ de la constitution, mais qui est
tout de même devenu la loi n° 2015-990 du 6 août[19],
dont la plupart des dispositions ont été validées par le Conseil
constitutionnel[20] et
qui a été suivie de très nombreux décrets d’application, ainsi qu’il sera dit
en chemin.
- En parallèle, une mission
d'information de l'Assemblée nationale a été mise en place à l'automne 2014 et a rendu son
rapport en décembre[21], éclairée par le rapport du député Richard
Ferrand remis à la garde des Sceaux le 4 novembre 2014.
4) Les principales mesures adoptées. Sont
définitivement actés dans la loi Macron
précitée :
- pour l'ensemble des professions, l'ouverture,
plus ou moins large, des capitaux des sociétés d'exercice libéral à d'autres
professionnels, la mise en œuvre se faisant par ordonnances (art. 65,
disposition validée par le Conseil constitutionnel).
-
Pour sept professions
(administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires, commissaires-priseurs
judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, notaires
et avocats pour leurs émoluments tarifés), les tarifs réglementés applicables à
leurs prestations (art. 50-I, in
C. com., art. L. 444-1 à L. 444-7 et modifications
d'articles de ce code, disposition validée par le Conseil constitutionnel),
seront revus par l'Autorité de la concurrence selon un principe de
correspondance avec les coûts, et arrêtés par les ministres de la Justice et de
l'Économie. Le dispositif du « corridor tarifaire » qui avait été
introduit aux termes des travaux d'une commission spéciale de l'Assemble
nationale a été abandonné et remplacé par un système d'encadrement des remises.
Les tarifs proportionnels des transactions de moyenne importance pourront
donner lieu à des remises. Ces tarifs seront déterminés précisément par voie
réglementaire. Ils seront révisés au moins tous les cinq ans par arrêté
conjoint des ministres de la justice et de l'économie. Selon le ministre de
l'économie, deux effets sur les prix sont escomptés de cette réforme : une
révision générale qui conduira à des baisses et des remises possibles. Enfin,
un fonds de péréquation entre professions sera créé afin de favoriser une
solidarité interne aux professions et entre les professions du droit. Ce fonds
pourra également participer au financement de l'accès au droit et à la justice
(sur cet aspect. Les modalités d'applications de ces dispositions seront prises
par décret, après avis de l'Autorité de la concurrence (C. com., nouvel
art. L. 444-7, créé par l’article 50-I, § 1° de la loi Macron). Décret d’application n°
2016-230 du 26 février[22]
et arrêtés propres à chaque profession dans le chapitre qui leur est consacré.
-
Pour trois professions
(commissaires-priseurs judiciaires, huissiers de justice et notaires),
article 52 de la loi Macron, la
quasi-suppression des charges sans indemnisation automatique des actuels titulaires,
en instaurant une liberté régulée d'installation des nouveaux arrivants
(disposition validée par le Conseil, à l’exception du § IV, ce qui remet en
cause le droit de présentation d'un successeur.
-
Pour deux professions (huissiers de
justice et commissaires-priseurs judiciaires), la fusion en une nouvelle
profession de « commissaire de justice » est actée
(art. 61-III) ; celle avec les mandataires judiciaires est
abandonnée, mais les huissiers de justice et les commissaires-priseurs
judiciaires pourront exercer cette profession à titre habituel, sous certaines
conditions.
-
Pour les avocats, l'extension de la
territorialité de la postulation au niveau de la cour d'appel et la suppression
du tarif de la postulation, sauf exception ; une convention d'honoraires
obligatoire en toutes matières (disposition validée par le Conseil) ;
l'ouverture (légèrement) facilitée de bureaux secondaires ; le statut
d'avocat salarié en entreprise, un temps envisagé, a été supprimé.
II – LE RÔLE DES AUXILIAIRES DE JUSTICE DANS UN ÉTAT DE DROIT
le rôle des auxiliaires de justice au service
des citoyens dans un etat de droit -
expériences
francophones comparées en zone asie-pacifique et en france
d’Ho
Chi Minh Ville, le 18 novembre 1999
à
Phnom Penh le 7 octobre 2011
Ce texte (publié en 2013 dans les mélanges
offerts à Camille Jauffret-Spinosi) est la mise en forme contractée de deux
rapports de synthèse que j’ai eu l’honneur de présenter à Ho Chi Minh Ville le
18 novembre 1999 et à Phnom Penh le 7 octobre 2011, sur le même thème du rôle
des auxiliaires de justice au service des citoyens dans un Etat de droit, à
l’occasion de deux colloques organisés par la Maison du droit
vietnamo-française et l’Organisation internationale de la francophonie. La zone
couverte est celle de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique, avec le Cambodge, le
Laos, la Thaïlande, le Vietnam et le Vanuatu, le tout comparé à la France.
Au-delà de l’intérêt comparatif du thème, la mise en perspective, à douze ans
d’intervalle, des évolutions dans chacun des pays étudiés, est significative
d’un mouvement vers une sortie progressive (mais très rapide pour le Vietnam)
du tout étatique pour une dose de professionnels libéraux, parfois officiers
ministériels. On y verra l’effet de la mondialisation, mais aussi de l’influence
passée et présente de la France dans ce qui fut l’Indochine française. On y
verra aussi et surtout le progrès des idées de protection des droits
fondamentaux des citoyens par l’effectivité de leur accès à la justice et au
droit et par la garantie de prestations de qualité fournies par les
professionnels libéraux, dans le respect de l’état de développement économique
et social de chacun des pays étudiés.
Voici
venu le temps de la synthèse de nos travaux, le temps du rapporteur général.
C’est toujours un exercice difficile que celui qui consiste à transcrire
fidèlement les idées exprimées en plusieurs jours de travail, intense,
fructueux, à synthétiser la diversité et la richesse des contributions
présentées. Difficulté accrue aujourd’hui par la juxtaposition de plusieurs
continents, Asie du Sud-Est, Europe et Pacifique (avec le Vanuatu), voire de
systèmes juridiques aux fondements et aux finalités différents.
Aussi, commencerai-je ce rapport de
synthèse par trois remarques d’impression générale :
La
première impression générale de votre rapporteur
c’est que ce choix d’expériences francophones dans les zones Asie du Sud-Est,
Pacifique et France a été heureux. Il ne m’appartient pas de dire ici quelles
conclusions il faudra en tirer pour l’avenir ; d’autres que moi le feront
sans doute, juste après mon intervention, je pense notamment au discours
conclusif de son Excellence Sidhra Prom,
Secrétaire d’Etat à la justice du Cambodge. Mais je peux affirmer que la
méthode des présentations générales suivies par des présentations plus
spécifiques à certaines professions a permis de confronter la théorie, les
développements conceptuels aux dures réalités de la pratique quotidienne du
droit. Le temps a manqué pour tenir des ateliers comme cela avait été fait en
1999 à Ho Chi Minh Ville, mais cela n’a pas obéré l’excellence de nos travaux,
car nous avons pu entrer dans le détail des réglementations nationales et c’est
par la technique juridique de base que se forgent les concepts. Il me revient
précisément de dégager de cette base technique les grandes idées forces du
thème traité.
A
cet égard, ma deuxième impression générale, au vu des
rapports nationaux dont j’ai pu avoir connaissance préalablement à la tenue de
ce colloque ou hier dans une présentation verbale, est que des évolutions
majeures se sont produites depuis celui tenu sur le même thème à Ho Chi Minh
Ville en novembre 1999, sous l’égide, notamment, de la Maison du droit
vietnamo-française et pour lequel j’étais (déjà) rapporteur de synthèse:
ainsi (par ordre alphabétique), le Cambodge connaît désormais, depuis 2001, le
notariat à titre de profession libérale (et 3 notaires ont été nommés) ;
la France a supprimé les avoués d’appel avec effet au 1er janvier
2012 par absorption de cette profession dans celle d’avocat et des menaces ont
pesé sur d’autres professions dans le rapport de Jacques Attali au Président de
la République et dans les conditions d’installation de la Commission Darrois
dont j’ai parlé hier dans mon rapport introductif ; le Laos a séparé les
fonctions d’agent d’exécution de celles de greffiers depuis une loi du 15 mai
2004, même si toutes les professions judiciaires de cet pays relèvent encore
d’un statut étatique ; le Vietnam est sans doute le pays qui a le plus
évolué depuis 1999, « dans un
objectif de libéralisation de l’activité judiciaire » et « pour répondre aux exigences de
l’intégration économique mondiale » nous a-t-on dit : ainsi, les
avocats sont en progression quantitative constante, une ordonnance de 2001
(aujourd’hui abrogée) a accru leur champ d’intervention qui n’est plus limité
aujourd’hui au contentieux, une loi sur les avocats a été adoptée le 29 juin
2006 pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2007 et la Ligue des
avocats vietnamiens est née en mai 2009 ; le notariat est devenu une
profession libérale par une loi du 29 novembre 2006 et si les agents
d’exécution demeurent massivement des fonctionnaires, une expérimentation
d’huissiers de justice libéraux est menée à Ho Chi Minh ville (avec cinq
huissiers libéraux en fonction à la date d’octobre 2011). J’y reviendrai au
cours de ce rapport de synthèse.
Ma troisième impression générale
c’est que, en raison de la richesse des communications nationales présentées,
de la diversité des systèmes juridiques étudiés, de la pertinence des questions
posées par les participants à ce colloque, il m’est apparu nécessaire, en fin
de colloque, de conceptualiser le foisonnement des idées exprimées pour en
dégager la substance essentielle, bref de revenir aux notions essentielles
distillées dans chacune des contributions nationales et que, peut-être, la
forêt très dense de nos travaux, cachait.
C’est
sans doute pour cette raison que les organisateurs de ce colloque ont souhaité
confier la responsabilité du rapport introductif et de la synthèse à un
universitaire rompu au droit comparé, par ses travaux bien sûr, mais surtout
pour avoir vécu, enseigné ou participé à l’œuvre législative, en France, au
Vietnam et dans un pays africain (le Sénégal de 1975 à 1980). Je vois dans ce
choix un double symbole :
- celui de la comparaison
loyale et transparente de systèmes juridiques certes différents, mais qui
peuvent avoir en commun bien des traits ;
- le symbole du retour
permanent à l’Université, au-delà de la diversité des professions juridiques et
judiciaires.
Revenir aux concepts essentiels.
Après
avoir souligné, dans le rapport introductif, les mouvements de fond qui
affectent les différentes professions d’auxiliaires de justice, sous la
pression des contraintes économiques et sociales et de la mondialisation (cf.
le rapport de la Banque mondiale Doing
business), je voudrais marquer les convergences et divergences de nos
systèmes juridiques, souligner les difficultés rencontrées de part et d’autre.
Vous
voudrez bien m’excuser si les nuances de vos propos, les subtilités de vos
interventions ne sont pas toujours fidèlement rendues ; la synthèse dans
un temps très court a parfois un effet réducteur.
Le
thème traité porte en lui-même deux questions :
-
La première question est celle de la notion d’auxiliaire de
justice. Cette question ayant été traitée dans le rapport introductif, je n’y
reviendrai pas maintenant, sauf à noter qu’au niveau des chiffres, les
disparités sont sensibles.
Pour
les avocats par exemple et par ordre croissant d’avocats rapportés au nombre
d’habitants :
- 1 avocat pour environ
40 000 habitants au Laos (contre 170 000 en 1999) ;
- 1 pour environ 23 000
au Cambodge (contre 77 000 en 1999) ;
- 1 pour 7 000 au Vietnam
(si l’on compte les stagiaires à la date de septembre 2011, contre 1 pour
80 000 en 1999, évolution spectaculaire) ;
- 1 pour 1300 en
France ;
- et 1 pour 1200 en
Thaïlande (contre 1800 en 1999).
De
même, 103 notaires au Laos et 418 offices ou études notariales au Vietnam (134
offices publics et 274 études libérales), avec 700 notaires nommés en 4 ans
contre 9100 en France (7 500 en 1999).
- La seconde question
posée par le thème choisi porte sur le lien entre les auxiliaires de justice et
les citoyens, plus exactement sur la nature des services qu’ils sont censés
leur apporter. C’est toute la question
de leur rôle. C’est tout le sujet de ce colloque.
Mais derrière la notion de services rendus
aux citoyens, se profile la notion d’organisation et de fonctionnement
démocratique du service de la justice, voire la notion d’Etat de droit, notions
plus porteuses d’idéologie que celle de services rendus.
- A première vue, ce n’est que de manière
subsidiaire que les auxiliaires de justice concourent au service de la justice
par les services qu’ils rendent aux citoyens, en complément de l’activité des
juges. En effet, il revient aux juges, aux membres de l’autorité judiciaire stricto sensu, de garantir l’accès à la
justice, de participer à la construction d’un Etat de droit. Et il est vrai
qu’on conçoit mal un véritable service de la justice, indépendant et impartial,
pour tout dire un Etat de droit, sans autorité judiciaire, sans juges
présentant eux-mêmes ces deux qualités.
-
A y regarder de plus près, cette première approche n’exclut pas pour autant un
rôle plus direct des auxiliaires de justice dans l’organisation et le
fonctionnement démocratique du service de la justice, donc dans la construction
d’un Etat de droit. Raisonnons par l’absurde : peut-on concevoir un
service de la justice sans eux, quel que soit leur statut, fonctionnaire ou
professionnel libéral ? Imagine-t-on que nous aurions pu parler pendant un
jour et demi du rôle des auxiliaires de justice au service des citoyens, si ces
professionnels du droit n’étaient pas indispensables à l’organisation et au
fonctionnement du service de la justice ? Les auxiliaires de justice sont
indispensables au service de la justice, à son édification. Reste la double
question : pourquoi et comment ?
Pourquoi les auxiliaires de justice
sont-ils indispensables à l’édification du service de la justice dans un Etat
de droit ? La réponse, je crois, peut être trouvée
dans l’idée que les auxiliaires de justice sont les garants de l’effectivité
des droits des citoyens. Ce sont eux qui, au-delà des garanties formelles
reconnues par l’Etat aux citoyens, rendent réels, effectifs, les droits de ces
mêmes citoyens. Rien ne sert d’avoir des droits théoriques, même garantis par
la Constitution, si l’effectivité n’en est pas assurée. Et le rôle premier des
auxiliaires de justice est d’assurer cette effectivité. Leur présence ici en
est l’illustration.
Comment les auxiliaires de justice
deviennent-ils indispensables à l’édification du service de la justice dans un
Etat de droit ? C’est le second aspect du thème. La
réponse doit être recherchée dans les garanties qu’offrent les auxiliaires de
justice, qu’ils doivent offrir aux citoyens : ils doivent leur offrir des
prestations de qualité, grâce à leur compétence et à leur indépendance.
Et
c’est pourquoi, j’aborderai successivement :
- dans une première partie,
la garantie, par les auxiliaires de justice, de l’effectivité des droits des
citoyens ;
- dans une seconde
partie, la garantie, par les auxiliaires de justice, de prestations de qualité.
i. la garantie, par les auxiliaires de justice, de
l’effectivité des droits des citoyens
C’est
une vision plus moderne que celle de Montesquieu dans L’esprit des Lois qu’il faut aujourd’hui adopter et développer
: l’Etat de droit ne peut exister si l’effectivité des droits des citoyens
n’est pas assurée. Il ne suffit pas, pour qu’un Etat de droit existe, que les
droits des citoyens soient garantis formellement par la Constitution, par les
textes de lois. Encore faut-il que l’Etat fasse tout ce qui est son pouvoir
pour assurer cette effectivité.
Et
dans la réalisation de cette effectivité, les auxiliaires de justice ont un
rôle essentiel à jouer, chacun selon sa mission qui trouve ici sa légitimité.
Tous ont une mission spécifique ; certaines se recoupent, mais comme les
pièces d’un puzzle, elles se rassemblent, s’ordonnent autour de deux
axes :
- en premier lieu, une
mission traditionnelle d’accès à la Justice ; le rôle des auxiliaires de
justice est de garantir l’effectivité de l’accès à la Justice (A) ;
- en second lieu, une
mission plus récente, plus moderne, d’accès au droit (B). Là encore, les
auxiliaires de justice ont un rôle essentiel à jouer dans la garantie de
l’effectivité de ce droit.
a) la garantie de l’effectivité de l’accès à la
justice
Toutes
les professions envisagées lors de ce colloque, ne sont pas concernées, à titre
principal, par ce rôle de garant de l’effectivité de droit, pour chaque
citoyen, d’accéder à la Justice. On y trouve, naturellement et en première
ligne, les avocats et les huissiers de justice, puis les experts et les
administrateurs judiciaires et mandataires liquidateurs, même si ceux-ci n’ont
pas fait l’objet, à Phnom Penh, de rapports spécifiques (ce qui ne fut pas le
cas à Ho Chi Minh Ville en 1999, ces deux activités ou professions étant alors
représentées et ayant fait l’objet de tables rondes et de rapports
spécifiques). Mais il n’y a pas de hiérarchie entre eux. Chacun va intervenir,
à sa place, à sa manière, selon sa mission traditionnelle dans l’un ou l’autre
des trois aspects du droit d’accès à la Justice. En effet, selon les évolutions
conceptuelles les plus récentes, le droit d’accès à la Justice est un triptyque
qui englobe désormais trois aspects : le droit à un juge ; le droit à
un bon juge ; le droit à l’exécution de la décision du juge. Pour chacun
de ces trois aspects, un ou plusieurs auxiliaires de justice vont intervenir
pour en garantir l’effectivité.
a)
Le droit effectif à un juge d’abord
Rendre
effectif le droit à un juge c’est, pour l’Etat, grâce à l’intervention des
auxiliaires de justice qu’il doit protéger et promouvoir, lever tous les
obstacles à l’accès des citoyens à la justice. Obstacles matériels, tels que
l’excès de formalisme, mais aussi obstacles financiers résultant de
l’insuffisance des ressources des parties.
Obstacles
matériels.
A
ce stade, c’est l’avocat qui joue le rôle le plus important. Et on retrouve
toutes ses missions. Par son rôle d’assistance et parfois de représentation, il
va rendre effectif l’accès à un juge en levant, pour son client, tous les
obstacles matériels d’accès à la Justice. Il accomplira les formalités exigées
par la loi pour introduire l’action, pour présenter une défense, etc.. Il
plaidera de manière convaincante. Il accédera au dossier ; il l’expliquera
à son client. Parfois, il le lui communiquera en entier ou en extraits. La représentation
par un auxiliaire de justice doit être obligatoire, car chaque citoyen doit
pouvoir bénéficier de l’aide d’un professionnel du droit ; c’est en fait
une question financière.
Obstacles
financiers.
C’est
le système de l’aide juridique et, au pénal, de la commission d’office.
L’avocat a ici un rôle essentiel à jouer. Sur ce point, la différence de
développement économique entre les Etats étudiés est importante, de même que la
différence de statut. Si l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire payé par
l’Etat, le coût de sa participation est directement pris en charge par le
budget de l’Etat ; si c’est un professionnel libéral, il faut organiser un
système d’aide juridique. Il est significatif à cet égard que dans son rapport
sur la profession d’avocat au Vietnam, M. Nguyen Van Chien, Vice-Bâtonnier du
Barreau de Hanoï, ait insisté, au titre du champ d’activité professionnelle de
l’avocat, sur l’implication des avocats dans l’aide juridictionnelle aux plus
pauvres, à côté de leur activité contentieuse et de consultation juridique.
b)
Le droit effectif à une bonne justice ensuite
Le
rôle de l’auxiliaire de justice est ici non moins essentiel. Au fil des ans, la
notion de droit à une bonne justice s’est affinée ; elle recouvre
plusieurs aspects : la publicité de la justice, l’indépendance et
l’impartialité du juge, le délai raisonnable de la procédure engagée. Sur tous
ces points, les trois auxiliaires de justice cités ont un rôle actif dans
l’effectivité de ce droit.
Les
auxiliaires de justice doivent éclairer le juge. L’avocat en assistant et/ou en
représentant les parties, en présentant au juge les faits, mais aussi le droit,
contribue à une bonne justice. Plus sa compétence est grande, plus son
professionnalisme est affirmé, mieux il éclaire le juge. Le bon professionnel
du droit, le bon avocat, fait le bon juge et le bon procès. L’expert éclaire le
juge en fait, jamais en droit. Il peut s’entourer de l’avis d’un autre
technicien ; il recueille les observations des parties.
Les
auxiliaires de justice ont aussi un rôle à jouer dans l’accélération ou non des
procès. Selon la célérité ou non des diligences de l’avocat ou de l’expert par
exemple, le procès avancera plus ou moins vite vers son issue. Le juge leur
enjoint des délais. Ils devront les respecter. C’est dans la collaboration des
acteurs de la justice que se réalise l’effectivité du droit à un bon juge.
c)
Le droit à l’exécution effective de la décision du juge enfin
Chaque
justiciable a droit à ce que l’Etat mette tout en œuvre pour assurer l’effectivité
de l’exécution des décisions de justice.
- En France, les
huissiers de justice ont un rôle essentiel à jouer. Par leur compétence, par
leur longue tradition historique, par leur expérience professionnelle acquise
sur le terrain, par leur indépendance, par leur délégation de puissance
publique, les huissiers de justice assurent, en France, une grande part de
l’effectivité de l’exécution des décisions de justice. J’ai cru comprendre que
le Vietnam s’orientait vers la reconnaissance du rôle éminent des huissiers de
justice libéraux, changement notable depuis 1999. L’autre part est accomplie
par le droit des voies d’exécution et la possibilité de recourir à la force
publique pour aider l’huissier de justice dans sa mission d’exécution. A défaut
de prêter le concours de la force publique, l’Etat doit indemniser le
justiciable.
- Dans les autres Etats
participants au colloque, ceux qui ne connaissent pas la profession d’huissier
de justice mais des agents de l’Etat, le problème est d’assurer la même garantie
d’effectivité de l’exécution des décisions de justice, sans cette expérience
que je viens de souligner. Et sans la rémunération directe de l’agent
d’exécution par l’une des parties, mais par l’Etat.
En
conclusion, on constate, par ce tableau rapide du droit
traditionnel d’accès à la Justice, que les auxiliaires de justice, qu’ils
soient auxiliaires des parties ou auxiliaires du juge, ont un rôle essentiel à
jouer pour assurer l’effectivité de cet accès. Ce sont eux qui constituent
l’interface entre le citoyen et le juge. Sans eux, l’effectivité du droit
d’accéder à un juge ne peut pas être assurée et cela quel que soit le niveau de
développement économique atteint dans nos Etats respectifs. Mais au delà de la
diversité de ces niveaux de développement, on aperçoit une évolution commune
vers une nouvelle mission des auxiliaires de justice dans l’accès au droit et
non plus seulement à la justice. Là encore, les auxiliaires de justice ont un
rôle à jouer pour garantir l’effectivité de ce droit d’accéder au droit.
b) la garantie d’un accès effectif au droit
Cette
garantie est non moins essentielle aux citoyens. Elle se développe dans deux
directions, l’une classique, l’autre plus moderne.
a)
La garantie traditionnelle
Elle
est assurée traditionnellement, dans le domaine du contrat, par les notaires
et, parfois, lorsqu’il en existe encore (au Vanuatu par exemple), par les
conseils juridiques. Mais les avocats sont aussi des rédacteurs d’actes. Et les
huissiers de justice sont concernés par la sécurité de l’information qu’ils
doivent délivrer. Ce sont donc quatre professions qui sont ici intéressées, qui
ont un rôle à jouer dans l’effectivité de l’accès au droit.
1) Pour la rédaction des actes,
les quatre professions interviennent, à des titres divers et à des degrés
différents selon nos pays. La présence de l’auxiliaire de justice aux côtés des
parties est essentielle.
- S’agissant des notaires, on insistera sur leur rôle éminent dans la
vente d’immeuble, notamment avec prêt hypothécaire, même si celle-ci est
aujourd’hui, en France, très réglementée, trop complexe et que l’enchevêtrement
des réglementations n’est pas le meilleur aspect du modèle français.
- S’agissant des avocats, l’évolution de la France et du Vietnam
semble désormais convergente : en France, pour renforcer le rôle des
avocats dans la rédaction des actes après l’absorption des conseils juridiques
par la loi du 31 décembre 1990, la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 a créé
l’acte sous signature d’avocat, c'est-à-dire contresigné par l’avocat de
chacune des parties, avocats qui attestent avoir éclairé pleinement leurs
clients sur les conséquences juridiques de l’acte ; et si cet acte, n’a
pas la valeur d’un acte authentique au regard de la date certaine et de la
force exécutoire, il fait pleine foi de l’écriture et de la signature des
parties, tant à leur égard qu’envers leurs héritiers ou ayants-cause (art.
66-3-1 à 66-3-3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971). Le Vietnam, de son
côté, a élargi le champ d’activité des avocats dans le domaine des affaires,
des investissements et du commerce pour leur permettre de se spécialiser dans
l’assistance aux entreprises lors des négociations en vue de signer des
contrats ; cette extension nouvelle, à effet au 1er janvier
2007, tranche avec la situation qui prévalait en 1999, lorsque le Vietnam
réservait aux conseils juridiques, spécialement créés à cet effet, le droit des
contrats et des sociétés ; ceux-ci ont disparu et il ne pouvait guère en
aller autrement : comment en effet, accepter, comme c’était le cas jusqu’aux
réformes de 2001 et 2006, que les avocats vietnamiens soient exclus de cette
activité de conseil, mais que des avocats étrangers puissent assistés les
conseils juridiques vietnamiens dans la négociation et la rédaction de ces
contrats internationaux ? Situation intenable et qui n’a pas résisté aux
coups de boutoir de la mondialisation.
2) Pour la signification des actes.
La garantie de l’effectivité de l’accès au droit est assurée par les huissiers
de justice en France, les agents d’exécution partout ailleurs, sauf à
mentionner la mise en place, à titre expérimental, d’huissiers de justice
libéraux au Vietnam, dans la ville d’Ho Chi Minh Ville (cinq à la date
d’octobre 2011). C’est ici un fort besoin de sécurité juridique dans
l’information qui est ressenti : l’information sécurisée participe de
l’effectivité de l’accès au droit. Que serait cette effectivité sans la
présence d’un auxiliaire de justice qu’il soit huissier de justice ou agent
d’exécution ?
b)
La garantie plus moderne de l’accès au droit
L’accès
au droit c’est aussi une mission nouvelle que nos Etats entendent confier aux
auxiliaires de justice dont le rôle en sort renforcé.
- Pour le Vietnam, parmi
les quatre missions assignées aux auxiliaires de justice par l’Etat, deux au
moins les situent en marge de la justice, à côté en tout cas. Il s’agit « de la participation des auxiliaires
de justice à la réduction des infractions à la loi et des contentieux »
et « à l’allégement des charges des
juridictions ». J’ai cru retrouver dans ces deux objectifs, notamment
le second, le mouvement qui se développe aujourd’hui en France en faveur des
modes alternatifs de règlement des conflits (les MARC en français, les ADR pour
Alternative dispute resolution en
anglais). Le temps de la médiation et de la conciliation est à la mode
aujourd’hui en France. Il rejoint les préoccupations vietnamiennes. Au-delà,
cette recherche de la conciliation n’est elle pas le retour à une société plus
humaine, plus fraternelle ? La convergence est frappante entre ces deux
pays.
Ce
retour à plus de conciliation et de fraternité dans les relations humaines ne
peut se faire sans la présence des auxiliaires de justice. Le retour à la
conciliation et le recours aux MARC, ne doit pas constituer une régression du
Droit : le Droit suppose, même dans une procédure de
médiation/conciliation, que les droits des parties soient garantis, que
l’effectivité de leur accès au Droit soit assurée. A cet égard, seule la
présence des auxiliaires de justice peut garantir cette effectivité ; c’est
sans doute pour cette raison que les huissiers de justice viennent de se voir
reconnaître la possibilité d’être médiateurs par un décret n° 2011- 1173 du 23
septembre 2011. Toute évolution vers des modes de résolution des conflits sans
la présence des auxiliaires de justice serait une régression. Avec le Doyen
Carbonnier, je crois profondément que l’accès au Droit n’est pas seulement
« un baiser de paix » ; c’est aussi savoir peser les arguments
de chacun dans la balance de la Justice. A ce titre, il apparaît très vite que
les MARC ne sont pas, ne doivent pas devenir un substitut à la présence des
auxiliaires de justice. La raison en est simple : seuls les auxiliaires de
justice offrent aux parties les garanties de prestations de qualité.
ii. la garantie, par les auxiliaires de justice, de
prestations de qualité
La
présence des auxiliaires de justice aux côtés des parties ne doit pas être
illusoire. Pour garantir l’effectivité du double accès à la Justice et au
Droit, les auxiliaires de justice doivent présenter des garanties de compétence
(A) et d’indépendance (B). C’est par cette double qualité que les auxiliaires
de justice peuvent jouer leur rôle dans l’organisation et le fonctionnement
démocratique du service de la justice digne d’un Etat de droit. C’est ici que
les conceptions différentes des Etats, profession libérale d’un côté,
fonctionnaires de l’autre, système mixte parfois, les distinguent le plus, sans
pour autant, nous le verrons, s’opposer. Après tout, s’agissant des greffiers,
la France connaît les deux systèmes et qui dirait ici que les uns sont plus
compétents ou indépendants que les autres ?
a) la garantie de compétence
Elle doit être offerte à
trois niveaux.
a)
Garantie de compétence dans le recrutement
Un
point commun dans le recrutement, au-delà de quelques nuances d’adaptation aux
exigences de chaque Etat, concerne la triple exigence de diplôme, de stage et
de qualités morales. Et cela, quel que soit le statut de l’auxiliaire de
justice, professionnel libéral ou fonctionnaire. Il est vrai que, parfois, le
diplôme ne sera pas toujours juridique ; on le comprend pour les experts
qui ne sont pas choisis pour leurs qualités juridiques mais leurs qualités de
technique professionnelle dans leur secteur d’activité de référence. On le
comprend moins pour d’autres professions où l’expérience professionnelle peut
remplacer le diplôme. Ce n’est peut-être, à mon sens, qu’une période
provisoire, de transition. L’évolution vers des exigences accrues en matière de
recrutement des professionnels du droit que sont les auxiliaires de justice, ne
peut qu’aller vers un renforcement de l’Etat de droit. Toute l’évolution que
chacun de vous a retracée pour le droit de son pays et pour chaque profession
étudiée va en ce sens. Ainsi, au Cambodge, depuis une loi de 2008, l’Académie
royale des professions judiciaires, école unique pour toutes ces professions,
regroupe cinq départements : l’un pour les magistrats (55 élèves en 2011),
un autre pour les greffiers, fonctionnaires d’Etat (81 élèves pour la première
promotion en 2011), un troisième pour les avocats (46 élèves en 2011), un
quatrième pour les huissiers de justice, ici appelés « bailiffs », à
consonance anglophone forte (200 élèves inscrits en 2011), enfin un cinquième
et dernier pour les notaires, mais non encore ouvert à la date d’octobre 2011.
b)
Garantie de compétence dans la formation permanente
L’exigence
vaut pour tous les auxiliaires de justice, qu’ils soient fonctionnaires ou
professionnels libéraux. La différence de statut n’a pas ici d’impact. La
tendance contemporaine commune est au développement de cette exigence de
formation continue.
A
titre personnel d’ailleurs, mon opinion est qu’il ne faut pas allonger à
l’excès la durée de la formation initiale, parce que la formation continue tout
au long de la vie professionnelle est et doit être organisée et rendue
obligatoire. C’est l’orientation qu’a prise la France avec son extension à
toutes les professions judiciaires et juridiques qui ne la connaissaient pas
encore, par le décret n° 2011- 1230 du 3 octobre 2011.
c)
Sanction de la compétence dans la mise en œuvre de la responsabilité de
l’auxiliaire de justice
A
cet égard, la différence de statut est fondamentale.
-
Si l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire, c’est l’Etat qui assumera les
conséquences de ses fautes, de ses manquements aux règles de sa fonction. Avec
ou sans action récursoire. Avec ou sans chance de succès.
-
Si l’auxiliaire de justice est un professionnel libéral, sa responsabilité
civile sera recherchée en justice sur le fondement classique de la faute, du
préjudice et du lien de causalité. L’appréciation de la faute s’aggrave en
France pour tous les professionnels libéraux, y compris pour les auxiliaires de
justice. En réalité, dans le système économique de marché, derrière la
responsabilité individuelle, il y a une « socialisation », au sens
d’une mutualisation du risque par la technique de l’assurance et par les
Caisses de garantie.
Au
final, la différence dans la responsabilité civile de l’auxiliaire de justice
n’est pas si forte qu’on pourrait le penser, sauf que l’Etat n’a pas à payer
pour les fautes des auxiliaires de justice libéraux.
b) la garantie d’indépendance
Si l’impartialité est une vertu, l’indépendance est un
statut.
A priori,
on pourrait donc penser que l’indépendance est moins assurée dans le cadre du
fonctionnariat que dans celui de l’exercice libéral d’une profession. Il faut
se garder d’une vision trop simpliste des choses. Les magistrats et les
professeurs d’Université sont des fonctionnaires en France ; qui oserait
prétendre qu’ils ne sont pas indépendants ? Tout dépend des garanties
statutaires dont ils peuvent bénéficier et des organes de contrôle mis en
place.
En
réalité, c’est ailleurs que dans le seul statut qu’il faut rechercher les
garanties d’indépendance des auxiliaires de justice. C’est à la fois dans les
exigences déontologiques individuelles et dans les garanties collectives de
structure, organiques.
a)
Les exigences déontologiques
Ces
exigences individuelles doivent être fortes, portées au plus haut niveau. Nous
avons pu entendre que c’était le cas dans nos pays respectifs avec
l’interdiction du cumul d’activité, qu’on soit auxiliaire de justice
professionnel libéral ou fonctionnaire. Certes, il y a des exceptions, mais le
principe doit rester la règle du non-cumul ; on l’a bien entendu hier avec
le débat très vif, qui s’est engagé, pour le Cambodge, avec un avocat-notaire.
La raison en est, notamment, d’éviter les conflits d’intérêts.
C’est
aussi, toujours à titre individuel, la réglementation des conflits d’intérêts.
L’auxiliaire de justice ne peut s’occuper, en même temps, et parfois
successivement dans le temps, des intérêts opposés de deux clients.
C’est
encore la règle du libre choix par les parties de leur auxiliaire de justice.
C’est
enfin, la liberté de parole de l’auxiliaire de justice et le respect de son
secret professionnel par les tiers.
Pour
toutes ces garanties individuelles, le rôle des codes de déontologie est
essentiel. Ces codes et règlements seront bien souvent l’œuvre des organes
collectifs de la profession concernée, ce qui implique, une garantie collective
de leur indépendance. Et j’ai relevé que lorsque ces codes n’existaient pas
encore pour une profession, l’Etat concerné s’engageait dans la voie de leur
élaboration ; ainsi pour la toute jeune profession notariale libérale au
Vietnam, un code de déontologie est en cours d’élaboration. Il en est de même
en France pour la profession d’huissiers de justice.
b)
La garantie collective d’indépendance
Cette
garantie ne peut pas être la même selon le statut de l’auxiliaire de justice.
C’est ici que s’opposent le plus fortement le statut libéral et celui de
fonctionnaire. Les premiers ont créé des ordres, des chambres, des compagnies
(France), voire des Ligues (Vietnam). Peu importe le nom, l’essentiel c’est
qu’ils s’auto-gèrent. Ils sont à la fois le glaive et le bouclier des
auxiliaires de justice :
- le glaive lorsqu’ils
sanctionnent leurs membres pour leurs manquements aux exigences déontologiques
de leur profession ;
- le bouclier lorsqu’ils
protègent leurs membres contre les velléités d’intervention, de pression des
tiers sur l’exercice des missions qui leur sont confiées au bénéfice de leurs
clients.
L’auxiliaire de justice professionnel libéral, parce
qu’il participe au service public de la justice, parce qu’il apporte des
prestations de qualité, parce que le client lui fait confiance, doit être
protégé collectivement par son ordre, son Barreau, etc.., dans l’exercice
individuel de sa profession. C’est une exigence forte de l’Etat de droit.
Cette
exigence se retrouve lorsque l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire, mais
elle prendra d’autres formes : conseil de discipline pour les manquements
aux règles du statut ; protection de l’autorité hiérarchique pour les
atteintes à son indépendance. Et, au final, protection par l’autorité
politique, par le ministre de tutelle.
Tout
est question d’esprit, plus que de lois, même s’il est vrai qu’un statut peut
favoriser davantage l’indépendance qu’un autre, par la responsabilité
professionnelle qu’il exige de celui qui exerce cette fonction.
Xxx
En
guise de conclusion,
je dirai que les
auxiliaires de justice sont les garants de l’organisation et du fonctionnement
démocratique du service de la justice dans un Etat de droit.
Au-delà
de ce postulat, tout est question de tradition, d’histoire, de culture, de
développement économique et d’organisation sociale. Il n’y a pas de recettes
miracles, de solutions prêtes à être importées. Il n’y a que des solutions que
chaque pays doit bâtir, lui-même, en s’instruisant des exemples des autres mais
en conservant ses racines. L’intérêt d’une étude comparative n’est jamais
d’imposer une solution. Il est toujours de s’instruire puis de faire ses choix.
Le
droit comparé c’est d’abord le respect de l’autre. A chacun ses choix, ses
préférences ; tout est évolutif et nul ne détient la vérité dans les
modalités d’application. Il n’y a qu’un principe qui s’impose : la Justice
est une valeur universelle, commune à la communauté des Etats et les
auxiliaires de justice sont au service de leurs concitoyens, de cette Justice.
En
ce sens, l’organisation et le fonctionnement démocratique du service de la
justice dans un Etat de droit, ne constituent jamais un acquis définitif. Ils
restent un objectif, un idéal à atteindre.
Je
pense qu’au cours de nos travaux vous avez tous contribué à le faire progresser
et pour cela, ne serait-ce que pour cela, je vous en remercie et vous donne
rendez-vous dans 10 ans pour un autre bilan des évolutions qui ne manqueront
pas de se produire dans nos pays respectifs. Je suis certain que la vitalité de
la Maison du droit vietnamo-française et l’aide de l’Organisation
internationale de la Francophonie sauront encore faire merveille et permettront
de nous retrouver, avec d’autres, pour constater les progrès accomplis et
réfléchir sur le chemin qu’il restera alors à parcourir.
III – QUEL HUISSIER DE JUSTICE POUR L’EUROPE
Rapport de
synthèse au colloque international
de l’Union
internationale des Huissiers de Justice et officiers judiciaires
Zagreb, 8 et 9
mars 2007
Nous voilà au terme de nos travaux.
Travaux riches et pertinents, parfois animés, toujours empreints de grande
curiosité intellectuelle, de cette curiosité qui a permis à l’Europe de se
construire, de se retrouver, en attendant d’autres retrouvailles, lorsque
l’Union européenne sera encore étendue à d’autres Etats de la zone dite
balkanique. Et c’est cette communauté de culture et de destins, malgré les
aléas de l’Histoire et les vicissitudes de nos vies, qui fait notre richesse, à
nous européens. J’ai eu le sentiment, pendant ces deux jours passés ensemble à
travailler sur un sujet de grand intérêt pratique pour les justiciables, que
notre diversité nous apportait beaucoup, que nos approches, pas toujours
concordantes, favorisaient la compréhension de l’autre, la connaissance des
systèmes juridiques qui, pour être tous de droit romano-germanique ou presque,
divergent parfois sur la mise en œuvre des grands principes auxquels ils
adhèrent.
La présence de Hautes autorités
prouvent, si besoin en était, combien le thème qui a retenu notre attention est
important. Permettez-moi ici, en votre nom, de les remercier toutes et
tous :
Merci
à Madame Ana Lovrin, Ministre de la Justice de Croatie, à Monsieur Branko
Hrvatin, Président de la Cour suprême de Croatie et à Monsieur François
Saint-Paul, Ambassadeur de France en Croatie, de nous avoir manifesté leur
intérêt et leur soutien, en participant à l’ouverture de nos travaux.
Merci
à Jacques Isnard, Président de l’Union internationale des Huissiers de Justice
et Officiers judiciaires, à Léo Netten, Premier vice-président, aux
vice-présidents Roger Dujardin et Adrian Stoïca, pour avoir eu l’idée de ce
colloque et l’avoir bâti autour de thèmes forts et pertinents.
Merci à Mathieu Chardon, Premier
Secrétaire de la même Union internationale, à Bernard Menut, Secrétaire de cet
organisme, à ses deux membres questeurs, Marc Schmitz et Jos Uitdehaag, pour
avoir mis en œuvre le thème retenu.
Merci spécialement à tous ceux qui
ont accepté d’être modérateur ou intervenants et d’assurer ainsi le succès de
cette réunion : les Présidents Hans
Eckhart Gallo (Allemagne), Francis Guépin (France), Tatjana Krivec (Slovénie),
Juraj Podkonicky (République tchèque) et Levente Zoltan (Hongrie) ; le
Professeur Alan Uzelac (Croatie) ; les Professionnels du droit et experts
que sont Madame Françoise Andrieux (France), Anton Lojowski (Autriche), Lorenço
Christain Ruiz Martinez (Espagne) et Stephan Mross (Allemagne).
Sept thèmes, sans compter les
perspectives d’avenir tracées par Roger Dujardin, ont retenu notre attention,
ont formé la colonne vertébrale de notre colloque : « la nécessité
d’un huissier de justice européen », « une diversité de statuts pour
l’émergence de standards communs », « la formation de l’huissier de
justice », « l’évolution de la profession d’huissier de justice en
Europe », « la profession d’huissier de justice dans la zone
balkanique », « le juge dans les procédures d’exécution » et
« l’huissier de justice, élément essentiel de l’Etat de droit ». Et
il me revient d’essayer de synthétiser tous ces thèmes, toutes ces approches,
pour en tirer la quintessence,
Comme
toujours dans ce genre de situations, le vertige vous prend, la peur, sans
doute, de vous trahir, de ne pas exprimer ici la richesse de votre pensée et
les nuances de vos opinions. Mais c’est la loi du genre, et je m’y soumets bien
volontiers puisque je ne suis pas venu à Zagreb contraint et forcé, mais avec
le réel plaisir intellectuel de découvrir, d’apprendre et de vous faire part de
mes conclusions et de quelques certitudes. Après tout, le thème du colloque
était posé sous la forme interrogative : « quel huissier de justice
pour l’Europe ? »
Comment
répondre à cette question ? Je vais vous donner tout de suite, sans
entretenir un suspens de mauvais aloi, la clef d’entrée dans ma réponse, dans
ma synthèse : en raison de la richesse des communications nationales
présentées, de la diversité des systèmes juridiques étudiés (onze Etats :
Allemagne, Autriche, Belgique Croatie, Espagne, France, Hongrie, Pays-Bas,
République tchèque, Roumanie, Slovénie), de la pertinence des questions posées
par les intervenants au cours de nos tables rondes, il m’est apparu nécessaire,
en fin de colloque, de conceptualiser le foisonnement des idées exprimées pour
en dégager la substance essentielle, bref de revenir aux notions fondamentales
distillées dans chacune des contributions nationales et que, peut-être, la
forêt très dense de nos travaux, cachait. Vous voudrez bien m’excuser si les
nuances de vos propos, les subtilités de vos interventions, notamment dans les
tables rondes, ne sont pas toujours fidèlement rendues ; la synthèse dans
un temps très court a parfois un effet réducteur. Mais il m’a paru essentiel –
et c’est la clef que j’évoquais – de revenir aux concepts essentiels.
Revenir
aux concepts essentiels. Je m’efforcerai, non pas de marquer les divergences de
nos systèmes juridiques, mais de souligner au contraire les exigences communes.
En effet, tous les Etats représentés ici appartiennent à la même Europe, celle
de la prééminence du droit et de la promotion de la démocratie, celle aussi de
l’effectivité des droits des citoyens et, en premier lieu, de l’effectivité
dans l’exécution des décisions de justice. Mais une effectivité entourée de
garanties, de respect de l’Etat de droit.
C’est
sans doute pour cette raison que les organisateurs de ce colloque ont souhaité
confier la responsabilité de la synthèse à un Professeur d’Université !
Pour ma part, je vois dans ce choix un double symbole :
-
celui de la comparaison loyale et transparente de systèmes juridiques certes
différents, mais qui peuvent avoir en commun bien des traits ; aucun Etat
ne peut prétendre à la supériorité absolue de son système juridique sur ceux
des autres ;
-
le symbole du retour permanent à l’Université, au-delà de la diversité des
professions juridiques et judiciaires, car ce retour est le gage de
l’impartialité du rapporteur de synthèse ; il est la garantie, votre
garantie à vous Autorités professionnelles qui aurez à choisir un mode d’exercice
de la profession d’agent d’exécution des décisions de justice et autres titres
exécutoires, que le choix est éclairé et conforme aux standards européens.
Nous y voilà ! Standards
européens, c’est cela qui doit guider notre réflexion. Qu’attend-on d’un agent
d’exécution, de celui qui notifie et exécute les décisions de justice ?
C’est à cette question qu’il faut répondre si l’on veut faire le bon choix.
Je
le dis tout net : pour moi, le bon
agent d’exécution pour l’Europe ne peut être qu’un huissier de justice qui,
tout à la fois, est le garant de l’Etat de droit (I) et offre des prestations
de qualité par la garantie de sa compétence et de son indépendance (II).
I – un huissier de justice qui
est le garant de l’etat de droit
Qu’est-ce qu’un Etat de droit ?
Question
délicate on en conviendra volontiers. Plusieurs approches sont possibles, en
fonction de l’histoire de nos pays, de l’organisation économique et sociale de
nos sociétés, de la structure de nos Etats respectifs. Ce n’est pas ce point de
vue qui m’intéresse ici, car comment comparer l’état d’avancement des pouvoirs
dans des sociétés qui n’ont pas toutes atteint le même niveau de développement
économique ?
Dans
l’optique de ce colloque et par rapport au thème choisi, celui de savoir quel
type d’huissier de justice il faut retenir en Europe, l’Etat de droit sera
celui qui met tout en œuvre, tout en place, pour favoriser l’accès des citoyens
à la Justice, à une bonne Justice et à l’exécution des décisions de justice.
C’est l’Etat dans lequel la garantie des droits des citoyens est assurée, avec
notamment le droit d’accès à un juge et, au delà, le droit d’accéder au Droit
en lui assurant une véritable et bonne exécution des décisions de justice.
Mais, me direz-vous, quel lien entre
l’Etat de droit et l’huissier de justice ? Outre que Bernard Menut a, par
avance, répondu à cette question, je voudrais insister sur le lien entre cet
auxiliaire de justice et l’Etat de droit. C’est toute la question de son rôle.
-
A première vue, les huissiers de justice ne participent qu’indirectement à
l’édification de l’Etat de droit. Il revient aux juges, aux membres de
l’autorité judiciaire de garantir l’accès à la justice, de participer à la
construction d’un Etat de droit. Et il est vrai qu’on conçoit mal un Etat de
droit sans autorité judiciaire, sans juges.
-
Mais cela n’exclut pas pour autant un rôle plus direct des auxiliaires de
justice dans la construction d’un Etat de droit, notamment de l’huissier de
justice. Raisonnons par l’absurde : peut-on concevoir un Etat de droit
sans eux ? Imagine-t-on que nous aurions pu parler pendant deux jours du
rôle des huissiers de justice dans l’exécution effective des décisions de
justice et titres exécutoires, si ces professionnels du droit n’étaient pas
indispensables à la construction d’un Etat de droit ? Reste la double
question : pourquoi et comment ?
Pourquoi
les huissiers de justice sont-ils indispensables à l’édification d’un Etat de
droit ? La réponse, je crois, peut être trouvée dans l’idée que les
huissiers de justice, plus que d’autres auxiliaires de justice, sont les
garants de l’effectivité des droits des citoyens. Ce sont eux qui, au-delà des
garanties formelles reconnues par l’Etat aux citoyens, rendent réels,
effectifs, les droits de ces mêmes citoyens. Rien ne sert d’avoir des droits
théoriques, même garantis par la Constitution, si l’effectivité n’en est pas
assurée. Et le rôle premier des huissiers de justice est d’assurer cette
effectivité en permettant l’exécution de la décision du juge.
Comment
les huissiers de justice deviennent-ils indispensables à l’édification d’un
Etat de droit ? C’est le second aspect du thème. La réponse doit être
recherchée dans les garanties qu’offrent les huissiers de justice, qu’ils
doivent offrir aux citoyens : ils doivent leur offrir des prestations de
qualité, grâce à leur compétence et à leur indépendance.
ii - un huissier de justice
qui offre des prestations de qualité par sa compétence et son indépendance
La présence des huissiers de justice
aux côtés des parties ne doit pas être illusoire. Pour garantir l’effectivité
de l’exécution des titres exécutoires, donc l’accès effectif à la Justice et au
Droit, les huissiers de justice présentent, plus que tout autre type d’agent
d’exécution, des garanties certaines de compétence et d’indépendance. C’est par
cette double qualité qu’ils peuvent jouer leur rôle dans un Etat de droit.
C’est ici que les conceptions différentes des Etats, profession libérale d’un
côté, fonctionnaires de l’autre, les distinguent le plus. Le choix ne peut
être, au-delà des traditions historiques des uns et des autres, que guidé par
la réponse à la seule question qui vaille : lequel est capable, de par son
statut, d’assurer la garantie de l’Etat de droit ? Et cette réponse doit
être recherchée à la fois sur le terrain de la compétence (A) et sur celui de
l’indépendance (B).
A) la garantie de compétence
Elle
doit être offerte à trois niveaux
a) Garantie de
compétence dans le recrutement et la formation initiale
Un
point commun dans le recrutement, au-delà de quelques nuances d’adaptation aux
exigences de chaque Etat, concerne la triple exigence de diplôme, de stage(s)
et de qualités morales. Et cela, quel que soit le statut de l’huissier de
justice, professionnel libéral ou fonctionnaire. L’évolution vers des exigences
accrues en matière de recrutement des professionnels du droit que sont les
huissiers de justice, ne peut qu’aller vers un renforcement de l’Etat de droit.
A cet égard, l’exigence d’un diplôme universitaire correspondant a quatre année
d’études supérieures peut être un bon seuil.
Et
je suis certain que les Ecoles de procédure qui forment des huissiers de
justice libéraux sont prêtes à accueillir vos délégations pour vous montrer le
chemin de leurs formations initiales. Elles présentent l’avantage pour l’Etat
de ne pas engager les deniers des contribuables, d’être autofinancées par la
profession. De plus, elles reposent sur le paritarisme, ce qui est le gage
d’une meilleure adéquation de la formation aux besoins exprimés par les
professionnels.
Mais
la formation initiale doit se compléter par une exigence, je dis bien une
exigence de formation permanente.
b) Garantie de
compétence dans la formation permanente
Il
faut insister sur le rôle essentiel de la formation permanente pour accroître
le professionnalisme des huissiers de justice. Si l’exigence vaut pour tous les
huissiers de justice, qu’ils soient fonctionnaires ou professionnels libéraux,
la différence de statut n’est pas neutre : au-delà de la prise en charge
financière par les professionnels eux-mêmes de leur formation permanente et non
pas par l’Etat, on peut remarquer que les professionnels libéraux sont plus
aptes à déterminer le contenu
Cette
exigence a été soulignée pour les notaires au Vietnam, au cours de nos débats.
Elle vaut pour tous les auxiliaires de justice dans les cinq Etats concernés.
c) Sanction de la
compétence dans la mise en œuvre de la responsabilité de l’auxiliaire de
justice
A
cet égard, la différence de statut est fondamentale. Si l’auxiliaire de justice
est un fonctionnaire, c’est l’Etat qui assumera les conséquences de ses fautes,
de ses manquements aux règles de sa fonction. Avec ou sans action récursoire.
Avec ou sans chance de succès.
Si
l’auxiliaire de justice est un professionnel libéral, sa responsabilité civile
sera recherchée en justice sur le fondement classique de la faute, du préjudice
et du lien de causalité. L’appréciation de la faute s’aggrave en France pour
tous les professionnels libéraux, y compris pour les auxiliaires de justice. En
réalité, dans le système économique de marché, derrière la responsabilité
individuelle, il y a une « socialisation », au sens d’une
mutualisation du risque par la technique de l’assurance et par les Caisses de
garantie.
Au
final, la différence dans la responsabilité civile de l’auxiliaire de justice
n’est pas si forte qu’on pourrait le penser, sauf que l’Etat n’a pas à payer
pour les fautes des auxiliaires de justice libéraux.
B) La garantie
d’indépendance
A
priori, on pourrait penser que l’indépendance est moins assurée dans le cadre
du fonctionnariat que dans celui de l’exercice libéral d’une profession. Il
faut se garder d’une vision trop simpliste des choses. Les magistrats et les
professeurs d’Université sont des fonctionnaires en France ; qui oserait prétendre
qu’ils ne sont pas indépendants ?
En
réalité, c’est ailleurs que dans le seul statut qu’il faut rechercher les
garanties d’indépendance des auxiliaires de justice. C’est à la fois dans les
exigences déontologiques individuelles et dans les garanties collectives de
structure, organiques.
a) Les exigences déontologiques
Ces
exigences individuelles doivent être fortes, portées au plus haut niveau. Nous
avons pu entendre que c’était le cas dans nos pays respectifs avec
l’interdiction du cumul d’activité, qu’on soit auxiliaire de justice
professionnel libéral ou fonctionnaire. Certes, il y a des exceptions, mais le
principe doit rester la règle du non-cumul.
C’est
aussi, toujours à titre individuel, la réglementation des conflits d’intérêts.
L’auxiliaire de justice ne peut s’occuper, en même temps, et parfois
successivement dans le temps, des intérêts opposés de deux clients.
C’est
encore la règle du libre choix par les parties de leur auxiliaire de justice.
C’est
enfin, la liberté de parole de l’auxiliaire de justice et le respect de son
secret professionnel par les tiers.
Pour
toutes ces garanties individuelles, le rôle des codes de déontologie est
essentiel. Ces codes et règlements seront bien souvent l’œuvre des organes
collectifs de la profession concernée, ce qui implique, une garantie collective
de leur indépendance.
b) La garantie
collective d’indépendance
Cette
garantie ne peut pas être la même selon le statut de l’auxiliaire de justice.
C’est ici que s’opposent le plus fortement le statut libéral et celui de
fonctionnaire. Les premiers ont créé des ordres, des chambres, des compagnies.
Peu importe le nom, l’essentiel c’est qu’ils s’auto-gèrent. Ils sont à la fois
le glaive et le bouclier des auxiliaires de justice :
-
le glaive lorsqu’ils sanctionnent leurs membres pour leurs manquements aux
exigences déontologiques de leur profession ;
-
le bouclier lorsqu’ils protègent leurs membres contre les velléités
d’intervention, de pression des tiers sur l’exercice des missions qui leur sont
confiées au bénéfice de leurs clients. L’auxiliaire de justice professionnel
libéral, parce qu’il participe au service public de la justice, parce qu’il
apporte des prestations de qualité, parce que le client lui fait confiance,
doit être protégé collectivement par son ordre, son Barreau, etc.., dans
l’exercice individuel de sa profession. C’est une exigence forte de l’Etat de
droit.
Cette
exigence se retrouve lorsque l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire, mais
elle prendra d’autres formes : conseil de discipline pour les manquements
aux règles du statut ; protection de l’autorité hiérarchique pour les
atteintes à son indépendance. Et, au final, protection par l’autorité
politique, par le ministre de tutelle.
Tout
est question d’esprit, plus que de lois, même s’il est vrai qu’un statut peut
favoriser davantage l’indépendance qu’un autre, par la responsabilité
professionnelle qu’il exige de celui qui exerce cette fonction.
IV – L’HUISSIER DE JUSTICE, UN PASSEUR DE DROIT
L’huissier
de justice : un passeur de droit
Entre
droit de propriété et droit du logement : faire face aux logiques
contradictoires
Propos
conclusifs au colloque de l’université de Paris-Créteil,
le 26 novembre 2013
Comme dans de nombreux autres domaines de
l’exercice de ses missions, l’huissier de justice « marche sur des
œufs » en matière d’expulsion d’un logement et subit souvent de plein
fouet le choc des mécontentements et des mécontents, alors qu’il n’est
l’exécutant (pas l’exécuteur !), le bras armé du juge pour l’exécution d’une
décision de justice et, ainsi, garantir l’état
de droit. À ce titre, il est bien un « passeur de droit » comme
l’exprime l’intitulé de ce colloque. D’où l’intérêt de mettre en avant, ce
matin, en amont de l’expulsion, la phase de prévention, pour mieux comprendre
les enjeux patrimoniaux et personnels du logement.
Ces propos conclusifs ont été construits
au fil des interventions, in situ, sans
le secours de la lecture préalable des rapports présentés. Le lecteur voudra
donc bien nous excuser de leur caractère oral, avec une transcription fidèle
dans ce texte publié.
De toutes les interventions, je retiendrai
deux axes qui me semblent résumer l’essentiel des propos tenus :
- un encadrement rigoureux à respecter
dans toutes les phases de l’expulsion ;
- un équilibre permanent à
rechercher et à maintenir entre des intérêts et des logiques contradictoires.
i – un encadrement rigoureux à respecter
On a vu cet encadrement de développer, se mettre en
œuvre, tout au long de notre journée de travail, au carrefour du droit de
propriété et du droit du logement (et non pas du droit au logement). Cette
rigueur dans l’encadrement de l’expulsion s’est exprimée à trois niveaux.
A) encadrement
rigoureux par le jeu des qualifications
Plusieurs
intervenants ont souligné l’importance du jeu des qualifications :
- qualification des
biens, dans la notion de logement, avec les différentes catégories de logement
présentées par le Professeur Louis Perreau-Saussine et son importance capitale
pour pouvoir bénéficier des dispositions juridiques et fiscales de
l’investissement locatif dont Nicolas Damas nous a entretenus ;
- qualification des
personnes : qu’est-ce qu’un locataire ? Avec une catégorie
« normale » et des catégories spécifiques, choisies par le
législateur en fonction des enjeux de leur plus ou moins grande protection (les
étudiants par exemple) ;
- qualification des
actes : qu’est-ce qu’une remise nous a questionné une auditrice et
intervenante (maître Odile Dunaud), alors que le projet de loi ALUR l’introduit
comme troisième mode de notification d’un congé pour vendre.
b) encadrement
rigoureux par l’importance du formalisme
Véritable fil conducteur de la quasi-totalité des
interventions, cette sœur jumelle de la liberté est apparue notamment dans les
congés donnés pour vendre (cf. Louis Perreau-Saussine), dans les garanties
sollicitées et singulièrement le cautionnement (cf. Stéphane Piédelièvre) ou
encore le déroulement de la procédure d’expulsion.
Chacun a pu constater que le formalisme, souvent
injustement décrié, est la garantie pour le justiciable de l’effectivité de ses
droits.
c) encadrement rigoureux par la procéduralisation du
droit du logement
Deux interventions ont mis en valeur cette rigueur de
l’encadrement procédural :
- d’une part, celle
d’Anne Levade qui a utilisé trois termes, effectivité, opposabilité et
justiciabilité pour mieux cerner les évolutions européennes de ce droit qui
n’est pas reconnu comme un droit fondamental ;
- d’autre part,
l’intervention de Gabriele Mecarelli qui, en dressant le tableau des missions
fixées pour l’huissier de justice dans une expulsion a insisté sur la rigueur
de cet encadrement législatif.
ii - un équilibre permament à rechercher et à maintenir entre des
intérêts et des logiques contradictoires
Comment parvenir à cet équilibre et le maintenir ?
Cette double recherche s’articule autour de trois axes.
A) l’équilibre
dans les relations bailleur-locataire
Sur
ces relations, l’idée centrale est celle d’une confiance à retrouver ; je
dis bien à retrouver, car en ces temps sombres pour l’économie française, le
projet ALUR ne prend pas le chemin du rétablissement de la confiance. Loi
idéologique et dogmatique, loi d’ignorance totale des réalités du marché de la
location, loi de déséquilibre au seul profit – à court terme – des locataires,
c’est une loi de perte de confiance dans l’investissement locatif qu’elle
inaugure.
a) On l’a bien vu ce
matin avec les deux interventions sur les enjeux personnels du logement :
1) C’est d’abord Louis
Perreau-Saussine qui nous a montré que la seule garantie aujourd’hui recherchée
par les bailleurs, à savoir le cautionnement, est précisément celle que le
législateur dans le sinistre projet ALUR envisage de supprimer en l’interdisant
au motif (au prétexte ?) qu’il y aura une garantie universelle des loyers,
par ailleurs non financée ! Le seul fait qu’un projet de loi sur les
rapports locatifs porte une telle disposition prouve que la confiance n’est
plus un objectif de politique publique, de faveur pour l’investissement locatif
et l’aveu que le déséquilibre structurel de la loi est sciemment voulu.
2) C’est ensuite
l’intervention d’Anne Levade qui a nous bien fait comprendre, à l’écouter et à
l’entendre, que l’équilibre se trouvait tout entier contenu dans une formule en
deux temps : « le droit au logement n’est pas (encore ?) reconnu
comme un droit fondamental, mais c’est un droit protégé », de plus en plus
protégé.
b) Ces deux interventions
rejoignent ainsi celle de Nicolas Damas sur l’investissement locatif et, plus
précisément, le domaine respectif de l’investisseur privé et de l’investisseur
public, avec cette remarque que le second nommé, loin de favoriser le premier
cité pour qu’il pallie sa carence dans la construction de logements sociaux,
met en place un système dissuasif pour l’investisseur qui souhaiterait investir
dans le logement locatif. La confiance est ici rompue et il y a de fortes
chances pour que les capitaux fuient l’immobilier pour se réfugier vers les
meubles … sous d’autres cieux !
B) l’équilibre
dans le recours aux autorités publiques
a) le juge d’abord,
notamment le juge de l’exécution, avec son rôle dans l’octroi de délai, dans
les procédures de surendettement et de rétablissement personnel. M. Jérôme
Hayem nous a remarquablement exposé sa pratique humaniste de ces questions
lorsqu’il était JEX au TGI de Bobigny et qu’il modulait sa décision d’octroyer
ou non un délai au locataire-débiteur, en fonction (pas seulement) des revenus
globaux et locatifs du bailleur. Pour notre part, il nous semble que ce critère
a un effet pervers en ce qu’il fait varier la force du droit de propriété selon
la « richesse » de son titulaire.
b) L’autorité
préfectorale ensuite lorsqu’il est fait appel à la force publique. Placées sous
le double regard d’un devoir de l’état
et de sa responsabilité, les interventions de maître Rémi Simhon et de M. le
préfet Bouchier, sous-préfet de l’arrondissement de l’Hay-les-Roses, sont
l’illustration parfaite de cette recherche de l’équilibre dont je soulignais à
l’instant l’importance. L’un et l’autre, en partant de l’ancienne jurisprudence
Couiteas, arrivent par des voies parallèles aux temps modernes d’une vision
sociale du droit de l’exécution, bien loin de la stricte notion de
« troubles à l’ordre public », seule à même, en droit, de légitimer
le refus du concours de la force publique. On rejoint ici la pratique du juge
Hayem que je viens de relever et cela renforce le sentiment que le droit de
propriété constitutionnellement garanti, n’est plus ce droit sacré qu’on
présente parfois. C’est d’ailleurs à ce moment précis de l’expulsion, au besoin
avec le concours de la force publique, que se pose la douloureuse question de
la restitution des meubles du logement dont le locataire a été expulsé ;
maître Jean Pierre Donsimeoni nous a, lui aussi, développé une pratique humaniste,
un traitement humain de cette question pour respecter la dignité de l’expulsé.
Et madame Marion Renaud, au nom de l’association d’information sur ces
problèmes, a elle aussi montré combien il était nécessaire, non seulement
d’informer bailleurs et locataires, mais aussi d’aider les locataires à
accomplir certaines formalités, à monter un dossier.
C) l’équilibre
entre les mains de l’huissier de justice, passeur de droit
L’huissier
de justice apparaît au final de ce ces propos, comme l’acteur central et majeur
de la procédure d’expulsion.
a) Acteur facultatif mais
utile dans la prévention de l’expulsion avec, sans doute, un rôle accru si le
projet de loi ALUR est voté en l’état, puisque les pièges seront tels pour le
bailleur que ce dernier aura tout intérêt à recourir à un huissier de justice,
par exemple pour la signification du congé pour vendre, plutôt que de recourir
à la fausse et illusoire facilité de la remise en mains propres de ce congé.
b) Acteur obligatoire et
indispensable dans la procédure d’expulsion elle-même, avec un équilibre à
trouver entre d’un côté les droits du propriétaire et, de l’autre, la dignité
du locataire-débiteur
1) Droit de propriété,
dont maître Rey nous a parlé d’une manière très précise et complète en nous
décrivant la mission de l’huissier de justice sous le regard des droits du
bailleur, notamment le devoir de l’huissier de justice d’informer le bailleur
des risques qu’il encourt en se lançant dans une procédure d’expulsion.
« Droit exigible », mais « droit exigeant », sont les deux
formules de maître Rey qui illustrent bien ce souci de la recherche d’un
équilibre entre des logiques contradictoires.
2) Dignité du débiteur,
dont maître Odile Dunaud nous a montré que l’huissier de justice devait en être
le garant, notamment dans le cas de l’expulsion du conjoint violent. Le retour
aux valeurs européennes est ici prégnant.
J’ai voulu terminer ces propos par le rôle de l’huissier
de justice car il est la pièce maîtresse du dispositif et sa pratique
rigoureuse mais humaniste de la procédure d’expulsion et de tout ce qui la
précède en termes de prévention, nous éloigne de la vision caricaturale qui
nous est souvent présentée de cet auxiliaire de justice, passeur de droit et
non pas exécuteur de locataires défaillants dans le paiement de leur loyer.
V – LE GREFFIER JURIDICTIONNEL
Le greffier/rechtspfleger
européen,
un organe incontournable pour la justice en europe
le point de vue de la commission guinchard
sur la réorganisation des contentieux (janvier-juin
2008)
Communication
présentée au congrès
de
l’Union internationale des greffier de justice,
le
9 octobre 2009, La Grande-Motte
Vous m’avez demandé, Monsieur le
Secrétaire général, d’intervenir lors de votre assemblée générale, sur le thème
du greffier européen, en raison des propositions formulées à ce sujet, au titre
du droit français, par la commission que j’ai présidée entre janvier et juin
2008 et qui, par commodité de langage et non pas par volonté délibérée porteuse
de sotte vantardise, porte mon nom.
Je suis conscient de l’honneur qui m’est
ainsi fait d’exposer les évolutions souhaitées par les membres de cette
commission, non sans préciser d’emblée que votre Livre vert pour un greffier européen constitue une excellente base
de réflexion et montre bien que les choses sont en train de bouger en Europe,
de manière concordante, au moins au niveau de la réflexion, en attendant la
phase de mise en œuvre de réformes que beaucoup appellent de leurs vœux.
N’est-ce
pas d’ailleurs ce à quoi nous invite la Cour européenne des droits de l’homme
lorsqu’elle reconnait dans un arrêt X c/
la France du 26 juillet 2007 (requête n° 35787/03) que « le greffier devant les juridictions de l’ordre judiciaire est un
auxiliaire de justice garant de la procédure et participant de la bonne
administration de la justice » (§ 35) ?
J’évoquerai
successivement devant vous le contexte des travaux de la commission (I), et la
nature de ses propositions quant à l’instauration en France d’un greffier
juridictionnel, tant au niveau de son statut (II) que de ses misions (III).
I - Le
contexte des travaux de la commission
La
commission est installée par la Garde des Sceaux le 18 janvier 2008 ; le
rapport a été remis dans le délai imparti, le 30 juin 2008.
A)
Le contexte
national des économies budgétaires
En
décembre 2007, un évènement fort intervient, au moment même où la Ministre de
la Justice m’adresse la lettre de mission : le Ministre du budget déclare,
dans le cadre de la Révision générale des
politiques publiques, que le divorce par consentement mutuel pourrait être
transféré aux notaires, sans intervention d’un juge. Le tollé soulevé par cette
déclaration a fortement perturbé le monde judiciaire, mais je dois dire que,
très vite, les membres de la commission ont surmonté cette difficulté et ne se
sont pas sentis liés par cette proposition. Sans doute, parce que j’ai souhaité
que cette question soit débattue à la fin de nos travaux, pas avant le mois
d’avril, ce qui a permis à chacun de connaître l’autre, de se juger et de se
jauger et de se faire mutuellement confiance. Finalement, de cette provocation
ministérielle est née une sorte d’alchimie consensuelle. Mais il en restera une
scorie au moment de l’examen de cette question du divorce, non sans lien avec
le sujet d’aujourd’hui, à savoir la proposition d’un syndicat de magistrats que
ce type de divorce soit transféré au futur greffier juridictionnel dont, par
ailleurs, la commission préconise l’instauration. Je ne suis pas certain que la
proposition aurait été faite sans ce contexte de sortir le divorce par consentement
mutuel de l’institution judiciaire.
B)
Le contexte, voulu
par la Ministre et la commission, d’un juge remis au cœur de son activité
juridictionnelle
Le
contexte c’est aussi le contenu de la lettre de mission qui éclaire bien les
débats sur le greffier juridictionnel.
a)
Trois axes sont développés par la Ministre de la Justice dans la lettre qu’elle
m’adresse le 20 décembre 2007 : réorganisation des contentieux,
spécialisation des juridictions et déjudiciarisation de certains contentieux,
sans que le mot « déjudiciarisation » soit retenu dans un sens
technique précis, englobant aussi bien des transferts de missions au sein de
l’institution judiciaire (simple déjuridictionnalisation), qu’en dehors, à des
acteurs extérieurs au monde judiciaire (déjudiciarisation proprement dite).
b)
C’est donc bien dans ce cadre plus large, assigné à la commission comme l’un
des objectifs majeurs de ses travaux, que se situe le débat sur le greffier
juridictionnel : il s’agit d’aider le juge à se recentrer sur ses missions
traditionnelles, de nature juridictionnelle (dire le droit), de le valoriser
comme « décideur judiciaire » :
1)
Nombre des personnes auditionnées en effet, ont fait observer que le juge ne
doit pas être un juge isolé, même s’il siège à juge unique. Il a besoin d’une
équipe autour de lui, qu’il anime et dirige, qui le conseille et l’aide dans
ses travaux, notamment de recherche, voire de contact avec les parties, en
amont du procès pour essayer de trouver une solution amiable, par la
conciliation ou la médiation ou encore la procédure participative que la
commission propose de mettre en place.
2)
Nombreuses aussi ont été les personnes auditionnées, qui ont recommandé en
outre, la création de nouvelles fonctions, destinées à aider les magistrats.
Afin de recentrer le juge sur son office et de renforcer sa position de
« décideur judiciaire », le juge devra s’appuyer sur un certain
nombre d’auxiliaires. Pour étoffer et renforcer cette équipe destinée à aider
le magistrat, les membres de la commission ont travaillé à la définition d’un
nouvel acteur judiciaire qui serait de nature à épauler le juge, voire à s’y
substituer dans certains cas clairement définis, à savoir le greffier juridictionnel. Il s’agirait en effet,
conformément au modèle développé avec profit depuis plusieurs dizaines d’années
déjà en Allemagne et en Autriche, de prendre acte de la formation de facto de
plus en plus longue et approfondie suivie par de nombreux greffiers en chef en
France aujourd’hui, pour donner accès aux plus compétents d’entre eux à un
nouveau statut, qui s’accompagnerait de fonctions revalorisées, de nature
juridictionnelle notamment.
La
commission s’est ainsi intéressée à la fois à la création d’un statut de
greffier juridictionnel (II) et aux missions qui seront les siennes (III).
II- le
statut du greffier juridictionnel
Afin
d’affiner ses réflexions sur la création d’un éventuel greffier juridictionnel,
la commission s’est tournée vers le droit comparé, en particulier les droits
allemand et autrichien, qui connaissent des fonctions de greffier revalorisé.
C’est en s’inspirant de ces modèles (A) qu’elle a pu proposer un modèle
français du greffier juridictionnel (B).
A)
Les sources
d’inspiration allemande et autrichienne
L’attention
des membres de la commission s’est portée sur la spécificité des droits
allemand et autrichien, qui ont créé une profession particulière, celle de Rechtspfleger, dans le but de décharger
le magistrat d’un certain nombre d’attributions non juridictionnelles mais
parfois aussi juridictionnelles. Si la profession de Rechtspfleger est née de la pénurie de magistrats à l’issue de la
première guerre mondiale (dans les années 1920), elle n’a pas été supprimée par
la suite car elle a donné satisfaction en permettant au juge de se concentrer
sur ses missions essentielles. Ce fonctionnaire peut être considéré comme un
« super-greffier » ou comme un auxiliaire du juge, celui qui l’aide
dans ses missions juridictionnelles.
a) En droit allemand, la loi du 5 novembre 1969 relative au Rechtspfleger énonce qu’il assume les tâches de la justice qui lui sont attribuées
par la loi (§ 1). Il dispose d’une indépendance matérielle et n’est tenu
que par la loi et le droit (§ 9). Cette formule n’est pas sans rappeler celle
que la loi allemande énonce à l’égard des magistrats du siège (Richter).
D’ailleurs, le Rechtspfleger peut être récusé dans les mêmes conditions
que le juge (le juge du siège statue alors sur la demande de récusation, § 10).
Les conditions d’accès à la profession sont précisément définies par la loi.
Trois conditions sont requises : il faut être fonctionnaire du service de
la justice, avoir suivi une formation préparatoire de 3 ans, et avoir obtenu
l’examen de Rechtspfleger.
b)
En Autriche, où l’institution du Rechtspfleger est ancrée dans la Constitution autrichienne depuis
1962 et où une loi spécifique concerne ces fonctionnaires de la justice, les
conditions d’accès à la profession sont assez semblables à celles du droit
allemand.
En
vertu de la nouvelle loi de 1985 relative au Rechtspfleger, le statut juridique de cet important organe de la
justice a été étendu, ainsi que ses compétences. Peuvent être autorisés à
suivre le cycle de formation pour devenir Rechtspfleger
les fonctionnaires du tribunal qui remplissent les conditions pour être nommés
à un poste dit de catégorie B (fonction publique supérieure), sont de
nationalité autrichienne et ont réussi, tant l’examen professionnel pour le
service du greffe que l’examen professionnel spécialisé. Le président de la
cour d’appel décide quels candidats remplissant ces conditions peuvent suivre
le cycle de formation de Rechtspfleger. Le certificat de Rechtspfleger n’est délivré qu'à la fin
des trois ans de formation professionnelle et atteste l’aptitude à exercer la
profession de Rechtspfleger. Ce
certificat habilite le fonctionnaire de justice concerné à régler les affaires
juridictionnelles appartenant à son champ d'action. Le président du tribunal
régional supérieur (= cour d’appel) détermine alors auprès de quel tribunal le
fonctionnaire concerné sera employé en tant que Rechtspfleger. Le président du tribunal auprès duquel le Rechtspfleger exercera ses fonctions
affecte celui-ci à un service placé
sous la direction d’un juge (ou le cas échéant à plusieurs services). A
l'intérieur du service où le Rechtspfleger a été affecté, c'est au juge
qu'il appartient de procéder à la répartition des affaires.
B) La proposition d’un greffier juridictionnel à la française
Il convient ici
d’exposer d’abord ce qu’a souhaité la commission, sans aucune opposition de
l’un de ses membres (a), avant d’insister sur un débat qui n’apparaît pas dans
le rapport officiel, mais qui n’en est pas moins important (b).
a) L’idée
d’une revalorisation du corps des greffiers en chef
La commission a
pensé que l’institution du Rechtspfleger
pouvait servir de source d’inspiration pour repenser, en droit français, dans
un premier temps, un statut de greffier en chef revalorisé dans la fonction de
greffier juridictionnel, fonction qui, progressivement, pourrait être ouverte
aux greffiers.
1) Cette formulation
d’une évolution progressive, en deux temps, est le fruit d’un compromis. En
effet, sur ce point, une divergence forte est apparue entre les représentants
des greffiers en chef et ceux des greffiers, sans même parler ici de la
position des représentants des magistrats : les premiers souhaitaient
réserver à leur seul corps ce statut de greffier juridictionnel, les seconds,
naturellement, souhaitaient avoir la possibilité de l’intégrer dès sa création.
C’est votre conférencier d’aujourd’hui qui, dans un esprit de compromis, a
souhaité ne pas exclure les greffiers de ce statut en devenir. Ma position
s’explique non seulement par un tempérament plus porté au consensus qu’à
l’affrontement, mais aussi et surtout par la connaissance approfondie de la
fonction publique française, tant par mes expérience de gestion de l’université
ou d’une académie, que par mon expérience d’ancien élu d’une grande
collectivité locale, à savoir la ville de Lyon et sa communauté urbaine
composée de 57 communes, pendant 12 ans (entre 1983 et 1995). A cette double
occasion de ma vie, j’ai appris et acquis la conviction qu’on ne pouvait pas
cantonner les hommes dans des corps figés depuis la Libération, les laisser
dans un carcan sans aucune perspective d’évolution, au risque, sinon, de
désespérer non pas Billancourt, mais tous ceux qui, jour après jour, se
passionnent pour leur métier et souhaitent qu’un coin de ciel s’ouvre sur un
horizon perçu comme celui d’une promotion. La reconnaissance de l’excellence
des fonctions exercées est la clef de la motivation et cette reconnaissance
passe nécessairement par la prise en compte des qualités de chacun pour évoluer
au plus haut niveau des corps de la fonction publique. Il faut toujours prévoir
une possibilité d’accès à ce plus haut niveau, car la vie ne peut pas figer,
une fois pour toutes, les emplois et les fonctions.
En tout état de
cause, pour acter cette évolution vers un statut de greffier juridictionnel,
une loi sera nécessaire en ce sens, afin de conférer à ces nouveaux greffiers les
conditions de l’indépendance nécessaire à l’exercice des fonctions
juridictionnelles nouvelles qui leur incomberont. La représentation nationale
aura donc à débattre des personnes habilitées à accéder à cette fonction.
2) Cette revalorisation statutaire se justifie dès
lors que de nombreux greffiers en chef ont, en pratique, une formation de plus
en plus longue et approfondie et que les compétences juridiques des greffiers
en chef sont unanimement reconnues comme étant de haut niveau.
Il est suggéré, dans cette perspective, de mettre
en œuvre un statut d’emploi, qui permettrait aux greffiers en chef l’accès à
des emplois de catégorie « A+ » comportant un échelonnement
indiciaire allant jusqu’à l’échelle B.
Clairement, il faut dire ici que, pour des raisons
d’efficacité, la création d’un nouveau corps a été rejetée par la commission.
Elle est partie de l’idée qu’à une époque d’une réflexion sur la restriction du
nombre des corps dans la fonction publique, pour en favoriser la mobilité il
n’était pas réaliste de suggérer d’en créer un nouveau. Pour autant, la
revalorisation du statut, si elle était adoptée, pourrait n’être qu’une étape
vers cette création, mais à très longue échéance.
b)
La question de l’autonomie du greffier juridictionnel
par rapport au juge
Ce débat qu’a eu la commission, n’apparaît pas
expressément dans le rapport officiel, mais il transparaît à travers certaines
de ses propositions, comme celle sur le transfert à ce greffier de la première
phase de la procédure d’injonction de payer. La question a été posée en effet,
de savoir si ce greffier juridictionnel aurait des compétences propres,
indépendamment de toute délégation du juge, ou s’il pourrait n’agir que sur
délégation expresse du juge. Sans trahir un secret, je dois dire que la commission,
majoritairement souhaitait distinguer les fonctions non juridictionnelles de
celles qui le sont : pour les premières, elle n’a vu aucun inconvénient à
ce que la loi fixe les tâches confiées au greffier juridictionnel, sans
délégation du juge. En revanche, pour les secondes, sa majorité, pour ne pas
dire son unanimité moins les représentants des greffiers, a souhaité qu’elles
ne lui soient confiées que par délégation du juge. Sur ce point, la commission
est plus proche du système autrichien que du système allemand. Sans doute une
question de culture et de confiance à bâtir en commun !
Cette opposition éclaire la question du contenu des
missions du greffier juridictionnel.
iii – les missions du greffier juridictionnel
a) là encore, les sources
d’inspiration ont été l’allemagne et l’autriche
En
Allemagne comme en Autriche, le Rechtspfleger
se voit attribuer des missions nombreuses, non juridictionnelles, mais aussi
juridictionnelles.
a) En Allemagne
La loi de 1969 définit les grands domaines
de compétence du Rechtspfleger, puis
précise, au sein de ces domaines, quelles sont les missions de ce
fonctionnaire.
De façon générale, on retiendra que le Rechtspfleger allemand, pleinement
compétent dans plusieurs matières, peut effectuer, dans d’autres domaines, de
très nombreux actes, limitativement énumérés et correspondant aux décisions les
moins graves ou les moins complexes. Il dispose ainsi d’attributions en matière
de procédure de faillite, de droit de la tutelle, d’ordonnances de payer, ou
encore de saisie-arrêt. Le juge peut en outre lui déléguer d’autres actes, ou
s’en réserver la connaissance, en fonction de la complexité individuelle de
chaque cas.
De façon plus précise, le § 3 de la loi de
1969 contient une liste de deux pages énumérant les tâches relevant de la
mission de ce fonctionnaire de justice : par exemple, les affaires du
droit associatif, les procédures de déclaration sur l’honneur, la tenue du
registre des régimes matrimoniaux, la réception de certaines déclarations, les
affaires d’absence, une partie de la saisie immobilière et de l’administration
forcée des immeubles, ou encore les procédures de répartition à réaliser en
dehors de l’exécution forcée, un certain nombre de mesures en matière de
tutelle et de régime allégé de protection des majeurs incapables, certaines
questions en matière de successions et de partage ainsi que la conservation des
testaments et des contrats successoraux, certaines affaires de partenariat, des
procédures dans le cadre de la loi sur l’insolvabilité, etc.
Toutefois, un certain nombre de décisions
dans ces domaines sont expressément réservées au juge.
On notera que le Rechtspfleger allemand est également compétent en matière
d’injonction de payer, durant la phase non contradictoire, ainsi que pour fixer
le délai d’opposition, de même que pour transmettre la procédure contentieuse à
la juridiction compétente. La phase contentieuse de la procédure demeure
l’apanage du juge, mais une loi de 2003 a permis aux États fédérés de déléguer
cette compétence au greffier de la juridiction et plusieurs États fédérés ont
fait usage de cette possibilité.
Les §§ 20 à 24 de la loi de 1969 recensent
également les actes spécifiques confiés au Rechtspfleger
allemand en matière de procédure civile, de protection locative, d’aide
juridictionnelle, de fixation des frais et dépens, de contrôle de l’exécution
de certaines condamnations pénales (amendes…), de consignation. Le Rechtspfleger allemand délivre en outre
un certain nombre de copies exécutoires. La procédure devant lui est dispensée
de représentation obligatoire par avocat.
Dans les domaines où compétence lui est
attribuée, le Rechtspfleger prend
toutes les mesures nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
En principe, les décisions du Rechtspfleger et les actes qu’il prend
peuvent faire l’objet du recours prévu par les règles générales de procédure.
Si celles ci ne prévoient aucun recours, la décision ou l’acte du Rechtspfleger peut néanmoins donner lieu
à un recours spécifique dénommé Erinnerung.
Ce recours est d’abord porté devant le Rechtspfleger
lui-même (sorte de recours en rétractation), mais s’il n’y fait pas droit, il
doit le soumettre au magistrat du siège.
Dans
diverses situations, la loi du 5 novembre 1969 prévoit que le Rechtspfleger doit en référer au juge. Ainsi, s’il juge utile
d’ordonner une mesure qu’il n’est pas habilité à prendre, le Rechtspfleger en réfère au juge qui
décidera alors de la mesure. De même, le Rechtspfleger
doit soumettre ses actes au magistrat du siège lorsqu’il apparaît lors du
traitement de l’affaire qu’il convient de solliciter une décision de la Cour
constitutionnelle fédérale ou de la Cour constitutionnelle du Land, ou
encore lorsque le lien entre un acte à prendre par le juge et celui que doit
prendre le Rechtspfleger est
tellement étroit qu’un traitement séparé des deux questions n’est pas
souhaitable. De même, le Rechtspfleger
peut transmettre au juge une affaire nécessitant l’application d’un droit
étranger. Dans toutes ces hypothèses, le juge peut refuser le renvoi et
retourner l’affaire au Rechtspfleger
s’il estime que celui-ci peut agir seul. Et s’il existe une incertitude pour
savoir qui, du juge ou du Rechtspfleger,
est compétent pour un acte spécifique, le juge décide de la compétence par
décision insusceptible de recours (§ 7 de la loi du 5 nov. 1969).
b) En Autriche
Les missions confiées au Rechtspfleger
autrichien sont, comme en Allemagne, relativement étendues. De fait, il existe
environ 700 Rechtspfleger en Autriche, qui rendent plus des trois quarts
des décisions judiciaires. Comme son homologue allemand, le Rechtspfleger
autrichien est un fonctionnaire de la justice auquel est transféré, en sa
qualité d’organe de la Fédération, un certain nombre d’actes. Il prend des
mesures et décisions et remplit ses fonctions sous sa propre responsabilité.
Dans l’exercice de ses fonctions, il n’est tenu que par les instructions que
lui délivre le magistrat compétent au sein du tribunal d’après la répartition
interne des compétences.
En
théorie, donc, le Rechtspfleger
autrichien semble avoir un lien fort avec le juge. Toutefois, ce droit
de donner des instructions, que la loi sur le Rechtspfleger reconnaît
au juge, ne joue guère de rôle en pratique ; le Rechtspfleger accomplit
ses tâches essentiellement de façon autonome. Le Rechtspfleger est
compétent dans les domaines suivants : affaires de procédure civile,
exécution forcée, insolvabilité, juridiction gracieuse (notamment affaires de
tutelle), affaires relatives au droit du livre foncier et au registre des
navires, et affaires relatives au registre des entreprises. Chacun de ces
domaines d'activité requiert une formation spéciale et une nomination spéciale
à la charge de Rechtspfleger pour la spécialité correspondante.
Toutefois, tous les Rechtspfleger autrichiens sont compétents de façon
générale en matière d'injonction de payer.
B)
les
propositions de la commission quant aux missions du greffier juridictionnel
Les
missions du greffier juridictionnel ainsi créé pourraient englober le champ
d'activité actuel du greffier en chef, et le dépasser. Pour la commission en
effet, les greffiers en chef, n’ont plus seulement vocation à exercer des
fonctions de direction, d’administration et de gestion, sous l’autorité des
chefs de cours ou des chefs de juridictions, mais également des fonctions
juridiques spécifiques.
a)
De fait, depuis 1985, certaines attributions non juridictionnelles jusqu’alors
exercées par les magistrats ont été dévolues aux greffiers en chef, à l’image
de la délivrance des procurations de vote ou de la certification de certains
frais de justice (décret du 6 mai 1988).
1)
Ce mouvement s’est amplifié à la faveur d’autres transferts de compétence,
issus de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des
juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, puisque les greffiers
en chef connaissent notamment, aujourd’hui, de la procédure de changement de
nom et de déclaration conjointe de l’autorité parentale, et qu’ils assurent la vice-présidence des
bureaux d’aide juridictionnelle. Encore récemment, la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007
portant réforme de la protection juridique des majeurs a encore renforcé leur
mission.
2)
Le greffier en chef du tribunal d’instance est également compétent pour la
délivrance des certificats de nationalité française. A cet égard, et même sans
évolution du statut vers un greffier juridictionnel, la commission avait
préconisé que la compétence du greffier en chef en matière de certificat de
nationalité soit étendue à la réception et l’enregistrement des déclarations de
nationalité, qui restent attribués au juge d’instance, alors que la compétence
des greffiers en chef dans la délivrance des certificats de nationalité
française les qualifie de toute évidence pour connaître des déclarations, pour
lesquels ils sont déjà en charge de la constitution du dossier. La loi du 12
mai 2009 a tenu compte de ces propositions.
b)
Le greffier juridictionnel pourrait en outre se voir confier de nouvelles
missions. Sans aller jusqu’à dresser une liste exhaustive de ces fonctions, qui
resterait à établir au regard du nouveau statut ainsi créé, la commission s’est
attachée à développer plus particulièrement l’une d’entre elles, le traitement
de la procédure d’injonction de payer.
L’interrogation
qui a guidé la commission dans ce domaine pourrait être résumée en ces
termes : le caractère allégé de l’intervention du juge, dans la première
phase de la procédure pourrait justifier, de confier cette mission à un autre
acteur de la vie judiciaire. Une telle évolution serait en effet de nature à
permettre au juge de recentrer son office sur les contentieux les plus
complexes, dans lesquels la fonction juridictionnelle est sollicitée dans sa
plénitude. Au préalable, la commission a toutefois voulu étendre sa réflexion à
l’ensemble des améliorations susceptibles d’être apportées à cette procédure,
telle qu’elle existe aujourd’hui. Et c’est pourquoi, elle a proposé, outre une
amélioration de l’information du débiteur, que le juge puisse déléguer la
délivrance des ordonnances d’injonction de payer non seulement au futur greffier
juridictionnel, mais aussi aux juges de proximité dont elle propose le
maintien, parallèlement à la suppression de la juridiction de proximité
elle-même.
Ainsi,
apparaît bien l’idée que le statut et les missions du futur greffier
juridictionnel s’insère dans une vision plus globale de la création et de la
consolidation d’une équipe autour du juge. Décideur judiciaire, ce dernier doit
pouvoir s’appuyer sur des acteurs compétents.
VI – LES REGLES
DEONTOLOGIQUES DES PROFESSIONNELS DU DROIT
Les règles déontologiques au
service des usagers du droit
Colloque du Haut
Conseil des professions du droit
3 novembre 2011
Grand’ Chambre de la Cour de cassation
Rapport introductif
En choisissant pour thème de son
premier colloque, celui des « règles
déontologiques au service des usagers du droit », le Haut Conseil des
professions du droit a mis en évidence un identifiant fort et commun à ces
professions ; il a sans doute aussi souhaité les ancrer, par ce marqueur
de leur identité propre, dans le respect et la construction de l’Etat de droit.
Le thème est significatif en tout cas de la place qu’occupe désormais cette
question de la déontologie dans notre société, notamment pour les
professionnels libéraux que sont les membres des professions juridiques et
judiciaires.
Mais il n’aura échappé à personne que le
Haut Conseil a en même temps orienté l’approche de ces règles déontologiques
vers une soumission – que je considère pour ma part comme légitime - « au
service des citoyens » - ce qui est tout un symbole : les règles déontologiques
ne sont pas réservées aux relations confraternelles, qu’elles soient
fraternelles précisément ou, tout au contraire, conflictuelles ; elles
sont d’abord et avant tout au service d’une cause : celle des usagers du
droit. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’Organisation internationale de la
francophonie et la Maison du droit vietnamo-française viennent de tenir un
colloque, à Phnom Penh, le 7 octobre dernier, sur le rôle des auxiliaires de
justice au service des citoyens dans un Etat de droit dans la zone francophone
Asie-Pacifique et en France.
On voit bien, à la seule lecture des
intitulés des 2ème et 4ème tables rondes que les usagers
du droit sont directement concernés par ce thème : la communication et le
démarchage d’une part, la discipline professionnelle comme facteur de
protection des consommateurs d’autre part, ont pour cible, si j’ose m’exprimer
ainsi, les usagers du droit. Mais il serait superficiel et trompeur de s’en
tenir à ces deux seuls aspects, à ces deux tables rondes. L’indépendance du
professionnel du droit (1ère table ronde) et le respect de son
secret professionnel (3ème table ronde) sont aussi des garanties
pour ces usagers. Tout se tient, chaque table ronde n’a pas d’existence
autonome, indépendante de celle des trois autres.
Chargé de tisser les liens qui réunissent
les thèmes de ces quatre tables rondes, de fixer les grandes orientations de
nos débats, il me revient, en guise de propos introductifs, de me demander
pourquoi et comment les règles déontologiques peuvent et doivent répondre
aux préoccupations et aux besoins des usagers du droit.
Pour le savoir, je développerai ce propos
introductif en trois points :
-
D’abord, il faut revenir aux notions premières d’éthique et de déontologie,
approcher leur contenu et en définir les contours ; bref, savoir de quoi
on parle exactement, entre exigences morales et règles juridiques, entre
standards de bonne conduite personnelle et code de vie professionnelle.
- Ensuite, il me paraît nécessaire de
mieux cerner les fonctions de ces règles déontologiques dont le thème qui nous
réunit aujourd’hui nous dit qu’elles sont « au service des
citoyens ». La première fonction de ces règles est, à mon sens, de
garantir l’indépendance des professionnels du droit ; il faut y voir un
socle commun à tous les professionnels du droit, celui qui permet de mesurer la
nature de cette exigence.
- Enfin, et on touche là à une autre
fonction des règles déontologiques, elles doivent garantir la compétence des
professionnels du droit. Cette fois, l’exigence déontologique épouse davantage
les contours propres à chaque profession, pour mieux mesurer l’ampleur de cette
exigence.
Indépendance
et compétence sont les deux garanties qu’apporte une exigence déontologique
forte.
I
- Revenons d’abord aux notions premières d’éthique et de déontologie
Malgré la perception que chacun peut avoir
en ce domaine, la notion de déontologie est mal maîtrisée, à la fois dans sa
nature et dans son périmètre, notamment par rapport à la notion d’éthique.
Dans la pureté étymologique de notre
langue française, la déontologie c’est la science (logos) des devoirs, de ce qui convient (deon), alors que l’éthique est l’art de diriger la conduite, la
science de la morale (ethos = mœurs).
Pour ma part, je considère qu’en réalité
éthique et déontologie des professionnels du droit ne sont que les deux
facettes d’une même exigence, à savoir qu’elles ont en commun de fixer des
règles de comportement aux fins de faire respecter la fonction confiée à chaque
profession. Et – autre point commun - ni l’une ni l’autre ne sont toutes
entières contenues dans le droit, car elles sont à la fois le support et le
reflet d’une culture judiciaire articulée autour des finalités de l’acte de
juger, dans le contexte social de l’intervention du professionnel du droit pour
préparer cet acte de juger ou l’accompagner dans son élaboration, puis son
exécution[23].
Et c’est parce que, comme le juge, les
professionnels du droit vivent dans la Cité[24],
parce qu’ils sont soumis à des contraintes économiques et sociales plus fortes
qu’autrefois, voire à des pressions, notamment de la part des médias avides
d’informer à tout prix au nom de la liberté d’expression qu’ils ne sauraient
concevoir avec des limites, parce qu’ils sont recrutés relativement jeunes
(mais cette observation – j’y reviendrai – est de moins en moins vraie) et
parce qu’ils ne sont pas toujours armés pour résister à la tentation de se
faire connaître à tout prix, voire de jouer au héros purificateur, c’est pour
tout cela que ces professionnels du droit ont besoin d’une éthique[25]
forte, d’une morale du comportement qui se traduira, en termes déontologiques,
par des devoirs juridiques, par des règles juridiques du comportement.
Or,
jusqu’à une date récente, les études manquaient en France sur ce sujet[26],
à la différence de la Belgique[27]
ou du Canada :
- Pour les juges par exemple, après un
effort de réflexion au xixe siècle
sur l’éthique des juges d’instruction (sept manuels furent publiés
entre 1808 et 1862 à leur intention), la matière a connu un déclin
conduisant à un déficit déontologique, au moins au niveau des études, dont
notre pays souffre encore. Exceptées quelques règles issues de l’ordonnance du
22 décembre 1958, d’articles du Code pénal et de celui de procédure pénale
ou de la jurisprudence, c’est dans une circulaire du président Vincent Auriol,
signée le 29 décembre 1952, ès qualités de président du Conseil supérieur
de la magistrature, que l’on trouvait exposée une doctrine officielle du devoir
de réserve du juge. Et le Recueil des règles déontologiques élaboré par le
Conseil supérieur de la magistrature ne date que de 2010.
- Pour les professionnels du droit autres
que les juges, ce n’est que récemment que ce sont enclenchés à la fois un
mouvement doctrinal d’étude de leur déontologie[28]
et une réflexion professionnelle en faveur de l’élaboration de codes de
déontologie propres à chaque profession. Ce colloque illustre bien ce double
mouvement, doctrinal et professionnel et il faut s’en réjouir car l’émergence
de préoccupations déontologiques est toujours le signe du renouveau d’une
profession.
La
raison de ce renouveau est double, ce qui va me permettre maintenant de mieux
cerner les deux fonctions que garantissent ces règles déontologiques,
l’indépendance et la compétence des professionnels concernés.
II
- Socle commun à tous les professionnels du droit, l’exigence d’une déontologie
forte, constitue d’abord la garantie de leur indépendance.
Nous verrons, tout au long de cette
journée, que l’approche pluridisciplinaire et multi-professionnelle des règles
déontologiques des diverses professions du droit permet de déterminer un socle
commun à toutes, tant dans les traits caractéristiques de leurs sources (a) que
dans l’expression de l’idée d’indépendance que ces règles ont précisément pour
objectif de garantir (b).
a) Socle
commun d’abord, dans l’élaboration des sources des règles déontologiques
1) Certes, il n’y a pas de code unique des
règles déontologiques des professions du droit, mais au-delà de la diversité
des sources, on relève trois constantes qui contribuent à leur assurer une
assise forte :
- la première, c’est que ces règles
découlent désormais le plus souvent de la loi (pour les avocats par exemple,
loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971) ou du règlement (par exemple pour les
avocats aux Conseils, avec l’ordonnance du 10 septembre 1817 et le décret du 11
janvier 2002) ;
- la deuxième, c’est qu’au-delà de la loi
et du règlement, elles sont le plus souvent écrites et non plus seulement
tirées d’usages ancestraux, mais verbaux ; ces nouveaux écrits, ce sont,
par exemple, le Règlement intérieur national des avocats de 2005, le Règlement
de déontologie adopté par les notaires ou par les avocats aux Conseils ;
on peut aussi citer les discussions en cours pour les huissiers de justice afin
de transcender les règlements intérieurs départementaux ou pour les
commissaires-priseurs.
- la troisième constante, c’est que ces
règles écrites sont complétées par une importante jurisprudence des organes
disciplinaires propres à ces professions, mais aussi par les juridictions étatiques
en tant qu’instance d’appel ou de cassation de leurs décisions.
Ces trois premières constantes contribuent
à l’accessibilité, à la lisibilité et à la diffusion des sources des règles
déontologiques ; à cet égard, elles sont donc bien au service des usagers
du droit, comme l’indique le thème de notre colloque.
On a parfois souhaité le rapprochement de
ces règles dans un code unique des professions du droit[29].
Je doute personnellement de la pertinence de cette proposition : est-il
bien nécessaire de vouloir tout unifier, au risque de nier la spécificité
propre à chaque profession du droit ? Je ne le pense pas pour au
moins deux raisons :
- d’une part, les différences qui
subsistent entre les professions ne sont pas très importantes et relèvent le
plus souvent d’une question de degré plus que de nature ; par exemple, la
règle du conflit d’intérêts existe dans toutes ces professions, mais se doit
d’être plus forte lorsque le professionnel représente un usager, un
client ; il faut ici une part de variabilité au-delà du principe
commun ;
- d’autre part, les règles déontologiques
des différentes professions du droit sont suffisamment encadrées par les
principes généraux du droit et par les règles venues notamment de Strasbourg,
que s’engager dans la voie d’une unification des corpus déontologiques me paraît inutile et du temps perdu.
2) En revanche, une quatrième constante
serait susceptible, selon certains en tout cas[30],
d’affaiblir l’assise des règles déontologiques : on a fait observer que si
les professionnels du droit participent fortement à l’élaboration des règles
déontologiques qui les gouvernent par un dialogue avec l’Etat, les usagers ne
participent nullement à cette élaboration, alors que ces règles ont aussi pour
finalité de les protéger. Et la proposition a été faite, par le Laboratoire de droit international et
européen de l’université de Toulouse, d’associer les usagers à
l’élaboration de ces règles déontologiques.
A cette proposition, sans doute inspirée
par l’idée de renforcer la portée de ces règles, je ferai d’abord observer que
cette particularité, commune à toutes les professions du droit, est sans doute
liée à l’histoire : la déontologie fut d’abord l’affaire des
professionnels concernés pour encadrer leurs comportements, avant de se diffuser
vers les usagers de ces professions.
J’objecterai
ensuite, qu’à l’heure où l’on parle d’introduire dans le procès disciplinaire
les victimes d’agissements contraires à la déontologie d’une profession, la
question mérite certes d’être posée, mais que la réponse, à mon sens, ne doit
pas être positive, sauf à introduire la confusion entre la matière
disciplinaire et la matière pénale au sens de la jurisprudence européenne. A
trop vouloir promouvoir l’usager du droit victime d’un comportement contraire
aux règles déontologiques, à la fois dans le procès disciplinaire et dans
l’élaboration de ces règles, on entretient la confusion entre ce qui relève
d’un côté du champ, du cercle si l’on préfère, purement professionnel et qui
est délégué par la puissance publique aux organes représentatifs de chaque
profession, et de l’autre de ce qui relève de la qualification pénale, la
justice étant alors retenue par la puissance publique pour l’exercer au-delà
des seuls intérêts d’une profession, au nom de l’intérêt général et du bien
commun. Là encore, la jurisprudence européenne s’est toute entière construite,
progressivement, sur une différence de nature et d’exigences entre matière
disciplinaire et matière pénale. La confusion des genres conduirait à des
requalifications du disciplinaire en règles répressives de droit commun. Il
n’est pas certain que l’usager du droit et le professionnel seront les gagnants
de cette confusion qui conduirait à terme à la fusion des deux approches, donc
à la suppression des juridictions disciplinaires.
b) Mais
le socle commun des règles déontologiques, garant de l’indépendance des
professionnels du droit, se manifeste aussi dans le contenu de cette
indépendance.
A cet égard, quatre aspects doivent
retenir notre attention, mais seuls les deux derniers feront l’objet d’une
table ronde spécifique, parce qu’il n’était pas possible de tout envisager en
une seule journée :
1) L’indépendance est
d’abord liée à l’existence de structures professionnelles qui constituent à la
fois le glaive de chaque profession du droit et le bouclier de chaque
professionnel. L’ordre, la compagnie, l’organe professionnel, quel que soit son
nom, tout à la fois protège les professionnels contre des attaques injustes et
sanctionne les professionnels défaillants.
2) Mais il n’y a pas que
les aspects disciplinaires. La déontologie comporte aussi un volet financier, à
travers les garanties que doit offrir une profession pour pallier les
défaillances de certains de ses membres. C’est là le prix de l’indépendance de
chaque profession du droit. Qui paye est maître et laisser à d’autres qu’aux
membres de la profession concernée le soin de garantir financièrement ces
défaillances, serait abdiquer son indépendance, mettre en péril la survie de la
profession.
3)
Le troisième contenu de cette exigence d’une déontologie forte, garante de
l’indépendance des professionnels du droit, c’est la question que nous allons
aborder en premier ce matin, celle du conflit d’intérêts.
Que n’a-t-on pas dit sur cette question
depuis plusieurs mois, qu’il s’agisse des hommes politiques qui deviennent
avocats, des professeurs de droit qui pratiquent l’arbitrage sans toujours
révéler les liens qui les rattachent ou les attachent devrait-on dire, à l’une
des parties, de certains magistrats qui semblent ignorer, par exemple, le
paragraphe a4 du Recueil des obligations déontologiques que j’évoquais à
l’instant et qui dispose que « les
magistrats préservent leur indépendance vis-vis des pouvoirs exécutif et
législatif en s’abstenant de toute relation inappropriée avec leurs
représentants et en se défendant de toute influence indue de leur part » ?
La vie publique et la vie des affaires
confondues, la vie personnelle qui interfère avec la vie professionnelle, sont
des fléaux qui ne sont propres à aucune profession, parce qu’ils touchent
chacun d’entre nous dans l’éthique qu’il a de l’exercice de sa profession, donc
dans la déontologie que lui impose les instances professionnelles et que
sanctionnent les organes disciplinaires, en tant que de besoin. N’est-il pas significatif
d’une dégradation de la perception de cette exigence d’éviter tout conflit
d’intérêts, que le Président de la République ait été obligé de confier une
mission sur cette question au Vice-Président du Conseil d’Etat ? Certes,
la mission confiée à cette Haute personnalité vise l’action des personnes
dépositaires de l’autorité publique, ministres, hauts fonctionnaires et
responsables d’entreprises ou d’établissements publics, mais la définition
proposée du conflit d’intérêts a une portée plus large que le cercle de ces
activités : « situation
d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une
personne qui concoure à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par
sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de
nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et
objectif de ses fonctions ». Il suffit de remplacer la « mission
de service public » par la notion d’exercice professionnel pour appliquer
telle quelle cette définition aux professionnels du droit.
Pourtant, la question n’est pas nouvelle
et je suis certain que nous apprendrons beaucoup au cours des débats que la
première table ronde ne manquera pas de susciter. Mais il faut ici souligner
qu’il est nécessaire de sanctionner le conflit d’intérêts dans toutes les
professions, car il faut préserver la confiance de l’usager du droit, tout en
assurant l’indépendance du professionnel : ces deux exigences de confiance
et d’indépendance se rejoignent dans ce socle commun d’une déontologie forte.
C’est le principe de loyauté qui émerge
ici, concept dont je conviens volontiers qu’il peut paraître flou à certains,
trop moral a-t-on dit, pour mieux le balayer d’un revers de main, mais qui
s’impose progressivement non seulement comme un principe directeur du procès,
mais aussi du comportement des professionnels du droit, qui se doivent d’être
irréprochables, quelle que soit la profession à laquelle ils appartiennent.
Cette
vigilance est d’autant plus nécessaire que la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011
sur la modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines
professions réglementées, en ouvrant ces professions à
l’inter-professionnalité, crée de nouveaux risques de conflits d’intérêts entre
les professionnels du droit et ceux du chiffre ou entre professionnels du droit
appartenant à des professions différentes.
4)
Le quatrième aspect de cette indépendance garantie par une exigence
déontologique forte, c’est celui du secret professionnel qui sera abordé en
début d’après-midi, lors de la troisième table ronde.
Là
encore, l’intérêt du client, de l’usager rejoint celui du professionnel. Le
secret professionnel est tout à la fois ce qui protège l’usager et assure
l’indépendance du professionnel à l’égard de toute forme de pouvoir. Ce n’est
pas un hasard si ce secret est commun à toutes les professions dans la sanction
qu’en donne l’article 226-13 du code pénal. On sort de la matière
déontologique, disciplinaire pour entrer dans le champ pénal. Tous les
professionnels du droit sont tenus pas cette exigence déontologique forte, mais
là encore la loi du 28 mars 2011 apporte quelques inquiétudes par le fait de
l’inter-professionnalité. Dans le cadre de ces futures structures
interprofessionnelles, comment va s’organiser le respect de ce secret ? Le
secret est-il lié à l’ensemble de la structure, tous ses membres y étant alors
tenus, quel que soit celui des professionnels qui aura reçu le client ? Ou
est-ce qu’on doit considérer que chaque professionnel étant tenu au secret de
par la loi, ils sont tous, au sein de cette structure, tenus à l’égard du
client, sous la forme d’un secret « partagé » ? Je suppose que
cette question sera abordée cet après-midi.
On
le voit, et on pourra le vérifier au cours de nos travaux, le secret professionnel
et le conflit d’intérêts sont au cœur de ce socle commun d’une exigence
déontologique forte pour garantir l’indépendance des professions du droit. Mais
il y a bien d’autres aspects qui, pour être communs à toutes les professions,
ne s’imposent pas avec la même force dans chacune d’entre elles.
III
- Et c’est le troisième point de ces propos introductifs : variable propre
à chaque profession du droit, l’exigence déontologique doit aussi être
évolutive pour garantir, au cas par cas, la compétence des professionnels du
droit.
a) Parler de compétence, c’est
évoquer la question de la formation des professionnels du droit
Pour autant, je ne parlerai pas ici de la
formation, qu’elle soit initiale ou continue, sauf à souligner que l’exigence
de la seconde désormais acquise dans toutes les professions du droit, devrait
conduire à nous interroger sur la pertinence d’une formation initiale
exagérément longue et que certains souhaitent encore allonger en instaurant une
pyramide d’années d’études après la formation universitaire.
A-t-on
vraiment besoin d’un tronc commun complémentaire après cinq années d’études
supérieures ? Je suis intimement persuadé que la spécificité de chaque
profession doit ici l’emporter sans qu’il soit besoin de regrouper les élèves dans
une grande école du droit commune à toutes les professions, usine à gaz au
déficit budgétaire assuré, dans laquelle chaque profession perdra sa
spécificité, pour ne pas dire son âme. Méfions-nous des fausses bonnes idées,
parfois davantage inspirées par la volonté déguisée de fusionner par la
formation ce qu’on n’a pas réussi à fusionner par l’absorption des professions
voisines, que par l’amélioration supposée de la compétence des futurs
professionnels de toutes les professions juridiques et judiciaires. Je crois
plus à l’interactivité des liens entre les différents centres ou écoles de
formation propre à chaque profession qu’à l’illusion d’une école unique.
b) Mais l’essentiel n’est pas là. La
compétence que garantissent les règles déontologiques, est aussi dans les
thèmes qui retiendront notre attention dans les deux autres tables rondes.
1)
Le premier de ces thèmes est celui de la communication et du démarchage.
Vous aurez noté que les organisateurs de
ce colloque n’ont pas utilisé le mot « publicité », mais celui de
« communication ». Ce n’est pas un hasard : alors que la
publicité est strictement encadrée en droit français pour les professionnels du
droit, notamment pour les avocats, le besoin de communiquer, notamment par internet
est de plus en plus pressant. Naguère, on parlait de publicité informative, ce
qui en soi est trompeur, car toute publicité porte en elle une information.
C’est pourquoi, il me paraît nécessaire de revoir les règles déontologiques sur
la publicité des professionnels du droit, sans doute profession par profession
et non pas par un texte de portée générale pour l’ensemble de ces professions. Cela me paraît d’autant
plus urgent que d’une part, ce n’est un secret pour personne que les règles
actuelles sont fréquemment violées sans que ces violations soient sanctionnées,
ce qui affaiblit l’effectivité de la règle ; et que, d’autre part, la
concurrence internationale, notamment anglo-saxonne, nous confronte, à
l’extérieur de nos frontières, à des règles plus permissives ; il est
urgent de donner à nos cabinets qui œuvrent à l’international les moyens de
communiquer de manière plus directe et plus attractive qu’aujourd’hui et
d’adapter notre règlementation aux exigences du droit de l’Union européenne.
Nous y serons sans doute contraints par ce qui vient d’être jugé, à Luxembourg,
en matière de démarchage et dont nous parlera Georges Decocq.
Reste
en effet, dans ce thème, la limite que constitue le démarchage et je suis bien
certain que ce matin, au cours de la deuxième table ronde, l’arrêt rendu par la
Cour de justice de l’Union européenne le 5 avril 2011[31]
retiendra toute notre attention. Certes, il ne concerne pas un professionnel du
droit, tout au moins une profession qui exercerait le droit à titre principal,
puisqu’il s’agit des experts-comptables, mais le fait que la Cour juge
contraire à la directive services n° 2006/123/CE la réglementation française
concernant cette profession, pour la raison qu’elle constitue une restriction à
la libre prestation de services transfrontaliers, et la circonstance que la
Cour statue en des termes généraux qui visent les membres d’une profession
réglementée, nous obligent à nous interroger sur les conséquences induites par
cet arrêt sur la déontologie des professionnels du droit. L’apport du droit de
l’Union européenne et du droit comparé est essentiel.
2)
Le second thème qui intéresse à des degrés différents chaque profession est
celui de la discipline, dans la perspective de la protection du consommateur
Pour
ce qui me concerne, je placerais volontiers le thème de notre dernière table
ronde sous l’éclairage du thème général de notre colloque ; les
professionnels du droit étant au service des usagers du droit, il est naturel
que la protection des consommateurs de droit passe par la question de leur
discipline.
Là
aussi, au-delà de règles de principe communes à toutes les professions, il
convient de laisser à chaque profession le soin de gérer les modalités de sa
discipline.
XXX
Vous le voyez, sur ce thème des règles
déontologiques au service des usagers du droit, il convient à la fois d’être
ferme et exigeant sur le socle commun de ces règles qui garantissent
l’indépendance de ces professionnels et d’admettre une dose de variabilité,
profession par profession, pour tout ce qui concerne leur compétence. Le
déroulement de nos travaux confirmera, je l’espère, cette approche. En tout
cas, il nous permettra de progresser sur un terrain qui ne peut être qu’en
perpétuel mouvement, puisqu’à partir du socle des règles communes, l’exigence
déontologique se construit au jour le jour et évolue avec les besoins de notre
temps.
Passion
universelle parce que commune à toutes les professions du droit, la déontologie
doit rester une exigence en permanence évolutive pour pouvoir répondre aux
grandes évolutions sociales, économiques et technologiques du monde
contemporain.
[1] Sur la question de l’unité des
professions juridiques, Les professions
juridiques, dossier de la Revue de
droit Henri Capitant, n° 4, 2012 : B. Renaud « Profession unique
ou profession unies ? », p. 121 et Ch. Féral-Schul, « La grande
profession du droit : rêve ou nécessité ? », p. 125.
[2] Rapport sur le site du ministère
de la justice et publié à la Doc. fr., 2009.
[3] Déc. n°
2015-715 DC du 5 août.
[4] Commentaire : L. Jariel, JCP 2015, 1078, n° 2 ; Th. Wickers,
D. 2016, 101.
[5] La loi Macron leur donne la possibilité
d’exercer le conseil juridique à titre accessoire, mais exclut les prestations
juridiques à titre principal de manière qui se veut plus claire qu’autrefois,
puisque les prestations délivrées een matière fiscale ou sociale y sont
explicitement adjointes ; ils peuvent continuer à proposer à leurs clients
des activités d’assistance dans leurs démarches déclaratives à finalité
fiscale, sociale et addministrative (par ex. établir un bulletin de paye, une
déclaration fiscale).
[6] Commentaires : F. G’sell, JCP 2016, 488 ; L. Jariel, JCP 2016, doctr. 670, n° 3.
[7] Administrateurs judiciaires,
avocats, avocats aux Conseils, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des
tribunaux de commerce, huissiers de justice, mandataires de justice,
notaires ; 5 sont titulaires de charges, les autres (avocats,
administrateurs et mandataires judiciaires) échappant, sous ce regard, au
bénéfice d’un droit de présentation et à la notion de mission de service
public par délégation permanente de l’état.
[8] M. Bénichou, « L’Europe, les
avocats et la concurrence », Gaz.
Pal. 7 fév. 2015, n° 38, p. 9
[9] Un groupe de travail a été réuni à
la Chancellerie en 2005 pour réfléchir aux évolutions concernant ce
rapprochement ; le rapport a été remis au Garde des Sceaux le
27 janvier 2007, après consultation des professionnels concernés (sur le
site du ministère de la Justice), v. « Rapprochement entre les professions
d’avocat et de juriste d’entreprise, Réflexions et propositions », JCP 2006, Actu. 55.
[10] R. Martin, « Le devenir de la
profession d’avocat », JCP 2005.
I. 178.
[11] Colloque Université Paris 2, 14
janv. 2015, « Les professions juridiques : service public et
déréglementation ? » Les
Annonces de la Seine, 12 mars 2015, p. 18, spéc. Y. Gaudemet, p. 22,
rapport de synthèse sur « Les réformes de ces professions et la
Constitution ».
[12] G. Decocq, « Avis de tempête
sur les professions juridiques et judiciaires », Contrats-concurrence-consommation 2014, repère 9.
[13] V. sa communication sur « évaluer les réglementations nationales
en matière d’accès aux professions » (COM2013/676 final, 2 oct.
2013) ; C. Nourissat, « Accès aux professions réglementées :
objectif 2015 », Procédures 2013,
repère 11.
[14] Directive 2005/36/CE, 7 sept.
2005.
[15] D. Lecomte, Gaz. Pal. 30 nov. 2014.
[16]
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/synthese_avis_prof_regl_jan15.pdf
[17] Exposé des motfis : « La
réforme des professions réglementées du droit introduit la liberté
d’installation, tout en confirmant l’exclusivité de leurs missions. Elle
renforce le maillage territorial de ces professions. Elle ouvre en outre entre
professionnels du droit et de l’expertise comptable l’accès au capital pour
encourager l’investissement, rendre l’activité plus efficace et permettre
l’interprofessionnalité. Elle rénove le mode de fixation des tarifs, afin
qu’ils reflètent davantage les coûts réels. La loi prévoit également le
regroupement des professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire et
de commissaire-priseur judiciaire dans une profession unique de commissaire de
justice, qui offrira plus de débouchés et de mobilité entre ces professions
voisines ».
[18] À. l’exception de Th. Wickers qui
souligne que la plupart des dispositions du projet sont la mise en oeuvre des
directives services et n° 2005/36/CE du 7 sept. 2005 sur la reconnaissance
des qualifications professionnelles, D. 2015,
38.
[19] Commentaires : F. G’sell, JCP 2015, supplément au n° 44, p. 15.
Sur la conformité avec le droit européen, E. de Lamaze, Gaz. Pal. 26 sept. 2015, n° 269, p. 7 ; G. Decocq, Contrats-conc. consom. 2016, Repère 8. Sur les notaires et les avocats, M.-L. Dussart, AJDA 2015, 2188. T. Wickers, D. 2016, 101. Sur les relations
avocats-experts-comptables, E. de Lamaze et A. Bricard, Gaz. Pal. 27 sept. 2016, n° 33, p. 14.
[20] Déc. n°
2015-715 DC du 5 août 2015.
[21] Rapport d’information n° 2475,
Documents d’information de l’Assemblée nationale, déc. 2014.
[22] Présentation rapide : D. Piau, Gaz. Pal. 8 mars 2016, n° 10, p. 11.
[23] , J.-F. Kriegk, « La culture
judiciaire : une contribution au débat démocratique », D. 2005. 1592.
[24] G. Bolard et S. Guinchard,
« Le juge dans la cité », JCP 2002.
I. 137.
[25] L’éthique
des gens de justice, Entretiens d’Aguesseau, Limoges, 19-20 oct. 2000,
PU Limoges, nov. 2001. N. Fricero (dir.), Éthique
et professions judiciaires, Actes du colloque de la revue Droit et procédures, Nice,
16-17 avr. 2004, coll. « Dr. et proc. », EJT éd. 2004.
Conférence de consensus sur l’éthique judiciaire, Réunion des Premiers
présidents de cour d’appel, 28 juin 2005, BICC 15 oct. 2005.
[26] V. cependant, pour les professions
juridiques et judiciaires, H. Croze et E. Joly-Sibuet, Quelle déontologie pour 1993 ? Rapport pour le Commissariat
général au Plan, 1993. Pour les juges, le Rapport de la Commission de réflexion
sur l’éthique de la magistrature, présidée par le Prés. J. Cabannes, 2003.
[27] P. Martens, « Sur les loyautés
démocratiques du juge », in Mélanges
E. Cerexhe, Larcier éd., 1997, p. 249.
[28]
Joël Moret-Bailly et Didier Truchet, Déontologie
des juristes, PUF 2010. Rapport du Laboratoire de droit international et
européen de l’université de Toulouse 1, Etude
sur l’évolution des règles professionnelles et déontologiques des professions
juridiques et judiciaires, recherche financée par la Mission Droit et
Justice, mars 2011.
[29]
Etude précitée du Laboratoire de droit international et européen de
l’université de Toulouse.
[30]
Etude précitée du Laboratoire de droit international et européen de
l’université de Toulouse.
[31]
CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/9, Société
fiduciaire nationale d’expertise comptable c/ Ministère du budget.
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