SOMMAIRE
I – Le travail en équipe
II – Le raisonnement du juge
III – Le pouvoir du juge européen
IV - Le pouvoir du juge national d’écarter
une loi
V – La spécialisation des juges
VI – Le juge à l’écoute du monde
VII- L’avenir du juge
I – Le travail en équipe
Janvier 2017
La multiplication
des auxiliaires du juge : une équipe autour du juge
À côté des
personnels permanents et titulaires du ministère de la Justice (greffiers) ou
d'un autre ministère (personnels de la police judiciaire), toute une série de personnages
apparaissent dans le monde contemporain de la justice, plus au moins bénévoles,
plus au moins permanents : les conciliateurs et médiateurs ; les
techniciens et experts et, depuis peu, les assistants de justice ou encore les juristes assistants, les assistants
spécialisés, notamment en matière financière, qui vont aider les juges
d'instruction et les procureurs, les délégués et médiateurs du procureur dans
les maisons de justice. C'est un paysage nouveau qui se dessine : beaucoup
de « supplétifs » autour de magistrats professionnels. C'est cette
évolution que la commission Guinchard
prend en compte en proposant de faire du juge le véritable animateur d'une
équipe au sein de sa juridiction[1] ;
en application de cette idée, le décret du 1er octobre 2010 sur
la conciliation et les procédures orales renforce le rôle des conciliateurs de
justice autour du juge ; on voit se dessiner un autre paysage de la
justice. Idée reprise par la ministre de la Justice en octobre 2012, dans une
mission confiée à l'Institut des Hautes études sur la Justice pour une
redéfinition de l'office du juge (rapport rendu en juin 2013[2]).
Idée reprise aussi par le rapport Delmas-Goyon
sur les juges du xxie siècle
(décembre 2013) dont les propositions 39 à 44 s'insèrent dans un chapitre
« organiser le travail du magistrat en favorisant cohérence, lisibilité et
travail en groupe » et les propositions 45 à 59 sont regroupées sous
l'intitulé « répartir les rôles au sein de l'équipe juridictionnelle et
créer un greffier juridictionnel ». Le décret n° 2016-514 du 26 avril contient plusieurs dispositions qui
visent à favoriser ce travail en équipe, à inciter les magistrats à échanger
sur leurs pratiques : magistrats coordonnateurs des tribunaux
d’instance d’un même ressort et des
activités juridictionnelles dans le ressort d’une même cour d’appel. La loi organique n° 2016-990 du 8 août revoit le statut des juges
« supplétifs » des magistrats de carrière en créant, avec les
magistrats honoraires pouvant n’exercer que des fonctions administratives ou
d’aide à la décision au profit d’un magistrat, une équipe autour du président
de la juridiction. La loi n° 2016-1547
du 18 novembre crée les juristes assistants dont il va être question à
l’instant.
Assistants
de justice, juristes assistants, assistants
spécialisés et agents de justice
Ces quatres catégories de
personnel, apparues à la fin des années 1990 ne doivent pas être confondues,
certains étant des fonctionnaires, d'autres des vacataires à titre précaire.
a) Les
assistants de justice
1) La loi no 85-125
du 8 février 1995 a créé la fonction d'assistant de justice
(art. 20), sorte d'auxiliaire du juge, mais qui ne constitue pas
réellement une profession, puisque les assistants de justice ne peuvent être
nommés que pour 2 ans renouvelables deux fois (art. 20, al. 2),
parmi les titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation juridique de
4 ans après le baccalauréat au moins, et que « leur compétence qualifie particulièrement pour exercer ces
fonctions ». Ils peuvent être installés auprès de toutes les
juridictions d'instance, de grande instance, des cours d'appel et de la Cour de
cassation (art. 20, al. 1) et même auprès de l'ENM. Décret
d'application no 96-513, 7 juin 1996 et arrêté du même
jour sur la rémunération.
La
loi, pas plus que le décret, ne définit leurs tâches avec précision, puisqu'il
est simplement dit « qu'ils
apportent leurs concours aux travaux préparatoires réalisés pour l'exercice de
leurs attributions par les magistrats » (art. 1er décr.
1996). Cela peut aller des recherches documentaires à la rédaction d'un projet
de jugement ! D'où l'obligation qui leur est faite de prêter serment (s'il
est placé en juridiction bien sûr ; formule in art. 7, Décr.) et
de respecter le secret professionnel (art. 20, al. 2, L.). Il faut
les rapprocher, pour mieux les distinguer et prévoir l'évolution de leur statut
des « attachés de justice »
qui avaient été créés par le décret no 59-84 du 7 janvier
1959 ; ces derniers constituaient un véritable corps semi-administratif,
avec possibilité d'accès à la magistrature après 15 ans d'exercice des
fonctions ; leurs missions étaient définies avec plus de précision :
exercer sous le contrôle des chefs de juridiction « toutes attributions non juridictionnelles impliquant soit un
travail de gestion, soit un travail de rédaction à caractère juridique, soit un
travail de recherche jurisprudentielle ou doctrinale ».
Les
assistants de justice ont une situation précaire (rémunération au SMIC et sur
10 mois seulement) ; ils n'ont, en principe, aucune vocation à
devenir un corps autonome, avec intégration à terme dans la magistrature, sauf
à ce qu'ils remplissent les conditions d'accès aux concours dits
« complémentaires » de la loi organique du 25 juin 2001
(v. ss 833). En outre, la qualité d'assistant de justice peut constituer
un « plus » dans un dossier d'admission sur titre d'un candidat docteur
en droit ou ayant exercé des fonctions d'enseignement (v. ss 834). Si, de
fait, les assistants de justice sont essentiellement des étudiants en droit,
doctorants ou docteurs, en attente d'une intégration dans l'enseignement
supérieur, les textes n'interdisent pas de recruter des membres de professions
libérales juridiques ou judiciaires ou des personnes employées à leur service
qui, avec l'accord du chef de cour (ou du directeur de l'ENM, selon le cas),
pourront cumuler leur activité professionnelle avec celle d'assistant de justice.
À
terme, si un corps était créé, avec un véritable statut et un recrutement
massif[3], c'est
à un véritable bouleversement qu'on assisterait dans la manière de travailler
des magistrats et, à plus long terme, dans la relation de ce corps avec celui
des assistants de justice ; le magistrat travaillerait en équipe et non
plus en artisan, mais la revendication des assistants de justice serait alors,
sans doute, d'intégrer, à terme, le corps des magistrats. On peut les
rapprocher des « law clerks »
qui entourent, à raison de quatre par juge, les membres de la Cour suprême des
États-Unis d'Amérique et dont un auteur averti nous dit qu'ils participent à
l'amélioration du travail de ces juges, notamment par le temps qu'ils
permettent aux juges de dégager pour rédiger les arrêts et leurs opinions
dissidentes[4].
2) La loi no 2002-1138 du
9 septembre 2002 a étendu aux juridictions administratives (y compris la
Cour des comptes et les chambres régionales des comptes) la possibilité de
recruter des assistants de justice (art. L. 122-2 pour le Conseil
d'État et R. 227-1 pour les juridictions du fond) avec la même obligation
de respecter le secret professionnel et la même durée de fonctions (six ans au
maximum). Décret d'application no 2002-1472 du 20 décembre
2002.
b) Les juristes assistants de la
loi du 18 novembre 2016. Cette loi crée dans l’article L. 123-4, COJ, non pas
un corps, mais une fonction réservée aux docteurs en droit et aux titulaires
d’un diplôme sanctionnant une formation juridique d’au moins cinq ans après le
baccalauréat avec deux années d’expérience professionnelle dans leur domaine
juridique[5]
qui pourront être nommés en cette qualité dans toutes les juridictions, hors
les juridictions composées de juges non professionnels, si leur compétence les
qualifie particulièrement pour exercer ces fonctions. Ils seront nommés, à
temps complet ou partiel, pour 3 ans, renouvelables une fois. Tenus au secret
professionnel, ils auront accès aux dossiers de procédure pour l’exercice des
tâches qui leur seront confiées. Un décret est attendu. Surtout, ils pourront
bénéficier des dispositions de l’article 18-1, Ord. 1958, car la loi organique
n° 2016-1090 du 8 août les autorise à entrer dans la magistrature par la voie
de l’auditorat à l’ENM, sur titre (et non pas sur concours).
c) Les assistants spécialisés ont été créés par
la loi no 98-546 du 2 juillet 1998 (art. 91, in art. 706, C. pr. pén.). Ils
sont chargés d'assister, dans le déroulement de la procédure, les magistrats
sous la direction desquels ils sont placés sans pouvoir procéder par eux-mêmes
à aucun acte ; ils ont accès aux dossiers des procédures pour l'exercice
des tâches qui leur sont confiées et donc tenus au secret professionnel. Ce
sont des fonctionnaires de catégorie A ou B, ou des personnes titulaires d'un
diplôme sanctionnant une formation économique, financière, juridique ou sociale
d'une durée au moins égale à 4 ans d'études postérieurement au
baccalauréat, qui remplissent les conditions d'accès à la fonction publique et
qui justifient d'au moins 4 ans d'expérience professionnelle. En clair, il
s'agit de placer auprès des magistrats, essentiellement des juges d'instruction
et des pôles économiques et financiers, des personnes compétentes pour les
aider dans les dossiers à haute technicité économique et financière, grâce au
concours permanent de collaborateurs issus de corps spécialisés (inspecteurs
des impôts, des douanes, etc.). Décret d'application no 99-75
du 5 février 1999.
c) Les agents de justice, créés par la loi
no 99-515 du 23 juin 1999 (art. 29 »), sont des
contractuels de droit public âgés de 18 à 26 ans, recrutés pour 5 ans
au maximum pour « développer des
activités répondant à des besoins non satisfaits auprès des magistrats et
fonctionnaires du ministère de la Justice », en vue d'assurer des
activités d'accueil et d'assistance auprès des justiciables et du public dans
les juridictions et les maisons
de justice et du droit, et de contribuer à la prise en charge et
au suivi éducatif des mineurs et jeunes majeurs délinquants dans les services de
l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.
Décret d'application no 99-916, 27 oct. 1999.
Les magistrats
honoraires et la réserve judiciaire de greffiers
Une
autre philosophie avait inspiré la
création de la réserve judiciaire :
pallier, par le recours à des retraités, les
conséquences du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en
retraite. La loi de finances pour 2011, no 2010-1657,
29 décembre 2010, avait créé, à
l'article 164, deux réserves judiciaires composées de volontaires en
retraite et rémunérés (à la vacation) pour les tâches qu'ils accompliront.
Décret no 2011-946, 10 août 2011 et arrêtés (deux)
du 6 sept. 2011.
a) La première réserve étaitt composée de magistrats
volontaires en retraite et âgés de 75 ans au plus,
affectés, en fonction des besoins, qu'à des tâches non juridictionnelles. Cette réserve est supprimée par l’article 40-II de la loi organique n°
2016-1090 du 8 août qui abroge l’article 164-I de la loi de finances précitée
du 29 décembre 2010. De fait, la possibilité offerte à des magistrats
honoraires d’exercer des fonctions non juridictionnelles d’aide à la décision
auprès d’un magistrat rendait inutile le maintien de cette réserve.
b)
En revanche, la seconde réserve qui concerne, à l'identique, les greffiers des
services judiciaires subsiste : issus du corps des greffiers en chef et de celui des
greffiers, âgés au plus de 75 ans, retraités et volontaires, ils pourront
eux aussi être affectés, en fonction des besoins, par les mêmes autorités à des
missions d'assistance, de formation des personnels et d'études pour
l'accomplissement d'activités non juridictionnelles.
II – Le raisonnement du juge
Janvier 2017
L’avenir du droit et du justiciable à la Cour de
cassation
Depuis 2015 et tout au long de l’année
2016, des débats ont eu lieu à la Cour de cassation, sous l’égide de son
premier Président, pour revoir ses fonctions juridictionnelles sous l’angle de
l’introduction du contrôle de proportionnalité[6],
du filtrage accru des pourvois et d’une nouvelle motivation de ses
arrêts ; on a déjà dit qu’en réalité ces débats cachent une volonté de
prise de pouvoir par le judiciaire, ce qui remet en cause l’équilibre actuel de
nos institutions ; mais la version finale de la loi de modernisation de la
Justice du XXIème siècle, si elle n’a pas retenu le pire des amendements de
filtrage, a mis en place des instruments techniques qui permettront à la cour
d’assurer un contrôle de proportionnalité sociétal, éclairée par son procureur
général et, si nécessaire, par un amicus
curiae [7].
a) Sur le plan des principes et du contrôle de
proportionnalité,
disons-le d’emblée : nous avons toujours été favorable à cette technique,
pratiquée par certains juges du fond, allant même jusqu’à écrire qu’au niveau
de la cour de cassation, le pourvoi était un vecteur particulièrement adapté à
ce type de contrôle[8], et nous
avons été l’un des premiers, dans notre Précis
de droit processuel, dès sa 1ère édition en janvier 2001, qui synthétisait
des articles antérieurs de la fin des années quatre-vingt-dix[9],
à faire observer que ce contrôle conférait au juge national « un énorme
pouvoir » puisque ce dernier peut juger les lois, voire la jurisprudence
d’une cour suprême étrangère, au nom de ce principe[10].
Ce contrôle traduit bien l’évolution de la question de la légitimité du
droit : l’École de la hiérarchie des normes illustrée par la fameuse
pyramide de Kelsen a été concurrencée par celle de la hiérarchie des valeurs
avec, d’abord, l’École du droit naturel, puis avec la notion anglo-saxonne
d’État de droit (le fameux rule of law
et la doctrine des droits fondamentaux[11].
C’est cette dernière École qui fonde le contrôle de proportionnalité, le juge
devenant le gardien des idéaux démocratiques et le censeur éventuel des deux
autres pouvoirs s’ils transgressent ces valeurs ; le juge s'affirme par
rapport aux autres pouvoirs, parce qu’avec le contrôle de proportionnalité, il
évalue la fidélité aux valeurs démocratiques de base des finalités concrètes de
l'action sociale qui appartiennent aux pouvoirs législatif et exécutif. Le
droit ne fonde pas le droit ; il est heuristique en ce qu’il transmet des
valeurs et que le juriste défend une cause. Mais si le droit n’est pas neutre,
c’est parce qu’il s’appuye sur des droits dits fondamentaux que nous avons
théorisés, pour le droit du procès, dans le Précis
de droit processuel[12].
On revient ainsi au vieux précepte d’Ulpien (jus est ars aequi et boni = le droit est l’art de l’équité et du
bien) et on rejoint Jürgen Habermas qui hésite moins que les juristes à écrire
que « les principes moraux qui
proviennent du droit naturel sont aujourd’hui des éléments du droit
positif »[13].
Cela n’interdit pas d’en montrer les
limites et les possibles dérives d’aborder les affaires sous l’angle
exclusivement sociétal (rappr. la nouvelle mission reconnue au procureur
général de la cour, et la légalisation de la pratique de l’amicus curiae, et de remettre en cause les arbitrages opérés par la
souveraineté nationale, à savoir le Parlement, au motif que les conséquences de
ces arbitrages seraient in casu
excessives ; cette dernière dérive est le ver dans le fruit d’un contrôle
de proportionnalité mal maîtrisé, chaque juge se livrant à un pur contrôle
d’opportunité, écartant une règle dans un cas, l’appliquant dans un autre, au
nom d’une équité dont il serait le seul juge ! Il est donc nécessaire
d’encadrer cette technique, voire de « recadrer » les juges du fond
qui se laisseraient aller à un contrôle de pure opportunité[14].
Ainsi, la nullité d’un mariage incestueux au regard de la loi parce que l’homme
épouse la femme de son fils dont ce dernier avait divorcé, est écartée lorsque
l’homme épouse la fille que sa femme (dont il avait divorcé bien sûr) avait eue
d’un premier lit. Or, dans les deux cas, le texte est clair et précis ;
pour autant, il est mis en balance avec le principe de non-ingérence dans la
vie privée, ingérence justifiée ou pas selon l’espèce. Ne faudrait-il pas
écarter la balance des intérêts lorsque le texte est clair et précis, à
l’instar de la technique de la dénaturation : la Cour de cassation
sanctionne toute interprétation par les juges du fond d’une convention claire
et précise et écarte toute censure de l’arrêt lorsque la convention ne
présentait pas ces caractères ; ne devrait-elle pas s’appliquer à
elle-même cette théorie de la dénaturation lorsque le texte légal à appliquer
ne laisse place à aucune interprétation ?
Pour construire un contrôle de
proportionnalité sans excès, sans dérive[15],
il n’est pas inutile d’aller regarder ce qui se passe outre-Manche ou outre
Rhin. Sous ce regard anglais, on peut faire observer, ce qu’un autre auteur a
justement relevé, à savoir, qu’au Royaume Uni, depuis l’intégration de la
Convention EDH dans son ordre juridique par l’Human rights act de 1998 (section 4(2), lorsqu’une cour constate
qu’une loi est incompatible avec la Convention EDH, elle formule une
déclaration d’incompatibilité qui n’invalide pas la loi, mais remet aux
pouvoirs exécutif et législatif le soin de se saisir de la question
inconventionnelle pour rectifier le texte litigieux[16].
On observera qu’en droit français, le référé législatif a existé et
qu’aujourd’hui rien n’interdit au Gouvernement et/ou Parlement de s’auto-saisir
de la question faisant débat, comme ils l’ont fait dans la question du tableau
d’amortissement, qui avait donné lieu à une jurisprudence contestée sur les
lois de validation. Ce système porte en lui-même sa limite : il ne vaut
que pour les lois non-conventionnelles, pas pour la balance des intérêts sur
une disposition valide. Sur ce point, le Protocole n° 16 de la Convention EDH
met en place une procédure d’avis qui, lorsqu’elle sera en vigueur, permettra
aux juridictions suprêmes nationales de demander à la Cour EDH son avis sur des
questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des
droits et libertés de la Convention ; c’est ouvrir la possibilité aux
juges suprêmes français d’ouvrir un dialogue sur la portée de certaines
exigences conventionnelles. Si le débat est si vif, c’est que les intérêts en
balance portent sur des droits substantiels et non plus seulement sur des
droits de procédure. On a l’a bien vu lors du débat sur l’annulation ou pas
d’un mariage pour inceste dans le cas où l’inceste résultait d’un mariage entre
alliés et non pas entre parents par le sang : alors que l’article 161 du
code civil prohibe ce type de mariage, la cour de cassation a successivement
écarté l’annulation d’un mariage (déjà dissous par décès) entre un homme et sa
bru[17]
puis approuvé les juges du fond d’avoir annulé un mariage entre un homme et la
fille de son ex-épouse, tout en procédant eux-mêmes au contrôle de
proportionnalité[18]. Il
faudra bien que les juristes qui s’intéressent aux droits substantiels mais pas
au droit du procès, s’habituent à intégrer dans leur point de vue la manière
dont la question a été abordée et résolue pour les droits de procédure,
notamment quant aux applications dites autonomes de l’équité.
b) Sur le plan plus technique de l’accès au juge de
cassation,
on se contentera ici d’indiquer qu’une tentative d’introduire un filtrage accru
des pourvois, par voie d’amendement parlementaire au projet de loi sur la
modernisation de la Justice du XXIème siècle, déposé le 30 avril 2016, a
lamentablement échoué le 4 mai devant la commission des lois de l’Assemblée
nationale, en avril- mai 2016, le ministre de la Justice étant alors mis en
minorité et annonçant le retrait de ces amendements, dont peu ensuite n’ont eu
le courage de revendiquer la paternité[19].
Ces projets portent en eux de graves dangers pour le justiciable qui ne verrait
plus garanti son droit d’accès au juge de cassation[20].
Selon F. Ferrand, « on ne peut que s'étonner de la
méthode de l'amendement subreptice emportant métamorphose du modèle de la
cassation »[21].
III – Le pouvoir du juge européen
Janvier 2017
Problématique
de l’effet immédiat des arrêts européens
et de
l’autorité de la chose interprétée
Lorsque la
Cour EDH a constaté une violation d’une garantie par un État, les autorités de
cet État ont-elles l’obligation de se conformer, pour l’avenir et pour des cas
semblables, aux prescriptions de la Cour EDH ? La question est
particulièrement d’actualité en matière processuelle où les violations
constatées sur le fondement de l’article 6, § 1 de la Convention EDH,
ont souvent comme origine, soit un texte que le législateur peut donc abroger
ou rectifier, soit une pratique que les tribunaux peuvent modifier. Poser la
question, c’est s’interroger sur la portée exacte des arrêts de la Cour EDH
au-delà du cas qui lui a été soumis, pour des situations similaires, le
problème se prolongeant d’ailleurs, au-delà de l’autorité d’un arrêt pour
l’État qui y a été partie, sur le cas des autres États : doivent-ils tenir
compte eux aussi des arrêts déclaratoires rendus dans un litige auquel ils
n’étaient pas partie [22] ?
La
Cour EDH affirme, dans plusieurs arrêts, la vocation de sa jurisprudence
« non seulement à trancher les cas dont elle [la Cour] est saisie, mais
plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la
Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des
engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes » [23].
Les méthodes elles-mêmes d’interprétation que nous avons étudiées (v. ss 71 s.) sont au service de
cette politique (v. aussi, ss 130).
On distinguera selon qu’il s’agit des autorités législatives ou des autorités
judiciaires, en concentrant nos développements et nos exemples sur le droit
processuel.
Autorité,
sur le législateur national, de la chose interprétée par la Cour EDH
dans ses arrêts déclaratoires
a) En opportunité, on peut faire
remarquer que les États n’aiment pas être condamnés à Strasbourg, ce qui
devrait, en théorie, les inciter à exécuter les arrêts de la Cour EDH et à
mettre leur droit en conformité, pour l’avenir avec les exigences posées par la
Cour ; ce genre de décisions en effet, est souvent perçu comme une
atteinte à leur honorabilité, un peu, toutes proportions gardées, comme les
dénonciations, par Amnisty International,
de la violation des droits de l’homme dans un pays ; on n’est d’ailleurs
pas loin de ce type de dénonciation quand la France est condamnée à Strasbourg
pour torture pendant une période de garde à vue [24]. Embarras
encore, mais d’un autre ordre, celui du symbolique, lorsque la France est
condamnée, par trois fois, pour des dysfonctionnements de sa justice tenant à
sa plus haute juridiction, la Cour de cassation (affaires Fouquet pour erreur de fait dans la lecture d’un dossier [25] ;
Higgins, pour défaut de
motivation [26] ;
Dulaurans, pour erreur manifeste
d’appréciation [27] ;
ces affaires seront étudiées dans la Deuxième
partie, Titre 1). En outre, les États parties à la Convention et,
surtout, les juristes de ces États, notamment les avocats, ne peuvent ignorer
les solutions acquises dans une espèce, y compris contre ou au bénéfice d’un
autre État ; le droit comparé de ces solutions donne aux arrêts de la Cour
une portée plus large que les textes strictement interprétés le laissent penser.
Mais l’opportunité ne crée pas le droit.
b) Qu’en
est-il réellement, en droit positif, de l’autorité des arrêts déclaratoires
de la Cour EDH sur le législateur national, au-delà du cas d’espèce pour lequel
la Cour EDH a relevé une violation ? [28] Il faut être
très net, la Cour n’a pas les moyens d’assurer le suivi de l’exécution de ses
arrêts, même si elle s’efforce de surveiller cette exécution (v. ss 121, b). D’ailleurs, cette tâche incombe au
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (art. 46, § 2 de la
Convention) aidé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (v.
ss 124-1). Ce suivi ne concerne pas seulement les mesures individuelles
prises, au profit du requérant, par l’État condamné, pour effacer, autant que
faire se peut, les conséquences de la violation constatée ; il s’étend aux
mesures générales prises par l’État, à titre préventif, pour éviter que la même
violation ne se reproduise. Le Comité des ministres, aidé en cela par la
Direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, reçoit les informations
des États sur l’exécution des arrêts, prend des Résolutions à leur égard et
exerce sur eux, depuis quelques années, une pression qui, bien sûr, ne peut
être que politique et diplomatique, même si un État qui refuserait de se soumettre
à une décision pourrait, en droit, être suspendu de sa représentation au Comité
des Ministres et être exclu du Conseil de l’Europe [29].
c) De
fait – et c’est là, d’un point de vue général, la plus grande
utilité des arrêts de la Cour EDH – l’État condamné choisit, pour ne pas
risquer des mises en cause répétées, de s’attaquer aux causes de la violation
qui lui a été reprochée. Se manifeste alors la portée réelle de la Convention
EDH sur le législateur national [30]. L’État
peut donc modifier spontanément et ponctuellement, sa législation contraire à
l’interprétation qu’en donne la Cour EDH ; il en existe de multiples
exemples ; ainsi en est-il, pour s’en tenir au droit processuel français
et s’en prétendre à l’exhaustivité[31] : de
la modification de la législation sur les écoutes téléphoniques suite aux
arrêts Kruslin c/ France et Huwig c/ France du 24 avril 1990 ;
de l’abrogation, par l’article 121 de la loi no 2000-516
du 15 juin 2000, des articles 583 et 583-1 du Code de procédure
pénale, qui prévoyaient l’obligation pour l’auteur, en liberté, d’un pourvoi en
cassation de se mettre en état, c’est-à-dire de se constituer prisonnier, la
veille de l’examen de son pourvoi, afin de tenir compte de la jurisprudence Poitrimol,
Omar et Guérin ; fait encore plus significatif, le Procureur
général de la Cour de cassation avait anticipé cette loi en décidant de ne plus
exiger la mise en état, fin décembre 1999. V. aussi, ss 125 la création d’un pourvoi
dans l’intérêt des droits de l’homme, par la même loi du 15 juin 2000, qui
participe, sinon d’une conséquence directe d’une jurisprudence européenne, en
tout cas d’une prise en compte de la nécessité d’assurer l’effectivité des
droits résultant d’une décision européenne, en matière pénale. Pour les autres
États membres on consultera le site Internet de la Cour, à la rubrique Incidences
des arrêts, (liste des principales mesures prises par les États parties à
la Convention pour tenir compte des arrêts les plus importants de la Cour).
d)
Surtout,
la Cour EDH s’est largement affranchie de la lettre de l’article 46
§ 1 de la Convention, qui confère à son arrêt une stricte autorité
relative de la chose jugée, en se reconnaissant la faculté, hors la procédure
de l’arrêt pilote, de prescrire à l’État l’adoption de mesures de portée générale
en exécution de son arrêt de condamnation. Ainsi, dans l’arrêt Ataykaya
c/Turquie[32],
la Cour EDH constate que la mort du fils du requérant tué par une grenade
lacrymogène tirée par les forces de l’ordre emporte violation de
l’article 2 dans ses volets matériel et procédural, puis prescrit à la
Turquie d’adopter un dispositif législatif ou réglementaire détaillé renforçant
les garanties d’une bonne utilisation des grenades lacrymogènes par les forces
de l’ordre lors de manifestations (§ 73). De même dans l’arrêt Vasilescu
c/Belgique[33]
elle constate que les conditions matérielles de détention dans deux prisons
belges constituent un traitement inhumain et dégradant en violation de
l’article 3 et accompagne ce constat de la « recommandation »
faite à l’État d’adopter deux types de mesures générales, afin, d’une part, de
garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l’article 3
et, d’autre part, de leur offrir un recours leur permettant de mettre fin à ces
conditions de détention ou d’obtenir une amélioration de celles-ci (§ 67).
On
mesure mieux le pouvoir considérable que détient la Cour EDH, et son rôle
essentiel dans les sources du droit processuel, puisqu’elle peut imposer,
indirectement, mais efficacement, sa volonté aux États membres ; elle peut
modeler un type universel de procès tout au moins à l’échelon de l’Europe, mais
celle-ci s’étend tout de même du Groenland à l’extrême orient sibérien et à
Vladivostok, sans parler des confettis d’empire des anciennes puissances
coloniales ; on précisera plus tard les principes et les règles de ce
modèle universel (v. ss 223
s.). Ainsi, en interprétant la Convention EDH, la Cour EDH crée le droit en
incitant le législateur national à modifier sa législation. Elle devient, de
fait, un législateur, ce qui provoque souvent un rejet de l’acceptabilité de
ses décisions par les opinions nationales[34].
Autorité,
sur les juridictions nationales, de la chose interprétée par la Cour EDH
Les juridictions nationales peuvent adapter
spontanément leurs pratiques processuelles suite à un arrêt de la Cour EDH
constatant une violation de la garantie d’un procès équitable [35].
Mais en ont-elles l’obligation ?
a) Pour
la Cour EDH, la réponse est affirmative. Curieusement, alors que la Cour
EDH ne s’estime jamais tenue par l’un de ses arrêts au titre d’un précédent qui
l’engagerait (« la cour ne se trouve pas liée par ses décisions
antérieures ; l’article 51 § 1 de son règlement le confirme
d’ailleurs » ; et d’ajouter, en atténuation à cette
formule : « la Cour a toujours coutume d’en suivre et appliquer
les enseignements dans l’intérêt de la sécurité juridique et du développement
cohérent de la jurisprudence relative à la Convention » [36]),
elle considère que ses arrêts rendus dans un cas donné s’imposent au juge
national pour toutes les affaires soulevant une question similaire au regard de
la Convention EDH, à condition que la solution dégagée par la Cour EDH soit
précise et complète [37].
C’est la jurisprudence Vermeire c/ Belgique du 29 novembre 1991,
jurisprudence dite de l’effet immédiat des arrêts de la Cour ou encore, de
l’autorité de la chose interprétée. Dans cette affaire, le gouvernement belge
prétendait que les juges belges n’avaient aucune obligation d’appliquer à une
situation similaire à celle déjà jugée par la Cour EDH, la solution que cette
Cour avait donnée, quelques années auparavant, en condamnant la Belgique, quant
au statut des enfants nés hors mariages (arrêt Marckx) ; il
prétendait que l’obligation de tirer les conséquences de l’arrêt antérieur de
la Cour EDH incombait exclusivement au législateur belge, le juge national
belge devant continuer à appliquer les dispositions jugées contraires à la
Convention EDH par la Cour. La Cour EDH juge au contraire :
« on ne discerne pas ce qui pouvait
empêcher la Cour d’appel de Bruxelles, puis la Cour de cassation de se
conformer aux conclusions de l’arrêt Marckx
à l’instar du tribunal de première instance : n’était ni imprécise, ni
incomplète la règle qui interdisait d’opérer une discrimination fondée sur le
caractère naturel du lien de parenté unissant le requérant au de cujus ».
L’arrêt
est donc auto-exécutoire, le juge national devant considérer qu’un droit
interne déclaré non conforme à la Convention EDH est inapplicable, tout au
moins si la constatation de la violation était précise et complète [38].
Et la Cour d’ajouter :
« la liberté de choix reconnue
à l’État quant aux moyens de se soumettre à la force obligatoire de ses arrêts
[ceux de la Cour EDH] ne saurait lui permettre de suspendre l’application de la
Convention en attendant l’aboutissement d’une réforme législative ».
Même
jurisprudence à l’encontre de la France, dans le même type d’affaire de
non-discrimination envers les enfants adultérins posée dans l’arrêt Mazurek le 1er février
2000 ; la France est condamnée parce que ses juridictions nationales n’ont
pas suivi cette jurisprudence[39].
On
a déjà souligné que cette politique du suivi du devenir, devant les
juridictions nationales, des principes qu’elle pose, constitue, pour la Cour
EDH, un moyen de s’arroger le pouvoir de contrôler l’exécution de ses arrêts
(v. ss 121, b).
b) Cette
doctrine de l’autorité de la chose interprétée a été développée par le
Doyen Boulouis à propos des arrêts de l’ex-Cour de justice des Communautés
européennes dans le cadre du renvoi préjudiciel en interprétation [40].
Transposée aux arrêts de la Cour EDH, cette doctrine a été définie par un
auteur comme « l’autorité propre de la jurisprudence de la Cour en tant
que celle-ci interprète les dispositions de la Convention » [41].
Un auteur est même allé plus loin que la théorie de l’autorité de la chose
interprétée en préconisant que :
« le fait, pour une juridiction
interne, de ne pas tenir compte d’une décision de la Cour de Strasbourg,
constitue une violation en soi de la Convention, malgré l’absence de
subordination hiérarchique des juridictions, car la décision se heurte à
l’autorité du précédent des arrêts de la Cour européenne ; cette autorité
du précédent a une application générale en ceci qu’elle joue aussi bien à
l’égard des parties dans un litige déterminé (État partie au litige et
requérant individuel) qu’à l’égard des États non parties au litige » [42].
La
doctrine de l’autorité de la chose interprétée accorde donc aux arrêts de la
Cour de Strasbourg une autorité qui dépasse les limites du cas d’espèce. Mais
dans quelle mesure cette doctrine européenne et doctrinale est-elle reçue en
droit national par les juridictions elles-mêmes ?
c) Le paysage de la réception de la théorie de
l’autorité de la chose interprétée et de l’effet immédiat des arrêts de la Cour
EDH, est contrasté.
1) Ainsi,
en Belgique, suite aux arrêts Borgers et Vermeulen (sur lesquels,
v. ss 462), la Cour de cassation belge a autorisé les parties à
répondre à l’avis de l’avocat général qui, par ailleurs, ne participe plus au
délibéré. La Cour de cassation française a fait de même pour la participation
de l’avocat général au délibéré. En Espagne, le tribunal constitutionnel a
admis l’effet direct des arrêts de la Cour européenne, considérant, suite aux
arrêts Barbera, Messegué et Jabardo, que le constat de violation établi
par la Cour européenne sur le fondement de l’article 6 liait tous les
organes de l’État.
2) Au
niveau de la Cour de cassation française, alors que les chambres civiles de la
Cour de cassation manifestaient parfois un « esprit frondeur » [43],
pour résister à l’autorité de la chose interprétée par le juge européen, une
évolution s’est progressivement dessinée : le premier arrêt à avoir
reconnu l’autorité interprétative des arrêts de la Cour EDH date de 1984 [44], de
plus en plus d’arrêts ont tenu compte des solutions préconisées par Strasbourg
en droit processuel [45],
en s’inspirant des principes d’interprétation européens (souci d’interprétation
extensive de la Convention et prise en compte de la théorie des obligations
positives) [46].
Pour la première fois en 2007, un arrêt vise, dans ses visas, un arrêt de
condamnation de la France [47].
Pour finir, l’Assemblée plénière a reconnu l’autorité interprétative des arrêts
de la Cour EDH en ces termes :
« les États adhérents à la Convention
EDH sont tenus de respecter les décisions de la Cour EDH sans attendre d’être
attaqués devant elle, ni d’avoir modifié leur législation »[48].
3) Le
Conseil d’État français émet la plus grande réserve envers cette doctrine et,
pour dire les choses nettement, n’a pas adhéré à cette thèse [49].
Selon l’un des siens les plus éminents, « les décisions de la Cour
européenne ne sont en rien revêtues de l’autorité de la chose
interprétée » [50].
D’ailleurs, selon trois autres Hauts (et éminents) magistrats de cette
juridiction [51],
cette théorie se heurterait à des objections « très sérieuses »,
« très fortes » : le silence et l’insuffisance du texte
de la Convention EDH elle-même militerait en faveur d’une autorité relative de
l’interprétation de la chose jugée par la Cour, l’article 46, § 1
(ex-art. 53) de la Convention ne parlant que de l’effet inter partes de
l’autorité de la chose jugée par la Cour ; la Cour serait ainsi cantonnée,
par la Convention, à un rôle de déclaration de la violation ou non de la Convention
par un État, sous réserve de l’application de l’article 41
(ex-art. 50) sur la satisfaction équitable ; en fait, le Conseil
d’État refuse de transposer à la jurisprudence de la Cour EDH ce qu’il accepte
pour les arrêts de la Cour de justice des Communautés, au motif que la première
ne connaît pas le mécanisme du renvoi préjudiciel. Tout ceci paraît bien
artificiel et d’un juridisme dépassé, à une époque où la Cour EDH utilise
elle-même des méthodes d’interprétation très larges pour affirmer son pouvoir
(v. ss 75 s.), et où les arrêts rendus influencent directement le
législateur national, comme on va le constater bientôt. C’est un peu un combat
d’arrière-garde qu’a longtemps mené le Conseil d’État, dans la mesure où il
refusait d’appliquer une jurisprudence qui était ensuite consacrée par le
législateur et que d’autres juridictions, en France ou à l’étranger recevaient
sans complexe. C’était un combat suranné qui traduisait une conception frileuse
des relations de la Haute juridiction avec les instances nationales ;
lorsqu’une Cour qui vous est supérieure rend des arrêts intéressant la France
et la juridiction administrative, n’y a-t-il pas quelque candeur et manque
d’esprit visionnaire à refuser d’en tenir compte au titre de la chose
interprétée ? Le droit, notamment européen est dynamique, pas
statique [52].
Cette frilosité semble disparaître, depuis le printemps 2007, avec l’impulsion
donnée à la Haute juridiction administrative par son nouveau Président, M. J.
Marc Sauvé, qui, par des réformes structurelles de fonctionnement du Conseil
d’État (on pense au décret du 6 mars 2008 dont il sera question plus loin
à propos du cumul des fonctions consultatives et juridictionnelles) et par des
déclarations en faveur d’une prise en compte de la jurisprudence européenne [53], a
su donner une autre image du Conseil d’État, que celle d’une forteresse
assiégée, d’un camp retranché sur des principes généraux nationaux, comme si
l’article 6 n’existait pas [54]. Des
arrêts récents (2007) en témoignent (par ex. v. ss 92, pour le
contentieux disciplinaire). La doctrine administrativiste s’en fait
l’écho [55].
Des contacts sont noués au plus haut niveau entre le Conseil d’État et la Cour
EDH, par exemple lors de la rentrée solennelle de la Cour en janvier 2009,
pour laquelle le Vice-Président du Conseil d’État était l’invité
d’honneur [56].
4) Les
juridictions du fond tiennent de plus en plus compte des arrêts de la Cour EDH
sans doute parce que ces arrêts accroissent leurs pouvoirs ; on en veut
pour preuve les arrêts de la Cour de Limoges des 13 et 20 mars 2000 qui, cinq
mois après l’arrêt Zielinski et alii c/ France, rendu à propos d’une loi
de validation, le cite à l’appui de leur démonstration juridique pour écarter
une autre loi de validation (v. ss 131 s.). Il n’est pas rare qu’une juridiction
fasse prévaloir la solution consacrée par un arrêt européen sur celle retenue
par le législateur national [57].
IV - Le pouvoir du juge national
d’écarter une loi
Le pouvoir du juge national dans
l’articulation du droit national avec la Convention EDH
La Convention EDH est un formidable instrument de
pouvoir entre les mains du juge français puisqu’elle est d’application directe
en droit français et qu’en vertu de l’article 55 de la Constitution elle a
une autorité supérieure à celle des lois ordinaires [58]. Avant de
donner quelques exemples de cette application directe de la Convention, en
matière processuelle, par le juge français (b), on dira quelques mots de la
position de la Cour EDH sur ce point (a). On conclura par une interrogation sur
le rôle du juge dans l’équilibre des trois pouvoirs (c).
a) La
Cour EDH n’a pas encore déduit des textes de la Convention, notamment de
l’article 13 sur le droit à l’octroi d’un recours effectif, l’effet direct
de celle-ci dans le droit interne des États contractants ; elle s’est
contentée de quelques allusions à cet effet direct [59].
b) S’agissant
de l’application directe de la Convention EDH par le juge français, on ne
peut pas dire que le juge judiciaire en ait abusé [60], mais les
exemples d’utilisation de la Convention comme un instrument de pouvoir sont de
plus en plus fréquents et tournent autour de deux idées : tantôt, la
Convention est utilisée pour écarter l’application d’une loi nationale, ce qui
revient à l’abroger en fait (1) ; tantôt, la Convention est utilisée, en
conjonction avec l’ancienne Convention de Bruxelles (devenue Règlement), pour
refuser l’exequatur à une décision judiciaire étrangère, en fait pour porter un
jugement sur l’activité du service de la justice d’un autre pays (2). Ce
mouvement jurisprudentiel est approuvé par certains [61], alors
que d’autres le contestent [62] ou
s’interrogent[63].
1) Un
juge qui écarte les lois et juge le législateur, au nom
de la Convention EDH
de la Convention EDH
Pour
comprendre l’articulation de la Convention EDH avec le droit national, il faut
se souvenir que le peuple souverain a fait le choix du monisme juridique dans
ses deux Constitutions de 1946 et 1958, à la différence du Royaume Uni, de
l’Italie ou de l’Allemagne aux régimes dualistes. Les juges ont donc le pouvoir
et le devoir de contrôler le respect des conditions constitutionnelles
d’introduction d’un traité dans l’ordre juridique interne (acte de ratification
ou d’approbation, compétence de l’autorité qui l’édicte et notamment
l’obligation d’une autorisation législative).
α) Sur le
fondement de l’article 55 de la Constitution et les règles de conflit de normes
que ce texte édicte, la Cour de cassation depuis 1975 (jurisprudence Cafés Jacques Vabre [64])
et le Conseil d’État depuis 1989 (jurisprudence Nicolo[65])
admettent la suprématie des engagements internationaux de la France sur la loi
interne, même si le texte français est postérieur au texte conventionnel,
c’est-à-dire a été pris en connaissance de cause de ce dernier.
L’article 55 de la Constitution constitue une habilitation
constitutionnelle du juge à exercer un contrôle de conventionnalité des lois
ordinaires. Cette jurisprudence est de plus en plus appliquée par la Cour de
cassation, s’agissant du contrôle de la conformité des lois à la Convention EDH.
- On peut citer des arrêts de sa Chambre
criminelle : ceux des 6 et 21 mai 1997 qui ont écarté
de notre système juridique le dernier alinéa de l’article 546 C. pr. pén.,
qui accordait au procureur général un droit d’appel général contre les
jugements des tribunaux de police, alors que ce droit était limité à certaines
hypothèses, énumérées à l’alinéa 1er, pour le prévenu et la
personne civilement responsable et le procureur de la République [66] ;
la loi no 99-515 du 23 juin 1999 a mis le droit français en
conformité avec cette jurisprudence. Ou encore, l’arrêt du 16 janvier 2001
qui écarte l’article 2 de la loi du 2 juill. 1931 interdisant toute
publication d’information relative à une constitution de partie civile [67] ;
l’arrêt du 20 févr. 2001 qui écarte l’article 38, al. 3 de la loi du
29 juillet 1881 dans la mesure où ce texte, qui interdit de relater
les circonstances de certains crimes et délits, n’est pas assez clair [68] ;
l’arrêt du 4 sept. 2001 qui écarte les articles 11 et 12 de la
loi du 13 juillet 1977 sur l’interdiction de publier certains sondages
politiques quelques jours avant une élection [69]. On
assiste donc à une accélération du mouvement d’emprise du juge sur le
législateur.
- Les chambres civiles
elles-mêmes ne sont pas en reste : on l’a vu avec la jurisprudence sur le
transsexuel ; on le voit encore avec un arrêt du 29 janv. 2002, par lequel
la première chambre civile étend aux enfants naturels nés d’une précédente
liaison, la protection des enfants légitimes nés d’un précédent mariage, au visa
de la Convention EDH. Ou encore, les arrêts de la première chambre civile
du 24 janvier 2006 qui, tirant les conséquences d’un arrêt de la Cour EDH
du 6 octobre 2005 [70],
écartent la loi anti-Perruche (qui refuse l’indemnisation du préjudice de
naître handicapé), mais uniquement dans son application rétroactive aux litiges
en cours [71]
(v. ss 89, a). Le point d’orgue de ce mouvement peut être trouvé dans un
arrêt de l’Assemblée plénière en date du 7 avril 2006 qui écarte les textes
(lois et décrets) qui organisent, sans l’intervention du juge, la suspension
automatique (et sans durée déterminée) des poursuites contre les rapatriés
réinstallés dans une profession non salariée, au motif que ces dispositions
portent atteinte dans leur substance même, aux droits des créanciers privés de
tout recours, alors que le débiteur dispose de recours suspensifs devant les
juridictions administratives. Ou encore, l’arrêt du 4 décembre 2013 qui, sur le
fondement de l’article 8 de la Convention écarte 161 du code civil pour valider
le mariage (prohibé par ce texte) entre un beau-père et sa bru[72]
- Les juridictions du fond
agissent de même, ainsi du TGI de Paris qui écarte l’article 36 de la loi
du 29 juillet 1881 qui réprime l’offense à un chef d’État
étranger [73] ;
la Cour EDH a d’ailleurs confirmé le bien-fondé de cette dernière jurisprudence
en condamnant la France de ce chef parce que le texte ne permettait pas à
l’accusé de bénéficier de l’exception de vérité [74].
Deux techniques
améliorent cette prise en compte de la Convention EDH :
- d’une part, les
juges du fond ne peuvent pas se défausser de leur pouvoir en ce domaine, donc
de leur responsabilité, en demandant à la Cour de cassation, par la procédure
de saisine pour avis, de trancher la question de la conventionnalité d’une
loi ; il appartient aux juges du fond de le faire [75] ;
- d’autre part, la Cour de cassation admet
la recevabilité d’un moyen nouveau tiré de son application comme étant de pur
droit[76].
Quant au Conseil
d’État,
il est longtemps resté très timide, pour ne pas dire réfractaire à
l’application des principes issus de la Convention EDH et des solutions
imposées par la Cour EDH. On relèvera encore en ce sens, son souci de citer
systématiquement le texte national, plutôt que l’article 6 de la
Convention et la tendance à ne pas citer les arrêts de la Cour EDH, malgré « l’action
pédagogique » [77] de
certains conseillers d’État auprès de leurs collègues. Et il faut saluer « le
changement de méthodes dans l’appréhension de la jurisprudence de Strasbourg,
qui ne pouvait indéfiniment être tenue comme l’émanation d’un aréopage
académique, apatride et irresponsable » [78]. On peut
dire qu’aujourd’hui, même si le mot reste modeste, « un certain nombre
de modifications sont intervenues dans la jurisprudence du Conseil d’État sous
la poussée de la Convention EDH » [79]. Ainsi,
dans l’affaire qui vient d’être citée de la loi anti-Perruche (refus
d’indemniser le préjudice né d’être handicapé), le Conseil d’État s’est soumis
à la jurisprudence européenne en considérant que cette loi ne pouvait
s’appliquer, rétroactivement, aux instances en cours [80]. L’année
2007 aura été marquée par des évolutions sensibles vers une plus grande prise
en compte des solutions de la Cour EDH pour le contentieux disciplinaire, volet civile). Un souffle nouveau se répand sur
l’institution et redonne au Conseil d’État ce grand rôle qu’il avait autrefois
tenu dans la protection des libertés et des droits fondamentaux [81].
β) Mais la
primauté des traités dans l’ordre interne s’arrête à la porte de la
Constitution, car une jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de
cassation limite le contrôle de la conventionnalité des lois aux normes qui ne
sont pas de valeur constitutionnelle :
– C’est
ce qu’a décidé le Conseil d’État dans l’arrêt Sarran et Levacher du 30 octobre 1998 [82] :
« la suprématie conférée par
l’article 55 de la Constitution aux engagements internationaux ne
s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle ; ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué en ce
qu’il méconnaîtrait les stipulations d’engagements internationaux régulièrement
introduits dans l’ordre interne serait contraire à l’article 55 de la
Constitution, ne peut lui aussi qu’être écarté » (considérant no 12). Les lois constitutionnelles échappent
donc au champ d’application de l’article 55 de la Constitution, le juge
administratif n’étant pas autorisé à écarter l’application d’une disposition à
caractère constitutionnel au nom de la primauté des traités internationaux,
faute d’un quelconque titre à faire prévaloir sa propre interprétation sur
celle du pouvoir constituant [83].
– La
Cour de cassation, dans un arrêt (Fraisse) de son Assemblée plénière du
2 juin 2000, refuse de même aux juges du fond de l’ordre judiciaire (et à
elle-même) le droit d’apprécier les dispositions du droit national de valeur
constitutionnelle au regard du droit international conventionnel et du droit de
l’Union européenne. Elle estime en effet, que « la suprématie conférée
aux engagements internationaux [de la France] ne s’applique pas dans l’ordre
interne aux dispositions de valeur constitutionnelle » (en
l’occurrence une loi organique sur le statut de la Nouvelle-Calédonie) [84] ;
en conséquence,
« le moyen tiré de ce que les
dispositions de l’article 188 de la loi organique seraient contraires au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention
EDH doit être écarté ».
-
Enfin, le Conseil constitutionnel estime que lorsque les engagements
internationaux « contiennent une
clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés
constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles
d’exercice de la souveraineté nationale, l’autorisation de les ratifier appelle
une révision constitutionnelle »[85].
En
d’autres termes, la souveraineté nationale constitue un fait politique qui
fonde l’organisation de la société internationale et malgré la suprématie des
traités ceux-ci ne peuvent aller à l’encontre d’une norme constitutionnelle.
À
l’inverse, la Cour EDH contrôle la conformité des dispositions à valeur
constitutionnelle d’une loi organique aux dispositions de la Convention
EDH [86].
γ) En
matière de loi de validation, ce sont les juges du fond qui ont donné le
signe de la « révolte » en rendant des décisions caractéristiques
d’un mouvement de résistance à la loi, de contestation du crédit de la loi, de
son influence, de la légitimité du pouvoir législatif. L’Assemblée plénière de
la Cour de cassation et le Conseil d’État ont affiné cette jurisprudence [87],
suivant en cela la jurisprudence de la Cour EDH et du Conseil constitutionnel.
Précisons encore que les lois de validation sont rétroactives, mais que des
lois rétroactives peuvent ne pas être des lois de validation, ainsi des lois
interprétatives ou « simplement » rétroactives. Pour mieux les
distinguer, on dira que les lois de validation ne sont pas seulement
rétroactives : leur rétroactivité vise à rompre l’égalité des armes, en
dénouant des litiges en cours au profit direct ou indirect de l’État (ou en
prévenant de nouveaux litiges), par la technique consistant à redonner la vie
juridique à des actes qui ne l’avaient plus ou qui allaient la perdre ;
les lois « simplement » rétroactives visent seulement « la
recherche d’un compromis entre la vérité qui se révèle et la résistance au
temps » [88] ;
les lois interprétatives tendent à fixer le sens ambigu ou obscur d’une loi
antérieure et font corps avec celle-ci, d’où leur légitimité.
• Dans
une première série d’affaires (dites du tableau d’amortissement de la L.
12 avr. 1996), des juridictions du fond avaient écarté une loi de
validation[89] au
motif qu’ayant été prise « sous la
pression du lobby bancaire », elle n’était pas conforme à la
Convention EDH en contraignant le juge à adopter une solution favorable aux
banques dans des instances nouvelles, alors que la jurisprudence l’avait
antérieurement condamnée dans d’autres affaires similaires[90]. Mais la
Cour de cassation a systématiquement cassé les décisions qui avaient refusé
d’appliquer cette loi de validation[91]. Cette
position a été condamnée par la Cour EDH qui a jugé que la loi de validation
intervenue dans cette affaire du tableau d’amortissement méconnaît le droit au
respect des biens[92]ou
le respect de l’égalité des armes[93],
sans être justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général, peu importe que
l’État qui l’avait fait voter ne soit pas partie au procès en question.
D’autres décisions de juges (judiciaires) du fond sont intervenues sur une
autre loi de validation (art. 34, L. no 96-1160,
27 déc. 1996 relative au financement de la sécurité sociale, loi déclarée
conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel), soit pour écarter la
loi[94],
soit pour rejeter la demande[95].
La Cour de cassation a finalement tranché en faveur de la non-conformité de la
loi à l’article 6, § 1 de la Convention EDH[96]. La
chambre sociale a confirmé cette jurisprudence le 24 avril 2001, à propos
de l’article 29 de la loi de validation no 2000-37 du
19 janvier 2000 (loi Aubry II)[97]. C’est
donc la notion d’intérêt général qui est au cœur de la conventionnalité des
lois de validation, notion qui peut être envisagée plus ou moins rigoureusement
et qui a permis à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation d’infirmer
l’arrêt de la chambre sociale, l’affaire étant revenue à la Cour de cassation
par résistance de la cour de renvoi : « obéit
à d’impérieux motifs d’intérêt général l’intervention du législateur destinée à
aménager les effets d’une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la
pérennité du service public de la santé et de la protection sociale auquel
participent les établissements pour personnes inadaptées et handicapées »[98].
La chambre sociale s’était finalement inclinée[99], avant
que la Cour EDH ne condamne la France[100], ce qui
l’obligea à un nouveau revirement pour revenir à sa solution (prémonitoire) de
2001[101].
La deuxième chambre civile a aussi jugé, à propos de la loi no 2003-1199
du 18 décembre 2003 (art. 73-I) validant des mises en demeure effectuées
irrégulièrement par des agents de l’Urssaf de Paris (ils n’étaient pas agréés à
cet effet, contrairement aux exigences légales), que « la sauvegarde du régime général de Sécurité sociale constitue un
impérieux motif d’intérêt général » et que « le développement de ce contentieux était de nature à mettre en
péril le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et, par suite, la
pérennité du système de protection sociale »[102] ;
solution que la Cour EDH a désavouée en estimant que l’intervention rétroactive
du législateur le 18 décembre 2003 « ne reposait pas sur d’impérieux
motifs d’intérêt général »[103].
• Le
Conseil d’État a d’abord estimé, le même jour, par un avis et par un arrêt en
Assemblée du contentieux, qu’il appartient au juge administratif de contrôler
la compatibilité d’une loi de validation avec les dispositions de
l’article 6 de la Convention EDH sur le procès équitable [104] ;
puis, le 28 juillet 2000, il a jugé que
« l’État ne peut, sans méconnaître les
stipulations de l’article 6 § 1 CEDH, porter atteinte au droit de
toute personne à un procès équitable en prenant, au cours d’un procès, des
mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la validation
de la disposition réglementaire objet du procès, sauf lorsque l’intervention de
ces mesures est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants » [105].
C’était
certes se placer clairement sur le terrain du droit européen et de la garantie
d’un procès équitable, mais avec une exigence moindre, l’intérêt général
n’étant pas assorti de « motifs impérieux ». Et dans un avis du 16
février 2001, le Conseil d’État avait admis la validation, dès lors qu’elle
respecte les décisions passées en force de chose jugée et poursuit un but d’intérêt
général [106].
Jurisprudence identique des juridictions administratives du fond [107].
Mais par un arrêt du 23 juin 2004 [108], suivi
d’un avis du 27 mai 2005 [109]
et, surtout, par son arrêt du 8 février 2007 [110], le
Conseil d’État a adopté la notion « d’impérieux motifs d’intérêt
général », se conformant ainsi à la jurisprudence européenne.
Jurisprudence confirmée depuis cette date [111].
Cependant, les arrêts les plus récents du Conseil d’État reviennent à la simple
notion de « motifs d’intérêt général », sans exiger qu’ils soient
« impérieux » [112].
En revanche, en novembre 2010[113],
il considère que la compatibilité avec la Convention EDH de dispositions
législatives rétroactives doit être appréciée au regard de l’atteinte portée
par ces textes au procès en cours et non seulement au regard du motif d’intérêt
général, Les juridictions administratives du fond suivent cette jurisprudence[114]
et la notion d’intérêt général leur laisse une large marge d’appréciation[115].
On
est donc loin du juge « bouche de la loi » et respectueux du pouvoir
législatif. À défaut de contrôle, par les tribunaux, de la constitutionnalité
des lois, la Convention européenne fournit aux juges un argument commode de
remise en cause du pouvoir législatif par le pouvoir judiciaire et de
bouleversement de la hiérarchie des sources du droit. Il n’est plus possible
aujourd’hui d’enseigner que la loi a une autorité supérieure à la décision du
juge.
2) Un
juge qui juge une juridiction étrangère
C’est
au nom de la Convention EDH (et de la Convention de Bruxelles) que la Cour de
cassation elle-même a tiré argument d’un obstacle financier à l’accès à un
tribunal pour censurer une Cour d’appel qui avait accordé l’exequatur à deux
décisions de la High Court of justice (britannique). La première
décision anglaise avait débouté un plaideur de sa demande en diffamation, tout
en le condamnant à payer les frais des défendeurs ; la seconde avait fixé
ces frais à 20 078 livres hors TVA, avec un taux d’intérêts fixé à
15 %, à compter du 15 janvier 1988. La Cour de cassation française relève
que « l’importance des frais ainsi mis à la charge de ce plaideur, dont
la demande n’avait même pas été examinée, avait été de nature à faire
objectivement obstacle à son libre accès à la justice ». La Cour se
fonde sur l’article 27-1o de la Convention de Bruxelles du
27 septembre 1968 et, surtout, sur l’article 6 § 1 de la
Convention EDH pour casser sans renvoi, en affirmant que « le droit de
chacun d’accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention, consacré par le
second de ces textes, relève de l’ordre public international, au sens du
premier » [116].
On remarquera tout de même que la Cour de cassation porte un jugement
défavorable sur le système judiciaire anglais, ce qui est une manière
d’utiliser l’arme de la Convention pour remettre en cause l’équilibre des
pouvoirs entre la France et ses partenaires au sein du Conseil de l’Europe
(mais un arrêt du même jour accorde l’exequatur).
c) Vers un
nouvel équilibre des pouvoirs ?
L’aperçu
qu’on vient de donner de cette jurisprudence est ainsi l’occasion de s’interroger
sur la place du juge européen, mais aussi du juge national, dans notre
démocratie, sur leur rôle ; en effet, à l’aide d’une notion aussi
élastique que le procès équitable, ils peuvent beaucoup s’ils veulent
redessiner la place du droit dans notre démocratie. Et apparemment, c’est ce
qu’ils font depuis longtemps, même si le débat a été relance récemment.
1)
Le juge semble ainsi se placer comme gardien des valeurs de liberté et
d’égalité, à l’encontre des autres pouvoirs, y compris les législateurs
nationaux. Par sa jurisprudence audacieuse, toujours en expansion, sans
frontières, le juge européen et, dans une moindre mesure, le juge national,
s’affirme par rapport aux autres pouvoirs comme l’organe qui peut évaluer la
fidélité aux valeurs démocratiques de base des finalités concrètes de l’action
sociale qui appartiennent, elles, aux pouvoirs législatif et exécutif. L’État
national n’est plus le maître de son droit.
2)
Ce faisant le juge traduit une évolution de notre organisation sociale [117] :
– à la
fin du xviiie siècle
serait apparue une période d’affirmation du pouvoir législatif fondé sur le
concept démocratique de volonté générale ;
– à la
fin du xixe siècle
se serait affirmée une période de valorisation du pouvoir exécutif en vue d’une
meilleure prise en compte des exigences de l’égalité ;
– et nous
vivrions une troisième période qu’illustre parfaitement les nouvelles armes du
juge ; celle d’un pouvoir judiciaire qui s’affirme par rapport aux deux
autres, ce qui suppose une meilleure conception du rapport du juge à la règle,
un instrument, en l’occurrence la Convention, avec sa supériorité normative et
ses concepts élastiques, dont celui de procès équitable. Ainsi, se
concrétiserait l’opinion d’Adrien Duport, l’un des rédacteurs de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, et notamment de son article 8, qui
affirmait en 1789, que « la justice, l’humanité et la politique ne sont
qu’une même chose [118] ».
3)
Une telle évolution n’est pas sans danger, car alors il faut s’interroger sur
les limites à l’immixtion du juge dans le contrôle du respect des valeurs
démocratiques de base aux finalités concrètes de l’action sociale. Le danger
d’un véritable gouvernement des juges n’est pas seulement national ; il
est aussi européen. Il est dans le maniement inconsidéré de concepts flous, qui
constituent des instruments politiques de prise du pouvoir. Et, surtout, dans
le fait qu’il n’y a personne pour contrôler la Cour EDH, alors qu’elle s’est
auto-attribuée des moyens très puissants pour soumettre le droit national à sa
conception des libertés et des droits fondamentaux.
4)
Le débat ouvert à la Cour de cassation en 2015, sur le contrôle de
proportionnalité et la fameuse balance des intérêts contre le syllogisme
judiciaire, illustre ce propos[119]. En
contrepoint des critiques[120], un
auteur a justement fait observer qu’au Royaume Uni, depuis l’intégration de la
Convention EDH dans son ordre juridique par l’Human rights act de 1998 (section 4(2), lorsqu’une cour constate
qu’une loi est incompatible avec la Convention EDH, elle formule une
déclaration d’incompatibilité qui n’invalide pas la loi, mais remet aux
pouvoirs exécutif et législatif le soin de se saisir de la question
inconventionnelle pour rectifier le texte litigieux[121]. On
observera qu’en droit français, le référé législatif a existé et qu’aujourd’hui
rien n’interdit au Gouvernement et/ou Parlement de s’auto-saisir de la question
faisant débat, comme ils l’ont fait dans la question du tableau
d’amortissement, qui avait donné lieu à une jurisprudence contestée. Ce système
porte en lui-même sa limite : il ne vaut que pour les lois
non-conventionnelles, pas pour la balance des intérêts sur une disposition
valide. Sur ce point, le Protocole n° 16 de la Convention EDH met en place une
procédure d’avis qui, lorsqu’elle sera en vigueur, permettra aux juridictions
suprêmes nationales de demander à la Cour EDH son avis sur des questions de
principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés
de la Convention ; c’est ouvrir la possibilité aux juges suprêmes français
d’ouvrir un dialogue sur la portée de certaines exigences conventionnelles. Si
le débat est si vif, c’est que les intérêts en balance portent sur des droits
substantiels et non plus seulement sur des droits de procédure. Il faudra bien
que les juristes qui s’intéressent aux droits substantiels et non pas au droit
du procès, s’habituent à intégrer dans leur point de vue la manière dont la
question a été abordée et résolue pour les droits de procédure, notamment quant
aux applications dites autonomes de l’équité.
V – La spécialisation des juges
Colloque à Toulouse, 22 et 23 novembre 2010
Rapport
de synthèse
Vaste sujet !
C’est en général de cette façon que débutent les rapporteurs de synthèse pour
mieux souligner la difficulté de leur tâche ! Vous m’accorderez que
deux journées entières consacrées à des travaux sérieux et à des débats :
- portant sur une palette de sujets
immense, couvrant tout le champ de la justice, civile et pénale,
- avec un aperçu de la spécialisation en
contentieux administratif et dans le cadre des autorités de régulation,
- sans oublier les importants rapports de
droit comparé en droits allemand et anglo-saxons, y compris le particularisme
du droit d’Alsace-Moselle,
- sans méconnaître les deux rapports
introductifs, l’un historique, l’autre de clarification de la notion,
- sans faire abstraction de la formation
des juges, des modes alternatifs de règlement des litiges et de l’influence de
la spécialisation sur la jurisprudence,
voilà qui constitue un cocktail explosif
et qui rend l’exercice de la synthèse quelque peu difficile.
Alors, vous vous
demandez, sans doute, « comment va-t-il s’en sortir ? ». Bien
évidemment, je me suis posé la même question en recevant, il y a une semaine
environ, 14 rapports ou résumés des interventions sur les 24 contributions
affichées au programme. Et je me suis maudit d’avoir cédé à la demande
pressante de mon ami le Doyen Bernard Beignier,
que je remercie au passage d’avoir eu l’idée, non seulement d’organiser ce
colloque, mais encore de l’avoir fait sous l’autorité scientifique de Catherine
Ginestet et en association avec
les partenaires naturels de toute Faculté de droit digne de ce nom (et Dieu
sait si Toulouse en est une) que sont le Barreau, l’ENM et l’Association
nationale des docteurs en droit, sans oublier ses partenaires interne à
l’institution universitaire, IEJ et Master 2 en contentieux et arbitrage.
Il n’est nullement
question ici de reprendre dans le détail chacun des thèmes excellemment exposés
par vous tous, mais d’essayer de tirer les ficelles d’une pelote qui se dévide
sans fin, pour en souligner les convergences et les divergences, pour restituer
à vous, public attentif, l’essentiel de ce thème de la spécialisation des
juridictions et des juges, quand bien même l’intitulé officiel ne porte que sur
celle des juges.
Une première chose
m’a frappé : est-ce que la diversité des thèmes abordés ne cache pas
finalement une ambition trop forte ? Est-ce que la somme des questions
mises à l’ordre du jour de ces deux journées n’aboutit pas à traiter de tout et
de rien, de sujets qui n’ont pas toujours un lien évident entre eux, pas plus qu’avec
le thème central de la spécialisation ? Sauf à considérer que les
organisateurs sont de doux amateurs, ce que je ne pense pas, il faut bien
rechercher une explication à cette apparence de désordre conceptuel.
L’explication de ce foisonnement, c’est le
droit comparé qui nous en donne les clefs : Mesdames Frédérique Ferrand et Wanda Mastor nous a montré que la spécialisation peut provenir du
pragmatisme anglais ou américain, tout comme de la force de la loi dans les
systèmes de droits continentaux. Comment s’étonner alors de ce foisonnement,
puisque légalisme et pragmatisme s’additionnent ou s’entrecroisent pour aboutir
au final à cet éparpillement de notre thème de réflexion qui, dès lors, part
dans de nombreuses directions. Le seul sens à ce foisonnement c’est une
politique d’aménagement du territoire judiciaire, ce que n’a pas manqué de
relever Bernard Beignier en
ouverture de ce colloque, en le rapprochant de la réforme des collectivités
territoriales et des universités avec les PRES.
Car, après tout, où est la spécialisation
dans le régime des modes alternatifs ? La réponse nous a été donnée par
notre collègue Jean-Jacques Barbiéri :
parce qu’ils sont une alternative à une trop grande judiciarisation spécialisée
de notre société.
De même, est-ce
que le thème de la « spécialisation des professionnels » n’est pas
trop éloigné du sujet, en ce sens qu’on peut être spécialisé comme
professionnel du droit, sans que l’organisation judiciaire connaisse une spécialisation
de ses juridictions. C’est la nature du contentieux qui détermine la
spécialisation, qu’il y ait ou non une juridiction spécifique pour en
connaître. Ce thème méritait d’être envisagé puisque l’existence de
juridictions spécialisées induira davantage de spécialisation des
professionnels, la rendra même obligatoire pour les magistrats. De même, pour
l’influence de la spécialisation des juges sur la jurisprudence dont nous a
parlé Bernard Beignier : elle
doit être reliée à notre sujet par l’idée d’améliorer sa prévisibilité.
Au-delà
de ces aspects ponctuels, le sujet est d’abord dans le choix politique
d’une spécialisation ou non de nos juridictions et dans le degré de
spécialisation que l’on souhaite retenir. Il y a à la fois une question de
principe, de périmètre, et une question d’intensité de la spécialisation
retenue. Le sujet est donc éminemment politique ; plusieurs de nos
rapporteurs l’ont souligné : Corinne Bléry,
expressément, en utilisant ce mot dans son rapport (elle parle de « volonté politique ») ;
Natalie Fricero à propos de la création
éventuelle d’un TPI et Nicolas Bonnal pour
le droit de la presse qui, après avoir dit que la chambre parisienne
spécialisée en ce domaine pourrait préfigurer une juridiction nationale unique,
poursuit par l’idée qu’un tel regroupement serait contraire aux implications
locales de ce contentieux. Raisonner ainsi, c’est faire de la politique
d’aménagement judiciaire.
Voilà
pourquoi, au-delà de la synthèse nécessaire des diverses opinions émises ici,
je voudrais vous présenter ma vision personnelle d’une justice à la fois :
- proche des justiciables, parce que la
lisibilité de son accès aura été amélioré par une spécialisation organique
maîtrisée de ses juridictions ;
- mais en même temps, une justice de
grande qualité, aux solutions prévisibles, par la spécialisation fonctionnelle
renforcée de ses juges et de ses juridictions.
Sous cette distinction on retrouve l’idée
anglo-saxonne de la proximité, première dette de l’Etat envers les justiciables, mais aussi l’idée plus continentale d’une
spécialisation par matière.
Si je vous
présente ma vision personnelle de la spécialisation, c’est que depuis 2 ans et
demi je ne me suis pas exprimé officiellement sur le rapport remis à Madame la
Garde des Sceaux le 30 juin 2008 par la Commission qui porte mon nom[122],
en-dehors de quelques explications de texte orales devant les Barreaux qui ont
souhaité me les demander. Je crois que le moment est venu de le faire, alors
que 14 textes, lois ou décrets, voire circulaire, ont traduit en droit positif
24 de nos propositions, les plus significatives, et qu’une bonne vingtaine
d’autres propositions attendent dans les antichambres du Sénat ou de
l’Assemblée nationale que la proposition et le projet de lois qui les portent
terminent leur parcours parlementaire.
Sous le regard de
ce qui précède, ma vision personnelle de la spécialisation des juges et des
juridictions s’exprime en deux propositions. Je pense qu’il faut :
- limiter la spécialisation organique des
juridictions à ce qui est strictement nécessaire pour améliorer la lisibilité
de notre accès à la justice (I),
- et au contraire, favoriser la
spécialisation fonctionnelle des juridictions et des juges pour renforcer la
prévisibilité de la jurisprudence (II).
I – limiter la spécialisation organique
Limiter la
spécialisation organique des juridictions à ce qui est strictement nécessaire à
l’amélioration de la lisibilité de l’accès à la justice peut paraître une
affirmation bien péremptoire ! Mais je crois profondément qu’elle constitue
le premier objectif de toute spécialisation bien conçue ! En effet, la justice répond à
de multiples besoins et demandes ; elle épouse les grandes distinctions du
droit. Elle ne saurait donc être uniforme. Et elle ne l’est pas, en droit
français, ce qui, on va le constater, peut poser problème au regard des normes
processuelles européennes.
Au regard de cette
compatibilité avec les normes européennes, le problème se dédouble :
- d’un côté la question, bien française,
du dualisme juridictionnel, à raison de l’existence de l’ordre judiciaire et de
l’ordre administratif ; c’est le poids de l’histoire et lui seul qui
conditionne le maintien de ce dualisme, première forme de spécialisation
organique de nos juridictions, aujourd’hui menacée par les contraintes du droit
processuel fondamental (A) ;
- de l’autre, le principe, plus largement
admis, de l’unité des juridictions civiles et répressives, au sein desquelles
on trouve une certaine forme de spécialisation organique, mais encadrée, elle
aussi, par les exigences du droit processuel fondamental (B).
A. le dualisme juridictionnel menacé par les données du
droit processuel fondamental
a) Dans la
doctrine libérale, la réflexion sur la place de la fonction juridictionnelle
dans les institutions publiques a été conduite dans le cadre conceptuel de la
séparation des pouvoirs.
1) Afin de limiter l’absolutisme royal, les
penseurs politiques des XVIIe et XVIIIe siècles
ont entrepris de démontrer que toutes les fonctions de l’État ne doivent pas
être concentrées auprès d’un seul organe (le roi), mais être réparties entre
des organes séparés. C’est pourquoi, après Montesquieu et son Esprit des
Lois (1748), toute la tradition constitutionnelle française, née de la
Révolution de 1789, va conforter l’idée et la théorie de l’existence d’un
pouvoir judiciaire, plus exactement d’un pouvoir juridictionnel.
Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel,
depuis sa décision du 29 juillet 1998[123]
fonde la séparation du pouvoir juridictionnel et du pouvoir exécutif sur
l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
2) Mais, dans cette tradition, pouvoir
judiciaire ne signifie pas pouvoir unique de juger dans la généralité des procès.
Le pouvoir judiciaire va être scindé en deux catégories d’organes
indépendants : la séparation des pouvoirs va déboucher, ce qui n’était
nullement inéluctable, sur la séparation des ordres ayant le pouvoir de juger,
sur le dualisme juridictionnel. C’est l’interprétation française de la
séparation des pouvoirs qui a entraîné, après une longue évolution (près d’un
siècle) et sans que cela fût prémédité au départ, l’apparition de deux
pyramides, nettement distinctes, de juridictions[124].
Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a
donné une valeur constitutionnelle au principe de dualité des ordres de
juridiction. Mais il ne l’a pas fondé sur le principe de séparation des
pouvoirs. Dans sa décision du 23 janvier 1987, il le rattache à la catégorie
des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[125].
Pour autant, ce dualisme français est-il
conforme aux exigences processuelles internationales et européennes ?
b) Les
exigences processuelles internationales et européennes pourraient à
terme remettre en cause cette spécialisation organique première.
En effet, aucune disposition du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, ni de la Convention EDH,
ne consacre le dualisme juridictionnel, pas plus d’ailleurs qu’elle ne
l’interdit. Cette question est indifférente aux instruments internationaux de
protection des droits de l’homme. Il faut donc rechercher dans la jurisprudence
des organes de contrôle si le dualisme juridictionnel est conforme aux
exigences des instruments internationaux en matière de conduite des procès et
de déroulement des procédures, sous l’angle des garanties d’une bonne justice.
Trois remarques s’imposent.
1) La
première c’est
que le principe même de deux ordres est loin d’être condamné par la Cour EDH,
si l’on veut bien se souvenir qu’elle accepte, pour des raisons d’efficacité,
que les États confient, sous certaines conditions, la résolution de certains
litiges à des instances disciplinaires ou administratives, tant en matière civile
qu’en matière pénale ; le dualisme, qui n’est pas alors juridictionnel,
est admis au profit d’instances administratives ; a fortiori, il n’est
pas illégitime qu’il existe un dualisme de juridictions, au sens exact du
terme, c’est-à-dire disposant chacune du pouvoir de juger en pleine juridiction.
2) La
deuxième remarque
concerne les effets induits par le dualisme juridictionnel sur la qualité de la
justice rendue. En d’autres termes, le dualisme juridictionnel n’est-il pas un
obstacle à la mise en œuvre de ces garanties d’une bonne justice que résume à
elle seule l’expression « procès équitable » ? Plus précisément
et pour faire court, la complexité processuelle liée à la dualité des ordres de
juridiction peut conduire à une durée des procès excédant le délai raisonnable
visé à l’article 6, § 1 de la Convention EDH. D’ailleurs, à
l’occasion de requêtes portant sur la violation de la condition du délai
raisonnable, la Cour européenne a émis certaines critiques sur les excès de
complication du dualisme juridictionnel, critiques qui portaient à la fois sur
les effets procéduraux néfastes du dualisme et sur les risques de contrariété
de solutions au fond[126].
3) La
troisième remarque est plus prospective. Dans la mesure où les instruments
internationaux de protection des droits de l’homme ne connaissent que deux
matières, civile et pénale, y a-t-il place pour une troisième, distincte des
deux autres ? De plus, le raisonnement des organes de contrôle porte sur
la matière, jamais sur la nature des juridictions ; la distinction de
l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif est inconnue sous cet angle et
le dualisme des organes juridictionnels est transcendé par le dualisme matériel
du champ d’application des articles 14 du Pacte international et 6 de la
Convention EDH.
Le débat est loin d’être tranché [127]
et un club de réflexion a proposé la suppression du dualisme juridictionnel[128],
mais qui peut sérieusement envisager aujourd’hui, en France, la disparition de
la juridiction administrative, alors qu’elle a su, de tout temps, protéger les
libertés et que le seul inconvénient réel du dualisme juridictionnel est celui
d’éventuels conflits de compétence qui allonge la durée d’un procès ?
Ce
sont les mêmes exigences européennes qui limitent et encadrent la
spécialisation organique des juridictions de l’ordre judiciaire.
b)
Les garanties du droit processuel fondamental dans la spécialisation organique
des juridictions de l’ordre judiciaire
Toute
spécialisation organique des juridictions de l’ordre judiciaire, aussi
souhaitée par certains et souhaitable pour d’autres soit-elle, ne peut
valablement exister que si elle répond aux standards européens d’une bonne
justice. Ces standards tournent autour de l’idée que le justiciable doit rester
au centre du système judiciaire : c’est à lui qu’il faut d’abord penser en
termes d’organisation judiciaire. Cette justice doit être lisible pour lui en
faciliter l’accès. Deux garanties traduisent bien cette exigence :
- d’une part, respecter un délai raisonnable
de jugement des procès en évitant le plus possible les conflits de compétence
(a) ;
- d’autre part, maintenir un accès égal
pour tous aux juridictions judiciaires sur l’ensemble du territoire (b).
a) Eviter les conflits de compétence pour
assurer aux procès un délai de jugement raisonnable, c’est nécessairement
s’interroger sur la légitimité de la création de juridictions spécialisées
Plus
on multiplie, organiquement parlant, les structures judiciaires à compétence
propre, plus on multiplie les risques de conflits de compétence et on favorise
le recours aux procédures de règlement de ces incidents, donc on accroît la
durée globale du procès avant d’arriver au jugement sur le fond. Cette
considération ne peut pas être négligée dans la problématique de création de
juridictions spécialisées autonomes.
Certes,
on peut toujours essayer d’améliorer le règlement de ces conflits et la
procédure civile connaît la procédure accélérée et simplifiée du
contredit ; il reste, que si une potentialité de conflit existe, une
potentialité d’exploitation de cette faille à des fins dilatoires par l’une des
parties est probable.
C’est
pourquoi, il vaut mieux prévenir que guérir et la Commission que j’ai eue
l’honneur de présider a été très prudente en ne proposant que deux fusions
organiques :
- la fusion des juridictions de proximité
avec les tribunaux d’instance, plus exactement, l’absorption des premières par
les secondes, sans que les juges de proximité eux-mêmes disparaissent
(propositions n° 1 et 22) ;
- le regroupement organique des tribunaux
de police avec tribunaux correctionnels, par la disparition des premiers qui
deviendraient une chambre spécialisée des seconds (proposition n° 3).
Les
difficultés à aboutir sur ces deux points, somme toute mineurs, sont
considérables et témoignent des blocages de la société française :
- la première de ces deux fusions figure
dans le projet de loi déposé le 3 mars 2010, mais n’a pas encore été examinée.
Le sera-t-elle, alors que le nouveau Gouvernement a une feuille de route très lourde
en matière de procédure pénale ? Peut-être, si cela peut servir le projet
présidentiel d’introduire des assesseurs civils dans nos juridictions
correctionnelles.
- En revanche, la seconde n’a pas franchi
le cap de la remise du rapport et je me souviens de l’opposition personnelle,
sur ce point, du Président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale
(M. Warsmann), lorsqu’il m’avait
reçu : pour des raisons liées au traumatisme de la réforme de la carte
judiciaire menée à marche accélérée en 2007, il ne voulait pas entendre parler
de cette proposition pour ne pas voir disparaître « son » tribunal de
police de « sa » circonscription !
On
mesure combien notre « vieux pays » est difficile à réformer !
D’autant plus qu’il faut tenir compte de la seconde contrainte issue des
données du droit processuel fondamental, à savoir une répartition égale des
juridictions sur tout le territoire.
b) Une autre contrainte forte de toute
réforme de l’organisation judiciaire fondée sur de nouvelles spécialisations
des juridictions, provient de l’obligation de maintenir un accès égal pour tous
aux juridictions sur l’ensemble du territoire.
La recherche d’un critère pertinent de la
spécialisation de certaines juridictions est souvent abordée mais jamais
résolue. La Commission Guinchard a
donc essayé de trouver un critère pertinent de la spécialisation permettant de
regrouper certains contentieux au sein de juridictions en nombre plus limité. A
côté de contentieux dont la technicité relève de la nature de la matière
substantielle qui sert de support à l’action en justice (exemple du contentieux
des brevets d’invention), la technicité ne provient, bien souvent, pour
reprendre une expression connue du contentieux pénal, que « de la complexité
de l’affaire ». Les deux critères sont donc bien ceux de la technicité et
de la complexité.
Mais comment déterminer ce qui est
technique et ce qui est complexe ?
- Au titre de la technicité, un
contentieux peut l’être pour un juriste novice en la matière, mais pas pour un
autre. La notion est toute relative et toute branche du droit est un ensemble
de règles techniques, pas seulement un corpus de principes généraux.
- Au titre de la complexité, ce ne sont
pas les spécialisations existantes en matière économique et financière avec la
distinction des affaires de « grande complexité » et celles de
« très grande complexité » qui nous aident beaucoup, ainsi que l’a
souligné Catherine Ginestet[129].
Il me semble que la clef de réussite en la
matière consiste à identifier, cas par cas, l’intérêt général supérieur qui
peut justifier une certaine forme de spécialisation organique, puisque ce type
de création, non seulement va susciter des conflits de compétence, mais aussi
va induire un éloignement du justiciable de la juridiction spécialisée.
Il faut donc rechercher un juste équilibre
entre des exigences contradictoires : une certaine rationalisation, mais
pas d’atteinte trop forte au principe d’égal accès de chacun à la justice. Seule
la recherche d’un intérêt supérieur qui légitime la création de juridictions
spécialisées nouvelles, doit guider l’action des réformateurs.
Cet intérêt peut être d’intensité
variable ; j’en distinguerai trois, selon que l’échelon de regroupement
spécialisé est national, régional ou local :
1) Dans certaines matières, pour créer une
juridiction nationale unique, on perçoit aisément l’intérêt général supérieur
qui légitime cette hyperspécialisation.
- Tel est le cas, incontestablement
en matière de terrorisme, avec la compétence des juridictions parisiennes.
Certes, celles-ci n’ont qu’une compétence concurrente de celle des juridictions
de droit commun, au cas par cas, mais en pratique on voit mal comment ne pas
concentrer ce type de contentieux sur Paris[130].
- Ou encore en matière de brevets
d’invention et d’obtention végétales, si l’on veut bien se souvenir d’une
part, que ce contentieux est concentré aux 8/10èmes dans le ressort de la cour
d’appel de Paris et que le reste est réparti, à parts égales, entre Lyon et le
reste de la France, d’autre part, que la France est candidate au siège, à
Paris, de la Cour européenne des brevets et, enfin, qu’on ne peut nier qu’il
s’agit d’un contentieux très spécialisé du monde des affaires qui peut donc se
déplacer aisément sur Paris. C’est le sens de notre proposition de création, en
cette matière, d’une juridiction unique, à Paris (proposition n° 10). Cette
proposition s’est en partie concrétisée dans le décret n° 2009-1205 du 9
octobre 2009 qui retient la compétence exclusive du TGI de Paris (donc de sa
cour d’appel) pour connaître les actions relatives aux brevets d’invention, aux
certificats d’utilité, aux certificats complémentaires de protection
topographiques de produits semi-conducteurs ; en revanche, les obtentions
végétales sont restées sur le bord du chemin de la réforme, en raison,
semble-t-il d’une opposition de l’INPI.
- Ou encore, en matière de pratiques
restrictives de concurrence, le gouvernement est allé plus loin que notre
rapport qui ne visait pas ces pratiques : le décret n° 2009-1384, 11
novembre 2009 donne compétence à la seule cour de Paris pour connaître des
recours contre les décisions prises en la matière par les 8 TGI et tribunaux de
commerce compétents (art. D. 442-3, C. com.), ce qui a permis à un auteur
d’écrire que l’on estimait sans doute que les conseillers à la cour de Lyon
était « trop bêtes » pour en connaître[131].
- Ainsi enfin, en matière de crimes
contre l’humanité et de crimes et délits de guerre, nous avons
proposé (proposition n° 18) que Paris soit le siège unique d’une juridiction
compétente en cette double matière. Non pas que nous puissions craindre que
notre pays soit impliqué dans de telles abominations, mais parce que nos
engagements internationaux nous font obligation de juger en France certains
criminels de cette nature et parce que Paris, malheureusement a déjà un début
d’expérience en la matière. Des dossiers en provenance notamment du Rwanda
nécessitent une décision rapide. La proposition est inscrite dans le projet de
loi de mars 2010.
Sauf
à vouloir tout centraliser sur Paris, il est difficile d’aller plus loin.
2) L’intérêt général supérieur aux
intérêts particuliers peut aussi légitimer la création de juridictions à un
échelon régional.
Aujourd’hui, on connaît les
JIRS dont nous ont parlé Catherine Ginestet
et Sami Ben Hadj Yahia. Il faut
bien reconnaître que, pour le néophyte, la complexité est d’abord dans
l’enchevêtrement de ces juridictions interrégionales. Sans reprendre ici l’ensemble
de l’historique de leur création, révélateur de leur complexité[132],
on relèvera :
- qu’au
départ, dans la loi n° 75-701 du 6 août 1975 qui marque le début de
ce mouvement de spécialisation[133],
le législateur, prenant acte de la complexité croissante de certaines activités
économiques et financières et de la nécessité de leur apporter une réponse
judiciaire appropriée lorsqu’elles deviennent délictuelles, a spécialisé en cette
matière certains TGI, par l’extension de leur compétence territoriale au
ressort de plusieurs TGI, lorsque l’affaire est « d’une grande
complexité » [134].
Mais aucun moyen supplémentaire n’était accordé, aucune procédure de
désignation de magistrat spécialisé n’était instituée, aucune procédure
dérogatoire d’enquête, d’instruction et de jugement n’était instaurée.
- A l’arrivée, 35 ans plus tard, il existe
huit JIRS, tant pour les TGI que pour les cours d’assises, qui se caractérisent
par cinq critères : une compétence
territoriale étendue au ressort d’une (juridiction intrarégionale) ou plusieurs
cours d’appel (juridiction interrégionale) ; une compétence concurrente de
celle des autres juridictions de droit commun, pour la poursuite, l’enquête, l’instruction
et le jugement ; une compétence matérielle déterminée soit par « la
grande complexité de l’affaire » (JIRS en matière de criminalité
organisée), soit par sa « très grande complexité » (JIRS en matière
de délinquance économique et financière) ; des règles spécifiques de
désignation des juges et procureurs composant ces JIRS (procédure des
art. 704 et 706-75-1, CPP) ; la participation des assistants
spécialisés de l’article 706, CPP (ceux de la loi du 2 juillet 1998)
aux procédures, avec la possibilité de bénéficier de délégations de signature
pour certaines réquisitions.
Au final, pour reprendre l’une des
expressions du législateur du 9 mars 2004, une « très grande
complexité »… d’organisation judiciaire, avec des critères de juridiction
spécialisée qui se croisent et, parfois, se cumulent.
La spécialisation a généré des monstres de
complexité. Nous avons été plus modestes.
Suite à nos propositions, ont été ainsi
successivement créées les juridictions suivantes :
- un seul tribunal des pensions militaires
par ressort de cour d’appel[135] ;
- un seul TGI par ressort de cour d’appel
en matière d’adoption internationale[136] ;
- neuf TGI en matière de propriété
intellectuelle (dessins et modèles, marques et indications géographiques)[137] ;
- huit TGI et tribunaux de commerce en
matière de pratiques restrictives de concurrence[138] ;
- de nombreux TGI (mais pas tous, ni une
dizaine comme nous le préconisions) en matière de contestations de nationalité[139].
Le
trait commun de ces regroupements est la nature spécifique et technique du
contentieux, qui suppose une connaissance très spécialisée, pointue, de la part
des juges qui en connaissent. Malgré certains lobbyings et craintes réelles de
voir des régions entières ne plus connaître ce type de contentieux, ces
regroupements nous paraissent raisonnables.
La Commission a aussi beaucoup réfléchi
à la constitution de pôles pour le contentieux pénal lié aux catastrophes en
matière de transport
et a proposé de retenir une compétence régionale avec une juridiction
spécialisée par Cour d’appel. Elle y a ajouté les catastrophes nées d’un risque
technologique. Cette juridiction pourrait être dotée de manière pérenne d’une
salle d’audience de taille importante dans laquelle se dérouleraient les procès
liés aux catastrophes avec un nombre important de victimes. C’est le cas de
Toulouse qui nous a conduit à ne pas calquer cette juridiction sur
l’implantation des JIRS : en effet, Toulouse n’a pas de JIRS et on voit
mal comment cette ville aurait pu ne pas connaître du procès AZF.
En revanche, à l’image des critères édictés
pour la saisine des JIRS, la juridiction spécialisée de la cour d’appel
pourrait être saisie en cas d’homicide ou de blessure involontaire lorsque les
faits apparaissent d’une grande complexité, cette complexité pouvant être
matérielle et découler par exemple de l’existence d’un grand nombre de
victimes. Et sa compétence serait concurrente de celle des juridictions de
droit commun. Certaines personnes auditionnées avaient suggéré que l’affaire
soit déclarée complexe et enclenche automatiquement la saisine d’une
juridiction spécialisée, de préférence à Roissy (à cause des catastrophes
aériennes et du savoir-faire acquis par les gendarmes et le pôle d’instruction
de Bobigny) dès que deux corps ne pouvaient pas être identifiés. Nous avons
écarté ce critère morbide et peu acceptable pour les familles des victimes.
Cette spécialisation devrait permettre
d’assurer une justice plus rapide et mieux rendue. Il s’agit là d’un point
important pour les victimes, mais également pour la société en général dans la
mesure où l’analyse des accidents doit être menée le plus rapidement possible
afin d’en tirer des enseignements pour l’avenir.
Le projet de loi déposé en mars 2010
s’inspire de cette proposition.
3) Reste le dernier niveau, l’échelon
local.
Où faut-il le fixer ? Par hypothèse,
il ne peut qu’être que généraliste, puisque les contentieux spécialisés ont été
regroupés au niveau national ou régional. La détermination de cet échelon pose
deux questions :
- celle de la carte judiciaire et c’est un
autre débat, plus politique encore : pas de politique judiciaire, mais de
politique d’aménagement du territoire. Il ne revenait pas à notre Commission
d’en débattre et d’ailleurs cela ne figurait pas dans la lettre de mission. Il
revient au Gouvernement et au Parlement d’en débattre et de décider, sachant
qu’en ce domaine chacun veut conserver son tribunal d’instance ou son TGI,
voire les deux. La réforme de 2007 est ce qu’elle est, imparfaite sans doute,
incompréhensible parfois sur certaines décisions (je pense à la Bretagne), mais
elle le mérite d’exister et je doute qu’on y revienne avant longtemps.
-La seconde question que soulève la
détermination de l’échelon local adéquat est celui de la création ou non d’un
tribunal départemental unique en première instance, le fameux TPI. Natalie Fricero nous a très bien indiqué les
obstacles juridiques que nous avons rencontrés et je n’y reviendrai pas.
Je crois sincèrement que c’est une fausse bonne idée. A preuve, elle est
reprise dans tous les rapports sur la question, sauf le nôtre, accompagnée de
la remarque que les difficultés de mise en œuvre seront considérables et j’ai
fait le constat que le rapport est immédiatement enterré sur ce point. Je
revendique haut et fort le droit au réalisme législatif : à supposer que
le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat avalisent ce type de création,
je doute de sa concrétisation, le précédent de Nouméa et des îles de le Loyauté
montrant que le TPI de Nouvelle-Calédonie n’est pas directement transposable en
métropole en raison de l’avis rendu par le Conseil d’Etat en la matière, avis
qui exige que les chambres détachées du TPI – et on ne conçoit pas un TPI sans
la création de telles chambres – doivent connaître d’un contentieux qui est la
totalité ou une partie de celui donné au siège du TPI, en aucun cas un
contentieux de retranchement comme c’est aujourd’hui le cas dans la répartition
des compétences entre TGI et TI. Qui décidera de la nature du contentieux
confié aux chambres détachées et qui décidera de leur implantation ? On conviendra
aisément que ce ne peut être le chef du TPI, que la décision relève de
l’aménagement du territoire, donc de la Chancellerie en concertation avec les
pouvoirs locaux. Ce qui veut dire, très concrètement, que le principal avantage
supposé du TPI en termes de répartition des affaires par son Président entre
son siège central et les chambres détachées, disparaît. Et pour ce qui concerne
son pouvoir de gestion au quotidien, dans l’affectation des juges, le système
que nous connaissons avec des juges nommés au TGI et détachés dans l’instance y
supplée largement ! En d’autres termes, pour parodier Shakespeare, ce
serait « beaucoup de bruit pour rien ».
Et
il reste que le territoire français est durablement marqué par la coexistence
de deux juridictions civiles de première instance : le TGI et le TI. Il y
a une traçabilité historique qui est le fruit de l’histoire, de notre culture,
de la même façon, si je peux me permettre cette comparaison, qu’il y a une
traçabilité historique des grandes voies de circulation ; ce n’est sans
doute pas un hasard si la ligne 1 du métro parisien se superpose à la voie
royale qui allait de Vincennes à Saint-Germain-en-Laye, en passant par le
Louvre.
XXX
Vous
me trouverez sans doute bien restrictif quant au phénomène de spécialisation
des juridictions et des juges. En réalité, il ne faut point perdre de vue que
je n’envisageais jusqu’à présent que la spécialisation organique, celle qui se
traduit par la création de juridictions autonomes, dont qui génère des conflits
de compétence et qui risque de porter atteinte à l’égal accès de tous à son
juge naturel.
En
revanche, lorsque la spécialisation n’est plus que fonctionnelle, elle
n’encourt pas les mêmes réserves, car ses inconvénients sont moindres. Loin de
la brider, il faut tout au contraire la favoriser.
ii – favoriser une spécialisation fonctionnelle
Favoriser la spécialisation fonctionnelle,
tel est l’objectif que l’on doit poursuivre pour
améliorer la prévisibilité de la justice. Au sein de l’institution judiciaire,
il y a des juridictions et des juges. Les unes et les autres peuvent être
spécialisés, mais si la spécialisation organique des premières conduit nécessairement
à spécialiser les juges, l’inverse n’est pas vrai. On peut être juge spécialisé
dans une juridiction généraliste. Et la notion de spécialisation concerne aussi
les auxiliaires de justice.
A)
la
spécialisation fonctionnelle des juridictions
Elle répond à des exigences diverses, qui
ont en commun de ne pas créer de nouveaux conflits de compétence. Anciennement
connue, le mouvement en sa faveur s’est accéléré ces dernières années.
a)
Il y a d’abord la spécialisation en vue d’assurer une
jurisprudence pérenne et prévisible
C’est la forme la plus anciennement
connue, avec la spécialisation en chambres au sein d’une même juridiction.
1) Pour la Cour de cassation, Daniel Tricot nous
en a parlé en plaçant son propos – c’est significatif des enjeux – sous le
signe « des impératifs de spécialisation et de cohérence en vue d’une
meilleure sécurité juridique et une utile prévisibilité ». C’est en
quelque sorte une spécialisation aux fins de sécurisation du droit et des
justiciables : on peut penser qu’en connaissant pendant un temps assez
long des affaires se rattachant toutes au même type de contentieux, le
conseiller à cette Cour saura mieux les juger par sa maîtrise plus fine des
questions juridiques qui s’y rapportent.
Encore qu’on puisse y voir une intensité
différente, selon qu’on siège à la chambre criminelle ou dans l’une des cinq
chambres civiles et, au sein de celles-ci, dans une chambre au contentieux très
technique (le droit de la construction par exemple) ou non.
La division en section au sein des
chambres accentue ce phénomène de spécialisation, ce qui ne va pas sans
certains risques de divergence de jurisprudence. L’excès de spécialisation
porte en lui un risque d’insécurité juridique.
C’est sans doute pour cette raison que,
progressivement, ce sont mis en place des mécanismes de cohérence entre les
chambres, afin de limiter les inconvénients qui pourraient naître de
divergences de jurisprudence dues à un cloisonnement trop fort entre les
magistrats des chambres spécialisés. Et Daniel Tricot a insisté à la fois sur
les « méthodes officielles » et sur « les méthodes
officieuses ». Personnellement, j’ai tendance à y voir les limites d’une
spécialisation trop poussée : l’excès de spécialisation nuit à l’exigence
de sécurité juridique.
Le même constat pourrait être fait pour
les chambres spécialisées en cour d’appel ou au sein des TGI, mais avec des
enjeux différents, puisque ces juridictions ne sont pas en charge de l’unité de
la jurisprudence.
2) Faut-il aller plus loin et créer, par
exemple des chambres spécialisées pour chaque type de contentieux ?
Je
ne le pense pas :
- d’abord, parce que la spécialisation
remet en cause, quoi qu’on puisse en penser, le cœur du métier de magistrat,
qui est certes un juriste (ou devrait toujours l’être), mais qui est aussi un
acteur social, placé au cœur des problèmes de son temps. Et, à cet égard, seule
une vision généraliste des dossiers peut lui donner cette hauteur de vue qui
fait toute la différence entre un technicien du droit et un humaniste. Cette
remarque a été faite à la Commission Guinchard
lorsqu’elle a été reçue à la Cour de cassation le 15 février 2008 ; nombre
de hauts magistrats de cette juridiction ont fait observer « qu’une
spécialisation trop poussée pouvait conduire à la déshumanisation de la
justice, liée à une trop grande technicité de ceux qui seraient enfermés dans
le même type de contentieux, plusieurs années durant »[140].
- ensuite, parce que l’exemple des
chambres spécialisées en droit de la presse, que je ne remets pas en cause dans
leur principe, montre que ceux qui y siègent sont portés à penser qu’elles devraient
se transformer en juridictions autonomes, bref que la spécialisation
fonctionnelle trouverait une issue inéluctable dans une spécialisation
organique. La Commission Guinchard
a rejeté clairement cette spécialisation de type organique, notamment s’il
était accompagnée d’une implantation nationale à Paris. Notre proposition n° 12
s’est contentée, abstraction faite d’une dépénalisation de la diffamation, de
suggérer de supprimer la compétence résiduelle du tribunal d’instance en la
matière, par transfert au TGI, ce que la loi n° 2009-526, 12 mai 2009 a réalisé.
Mais si nous avons repoussé toute création d’une juridiction spécialisée en
droit de la presse, régionale ou nationale, c’est parce qu’il nous a semblé que
chacun pouvait être victime de ce type d’infraction et qu’il était souvent
utile que le procès se déroule au plus près de son centre d’intérêts, afin que
la presse locale puisse en parler.
b) Il y a ensuite la spécialisation qui
vise à faire bénéficier le justiciable d’un double voire d’un triple regard
1) La plus connue est bien sûr la
séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement au sein des
juridictions pénales et qui a été progressivement étendue, non sans
difficultés, au sein des autorités administratives indépendantes.
Pour les juridictions répressives, on remarquera
simplement, tant le principe est connu[141],
que l’article préliminaire du Code de procédure pénale, énonce dans son
paragraphe I, al. 2 que la procédure pénale « doit garantir la
séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de
jugement », sans viser les fonctions d’instruction. Etait-ce pour
ménager l’avenir et les confier, pour leur aspect enquête et investigation au
Parquet et, pour leur aspect juridictionnel à un juge du siège ? On peut
douter que telle était l’intention des rédacteurs de la loi du 15 juin 2000,
mais l’actualité politique récente redonne un certain intérêt à la question
ainsi posée !
Cette distinction transcende la procédure
pénale stricto sensu, pour s’appliquer à tous les organes qui
connaissent de la matière pénale, qu’ils soient disciplinaires ou
administratifs. La Cour EDH ne manque pas de rappeler que le principe de
séparation s’applique aux organes disciplinaires, par exemple à ceux qui
prononcent des sanctions pénitentiaires[142].
C’est ici l’occasion de dire que, sans remettre
en cause le principe de l’existence des autorités de régulation, ceux qui ont
cru, en les instituant, qu’on pouvait se passer des garanties du procès
équitable, à commencer par celle de l’indépendance et de l’impartialité de leurs
membres, se sont lourdement trompés. Progressivement, le Conseil d’Etat et la
Cour de cassation ont sanctionné, chacun pour ce qui le concerne, les
manquements à la règle de séparation des fonctions de poursuite, d’instruction
et de jugement. La spécialisation n’est pas ici institué pour assurer la
sécurité juridique d’une jurisprudence pérenne et prévisible, mais pour
garantir à tout accusé qu’un double, voire un triple regard sera porté sur son
dossier.
2) C’est parce qu’on ne retrouve pas cette
exigence que je suis très réservé à pousser trop loin la spécialisation des
juges qui mettent en état les affaires civiles.
Je
préfère d’ailleurs cette expression de magistrat de la mise en état, quelle que
soit la juridiction, mais bien sûr essentiellement devant les TGI et les cours
d’appel, à celle de juge de l’instruction civile que je trouve trop forte et,
pour tout dire, erronée.
- Il faut voir dans cette
expression d’instruction civile, l’abus de la transposition du vocabulaire
répressif à la matière civile ; parler d’instruction civile n’a pas la
même portée que de parler de mise en état [143]
et, progressivement, d’un glissement de vocabulaire, d’un mot à un autre, on
glisse à une confusion des notions, des concepts et des principes qui régissent
la matière civile.
- Il faut y voir aussi,
l’oubli que ces contentieux civils ne connaissent pas d’une manière aussi
tranchée et affirmée qu’en matière pénale, le principe de la séparation des
fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Il faut donc être
prudent dans l’appréciation du cumul de fonctions différentes au sein d’une
juridiction civile ; ce cumul ne signifie pas systématiquement partialité,
car la finalité de ces fonctions n’est pas la même qu’en matière pénale ;
il ne s’agit pas s’assurer d’un double ou d’un triple regard objectif sur un
dossier, comme le permet le cloisonnement des poursuites, de l’instruction et
du jugement, mais de permettre à l’un des juges du tribunal d’acquérir une
connaissance approfondie du dossier. Au fond, ce n’est pas la même chose que de
bénéficier d’un regard neuf à chaque étape d’un procès pénal, où chaque
décision des trois organes engage la personne d’abord mise en cause, puis suspectée,
puis poursuivie, puis mise en examen, puis renvoyée devant le tribunal, dans un
processus de conviction progressive d’une forme de culpabilité, et de voir son
dossier civil étudié par le même juge, tout long d’un processus d’élaboration
de sa conviction où il ne s’agit pas de déclarer une personne coupable ou
innocente des faits qui lui sont reprochés (et qu’elle n’a pas contribués à
apporter), mais de donner une solution juridique à un problème de droit, sur la
base de faits apportés librement par les parties, en se forgeant
progressivement sa conviction, d’une manière de plus en plus approfondie, selon
un processus intellectuel continu[144].
Ces
considérations ne sont pas seulement d’ordre théorique et n’intéressent pas que
la question de la partialité du juge[145].
Elles interfèrent avec la notion de juridiction, que seule la loi pourrait
créer. En effet, si le Conseil d’Etat a validé, dès 1968, l’intervention du
juge dans le déroulement de la procédure, en posant qu’aucun principe général
ne s’y oppose[146], un
accroissement trop important des pouvoirs du juge de la mise en état pourrait
induire une requalification en juridiction spécialisée distincte, ce qui
obligerait de passer par la voie législative pour en poser le principe et fixer
les contours de sa compétence. On remarquera d’ailleurs que c’est une loi qui a
créé le JEX, le JAF, etc.
c) La spécialisation vise
enfin à concentrer un contentieux dans un pôle spécialisé mais sans création
d’une juridiction nouvelle
Le mot pôle est ambigu : il peut
désigner une juridiction autonome nouvelle à compétence régionale ou nationale,
comme on l’a vu en première partie, mais il peut aussi désigner un regroupement
de contentieux au sein de juridictions existantes à l’échelon local. La Commission
a préconisé les deux, mais a souhaité privilégier les pôles sans création de
juridictions nouvelles.
S’agissant des simples regroupements
fonctionnels au sein de juridictions existantes, cinq pôles ont été préconisés :
- Deux ont déjà été réalisés par la loi du
12 mai 2009 :
le pôle diffamation dont il a déjà été
question, concentré au TGI ;
le pôle famille autour du JAF, dont la compétence
a été renforcée par le transfert de la tutelle des mineurs et de la liquidation
et du partage de toutes les indivisions conjugales. Parallèlement, la
Commission n’a pas retenu l’idée d’un tribunal de la famille qui aurait à lui
seul absorbé tout le contentieux de certains TGI et qui aurait rigidifié
la compétence en matière familiale. C’est cette volonté de dérigidifier qui a
inspiré la Commission Guinchard :
ne pas créer une nouvelle juridiction en ne revenant pas à une nomination
comprenant dans le décret de nomination une affectation à des fonctions
précises.
- Deux autres pôles sont repris dans la
proposition de loi Béteille :
un pôle de l’exécution mobilière rattaché
à chaque tribunal d’instance avec compétence pour connaître de tout le contentieux
de l’exécution mobilière aujourd’hui encore dispersé, notamment la saisie des
rémunérations et le paiement direct des pensions alimentaires ;
un pôle de l’exécution immobilière dans
tous les TGI avec concentration sur ce juge des contentieux de la saisie des
navires, aéronefs et bateaux de 20 tonnes ou plus ;
Enfin, un pôle pénal qui a été écarté par
le Gouvernement, mais qui aurait transféré le contentieux de police au sein
d’une chambre spécialisée du tribunal correctionnel, comme il a déjà été indiqué ;
B)
la
spécialisation des juges et des auxiliaires de justice
Les enjeux sont
ici différents, car il n’est point question de créer des juridictions nouvelles
ou de rigidifier l’accès à la justice. Les juges et auxiliaires de justice
peuvent se spécialiser sans pour autant que les juridictions le soient.
Je me limiterai à trois
réflexions, dans la ligne de ce qui vient d’être dit sur la déshumanisation de
la justice, par une spécialisation excessive des juges :
- la première est que la spécialisation
c’est le rôle de la formation continue dont chacun sait bien ici qu’elle a été
portée à un haut niveau par l’ENM. En tout cas, l’offre est abondante, tant au
niveau national qu’au niveau des cours d’appel. La spécialisation c’est aussi
un greffon sur une solide base généraliste. Je rejoins tout à fait M. Laurent Zuchowicz. Pour le lien avec le choix des
politiques publiques, je vous renvoie au rapport de M. le Président Bruno Steinmann.
- Et cette remarque vaut aussi pour les
auxiliaires de justice, notamment les avocats qui connaissent d’ailleurs d’un
régime de mentions de spécialisation, dont nous a parlé Maître Bedry, avec le projet de réforme en cours
d’examen, suite à l’échec de l’idée de lancer des « domaines
d’activité » et des « champs de compétence ».
- La troisième réflexion, c’est que je ne
crois pas à la fusion de toutes les écoles de formation en une seule. Véritable
usine à gaz au bénéfice nul ; à un moment donné de sa vie, on devient
magistrat ou avocat ou notaire ou huissier de justice ; et déjà les
étudiants qui se destinent à ces professions passent 4 à 6 ans ensemble en
formation commune sur les bancs de l’université.
XXX
En
guise de réflexions finales, je voudrais faire 2 remarques :
- l’une qui relève du domaine de l’utopie
et dont Corinne Bléry nous a
rappelé qu’elle avait été présentée par Jacques Héron en son temps. En effet, à vouloir trop spécialiser, non
seulement on risque de déshumaniser la justice, mais aussi on peut donner
l’idée à certains d’aller, en raisonnant par l’absurde, jusqu’à imaginer une
seule juridiction nationale pour tous les contentieux, en tout cas une seule
par degré de juridiction, les juges travaillant chez eux par courrier
électronique, les audiences étant supprimées en matière civile. Utopie bien
sûr, mais elle a cela de bon qu’elle nous fait réfléchir sur les dangers du
dogmatisme. La réponse au besoin de spécialisation doit être trouvé dans la
raisonnable, c'est-à-dire la proportionnalité entre la concentration des
contentieux et les intérêts sacrifiés. Et ce qui est utopie aujourd’hui, sera
peut-être la réalité de demain.
- La seconde remarque est que je vous
invite à relire Fernand Braudel
qui, dans l’identité de la France, ne voyait que deux régions susceptibles de
générer une capitale pour la France, en raison de son bassin de population et
de sa configuration géographique : l’île de France, la capitale pouvant
être aussi bien à Paris qu’à Melun. Et Toulouse avec son bassin qui va du
Massif central aux Pyrénées. Pour ceux qui regrettent que Paris soit le siège
de juridictions à compétence nationale, se consolent en pensant que ce pourrait
être Toulouse.
VI – Le juge à l’écoute du monde
Le
juge à l’écoute du monde : un nouvel office pour le juge au XXIème siècle
Propos
conclusifs
Paris le 21 mars 2013
N’ayez pas peur !
Résumé :
Le défi d’un juge à l’écoute du monde revêt une acuité
particulière au TGI de Paris par la nature des contentieux confiés à cette
juridiction. Pour autant, les juges de ce tribunal ne doivent pas avoir peur de
cette technicité nouvelle et de cette internationalisation des règles de droit
substantiel comme de droit processuel. Comme les hommes politiques, ils doivent
agir en visionnaire, au cœur de notre devise républicaine pour en actionner
toutes les composantes (I). Ils doivent aussi être des meneurs d’hommes,
c’est-à-dire des décideurs, au cœur de la création de la norme (II) ; mais,
à la différence de l’homme politique, le juge, parce qu’il répond à une attente
précise dans un dossier à lui soumis, selon une certaine procédure, doit, pour
articuler ces deux offices, être l’acteur d’un nouveau modèle procédural,
lui-même fondement d’une nouvelle démocratie (III).
TEXTE PRONONCÉ
À vous lire d’abord, dans les actes
préparatoires à ce colloque, à vous écouter ensuite au cours de cette journée
de restitution et de discussions, mon premier sentiment est que vous avez
vous-même construit les réponses aux questions que vous vous posiez lorsque
Madame la Présidente Chantal Arens
vous a demandé de réfléchir à un nouvel office du juge en ce début de XXIème
siècle, dans la perspective, au-delà du dialogue de gestion avec le Ministère,
de trouver les moyens vous permettant de répondre au défi de la mondialisation
dans votre activité quotidienne de juge.
Sans faire injure aux
autres juridictions, il faut bien reconnaître qu’à Paris vous êtes en première
ligne à l’écoute du monde, à la fois par l’importance quantitative des
effectifs de votre tribunal, par la connaissance qualitative que vous avez de
contentieux internationaux que la province ne connaît pas ou peu – ne serait-ce
que l’arbitrage international – et par la compétence exclusive que le
législateur contemporain aime bien vous confier dans certains types de
contentieux, en dernier lieu le pôle des brevets d’invention et celui des
crimes contre l’humanité et crimes de guerre, deux compétences pour lesquelles,
je l’avoue, je me sens une certaine responsabilité ![147]
En matière civile, vos 15 chambres et vos 42 sections, votre activité
particulièrement importante en matière de référés et de requêtes, font de votre
juridiction le phare de l’activité judiciaire de la France. Le taux de
complexité de vos affaires civiles, 33 à 73 % selon les chiffres donnés par
votre Présidente lors de son discours de rentrée solennelle en janvier 2013,
les dossiers hors normes qui vous sont soumis en matière pénale, contribuent à
faire de votre juridiction une juridiction exceptionnelle.
À vous lire et à vous
entendre, mon impression générale est
qu’il se dégage de vos interrogations, de vos doutes, comme un sentiment de
peur, en tout cas le sentiment que vous ressentez un vertige devant d’une part,
les difficultés nées de la mondialisation et, d’autre part, la nécessité accrue
de vous tenir informés des évolutions des droits étrangers et des
jurisprudences européennes, qu’il s’agisse de Luxembourg ou de Strasbourg. Face
à un tel sentiment, j’ai envie de vous répondre comme Jean-Paul II
« n’ayez pas peur », mais comme les crucifix ont disparu des salles
d’audience et que la Justice se doit d’être laïque, je m’en tiendrai à un
discours républicain, mais un discours plus politique que juridique.
En effet, j’ai considéré
que la question posée étant celle d’un nouvel office du juge au XXIème siècle, sous
le regard d’un juge à l’écoute du monde, d’un juge face au défi de la
mondialisation, d’un juge qui subit plus qu’il ne consent aux changements parce
que ceux-ci sont continus et globaux et qu’il les prend de plein fouet, la
réponse ne pouvait être que d’ordre politique et non pas seulement d’ordre
juridique.
Sous ce regard, cette
réponse se détriple car, comme tout homme politique en charge du
législatif ou d’un exécutif :
Le
juge doit être d’abord et avant tout un visionnaire au cœur de notre devise
républicaine pour en actionner toutes les composantes (I),
Il doit aussi être
un meneur d’hommes, c’est-à-dire un décideur, au cœur de la création de la
norme (II) ;
Mais, à la
différence de l’homme politique, le juge, parce qu’il répond à une attente
précise dans un dossier à lui soumis, selon une certaine procédure, doit, pour articuler
ces deux offices, être l’acteur d’un nouveau modèle procédural, lui-même
fondement d’une nouvelle démocratie (III).
i – un juge visionnaire, au
cœur de notre devise républicaine
Dans
l’exercice de sa mission juridictionnelle, ce qui dans mon esprit inclut à la
fois le contentieux et le gracieux, le juge est au cœur de notre devise
républicaine. Il est le garant des droits, de leur équilibre entre les parties,
le bastion avancé de la garantie de nos libertés, de la défense de nos idéaux
démocratiques. Il est la garantie de la garantie des droits.
Votre
groupe de travail n° 1 a posé la question de savoir ce qu’il fallait penser « de
cet office du juge qui, manifestement, sort de sa conception traditionnelle en
jugeant la loi ». La question a été posée avec prudence, avec une sorte de
crainte révérencielle, comme si vous hésitiez devant tant de pouvoirs. Je dis
non, n’ayez pas peur de ce pouvoir car il s’inscrit dans une perspective
historique plus vaste que l’aube du XXIème siècle, objet de vos préoccupations[148].
Pour faire bref, nous avons connu successivement trois étapes :
- à la fin du
XVIIIème siècle, nous avons eu une période d’affirmation du pouvoir législatif,
fondé sur le concept démocratique de volonté générale ;
- à la fin du
XIXème siècle, nous avons vécu une période de valorisation du pouvoir exécutif
en vue d’une meilleure prise en compte des exigences de l’égalité ;
- à la fin du XXème
siècle et à l’aube du XXIème enfin, nous vivons une troisième
période qu’illustrent parfaitement les nouvelles armes du juge ; celle
d’un pouvoir judiciaire qui s’affirme par rapport aux deux autres, ce qui
suppose une meilleure conception du rapport du juge à la règle, un instrument,
en l’occurrence la Convention, avec sa supériorité normative et ses concepts
élastiques, dont celui de procès équitable. Ainsi, se concrétise l’opinion
d’Adrien Duport, l’un des rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen, et notamment de son article 8, qui affirmait en 1789, que « la justice, l’humanité et la
politique ne sont qu’une même chose [149]
». Le juge s’est affirmé comme
le gardien[150], à
l’encontre des deux autres pouvoirs, des valeurs de liberté et d’égalité, au
point de devenir parfois celui qui entend contrôler la fidélité aux valeurs
démocratiques de base, des finalités concrètes de l’action sociale de
l’exécutif et du législatif[151].
Cette
troisième étape est « l’indice d’un mouvement qui s’amorce et qui
constitue un moment privilégié pour redessiner le rôle du droit dans une
démocratie »[152].
La référence à un patrimoine démocratique commun apparaît à la lecture de nombre
de vos jugements et des cas d’espèces dont vous nous avez parlé aujourd’hui,
puisque la propagation des droits fondamentaux sous l’impulsion décisive de la
Convention EDH a considérablement modifié votre travail : la règle que le
juge national est le premier à contrôler la conformité des situations
juridiques qui lui sont soumises aux principes énoncés par la Convention EDH a
bouleversé la hiérarchie des normes, puisque le juge national peut écarter une
loi pour non-conformité à cette Convention. Et comme les juges des autres états membres du Conseil de l’Europe
ont aussi ce pouvoir, vous construisez ensemble un socle commun. Vous êtes avec
eux les bâtisseurs de ce que j’ai appelé dans le précis de Droit processuel, dès
janvier 2001, un « droit commun et un droit comparé du procès » et
qui va bien au-delà des règles procédurales pour atteindre le droit substantiel
que vous êtes conduit à connaître et à appliquer.
Je
suis de ceux qui ne craignent pas cette évolution qui nous entraîne très loin
de la conception révolutionnaire du juge simple bouche de la loi, même si je ne
suis pas naïf et si je pense qu’une réflexion doit être engagée sur les limites
à l’immixtion du juge dans le contrôle du respect des valeurs démocratiques de
base par ceux (pouvoirs législatif et exécutif) qui déterminent les finalités
concrètes de l’action sociale. Une affaire récente relative au mandat européen
appliqué à une Française extradée vers l’Espagne, a illustré le choc des
cultures en ce domaine sensible, le politique ayant perdu son pouvoir de
contrôler les extraditions fondées sur cette nouvelle institution.
Je
ne crains pas cette évolution pour une autre raison : je crois, avec
Pierre Rosanvallon, que le contrôle de l’action des autres pouvoirs par
l’autorité judiciaire, leur redonne, singulièrement au pouvoir exécutif, une
« légitimité démocratique »[153]
qu’ils ont parfois perdue. Tout pouvoir ne peut être « considéré comme pleinement démocratique
que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois
concurrentes et complémentaires de l’expression majoritaire »[154].
Ainsi
mis en perspective, l’office du juge se dessine mieux. Il est au cœur de notre
devise républicaine :
-
Liberté,
parce qu’il assure la police des libertés fondamentales : et c’est le juge
Jupiter de l’état
gendarme dégagé par François Ost[155] ;
-
Égalité,
parce qu’il assure la promotion de l’égalité entre tous les justiciables :
et c’est le juge Hercule de l’état
providence, dégagé par le même auteur ;
-
et
fraternité, ce mot ancien pour désigner la solidarité de la Révolution de 1848,
parce que le juge peut jouer le rôle de conciliateur, de modérateur et donner
au combat mortel entre la liberté et l’égalité l’apaisement dont toute société
a besoin. C’est le juge Hermès de l’état
solidaire. Sous ce regard, je rejoins Horatia Muir Watt qui nous a montré ce
matin la place nouvelle de la dignité (article 8 de la Convention EDH) ;
de l’altérité, du respect de l’autre dans l’office du juge ; j’y vois le
prolongement de la solidarité de 1848, de la fraternité de notre devise
républicaine.
Et ce
n’est pas un hasard, si la Cour européenne des droits de l’homme voit dans la
prééminence du droit le fondement d’une société démocratique, un élément de
l’ordre public européen dont le respect est confié aux juges. Dès le 6
septembre 1978, la Cour relevait que « la prééminence du droit implique,
entre autres, qu’une ingérence de l’exécutif dans les droits d’un individu soit
soumise à un contrôle efficace que doit normalement assurer, au moins en
dernier ressort, le pouvoir judiciaire, car il offre les meilleures garanties
d’indépendance, d’impartialité et de procédure régulière ».
Face à cet objectif d’une justice
porteuse de sens, d’un office du juge renouvelé dans son principe, le service
de la Justice ne peut être modernisé et vivre que dans le respect de valeurs et
de principes qui fondent l’état
de droit, tels que l’égalité devant la loi et l’accès effectif à un juge, y
compris et surtout pour les plus démunis. C’est alors dans la gestion
quotidienne de votre activité que votre office doit aussi se renouveler.
ii – un juge decideur, au cœur
de la création de la norme
Il ne s’agit pas ici de la vision
d’un juge manager, gestionnaire de flux contentieux pour l’ensemble de la
juridiction, au sens de la préoccupation commune à tous les chefs de
juridiction, qui s’inquiètent, légitimement, de l’écoulement rapide des
contentieux qui vous sont soumis, mais de la manière dont vous allez pouvoir
remplir votre office de contrôle du respect des valeurs démocratiques de base
par les autres pouvoirs.
Cette vision s’articule autour de
deux aspects : pour créer la norme, le juge doit penser globalement, mais
agir localement (A) ; il doit aussi s’appuyer sur une équipe (B).
A) un juge qui pense
globalement et qui agit localement
a) En termes de radiodiffusion, vous
êtes d’abord récepteur de normes. Normes
nationales, mais surtout – pour ce qui vous inquiète - normes internationales,
voire de droits étrangers, lorsque vous êtes conduits à appliquer un autre
système juridique. Sous ce regard, vous êtes vous-même le monde dans la
réception de ces normes !
Mais être récepteur de normes ne
signifie nullement subir les influences étrangères et européennes sans marge de
manœuvre, sans possibilité de les interpréter, voire de les contester. Ne soyez
pas passifs dans cette réception ; là encore n’ayez pas peur, ne la
subissez pas, prenez-la à votre compte, interprétez-la, contestez-la s’il le
faut, comparez-la avec les interprétations des juges des autres pays, spécialement
avec ceux des autres états
membres de l’Union européenne.
L’idée de solidarité réapparaît ici,
mais cette fois dans vos échanges avec les juges de votre tribunal et avec ceux
des autres états : la
mutualisation des compétences me semble essentielle dans ce nouvel office du
juge ; elle favorise la réflexion, la prise de décision et la transmission
des savoirs à ceux qui vous rejoignent au sein de du TGI de Paris. Votre action
s’inscrit dans un système de « coproduction organisé en réseaux »
pour reprendre l’expression d’Horatia Muir Watt, et non plus seulement dans un
système de coopération.
À cet égard, la création d’espaces
dématérialisés d’échanges entre juges des différentes chambres civiles, pour
mettre en commun la jurisprudence, les outils d’aide à la décision et les
articles de doctrine, est une initiative qu’il faut saluer et développer.
Et dans cette activité, vous devez
d’abord « pensez global », comme nous y invitait Jacques Ellul dans la première partie d’une
phrase qui fut reprise, quelques années plus tard par l’association ATTAC pour
en faire son slogan.
b) À ce titre, vous deviendrez aussi
émetteur de normes, acteur de la mondialisation, car vous avez un dossier personnalisé
à régler. Il vous faudra alors « agir localement », pour reprendre la
seconde partie de la phrase de Jacques Ellul
et du slogan d’Attac. Vous êtes alors créateur de droit, émetteur de
normes et vous n’avez pas de complexe d’infériorité à avoir. Vous en avez tous
ici la capacité, par la force de vos convictions, par votre compétence, par la
nature des contentieux qui vous sont attribués, par la mission qui vous est
confiée dans une vision renouvelée de votre office. Certes, la tâche sera
difficile, mais qu’il s’agisse du droit européen des brevets ou des instruments
internationaux de protection des droits de l’homme, pour ne prendre que ces
deux exemples qui semblent à l’opposé dans l’exercice de vos fonctions, vous
avez un rôle à jouer, d’émetteur de droit, à partir de votre écoute du monde ;
parce qu’il est global ce droit doit être le fruit de votre réflexion et de vos
décisions : il n’est plus imposé par le haut.
- Dans le premier
cas, celui des brevets, vous êtes devenu un juge transnational au carrefour des
règles européennes et de leur application par vos collègues étrangers traitant
des mêmes questions ; votre fonction régulatrice prend une dimension
transfrontière pour reprendre la terminologie des directives européennes ;
ce n’est pas un hasard si la Commission qui porte mon nom a voulu donner au TGI
de Paris et, par voie de conséquence à sa cour d’appel, l’exclusivité de ce
contentieux ; c’est qu’en arrière-pensée, au-delà de l’idée que ce
contentieux est suffisamment technique pour justifier une compétence unique,
nous voulions faire du TGI de Paris, le phare susceptible d’attirer la Cour
européenne des brevets, ce qui a été le cas et permettez-moi d’en être fier.
- Dans le second
cas, celui des instruments internationaux de protection des droits de l’homme
dont vous êtes le garant, votre pouvoir créateur n’est pas moindre. On l’a bien
vu à propos de la garde à vue, à partir de la jurisprudence européenne,
constitutionnelle et de la chambre criminelle, vous avez construit, en tout cas
aidé à construire, un système plus conforme à l’idée qu’on se fait aujourd’hui
de la place respective du juge des libertés et du Parquet dans cette phase
cruciale du procès pénal ; et cette construction, sur ce point précis,
n’est pas terminée. Ce pouvoir créateur se prolonge dans la possibilité offerte
aujourd’hui d’interroger le Conseil constitutionnel, ce que vous ne manquez pas
de faire, selon les exemples que vous avez cités. C’est votre fonction
protectrice et constitutionnelle.
Là encore, vous êtes vous-même créateur
de normes, vous êtes le monde.
Un TGI proche du votre, celui de
Nanterre, vient d’en donner un exemple éloquent, le 14 novembre 2012. C’est un cas très particulier qu’a eu à
connaître cette juridiction dans une hypothèse où, du fait du choix fait par le
Parquet de diligenter une enquête préliminaire au lieu d’ouvrir une
instruction, puis, après quatre ans d’enquête, de citer directement devant le
tribunal les personnes visées par l’enquête, celles-ci se plaignaient d’avoir
été privées des droits de la défense dont elles auraient pu bénéficier si une
instruction avait été ouverte ; selon elles, il y avait rupture de
l’égalité des armes. La chambre criminelle de la cour de cassation jugeant de
manière constante que le choix du Parquet est discrétionnaire, le tribunal se
garde bien de critiquer frontalement ce choix, mais affirme, au visa des
principes directeurs de l’article préliminaire, CPP et de l’article 6,
Convention EDH, qu’il ne saurait y avoir, pour une même personne dans une même
situation, ni dissymétrie de traitement, ni de droits de la défense à géométrie
variable, selon le cadre procédural choisi et annule toute la procédure, après
avoir précisé que le Parquet n’avait pas assuré de manière effective la
protection du droit des dites personnes à bénéficier d’un procès équitable dans
la phase de jugement (accès au dossier et droit de citer des témoins)[156].
Je suis bien certain que vous saurez
être aussi audacieux que les juges de cette juridiction, comme l’avaient été
ceux de Limoges dans les premières affaires où furent écartées des lois de
validation pour non-conformité à la Convention EDH[157].
B) un juge qui décide au sein
d’une équipe
L’œuvre
du juge, tout individuelle qu’elle puisse être dans les choix qu’il opère, ne
peut plus être une œuvre solitaire ; elle est l’aboutissement d’un
processus d’élaboration de la décision mené en partenariat étroit avec les auxiliaires
de justice et les greffiers. Chacun doit être prêt à s’inscrire dans une
démarche d’évolution de ses missions, de son rôle et de ses pratiques.
a) Je voudrais souligner ici, spécialement pour
ceux qui n’ont vu dans le rapport de la commission qui porte mon nom, qu’un
énoncé de mesures de déjudiciarisation et de barêmes, alors qu’au contraire on
a cherché à en limiter le domaine et à en restreindre la portée sans recevoir
d’ordres ni même « d’amicales » consignes de la Chancellerie ou de
Matignon ou de l’élysée, que les
deux premiers aspects que je viens d’indiquer, les deux offices du juge,
forment l’ossature du rapport, le fil conducteur qu’une lecture attentive
permet de découvrir à la fois dans l’introduction dont je revendique la
paternité et dans le Titre 3 de la première partie, entièrement consacré au
juge décideur au cœur d’une équipe et dont l’esprit revient largement à Madame
Simone Gaboriau, à la fois à titre personnel et au nom du Syndicat de la
magistrature. Ce n’est donc pas une pensée néo-libérale qui l’a inspiré[158],
mais l’idée qu’il fallait donner du sens à l’intervention du juge en mettant le
justiciable au centre et les juges au cœur de la Justice, rejoignant ainsi Jean
Rivero qui, dans son célèbre article « Le Huron au Palais-Royal »[159],
écrivait, il y a cinquante et un an : « nous autres, bons sauvages,
nous sommes des esprits simples, nous pensons que la justice est faite pour le
justiciable et que sa valeur se mesure en termes de vie quotidienne. Ce n’est
pas le développement du droit qui nous intéresse, c’est la protection efficace
qu’en tire le particulier ». Même si je ne partage pas cette dernière
affirmation, car « la protection efficace » du particulier est
compatible avec le « développement du droit », il reste que la place du
citoyen est d’être au centre de l’activité du juge et que la place du juge est
d’être au cœur de l’activité judiciaire.
Nombre
des personnes auditionnées en 2008 par la commission Guinchard ont fait
observer que le juge ne doit pas être un juge isolé, même s’il siège à juge
unique. Il a besoin d’une équipe autour de lui, qu’il anime et dirige, qui le
conseille et l’aide dans ses travaux, notamment de recherche, voire de contact
avec les parties, en amont du procès pour essayer de trouver une solution amiable,
par la conciliation ou la médiation ou encore la procédure participative que la
commission avait proposé de mettre en place. C’est le lien qui réunit entre
elles plusieurs propositions disparates : les juges de proximité rattachés
au président du TGI, dans son équipe en quelque sorte, avec une redéfinition de
leurs fonctions en matière civile ; le pôle pénal en faisant des tribunaux
de police des chambres des tribunaux correctionnels ; la création
d’équipes de médiateurs au sein de la juridiction avec des listes de médiateurs
agréés et l’obligation de la médiation en matière familiale, au moins pour les
actions post-divorces ou séparations ; le recrutement, comme magistrats
associés et au niveau des cours d’appel, des professeurs et maîtres de conférences
en droit, selon un statut à définir, mais dans des conditions symétriques et
dans l’esprit du recrutement des magistrats comme professeurs ou maîtres de
conférences associés dans les Facultés de droit. L’idée a été reprise par le
Barreau de Paris, mais au profit des avocats qui deviendraient
« magistrats associés ».
b) Il est possible d’aller plus loin. En vous écoutant
souligner vos difficultés à connaître la loi étrangère, voire les dernières
évolutions des jurisprudences européennes, j’en viens à penser qu’il est temps
d’envisager la création de l’équivalent allemand des Max Planck Institute. La
tâche, immense, est à la hauteur des difficultés que vous rencontrez et cet
Institut français devrait sans doute être unique pour tout le territoire
national, voire être commun aux pays francophones, je pense à la Belgique, au
Luxembourg et à la Suisse. Il pourrait aussi être le moteur d’une coproduction du
droit par le juge.
Par votre vision
du monde, par votre rôle créateur de normes, vous exercez une fonction
politique ; encore faut-il réussir à articuler correctement vos deux
offices de visionnaire et de décideur, car, dans l’exercice de vos fonctions,
vous répondez à une attente précise dans un dossier à vous soumis, selon une
certaine procédure. À ce titre, il faut être l’acteur d’un nouveau modèle
procédural, lui-même fondement d’une nouvelle démocratie
iii – un juge, acteur de la
construction d’un nouveau modèle procédural et d’une nouvelle démocratie
Ce qui m’a frappé dans
les mots et les concepts qui émergent dans les rapports de vos quatre groupes
de travail, c’est de retrouver ceux que j’utilise depuis 15 ans maintenant pour
faire émerger la notion de principes structurants de l’instance (A) et la
notion de démocratie procédurale (B) : ce sont ceux d’écoute, de dialogue,
de loyauté, de proximité et de célérité, le groupe n° 2 allant même jusqu’à
utiliser les cinq dans le même rapport, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il
s’est plus particulièrement intéressé aux procédures elles-mêmes, qu’elles soient
civiles ou pénales. Ce concept de démocratie procédurale que nous défendons
depuis 1999 trouve un écho dans celui de légitimité démocratique que l’on
trouve développé dans un ouvrage de Pierre Rosanvallon édité en 2008[160]
(C).
A)
l’émergence de principes structurants de l’instance
Ce n’est sans doute pas
un hasard si ces notions rejoignent les trois principes structurants qui se
profilent derrière les principes directeurs actuellement retenus dans chaque
type de contentieux, principes qui correspondent à des besoins nouveaux, tels
que les expriment les justiciables et les citoyens :
–
un besoin de confiance dans l’institution Justice et de respect de l’Autre,
d’où un principe (structurant) de loyauté, notamment dans la recherche de la
preuve ;
–
un besoin d’écoute de l’Autre, qu’il s’agisse des parties ou du juge, voire de
tiers, d’où un principe (structurant) de dialogue entre les parties et entre
celles-ci et le juge ; votre groupe 2 l’a particulièrement mis en exergue
dans la conduite de l’instruction des affaires et même dans l’élaboration du
jugement.
–
un besoin de proximité enfin, mais pas forcément dans l’espace, le temps mis à
parcourir une distance se substituant à la proximité géographique, d’où un
principe, lui aussi structurant, de célérité.
Ce
sont les principes directeurs de demain, des principes émergents, ce qui
signifie qu’ils ne sont pas encore acceptés par tous. Ils structurent
l’ensemble des contentieux[161]
et il faut les « inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de
justice[162] ».
Ils traduisent l’avènement d’une démocratie procédurale[163].
B)
l’émergence d’une démocratie procédurale
Avec
l’émergence de ces trois principes structurants, je discerne la confirmation de
l’opinion émise dès 1999[164] :
nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de
pure technique, non point parce que celles-ci seraient devenues inutiles, mais
parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la mondialisation (qui
induit une attraction de la procédure à la garantie des droits fondamentaux) et
à la lumière d’une modélisation du droit du procès.
De
simple technique d’organisation du procès (comme la société anonyme est une
technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres), ainsi que nous
l’avions souligné dans le Précis de Procédure civile, dès 1991[165],
la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la
démocratie dans notre pays[166],
mesure que la Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[167].
Et plus les exigences de gestion des flux, plus les garanties s’étoffent et
prennent de l’importance.
La
procédure réintègre ainsi pleinement le champ du service public de la Justice
et une certaine doctrine n’ignore plus ce phénomène, même si une autre continue
de se perdre dans les marécages des approches de pure technique juridique et de
la comparaison des trois grands types de procédure, administrative, civile et
pénale, alors que tout autour de nous le monde bouge et vous pousse à réfléchir
sur votre office au XXIème siècle. On est loin de la stricte application par le
juge du formalisme procédural et de son annotation par la doctrine, alors que
la communication électronique bouleverse nos habitudes et que le rôle de la
doctrine est de dégager des principes qui transcendent ces aspects purement
formels. La doctrine et vous juges du TGI de Paris, participez désormais à
l’avènement de la garantie des droits, à l’instauration d’une démocratie
procédurale. Il vous reste à vous juges, à la fois inspirateur et collaborateur
de cette doctrine, à la conforter dans sa vision, autrefois prémonitoire,
aujourd’hui communément admise ou presque, d’un droit processuel humaniste.
c) démocratie procédurale et « légitimité
démocratique » de pierre rosanvallon
a) Dans le deuxième volet de son enquête sur les
mutations de la démocratie au XXIème siècle, La légitimité démocratique –
Impartialité, réflexivité, proximité,
Pierre Rosanvallon propose une histoire et une théorie de cette
« révolution de la légitimité »[168].
L’idée est ainsi exposée dans la présentation de l’ouvrage : « l’élection
ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni
qu’il y reste. Le verdict des urnes ne peut donc être le seul étalon de la
légitimité. Les citoyens en ont de plus en plus fortement conscience. Une
appréhension élargie de l’idée de volonté générale s’est ainsi imposée. Un
pouvoir n’est désormais considéré comme pleinement démocratique que s’il est
soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et
complémentaires de l’expression majoritaire ».
b) Comparée à l’idée de démocratie procédurale, on voit
aisément ce qui rapproche les deux théories. De la même façon que la démocratie
procédurale repose sur le triptyque des trois principes structurants du droit
processuel que sont la confiance (d’où la loyauté), le dialogue (d’où la
contradiction) et la proximité (d’où la célérité), un pouvoir démocratique « doit
se plier à un triple impératif de mise à distance des positions partisanes et
des intérêts particuliers (légitimité d’impartialité), de prise en compte des
expressions plurielles du bien commun (légitimité de réflexivité) et de
reconnaissance de toutes les singularités (légitimité de proximité) ». Quelques
rapprochements s’imposent, à ces trois niveaux de l’analyse pour souligner la
place que prend le droit processuel (au sens où nous l’entendons) dans la
recherche de la légitimité d’un pouvoir démocratique.
1) S’agissant de
la « légitimité d’impartialité », l’exigence est éminemment
processuelle dans son affirmation et procédurale dans sa mise en œuvre. Pierre
Rosanvallon reprend la distinction, classique chez les juristes, de
l’indépendance qui est un statut et de l’impartialité qui est, pour lui
« une qualité » (p. 150-151), pour nous « une vertu »[169].
Et ce sont les autorités administratives indépendantes qui sont l’objet de la
démonstration du savant auteur (p. 139 et s.) à la recherche de ce qui
caractérise leur légitimité, puisque, par hypothèse, elles ne sont pas élues.
Le choix de cet exemple est particulièrement révélateur puisque ce sont ces
autorités qui ont posé le plus de problèmes en jurisprudence quant à leur
impartialité[170] !
Notre rapprochement trouve ici toute sa justification.
2) S’agissant de
la « légitimité de réflexivité », le rapprochement est moins évident
au premier abord, puisque nous insistons sur le dialogue et Pierre Rosanvallon
sur « la prise en compte des expressions plurielles du bien commun ».
Pourtant, on ne peut manquer d’être frappé par l’exigence de dialogue avec le
législateur que sous-tend l’analyse à laquelle procède Pierre Rosanvallon, de
l’intervention des cours constitutionnelles dans l’élaboration de la loi (cf.
p. 217 et s.) ; or, ce dialogue est particulièrement mis en évidence
aujourd’hui en France avec l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité
et Guillaume Drago l’avait déjà relevé dans sa thèse[171]
en parlant d’une coproduction de la loi par le Parlement et le Conseil
constitutionnel dans le contrôle de constitutionnalité a priori.
3) Enfin, en ce
qui concerne la « légitimité de proximité », il est très intéressant
de rapprocher cette exigence dans la démocratie procédurale telle que nous la
voyons, de ce qu’écrit Pierre Rosanvallon (pages 265 et s.) à propos de la
légitimité d’un pouvoir démocratique. Ainsi, page 269 et s., l’auteur montre
que selon les travaux de Tom Tyler la légitimité des agents publics est
fonction des qualités de « justice procédurale » attachées à leur
comportement. En d’autres termes et selon une « grande étude menée en 1984
à Chicago auprès d’individus ayant eu personnellement maille à partir avec la
police et la justice », il résulte que « ces individus ont un regard
sur l’institution qui n’est que faiblement corrélé avec la nature des
sanctions qui leur avaient été infligées. Si la satisfaction des individus
dépendait évidemment, au premier chef,
du verdict prononcé, leur appréciation de la légitimité de l’institution
judiciaire était, elle, fondée sur un autre critère : celui de la
perception de l’équité du procès ». L’équité de la procédure légitime le
fond d’une sentence.
Ainsi, dans toutes
ses composantes, la justice procédurale est au service de la démocratie et le
droit processuel européen, voire universel, est le marqueur qui, tout à la
fois, structure la démocratie procédurale et légitime le pouvoir démocratique.
En guise de conclusion
Vous êtes, par l’exercice
de vos trois fonctions régaliennes, des régulateurs de flux, c’est-à-dire des
gestionnaires de contentieux, mais aussi les protecteurs de ceux qui actionnent
le devoir de protection juridictionnelle que l’état doit à chaque citoyen et les gardiens des libertés
fondamentales.
Devenez dès à
présent, des visionnaires du monde de demain que vous construisez, à « l’écoute
de ce monde » qui fut le thème central de vos travaux et dont vous ne
devez pas avoir peur.
Soyez les acteurs
d’une nouvelle démocratie, à base de procédure parce que celle-ci porte en elle
les idées de confiance qui fonde la loyauté, d’écoute de l’Autre qui implique
le dialogue contradictoire et la proximité dans la célérité de vos jugements.
VII- L’avenir du juge
Article publié en 2001
(mélanges
offerts à Pierre Catala)
L’avenir du juge ? Quel avenir
et quel juge ? Cette contribution constitue en réalité le troisième volet
d’un triptyque commencé avec l’avenir du droit à la Cour de cassation[172]
et poursuivi avec l’avenir de la procédure à l’aube du troisième millénaire[173].
Les deux composantes du procès ayant été dégagées, en substance et en
procédure, il restait à en étudier le point commun, le rôle de celui qui en
constitue le lien, c’est à dire le juge. Etude placée sous l’angle de son
avenir, puisque c’est quasiment une obligation en ce début de siècle et de millénaire,
de s’interroger sur cet avenir. A cet égard nous orienterons nos observations
autour de trois propositions : l’avenir du juge passe par un juge qui
connaît le droit (I), parce que sa fonction essentielle est de le dire (II) et,
parfois, de le dépasser (III).
i. un juge qui connaît le
droit
Il
peut paraître évident et banal que d’affirmer cette exigence d’une bonne
connaissance du droit, chez nos juges. C’est sans doute une ardente obligation,
pour reprendre ici la célèbre expression sur le rôle du plan dans l’économie
française. Et pourtant ! Il a fallu que le Conseil constitutionnel s’en
préoccupe pour que cette exigence devienne une réalité, sorte de l’ombre pour
parvenir à une lumineuse obligation, tant dans le recrutement des juges (A) que
dans leur formation permanente (B).
a) La connaissance initiale du droit
C’est tout le problème du
recrutement, tant par la voie des concours exceptionnels (a) que par celle du
concours étudiant (b).
a) L’exigence
constitutionnelle de la connaissance du droit dans le recrutement par concours
exceptionnel
La loi organique n° 98-105 du 24 février
1998 a autorisé le gouvernement à ouvrir des concours de recrutement, à hauteur
de deux fois cent magistrats, avec une répartition quantifiée selon le niveau
d’intégration directe dans le corps. Après une très courte période de formation
à l’ENM, dont l’issue ne remet pas en cause leur intégration directe dans le
corps, dès leur réussite au concours, ces personnes sont nommées magistrats.
C’est la première fois que cette possibilité est offerte au niveau des cours
d’appel, d’où sans doute un regard particulier du Conseil constitutionnel sur
ce mode de recrutement[174].
Le Conseil a d’abord précisé les
conditions générales de ces recrutements latéraux en considérant que ces
recrutements devaient respecter l’article 6 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, ce qui suppose : « en premier lieu, qu’il ne soit tenu compte que des capacités,
des vertus et des talents ; en second lieu, que les capacités, vertus et
talents ainsi pris en compte, soient en relation avec les fonctions des
magistrats et garantissent l’égalité des citoyens devant la justice ».
Surtout, pour ce qui nous intéresse
ici, les capacités et vertus vont se traduire par une exigence particulière de
connaissance du droit. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa grande
sagesse, a émis des réserves d’interprétation, en constatant que la loi à lui
déférée ne permet pas de s’assurer de la qualification juridique des candidats.
Il exige donc que « les mesures
d’application de la loi prévoient des épreuves de concours de nature à
permettre de vérifier les connaissances juridiques des intéressés ».
On ne peut qu’être satisfait de voir le droit et la connaissance reconnus comme
critère fondamental de la base d’un recrutement d’un magistrat.
Enfin, pour le recrutement direct
des conseillers de Cours d’appel, le Conseil constitutionnel demande au pouvoir
réglementaire « sous le contrôle du
juge administratif » de « veiller,
outre le contrôle de la compétence juridique des intéressés... à ce que soient
strictement appréciées leur aptitude à juger, ce, afin de garantir, au second
degré de juridiction, la qualité des décisions rendues, l’égalité devant la
justice et le bon fonctionnement du service public de la justice ». La
qualité des recrutés est ainsi clairement reliée à la qualité du service rendu
et attendu des juges.
b) L’insuffisante
exigence de la connaissance du droit dans le concours étudiant
Curieusement, la connaissance du
droit n’est pas vraiment une condition essentielle des candidats au concours
étudiant, un peu comme si l’on recrutait des médecins d’origine juridique, sans
s’assurer de leurs connaissances médicales. C’est le système de l’abaissement
de la double barrière qui pose problème. En effet, d’une part aucune maîtrise
juridique n’est exigée pour passer le concours étudiant, puisqu’il suffit de
justifier d’une maîtrise tout court, sociologie par exemple. D’autre part, et
c’est ce qui pose problème, les étudiants sont tous soumis à quatre épreuves
écrites qui se divisent en deux catégories : deux ne sont pas spécialement
juridiques puisqu’il s’agit de l’épreuve dite de culture générale et de
l’épreuve dite de note de synthèse ; les deux autres sont au contraire
très juridiques, mais le coefficient affecté à chaque épreuve conduit à ce
résultat que les deux groupes de matières s’équilibrent à un coefficient de
huit de part et d’autre. En d’autres termes on peut être admissibles en étant
un piètre juriste, mais un bon esprit littéraire. Loin de nous l’idée que les
esprits littéraires ne sont pas de bons esprits, mais il faut bien admettre
qu’ils ne deviennent pas, par la grâce d’un concours ne comportant que deux
écrits juridiques, de bons juges. Il faudrait maintenir la possibilité de
recruter les juges parmi des non juristes de formation initiale, car la justice
a besoin d’ouverture (c’est sans doute, au final, ce qui lui manque le plus),
mais alors imposer des épreuves juridiques dont le total des coefficients
serait supérieur, ne serait-ce que d’un point au total des épreuves juridiques.
En somme, sans bouleverser l’économie actuelle du concours, ni la nature des
épreuves, en changeant simplement l’équilibre des coefficients, on pourrait
améliorer nettement la qualité de juristes de nos juges. La question est
traditionnellement posée par les directeurs d’IEJ, dans leur réunion annuelle,
sans succès.
b) la connaissance permanente du droit
Elle donne plus de satisfactions que
la formation initiale, plus exactement que les pré-requis et cela pour deux
raisons :
-
la première provient de la création d’un département de formation continue au
sein même de l’Ecole nationale de la magistrature. Parfaitement organisé, ce
département met sur pied des formations de premier ordre, de grande qualité et
couvrant les domaines les plus divers. Le lien avec le Barreau (notamment celui
de Paris, via son Institut de formation continue) et avec l’Université entretient
un réseau d’échanges et d’informations croisées fort utile en ces temps de
dispersion intellectuelle et, malheureusement, de cloisonnement des grandes
institutions. Il faut encourager ce type d’actions.
-
La seconde raison tient à l’existence d’une formation continue décentralisée au
niveau des cours d’appel qui, avec des bonheurs divers, mais toujours avec le
souci de la qualité, organise des sessions de formation permanente qui permettent
de créer des contacts entre les partenaires du monde de la justice.
Peut-on se permettre un souhait ?
Que les juges soient dotés d’un crédit de formation permanente, comme devraient
l’être aussi les professeurs d’université et les maîtres de conférences. Est-il
normal que les fonctionnaires que sont les magistrats et les professeurs du
supérieur soient obligés de prendre sur leurs deniers personnels pour s’acheter
livres, CD-Rom et s’abonner aux revues juridiques ? La qualité du service passe
aussi par l’accès de chacun à une documentation sur crédits (forfaitaires par
an) affectés à chacun.
ii. un juge qui dit le droit
Cet
aspect de la question englobe à la fois la question du statut du Parquet (A) et
celle des fonctions non juridictionnelles des juges du siège, avec le cas
particulier du juge d’instruction (B).
a) le parquet hors le juridictionnel
On s’interroge beaucoup sur le
statut du Parquet, dans ou hors le corps des magistrats, avec ou sans les juges
du siège, fonctionnaire ou magistrat. Il faut d’emblée remarquer que le
représentant du Parquet n’a pas d’activité juridictionnelle, alors que celle-ci
est le cœur de l’activité du juge ; c’est donc de la fonction exercée qu’il
faut partir pour arriver au statut. Le Parquet propose une solution juridictionnelle,
mais le dernier mot revient aux juges du siège qui seul est habilité à trancher
et à dire le droit. De plus, le Parquet est soumis au garde des Sceaux, même si
cet aspect s’estompe à l’époque contemporaine, alors que le juge n’est soumis
qu’à sa seule conscience.
L’esprit de l’exercice des fonctions
de membre du Parquet et celui des fonctions de juge du siège ne sont pas les mêmes.
Ce n’est pas le même métier. Pourquoi faut-il donc maintenir cette fiction de l’unité
d’un corps ? Comment un esprit habitué à obéir à sa hiérarchie et au
pouvoir dans l’exercice de l’action publique (et cela n’a rien de péjoratif
dans l’exercice des fonctions de parquetier) pourrait-il ensuite passer, sans
hésitation, sans état d’âme, à une fonction dont l’exercice requiert tous les
jours un esprit d’indépendance à l’égard de tous et de tous les pouvoirs ?
Certes, nous n’ignorons pas qu’une telle approche rencontre un obstacle
constitutionnel dans la mesure où le Conseil constitutionnel a jugé que « l’autorité judiciaire qui, en vertu
de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté
individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et du Parquet »[175],
mais « cette décision ne signifie
pas que les magistrats du siège et que leur intervention serait considérée comme
équivalente du point de vue des garanties apportées à la liberté individuelle »[176].
D’ailleurs, le Conseil constitutionnel lui-même a précisé la portée de cette
assimilation qui ne concerne que la qualité de gardien de la liberté individuelle,
pour en marquer les limites à propos de l’injonction pénale, dans sa décision
du 2 février 1995 et dans celle du 22 avril 1997[177].
A propos de l’injonction pénale, le Conseil a souligné que certaines des
mesures susceptibles de faire l’objet d’une injonction pénale, étant de nature
à porter atteinte à la liberté individuelle, ne peuvent intervenir à la seule
diligence d’une autorité charge de l’action publique, mais requièrent la
décision d’une autorité de jugement. Dans la décision de 1997, le Conseil
constitutionnel relève que c’est un magistrat du siège qui décide du caractère
suspensif de l’appel d’un étranger en situation irrégulière et non pas le
procureur. Au surplus, rien n’interdirait de procéder, sur ce point, à une
révision de notre Constitution, l’habitude en ayant été prise depuis les
réformes des années 1990.
b) le recentrage de l’activité des juges du
siège sur le juridictionnel
a) Le
juridictionnel, rien que le juridictionnel
C’est un thème récurrent que celui
de la dispersion des tâches de nos juges et de l’exercice de fonctions administratives,
voire juridictionnelles mais non contentieuses. Des efforts ont déjà été
accomplis pour soulager les juges du siège de tâches indues : du systèmes
d’amendes forfaitaires en matière de contraventions au code de la route, au
règlement entre compagnies d’assurances des questions de responsabilité liées à
des accidents aux conséquences purement matérielles, en passant par la
dépénalisation des émissions de chèques sans provision. La loi du 8 février
1995 a accéléré le mouvement, non pas par déjuridictionnalisation de certaines
affaires, mais par transfert de compétences du juge aux affaires familiales au greffier
du TGI. La légitimité du juge ne peut que gagner à un recentrage sur ses
activités purement juridictionnelles, sans doute parce que la banalisation du
recours au juge pour des activités très éloignées de ses fonctions de juge le
décrédibilise, sans compter que dans le domaine familial et du droit des
personnes, l’intrusion du juge dans la vie privée des Français, en l’absence de
tout contentieux, peut irriter ceux qui y sont soumis et leur donner une
mauvaise image du juge et de la justice.
On pourrait aller plus loin et, par
exemple, transférer la juridiction gracieuse à d’autres qu’aux tribunaux
puisque, dans ce cas, l’organe chargé de dire le droit, le fait en l’absence de
litige, selon la définition du code de procédure civile. Le législateur a d’ailleurs
commencé à réaliser ce transfert, en l’occurrence vers les notaires, en
disposant qu’ils peuvent recevoir, en concurrence avec le président du TGI la
déclaration des époux ou concubins qui veulent recourir à une procréation
médicalement assistée, avec intervention d’un tiers donneur (article 115-7-2, nouveau
code de procédure civile, rédaction du décret n° 95-223 du 24 février 1995). Ce
transfert de compétence pourrait être généralisé, la justice retrouvant ainsi
des « magistrats ».
b) Le problème
particulier du juge d’instruction
Le dualisme de fonctions d’investigation
et juridictionnelles sur la tête du même juge a toujours posé problème. L’exercice
quotidien de ses fonctions rapproche le juge d’instruction davantage du
policier que du juge du siège, alors qu’il appartient à ce corps. C’est un
chasseur muni d’une arme redoutable, le juridictionnel !
Une évolution semble se produire avec la
loi du 15 juin 2000, en positif et en creux par un non-dit :
- en
positif, le juge d’instruction se voit désormais privé de son pouvoir de mettre
en détention provisoire les mis en examen, pouvoir qui passe à un nouveau juge
des libertés et de la détention, juge qui aura nécessairement le grade de
président de TGI ou de vice-président. Le juge d’instruction ne peut plus que
maintenir en détention celui qu’il renvoie devant la formation de jugement. Pour
combien de temps encore ? C’est toute l’architecture du procès pénal qui
est modifiée, avec, progressivement, un juge d’instruction réduit à ses
fonctions d’investigation, de policier, d’OPJ (ce qu’il était jusqu’à la loi de
1856). Il ne restera pus, étape ultime, qu’à le replacer sous l’autorité du
parquet, comme avant la loi de 1856.
- En
creux, le lecteur averti de la loi du 15 juin 2000 aura remarqué que le nouvel
article préliminaire du code de procédure pénale (article 1er de la
loi) ne vise, en tant que principe directeur du procès pénal, que la séparation
des fonctions de poursuite et de jugement ; les autorités d’instruction ne
sont pas citées. Oubli involontaire ou souci de ménager des évolutions futures,
en faisant passer la fonction d’investigation entre les mains du Parquet et la
totalité de la fonction juridictionnelle entre celles du juge des libertés et
de la détention, juge qui est déjà bien plus que cela, puisqu’il a des
compétences en cas d’incidents au cours d’une perquisition d’un cabinet d’avocat,
par exemple.
Quant à ceux qui croient, notamment parmi
les juges d’instruction, qu’une alternance politique pourrait permettre un
retour au droit antérieur, ils se trompent lourdement et n’ont pas suivi
attentivement les débats parlementaires ; en effet, si les parlementaires
de droite se sont abstenus sur le vote de la loi, c’est parce qu’ils estimaient
qu’elle n’allait pas assez loin dans l’amputation des pouvoirs du juge d’instruction !
iii. un juge qui dépasse le
droit
L’avenir du juge passe aussi par un
rôle accru dans le dialogue (A) et la protection des libertés fondamentales
(B).
a) un juge qui dialogue
Il ne s’agit pas seulement ici des
procédures de conciliation et de médiation dans le cadre de l’enceinte
judiciaire, mais essentiellement de ce nouveau principe directeur que constitue
le dialogue entre le juge et les parties, comme entre les parties et que nous
avons dégagé dans d’autres écrits[178].
Sans doute s’orientera-t-on un jour
vers un renforcement de ce dialogue, au moins au niveau des Cours suprêmes et
en matière de représentation obligatoire, par la transmission du projet d’arrêt
aux parties, en tout cas à leurs avocats.
B) Un juge qui protège
Fonction traditionnelle du juge,
inscrite dans nos Tables de la loi que constitue notre Constitution (cf. l’article
66), la protection des justiciables devrait s’accentuer sous l’influence d’un
triple phénomène :
-
en premier l’attraction de la procédure, donc de la fonction du juge, à la sphère
des droits fondamentaux ; la garantie des droits et libertés fondamentaux
prend une importance considérable et le juge en est le gardien.
-
En deuxième lieu, l’apparition de l’idée que l’Etat a un devoir de protection
juridictionnelle envers les citoyens et que le juge en est l’instrument actif.
A preuve, l’élargissement de la notion de déni de justice au non-respect d’un
délai raisonnable pour juger une affaire[179].
-
En troisième lieu, la garantie des droits fondamentaux va se trouver renforcée
par la loi du 30 juin 2000 qui crée un juge administratif des référés.
Ce rôle accru supposera que l’on
réforme l’examen d’entrée en introduisant une épreuve écrite obligatoire (à la
place de l’option droit pénal/droit administratif-droit européen) portant,
comme au grand oral de l’examen d’entrée dans un Centre régional de formation
professionnelle d’avocats, sur la protection des droits et libertés
fondamentaux, à laquelle on pourrait ajouter la procédure pénale. Il n’est pas
normal que des candidats qui vont, s’ils réussissent, passer plus de la moitié
de leur vie en activité juridictionnelle répressive, ne soient pas testés sur
leur connaissance de cet aspect du droit. On rejoint le début de cette modeste
contribution, quant à la formation des juges et leur connaissance du droit.
[1] L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Doc. fr., 2008, p. 153
s.
[2] La prudence et l’autorité – Juges et procureurs du XXIème siècle.
[3] Ce que revendiquaient certains, Revue de l’APM janv.-févr. 2001, no 20,
« le jeu justice ».
[4] E. Zoller, « La pratique
de l’opinion dissidente aux États-Unis », in Mélanges Avril, Montchrestien, 2001, 609 s., spéc. p. 614.
[5] La rédaction du
texte semble n’imposer les 2 ans d’expérience professionnelle qu’à la seconde
catégorie, en complément de leur diplôme, pas aux docteurs.
[6] Sur cette problématique au niveau de la cour
de cassation : S. Guinchard, F. Ferrand et T. Moussa, « Une
chance pour la France et le droit continental : la technique de cassation,
vecteur particulièrement approprié au contrôle de proportionnalité », D. 2015, 278, en réponse à Jestaz,
Marguénaud et Jamin, « Révolution tranquille à la Cour de
cassation », D. 2014, 2061.
Sur les premiers pas de
cette jurisprudence de la Cour de cassation : F. Chenedé, « Des
dangers de l’équité au nom des droits de l’homme », D. 2014, 179 et « Contre-révolution tranquille à la Cour de
cassation ? », D. 2016,
796. A. Bénabent, « Un culte de la proportionnalité … un brin
disproportionné », D. 2016, 137
et, en réponse, J.-P. Chazal, « Raisonnement juridique (suite) :
sortir de la liturgie doctrinale », D.
2016, 417. C. Fattaccini, « L’intensité du contrôle de cassation (le
contrôle de proportionnalité par la Cour de cassation », D. 2015, 1734. H. Fulchiron, note ss
Civ. 1ère, 10 juin 2015, n° 14-20790, D. 2015,
2365. P.-Y. Gautier, « Contrôle de proportionnalité subjectif, profitant
aux situations illicites : l’anti-Daguesseau », JCP 2016, 189. P. Puig, « L’excès de proportionnalité », RTDCiv. 2016, 70. Interventions de V.
Mazeaud et de P.-Y. Gautier à un colloque de l’université de Caen, 11 mars 2016
(« 40 ans après, une nouvelle ère pour la procédure civile ? »),
le premier sur le renouvellement des fonctions de la Cour et le second sur
« La substitution, par présupposé, de la balance des intérêts au
syllogisme judiciaire », Dalloz éd., collec Thèmes et commentaires, 2016.
[7] E. Dreyer,
« La main invisible de la cour de cassation », D. 2016, 2473. F. Ferrand, JCP
2016, 1407.
[8] S. Guinchard,
F. Ferrand et T. Moussa, article précité au D.
2015, 278.
[9] S. Guinchard, « Vers une
démocratie procédurale », Justices
1999. 1 (nouvelle série), Dalloz éd. ; « Les métamorphoses de la
procédure à l’aube du IIIe millénaire », in Clefs pour le siècle, Paris 2, Dalloz,
2000.
[10] S. Guinchard, Droit processuel, op. cit., 9ème
éd. 2017, n° 131, ss l’intitulé « la convention EDH, instrument de pouvoir
du juge national », avec 2 branches (« un juge qui écarte les lois et
juge le législateur » et « un juge qui juge une juridiction
étrangère ») et une question, posée dès 2001 « vers un nouvel
équilibre des pouvoirs ? ».
[11] B. Beignier,
« Hiérarchie des normes et hiérarchie des valeurs – Les principes généraux
du droit et de la procédure civile », Mélanges
Catala, Litec 2001, 153.
[12] S. Guinchard, op. cit. Dalloz, janv. 2017, n° 6 et s.
[13] J. Habermas, Droit et morale, p. 133.
[14] H. Fulchiron,
note ss Civ. 1ère, 5 oct. 2016, n° 15-25507, « Grandeurs et
servitudes du contrôle de proportionnalité », D. 2016, 2496.
[15] Sur la
nécessité d’encadrer ce contrôle, V. Vigneau, « Libres propos d’un juge
sur le contrôle de proportionnalité », D.
2017, 123.
[16] X. Dupré de
Boulois, « Regard extérieur sur une jurisprudence en procès », JCP 2016, 562, spéc. n° 13. V. aussi, P.
Ducoulombier « L’application délicate de la jurisprudence de la Cour
EDH : le cas britannique », RDPublic
2016, 223.
[17] Au motif d'une
« ingérence » de la loi dans « le droit au respect de la vie privée et
familiale » : Civ. 1re,
4 déc. 2013, n° 12-26.066, D. 2014.
179 note F. Chénedé, 153, point de vue H. Fulchiron et 1342, obs. J.-J.
Lemouland et D. Vigneau ; AJ Fam.
2014. 124, obs. S. Thouret, et 2013. 663, point de vue F. Chénedé ; RTD civ. 2014. 88, obs. J. Hauser, et
307, obs. J.-P. Marguénaud).
[18] Civ. 1ère,
8 déc. 2016, n° 15-27201.
[19] AN, amendement n° CL166, 28 juin 2016. Il était prévu,
pour la matière civile de rédiger ainsi l’article L. 411-2-1, COJ : « Le
pourvoi en cassation n’est ouvert à l’encontre des arrêts et des jugements
rendus en dernier ressort, en matière civile, que dans l’un des cas suivants : «
1° Si le pourvoi soulève une question de principe ; « 2° S’il présente un
intérêt pour l’évolution du droit ; « 3° S’il présente un intérêt pour
l’unification de la jurisprudence ». En dehors de
ces trois cas, le pourvoi aurait pu être formé : « lorsque la
décision attaquée encourt un grief disciplinaire défini par décret en Conseil
d'État », la cour, en formation restreinte, après avis du procureur
général, pouvant alors casser la décision et renvoyer l'affaire devant les
juges du fond. En bref, il s'agissait de donner à la Cour de cassation la
liberté de choisir les pourvois dignes d'intérêt et de refuser d'examiner les
autres, sauf grief disciplinaire prévu par décret. Clairement, il s'agissat de « permettre à la Cour de cassation de
mieux assurer son rôle de cour suprême de l'ordre judiciaire »en
l'autorisant à « ne traiter que les affaires relevant véritablement de son
office de juge du seul droit aux fins de développement et d'unification de la
jurisprudence, dans les affaires posant une question de droit nouvelle ou
particulièrement délicate » (amdt précité).
Pour la matière pénale, nouvel article L. 567-1-2 : « Le pourvoi en cassation peut être formé contre les arrêts
et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de l’ordre
judiciaire en matière criminelle, correctionnelle et de police si l’affaire
soulève une question de principe, si l’évolution du droit le justifie, si
l’unification de la jurisprudence est nécessaire ou en cas de violation de la
loi. L’admission est refusée par une décision juridictionnelle si aucune des
conditions mentionnées au premier alinéa n’est remplie. Si l’une de ces
conditions est remplie, le pourvoi est jugé conformément aux dispositions du
présent titre ».
[20] Pour la
matière pénale, v. E. Dreyer, « Le filtrage des pourvois ou la
tentation pour la Cour de cassation d’agir en cour suprême », Gaz. Pal. 13 juin 2015, no 163-164,
p. 6.
[21] JCP 2016, 1407.
[22]. J. P. Marguénaud,
« L'effectivité des arrêts de la CEDH en France », in Le procès
équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, Bruylant éd., 2001,
137.
[23]. CEDH
18 janv. 1978, Irlande c/ Royaume Uni, spéc. § 158.
[24]. CEDH
28 juill. 1999, Selmouni c/ France, JCP 1999, II, 10193, note Fr. Sudre ; RSC 1999. 891, obs. Fl. Massias ; D. 2000, som. com. 31, obs. Y.
Mayaud ; RTD civ. 1999. 911, obs. Marguénaud.
[28]. G.
Cohen-Jonathan, « Quelques considérations sur l’autorité des arrêts de la
Cour EDH », in Liber Amicorum Marc-André Eissen, Bruylant 1995,
p. 39. Cl. Deffigies, H. Pauliat, V. Saint James et A. Sauviat,
« Autorité interprétative des arrêts de la Cour EDH », in J.P. Marguénaud
(dir.), Convention EDH et droit privé, L'influence de la jurisprudence de la
Cour EDH sur le droit privé français, Doc. fr. 2001, p. 11-73. N.
Fricero, « L’autorité de la chose jugée des décisions de la CEDH », Procédures
2007, étude no 21.
[29]. Sur
tous ces points qui dépassent le cadre de ce Précis, G. Cohen-Jonathan, in Mélanges P. Lambert, Bruylant,
2000, spéc. p. 129-137.
[30]. « Le
relais législatif », in J.P. Marguénaud (dir.), Convention
EDH et droit privé, L'influence de la jurisprudence de la Cour EDH sur le droit
privé français, Doc. fr. 2001, p. 171-229.
[31] Fr.
Lazaud, L’exécution par la France des arrêts de la Cour EDH, PUAM 2006,
avant-propos G. Cohen-Jonathan, préf. J. Fr. Flauss ; compte rendu
Marguénaud RTD civ. 2007. 214.
[32] CEDH, 22 juil. 2014, n° 50275/08, RDP 2015/3, p. 829, obs. F. Sudre.
[33] 25 nov. 2014, n° 64682/12, RDP 2015/3, p. 829, obs. F. Sudre.
[34] V. J.-L.
Sauron, « Le bilan d’activité de la CEDH pour 2015 : si la bataille
des chiffres est gagnée, l’acceptabilité de ses arrêts demeure fragile », Gaz. Pal. 8 mars 2016, n° 10, p. 14.
[35]. Sur
l’influence de la Convention et de la Cour EDH sur la justice française,
Colloque Institut des droits de l’homme du Barreau de Paris, 5 févr. 2007, Gaz. Pal. 12 juin 2007, Doctr. J.-Cl. Soyer,
« Justice nationale : d’une légitimité conquise à la souveraineté
perdue », Mélanges Jacques Foyer, Economica, 2007, 943. J. P.
Marguénaud, « La jurisprudence de la Cour EDH constitue-t-elle une source
nouvelle de régulation de l'éthique des magistrats ? » PU Limoges,
2001, 121. Ph. Manin, « Les effets des juridictions européennes sur
les juridictions françaises », Pouvoirs 2001/96, p. 51.
[37]. CEDH
29 nov. 1991, Vermeire c/ Belgique, § 25 ; RTDH 1994.
241, note P. Lambert. 22 févr. 1994, Vallée c/ France, § 47.
Fr. Sudre, « L'office du juge national au regard de la CEDH », Mélanges
P. Lambert, Bruylant éd.,
p. 821, spéc. p. 825.
[38]. V. E.
Lambert, Les effets des arrêts de la Cour EDH-Contribution à une approche
pluraliste du droit européen des droits de l'homme, thèse, Bruylant éd.,
1999, spéc. p. 1999 s.
[39] CEDH 7 févr.
2013, n° 16574/08, Fabris c/ France, AJDA
2013/31, 1794, chron. L. Burgogne-Larsen.
[40]. J. Boulouis,
« À propos de la fonction normative de la jurisprudence, remarques sur
l'œuvre jurisprudentielle de la CJCE », in Mélanges Waline, LGDJ,
1974, t. 1, p. 149.
[41]. J. Velu,
« Les effets des arrêts de la CEDH », in Introduire un recours à
Strasbourg, Nemesis éd., Bruxelles, 1986, p. 153 s., spéc. no 37,
p. 186. V. aussi, A. Drzemezwski, « Quelques réflexions sur
l’autorité de la chose interprétée par la Cour de Strasbourg », Mélanges J.-P. Costa, Dalloz, 2011, 243.
[42]. I. Delicostopoulos,
« Un pouvoir de « pleine juridiction » pour la Cour EDH », Harvard
Jean Monnet Working Paper, série 8/1998, spéc. p. 9 et 10 ; Rev.
hellénique des droits de l’homme 2004/23, p. 851.
[43]. J. P. Marguénaud,
« Le juge judiciaire et l'interprétation européenne », in L'interprétation de la Convention
EDH, Nemesis et Bruylant éd., 1988, spéc. p. 234.
[44]. Civ. 1re,
10 janv. 1984, Renneman, JCP 1984, II, 20210 (à propos de la procédure disciplinaire des
avocats, l'arrêt se réfère expressément à la jurisprudence Le Compte et alli
c/ Belgique du 23 juin 1981).
[47]. Soc. 13 juin 2007, RTD civ. 2007/3, 536, obs. P.
Deumier, sur lequel v. ss 131, b-1, γ (mais deux autres arrêts du même
jour, no 05-43225 et 06-43095, ne visent l’arrêt que dans les
motifs).
[48] Cass. ass. plén.
15 avr. 2011, n° 10-17049 (à propos du régime de la garde à vue), RTD civ. 2011/4, 725, obs. Marguénaud.
[49]. L.
Potvin-Solis, L'effet des jurisprudences européennes sur la jurisprudence du
Conseil d'État français, LGDJ, 1999, préface R. Abraham ; compte-rendu in
RTDH, 2000/43, p. 620.
[50]. Arrighi
de Casanova, conclusions sur avis de la section du 31 mars 1995, SARL
Auto-indiustrie Méric, RJF 1996. 326.
[51]. D. Labetoulle,
conclusions sur CE 27 oct. 1978, Debout, Rec. p. 395.,
spéc. p. 403. B. Genevois, conclusions sur CE 11 juill. 1984, Subrini,
Rec. p. 259 ; D. 1985.
150. G. Bachelier, conclusions sur CE 24 nov. 1997, Ministre de l'Economie
et des finances c/ Soc. Amibe
Inc., Dr. fisc. 1998, no 8, comm. 128,
p. 277-280, conclusions G. Bachelier ; D. 1998. 159, note G. Tixier et
A.G. Hamonic-Gaux ; RFDA 1998. 978, chron. J.
Andriantsimbazovina.
[52]. Pour
une thèse favorable à l'autorité de la chose interprétée devant le Conseil
d'État, V. J. Andriantsimbazovina, L’autorité des décisions de justice
constitutionnelles et europénnes sur le juge administratif français, LGDJ,
1998, spéc. p. 987-989.
[53]. « Dans
un monde qui change, le CE ne peut rester lui-même qu’en étant en
mouvement », JCP 2006,
éd. A, 1242 (Et maintenant que faire ?) ; Interview AJDA 2007.
556.
[54]. Sur
un message optimiste et d’espoir, V. les déclarations de J.P. Costa,
Président de la Cour EDH, AJDA 2007. 60 « Le Conseil d’Etat a
presque complètement intégré la jurisprudence de la Cour EDH ».
L’évolution postérieure lui a donné raison.
[55]. P.
Cassia, AJDA 2007, Tribune,
p. 497. L. Sermet et J. Andriantsimbazovina, RFDA 2007/5, p. 1049.
[56]. Les
Annonces de la Seine, 15 févr. 2010.
[57]. TGI
Montpellier, 2 mai 2000, RTD civ.
2000. 930, obs. Marguénaud ; Dr. fam. 2000, no 99, obs. A.
Gouttenoire-Cornut. – TGI Brive, 30 juin 2000, D. 2000.
IR. 13 ; RTD civ. 2000. 815, obs. (réservées) Hauser ;
930, obs. Marguénaud (à propos des droits de l'enfant adultérin).
[58]. V. On
trouve de nombreuses monographies sur l'influence de la CEDH : – Sur
le juge judiciaire français : Burgel et Lalardrie,
« L'application de la CEDH par le juge judiciaire français », Mélanges
Pettiti, Bruylant, 1998, 145. – C. Delicostopoulos, L’encadrement
processuel des autorités de marché en droits français et communautaire,
LGDJ, 2002, coll. Biblio. dr. privé, t. 364, préface S. Guinchard. – I.
Delicostopoulos, Le procès civil à l'épreuve du droit processuel européen,
LGDJ, coll. Biblio. dr. privé, t. 401, 2003, (préface S. Guinchard). – F.
Ferrand, « La CEDH et la Cour de cassation française », RIDComp.,
1995, 691. – A. Gouron Mazel, « La Cour de cassation et la CEDH », JCP 1998, I, 3937. – R. de Gouttes,
« La Convention EDH et le juge français », RID Comp. 1999, 7.
– S. Guinchard, communication préc. au colloque du Sénat, 3 mai 1999, Rev.
Europe, oct. 1999, no HS, p. 15 ; V. aussi
les trois articles précités, AJDA, no spécial, juill./août
1998, p. 191 ; Mélanges Farjat, 1999, p. 139 et Mélanges
Terré, 1999, p. 761. – Fr. Lebur, « L'application de
l'article 6, § 1, par le juge français », in Le procès
équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, colloque Bordeaux,
29-30 sept. 2000, Bruylant éd.
2001, 131. – V. Lamanda, « Le juge judiciaire, juge naturel de la
Convention EDH », Mélanges J.-P.
Costa, Dalloz, 2011, 363. - J.P. Marguénaud, « Le juge judiciaire
et l'interprétation européenne », in L'interprétation de la CEDH,
Nemesis et Bruylant éd.
1998, p. 231. – G. Rouhette, in Le NCPC, vingt ans après, Doc. fr.
1998, 285 – Fr. Sudre, « L'office du juge national au regard de la
CEDH », Mélanges P. Lambert, Bruylant éd. 2000, 821. – Sur le juge pénal : par ordre
chronologique, R. Merle, « La CEDH et la justice pénale française », D. 1981.
Chron. 227 – Doucet, « La CEDH et la jurisprudence pénale
française », RTDH 1991. 177. – R. Koering-Joulin, in Mélanges
Levasseur, Gaz. Pal. Litec
éd., 1992, p. 205 et in Les nouveaux développements du procès
équitable, Doc. fr 1998 préc. – D. Mayer, « Évolution de
l'attitude de la Chambre criminelle à l'égard de la Convention EDH », Mélanges
Levasseur, Gaz. Pal./Litec
éd., 1992, 239. – B. Boulan, « La conformité de la procédure pénale
française avec la CEDH », Mélanges Larguier, PUG, 1993, 21. – D.
Karsenty, « La garantie d'un procès équitable dans la jurisprudence
récente de la chambre criminelle », in Rapport de la Cour de
cassation pour 1995, Doc. fr. 1996, 121. – J. Pralus-Dupuy,
« L'art. 6 », RSC 1996. 723. – D. Allix, « Le droit
à un procès équitable », Justices, 1998/10, p. 19. –
J.P. Marguénaud, « La dérive de la procédure pénale française au
regard des exigences européennes », D. 2000. Chron. 249.
– S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, op. cit… – Sur le juge administratif,
L. Sermet, thèse (dacty.) Aix III, 1994. – B. Pacteau, « Le juge
administratif français et l'interprétation européenne », in
L'interprétation de la CEDH Colloque de Montpellier, 13 et 14 mars 1998,
Nemisis et Bruylant éd., 1998, p. 251. J. Andriantsimbazovina, L’autorité
des décisions de justice constitutionnelles et europénnes sur le juge
administratif français, LGDJ, 1998. J. Andriantsimbazovina et L. Sermet,
Chronique « Jurisprudence administrative et CEDH », RFDA.
[59]. CEDH
18 janv. 1978, Irlande c/ Roy. Uni, série A, no 25,
§ 239. 2 mars 1987, Mathieu-Mohin et Clerfayt, série A, no 113 ;
§ 48.
[60]. V. J.
Normand qui parle de la subsidiarité de la Convention EDH devant la Cour de
cassation, Mélanges Buffet, LPA/LGDJ éd.,
2004, 359.
[62]. G. Timsit,
« Contre la nouvelle vulgate », Mélanges Conac, Economica,
2001, 31, en réaction contre « l'idéologie dominante » selon
laquelle « la loi n'a d'autre existence que dans et par la
signification que lui confère celui qui, habilité à le faire, procède à son
interprétation ». Y. Lequette, « Des juges littéralement
irresponsables », Mélanges J. Héron, LGDJ, 2009, 309.
[63] M. Andenas et E.
Bjorge, « l’application de la Convention EDH : quel rôle pour le juge
interne ? », RID comp. 2012/2,
383.
[64]. Cass.
ch. mixte, 24 mai 1975, concl. A. Touffait, D. 1975. 497, JCP 1975,
II, 18180 bis et Gaz. Pal. 1975. 2, 470. Rev. crit. DIP 1975. 347,
note Jacques Foyer et D. Holleaux ; JDI 1975. 801, note Ruzié.
[65]. CE,
20 oct. 1989, Rec. p. 190, concl. P. Frydman ; AJDA
1989. 756, chron. Honorat et Baptiste ; 788, note D. Simon ; 824,
note B. Genevois ; JCP 1989,
II, 21371, concl. Frydman ; RFDA 1989. 1000, note L. Dubouis ;
RTD eur. 1989. 787, obs. G. Isaac ; D. 1990.
57, chron. Kovar et 135, note Sabourin ; Rev. crit. DIP 1990, concl. Frydman et note P. Lagarde.
[66]. Crim.
6 mai 1997 : Bull. no 170 ; RGDP 1998. 106, obs. Rebut. – 21 mai 1997 : Bull. no 191 ; JCP 1998, II, 10056, note
Lassalle ; RGDP 1998. 106, obs. Rebut.
[69]. Crim. 4 sept. 2001, Bull. no 170 ; JCP 2001, II, 10623, note A.
Lepage ; D. 2001. 2723. Sur les
effets de cette décision d’inconventionnalité quant à l’existence de la loi,
Paris, 23 mai 2002, D. 2003. 174,
obs. B. De Lamy.
[70]. CEDH
6 oct. 2005, Draon et Maurice c/ France, JCP 2006. 10061, note A. Zollinger ; JDI
2006-3, 1165, obs. Isabelle Moulier.
[71]. Civ. 1re,
24 janv. 2006, trois arrêts, JCP 2006. 10062, note A. Gouttenoire et St.
Porchy-Simon (avec CE 24 févr. 2006, qui adopte la même position).
[72] Civ. 1re,
4 déc. 2013, n° 12-26066, D. 2014.
153, chron. Fulchiron et 179, note Chénedé.
[73]. TGI
Paris, 25 avr. 2001, JDI 2001. 331, note I. Pingel-Lenuzza.
[74]. CEDH
25 juin 2002, D. 2002.
2171 ; JCP 2002. 1338.
[76] Civ. 1re,
9 avr. 2013, n° 11-27071, Gaz. Pal. 11
juin 2013, note N. Régis.
[77]. G. Cohen-Jonathan,
« Le droit au juge », Mélanges Jean Waline, Dalloz, 2002, 474.
[79]. G. Cohen-Jonathan,
loc. cit., Mélanges Jean Waline, op. cit., 475.
[80]. CE 24
févr. 2006, préc.
[81]. J. M.
Sauvé, « Le juge administratif et la protection des libertés et droits
fondamentaux », Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, 545.
[82]. CE 30
oct. 1998, Sarran et Levacher, RFDA 1998. 1094, chron. D.
Alland et p. 1081, arrêt et concl. C. Maugüe ; AJDA 1998.
1039, concl. C. Maugüe et note F. Raynaud et P. Fombeur ; Europe,
1999, chron. no 3, Denys Simon ; RTD civ. 1999. 232, obs. N. Molfessis ; RD publ. 1999. 919, note J. Fr. Flauss ; LPA 23 juill. 1999,
note E. Aubin.
[83]. J.-Cl.
Colliard, « Le contrôle constitutionnel et les normes
internationales », BICC 15 mars 2003. J.M. Delarue, « Le
Conseil d’État et la norme internationale », BICC 15 mars 2003.
[84]. Ass.
plén., 2 juin 2000, Fraisse : Europe, 2000, no 19
et ibid., 2000, chron. no 8, par A. Rigaux et D.
Simon ; RTD civ. 2000. 672, obs. R. Libchaber ; D. 2001. 1636, chron. Beignier
et Mouton.
[85] Déc. n°
2007-560 DC, 19 nov. 2007, § 9 sur le traité de Lisbonne.
[86]. CEDH
11 janv. 2005, Py c/ France, JCP 2005, I, 159, chron. Sudre ; JCP 2005, I, 145, chron. Boiteau ; AJDA
2005. 118, note M.C. de Monteclerc et 541, chron. Flauss ; RFDA 2006/1, 139, chron. A.
Roblot-Troizier et J.G. Sorbara.
[87]. C.
Sandras, « Les lois de validation, le procès en cours et l’article 6,
§ 1, CEDH », RTDH 2002-3, 629.
[88]. P.
Hébraud, cité par F. Pollaud-Dullian, « À propos de la sécurité
juridique », RTD civ. 2001. 487, note 36.
[89]
L. 12 avr. 1996, art. 87-I (RTD
civ. 1996. 725), pourtant reconnue conforme à la Constitution par le
Conseil constitutionnel, Déc. n° 96-375 DC, 9 avr. 1996.
[90] TGI Saintes
21 févr. 1997. : Gaz. Pal.
1997. 1482, note M. Peisse ; RTD
civ. 1998. 521, obs. Marguénaud ; D.
1999. Somm. 23, obs. M. L. Niboyet. Limoges 19 nov. 1998 : Gaz. Pal. 11 mars 1999 et doctr.
(contraire) M. Besserve. Lyon 11 sept. 1997, inédit. Dijon
28 mai 1998 : D. affaires
1998. 1436 (arrêt cassé par Civ. 1re 20 juin 2000). Contra : TGI Créteil
3 juin 1997, inédit. TGI Bordeaux 28 mai 1998, inédit. Orléans
14 mai 1998, inédit. Montpellier 27 janv. 1999 : Gaz. Pal. 11 mars 1999, som. Cours
et Tribunaux, V. Contrats et
obligations. Sur l’ensemble de la question N. Molfessis : RTD civ. 1999. 236.
[91] Civ. 1re
20 juin 2000, arrêt Épx Lecarpentier
c. SA Royal (sur Paris 25e ch. A 27 juin 1997) et
arrêts Crédit Lyonnais c. Épx Saint Adam (sur
Dijon 28 mai 1998), Bull. I, no 191 ; D. affaires 2000. 699, note
M.-L. Niboyet ; RTD civ.
2000. 670, obs. N. Molfessis, 676, obs. Rémi Libchaber et 933, obs.
Marguénaud ; RFDA 2000. 1189,
concl. J. Sainte Rose et 1201, chron. (crit.) B. Mathieu. 29 avr.
2003, Sté Entenial c. Epx Chrétien, Bull. I, no 100. Civ. 1re 9 juill. 2003, JCP 2004. II. 10016, note X. Prétot.
[92] CEDH 14 févr.
2006, Lecarpentier c. France, LPA
3 mai 2006, no 88, p. 12, note É. Garaud ; JCP 2006. I. 164, no 4,
obs. Sudre et JCP 2006. II.
10171, note M. Thioye ; RTD
civ. 2006. 261, obs. Marguénaud.
[93] CEDH 11 avr.
2006, Cabourdin c. France, JCP 2006.
I. 164, no 4, obs. Sudre. 18 avr. 2006, Vezon c. France.
[94] Limoges, 13 et
20 mars 2000, RTD civ. 2000.
436, obs. Marguénaud ; D. 2000.
IR 127 et RTD civ. 2000. 629, obs.
Perrot. Nancy a invoqué, de surcroît, l’article 2, § 3, du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques de 1966, article qui
consacre le droit à un recours juridictionnel, 15 févr. 2000, RTD civ. 2000. 436, obs. Marguénaud.
[95] Montpellier
4 mars 1999, Douai 28 mai 1999, cités par Marguénaud, RTD civ. 2000. 436.
[96] Soc. 8 juin
2000, deux arrêts, D. 2000. IR 212.
[97] Soc.
24 avr. 2001, D. 2001. 2445,
note J. Kibalo Adam et somm. 3012, obs. P. Fadeuilhe ; Dr. Soc. 2001. 589, concl. Stalislas Kehrig ; RFDA 2001. 1055 (daté par erreur
du 25) note J.Y. Frouin et B. Mathieu.
[98] Ass. plén.
24 janv. 2003, Anger c. ADPEP Loiret
(à ne pas confondre avec l’arrêt du 23 janv. 2004 de la même formation plénière,
Le Bas Noyer c. Castorama, rendu en
matière fiscale à propos d’une loi rétroactive qui n’était pas de validation,
mais plutôt interprétative, V. supra,
ce numéro, b), BICC 1er avr. 2003, avis Burgelin et rapport J.
Merlin ; D. 2003. 1648, note
S. Paricard-Pioux ; RFDA
2003. 470, obs. B. Mathieu ; Dr.
soc. 2003. 373, rapport J. Merlin et 470, note X. Prétot. V. aussi
Civ. 1re 29 avr. 2003, D.
2003. AJ 1435, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2003. 554, obs. D. Legeais.
[99] Soc.
18 mars 2003.
[100] CEDH 9 janv. 2007,
Arnolin c. France, D. 2007. 580, obs. Cortot.
[101] Soc. 13 juin 2007, no 05-45694,
RTD civ. 2007. 537, obs. P.
Deumier.
[102] Civ. 2e
8 nov. 2006, trois arrêts, Bull. II,
no 302 ; D. 2007.
877, étude M. Voxeur et Thibault Ngo Ky ; Gaz. Pal. 13 mars 2007, chron. O. Barrat.
[103] CEDH 25 nov. 2010, Lilly c. France no 2, no 20429/07.
[104]. CE 5 déc. 1997, AJDA 1998, chron. Girardot et F. Raynaud, p. 97,
arrêt p. 149 (avec les conclusions Bergéal) et p. 167 (avis) ; RGDP
1998. 242, obs. Flauss ; LPA, 15 juin 1998, note Le Gras.
[105]. CE 28
juillet 2000, AJDA 2000, 854, chron. Guyomar et Collin,
p. 796. Il résulte de cette position que le juge administratif, qui ne
peut exercer de contrôle de constitutionnalité de la loi, mais seulement un
contrôle de conventionnalité, ne pourrait écarter les effets d’une loi de
validation que dans la mesure où elle rentre dans le champ d’application de
l’article 6 de la Convention EDH ; dans une même affaire, il peut
ainsi être conduit à admettre la recevabilité du moyen pour une partie seulement
du recours, par ex. in CE 12 févr. 2004, AGE-UNEF Sc. Po et M. Slama, AJDA
2004. 679.
[106]. Intérêt
qui peut être budgétaire, CE avis, 16 févr. 2001, Syndicat des compagnies
aériennes autonomes, AJDA 2002.
341, note D. Sabourault. V. aussi, CE 11 juill. 2001, M. Préaud, AJDA
2001. 841, chron. Guyomar et Collin ; RFDA 2001. 1047, concl.
Bergéal. 12 févr. 2004, préc.
[107]. CAA
Lyon, 14 mars 2002, Procédures, 2002, obs. S. Deygas.
[108]. CE 23
juin 2004, Soc. Laboratoire Génévrier, Lebon 265 ; RFDA
2005. 995, obs. J. Andriantsimbazovina et L. Sermet.
[109]. CE 27
mai 2005, avis d’Assemblée, Provin, chron. Ph. Collière, LPA, 18
nov. 2006, no 230, p. 8.
[110]. CE
ass., 8 févr. 2007, Gardedieu, JCP 2007, II, 10045, note M. Ch. Rouault ; Europe,
2007, étude no 3, D. Simon, p. 5 ; AJDA 2007. 585, chron. Fr. Lenica et J. Boucher ; Procédures,
2007, no 98, obs. S. Deygas ; D. 2007. 1214, chron. G. Clamour. Le même arrêt retient la
responsabilité de l’État pour réparer le préjudice né de l’application d’une
loi contraire à la Convention EDH.
[111]. CE 25
avr. 2007, Ministère des transports, no 296 661. 3 sept. 2008, LPA 30 sept. 2009, no 195,
p. 3, chron. F. Perrotin. 18 nov. 2009, Procédures, 2010, no 23,
obs. S. Deygas. 19 et 26 janv. 2011, Nouveaux
cahiers du Conseil consitutionnel 2011, 202, obs. G. Drago.
[112] CE, 21 oct.
2011, n° 314767, AJDA 2011, 2521,
note Y. Depigny. 9 mai 2012 (ass. Plénière), n° 308996, Gaz. Pal. 27 sept. 2012, note O. Roumélian.
[113] CE 10 nov.
2010, no 314449 et 314580, Commune
de Palavas-les-Flots et Commune de Lattes.
[114] CAA Nantes 30
déc. 1999, AJDA 2000. 646,
concl. E. Coënt-Bochard.
[115] CAA Nancy 5 déc. 2000, CRAM Metz, Dr. adm. 2001. 70 ; AJDA 2001. 278, note P. Rouselle ; Gaz. Pal. 2 déc. 2001 (absence de motifs d’intérêt général).
CAA Lyon 14 mars 2002, Procédures
2002, no 80, obs. S. Deygas (motif suffisant dans la
validation d’un POS pour effacer un simple vice de procédure).
[116]. Civ. 1re,
16 mars 1999, RTD civ. 1999. 469, obs. Perrot ; RGDP 1999. 748, note H.
Muir Watt ; JDI 1999. 773, note A. Huet ; Gaz. Pal. 2 mars 2000, note
M.L. Niboyet ; Rev. crit. DIP 2000. 181,
chron. Droz ; RTD civ. 2000. 944, obs. J. Raynard. Et déjà, dans
la même affaire, Civ. 1re, 5 mai 1993, Bull. I, no 154.
[117]. V. Lenoble,
in La crise du juge, LGDJ et Story scientia éd. 1990.
[118]. Cité
par Pierrette Poncela, « Adrien Duport, fondateur du droit pénal
moderne », Droits, 1993, no 17.
[119]
V. notamment, parmi une littérature abondante, les interventions de Vincent
Mazeaud et de P.-Y. Gautier à un colloque de l’université de Caen, 11 mars 2016
(« 40 ans après, une nouvelle ère pour la procédure civile ? »),
le premier sur le renouvellement des fonctions de la Cour et le second sur
« La substitution, par présupposé, de la balance des intérêts au
syllogisme judiciaire », Dalloz éd., collec Thèmes et commentaires, 2016).
[120]
Sur lesquelles, v. A. Bénabent, « Un culte de la proportionnalité … un
brin disproportionné », D. 2015,
137. P.-Y. Gautier, « Contrôle de proportionnalité subjectif, profitant
aux situations illicites : l’anti-Daguesseau », JCP 2016, 189. Et déjà, F. Chenedé, « Des dangers de l’équité
au nom des droits de l’homme », D. 2014,
179.
[121]
X. Dupré de Boulois, « Regard extérieur sur une jurisprudence en
procès », JCP 2016, 562, spéc.
n° 13. V. aussi, P. Ducoulombier « L’application délicate de la
jurisprudence de la Cour EDH : le cas britannique », RDPublic 2016, 223.
[122] L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Doc. fr. août 2008.
[123]. Déc.
98-404 DC, 29 juill. 1998, Lutte contre
l’exclusion, RD publ. 1999, p. 79-80, chron. D. Rousseau ;
JCP 1999, I, 141, no 12, obs. B. Mathieu et M.
Verpeaux.
[124]. Sur cette
évolution, v. S. Guinchard, A. Varinard
et Th. Debard, Institutions juridictionnelles, Dalloz, 10ème
édition, 2009, no 78
à 84.
[125]. Déc.
86-224 DC, 23 janv. 1987, Cons. conc.,
AJDA, 1987, 315, note J. Chevalier ; RFDA, 1987, 287, note
B. Genevois et 708, note L. Favoreu et L. Philip. – Déc. confirmée par décision
89-261 DC, 28 juill. 1989, Condition
d’entrée et de séjour des étrangers en France, dite loi Joxe.
[126]. CEDH, 21
févr. 1997, Guillemin c/ France, AJDA,
1997, 399, note R. Hostiou et 985, obs. J. Fr. Flauss. 2 août 2000, Santonnet c/ France.
[127]. V. le
débat dans AJDA 2005, p. 1760 s. – Y. Aguila, « La justice
administrative, un modèle majoritaire en Europe », AJDA 2007, 290.
– M. Jorat, « Supprimer le juridiction administrative ? Deux siècles
de débat », RFDA 2008/3, p. 456.
[128] Institut Montaigne, Pour la Justice, sept. 2004, p. 11.
[129] A. Gallois, Le traitement des affaires procédurales de
très grande complexité, thèse (dacty.), Paris 1, mai 2008.
[130] S. Guinchard et J.
Buisson, Procédure pénale, 6ème
éd., Litec 2010, n° 178.
[131] C. Nourissat, Procédures, fév. 2010, Alertes/Focus, n°
6.
[132] Sur laquelle, V. S.
Guinchard et J. Buisson, Procédure
pénale, Litec, 6ème éd., 2010, n° 176.
[133] Sur cette évolution en
matière économique, V. G. Royer, L’efficience en droit pénal économique,
Étude de droit positif à la lumière de l’analyse économique du droit, LGDJ,
coll. Dr. et économie, 2009, avant-propos G. Canivet et préface Fr. Stasiak,
spéc. n° 247 s.
[134] Sur ce critère,
A. Gallois, Le traitement des affaires procédurales de
grande complexité, thèse (dactyl.), Paris I, mai 2008.
[135] Proposition n°
17 : L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 79, 80 et alii du code des
pensions.
[136] Proposition n°
13 ; L. n° 2009-526, 12 mai 2009 (in art. L. 211-3, COJ) et D. n°
2009-1221, 12 oct. In art. D. 211-11, COJ.
[137] Proposition n° 11. D.
n° 2009-1204, 9 oct. 2009.
[138] Pas de proposition de
la Commission Guinchard en ce sens. D. n° 2009-1384, 11 novembre 2009.
[139] Proposition n° 16 qui
allait plus loin que le décret en préconisant une dizaine de TGI compétents en
la matière. D. n° 2009-1384, 11 nov. 2009.
[140] L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, op. cit. , p. 263.
[141]. V.
notamment, S. Guinchard, A. Varinard et Th. Debard, op. cit., no 524-526.
[142]. CEDH, 12 avr. 2005, Whitfield c. Roy. Uni, JCP 2005, I, 159, no 10,
obs. Sudre (les gardiens et directeurs de prison,
subordonnés au ministre de l’intérieur, et qui ont successivement enquêté et
engagé les poursuites ne peuvent ensuite statuer sur la culpabilité et la peine
à infliger, en raison d’absence de toute « indépendance
structurelle »).
[143]. V. par ex.
Fr. Sarda, « Pour un juge d’instruction civil », Mélanges A. Decocq, Litec, 2004, p. 545.
[144] En ce sens aussi, G. Maugain,
La modélisation du procès civil –
Emergence d’un schéma procédural en droit interne, thèse Dijon, nov. 2010
[dir. M. Douchy-Oudot], n° 159.
[145] Sur ce point, v. S. Guinchard et alii, Droit processuel – Droits fondamentaux du procès, 6ème
éd., Dalloz, janv. 2011 n° 380 s.
[146] CE, 21 fév. 1968, D.
1968, 222.
[147]
Cf. les propositions 10 et 18 de la Commission Guinchard en juin 2008, rapport
publié à La documentation française, L’ambition
raisonnée d’une justice apaisée.
[148]
Sur laquelle, v. S. Guinchard et alii,
Droit processuel/Droits fondamentaux du
procès, 7ème éd., 2013, n° 141.
[149]. Cité par Pierrette Poncela,
« Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne », Droits,
1993, no 17.
[150] En ce sens il
est « le gardien des promesses », pour reprendre le titre du livre
d’Antoine Garapon. Les citoyens attendent de lui qu’il veille à l’application
effective des grands principes qui fondent la République et notre vie commune.
[151]
J. Lenoble, in La crise du juge, ouvrage collectif, Story Scientia et
LGDJ, 1991, p. 154. S. Guinchard, in Mélanges Farjat, éd.
Frison-Roche, 1999, p. 139, spéc. III.
[152]
A. Garapon, « La démocratie à l’épreuve de la justice », Revue
Justices 1999-1, nouvelle série, 40.
[153] P.
Rosanvallon, La légitimité démocratique, Seuil, 2008.
[154] Interview P.
Rosanvallon, Nouvel observateur 4-10 sept. 2008, p. 90.
[155] François Ost,
« Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », in P. Bouretz [dir.], La force du droit – Panorama des débats
contemporains, Esprit éd., 1991, p. 241 s.
[156]
Trib. correc. Nanterre, 14 nov. 2012, JCP
2013, doctr. 323, B. Quentin.
[157]
S. Guinchard et alii, Droit processuel/Droits fondamentaux du
procès, 7ème éd., 2013, n° 141.
[158]
Contra : A. Garapon, La raison du moindre Etat – Le
néolibéralisme et la justice, Odile Jacob éd., 2010. Contrairement à ce qui
est écrit pages 57-58, le rapport ne propose pas « de réguler les
honoraires par la mise en place d’une véritable concurrence entre
avocats », mais, tout au contraire, de contraindre les avocats - et
uniquement pour le divorce par consentement mutuel - à publier des barêmes
indicatifs et à remettre au client une convention d’honoraires ; la libre
concurrence, ce n’est pas la commission qui la demande, puisqu’elle a toujours
existé et que ce sont les auditions sur la question du divorce qui ont montré
que le vrai problème n’était pas celui de son transfert ou pas aux notaires,
mais celui de son coût (excessif) pour le justiciable. Et c’est précisément cet
encadrement (la proposition n° 25 parle « d’un divorce allégé et au coût
régulé ou tarifé »), devenu loi, qui est aujourd’hui remis en cause par
les avocats.
[159]
D. 1962, chron. 37.
[160]
Seuil éditeur, collec. Les livres du nouveau monde.
[161] S. Guinchard, « Vers une
démocratie procédurale », Justices,
nouvelle série, 1999/1, p. 91, repris in « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire »,
in Clés pour le siècle, Paris
II-Dalloz, mai 2000, pp. 1135-1211. Et aussi, « Quels principes
directeurs pour les procès de demain ? » in Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant, 2004, qui reprend et
développe l’idée émise dès la première édition de ce précis (janv. 2001). S.
Guinchard et alii, Droit processuel/Droits fondamentaux du
procès, Dalloz, 7ème éd., 2013.
[162]
Selon l’heureuse formule de J.-C. Magendie, in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, 329 :
« Loyauté, dialogue, célérité, trois principes à inscrire en lettres d’or
aux frontons des palais de justice ».
[163] Pour une illustration dans l’arrêt
Kress, 7 juin 2001, à propos de la place du commissaire du gouvernement au
Conseil d’État, S. Guinchard, « Ô Kress, où est ta victoire, ou
la difficile réception en France d’une (demie) leçon de démocratie
procédurale », Mélanges
G. Cohen-Jonathan, Bruylant éd. 2004.
[164]
Dans la défunte revue Justices,
1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges
de l’université Paris II publiés à l’occasion de l’entrée dans le
troisième millénaire, Dalloz, 2000 ; v. aussi, notre contribution précitée
aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant
éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de
demain ? »
[165]
V. aujourd’hui la 31e édition, op. cit. 2012, n° 66.
[166]
La procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une
technique de garantie des libertés et droits fondamentaux, v.
S. Guinchard, « Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps
endormie ou la procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique
ou européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant-LGDJ,
2004.
[167]
V. notre contribution aux Mélanges
Gérard Cohen-Jonathan, Buylant, 2004, à propos de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une
(demie) leçon de démocratie procédurale.
[168]
Editions du Seuil, 2008, collection Les livres du nouveau monde, dirigée par
l’auteur. Premier volet : La
Contre-démocratie, 2006.
[169]
S. Guinchard et alii, Droit processuel,
op. cit., n° 340 et s. d’une part, n° 363 et s. d’autre part.
[170]
S. Guinchard et alii, Droit processuel,
op. cit., n° 366 et 375 et s.
[171]
L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel.
[172] Mélanges Fr. Terré,
Dalloz/Ed.techniques/PUF, 1999.
[173] Vers une démocratie procédurale,
Justices, 1999, n° 1, nouvelle série. Les métamorphoses à l’aube du IIIème
millénaire, in Clefs pour le siècle, Paris 2, Dalloz éd., mai 2000.
[174] Décision 98-396 DC, 19
fév. 1998, AJDA 1998, 305, obs. Schoettl ; JCP 1998, II, 10104, note A.
Quint ; RTDCiv., 1998, 506, obs. Jamin ; RDP 1999, 78-79, obs. D.
Rousseau.
[175] Décision 11 août 1993,
RSC 1994, 675, chron. L. Favoreu ; AJDA, 1997, 819, obs. P. Wachsmann.
[176] Paul Wachsmann, AJDA,
1993, 819.
[177] Décision 97-389 DC, 22
avr. 1997, Certificats d’hébergement.
[178] Vers une démocratie
procédurale ; Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIème
millénaire, loc. cit.
[179] V. notre commentaire de
l’article L.781-1, COJ, in Mégacode comment de procédure civile, Dalloz, mai
1999, 2ème éd., mai 2001.
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