SOMMAIRE : LES JUSTICES PÉNALES
ÉTRANGÈRES REPOUSSOIRS
I – LA JUSTICE BIDON DES SOVIETS
II – LA JUSTICE RELIGIEUSE
III – LA JUSTICE SPECTACLE
I – LA JUSTICE BIDON DES SOVIETS
Justice
communiste (au pays des soviets)
L’expression
de « justice bidon » n’est pas de nous, mais d’Alexandre Soljenitsyne
dans le tome 1 de l’Archipel du Goulag, chapitre sur l’instruction[1],
dans lequel il nous montre comment le régime communiste, dès son origine, s’est
mis à fabriquer « des affaires bidon » (p. 77). Le système
reposait en fait sur une totale mystification entre des textes protecteurs des
droits des accusés et une pratique, voulue par les autorités et appliquée par
les organes d’exécution qui les foulaient aux pieds, ainsi dans l’affaire Victor
Kravchenko[2]. Que
l’on en juge par ces deux extraits de l’Archipel du Goulag :
– au titre des pratiques
de l’instruction, on se contentera des passages suivants : « Une
instruction ouverte en vertu de l’article 58 [l’article du Code pénal de
1926 qui incriminait, en quatorze paragraphes interprétés largement, toutes les
formes de crime d’État, et non pas contre l’État, aux côtés du banditisme,
V. p 51 à 57] n’a presque jamais eu pour objet la découverte de la
vérité, mais s’est toujours réduite à une opération inévitable et
nauséabonde : prendre un homme à peine arraché à la liberté, parfois fier,
toujours impréparé, le courber, le traîner à travers un étroit tuyau dont
l’armature crochue lui déchire les flancs et où il ne puisse pas respirer, de façon
qu’il demande comme une grâce de voir enfin l’autre bout » (p. 77).
Le chapitre sur l’instruction au pays des soviets commence ainsi
(p. 76) : « Si, aux intellectuels de Tchékhov qui passaient leur
temps à essayer de deviner ce qu’il adviendrait dans vingt, trente ou quarante
ans, on avait répondu que quarante ans plus tard, dans la Sainte Russie, on
torturerait les inculpés pendant l’instruction, on leur comprimerait le crâne à
l’aide d’un cercle de fer, on les plongerait dans des baignoires d’acide, on les
attacherait nus pour les livrer en pâture aux fourmis ou aux punaises, on leur
enfoncerait dans l’anus une baguette à fusil chauffée à blanc sur un réchaud,
etc. » ;
– au titre des textes,
dont il faut savoir qu’ils n’étaient pas disponibles (car demander à consulter
un code dans un tribunal populaire traduit un intérêt qui constitue un
phénomène extraordinaire, soit se préparer à commettre un crime, soit à vouloir
en effacer les traces, V. p. 96, en note), le contraste est flagrant.
On lit par exemple dans l’article 136, CPP : « Le commissaire
instructeur n’a pas le droit d’extorquer des dépositions ou des aveux de
l’accusé par la force et la menace » (p. 96). On comprend mieux
l’intérêt capital pour la mémoire de l’humanité de conserver les traces des
témoignages recueillis par Soljenitsyne ou Zinoviev[3].
II – LA JUSTICE RELIGIEUSE
Procédure
pénale et religion
Les excès auxquels peut
conduire l’intolérance. Sans approfondir ici ce qui relève
d’un manuel d’histoire du droit sur l’apparition et l’application des systèmes
accusatoire et inquisitoire, on donnera, par deux exemples, un aperçu de deux
« justices » peu conformes aux principes d’un véritable État de
droit, l’un dans le passé, avec la justice de l’Inquisition (avec un grand
« I »), l’autre encore contemporain dans certains États, la justice
islamiste, sans que ces exemples ne se confondent, dans notre esprit, avec les
religions auxquelles ils renvoient. Le fondamentalisme religieux conduit aux
pires excès s’il n’est pas désavoué par la hiérarchie de la religion en cause, ce
qui explique la similitude (mais à près de huit siècles d’écart) entre la
justice de l’Inquisition et celle de la chari’a[4].
Le philosophe Francis Kaplan note que « la
tolérance qu’implique le dialogue est tolérance au nom de la vérité, au nom du
tolérant, non du toléré » ; et de noter que, parce que « nous ne pouvons pas connaître
infailliblement ce que pense Dieu, nous ne pouvons pas être intolérant en son
nom, par procuration » ; et d’ajouter, avec Pirenne[5],
que l’intolérance entraîne une régression[6].
A) La justice de l’Inquisition
L’Inquisition de l’Église
catholique. On notera avec intérêt la mise sur pied
par le Vatican, fin octobre 1998 (début des travaux le 29 octobre),
d’un symposium international d’études scientifiques sur l’Inquisition, sous la
responsabilité de Monseigneur Etchegaray, président du comité central pour le
grand jubilé de l’an 2000. Par ailleurs, afin d’étudier le rôle effectif joué
par leurs prédécesseurs dans l’Inquisition médiévale, une série de séminaires
critiques sur l’Inquisition a été organisée par les dominicains, tous les deux
ans, jusqu’en 2008 ; cette tâche avait été confiée à l’Institut historique
dominicain de l’université Saint-Thomas-d’Aquin ; le premier s’était
achevé, à Rome, le 25 février 2002 ; réunissant des spécialistes
laïcs et religieux, il avait procédé à « un examen critique historique du
rôle joué par les dominicains dans l’Inquisition, afin de faire ensuite des
choix conséquents avec la sensibilité ecclésiale » ; réuni à huis
clos, ses travaux ont été publiés ; le deuxième a eu lieu en Espagne et au
Portugal en 2004 ; le troisième, en 2006, a porté sur l’Inquisition
romaine ; le dernier, en 2008, vérifia les faits advenus dans d’autres
contextes (cf. agence de presse du Vatican, Le monde vu de Rome,
www.zenit.org). Instituée en 1231, devenue institution permanente sous le Pape
Grégoire IX, en 1233, avec des tribunaux confiés à des dominicains et
franciscains dans les couvents et palais épiscopaux, fondée en 1478 en Espagne[7]
(avec, pour cet État, un dernier autodafé public en 1691) et progressivement
abolie de 1768 à 1832, l’Inquisition se présentait comme un tribunal d’Église
pour la répression de l’hérésie (elle sévit dans le Midi de la France contre
l’hérésie cathare et en Italie contre l’hérésie vaudoise). Malgré ses excès,
souvent dénoncés à juste titre, il faut bien voir qu’à l’origine et pour
l’époque, les tribunaux de l’Inquisition ont pu représenter un réel progrès
puisque le juge devait commencer ses travaux par une véritable enquête, avec des
garanties juridiques offertes aux personnes accusées d’hérésie. Un manuel des
inquisiteurs fut même élaboré par Nicolas Eymerih, en 1376, pour canaliser le
zèle de ceux-ci. Toutefois, même si c’est l’ensemble du système répressif de
ces temps-là qui était peu respectueux des droits de l’homme, l’Inquisition
présentait cette particularité, accablante, qu’elle jugeait des délits
d’opinion, de croyance et non pas des droits communs. Dans l’horreur de ses
excès, ce qui n’était déjà pas justifié pour des droits communs, l’était encore
moins pour des hérétiques par rapport, non pas à une loi universelle, mais à
une religion, à l’époque intolérante. Il semble bien que les tribunaux de
l’Inquisition ont développé leur propre bureaucratie, leurs propres normes, échappant
à tout contrôle. C’est sans doute cette considération qui a conduit l’Église
catholique contemporaine à prendre ses distances avec l’institution, puis à
exprimer ses regrets : distances en 1994, Sa Sainteté le Pape
Jean-Paul II, dans sa lettre apostolique sur le jubilé de l’an 2000 (alors
qu’approche le troisième millénaire) demandant aux catholiques de se préparer à
« la repentance des erreurs, des infidélités, des incohérences, des
lenteurs » et pour « des méthodes d’intolérance et même de violence dans
le service de la vérité » au cours de ces dix derniers siècles, en ayant
le courage de regarder ce passé douloureux. Regrets en juillet 1998 avec
le chapitre général des dominicains réuni à Bologne et qui « se rappelle
avec regret le rôle joué par certains de ses membres dans l’injustice de
l’Inquisition et demande à l’Ordre de s’engager dans une recherche de la
vérité, laissant à Dieu seul le jugement des personnes ». Le 15 juin
2004, le Pape autorise la publication d’un volume de 783 pages consacré à
l’Inquisition et issu des travaux du symposium de théologiens
d’octobre 1998 ; en le présentant, il condamne « le symbole du
contre-témoignage évangélique et du scandale et le consentement donné à des
méthodes d’intolérance et de violence dans le service de la Vérité »[8].
On éclairera ces relations de la religion avec la procédure pénale par la
lecture de l’ouvrage de Guy Bedouelle et Jean-Paul Costa, Les laïcités à la
française, PUF, 1998 ; le premier de ces auteurs est un père
dominicain français, professeur d’histoire à l’université de Fribourg et membre
du conseil scientifique du symposium précité d’octobre 1998 ; le
second est conseiller d’État et fut président de la Cour EDH jusqu’en
novembre 2011. V. aussi, G.-D. Guyon, Utopie religieuse et procès
pénal : l’héritage historique (ve-xve siècles), in
Arch. phil. dr., t. 39, Le procès, Sirey, 1995, p. 105. Et
aussi deux films : Capitaine de
Castille, d’Henry King, avec Tyrone Power et Jean [=Jane] Peters, 1947 (en
1518, en Espagne, arrestation d’un noble par son rival responsable de
l’Inquisition ; fuite au Mexique dans les troupes de Cortez pour y
construire un monde nouveau et …laïc !) ; L’œuvre au noir,
d’A. Delvaux, 1988, avec G. Maria, S. Frey, A. Karina et Ph.
Léotard, d’après le roman de Marguerite Yourcenar (au xvie siècle, en Flandre, un médecin,
poursuivi par l’Inquisition, se réfugie dans un couvent où, sous un faux nom,
il poursuit l’exercice de son art au profit des pauvres gens ; démasqué,
il est condamné à être brûlé par un tribunal ecclésiastique, mais il préfèrera
se donner la mort dans sa cellule).
b) La justice islamiste (et non pas islamique)[9]
Les
excès de certains États au nom de la religion. Certains États appliquent une justice, pour des
personnes accusées d’infraction relevant du droit commun, non pas
inquisitoriale mais largement accusatoire, qui ne correspond pas, pour autant,
aux principes directeurs de la procédure pénale fixés notamment par le Comité
des droits de l’homme de l’ONU ou la Cour européenne des droits de l’homme. Il
ne s’agit pas ici de faire le procès de ces États, ni d’une religion mais de
souligner les excès auxquels peut conduire une interprétation, peu respectueuse
des droits de l’homme, de textes sacrés. C’est toute la question du
fondamentalisme islamique et de la Charia. À la jeune collègue qui, au
cours d’une soutenance de thèse, a prétendu (nov. 2010) « qu’il apparaît
que le procès équitable ne s’oppose pas à la chari’a qui le
reconnaît », voilà ce que nous pouvons opposer, sans passion, mais avec
toute la force de nos convictions, d’une certaine connaissance du droit
musulman (pour l’avoir enseigné et avoir publié en ce domaine[10]) et de la jurisprudence des tribunaux coutumiers de la
France d’Outre-mer au temps dit des colonies (notamment la coutume wolof
islamisée au Sénégal), ainsi que du haut patronage de Mme Élisabeth
Badinter et de la Cour EDH. Cette dernière en effet, a eu l’occasion de
condamner par deux fois le fondamentalisme religieux[11] en affirmant, courageusement, qu’« il est
difficile de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme
et de soutenir un régime fondé sur la chari’a » et que la chari’a
est inconciliable avec la démocratie et les droits de l’homme « eu
égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’elle
réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les
domaines de la vie privée et publique »[12]. La Grande chambre fait sienne les conclusions de la
Chambre par cette formule lapidaire mais forte : « la Cour partage
l’analyse effectuée par la Chambre quant à l’incompatibilité de la chari’a
avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la
Convention »[13]. On a fait
remarquer, à juste titre, que la Cour EDH est très laconique quant aux règles
de droit pénal et de procédure pénale qui seraient incompatibles avec la
démocratie[14]. Mais l’actualité mondiale nous fournit, depuis plus de
dix ans, de nombreux exemples du droit procédural (on n’ose parler ici de droit
processuel) en vigueur dans les États qui appliquent la chari’a. Ainsi,
certaines personnes accusées de vol sont traduites en justice dans des stades,
devant plusieurs milliers de « spectateurs » pour l’exécution d’une
peine corporelle qui a été prononcée par ailleurs par un juge. Le sens de cette
justice est la recherche de l’exemplarité, ainsi que le dit l’un de ses
protagonistes à Kaboul, en Afghanistan : « En frappant le coupable,
nous préservons la vie de beaucoup d’autres gens. Nous assurons la paix et la
sécurité. Et cette justice est publique pour que chacun puisse apprendre. Celui
qui a volé doit être amputé, celui qui a violé doit être lapidé, celui qui a
tué doit être tué ; telle est la justice » (propos rapportés par Le
Figaro 6 oct. 1998, p. 6). On en trouvera une application dans une
affaire rapportée en France d’un pompiste indien condamné à l’ablation d’un œil
pour avoir blessé à un œil un Saoudien qui était son débiteur au cours d’une
rixe[15]. Ainsi encore, en janvier 2002, on apprend que
dans certains États fédérés du Nigeria, malgré l’opposition du gouvernement
fédéral et les protestations internationales, une condamnation à mort (par
lapidation) a été prononcée contre une femme divorcée qui a eu un enfant hors
mariage, au nom de la chari’a (V. Le Figaro 8 mars 2002).
Élisabeth Badinter écrit dans Le Figaro du 14 mars 2001 (p. 3)
que les femmes afghanes ne disposent pas d’avocat de la défense et que la
plainte pour viol n’est recevable que s’il y a quatre hommes témoins de ce
viol, sinon c’est la victime qui est poursuivie et lapidée ; le même
auteur fait état dans Libération du 27 août 2004 (p. 33) du
procès d’une Iranienne de seize ans (on donnera son nom, Atefeh Rajabi, pour en
garder la mémoire), jugée expéditivement, sans avocat pour « actes
incompatibles avec la chasteté », décrétée folle par le tribunal, à
l’audience, et pendue par le juge qui l’avait condamnée ; son corps fut
déterré par des inconnus et a disparu, à jamais[16]. Ou encore, au Pakistan, une justice tribale qui
ordonne le viol collectif et en public d’une jeune fille dont le seul tort est
d’être la sœur d’un enfant de douze ans vu en compagnie d’une jeune fille d’une
caste supérieure (V. Le Monde 5 mai 2002, p. 1). Dix ans plus
tard, les mêmes causes produisent les mêmes effets, qu’il s’agisse de la notion
de blasphème[17] ou du peu de cas que la justice de ces pays fait des
violences faites aux femmes, notamment à travers la conception discriminatoire
du témoignage, selon qu’il provient d’un homme ou d’une femme[18].
Bibliographie (par ordre
chronologique). Ibn Warraaq, Pourquoi je ne suis pas
musulman, éd. L’Âge d’homme, 1999, préf. T. Nasreen. Et, dans les Mélanges
A. Decocq, Litec, 2004, les articles de J. El-Hakim, Les
principes fondamentaux du droit pénal islamique, p. 209 ;
S. Jahel, Chari’a et Convention EDH, p. 355 ; G. Mahmassani,
Les droits de l’homme dans le système juridique musulman,
p. 417 ; M.-S. Mahmassani, Le droit musulman et la vocation
universelle de l’Islam, p. 437. – V. aussi, S. Jahel, outre
sa contribution précitée aux Mélanges A. Decocq : Les droits fondamentaux
en pays arabo-musulmans : RID comp. 2004/4, 787 ; La laïcité
dans les pays musulmans, in La laïcité, Arch. phil. dr.,
Dalloz, 2005, t. 48, p. 143 ; La place de la chari’a dans les systèmes juridiques des pays arabes, éd.
Panthéon-Assas, 2012. – Ali Ahmed Saïd Esber (poète au pseudonyme d’Adonis),
interwiew au journal Le Point, n°
2105, 17 janv. 2013, Le pouvoir doit
s’incliner devant le poète » (plaidoyer pour la séparation du
religieux et du politique) S. Guinchard, Le fondamentalisme religieux à
l’aune de la distinction doctrinale du droit processuel européen et du droit
procédural national : entre démocratie procédurale et légitimité
démocratique, in Mélanges Flauss, Pedone, 2014 et ce blog V° Belles
pages n° 24, « le droit processuel, droit commun et comparé du procès
équitable ».
Filmographie. Pour
une vision, naïve, d’une justice fondée sur la chari’a, mais juste et
modérée, V. le film de Christian Lelong, sorti en 2004 (78 min), Cinédoc
films et l’entretien avec le réalisateur in Culture Droit
janv.-févr. 2006, p. 69.
III – LA JUSTICE
SPECTACLE
Le rapprochement s’impose
entre la pratique suivie dans l’Antiquité, à Athènes notamment, et celle de
certains États à l’époque contemporaine.
A) Justice-spectacle dans l’Antiquité
À Athènes, en 399 avant
notre ère, Socrate fut accusé par un nommé Mélétos qui déposa une plainte au
greffe de l’archonte roi, plainte précisant les griefs et la peine demandée, la
mort ; il fut jugé par le tribunal populaire de l’Héliée, composé pour
l’occasion de 501 juges ou héliastes, tirés au sort. Souvent, pour assurer au
maximum de citoyens la possibilité de participer à cette justice, les tribunaux
de type accusatoire sont composés de très nombreux membres, sont répartis sur
tout le territoire et sont spécialisés par types d’infractions ; la
composition de l’Héliée pouvait varier de 201 à 2 501 héliastes.
V. K.-D. Kerameus, La
justice et la démocratie à la lumière de l’ancienne tradition hellénique,
in Studia juridica, Sakkoulas/Kluwer éd., 1998, p. 703 :
« La principale caractéristique de l’organisation judiciaire de l’ancienne
République athénienne était sa nature populaire. Rendre justice était un devoir
de l’État à remplir avec la participation du plus grand nombre possible de
citoyens. Il en était d’ailleurs de même dans les autres fonctions de la
République. La “Eliaia”, composée de 6 000 juges, a été le tribunal le
plus populaire que l’histoire de l’humanité a jamais connu. De par sa nature
même, un tel nombre de juges créait une administration de la justice anonyme,
constituant ainsi un phénomène de disparition de la responsabilité
individuelle. Cet anonymat était aggravé par la méthode de nomination des juges
et la façon dont ils exerçaient leur fonction. La nomination résultait d’un
tirage au sort et les jugements étaient rendus au vote secret. Ainsi, l’anonymat
du corps judiciaire se trouvait considérablement renforcé, donnant à ce dernier
l’image d’un État à la recherche de l’opinion publique dominante, au détriment
de la compétence professionnelle des juges ».
V. aussi,
N. Loraux, Le procès athénien et la justice comme division, in Arch.
phil. dr., t. 35, Le procès, Sirey, 1995. – E. Putman, Mythe,
Justice et tragédie dans les Euménides d’Eschyle, in Mélanges
S. Guinchard, Dalloz, 2010, 43.
B) Justice-spectacle des temps modernes
Le
sommet de la justice-spectacle (à ne pas confondre avec la justice médiatique,
c’est-à-dire avec les procès « instruits » par les médias, sur
laquelle V. ce blog, V° Belles pages n° 30 aura été donné en 1995, aux USA,
avec le procès d’un très célèbre et riche footballeur, par ailleurs acteur,
O.-J. Simpson, accusé du meurtre de son ex-femme et de l’ami de celle-ci. Les
débats de son procès, qui se déroulait en Californie, furent presque
intégralement retransmis par la télévision, ce qui impliquait l’idée de
spectacle permanent, non seulement pour les téléspectateurs, mais aussi pour
les journalistes judiciaires qui suivaient l’affaire et le procès. Bien plus
grave, la nature ludique du procès impliquait que tout citoyen avait son
opinion sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé et pouvait le faire
savoir sur les ondes et les écrans de télévision. La question qui se pose alors
est de savoir si une telle médiatisation n’a pas représenté une menace pour
l’accusé par rapport à son droit à un procès équitable ; est-ce que cette
médiatisation n’a pas tronqué les faits en les simplifiant ? Est-ce que
leur présentation sensationnelle ne les a pas déformés ? La légitime
information du public par les médias ne trouve-t-elle pas une limite dans les
excès médiatiques porteurs de violation du droit à un procès équitable ?
[1]A. Soljenitsyne, L'archipel du goulag,
Le Seuil, t. 1, 1974.
[2]Sur laquelle, V. É. Jaudel, L'aveuglement,
Michel Houdiard éd., 2003.
[3]A. Zinoviev, L'antichambre du Paradis,
L'âge d'homme, 1980 ; Les hauteurs béantes, L'âge d'homme, 1982 ; La
maison jaune, L'âge d'homme, 2 vol., 1982. – V. aussi, le livre d'Arthur
London, L'aveu, et le film qui en fut tiré par Costa-Gavras, en 1970,
avec Yves Montand et Simone Signoret.
[4]Sur ce point du désaveu par l’autorité
supérieure, V. Ayaan Hirsi Ali, Nomade. De l’Islam à l’Occident, un
itinéraire personnel et politique, R. Laffont, 2011 ; compte-rendu par A-G.
Slama, Le Figaro magazine 16 avr. 2011, p. 103.
[5] J. Pirenne, Humanisme et Humanismes, in Rencontres internationales de Genève, 1956,
Neufchâtel, La Baconnière, 1957, p. 99 et 101-102 : « du IXème au XIème siècle, l’Islam fut le centre de l’activité
matérielle et de la grandeur spirituelle » (il cite l’université de
Séville, foyer de réflexion et de cohabitation des trois religions monothéistes
du Livre) ; « lorsqu’au VXème
siècle, les derniers feux de la pensée créatrice de l’Islam s’éteignirent, le
monde musulman tout entier se replia jalousement et exclusivement sur sa
tradition propre ; les seuls éléments de sa vie spirituelle furent les
luttes fanatiques entre sectes religieuses hostiles. Et depuis lors, jusqu’au
XIXème siècle, l’Islam n’a rien produit ».
[6] F. Kaplan, La vérité – Le dogmatisme et le scepticisme,
A. Colin éd., 1998, p. 147-148.
[7]Le Pape Sixte IV donne tous pouvoirs aux
rois catholiques, Ferdinand et Isabelle. Et ce sera l'action sanguinaire de
Thomas de Torquemada, prieur du couvent de Ségovie, inquisiteur général.
[8]Le Monde 17 juin 2004, p. 5.
[9]Cette distinction, que nous avons
introduite dès la première édition de ce manuel, n'est pas seulement
terminologique ; elle est conceptuelle, ainsi que le prouve le souci qu'ont eu
les intellectuels américains, qui ont lancé en février 2002 un appel à soutenir
la politique anti-terroriste des USA, de se déclarer en guerre contre
l'islamisme et les islamistes, tout en disant comprendre l'islam et tout ce qui
est islamique (V. la presse internationale de février 2002). V. aussi Mutilées
au nom de l'honneur : Le Figaro 17 avr. 2002, National Geographic TV, id.,
21 h.
[10]V. la liste de nos travaux en droit
musulman dans les Mélanges qui nous ont été offerts, Du légalisme
procédural à l’humanisme processuel, Dalloz, 2010.
[11]CEDH, 31 juill. 2001, Refah Partisi
et alii c/ Turquie : RTD civ. 2001, 979, obs. J.-P. Marguénaud ; RDP
2002, 1493, obs. G. Lebreton. Et en Grande chambre dans la même affaire, 13
févr. 2003 : AJDA 2003, p. 1994, n° 31, chron. Flauss ; JCP 2003,
I, 160, n° 15, chron. Sudre ; RFD const. 2004, 207, note M. Levinet ; Grands
arrêts de Suder et alli, 6e éd. 2011, obs. M. Levinet.
[12]CEDH, 31 juill. 2001, Refah Partisi c/ Turquie, préc.,
§ 72.
[13]CEDH, 13 févr. 2003, préc., § 123.
[14]M. Levinet, obs. préc. ss. CEDH, 13
févr. 2003 : Grands arrêts de la cour EDH, PUF 2011, spéc. p.
628-629.
[15]V. Libération 26 déc. 2005, p. 9.
[16]Cette affaire a donné lieu à un
documentaire télévisuel anglais diffusé le 6 octobre 2006 sur FR3 (V. Le
Figaro 6 oct. 2006, p. 37) avec un nom légèrement différent (Atefah
Sahaaleh) mais il s'agit bien de la même personne.
[17]Au Pakistan, voyez les cas d’Asia Bibi, Le
Figaro magazine 28 mai 2011, p. 111 et de Faryal Bhatti, Le Monde 28
sept. 2011.
[18]En Afghanistan, V. Vulin, L’immolation,
dernier recours de jeunes Afghanes : Le Monde 18 févr. 2011, p. 5.
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