SOMMAIRE
I – L’IMAGE DE LA JUSTICE
II – LES LENTEURS DE LA JUSTICE
III – L’EXCLUSION DES CORPS
« ÉTRANGERS » : LES JUGES DE PROXIMITÉ
IV – L’EXCLUSION DES CORPS ÉTRANGERS
(SUITE) : LES UNIVERSITAIRES-MAGISTRATS ASSOCIÉS
Au-delà des palais de justice, de leur architecture[2]
et de leurs symboles[3],
on peut en avoir une première idée par Daumier, mais aussi par la littérature,
le théâtre et le cinéma et par les sondages.
a) Le premier a consacré, entre 1845 et 1848 des
planches célèbres aux gens de justice ; de l'analyse de ses planches, il
ressort quatre aspects des relations du justiciable avec la justice :
l'argent, l'hermétisme du langage judiciaire, le rôle des avocats et les
relations difficiles avec les huissiers de justice.
b) La littérature révèle aussi une certaine perception de la
justice chez les écrivains, André Gide, par exemple, ayant fait part de son
expérience de juré de Cour d'assises[4].
La bande dessinée elle-même traduit une certaine conception de la justice
d'Astérix à Lucky Luke[5].
Le théâtre est aussi un lieu de perception des problématiques contemporaines de
la justice (cf. Les plaideurs de Racine)[6].
Le cinéma et les séries TV nous montrent des perceptions particulières, souvent
américanisées[7],
de la Justice, à tel point que, pour les justiciables d'abord et
traditionnellement, la justice n'évoque pas les libertés individuelles et la
réalisation aisée de ses droits mais la chicane, le temps perdu à obtenir
satisfaction, une course d'obstacles plus ou moins justifiés et, au final, pour
celui qui perd le procès, un sentiment de profonde injustice ou de frustration,
pour celui qui le gagne le sentiment que la victoire lui a coûté cher en temps,
en énergie et en argent ![8]
L'annonce médiatisée à l'extrême d'erreurs judiciaires, voire de
« bavures » n'arrange rien, bien au contraire puisqu'à côté de cette
rubrique (française) des faits divers judiciaires (au pénal surtout) sources
supposées d'injustice et d'erreurs[9],
un autre système, anglo-saxon, nous est très astucieusement montré à l'écran,
petit[10]
ou grand[11].
c) Tous les sondages réalisés sur l'image de la justice montrent
que les Français ont une mauvaise opinion de cette institution. Ainsi en 1991,
déjà,[12],
97 % d'entre eux jugeaient la justice trop lente, 84 % trop coûteuse,
85 % trop difficile d'accès, 83 % trop inégalitaire etc. Un autre
sondage, réalisé en 1995, à l'initiative de la Chancellerie, plaçait la justice
derrière tous les autres services publics, notamment l'enseignement supérieur,
dans l'opinion qu'en ont les Français. Pour autant, une évolution semble se
dessiner, au vu d'un sondage réalisé en 1998, à la demande du Barreau de Paris,
mais les justiciables furent interrogés par le canal de leurs associations ou
syndicats, ce qui a, peut-être, modifié leur perception de la Justice ;
59, 1 % des Français avaient confiance en leur Justice, mais lui
adressaient trois critiques : lenteur (95 %), complexité
(86,2 %) et coût (70 %)[13].
C'est à la demande de la Chancellerie qu'une enquête de satisfaction a été
réalisée auprès de 1 201 personnes représentatives des justiciables.
Selon les résultats de ce sondage rendus public le 22 mai 2001, une
majorité de justiciables (55 %) faisait confiance à la justice mais sur
une autre question 57 % estimaient qu'elle fonctionne mal. Les sondés saluaient
la qualité des locaux et des professionnels de l'institution judiciaire, mais
se plaignaient de la longueur des procédures et de leur complexité. Le rôle de
l'avocat était plébiscité, 91 % estimant que son action avait été
déterminante dans le résultat du procès. Enfin, 63 % souhaitaient que les
citoyens puissent participer, aux côtés des juges, au jugement des affaires
correctionnelles[14].
En novembre 2004, 70 % des Français estimaient que la Justice
fonctionne mal et 50 % que les choses empirent, lui reprochant sa lenteur
et son risque d'erreurs[15].
Début 2007, 47 % seulement des Français étaient satisfaits du
fonctionnement de la justice[16].
Elle suscite aussi la peur : en juillet 2004, 57 % des Français
avaient approuvé cette phrase, « j'aurais peur de la justice si je devais
avoir affaire à elle » ; en janvier 2006, après l'affaire
d'Outreau, le pourcentage monte à 65 %[17].
En octobre 2008, le CSM publie son rapport annuel 2007 en abordant la
crise de confiance entre les Français et leur Justice et avec un sondage
faisant apparaître que 69 % d'entre eux voient mal la différence entre
juges du siège et procureurs, incertitude qui persiste chez 60 % des
personnes ayant eu affaire à la justice ; et 51 % des Français
considèrent que les juges ne sont pas indépendants du pouvoir politique, ce qui
révèle, pour le moins, une déplorable image de la justice. En février 2011, un
sondage IFOP révélait que la justice fonctionne mal pour 72 % des
personnes interrogées, que les juges ne sont pas assez sévères avec les
récidivistes (85 %), les criminels sexuels (84 %), les affaires
politico-financières (80 %), le trafic de drogue (76 %) etc. ;
une responsabilité accrue des magistrats recueille un soutien massif à droite
(72 %) et à parts égales à gauche (47 % pour et 46 %
contre) ; ils ne sont impartiaux que pour 53 % des Français qui les
jugent par ailleurs, non sans contradiction, intègres (76 %), bien formés
(78 %) et compétents (83 %)[18].
En novembre 2013, un sondage réalisé auprès de 3000 personnes par le ministère
de la Justice confirme l'image négative que les Français ont de la
justice : 87 % estiment qu'elle a besoin d'être réformée et 55 %
restent confiants en elle, les points noirs étant les délais et la complexité
des procédures ; 66 % estiment qu'elle n'a pas un fonctionnement
moderne et souhaitent le passage au numérique. En mars 2014, selon un sondage
CSA, 77 % des Français avaient encore une mauvaise opinion de la justice[19].
II – LES LENTEURS DE LA JUSTICE
On dit souvent que la justice est
lente à être rendue. On en dressera le constat (A), avant d'en déterminer les
causes (B) et de rechercher des solutions (C). Il convient de noter que
l'article L. 111-3, COJ pose en principe que « les décisions de
justice sont rendues dans un délai raisonnable ».
A) Le constat et le contexte
européen
Les lenteurs de la justice. Souhaiter que la justice soit
« bien » rendue implique non seulement que la décision du juge soit
juridiquement correcte, mais aussi qu'elle intervienne dans un délai utile. Il
suffit pourtant de lire certains arrêts émanant de juridictions des deux ordres
pour constater que les faits de la cause sont intervenus une dizaine d'années
auparavant, parfois plus loin encore dans le passé. Face à cette situation, la
revendication d'une accélération du fonctionnement du service public de la
justice est devenue générale, et son besoin est admis aussi bien par les plus
hautes autorités de l'État[20],
que par la Convention EDH, dont l'article 6-1 dispose que :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue… dans un délai
raisonnable… ». La Commission européenne pour l'efficacité de la
justice (CEPEJ) en fait l'un des critères d'évaluation de la justice en
Europe ; dans son rapport du 25 octobre 2010, elle avait souligné la
capacité du système judiciaire français à traiter les affaires nouvelles sans
augmenter le stock des affaires en cours, mais l'amélioration constatée au
niveau de la Cour de cassation au début des années 2000, avec quasiment le
jugement des affaires dans l'année de leur enregistrement, s'est à nouveau
dégradée. En matière administrative, la stabilisation du nombre des requêtes et
des efforts de « productivité » ont conduit dans la dernière période
à la diminution des délais de jugement[21].
En matière pénale, l'exigence du délai raisonnable est soulignée spécialement
par l'article 5-3 de la Convention, selon laquelle toute personne faisant
l'objet d'une détention préventive « a le droit d'être jugée dans un délai
raisonnable »[22].
Et si le non-respect de l'obligation de statuer dans un délai raisonnable
« est sans incidence sur la validité de la décision
juridictionnelle »[23],
elle est cependant de nature à engager la responsabilité de l'État[24].
Par ailleurs, on observe que le
nombre de procès n'est pas le même dans les diverses parties de la
France ; il varie évidemment en fonction de la population, mais aussi
d'autres facteurs (mentalité plus ou moins processive, situation économique ou
sociale, nombre des auxiliaires de justice, etc.)[25].
Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et faire de la rapidité un
objectif en soi. Une justice hâtive peut, au final, retarder l'issue du procès[26].
À titre d'illustration, en matière de justice pénale des mineurs, on privilégie
à la réponse pénale la réponse éducative. Si ce temps est nécessairement long
on ne peut pas accepter pour autant qu'un mineur soit jugé, parfois, plusieurs
années après les faits. Il faut trouver le temps juste[27].
B) Les causes de lenteur
Causes matérielles : la lenteur subie. La rapidité de tout service public
dépend des moyens qui sont mis à sa disposition, en personnel et en équipements[28].
Comme tout autre, le service public de la justice fonctionne dans le cadre des
crédits budgétaires qui lui sont affectés. Et si le budget de la justice est
passé de 0,65 % du budget de l'État en 1965, à 2,40 % en 2008, il est
ensuite resté stable pour arriver à 2, 60 % en 2015 et 2, 65% en 2016, cet
effort est resté longtemps insuffisant face à l'accroissement des contentieux[29],
ce que la CEPEJ ne manque pas de souligner. Mais la revendication de toujours
plus de moyens pour la Justice, à la limite parfois de la démagogie[30],
comporte en elle-même ses limites dans l'idée, désormais avancée par certains,
d'une meilleure productivité des juges, celle-ci ayant diminué[31],
puisque le contentieux civil est en diminution constante depuis 1996[32].
Causes juridiques : la lenteur acceptée. La justice ne peut se fixer pour
objet primordial d'être rapide ; à côté de la lenteur subie, il
existe ici une lenteur acceptée, liée à la nécessité fondamentale de
protection du justiciable. Celle-ci est particulièrement manifeste dans le cas
du procès pénal : la justice expéditive est celle du
« justicier », non celle du juge. C'est pourquoi nous avons parlé de
« justice diligente ». Bien qu'elle ait mauvaise réputation et que
son formalisme apparaisse irritant au demandeur pressé d'obtenir le jugement,
la procédure est avant tout une garantie pour le justiciable. Selon la
formule classique d'Ihering « La forme est la sœur jumelle de la
liberté ». La succession minutieusement réglementée des phases de
l'instance, l'exigence de voies de recours sont autant de conditions
nécessaires au respect fondamental des droits de la défense. Si l'on doit
s'efforcer de concilier leur garantie avec le besoin d'un délai raisonnable de
solution des litiges, et avec la prévention du recours à des procédés purement
dilatoires par le plaideur de mauvaise foi, on ne pourrait, sans des
inconvénients plus graves encore, abréger ce délai en sacrifiant les droits du
défendeur[33].
Quels que soient les aménagements
qui seraient apportés à la procédure, l'accélération du jugement des affaires
trouverait d'ailleurs une limite de fait dans l'accroissement de leur nombre.
Il existe une sorte de « loi de Wagner » de l'augmentation des
litiges. L'exemple du contentieux administratif est éclairant ; par
elle-même, l'ampleur de l'intervention réglementaire de l'État dans un grand
nombre de domaines est génératrice d'un contentieux potentiel abondant ;
mais en outre, dans le souci louable de garantir les droits des administrés,
les textes se sont multipliés qui facilitent l'introduction des instances, souvent
d'ailleurs dispensées de ministère d'avocat. Par exemple, en cas de demande
adressée à l'État ou à ses établissements publics, le récépissé qui doit être
délivré doit notamment mentionner le délai au terme duquel interviendra la
décision implicite de rejet éventuelle, ainsi que les délais et voies de
recours contre celle-ci[34].
En outre, l'aide juridictionnelle, pour indispensable qu'elle soit, ne peut qu'encourager
à saisir le juge. De telles améliorations des relations entre l'Administration
et ses usagers, pour bénéfiques qu'elles soient au plan des garanties
individuelles, ne peuvent évidemment que pousser au contentieux. Et l'on
retrouve la même tendance et les mêmes solutions en procédure civile (par ex.
C. pr. civ., art. 680).
C) Les palliatifs
En attendant que le problème des
moyens de la justice soit abordé au fond, différentes mesures contribuent à lui
apporter des palliatifs – même si certains ne sont pas directement inspirés par
cette préoccupation. On peut citer, à titre d'exemples, trois axes de
réflexions et de réformes potentielles :
Diminution du nombre des instances.
a) Pour diminuer l'encombrement des rôles d'audience, il est possible, à
défaut d'augmenter le nombre des magistrats, de restreindre le nombre des
plaideurs. L'intérêt de la mesure n'est pas seulement budgétaire : il est
préférable pour la paix sociale de prévenir les procès plutôt que de les
résoudre. Tout ce qui contribue à éteindre les litiges avant qu'ils
n'aboutissent à une instance allège d'autant la charge des juges[35].
C'est le cas du développement de la conciliation. Ainsi, la loi du
6 janvier 1986 avait introduit devant le tribunal administratif une
procédure de conciliation (article L. 211-4, CJA), que la loi n° 2016-1547
du 18 novembre reprend entièrement sous le concept de médiation. En matière de
contentieux administratif de masse, la pratique du recours obligatoire
préalable devant l'Administration évite, dans de bonnes conditions, que les
juridictions soient submergées par des requêtes dont la solution est souvent
relativement simple ; l'exemple type en est donné, traditionnellement, par
le contentieux de l'assiette et du recouvrement de l'impôt[36] ;
en 2001, un recours préalable obligatoire a été introduit en matière de litiges
relatifs à la situation individuelle des militaires[37].
b) On peut aboutir au même résultat en
« déjuridictionnalisant » certaines catégories d'affaires !
Les exemples ne manquent pas : du système d'amendes en matière de
contraventions de circulation, voire de délits routiers avec la loi n°
2016-1547 du 18 novembre, ou de toutes les procédures alternatives en matière
pénale : composition pénale ou comparution sur reconnaissance préalable de
culpabilité[38] ;
du règlement du partage des responsabilités en matière d'accidents matériels de
voitures par des conventions entre les compagnies d'assurance ; exemple
également de la réforme réalisée en matière de responsabilité civile, en cas
d'accidents entre un automobiliste et un piéton, loi no 85-677
du 5 juillet 1985, ou encore de la dépénalisation des émissions de chèques
sans provision. En matière civile, la loi du 8 février 1995 qui confie au
greffier du TGI des compétences autrefois dévolues au juge des affaires
familiales. La légitimité du juge y gagnerait, sans doute parce que la
banalisation du recours au juge pour des activités très éloignées de la
fonction de juge le décrédibilise[39],
sans compter que dans le domaine familial et du droit des personnes,
l'intrusion du juge dans la vie privée des Français, en l'absence de tout
contentieux, peut irriter ceux qui y sont soumis et leur donner une mauvaise
image du juge et de la justice[40].
Peut-on aller plus loin et, par
exemple, transférer toute la juridiction gracieuse à d'autres qu'aux
tribunaux puisque dans ce cas, l'organe chargé de dire le droit, le fait en
l'absence de litige ? Le législateur a commencé à réaliser ce transfert,
en l'occurrence vers les notaires ; ainsi, une loi du 23 juin 2006 a
supprimé le caractère obligatoire de l'homologation d'un changement de régime
matrimonial par le président du TGI, tout au moins s'il n'y a pas d'opposition
de la part des enfants majeurs ou des créanciers (C. civ.,
art. 1397) ; ce sont les notaires qui réalisent et valident l'acte.
C'est sans doute cet exemple qui avait incité le ministre du Budget à proposer,
en décembre 2007, sur la suggestion de la Révision générale des
politiques publiques, de transférer le divorce par consentement mutuel aux
notaires ; outre que l'idée a mis le feu à la profession d'avocat, elle
n'a pas été validée par la commission Guinchard sur la réorganisation
des contentieux et la déjudiciarisation, au motif essentiel que le gracieux
c'est aussi une manière de dire le droit et que cette fonction ne peut pas être
déléguée à d'autres qu'à des juges, sauf à remettre en cause la nature du
mariage, notamment par rapport au PACS, la protection des enfants mineurs et à
risquer d’introduire des divorces communautaristes sous couvert de convention
amiable ; c’est pourquoi, cette commission avait souhaité que les
parlementaires prennent leurs responsabilités et qu’un débat puisse avoir lieu
à l’occasion d’un éventuel projet de loi validant un tel divorce ; la loi
n° 2016-1547 du 18 novembre a finalement transféré ce divorce aux avocats (qui
rédigeront la convention de divorce) et aux notaires (qui l’enregistreront),
mais le débat n’a pas eu lieu, car le gouvernement a cumulé la méthode des
amendements en cours de processus avec la procédure d’urgence). La commission a
montré les limites de l'exercice consistant à chercher dans les transferts de
contentieux ou du gracieux à d'autres qu'aux juges, les moyens de réduire le nombre
de magistrats, donc de faire des économies budgétaires en termes de postes de
fonctionnaires. Dans le même ordre d'idée, mais avec moins de problème de
principe (encore que le juge a souvent un rôle de forte implication sociale,
au-delà du strict juridique), on peut songer à décharger les magistrats des
tâches purement administratives, celles pour lesquelles ils sont plus des
greffiers que des juges : ainsi, on a confié aux notaires la possibilité
de recevoir (en concurrence avec le président du TGI), la déclaration des époux
ou concubins, qui veulent recourir à une procréation médicalement assistée,
avec intervention d'un tiers donneur (C. civ., art. 115-7-2). Ce
transfert de compétence pourrait être généralisé, la justice retrouvant ainsi des
« magistrats »[41].
Cette idée de favoriser la déjudiciarisation a été reprise par certains avec
d'autres propositions[42].
La commission Guinchard a présenté de très nombreuses propositions de
transferts de tâches, mais en insistant sur la dimension humaine de la justice,
qui ne permet pas de faire n'importe quoi en ce domaine[43].
Il faut sans doute, comme le suggérait cette commission, redéfinir l'office du
juge (dire le droit, avec ou sans litige) et l'entourer d'une équipe d'assistants.
Objectif assigné par la garde des Sceaux en février 2013 à l'Institut des
hautes études sur la justice (rapport remis en juin 2013, La prudence et
l'autorité – Juges et procureurs du xxie
siècle) et à la commission présidée par M. Pierre Delmas-Goyon sur les
juges du xxie siècle
(rapport remis en décembre 2013). L'idée fait donc son chemin et les
juristes assistants sont créés par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre (art.
24).
c) On peut aussi traiter préventivement les
difficultés d'ordre juridique, en donnant par avance des solutions aux
questions de droit nouvelles se posant dans de nombreux litiges et qui
risqueraient d'aboutir à de nombreux pourvois en cassation ; c'est la
saisine pour avis de la Cour de cassation ou du Conseil d'État.
Accélération des jugements.
a) Techniquement, on pourrait y parvenir en
supprimant la collégialité de certaines juridictions, soit directement en créant des
juridictions à juge unique (c'est le cas du tribunal d'instance successeur du
juge de paix, de la juridiction de proximité), soit indirectement en confiant
certaines questions se rattachant à un procès à un juge unique spécialisé,
comme c'est le cas par exemple pour le juge aux affaires familiales ou le juge
de l'exécution[44]
ou encore, auprès du tribunal administratif, pour certaines affaires énumérées
(CJA, art. R. 222-13).
b) Le même résultat peut être atteint en divisant les
juridictions en plusieurs formations de jugement, généralement appelées
« chambres », et « sous-sections » au Conseil d'État.
Juridiquement, on demeure en présence d'un seul et même tribunal, mais en le
divisant en plusieurs chambres, on a l'équivalent pratique d'un nombre égal de
juridictions distinctes, tout en maintenant l'unité des moyens.
Ce système permet néanmoins de
garantir l'unité de la jurisprudence, lorsqu'il est possible de renvoyer les
affaires particulièrement délicates au jugement d'une formation regroupant
plusieurs chambres, voire toutes, et dont les décisions feront autorité. C'est
notamment le cas de la Cour de cassation, dont le premier président peut réunir
plusieurs chambres en chambre mixte, ou toutes les chambres en Assemblée
plénière. De même le Conseil d'État, qui juge d'ordinaire par les dix
sous-sections de la section du contentieux, peut juger en formation de section,
ou en Assemblée plénière. Un décret no 2014-1458 du
8 décembre 2014 relatif à l'organisation et au fonctionnement des
juridictions de l'ordre judiciaire a élargi, aux TGI et aux cours d'appel, la
possibilité de juger une affaire dans une formation de deux chambres réunies,
siégeant au nombre de 7 magistrats lorsque cette affaire est d'une particulière
complexité ou est susceptible de recevoir, devant chacune des chambres, des
solutions divergentes (COJ, art.R 212-9-1 et R 312-11-1).
c) De façon plus radicale, on peut alléger la tâche d'une
juridiction particulièrement encombrée en transférant une partie de ses
compétences à d'autres juridictions :
– existantes, comme cela fut le cas pour
les tribunaux administratifs qui en 1953 ont reçu, à la place désormais du
Conseil d'État, la qualité de juridictions administratives de droit commun en
matière de contentieux administratif ;
– créées à cet effet, méthode à laquelle
il a été recouru en 1982 avec la création des chambres régionales des comptes
(qui a également permis de rapprocher le contrôle des collectivités locales de
celles-ci, au moment où la loi du 2 mars 1982 accroissait considérablement
la décentralisation), qui a déchargé la Cour des comptes d'une quantité
importante de ses dossiers, en 1987 avec la création des Cours administratives
d'appel, auxquelles a été transféré l'appel des jugements rendus par les
tribunaux administratifs, qui relevait jusque-là du Conseil d'État[45],
et en 2002 avec la loi du 9 septembre qui créait les juridictions de
proximité composées de juges non professionnels pour décharger les tribunaux
d'instance du contentieux civil (jusqu'à une valeur de 4 500 euros)
et les tribunaux de police du jugement de certaines contraventions celles des
quatre premières classes.
La difficulté est, dans ces
hypothèses, de faciliter l'insertion de ces nouvelles juridictions dans le
tissu des tribunaux existants – et notamment de les faire accepter par les
juridictions qui leur abandonnent une partie de leurs compétences – et dans la
mentalité des justiciables. La solution adoptée pour les chambres régionales et
pour les Cours administratives a été de les faire présider par des membres de
la Cour des comptes pour les unes, par des membres du Conseil d'État pour les
autres, et de prévoir des contacts suivis entre les « juridictions
mères » et leurs épigones. Ainsi ont été assurées à la fois leur assise
locale, par l'autorité accrue tirée du fait qu'elles apparaissent placées sous
l'égide de juridictions prestigieuses, et la stabilité de la jurisprudence
antérieure, renforcée d'ailleurs par les voies de recours qui les rattachent à
la Cour des comptes et au Conseil d'État.
d) Pour accélérer le règlement des affaires, on peut limiter l'accès aux
voies de recours ; la possibilité de faire appel d'une série de jugements
rendue par le tribunal administratif a été supprimée en 2003 (CJA,
art. R. 811-1, modifié par le décr. no 2013-730,
13 août 2013) ; il s'agit, pratiquement, d'affaires jugées par le
tribunal statuant à juge unique (v. ci-dessus, a). Ses jugements sont en
outre insusceptibles d'opposition (CJA, art. R. 831-6). Exiger, en
matière civile, que l'arrêt attaqué en cassation, voire le jugement de première
instance frappé d'appel, soit préalablement exécuté pour que le recours soit
examiné par la juridiction supérieure, est un moyen radical de freiner la croissance
des contentieux de cassation et de réformation, même si c'est parfois au prix
d'un déni de justice et au détriment des justiciables.
e) Mesures d'appui indirectes à l'accélération des procédures.
Diverses mesures, procédurales, administratives, budgétaires, tendent à
accélérer le jugement des affaires. À titre d'exemples :
– En matière procédurale, le décret no 2005-1586
du 19 décembre 2005 destiné (entre autres) « à la prévention de la
durée excessive de la procédure devant les juridictions administratives »,
a introduit dans le Code de justice administrative, deux dispositions conférant
des pouvoirs nouveaux au chef de la mission permanente d'inspection des
juridictions administratives ; celui-ci, saisi par une partie faisant état
de la durée excessive d'une procédure, a la faculté de faire à la juridiction
en cause « des recommandations visant à remédier à cette situation » (CJA,
art. R. 112-2). V. aussi l'article R. 112-3, CJA, qui lui
permet de saisir l'autorité compétente (notamment le ministre) de toute
proposition propre à remédier à la situation[46]
lorsqu'une décision a alloué une indemnité en réparation du préjudice causé par
une juridiction administrative pour lenteur excessive de la procédure. Par
ailleurs, les textes de la procédure peuvent préciser le délai dans lequel le
juge doit statuer dans certaines catégories d'affaires prioritaires (comme en
matière de droit au logement opposable, CCH, art. 441-2-3). En fait, sans
moyens humains suffisants, la fixation de délais ne peut avoir qu'un caractère
normatif, la décision de justice, tardive, n'étant pas irrégulière de ce fait,
sauf si la loi le prévoyait.
– En matière administrative, des incitations
diverses peuvent être mises en place pour accroître l'efficience – on n'ose
dire « le rendement » — des magistrats. Ainsi, dans les juridictions
administratives, la prime versée à leurs membres (pouvant atteindre 20 %
de leur traitement) est modulée en fonction de « l'importance et de la
valeur des services » ; des « contrats d'objectif » peuvent
être conclus avec l'autorité compétente, allouant des moyens déterminés en
contrepartie de résultats définis. Cependant, les limites de tels procédés sont
vite atteintes.
– En matière budgétaire, la mise en œuvre de la
LOLF, a introduit une présentation des crédits par missions, divisées en
programmes privilégiant la « performance publique ». Les juridictions
administratives constituent (avec le Conseil économique et social) la mission
« contrôle et conseil de l'État », divisée en programmes comportant
des objectifs de performance et des indicateurs (chiffrés) de performance. Les
juridictions financières forment un programme, le Conseil d'État et les autres
juridictions administratives en forment un autre. A titre d'exemples,
l'objectif « réduire les délais de jugement » de ce dernier comporte
parmi ses indicateurs le délai prévisible de jugement des affaires en
stock ; l'objectif « améliorer l'efficience des juridictions »
est assorti – notamment – d'un indicateur « nombre d'affaires réglées par
magistrat et agent de greffe ». L'accélération des délais de jugement ne
devant pas être recherchée aux dépens de la qualité des décisions, le programme
inclut également un objectif, « maintenir la qualité des décisions
juridictionnelles », dont les indicateurs chiffrés sont représentés par le
taux d'annulation, par les juridictions supérieures, des décisions rendues par
les juges de premier degré et de second degré.
f) En réalité, la véritable accélération des jugements
passe par une augmentation des moyens affectés à la justice[47], non seulement en magistrats mais
aussi en personnel administratif et en moyens matériels et notamment par
l'informatisation des greffes. La CEPEJ montre du doigt l'insuffisance du
budget de la justice en France en rapport avec le délai excessif des
procédures.
Mais beaucoup a déjà été fait, et il
ne faut pas exagérer la pénurie budgétaire de la justice[48],
surtout dans un contexte général de « faillite » des finances
publiques, qui est plus à la limitation de la dépense publique, qu'à son
accroissement. Il est vrai cependant, que lorsqu'une situation est bloquée,
comme l'est aujourd'hui la justice en France, il faut avoir le courage de
porter le regard ailleurs, de se remettre en cause. Il faut « sortir du
cadre institutionnel actuel », comme un auteur l'a proposé dès 1995[49],
en indexant les moyens de la justice sur l'évolution des contentieux[50],
mais à la double condition de réaliser préalablement un audit de la justice,
afin de savoir qui fait quoi dans les juridictions, et de déterminer clairement
la part de la déjuridictionnalisation et de la déjudiciarisation, déjà évoqué
avec le transfert du gracieux aux notaires et de tâches administratives à
d'autres acteurs de l'administration. Ensuite, mais ensuite seulement, il
serait possible de revoir la carte judiciaire, peut-être de créer un corps
d'administrateurs judiciaires pour soulager les magistrats des tâches
administratives internes et qui les détournent de leurs fonctions
juridictionnelles[51].
Cette idée d'un « audit » de la justice, se retrouve dans les
rapports que la Cour des comptes consacre à l'activité de la fonction publique.
Dans son deuxième rapport (avril 2001), elle passe « au crible »
le temps de travail des magistrats, très disparate selon les juridictions et
les hommes[52].
Aussi v. ss 132, b, en note sur la rémunération des magistrats. Un audit
des pôles financiers a été lancé par le ministre de la Justice en
février 2003. Malheureusement, le pouvoir politique a fait le choix, en
2007-2008, d'inverser l'ordre des réformes : la refonte de la carte
d'abord, l'expertise des hypothèses de déjudiciarisation ensuite.
En procédure civile, un décret no 98-1265
du 28 décembre 1998 a concrétisé quelques-unes des suggestions du rapport
remis par M. le président Coulon au Garde des Sceaux en janvier 1997[53] :
plusieurs dispositions tendent à faciliter le travail du juge (assignation
qualificative, conclusions récapitulatives, rédaction allégée des jugements) et
à créer une véritable justice de l'urgence[54].
Le décret du 28 décembre 2005 va dans le même sens, accroître les pouvoirs
du juge, notamment de la mise en état, pour accélérer le cours des instances.
Pratiquement tous les textes ultérieurs de procédure civile ont pour objet
et/ou pour effet, l'accélération du traitement des contentieux, par exemple en
limitant l'accès aux voies de recours, en le différant dans le temps, en
exigeant préalablement l'exécution de la décision attaquée, etc. Les obstacles
juridiques sur la voie d'accès à un juge sont de plus en plus nombreux[55].
Adaptations de la procédure.
1) Modernisation des méthodes
a) Sans que l'on puisse entrer ici dans leur présentation
concrète, on peut signaler au passage, en raison de leur intérêt pratique,
l'utilisation dans les juridictions de nouvelles méthodes de traitement et de
suivi des dossiers. Permises par le recours à l'informatique – et donc
tributaires de son développement dans les tribunaux – elles visent notamment à
réguler le calendrier du procès pour éliminer au maximum la cause de lenteur
représentée par exemple par les reports d'audience. Ce résultat est atteint par
le système des « contrats de procédure », ou la signature de
protocoles entre une juridiction et l'organisation représentative des avocats
ou des avoués[56].
b) L'utilisation des moyens modernes de transmission,
d'abord la télécopie, ensuite le courrier électronique et internet, provoque
des bouleversements inimaginables il y a seulement quelques années, mais ne va
pas sans poser des problèmes juridiques[57].
On signalera également l'utilisation de moyens de télécommunications au cours
de la procédure d'enquête ou d'instruction qui entraînera nécessairement des
modifications importantes en procédure pénale (C. pr. pén.,
art. 706-71)[58].
Devant la Cour de cassation, la dématérialisation des procédures est une
réalité. La communication électronique se développe devant toutes les
juridictions.
Le Conseil d'État s'est livré à
partir de 2005 à l'expérimentation des téléprocédures, permettant la
dématérialisation complète de la procédure relative au contentieux fiscal de
l'assiette. En 2009, 361 pourvois avaient ainsi été déposés par les avocats au
Conseil d'État participant à cette expérimentation[59].
Dans son prolongement, le décret no 2012-1437 du
21 décembre 2012[60],
qui a reçu une application progressive au cours de 2013, généralise, grâce à
l'application Télérecours ouverte à tous les avocats et toutes les
Administrations (lato sensu), la possibilité de communication
dématérialisée des requêtes, mémoires et actes de procédures, pour l'ensemble
des contentieux, devant le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et
les tribunaux administratifs de France métropolitaine. La dématérialisation des
échanges entre les juridictions financières et les Administrations qu'elles
contrôlent est également engagée[61].
2) Adaptation à l'urgence
Les délais inhérents aux
développements de l'instance peuvent, dans certains cas, créer pour le
demandeur le risque d'un préjudice grave, voire irréparable : une
saisie-attribution a été pratiquée pour une somme excessive bloquant le compte
bancaire de l'intéressé, un accident s'est produit dont il faudrait établir un
constat avant que l'état des lieux ne soit modifié, une autorisation de
construire un immeuble sur l'emplacement d'un site de jardins publics protégés
a été donnée. Dans de semblables hypothèses, il apparaît nécessaire de prendre
des mesures d'urgence, indépendamment du résultat de l'instance qui tranchera
du bien-fondé de la prétention du demandeur. Aussi existe-t-il, devant les
juridictions des deux ordres, des procédures permettant de prendre les mesures
nécessaires appelées par l'urgence, dont on ne peut donner ici que des
exemples.
a) Le juge judiciaire civil connaît depuis la Monarchie une
procédure exceptionnelle : le référé, institué pour parer aux cas
d'urgence, ou de difficultés d'exécution des jugements ou autres titres
exécutoires (actes notariés par ex.), auxquels a été ajoutée en 1973 la
possibilité d'accorder au créancier une provision à valoir sur la créance qu'il
invoque. Il est ainsi possible à une personne, mise abusivement en cause dans
un livre à scandales sur le point de paraître, de faire différer la sortie de
l'ouvrage jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la réalité des faits. Par
ailleurs, et alors que le délai d'appel ou d'opposition contre un jugement
suspend l'exécution de celui-ci, il est possible au gagnant de demander au
tribunal l'exécution provisoire de sa décision, c'est-à-dire son
exécution immédiate, en justifiant des raisons de cette demande.
b) Le référé a même été étendu au droit pénal, il est vrai dans le
domaine des libertés avec la loi du 4 janvier 1993 qui a instauré cette
procédure pour juger très rapidement des contestations de mise en liberté
provisoire. Aujourd'hui, au référé-liberté (C. pr. pén., art. 187-1)
dont l'objet est d'éviter les détentions provisoires injustifiées il faut
opposer le référé-détention (C. pr. pén., art. 148-1-1) qui permet au
représentant du ministère public de s'opposer à une remise en liberté rendue
contrairement à ses réquisitions.
La loi du 15 juin 2000 sur la présomption
d'innocence a organisé tout un système permettant de faire respecter un
véritable « délai raisonnable » tout au long de la procédure
(phase de l'enquête, C. pr. pén., art. 77-2 et 77-3 ; phase de
l'instruction, C. pr. pén., art. 116, al. 6, 175-1 al. 1er etc.)[62].
c) Le juge administratif a connu une extension progressive
de ses pouvoirs en cas d'urgence, qui les rapproche de ceux du juge judiciaire.
Les actes administratifs sont exécutoires par eux-mêmes jusqu'à leur annulation
par l'Administration elle-même ou par le juge administratif. Antérieurement au
1er janvier 2001, il n'existait qu'une procédure limitée de
référé[63],
permettant seulement d'ordonner des mesures d'instruction, généralement des
expertises, ou des mesures provisoires mais qui ne pouvait aboutir à suspendre
l'exécution d'une décision administrative ou à accorder une provision (CJA,
anc. art. 129). Pour pallier les inconvénients de cette situation, il
existait une procédure de sursis à exécution, permettant au demandeur de
faire provisoirement suspendre l'exécution de la décision qu'il attaque. Le
problème de l'exécution provisoire des jugements des tribunaux administratifs
ne se pose pas, l'appel (et donc le délai d'appel) n'ayant pas d'effet
suspensif en contentieux administratif. C'est au contraire le perdant qui peut
être exposé à subir des conséquences difficilement réparables si le jugement
est immédiatement exécuté ; aussi a-t-on étendu la procédure de sursis à
exécution aux décisions juridictionnelles, ce qui permet de conférer
exceptionnellement un effet suspensif aux appels.
La loi no 2000-597
du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions
administratives, entrée en vigueur le 1er janvier 2001 après la
publication du décret d'application no 2000-1115 du
22 novembre 2000, a créé au profit des juridictions administratives un
authentique référé, depuis longtemps espéré (v. CJA,
art. L. 511-1 s., R. 522-1 s.)[64].
Sont ainsi, notamment, à la disposition des justiciables le référé-suspension,
le référé-liberté, le référé conservatoire et le référé-provision
(respectivement art. L. 521-1, 2 et 3 et R. 541-1).
III – L’EXCLUSION DES CORPS
« ÉTRANGERS » :
LE CAS DES JUGES DE PROXIMITÉ
La disparition des juridictions et juges de
proximit. La loi
organique n° 2016-1090 du 8 août et la loi n° 2016-1547 du 18 novembre ont
rayé, respectivement, de l’ordonnance statutaire de 1958 et de la carte
judiciaire dessinée par le code de l’organisation judiciaire et les juges et
les juridictions de proximité. On dressera ici le bref historique d’une
institution née sous les auspices politiques quasi unanimes et les critiques
tout autant unanimes du monde judiciaire !
a) C'est la campagne de l'élection présidentielle de 2002 qui a été à l'origine
des juridictions de proximité créée par la loi no 2002-1138 du
9 septembre 2002 ; deux des principaux candidats (MM. Chirac et
Jospin) avaient en effet prévu de créer de telles juridictions, plus exactement
d'instituer des juges non professionnels pour juger les petits litiges civils
ou certaines contraventions de police. Le candidat élu en avait fait l'une des
priorités du début de son mandat et c'est ainsi que la loi du 9 septembre
2002 institua « dans le ressort de chaque cour d'appel », des juridictions
de proximité (COJ, art. L. 231-2), qui statuent « en première
instance, en matière civile et pénale » (COJ, art. L. 231-1). La
juridiction de proximité était très proche du TI et, au fur et à mesure des
travaux parlementaires sur la loi du 9 septembre 2002 qui l’avait créée et
avec la loi organique no 2003-153 du 26 février 2003
portant statut de ces juges, cette tendance s'était renforcée. Il est vrai que
des incompréhensions, pour ne pas dire une profonde hostilité, s’étaient
manifestées, venant essentiellement du corps judiciaire et notamment des juges
d'instance qui, à en croire certains juges de proximité, ont tout fait pour les
pousser à la démission (participation imposée à des commissions non rétribuées,
calcul mesquin des vacations, pas d'association à la vie de la juridiction de
proximité, fixation des audiences sans aucune concertation et sans tenir
compte des contraintes professionnelles des juges de proximité[65]
etc.), comme si le corps judiciaire était incapable d'accepter l'idée d'une
participation de simples citoyens à l'œuvre de justice, alors que d'autres pays
en ont généralisé le principe, que la France l'a connue au moment de la Révolution
et l'a conservée dans certaines juridictions (cours d'assises, tribunaux pour
enfants, conseils de prud'hommes, tribunaux de commerce, tribunaux paritaires
de baux ruraux, tribunaux des affaires de sécurité sociale) ; une
véritable polémique s'était instaurée en février 2005 au lendemain du vote
de la loi étendant les compétences des juges de proximité tant en matière
civile qu'en matière pénale, certaines organisations de magistrats et des
associations de consommateurs réclamant une pause de la réforme pour en dresser
un bilan, arguant de la mauvaise formation de ces juges[66] ;
en réalité, ce n'est pas tant leur formation qui était en cause (puisque ces
juges étaient, à défaut d'être des juges professionnels, des juristes de
formation), que le fait de leur confier, au civil, un contentieux difficile que
la faiblesse (relative) du montant du litige n'atténue en rien et sans recours
autre que le pourvoi en cassation ; intermittent de la Justice, mais
professionnel du droit et citoyen dévoué à la cause publique, le juge de
proximité méritait mieux que cette indignité et cette cabale lancées contre lui
par quelques professionnels de la justice à ce point coupés du monde extérieur
et repliés sur leur ego corporatiste, qu'ils n'arrivaient même pas à
concevoir que la justice puisse être rendue sans eux ; ce qui reste vrai,
c'est que la technicité du contentieux civil aurait dû conduire à plus de
prudence dans la répartition des compétences et le mythe naïf du juge de paix
jugeant en équité est dépassé ; or, c'est bien ce mythe qui avait inspiré
l'institution de ces juges, le même mythe qui laisse croire que des juristes
peuvent être correctement formés en dehors des facultés de droit, avec un
vernis de formation ; en fait, les deux juridictions apparaissaient plus
complémentaires que concurrentes et le juge de proximité était étroitement lié
au juge d'instance, tant dans son organisation, sa compétence que pour la
procédure qu'il devait suivre. On peut cependant regretter que les textes aient
été rédigés trop rapidement en juin-juillet 2002 et au cours de l'année 2003,
sans recul par rapport à l'existant (coordination avec les conciliateurs de
justice par exemple) et avec une compétence civile pas très claire (que la loi
du 26 janv.2005 avait amélioré) ; en outre, l'hypothèse de créer des
assesseurs non professionnels des juges d'instance, dans le cadre d'une vaste
réforme de toutes les juridictions de première instance, aurait mérité d'être
creusée (l'un des objectifs de la loi du 9 septembre 2002 avait été
d'envisager, à terme, un tribunal unique de première instance, sur lequel,
v. ss 371)[67].
Il était prévu de recruter, à terme, 3 300 juges de proximité (pour
plus de 8 000 juges professionnels) ; 642 seulement avaient pris
leurs fonctions au 1er février 2011, essentiellement des
avocats, policiers, notaires, quelques universitaires[68] ;
un peu plus de 400 l'étaient encore en 2014. Un groupe de travail avait remis
au Garde des Sceaux un rapport en novembre 2005[69],
qui ont inspiré certaines des modifications quant à la formation reçue par ces
juges (D. 4 janv. 2007). En tout cas, malgré les critiques, leur
activité a fait chuter celle des tribunaux d'instance, même si, au fil des ans,
le nombre d'affaires nouvelles traitées par les juridictions de proximité était
passé de 109 624 à en 2008 à 74 705 en 2013[70],
auxquelles s'ajoutaient 217 050 injonctions de payer (en 2011) contre
231 165 en 2008[71] ;
en revanche, leur activité de tentative de conciliation avait cru de 553 en
2009 à 811 en 2011.
b) La commission Guinchard avait beaucoup réfléchi à cette question du
maintien ou non de la juridiction de proximité et avait orienté ses
propositions dans deux directions : suppression de la juridiction
elle-même, dont la compétence réintégrait le TI (proposition no 2,
ss 199 et 354), mais maintien des juges de proximité, dont elle estimait
qu’ils étaient loin d'avoir démérité[72],
en leur confiant des tâches essentiellement pénales et en les plaçant désormais
sous l'autorité du président du TGI[73].
La loi précitée no 2011-1862 du 13 décembre 2011
avait repris l'essentiel des propositions de la commission, avec la suppression
de ces juridictions et une nouvelle répartition des compétences des juges de
proximité, qui devaient être rattachés directement au président du TGI[74].
Mais les lois no 2012-1441 du 24 décembre et no 2014-1654
du 29 décembre (art. 99) avaient reporté au 31 décembre 2014,
puis au 31 décembre 2016, cette suppression qui était initialement
programmée au 31 décembre 2012 (avec maintien en activité jusqu'au
30 juin 2017 pour les affaires en cours), avec l'idée, d'ici là, de revoir
l'organisation judiciaire de première instance, sur la base d'un tribunal unique,
au moins pour les contentieux dits de proximité.
c) Finalement, l’institution n’aura pas survécu aux
reports successifs qui sont devenus, en 2016, un double arrêt de mort. La loi
organique n° 2016-1090 du 8 août a ouvert le feu en rayant de l’ordonnance
statutaire n° 58-1270 du 22 décembre le statut de ces juges (art. 39-VIII qui
abroge purement et simplement, au 1er juillet 2017, tout le chapitre
V quinquies, anciens art. 41-17 à 41-24) ; cette loi leur permet de
devenir « magistrat à titre temporaire » (nouveau statut dans les
articles 41- 10 à 41-16 de l’ordonnance de 1958), pour le restant de leur
mandat (et la possibilité d’un second mandat), à condition qu’ils soient encore
en activité à la date de la publication de la loi et qu’ils en fassent la
demande dans le mois de cette publication (art. 50-II). La loi n° 2016-1547 du
18 novembre procède en deux temps : d’abord, elle reporte au 1er
juillet 2017 (art. 15-III) la suppression des juridictions de proximité voulue
par le législateur de décembre 2011 ; puis elle abroge toutes les missions
que la loi de 2011 avait entendu confier aux juges eux-mêmes (art. 15-IV, 1° et
2°).
III – L’EXCLUSION DES CORPS
« ÉTRANGERS » (SUITE) :
LE CAS DES UNIVERSITAIRES-MAGISTRATS
ASSOCIÉS
Proposition 23 de la
commission Guinchard (juin 2008)
« Possibilité de recruter, comme magistrats
associés et au niveau des cours d’appel, des professeurs et maître de
conférences en droit, selon un statut à définir, mais dans des conditions
symétriques et dans l’esprit du recrutement des magistrats comme professeurs ou
maîtres de conférences associés dans les Facultés de droit ».
Proposition n° 44 de la
commission delmas-guyon (décembre 2013)
Recruter des juges en service extraordinaire au sein
des facultés de droit et leur permettre, tout en poursuivant leurs activités
universitaires, de compléter les formations collégiales de jugement, sans y
être majoritaires, pour enrichir la collégialité dans les affaires
complexes : modification du code de l’organisation judiciaire.
aucune suite n’a été donnée à
ces deux propositions formulées à 5 ans d’intervalle.
[1] M. Cl. Calot, « L’image de la
justice », RRJ 1996/2. 637. Fr. Terré, « L’image de la
justice », in Mélanges Drai, Dalloz, 2000. V. Mikalef-Toudic,
« L’image du procès », CCE 2003. Chron. 5. Sur les
symboles de la justice (le glaive, la balance, le religieux dans le rituel
judiciaire), Les figures du procès au-delà des frontières, colloque
Toulouse 1 Capitole, 18 oct. 2012.
[2] L.-E. Moulin, L’architecture
judiciaire en France sous la Ve République, thèse Paris 1, déc.
2006. Sur le nouveau palais de justice de Paris (architecte : Renzo
Piano), rapport d’A. Garapon au ministre de la Justice, juillet 2016, « La
symbolique du futur tribunal de Paris »
[3] W. Mastor et L. Miniato [dir.], Les
figures du procès au-delà des frontières, Dalloz 2013, collec. Thèmes et
commentaires, série Actes, spéc. : p. 7, J. Théron, « Le glaive et la
balance, symboles universels de la fonction de juger » ; p. 19, J.-L.
Gazzaniga, « Un Temple pour la justice. Notes sur le caractère sacré de la
fonction de juger (XVIème-XVIIIème siècle) » ; p. 59, J. Danet,
« Les symboles en question dans le procès pénal » ; p. 93, A.
Daguerre, « Justice et République : charges et symboles autour de 1848 » ;
p. 137, Fr. Ost, « La justice, ses alternatives et ses symboles ».
[4] Pour une approche du procès
(généralement pénal) à travers la littérature : B. Breen, Dostoïveski,
Dire la faute, Michalon éd., Le bien commun, 2004. D. Salas, « Hugo,
Gide, Camus, le procès pénal dans le miroir de la littérature », in
Mélanges Ottenhof, Dalloz, 2006. D. et Ch. Amson, J.-G. Moore, Les
grands procès, PUF, 2007, préf. J. Vergès. C. Puigelier, « Voltaire
autour de l’histoire et du procès », Mélanges Guinchard, Dalloz,
2010, 33. D. Salas, « La justice saisie par la littérature dans l’œuvre de
Jean Carbonnier », Mélanges Guinchard, Dalloz, 2010, 53. J. Vergès,
Justice et littérature, PUF, 2011. Y. Benhamou, « Victor Hugo ou la
passion de la justice. Sur la peinture de la justice au XIXe siècle
dans le roman "Les Misérables" », Annonces Seine 2011,
suppl. no 11. C. Bouglé-Le Roux, La littérature française et
le droit, LexisNexis, 2013.
[5] C. Ribot (dir.), Droit et bande
dessinée, L’univers juridique et politique de la bande dessinée, PU
Grenoble, 1998, spéc. p. 8 à 12 (« une vision critique de la
Justice »).
[7] Mais pas toujours : v., par
ex., le film de Liu Jie sur la justice itinérante en Chine, Le dernier
voyage du juge Feng (2006), prés. D. Salas, Cahiers de la Justice,
ENM/Dalloz éd., 2011/2. 141.
[8] Ce sentiment fut largement partagé
du xvie au xviiie siècle chez
Molière (Le Misanthrope, acte V, scène 1), Boileau (Satires XII,
V-125), Beaumarchais (Le Mariage de Figaro, acte III,
section 13), Montesquieu (Lettres persanes, Lettre C), avant
de revenir à une conception plus sereine de la justice (De l’esprit des lois,
livre XXIX, chap. 13 où Montesquieu reconnaît que « les
formalités de justice sont nécessaires à la liberté »). Le magazine Culture
droit (vendu en kiosque) organise des rencontres avec des troupes de
théâtre sur le thème des relations « Théâtre et Justice » ; v.
par ex. J. Pillet, « Le théâtre : l’autre médiation ? Comment
Camus et Faulkner se retrouvent derrière une même idée de la justice », Culture
droit janv.-févr. 2006. 64.
[9] V. déjà le film d’H. Decoin, Les
inconnus dans la Maison (1942) avec Raimu, sur un dialogue de
H.-G. Clouzot et d’après un roman de G. Simenon ; L’affaire
Dominici (1973), avec Jean Gabin.
[10] V. par ex., le feuilleton
télévisé américain The law of Los Angeles. Sur une analyse du succès, en
France, des séries judiciaires américaines, v. Le Monde 2 août
1993, suppl. télé., p. 18 ; Culture droit nov. 2005. 60. B.
Villez, Séries TV : visions de la justice, PUF, 2005, qui montre
l’évolution des séries américaines vers la faillibilité des hommes dans le
fonctionnement des institutions, sans remise en cause de leur autorité.
[11] Sur les raisons de ce succès des
films américains, v. Culture droit juin-août 2005. 74, par Ch.
Guéry (« Justice à l’écran, pourquoi l’Amérique ? »). Parmi une
filmographie abondante, v. Music Box, Le mystère von Bülow, Absence of
negligence, Class action, Des hommes d’honneur pour la justice militaire, La
firme (1993) pour la déontologie (ou son absence...) des avocats, etc., Amistad
(1997) pour l’influence du pouvoir politique sur la procédure américaine en
1830-1850, L’Idéaliste, sur les modes de preuve ; Peur primale
(1995) et Chicago (2002) pour la technique de la cross examination,
c’est-à-dire des interrogatoires croisés.
[14] Sondage Louis-Harris, pour le
compte de la Mission de Recherche droit et justice, Le Monde 23 mai
2001, La tribune 23 mai 2001.
[18] L'expérience des citoyens assesseurs,
instaurée par la loi du 10 août 2011 aurait sans doute permis de donner une
autre image de la justice (pénale) par l'intermédiaire de ces personnes,
participant directement à son fonctionnement. Elle a été prématurément
interrompue par la Garde des Sceaux , aux termes d'un arrêté du 18 mars
2013 qui a mis fin à ce système à compter du 30 avril 2013.
[20] Le président de la République
s’adressant au Conseil d’État le 14 nov. 1979 (v. ce Précis, 3 éd.,
1991, no 120, en note) et... 16 ans plus tard, le garde
des Sceaux confiant une mission sur ce sujet à J.-M. Coulon, président TGI
Nanterre, rapport publié en 1997, Doc. fr. Nouvelle mission confiée, en
2004, au président du TGI de Paris, « Célérité et qualité de la justice »,
Doc. fr. 2004, mission prolongée en 2008 par une nouvelle mission sur la
procédure d’appel. V. P. Raynaud (un magistrat et non pas le professeur de
droit de Paris 2), Le principe de célérité en droit judiciaire privé, mythe
ou réalité ? (conférence prononcée en mai 1984, Ass. fr. dr. jud.
pr.). Rapport S. Guinchard sur la procédure civile Travaux du XVe
Colloque des IEJ, Clermont-Ferrand, 1983, Le temps dans la procédure,
Ann. Fac. dr. Clermont-Ferrand, 1983 ; rapport sur Les solutions
d’organisation procédurale au Colloque organisé par le TGI Nanterre et Ass.
phil. droit, 5 déc. 1995 (rapport de synthèse F. Terré et rapport sur
les aspects européens, M. A. Frison-Roche) Dalloz, coll.
« Thèmes et commentaires », 1996. J. Héron, « Le
temps et la procédure, rapport aux États généraux de la profession d’avocat sur
la réforme de la procédure civile », RJ Ile-de-France oct.-déc.
1997. Y. Strickler, « Les lenteurs de la justice, le procès »,
Ann. Toulouse, 1998, p. 33 ; J. Foyer, « La judiciarisation
en délire ou de l’abus du droit en un nouveau sens », in Mélanges Terré,
Dalloz/éd. Technique/PUF, 1999, p. 749 ; G. Canivet « Du
principe d’efficience en droit judiciaire privé », in Mélanges Drai,
Dalloz, 2000. J. Normand, « Les facteurs d’accélération de la justice
civile », ibid ; Ph. Thery, « La justice entre
l’exigence de la durée et la contrainte de l’urgence », Droits
2000/30. 89. S. Amrani-Mekki, Le temps et le procès civil,
Dalloz 2002, préf. L. Cadiet ; « Le principe de célérité »,
RFAP 2008, no 125, p. 43. Ch. Gavalda, « Le
temps et le droit », in Mélanges Mercadal, éd. F. Lefébvre,
2002. « Le temps et le droit », dossier de la revue Justice et
cassation, Dalloz, 2007. B. Bastard et Ch. Mouhanna, Une justice dans
l’urgence, PUF, coll. « Droit et Justice », 2007. B. Bastard, D.
Delvaux, C. Mouhanna et F. Schoenaers, Esprit du temps. L’accélération dans
l’institution judiciaire en France et en Belgique, étude pour le GIP
Justice, 2012. C. Chainais [dir.], Le temps, rapport annuel de la Cour
de cassation, 2014.
[21] D. Poupeau, « Le stock des
affaires en instance baisse devant les juridictions administratives », AJDA
2014, 1060.
[22] Dans l’affaire Ringeisen, la
Cour EDH ayant reconnu la violation de cette disposition à l’égard de ce
prévenu lui a accordé une indemnité de 20 000 DM. V.
R. Pelloux, Ann. dr. internat., 1974, p. 334 ; v. aussi
sur l’application de l’art. 5-3, l’aff. Neumeister, 27 juin
1968, ibid, 1969, p. 276. Sur l’ensemble de la question en droit européen, v.
S. Guinchard et alii, Droit processuel. Droits fondamentaux du
procès, op. cit., nos 421 à 434.
[24] R. Goma, « De la
responsabilité de l’État pour
inobservation du délai raisonnable par la justice », AJDA 2013,
564.
[25] Sur cette disparité, v. les
Chiffres clefs de la Justice qui donnent désormais la répartition des
juridictions selon la durée de traitement des affaires.
[27] V. Rapport Varinard « Adapter
la justice pénale des mineurs. Entre modifications raisonnables et innovations
fondamentales », Doc. fr., 2009, ann. 2 sur les délais moyens de la
justice pénale des mineurs, p. 224.
[28] En dernier lieu, après tant
d’autres rapports, Sénat, no 49, 1996-1997, Quels
moyens pour quelle justice ?
[29] La « condamnation » d’un
État pour délais excessifs des jugements peut être à l’origine, pour en éviter
la répétition, d’un effort particulier des États ; v. ss 82, les
conséquences budgétaires de l’arrêt du 7 juill. 1989 dans l’aff. Union
Alimentaria Sanders SA. On ajoutera que la lenteur de la justice peut être
due, exceptionnellement, à une cause purement accidentelle : dans l’aff. Sté
Cabinet Revert et Badelon, 30 oct. 1996, qui a marqué une avancée
importante de la jurisprudence communautaire du Conseil d’État, l’appel avait
été enregistré en 1982 ; mais le dossier avait été égaré. V. concl.
M.-G. Goulard, Bull. concl. fisc., F. Lefebvre, 6/96, spéc.
p. 72.
[30] Par ex. déclaration du secrétaire
général de l’USM, L’Express 27 juin 2002. Ou encore les
déclarations de l’ensemble des organisations syndicales de magistrats, lors de
l’affaire d’Outreau et de la mise en cause de la Justice, notamment le
4 avril 2006 lorsqu’elles ont été auditionnées (avec des magistrats pris
ès qualité et un professeur de droit à Paris 2, signataire de ces lignes) par
la Commission d’enquête parlementaire.
[31] H. Lehman, Justice, une lenteur
coupable, PUF, 2002 (interview de l’auteur, Le Figaro 18 oct.
2002 ; compte-rendu par l’auteur in Le Figaro Magazine
23 nov. 2002). Contra : Le Nouveau pouvoir judiciaire
sept. 2001, p. 42.
[33] Des exemples, il est vrai
exceptionnels, montrent que la lenteur de la justice tient beaucoup plus à
l’encombrement des juridictions qu’à l’inadéquation des règles de procédure. En
1962, dans la période de crise de la fin de la guerre d’Algérie, un tribunal
spécial créé par une ordonnance du président de la République avait condamné à
mort trois accusés le 17 sept. 1962 ; leur exécution devait, selon la
presse, intervenir le 20 oct. ; l’arrêt du Conseil d’État annulant
l’ordonnance créant cette Cour militaire sur recours des condamnés intervient
le 19 oct. ; V. CE Ass. 19 oct. 1962, Canal, Robin,
Godot, v. GAJA, 19e éd., 2013, no 79. De
même, dans l’affaire particulièrement complexe de la Fusion du Crédit
Agricole et du Crédit Lyonnais, où diverses raisons appelaient une décision
rapide du Conseil d’État celui-ci, saisi le 27 mars 2003, a rendu son
arrêt le 16 mai, six heures seulement après la présentation de ses conclusions
par le commissaire du gouvernement ; v. CE, ass., 16 mai 2003, Fédération
des employés et cadres [CGT-FO] et autres, ADJA 2003. 2003,
chron. F. Donnat et D. Casas.
[35] Ceci contribue à expliquer
l’encouragement apporté par les pouvoirs publics au développement des formes
amiables de règlement des litiges. Caractéristique est à cet égard
l’introduction de la circulaire précitée du 4 septembre 1981 (v. ss 46,
note) : « la nouvelle procédure de règlement amiable des litiges
concernant les marchés publics répond en premier lieu (...) à la préoccupation
des pouvoirs publics de remédier à l’encombrement des juridictions
administratives et d’éviter les inconvénients inhérents aux actions en justice,
en développant la conciliation au niveau du recours gracieux ». V., à
propos de la publication du Rapport d’activité 2005 du Conseil d’État,
l’entretien avec le Vice-président du Conseil d’État, AJDA
2005. 628.
[36] Dans les années 1990, environ
4 millions de réclamations fiscales étaient adressées annuellement à
l’Administration fiscale ; grâce au mécanisme du mémoire (c’est-à-dire de
la réclamation) adressé au fisc, plus des 4/5 des litiges étaient réglés à ce
stade.
[37] Décr. no 2001-407,
7 mai 2001. V. J.-L. Pissaloux, « Une expérience réussie :
le recours administratif préalable des militaires », AJDA 2005.
1042.
[38] Il faut également signaler les
procédures alternatives aux poursuites qui en 2013 représentent 37,8% des
affaires poursuivables (Chiffres clés de la justice pour 2013, novembre 2014).
[41] S. Guinchard, in Le temps
en procédure civile, les solutions d’organisation procédurale, colloque TGI
Nanterre et Ass. fr. philo. droit, 5 déc. 1995, coll. « Thèmes et
commentaires », Dalloz, 1996.
[42] Pour la Justice, Institut
Montaigne, sept. 2004, p. 11, qui préconise la simplification des
structures (suppression des juridictions administratives, unification des
juridictions existantes, mise en place de un ou deux tribunaux de pleine
compétence par département, développement de l’échevinage), la simplification
des procédures (alignement des délais de procédure sur les plus courts) et des
flux contentieux (transfert des contentieux de masse à des organismes distincts
des juridictions étatiques, promotion des modes alternatifs,
déjudiciarisation).
[44] L’exemple du Conseil d’État montre
(v. plus loin) que pour désencombrer le prétoire d’une juridiction, on peut
faire l’économie de l’examen en formation collégiale de certaines questions
plus simples, comme le règlement des difficultés de compétence entre les
juridictions administratives, en en confiant la décision à un juge unique – en
l’espèce le président de la section du contentieux. Mais dans cette voie il
convient de veiller à l’égalité des justiciables se trouvant dans des
situations comparables, cette égalité ayant valeur constitutionnelle comme l’a
décidé le Conseil constitutionnel dans l’affaire dite du juge unique
correctionnel : v. la décis. 75-76 DC, 23 juill. 1975
(v. ss 146).
[45] Au plan européen, les mêmes causes
produisant les mêmes effets, le remède à l’encombrement de la Cour de justice a
été cherché dans la création en 1988 d’un Tribunal de première instance, chargé
de juger des catégories de litiges gros consommateurs de temps en raison de la
complexité des questions de fait qu’on y trouve, puis en 2005 d’un Tribunal de
la fonction publique européenne.
[46] Redéploiement ou accroissement des
moyens, redistribution des compétences, mise en place de procédures
alternatives de règlement des litiges.
[47] La Recommandation R. 81-7 du
Conseil de l’Europe invite les États membres à doter les tribunaux d’un
personnel suffisamment nombreux.
[48] Cf. H. Lehman, Justice, une
lenteur coupable, PUF, oct. 2002, préc., v. ss 233. Le corps des TA et des
CAA est passé de quelques 600 magistrats en 1995 à 850 en 2005. Des TA ont
été créés à Cergy-Pontoise, Melun, Toulon et Nîmes (2006), une CAA à
Versailles.
[50] On se heurte parfois, parmi
d’autres obstacles à la réticence de leurs membres de voir trop augmenter leur
nombre ; ce réflexe est particulièrement marqué au Conseil d’État et à la
Cour des comptes, dont les membres font partie des « grands corps »
de l’État, dont le prestige est en partie lié à la relative faiblesse de leur
effectif qui assure une sélection poussée.
[56] Sur ces protocoles dans leur
contenu et leur valeur juridique, C. Bléry, in Procédure civile, Dalloz-Action
[dir. S. Guinchard], 2014-2015, Titre 30, p. 777 s.
[57] La saisine d’une juridiction par télécopie
semble admise, devant la Cour de cassation (Soc. 22 janv. 1992) si la
représentation par avocat n’est pas obligatoire ; de même devant le
Conseil d’État (25 sept. 1991, Desort ; T. confl. 22 oct.
1992, Lebon. 492). V. le compte-rendu de la conférence organisée en
septembre 2001 à Paris par l’Association des juristes franco-britanniques sur
l’apport possible des nouvelles technologies, publié sous le titre :
Justice en ligne, justice de demain ?, LPA, 5 déc. 2001,
p. 7.
[58] V. Rapport de la commission
sur l’enregistrement et la diffusion des débats judiciaires sur le site
internet www.justice.gouv.fr. V. par ex : Lavric, « La
visio-conférence : le procès de demain », AJ Pénal 2007. 11 et
le dossier sur les nouvelles technologies au service de la procédure pénale
A.J. Pénal 2007, 460. On peut ajouter que l’article 14 de la loi n°2015-177,
relative à la modernisation et à la simplification du droit du 16 février 2015,
a organisé un système de notification par voie éléctronique, par l’autorité
judiciaire, à toute personne, dès lors qu’elle y a préalablement consenti pour
des avis, convocations ou documents lorsqu’était préalablement prévue une
lettre simple ou recommandée avec ou sans accusé de réception (C. pr.
pén., art. 803-1 II).
[62] B. Bouloc, « La durée des
procédures : un délai enfin raisonnable », RSC 2001. 55.
Pour une critique, J. Pradel, D. 2000. 1039 et 1114. On notera
que la loi du 9 sept. 2002 est revenue, sur le contrôle de la durée des
enquêtes (C. pr. pén., abrogation des 3 derniers alinéas de
l’art. 77-2).
[63] O. Dugrip, L’urgence
contentieuse devant les juridictions administratives, PUF, 1991.
M. Levy, « Urgence, délai à juger et libertés sur les contradictions
de l’office du juge administratif », LPA 16 févr. 1994. En
matière fiscale, il existait déjà une procédure de référé fiscal permettant de
surseoir au paiement d’un impôt faisant l’objet d’une réclamation, lorsque le
sursis légal de paiement de cet impôt est refusé par le comptable public qui
rejette les garanties proposées par le contribuable (LPF, art. L. 279
s.).
[64] V. J. Lessi et A. Bretonneau,
« Référés : l’irrésistible ascension », AJDA 2014,
1484 ; v. cependant Ph. Delelis, « Les insuffisances des procédures
de référé », AJDA 2011. 320.
[66] V. l’enquête de N. Guibert et
Manuel Armand, Le Monde 16 févr. 2005, p. 6. V. aussi,
Gracieuse Lacoste et Agnés Martinel, Le Monde 15 févr. 2005.
[72] Pour une autre approche, à partir
d’un constat identique, Rapport CERCRID (univ. Saint-Étienne) à la Mission
Droit et Justice, 2008, compte-rendu JCP 2009. I. 106. V. aussi, Les
juges de proximité. Une sociologie pragmative et comparative, Rapport pour
la Mission Droit et justice, Ecole nationale des ponts et chaussées, 2008.
[74] Outre les commentaires généraux de
la loi du 13 décembre 2011 : C. Humann, « les juridictions de
proximité sont mortes, vive les juges de proximité », LPA 9 fév.
2010, n° 29. M. Véricel, « L’abandon de la justice de proximité en matière
civile », JCP 2012, doctr. 194.
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