SOMMAIRE
I – PROBLÉMATIQUE DE L’INDÉPENDANCE DU JUGE PAR RAPPORT AU GOUVERNEMENT
II – LA QUESTION DE L’APPARTENANCE DU PARQUET AU CORPS JUDICIAIRE
III – PROPOSITION POUR UN NOUVEAU CORPS JUDICIAIRE RÉELLEMENT INDÉPENDANT
I - PROBLÉMATIQUE DE L’INDÉPENDANCE
DU JUGE PAR RAPPORT AU GOUVERNEMENT
Le problème : juge et fonctionnaire
Le justiciable attend de ses juges l'indépendance (qui
est un statut) par rapport au pouvoir politique[1] et
l'impartialité[2] (qui est une
vertu) par rapport à toutes les formes de pouvoir. Sans doute celles-ci
reposent-elles avant tout sur des qualités d'esprit personnelles : celui
qui a choisi cette fonction entend par là même faire preuve d'indépendance (et
donc d'impartialité) par rapport au réseau des relations diverses :
philosophiques, politiques, sociales dans lesquelles il est impliqué[3]. Mais il est
nécessaire que son statut lui assure son indépendance et concoure, par là même,
à le conforter dans la vertu d'impartialité en le préservant du risque de
pressions de la part de l'État. Cette liaison entre indépendance et
impartialité est marquée dans la rédaction de l'article 6-1 de la
Convention EDH, article qui dispose : « Toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi ».
L'indépendance du juge est aussi régulièrement affirmée par le Conseil de
l'Europe[4]. Pour le
Conseil constitutionnel, « les principes d'indépendance et d'impartialité
sont indissociables de l'exercice des fonctions juridictionnelles »[5].
Un moyen radical de garantir
l'indépendance consisterait à assurer une séparation organique du juge et du
gouvernement. Seulement voilà : le juge professionnel français est aussi
un fonctionnaire, et donc, un agent dépendant du Gouvernement, à l'égard duquel
sa liberté de jugement doit être assurée. Cette dépendance organique
vis-à-vis de l'exécutif avait été marquée avec force par le Général de Gaulle
dans une conférence de presse le 31 janvier 1964 : « il doit
être évidemment entendu que l'autorité indivisible de l'État est confiée tout
entière au président par le peuple qui l'a élu, qu'il n'en existe aucune autre,
ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée
et maintenue par lui ». Le temps a passé et ces propos sont dépassés,
ne correspondent plus aux exigences et aux besoins du temps présent, mais ils
ont marqué les esprits et les institutions ; ils doivent, en tout cas,
être replacés dans un contexte différent, celui d'un mouvement d'idées vers l'affirmation
d'un pouvoir judiciaire fort.
Face à cette dépendance organique,
l'indépendance fonctionnelle du juge doit être assurée par un
aménagement particulier de son statut, mais avant d'étudier celui-ci, au moins
dans ses grandes lignes, il convient de préciser la problématique de
l'indépendance du juge dans ses trois composantes : recrutement,
avancement et inamovibilité, étant précisé qu'il ne s'agit ici que des juges
professionnels, à l'exclusion des juges élus de certaines juridictions ou des
juges aux fonctions limitées dans le temps que sont les juges exerçant leurs
fonctions à titre temporaire dans les juridictions composées de magistrats
professionnels (ord. n° 58-1270 du 22 décembre, par ex. les conseillers et
avocats généraux en service extraordinaire à la cour de cassation, art. 40-1 à
40-7, ou ceux en détachement des articles 41 à 41-9 ou encore ceux des articles
41-10 à 41-16, réd. LO. n° 2016-1090 du 8 août) et qui relèvent tous d'une
autre problématique, même si les exigences d'indépendance et de capacité
professionnelle sont les mêmes[6].
1. Problématique d'un recrutement impartial
des magistrats
Des magistrats compétents et indépendants. Le recrutement des magistrats doit
répondre à un seul impératif, permettre que le pays dispose d'une justice
composée de juges compétents et indépendants, tout en garantissant la
légitimité de leurs fonctions (v. aussi, sur cet aspect de la légitimité)[7]. En effet, un
magistrat doit être à même de résoudre des questions qui sont souvent
aujourd'hui d'une grande complexité technique, sans pour autant perdre de vue
l'aspect humain des procès, par exemple en matière familiale et en matière
pénale. Il doit, en outre, être capable de maintenir sa compétence tout au long
de sa carrière, donc de s'adapter. Quant à son indépendance, ce n'est pas
seulement une question de statut une fois recruté, mais aussi un état d'esprit
chez le juge et une culture chez ses interlocuteurs ; et l'on rejoint ici
le recrutement qui doit permettre de s'assurer des composantes d'une
personnalité vouée ou non à la servilité ; car, si un bon statut est un
statut offrant des garanties contre certaines pressions, il n'est rien si
l'homme qui en bénéficie est par nature servile et enclin à sacrifier certains
principes sur l'autel de ses intérêts personnels[8]. C'est dire la
complexité du problème, puisqu'il faut mixer les deux aspects de la compétence
et de l'indépendance.
Un bon système de recrutement serait
celui qui, d'une part, permettrait de s'assurer que ces deux qualités sont
réunies sur la personne candidate à la fonction de juge et, d'autre part
permettrait de garantir la pérennité de ces qualités tout au long de la
carrière pour les juges professionnels ou de l'exercice de leurs fonctions pour
les juges non professionnels.
Les divers modes de recrutement possibles. Les précédents historiques et les
expériences étrangères[9] nous
enseignent que trois modes de recrutement sont envisageables pour répondre aux
exigences de compétence et d'indépendance[10] :
1) Le tirage au sort : quelque peu mythique (le
« doigt de Dieu »), de tradition en Grèce antique, il présente
l'inconvénient majeur d'opérer un choix aveugle, sans aucun discernement, parmi
les citoyens. Sa seule « qualité » (mais en est-ce bien une ?)
est de placer tous les citoyens sur le même pied pour accéder à la fonction de
juger. Son inconvénient c'est qu'il ne transformera jamais un incompétent en
compétent, un pervers en un juge apte à écouter les autres, un servile en un
homme indépendant. Il n'existe en France, que pour la Cour d'assises, avec le
tirage au sort des jurés (cf. ss 585) (et sous réserve d'une brève
apparition dans les instances universitaires dans les années 1980).
2) L'élection[11] : a priori, elle garantit la confiance des citoyens en leurs
juges. À l'inverse elle ne garantit ni leur compétence, ni leur capacité à
résister aux éventuelles pressions de ceux qui les ont élus, encore que sur ce
point, l'indépendance soit plus une question d'état d'esprit et de personnalité
que de mode de recrutement. On peut être élu et indépendant, on peut être
fonctionnaire et servile. Largement répandue aux USA à tous les niveaux de la
hiérarchie judiciaire[12] et alors que
la Révolution française l'avait généralisée entre 1791 et l'an VIII[13], elle était
pratiquée en France pour quatre juridictions d’exception fondée sur leur
spécialisation, mais elle est en voie d’extinction pour trois d’entre elles, au
profit de la désignation de leurs membres : au 31 décembre 2017 pour les
tribunaux paritaires des baux ruraux et les conseillers prud'homaux, au
31 décembre 2018 pour les tribunaux des affaires de sécurité sociale, lesquels
disparaîtront, à cette date, pour intégrer une chambre spécialisée des
TGI ; échappent à ce mouvement les tribunaux de commerce, leurs membres
continuant d’être élus. Le risque le plus grand est celui d'une politisation
des élections des juges, donc à terme, celui d'une justice partiale. De même
que le risque de l'absentéisme des électeurs.
3) La nomination : c'est de loin le système le plus
répandu en France et à l'étranger. L'État ayant compétence en matière
judiciaire, nomme ses juges. Mais alors, la question, se déplace : selon
quels critères ?
Bien sûr il y a la nomination
arbitraire, sans condition de compétence. Elle n'est pas inconnue en France,
d'abord avec les nominations au « tour extérieur » en matière
administrative ; ce qui est critiqué ici, c'est davantage la possibilité
des abus (avec des nominations entièrement politiques) que le principe qui peut
permettre d'aérer un corps sans difficulté. Elle existe aussi pour certains
juges non professionnels : c'est ainsi que les assesseurs des tribunaux
des affaires de sécurité sociale et ceux des tribunaux pour enfants sont
nommés, les premiers par les premiers présidents de cour d'appel (sur
proposition des organisations professionnelles représentatives qui dressent une
liste de candidats), les seconds par le garde des Sceaux (sur proposition du
premier président de la cour d'appel). On le voit, la nomination est ici
tempérée par un choix préalable, une sorte de présélection.
Dans le passé, la nomination s'est
accommodée de la vénalité des charges : le Roi nommait ceux qui achetaient
une charge de judicature, partie intégrante du patrimoine de l'acquéreur et
transmise à ses héritiers. Elle assurait une forme d'indépendance financière à
l'égard du pouvoir, mais introduisait un esprit de caste et faisait fi de la
compétence au profit de la fortune. S'il n'est pas envisageable de revenir à ce
système, il faut souligner qu'il subsiste pour les notaires et les huissiers
par exemple, avec une amélioration par rapport à l'Ancien droit : certes
il faut être fortuné mais si cette condition est nécessaire (encore qu'atténuée
par les formules d'association au sein de sociétés civiles professionnelles et
par les prêts bancaires), elle n'est pas suffisante, des conditions de
compétence étant exigées, des candidats à l'acquisition d'une charge.
La nomination sur réussite à un
concours : ce système
du concours, sur lequel repose toute la tradition de l'administration en
France, assure sans doute mieux que d'autres, le contrôle de la compétence,
puisqu'on peut moduler les épreuves, donc les exigences techniques. Mais il
présente deux défauts : il ne garantit pas la pérennité de cette
compétence actée à un moment donné (et selon quels critères ?), parce que
la personne recrutée peut ensuite se laisser aller à ne pas actualiser ses
connaissances. En outre, il ne garantit pas l'existence de ces qualités
humaines, non techniques, qui font que quelqu'un est un bon juge. Face à la
complexité de la nature humaine et à la fragilité des justiciables (inhérente à
la relation de l'homme avec la Justice), le recrutement sur concours, à
25 ans, voire 22 ou 23 ans garantit-il, pour 40 ans, la présence
et la permanence de ses qualités extra-techniciennes ? Il est permis d'en
douter, même s'il ne faut pas systématiser la remarque à tous les juges
aujourd'hui en fonction.
Un auteur, fort de son expérience
professionnelle, a même pu écrire, avec beaucoup de clairvoyance et de
pertinence que « le mode actuel de recrutement des magistrats [le
concours] est certainement la principale cause de la faillite du système… Les
fonctions de magistrat sont probablement les seules auxquelles ne peut destiner
une école, fût-elle prestigieuse, ce que n'est pas ou n'est plus l'ENM[14]. Il est
d'ailleurs permis de s'interroger : est-il bien « normal » à
25 ans de se sentir une vocation de juge ou même de se croire capable d'en
exercer les fonctions ? »[15].
Les réformes engagées à partir de
1998 pour accroître le recrutement par concours « exceptionnels »,
devenus « complémentaires » en 2001 (v. ss 833) vont en ce sens.
2. Problématique de l'avancement des magistrats
Carrière et indépendance. Du fait du mode de recrutement
dominant pour les magistrats judiciaires professionnels, sur concours et très
jeunes, les magistrats sont soumis à un besoin d'avancement, sauf à les
rémunérer tous au même niveau tout au long de leur carrière ! Faire
carrière dans une hiérarchie, c'est avancer dans cette hiérarchie[16]. On conçoit
alors que l'indépendance risque d'être menacée si l'avancement dépend de la
servilité.
Il est fort rare – et il serait
politiquement risqué face aux réactions prévisibles d'au moins une partie des
hommes politiques et de la presse – que le gouvernement intervienne directement
auprès d'une juridiction (au surplus collégiale) pour infléchir dans un certain
sens la décision qu'elle devra rendre dans une affaire. La pratique a montré
depuis longtemps que d'autres procédés peuvent être plus discrets en demeurant
tout aussi efficaces. Si l'inamovibilité met le pouvoir exécutif dans
l'impossibilité de porter atteinte à la situation et à l'indépendance des
magistrats par des disgrâces imméritées, il lui reste toujours l'attrait des
récompenses, s'il ne peut plus compter sur la crainte du châtiment. Si
l'Exécutif peut peser sur la rapidité d'avancement des juges, et sur leur
nomination à des postes recherchés, l'indépendance des magistrats, à moins
qu'ils ne soient d'une force de caractère et d'un désintéressement hors du
commun, en sera tout autant menacée. Mais alors, comment éviter l'arbitraire et
le favoritisme ?
On pourrait être tenté de chercher
une garantie dans une promotion automatique à l'ancienneté : si cette
méthode joue un large rôle en matière de rémunération, elle rencontre certaines
limites naturelles, notamment dans l'existence d'une organisation pyramidale
des juridictions. Ne serait-ce que pour permettre l'accès à des fonctions qui
deviennent de moins en moins nombreuses à mesure que l'on s'élève dans leur
hiérarchie, il est nécessaire de faire une place à l'avancement au choix.
3. Problématique de la mobilité du corps
Mobilité et indépendance. Un corps de magistrats n'est pas
figé. Pour les besoins du service public de la Justice, pour ceux des
justiciables, il n'est pas mauvais que les magistrats ne restent pas trop
longtemps en fonction dans la même juridiction. Mais il y a là un moyen
supplémentaire à la disposition du gouvernement pour exercer certaines
pressions, pour porter atteinte à l'indépendance des juges. Comment concilier
ces exigences contradictoires ? La réponse peut être recherchée dans un
principe d'inamovibilité, c'est-à-dire de l'exigence du consentement de
l'intéressé pour toute mutation, mais tempérée par la notion d'inamovibilité temporaire,
dont les conditions seraient fixées par statut, dans la loi organique régissant
le corps des magistrats. Si un juge, même du siège, sait, dès son entrée dans
une fonction, que celle-ci ne peut pas dépasser une certaine durée, il n'y a
pas atteinte à son indépendance[17]. C'est en ce
sens que se prononce la loi organique du 25 juin 2001, conformément à
certaines des propositions émises dans les éditions antérieures de ce précis,
depuis sa 4e éd. en 1996.
L'inamovibilité existait sous
l'Ancien régime comme conséquence de la vénalité des offices. Aujourd'hui,
l'inamovibilité existe pour des causes différentes. Elle correspond au besoin
d'assurer aux magistrats l'indépendance et la dignité de leur vie et constitue
surtout une garantie de bonne justice pour les justiciables. L'inamovibilité
n'est pas tant, en effet, une faveur pour les magistrats qu'une sauvegarde pour
les justiciables ; c'est ainsi que nous devons l'envisager. Cela nous
conduit à préciser les solutions françaises à l'indépendance du juge.
II – LA QUESTION DE L’APPARTENANCE DU
PARQUET
AU CORPS JUDICIAIRE
La question de l'appartenance des membres du Parquet
au corps des magistrats. Le statut du ministère public fait aujourd'hui débat[18], notamment
son appartenance à l'autorité judiciaire au même titre que les juges du siège,
que des voix autorisées, de plus en plus nombreuses, remettent en cause[19]. On
précisera d'emblée que le Conseil de l'Europe s'est attaché à préciser le rôle
du ministère public dans la justice pénale et à fixer, sans valeur
contraignante pour les États, les principes qui doivent inspirer les
législateurs nationaux, que les procureurs appartiennent au même corps
judiciaire que les juges du siège ou qu'ils forment un corps distinct de
fonctionnaires[20].
a) Pour le Conseil constitutionnel, l'indépendance des membres
du parquet envers l'exécutif est exprimée d'une manière ambiguë, en tout cas
qui ne les met pas sur le même plan que les juges du siège[21] :
- à maintes occasions, le Conseil a affirmé
l'appartenance du parquet à l'autorité judiciaire, ainsi pour faire bénéficier
ses membres de la protection attachée au caractère organique du statut de la
magistrature[22]. Ou encore,
le 11 août 1993, pour admettre qu'ils puissent prolonger de 24 heures
une garde à vue qui a déjà duré 24 heures[23] et le
22 avril 1997 pour leur reconnaître qualité à autoriser des officiers de
police judiciaire à pénétrer dans des lieux à usage professionnel afin de
vérifier la légalité du travail qui s'y exécute[24]. Ou encore,
de manière incidente et stupéfiante, dans sa décision 2010-14/22 QPC du
30 juillet 2010 sur la garde à vue[25] ;
- en revanche, cette appartenance, même si elle n'est
pas remise en cause dans d'autres décisions, ne place pas les membres du
parquet sur un pied d'égalité avec les juges du siège, en raison d'une part, de
leur statut (le principe de subordination) et, d'autre part, des fonctions
qu'ils exercent, à savoir la poursuite et non pas le jugement. Dès lors,
lorsque la mesure à prendre ou à contrôler est plus grave pour les libertés
individuelles que celles déjà indiquées, seul un juge du siège a qualité pour
intervenir. Ainsi, pour une prolongation de garde à vue au-delà de
48 heures (décis. 11 août 1993), pour le prononcé d'une injonction
pénale, véritable sanction (décis. 2 févr. 1995)[26] et pour
autoriser des perquisitions de nuit en matière d'actes de terrorisme (décis.
16 juill. 1996). Encore, lorsque le ministère public autorise le
raccompagnement en Roumanie d'un mineur isolé : pour le Conseil, aucun
recours juridictionnel effectif n'existe alors et il censure l'accord
franco-roumain en question, alors qu'il le valide lorsque la même décision est
prise par le juge des enfants, juge du siège[27].
b) Dans les conditions qui viennent d'être décrites, on ne s'étonnera pas que
la Cour EDH après avoir hésité en 1979[28], considère
que les membres du parquet ne sont pas, en France, des magistrats habilités à
se prononcer sur une arrestation ou une détention pour deux raisons :
l'une liée à leur manque d'indépendance organique tant à l'égard de l'exécutif
que dans les rapports internes du parquet, l'autre liée à leur partialité fonctionnelle
envers les personnes détenues puisqu'ils ont la possibilité d'être organe de
poursuite à leur égard et de soutenir l'accusation contre elles devant une
juridiction de jugement. C'est ce qu'elle a décidé dans la célèbre affaire Medvedyev
(interception d'un navire immatriculé au Cambodge, le Winner, à bord
duquel se trouvaient des trafiquants de drogue) : dans son arrêt du
10 juillet 2008[29], la
Cour EDH a clairement jugé que les membres du parquet français n'étaient
pas des magistrats indépendants et impartiaux au sens de l'article 5,
§ 3 de la Convention EDH ; certes, sur appel jugé le 29 mars
2010[30], la Grande
chambre de la Cour EDH n'a plus condamné la France de ce chef, mais c'est
en éludant la question au vu de circonstances nouvelles en l'espèce (portées
tardivement à la connaissance de la Cour par le Gouvernement français), tout en
maintenant par ailleurs ses exigences et critères d'appréciation de
l'indépendance et de l'impartialité des magistrats chargés de contrôler une
arrestation ou une détention ; en effet, la Cour relève que la France a
« pour la première fois durant la procédure, ce que la Cour ne peut que
regretter, apporté des informations étayées sur la présentation des requérants
à des juges d'instruction chargés de l'affaire », dès leur arrivée à Brest
(§ 127), ce qui a pour effet de valider la procédure (car il n'est pas
contesté, selon la Cour EDH que « le juge d'instruction est un
magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires »,
§ 128) ; dès lors, point n'était besoin d'envisager l'affaire sous
l'angle du rôle du parquet ; pour autant, la Cour rappelle et souligne que
« le magistrat [chargé du contrôle] doit présenter les garanties requises
d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties, ce qui exclut notamment
qu'il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à
l'instar du ministère public » (§ 124). En d'autres
termes, la Cour EDH n'exige pas que le parquet français change de statut,
mais estime que, s'il conserve son statut actuel, il ne peut pas être habilité
à contrôler les arrestations et mises en détention ; à l'inverse, si le
statut change au regard des deux exigences ici rappelées, le parquet pourra
contrôler les arrestations et détentions[31]. L'arrêt Medvedyev
ne signifie pas autre chose. L'arrêt rendu dans une autre affaire (France
Moulin) confirme la solution et cette analyse[32] : parce
qu'il sera conduit à apprécier la mise en mouvement de l'action publique contre
le gardé à vue, le parquet ne peut effectuer le contrôle de cette garde à
vue ; accroître son indépendance à l'égard de l'exécutif dans les
conditions prévues pour la loi no 2013-669 du
25 juillet 2013 ne change rien au problème de sa partialité. La Cour EDH a
encore confirmé sa position dans une affaire présentant d'évidentes similitudes
de fait avec l'arrêt Medvedyev (marins arrêtés en pleine mer, au large
de la Guinée, retenus pendant les 18 jours du trajet vers Brest par des
fusiliers marins, placés en garde à vue par un procureur et ne comparaissant
devant un JLD que 48 heures plus tard[33]) ; le
délai d'intervention du JLD a été jugé trop long en raison des 18 jours
qui ont précédé la mise en garde à vue. Nouvelle confirmation dans un arrêt du
4 décembre 2014, pour une affaire identique mais au large de la
Somalie : les pirates d'un bateau arrêtés en pleine mer et conduit par
l'armée en France, sont placées en garde à vue et ne sont présentés à un juge
d'instruction que 48 heures après cette arrivée et mis en examen par ce
juge ; la Cour juge qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 « du fait
qu'à leur arrivée en France les requérants, déjà privés de liberté, ont été
placés en garde à vue plutôt que traduits « sans délai » devant une
autorité judiciaire française »[34] ;
clairement est réaffirmée l'opinion que le procureur n'était pas cette
« autorité judiciaire ». Pour mettre fin à cette série de
condamnations liées à des arrestations en pleine mer, la loi n° 2016-731 du 3
juin précise désormais, dans l’article L. 1521-18, C. défense que les personnes
arrêtées en haute mer faisant l'objet d'une garde à vue à leur arrivée sur le
sol français doivent « dans les plus brefs délais », être présentées
à un juge du siège, ce qui ne règlera pas, pour autant, le cas du juge
d’instruction, selon ce qui va être dit maintenant.
c) La chambre criminelle de la Cour de cassation, s'appuyant sur cette jurisprudence
européenne a considéré, dans un arrêt du 15 décembre 2010, avec une audace
à laquelle elle ne nous avait guère habitué jusqu'à cette date, que le
ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5,
§ 3 de la Convention EDH (contrôle des mesures de garde à vue), parce
qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité requises
par ce texte et qu'il est partie poursuivante, donc « juge » et
partie à la même procédure[35].
Jurisprudence confirmée dans la question de la géolocalisation, dont la chambre
criminelle juge qu'elle « constitue une ingérence dans la vie privée dont
la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge »
(sous-entendu, du siège)[36].
d) Malheureusement, la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 qui refond
le régime de la garde à vue, maintient le contrôle de principe du procureur de
la République (CPP, art. 62-3) en tant que membre de l’autorité judiciaire
(CPP, art. 62-2), exposant ainsi la France au risque d’une nouvelle
condamnation par la Cour EDH. Pour autant, la même loi tire certaines
conséquences du refus de voir, dans les magistrats du parquet, des membres de
l'autorité judiciaire. Ainsi, dans plusieurs textes du Code de procédure pénale
qui donnaient au représentant du ministère public la possibilité de priver un
individu de sa liberté, elle transfère les pouvoirs à un magistrat du siège. Il
s'agit parfois du juge des libertés et de la détention (C. pr. pén.,
art. 127, 133 et 135-2) lorsqu'une personne est arrêtée suite à un mandat
d'arrêt ou d'amener à plus de 200 km du siège de la juridiction qui a décerné
ce mandat, qui se voit logiquement attribuer le pouvoir d'une incarcération
provisoire appartenant jusqu'alors au procureur de la République. Il en va de
même dans le cas d'une arrestation provisoire, ordonnée dans le cadre de la
coopération internationale (C. pr. pén., art. 627-5). Dans d'autres
cas, le transfert s'effectue du procureur général vers le premier président de
la cour d'appel ou un magistrat du siège, désigné par lui, pour une
incarcération décidée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen (C. pr.
pén., art. 695-28) ou d'une extradition (C. pr. pén., art. 696-1,
20 et 23). On peut, en revanche, noter qu’à l’inverse, dans le domaine de la
restitution des biens saisis ou confisqués, des pouvoirs jusqu'alors confiés au
juge de la détention et des libertés sont désormais attribués au procureur de
la République (C. pr. pén., art. 41-5 al. 1-2 et 4, mod. par la
loi no 2015-177 du 16 fév. 2015).
e) Dans la ligne de cette séparation des deux corps, il faut mentionner le
souhait des premiers présidents de cours d'appel de créer, dans le cadre du
budget de la « mission justice », non pas un seul programme
« justice judiciaire », mais deux programmes distincts, l'un pour les
moyens alloués aux missions du Parquet (action publique, enquêtes
préliminaires, mesures alternatives, exécution des peines, participation aux
politiques publiques, etc.), sous la responsabilité des procureurs généraux,
l'autre pour les moyens des juridictions judiciaires, affectés à l'activité de
jugement des cours et tribunaux proprement dits et confiés aux Premiers
présidents[37]. Si cette
proposition avait abouti, on aurait fait un pas vers la suppression de l'unité
des corps qui composent la magistrature, mais les Premiers présidents n'ont pas
obtenu satisfaction.
III – PROPOSITION POUR UN NOUVEAU CORPS
JUDICIAIRE
RÉELLEMENT INDÉPENDANT
Observation préliminaire. Les passages qui suivent n'ont pas
pour objectif de blesser quiconque, même si les opinions émises sont exprimées
avec vivacité, sur un ton parfois provocateur, pour alimenter un débat que
l'auteur de ces lignes[38] souhaite
largement ouvert à toutes les écoles de pensée, fracassant et
constructif. Car c'est bien de la Justice de notre pays qu'il s'agit ici :
revendiquer des qualités de recrutement et de formation des magistrats les plus
exigeantes possibles, souhaiter des juges indépendants mais responsables,
inamovibles mais pas sclérosés, c'est croire, viscéralement, au droit à
un juge. Il n'est de juge que de bon juge. C'est en raison de cette foi
inébranlable dans la Justice de son pays et parce qu'il n'oublie pas qu'un jour
il a trouvé sur son chemin trois fois trois juges de grande qualité, véritables
tiers objectifs, jugeant en toute indépendance et impartialité, en leur âme et
conscience, pour, les premiers, proclamer solennellement au titre de la vérité
judiciaire, le mensonge et la diffamation de l'un[39], pour les
deuxièmes, réparer le préjudice moral causé par l'insouciance (pour le moins)
d'un autre[40], pour les
derniers enfin, rectifier les analyses erronées d'un juge d'instruction et d'un
procureur[41], que
l'auteur de ces lignes s'est autorisé à les écrire. En la personne de ces neuf
juges qui se reconnaîtront ici, n'est-ce pas le plus bel hommage que l'on
puisse donner à la Justice ? On ne peut enseigner le droit à un juge,
écrire sur ce sujet[42], sans
croire, avec toute la force de ses convictions républicaines, à cette exigence
aujourd'hui consacrée par les engagements internationaux de la France.
C'est avec satisfaction que l'auteur
de ces lignes prend acte que nombre de ses propositions ont été reprises,
notamment dans les lois du 25 juin 2001, du 5 mars 2007, du
23 juillet 2008, du 22 juillet 2010 et du 8 août 2016 qui ont réformé
l’ordonnance statutaire de 1958 : extension des recrutements hors concours
étudiants, formation initiale plus ouverte vers le monde extérieur et recentrée
sur les bases fondamentales du droit et de la procédure, limitation de la durée
d'exercice de certaines fonctions, mobilité accrue des juges du siège,
revalorisation financière et matérielle de la fonction, suppression des
fonctions et des échelons à l'intérieur des grades, réforme du Conseil
supérieur de la magistrature avec possibilité d'une mise en cause disciplinaire
des juges à l'initiative des justiciables, renforcement des règles déontologiques
et prise en compte des situations de conflits d’intérêts, etc. Elles inspirent
aussi largement certaines propositions d'un club de réflexion[43] ou de la
Commission parlementaire d'enquête sur les dysfonctionnements de la Justice
dans l'affaire d'Outreau (v. ss 101)[44], ou encore
de la Commission des lois du Sénat[45]. Chemin
faisant, nous indiquerons les pistes suggérées par d'autres personnes ou
institutions et largement suscitées par cette lamentable affaire[46].
Après l'exposé des propositions
concernant le statut du corps des magistrats, le lecteur trouvera dans la
section suivante une réflexion plus générale sur l’équilibre des pouvoirs en
démocratie avec une autorité judiciaire retrouvée.
Recrutement, formation, compétence et responsabilité.
a) Critique : c'est sans doute le recrutement traditionnel
et quasiment unique des magistrats professionnels par concours ouvert aux étudiants
qui a longtemps posé problème, à la fois dans ce qu'il ne permet pas de juger
d'autres qualités que celles, purement intellectuelles (universitaires), d'un
niveau de formation acquis, une fois pour toutes à 23 ou 25 ans et dans ce
qu'il induit quant à la qualité de la justice rendue et les dérapages plus ou
moins contrôlés constatés ici ou là. Plus que l'indépendance, c'est la
compétence de nos juges et son corollaire, leur responsabilité, qui a commencé
de retenir l'attention des observateurs des choses de la justice. Il semble que
l'on prenne enfin conscience de ces exigences[47], y compris
au niveau de la direction de l’ENM[48]. Le Conseil constitutionnel a maintes
fois insisté sur la nécessité de contrôler la qualification juridique des
candidats et leur aptitude à juger, par exemple, pour les concours dits complémentaires
et pour l’exercice temporaire des fonctions de juge.
1) Même en restant sur le seul terrain de la formation exigée des
candidats, de leur qualification juridique, on s'étonnera que les épreuves
écrites du concours étudiant ne comportaient aucun contrôle de procédure civile
et de procédure pénale (sans même parler du droit du procès dans le sens de
droit commun du procès équitable), jusqu'aux concours de 2009, ce qui
conduisait les candidats, tout naturellement, à négliger ces matières et l'école
de la magistrature à introduire des enseignements de procédure pour compenser
ce déficit ! Un comble si l'on veut bien songer un seul instant que la
formation initiale doit précéder l'entrée à l'école, que le concours doit
permettre de s'assurer des compétences techniques des candidats et que le jeune
magistrat accomplira des actes de procédure, tant au civil qu'au pénal, tout au
long de sa carrière et souvent, malheureusement, dès le début de sa carrière
comme juge d'instruction (cf. l'affaire d'Outreau[49]). La faveur,
la prime, donnée aux candidats publicistes ou issus d'une formation de sciences
politiques, par le jeu des coefficients, aggravait la situation et augurait mal
de la compétence technique des futurs juges[50] ; ce
qui était regrettable, ce n’était pas qu’on recrutât des candidats issus de ces
formations (et souvent excellents), mais qu’on le fît sans contrôler, dès leur
entrée dans le cycle de formation de l’école, leur maîtrise de ces matières.
2) Au-delà de la compétence juridique, il faut encore observer que pour
près de 8 000 magistrats de l'ordre judiciaire tout s'est joué à
25 ans (parfois moins) et pour 40 ans. Est-ce bien raisonnable ?
La Nation n'est-elle pas en droit d'exiger plus (c'est-à-dire, d'autres
qualités que la compétence juridique) et mieux (entendez par là une meilleure compétence
juridique)[51] de ceux qui
sont les sentinelles exposées des guerres judiciaires de nos concitoyens, qui
doivent tout à la fois être le reflet de notre société et les arbitres
respectés de nos conflits ?[52] Le magistrat
n'est pas un fonctionnaire comme les autres, dit-on souvent pour mieux
revendiquer un statut (des avantages ?) spécifique ; ne faut-il pas
voir les choses différemment, sous l'angle des intérêts des justiciables[53], et sous cet
angle seulement, et poser en principe qu'il n'est pas un professionnel du droit
comme les autres ; en sortant de l'ENM, il ne s'installe pas pour créer et
faire fructifier une clientèle. Il intervient dans la vie des affaires, mais
aussi dans celle de ses concitoyens ; ses décisions seront lourdes de
conséquences pour ceux-ci qui n'ont pas le choix de leur juge, de s'adresser à
un autre s'il est incompétent, vulgaire, inhumain etc., défauts qui, dans un
système libéral absolu, permettraient d'en changer (d'où le succès de
l'arbitrage, notamment international, dans les relations commerciales). On ne
répétera jamais assez que l'on ne choisit pas son juge, alors que l'on choisit
son avocat et que la revendication, légitime, d'un statut de réelle
indépendance, de carrière sans interférences politiques, passe d'abord par une
compétence absolue, incontestable, associée à une responsabilité réelle, non
éludée parce qu'à la charge de l'État, bref par une meilleure justice rendue.
La reconnaissance passe par la connaissance et la connaissance par sa sanction
naturelle pour tout professionnel, à savoir la responsabilité de
celui-ci : les deux choses sont liées. « L'éminence de la fonction
implique de s'assurer de l'éminence de la personnalité ; rien ne permet à
25 ans (voire moins) de faire ce genre de preuve et aucune école ne peut
enseigner les autres qualités requises »[54]. Et si ce
qu'a écrit un auteur, très au fait du procès, avec beaucoup de pertinence, est
vrai[55], alors il
est temps de réfléchir à la seule question qui vaille : faut-il maintenir
le concours de l'ENM ?[56] Si la
réponse est négative, que proposer d'autre ?
b) Prospective : pour construire un nouveau système
de recrutement des magistrats de carrière, il faut partir d'une double
exigence : des juges compétents, des juges humanistes[57]. Et comme ce
n'est pas à 25 ans que l'on peut juger une fois pour toutes de cette
compétence et des qualités humaines des aspirants à la fonction de juger, il
faut donc poser en principe que nombre des juges doivent être recrutés parmi
des juristes, mais des juristes confirmés tant en droit qu'en humanisme, par
leur expérience professionnelle antérieure. L'âge de la sérénité doit être
intégré dans les conditions d'accession à la fonction non pas comme un maximum,
mais comme un minimum[58]. C'est une
question qui a longtemps été taboue que celle du mode de recrutement dominant
aujourd'hui (de 80 à 300 élèves recrutés par le concours étudiant selon
les années, contre à peine une vingtaine de postes chaque année au concours
fonctionnaire et de 10 à 20 intégrations directes) et que peu d'auteurs abordent
en langage clair, c'est-à-dire en termes de « faillite » potentielle
du système actuel dont les responsables politiques n'ont pas encore perçu toute
la gravité, si ce n'est à travers quelques grandes affaires criminelles
largement médiatisées[59], ou par des
initiatives individuelles telles qu'une instruction révélée sur internet, parce
que celui qui la subit est mécontent de la manière dont elle est conduite et se
fait en outre aider par une page entière d'un grand quotidien du soir[60] ; ou
encore, par les « bourdes » commises par un juge d'instruction[61] qui, depuis,
a quitté la magistrature pour la politique (en 2002), avant d'y revenir[62] ; autre
signe révélateur de cette « faillite », l'action des syndicats de
police qui organisent un « réseau d'alerte » pour surveiller les
décisions de justice ![63]. Un auteur a
pu souligner, à juste titre, que « dans une société normalement
constituée, les fonctions judiciaires devraient être confiées à des hommes
d'expérience qui se sont signalés depuis longtemps par la droiture de leur
esprit et dont les compétences ont été unanimement appréciées au cours d'une
vie professionnelle de plusieurs dizaines d'années[64] ». À
partir de là, tout est possible et il suffit d'élaborer une procédure de
sélection souple, mais offrant toutes les garanties d'un recrutement impartial.
Ce système existe en Angleterre[65]. Et si les
magistrats, dit-on, ne sont pas des fonctionnaires comme les autres, alors
tirons-en toutes les conséquences : pas de concours pour étudiants (ou
alors dans une proportion limitée des recrutements annuels), mais une sélection
sévère, entourée de nombreuses garanties ; pas de rémunération non plus
calculée sur la base de la grille de la fonction publique, avec toutes ses
hypocrisies qu’elle cache avec le système des primes multipliées à l’excès.
Magistrats, au sens qu'ils exerceraient un magistère[66], et non plus
fonctionnaires, nos juges pourront revendiquer non seulement l'indépendance,
mais une rémunération plus adaptée à la nature éminente de leurs fonctions[67], même si la
sous-rémunération actuelle des juges est un mythe qu'il faut dénoncer en
donnant les vrais chiffres[68]. Plus
compétents car sélectionnés parmi des juristes avertis (plus de 40 ans),
avec tests de personnalité, ceux-là même utilisés dans les cabinets de
recrutement pour le secteur privé, ils ne craindront plus les attaques dont ils
font l'objet[69]. Et si la
justice est le miroir de la vie[70], ses juges
doivent être le reflet de ses meilleurs citoyens. Déjà Cézar-Bru, en 1948,
écrivait « qu'il faut des juristes et des juristes mûris par l'expérience[71] ». La
pertinence de cette remarque n'a rien perdu de son actualité[72]. Il faut
aller vers un système mixte, mi-concours étudiants, mi-mode de recrutement de
candidats expérimentés. L'humanisme des juges doit être un critère du
recrutement, écrivons-nous depuis longtemps (1996) ; la prise de
conscience de cette obligation civique semble maintenant évidente aux yeux de
la presse et de ceux qui ont découvert les choses de la justice avec l'affaire
d'Outreau[73].
c) Début de prise en considération de ces
propositions en législation et dans les esprits : les recrutements exceptionnels
ouverts en 1998 et 1999 (deux fois cent magistrats) allaient en ce
sens : ouverture vers des candidats plus âgés, avec vérification de leurs
compétences juridiques, ainsi que l'a imposé le Conseil constitutionnel. La loi
du 25 juin 2001 aussi, puisqu'elle prévoit la pérennisation de ces
concours qui deviennent « complémentaires » et le
« repyramidage » du corps destiné à compenser les retards de
déroulement de carrières. La loi du 5 mars 2007 élève le « tour extérieur »
à un tiers des autres recrutements au lieu d’un cinquième. La réforme des
programmes des concours à compter de 2009, répond à nos critiques, par
l'introduction d'épreuves en procédures civile et pénale et par le jeu nouveau
des coefficients qui privilégient les matières juridiques.
Nos idées font aussi leur chemin
dans les esprits, puisqu'un club de réflexion a proposé, en
septembre 2004, de repousser l'âge maximal d'entrée à l'ENM de 27 à
40 ans, avec, soit un âge minimal de 30 ans et l'exercice préalable
d'une profession pendant au moins 3 à 6 ans, soit le recrutement actuel
avec un allongement de la scolarité à 4 ans second terme de l’alternative
qui ne résoudra rien quant à l’exigence d’une expérience professionnelle
antérieure ; il est aussi proposé d'apprécier, à travers le concours de
l'ENM, le professionnalisme des candidats à la magistrature d'un point de vue
théorique mais également pratique (aptitude à juger), d'ouvrir plus largement
et de rendre plus attractif le recrutement parallèle. Quant à la formation
donnée à l'ENM, il est suggéré de l'ouvrir davantage au monde extérieur,
notamment en faisant dispenser les enseignements par les meilleurs magistrats
(et non pas par un corps trop spécialisé) et par des intervenants extérieurs,
en ouvrant les enseignements sur les réalités économiques et sociales et en
augmentant la durée des stages extérieurs en dehors de l'administration[74].
Dans le même ordre d'idée de faire
prévaloir l'excellence, celui qui fut le plus haut magistrat de France
préconisait de confier la justice de base aux « magistrats qui ont déjà
de l'expérience », les plus jeunes sortant de l'École devant d'abord
exercer des fonctions collégiales, au sein des cours d'appel : « il
ne faut plus construire son expérience professionnelle comme juge unique dans
un TGI ou comme juge d'instruction »[75].
Suite à l'affaire d'Outreau, deux
auteurs ont proposé de « passer du corporatisme à
l'ouverture » ; « afin de prévenir une vision trop homogène, la
meilleure des garanties consiste à introduire un regard extérieur… à tous les
niveaux » ; il faut recruter « tout au long de la carrière, des
juristes, voire des non-juristes » [ajout que nous estimons dangereux],
sans passer par le moule de l'ENM, « parce qu'elle prédispose par son
existence même à la pensée unique, à une sensibilité trop commune »[76]. Les mêmes
auteurs notent que « l'acte de juger ne se résume pas à l'application de
la loi, mais exige une compétence qui excède la qualification délivrée par
l'ENM ; il ne suffit pas d'être bon juriste pour être bon juge : il
faut y ajouter des qualités de cœur, d'efficacité et aussi de
l'expérience » ; ils préconisent un inventaire des métiers de la
justice et des qualités qui y sont attachées[77]. Un
directeur de l'ENM a lui aussi proposé une réforme de la formation des juges[78]. Pour les
hauts magistrats, notamment les chefs de cour, un Premier président de la Cour
de cassation a proposé de les former au « management », à la gestion
des ressources humaines, à la gestion budgétaire[79]. Dans cette
ligne, une nouvelle formation aux fonctions d'encadrement a été mise en place à
l'ENM en janvier 2011, avec la création d'un « cycle supérieur
d'administration de la Justice » destiné aux magistrats susceptibles de
devenir chefs de cours ou de juridictions. La CEPEJ relève (rapport d’octobre
2016 pour 2014) que la France est l’un des pays qui consacre à la formation
plus de 2% du budget attribué aux tribunaux.
La commission des lois du Sénat
(dans son rapport précité de juin 2007) préconise que la diversification
du recrutement amorcée par la loi du 5 mars 2007, soit accompagnée de
mesures concrètes permettant d'attirer des candidats plus expérimentés
qu'aujourd'hui, en créant un statut plus attractif pour ces candidats ;
elle propose aussi de promouvoir l'apprentissage et l'évaluation du
« discernement » des élèves-magistrats en jugeant de l'adéquation de
leur profil psychologique au métier de juge.
Avancement et exercice des fonctions de chef de juridiction.
Décorations.
a) L'avancement est légitime dans la mesure où il récompense les
meilleurs, donc motive ceux qui accepteraient d'exercer des fonctions plus
lourdes, mais on en connaît les dangers, l'appât d'une récompense pouvant être
un levier tout aussi fort que la crainte d'une sanction. Ceci étant, il faut
bien reconnaître qu'aujourd'hui tout le corps judiciaire est préoccupé par la
question de l'avancement ; celui-ci est devenu le centre de la carrière
d'un magistrat, chacun aspirant à exercer des fonctions non seulement
différentes mais mieux payées, qui à un poste plus élevé dans la hiérarchie,
qui dans un tribunal mieux classé etc. Pour limiter les effets de ce phénomène,
on a déjà, depuis la Libération, supprimer des échelons[80], mais ne
faut-il pas aller plus loin et supprimer tout classement des tribunaux et toute
promotion, tout au moins ne maintenir les promotions au choix, à l'instar de la
carrière des universitaires, que pour deux classes (le passage en 1re classe[81] et celui en
classe exceptionnelle[82]) et
sans prise en considération des fonctions exercées, ni du lieu d'exercice, lieu
à la fois géographique et de classement des juridictions ? Mais au vu de
quoi ? Les professeurs d'Université (dont le statut a lui aussi une valeur
constitutionnelle, ce qui n'est pas sans intérêt pour la comparaison) sont
promus par leurs pairs deux fois dans leur carrière et deux seulement (sous
réserve du second échelon de la classe exceptionnelle), au vu essentiellement
de leurs publications et, dans une moindre mesure, de leurs activités
pédagogiques et administratives (pour lesquelles il existe des voies
spécifiques de promotion, afin de tenir compte des surcharges d'enseignement et
d'encadrement des étudiants et des postes de responsabilités administratives).
Et comme le passage en classe exceptionnelle devient de plus en plus difficile
et que tous n'y accéderont pas, c'est d'une seule promotion au choix dont on
parle pour les universitaires pour toute une carrière ; est-ce
l'explication de leur indépendance ? Quel est l'équivalent pour les
magistrats, comme critère d'évaluation, puisqu'il s'agit bien de cela au final
dont il faut parler ? Pour l'immense majorité, il n'y en a qu'un : la
qualité des décisions rendues, c'est-à-dire bien rédigées, motivées,
pertinentes, bref le reflet d'une compétence acquise et maintenue à un haut
niveau. Serait-ce trop difficile à évaluer ? Pas plus que les écrits des
professeurs. Cette évaluation est sans doute liée à une responsabilité plus
facilement mise en cause par les usagers de ce service public qui, au final,
sont les mieux placés pour juger leurs juges. Et dans ce pays où tout le monde
se connaît à qui fera-t-on croire que l'on ne sait pas qui est un bon juge dans
sa juridiction ? Est-ce si difficile que cela de déterminer parmi tous les
juges de l'exécution désignés pour exercer cette fonction après la réforme de
1991, quels sont ceux qui ont le plus rapidement et le mieux compris, assimilé,
cette nouvelle législation des voies d'exécution mobilière ? Il suffit de
lire leurs décisions et les spécialistes de procédure civile sont capables de
répondre à cette question, alors pourquoi pas leurs pairs ou les usagers ?
La même remarque vaut pour le référé, l'instruction pénale, la mise en état
civil, etc.
b) Quant aux fonctions de chef de juridiction, elles seraient exercées
bénévolement, comme le sont, dans les Universités, les fonctions décanales ou
présidentielles ou autres (président de section, responsable de Master 2,
etc.). Au besoin, une prime temporaire ou une décharge partielle de service
compenserait le surcroît de travail ou, pourquoi pas, un système de promotion
spécifique, à l'instar du système en vigueur pour les universitaires ;
mais on aura remarqué qu'il faudrait d'abord être appelé à exercer des
fonctions de responsabilité administrative pour prétendre à une promotion
spécifique, selon une procédure de sélection, par exemple par des pairs élus.
Les candidats à ces postes ne se bousculeraient peut-être pas, mais serait-ce
une mauvaise chose ? Pour le surplus, l'avancement se ferait à
l'ancienneté. On observera que chacun s'accorde à considérer que les
conseillers d'État et les magistrats de la Cour des comptes sont indépendants,
alors qu'ils ne bénéficient pas des mêmes garanties formelles que les autres
magistrats (inamovibilité expressément stipulée ; protection par un organe
du type du Conseil supérieur de la magistrature) ; n'est-ce pas parce
qu'ils ne sont « promouvables » qu'à l'ancienneté ? Le système
proposé n'est-il pas le moyen de concilier indépendance, carrière et service de
qualité rendu aux citoyens, car il ne faudrait pas non plus que chaque
magistrat s'installe dans un confort douillet, sans esprit d'initiative, au
motif que tous sont soumis au même cursus, quelles que soient la réalité et la
qualité du travail accompli ? Sur la durée limitée de l’exercice des
fonctions de chef de juridiction dans la même juridiction, voir la loi du 25
juin 2001.
c) Au passage, on supprimera la possibilité pour ce nouveau corps de
magistrats de recevoir des distinctions de l'État, Légion d'honneur et
autres ordres, tout au moins à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions car
comment peut-on prétendre être indépendant dans l'exercice de ses fonctions si
l'on dépend du pouvoir (que l'on rejette par ailleurs pour son avancement),
pour se distinguer de ses collègues ? Parmi tous les serviteurs de l'État,
réservons les distinctions aux fonctionnaires d'autorité ; ils ont pour
mission d'obéir au pouvoir en place, qu'ils en aient la contrepartie
honorifique[83] ! Cette
proposition formulée dès 1996, a été reprise, en mars 2005, par un
syndicat de magistrats[84] et en
octobre 2013 par un député[85]. Sans suite
pour l’instant.
Inamovibilité
Dans une démarche critique et de
prospection, nécessairement limitée dans le cadre de ce précis, on se
contentera de poser quelques jalons, de suggérer quelques pistes de réflexion
dont certaines ont été prises en considération par la loi du 25 juin 2001.
a) En premier lieu, qu'il n'est pas question de revenir, même d'une
manière indirecte, sur les avantages de l'inamovibilité des juges, avantages
pour les justiciables s'entend et non pas source d'irresponsabilité pour les
intéressés. Le système proposé pour l'avancement devrait déjà participer de
cette garantie.
b) En deuxième lieu, qu'il faut aller plus loin et s'interroger sur le
maintien des membres du Parquet et des juges d'instruction dans le statut de
magistrats : ne faut-il pas abattre cet autre tabou, briser une fois pour
toutes cette fiction de l'unité du corps, alors que l'esprit de l'exercice de
ces deux dernières fonctions est différent, par rapport à celle du siège[86] ?
1) Comment un esprit habitué à obéir aux ordres de sa hiérarchie et du
pouvoir politique, à travers la conduite de l'action publique[87] (et cela n'a
rien de péjoratif dans l'exercice des fonctions de parquetier), pourrait-il
ensuite passer, sans hésitation, sans état d'âme, à une fonction dont
l'exercice requiert tous les jours un esprit d'indépendance à l'égard de tous
et de tous les pouvoirs ?[88] Certes, nous
n'ignorons pas qu'une telle approche rencontre un obstacle constitutionnel dans
la mesure où le Conseil constitutionnel a jugé que « l'autorité judiciaire
qui, en vertu de l'article 66 de la Constitution, assure le respect de la
liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et du
parquet »[89], mais
« cette décision ne signifie pas que les magistrats du parquet sont
désormais assimilés pleinement aux magistrats du siège et que leur intervention
serait considérée comme équivalente du point de vue des garanties apportées à
la liberté individuelle… »[90] ;
d'ailleurs, le Conseil constitutionnel lui-même a précisé la portée de cette
assimilation qui ne concerne que la qualité de gardien de la liberté
individuelle, pour en marquer les limites à propos de l'injonction pénale, dans
sa décision du 2 février 1995[91] et dans
celle du 22 avril 1997[92] ;
v. ss 128, ce qui a été dit de la position du Conseil à propos de la
non-appartenance des membres du Parquet à l'autorité judiciaire au sens de
l'article 5, § 3 de la Convention EDH ; v. aussi la décision du
4 octobre 2010 qui, sur l'accord franco-roumain sur les mineurs isolés,
considère que lorsque la décision [de raccompagnement en Roumanie] est
prise par le ministère public, aucune disposition n'ouvre un recours contre
cette décision et qu'en conséquence il y a méconnaissance du droit à un recours
juridictionnel effectif, alors que lorsque la même décision est prise par le
juge des enfants, juge du siège, le Conseil ne censure pas la disposition[93]. Au surplus,
rien n'interdirait de procéder, sur ce point, à une révision de notre
constitution, l'habitude en ayant été prise depuis les réformes des années
1990. Cette idée fait son chemin, puisque le plus haut magistrat de France a
suggéré que les fonctions de chacun soient plus clairement définies et « qu'après
un certain temps et certaines orientations de carrière, il faudrait qu'elles ne
puissent pas être interchangeables, que les fonctions de poursuite soient
clairement distinctes de celles de jugement », notamment parce que « la
tâche des parquets s'est orientée vers la mise en œuvre de la politique pénale
et que l'action publique est devenue une politique pénale active »[94] et que
d'autres auteurs[95] ou enquêtes[96] mettent
aujourd'hui en avant. L'idée fait d'autant plus son chemin après l'affaire
d'Outreau, un magistrat n'ayant pas hésité à dénoncer « la collusion entre
Parquet et siège », lors de son audition par la Commission d'enquête[97]. Surtout, la
France devra se préoccuper du statut des parquetiers suite à l'arrêt de la Cour
EDH du 10 juillet 2008, qui ne les reconnaît pas comme des membres de
l'autorité judiciaire.
2) La même remarque vaut pour le juge d'instruction dont l'exercice quotidien
des fonctions l'apparente plus à un policier, en tout cas au chef des OPJ, qu'à
un juge du siège[98] ; il y
a dans cette fonction quelque chose qui le rapproche d'un chasseur dans ses
investigations[99], alors qu'il
doit aussi juger, c'est-à-dire rendre des décisions juridictionnelles,
impartiales et loyales ; comment peut-il être ainsi juge et partie ?
Son statut ne devrait-il pas prendre en compte cette dualité et ne lui accorder
le bénéfice du statut de magistrat du siège que dans ses fonctions purement
juridictionnelles ? La loi du 15 juin 2000 va en ce sens en lui
retirant la mise en détention provisoire. Et comme on s'apercevra
nécessairement qu'il n'est pas possible de ventiler ainsi son statut selon la
nature des actes accomplis, on devra bien un jour ou l'autre se poser la
question du maintien ou non du juge d'instruction dans le corps des magistrats
du siège, avec à la clef une redéfinition de ses fonctions, sans doute en
l'amputant de ses attributions juridictionnelles[100] ;
celles-ci pourraient être confiées à un autre organe, pourquoi pas, comme
autrefois (en 1808), la chambre du conseil du tribunal correctionnel (pour les
délits) ou la chambre de l'instruction de la cour d'appel pour les crimes,
devant lesquelles le juge d'instruction rapporterait le résultat de ses
investigations, au sens anglais de reporting et du « rapportage »,
si l'on pardonne ce barbarisme, dans les fonctions d'auditeur, c'est-à-dire de
celui qui est chargé d'une mission d'audit ? Mais ceci nous entraînerait
trop loin, car c'est toute la conception et la pratique de notre procédure
pénale qui est en cause et non plus seulement le statut des magistrats[101]. On
ajoutera simplement que là encore comment passer sereinement et sans risque
pour le justiciable, de la fonction de juge d'instruction à une fonction de
jugement (par exemple dans une formation de jugement au pénal) avec un esprit
qui pendant des années a été habitué à investiguer, c'est-à-dire à chasser les
criminels et autres délinquants et non pas à peser le pour et le contre d'une
situation humaine complexe ? Là où l'esprit a côtoyé le pire de l'homme
pendant des années, comment peut-on s'attendre, sinon à un attendrissement de
mauvais aloi, en tout cas à un esprit d'écoute et d'ouverture ? Là où la
procédure pénale a été perçue par le juge d'instruction comme un obstacle à son
action, obstacle qu'il doit s'efforcer de contourner, comment lui demander
ensuite, sauf schizophrénie, de l'appliquer comme source de liberté et garantie
de protection des libertés et droits fondamentaux ? La loi du 25 juin
2001 pallie cette difficulté en limitant l'exercice des fonctions de juge
d'instruction à 10 ans dans le même tribunal.
3) Le rapprochement entre les parquetiers et les juges d'instruction n'est
pas le fruit du hasard ; quotidiennement ils travaillent de concert et la
dualité de principe de ces deux fonctions est une illusion en pratique ;
il n'est qu'à faire le tour de France des nouveaux palais de justice pour
savoir comment on a perçu leurs relations lorsqu'il s'est agi d'installer leurs
bureaux respectifs, sans être tenu de prendre en compte le poids des habitudes
du passé : ils sont au même étage, côte à côte, voisins immédiats. Et, à
Paris, la Chancellerie a même créé un pôle financier réunissant en un même
lieu, le Parquet financier et les juges d'instruction. N'y a-t-il pas atteinte,
de fait, à la séparation des fonctions de poursuite et
d'instruction ? Quelle est la part réservée à la défense ?[102]. Il est
des symboles spatiaux plus forts que toutes les théories sur le siège d'un
côté, dont feraient partie les juges d'instruction, et le Parquet de
l'autre !
Pour nous en tenir à l'essentiel,
disons que la grande idée actuelle de recentrage de la justice sur le
juridictionnel[103], induit,
au niveau du statut des magistrats, de le réserver, en ce qu'il a de protecteur,
aux seuls magistrats du siège, procureurs et juges d'instruction exclus.
c) En troisième lieu, ne faut-il pas revoir la conception de
l'inamovibilité qui consiste à promouvoir sur place les magistrats, y compris
au choix, au prétexte qu'ayant refusé toute mobilité au titre d'une promotion à
l'ancienneté, on ne peut leur refuser éternellement toute promotion au choix, y
compris sur place. Il faut revenir à une réelle mobilité, mais entourée de
garanties objectives pour ne pas remettre en cause le principe de
l'inamovibilité, plus exactement de l'indépendance des juges ; il
suffirait dans ce nouveau statut qui se dessine au fil de nos propositions,
d'institutionnaliser dans la carrière des magistrats, la règle de la mobilité
(entendons par là la mutation hors du ressort de la cour d'appel d'affectation)
automatique et pour tous, à une périodicité à définir (cinq ans ?)[104] et si
possible en brassant, en croisant les mutations, afin que tout un tribunal ne
se retrouve pas muter en même temps au même endroit. L'idée est simple :
éviter les connivences avec tous les pouvoirs locaux et nationaux déconcentrés
mais aussi avec les collègues, évacuer le sentiment que l'on peut avoir que le
double degré de juridiction n'existe que sur le papier, parce qu'un magistrat
qui connaît personnellement celui dont il est amené à juger les décisions,
n'osera pas le désavouer (cela est particulièrement vrai en matière pénale dans
la relation d'appel entre la chambre de l'instruction et les juges
d'instructions du ressort). Si tout le monde change de poste à périodicité
prédéterminée, la mutation n'est pas une sanction mais une étape normale et
préétablie dans le déroulement d'une carrière. La loi organique du 25 juin
2001 va en ce sens, avec la disposition qui interdit une promotion au premier
grade d'un magistrat dans une juridiction où il aura été affecté depuis plus de
5 ans ; ou encore avec la disposition qui conditionne l'accès aux
fonctions de président de TGI ou de procureur de la République, à un changement
de juridiction ; ou enfin celle qui interdit aux chefs de juridiction
(présidents et procureurs de TGI, Premiers présidents et procureurs généraux de
cour d'appel) d'exercer pendant plus de 7 ans cette fonction auprès du
même tribunal ou de la même Cour (v. ss 852, c). Un club de réflexion a
proposé, dans la ligne de nos suggestions, que les magistrats ne soient nommés
à un poste donné que pour un délai déterminé[105].
Nous sommes conscients du caractère
révolutionnaire de ces diverses propositions, mais elles prennent appui sur une
connaissance de terrain de l'institution judiciaire, pas seulement livresque et
ne visent qu'à rappeler aux uns et aux autres que les grandes théories, les
grands principes, doivent prendre appui sur le concret, sur le détail de nos
institutions, en l'occurrence du statut des magistrats ; c'est dans le
détail et le vécu de l'institution judiciaire qu'il faut aller chercher les
améliorations à apporter à notre système judiciaire, dans l'intérêt des
justiciables, quand bien même cela bousculerait les habitudes du corps
judiciaire. Cette réflexion est d'autant plus nécessaire que ce corps
revendique (et d'autres avec lui) le retour à un véritable pouvoir judiciaire.
Or, les deux choses sont liées, pas de pouvoir sans un statut de professionnel
responsable.
[1] V. ce qu’écrit F. Rigaux, La
loi des juges, O. Jacob, 1997, p. 95 s., à propos de juges
allemands et de certains professeurs de droit tels que Carl Schmitt qui ont
approuvé et appliqué la loi du 3 janv. 1934 qui « couvrait » les
meurtres accomplis avant le 1er janv. 1934 si leur
« perpétration répondait à un besoin politique impérieux »
(p. 100). Comp. v. ss 130, à propos du serment prêté par les juges
français au Maréchal Pétain.
[2] P. Hébraud, Les garanties
d’indépendance des juges, Travaux de l’institut de droit comparé de Paris,
1959 ; L’autorité judiciaire, D. 1959,
Chron. 77 ; J. Robert, « De l’indépendance des
juges », RD publ. 1988 ; J. Georgel, « La dépendance
de la magistrature en France », in Mélanges Velu, Bruylant, 1992,
p. 845 ; J.-D. Bredin, « Qu’est-ce-que l’indépendance du
juge ? », Justices 1996/3. 161 ; E. Zoller, Droit
constitutionnel, PUF, 2e éd., 1999, nos 176-177 ;
V. Roussel, « L’indépendance des magistrats comme ressource et comme
enjeu », Rev. jur. Barreaux, Dalloz, 1999, p. 127. Pour le
Japon, Th. Renoux, « De l’indépendance de la justice au Japon », Mélanges
Guinchard, Dalloz, 2010, 101. F. Terré, « Une justice indépendante. –
De qui ? Comment ? Pour quoi ? Où sont les réponses », JCP
2012, doctr. 470. Sur l’indépendance des membres du Parquet, v.
ss 878, 879.
[3] Dans l’aff. Salaman c/
Royaume-Uni, la Cour EDH a jugé (15 juin 2000) que l’appartenance d’un
juge et d’une partie à la franc-maçonnerie n’était pas, en soi et en l’absence
d’éléments particuliers internes à l’objet du procès, de nature à faire douter
de l’impartialité du tribunal, car il n’y a pas de raison de douter qu’un juge
ne fasse prévaloir son serment de remplir ses fonctions en toute indépendance
sur toute autre contrainte ou obligation sociale. S. Guinchard, « Peut-on
être bouddhiste ou chrétien ou juif ou libre penseur ou franc-maçon et
juge ? », in Mélanges Julien, Edilaix, 2003, p. 203.
[5] Décis. n° 2012-250 QPC, 8 juin
2012, Commission centrale d’aide sociale ; n°2014/704 DC, 11 déc.
2014, Désignation des conseillers prud’homaux.
[6] Ch. Pigache, rapport au colloque de
Rouen sur les juges non professionnels, Gaz. Pal. 20 oct. 2001.
[7] H. Dalle, « Le
recrutement et la formation des magistrats, une question de légitimité », Rev.
fr. adm. publique janv. 1991. 5. G. Gouzes, « Le recrutement et
la formation des magistrats », LPA 25 oct. 2000, 23.
[8] V. sur ce point les remarques
d’A. Garapon dans sa préface à La puissance de juger, de
C. Guarnieri et P. Pederzoli, éd. Michalon, 1998.
[9] Le lecteur intéressé par les
solutions étrangères trouvera des éléments de réponse dans le rapport du
Service juridique du Sénat, no 164, 2005-2006, juin 2006 (avec
un aperçu au JCP 2006. Actu. 1323). V. aussi, Traité
d’organisation judiciaire comparée, t. 1, Modes de désignation et
de formation des juges, Union Internationale des magistrats, Schulthess,
Nomos et Bruylant éd., 1999, 380 pages (compte-rendu in RID comp.
2000. 1015).
[11] J. Poumarède, « Les
tribulations d’un principe républicain, l’élection des juges », in
Justice et République, éd. L’espace juridique, 1993, p. 91. Et déjà,
in Mélanges Hébraud, 1981, « Le débat sur l’élection des juges en
1982 », p. 665 ; J. Krynen (dir.), L’élection des juges,
coll. « Droit et Justice », PUF, 1999.
[12] Sur ses aspects pervers au niveau
du lobbying des groupes de pression, v. le roman de John Grisham, Le
contrat, éd. R. Laffont, 2008.
[15] J. Lamarque, « Le procès
du procès », in Mélanges Auby, Dalloz, 1992, p. 152. Rappr. G.
de La Pradelle, H. Leclerc, D. Soulez-Lariviére et M. Troper, Le
Monde 4 juill. 2001.
[16] Ch. Jamin, La vie
judiciaire 20-26 avr. 1987 : « Napoléon calquant le statut
des magistrats sur celui des militaires, crée une hiérarchie rigide. Or, cette
hiérarchie postule la notion de carrière... La carrière entraîne la dépendance,
la fonction l’indépendance ».
[17] Cette règle peut cependant n'être
pas sans inconvénient : V. l'ex. du juge Bertella Geffroy, juge d'instruction
spécialisé, chargée du lourd dossier de l'amiante au Pôle santé de Paris. La
mutation d'office de ce magistrat par la Garde des Sceaux, contestée par les
parties civiles, entraînera inévitablement un retard dans le règlement de cette
affaire.
[18] J. Sainte-Rose, « Quelques
réflexions sur la situattion du parquet au regard des jurisprudence du Conseil
constitutionel et de la Cour EDH », in 40ème anniversaire
du code de procédure civile (1975-2015), éd. Panthéon-Assas, fév. 2013, 201.
Dossier des Cahiers de la Justice 2016/1, « Les nouvelles relations
entre les parquets et la Chancellerie ». J.-L. Lennon,
« L’indépendance du ministère public ou le supplice de tantale », Dr.
pénal 2016, étude 25. Dossier Rev. droit Assas 2010/2 : P. 55,
point de vue du professeur Y. Mayaud et p. 62, point de vue du magistrat
D. Guérin ; Dossier AJP 2011. 105, « Faut-il réformer le
statut du ministère public ? »par J.-P. Jean, D. Soulez-Larivière,
M. Robert et C. Maur. . Dossier de la revue Constitutions
2011/3 : p. 275, éditorial de B. Mathieu et F. Melin-Soucramanien ;
p. 281, « Le Parquet à la française : tensions et apaisements »,
Ch. Raysséguier ; p. 295, « Le statut du Parquet », débat entre
Y. Charpenel, D. Rousseau et D. Soulez-Larivière. F. Terré, « Une justice
indépendante. – De qui ? Comment ? Pour quoi ? Où sont les
réponses ? », JCP 2012, doctr. 470.
[19] H. Dalle et D. Soulez-Larivière,
« Les procureurs français sont-ils vraiment des magistrats ? », Le
Monde 21 mai 2009. D. Soulez-Larivière, « Propositions pour une
différenciation des corps du siège et du Parquet », AJ Pénal, oct.
2012, 508. J. Ficara, « Propositions pour la constitution d’un ministère
public français indépendant », AJ Pénal, oct. 2012, 509.
[20] Recommandation du Conseil des
ministres du Conseil de l’Europe du 6 octobre 2000, site internet du
Conseil et in rapport du CSM pour 2001, Doc. fr. 2002, p. 31.
[21] B. Mathieu et M. Verpeaux (dir.), Le
statut constitutionnel du Parquet, Dalloz, collec. Thèmes et commentaires,
2012.
[22] Décis. 93-336 DC, 27 janv.
1994, Statut de la magistrature : RJC I, 579 ; RFD const.
1995-21. 156, note F. Mélin-Soucramanien ; D. 1997. Somm.
comm. obs. F. Mélin-Soucramanien et E. Olivia.
[23] Décis. 93-326 DC, 11 août
1993, Garde à vue, consid. 3 et 4 : RJC I, 552 ; Grandes
décisions, op. cit. no 30, § 11.
[24] Décis. 97-389 DC, 22 avr.
1997, Certificats d’hébergement : RJC I, 707 ; JCP 1997.
I. 4066, no 9, obs. B. Mathieu et M. Verpeaux et ibid.
II. 22890, note Zarka ; Procédures 1997, no 192,
obs. Buisson ; AJDA 1997. 524, note F. Julien-Laferrière ; RFD
const. 1997-31. 571, obs. O. Lecucq ; RD publ. 1997. 931,
obs. F. Luchaire ; LPA 1997, no 77, note G.
Pellissier ; RG proc. 1998. 291, obs. N. Molfessis.
[26] Décis. 95-360 DC, 2 févr.
1995, Injonction pénale : RJC I, 632 ; D. 1995.
Chron. 171, Pradel et 201, J. Volff ; D. 1997. Somm.
comm. 130, obs. Th. Renoux ; RFD const. 1995/22. 405,
note Th. Renoux.
[29]CEDH 10 juill. 2008, Medvedyev
et alii c/ France : Gaz. Pal. 28 oct. 2008, note
G. Poissonnier ; Procédures 2008, n° 343, obs.
Buisson ; D. 2008, 3055, note P. Hennion-Jacquet ; D. 2009,
600, note Renucci ; JCP 2009, act. 200,
M.-L. Rassat ; Rev. sc. crim. 2009/1, 176, obs.
Marguénaud ; JDI 2009/3, 1003, obs.
P. Van Mulhendahl.
[30]CEDH 29 mars 2010, req.
n° 3394/03, Medvedyev c/ France : JCP 2010,
act. 454, Sudre ; D. 2010, 952, P. Spinosi, 970,
D. Rebut, 1386, note J.-Fr. Renucci, 1390, note
P. Hennion-Jacquet ; Gaz. Pal. 27 avr. 2010, note
H. Matsopoulou ; Rev. sc. crim. 2010/3, 685, obs.
J.-P. Marguénaud ; JDI 2011, 1283, obs. O. Bachelet
et P. Tavernier.
[32]CEDH 23 nov. 2010, France
Moulin c/ France : Gaz. Pal. 9 déc. 2010, note
O. Bachelet ; JCP 2010, act. 1206, obs.
Fr. Sudre ; D. 2011, 26, note F. Fourment, 132, obs.
E. Degorce, 277, note J.-Fr. Renucci et 338, note
J. Pradel ; Procédures 2011, n° 30, obs.
A.-S. Chavent-Leclère ; Rev. sc. crim. 2011/1, 208,
obs. D. Roets..
[33]CEDH 27 juin 2013,
n° 62736/09, Vassis c/ France, D. 2013, 1687 ; JCP
2013, zoom 843, L. Milano ; AJP 2013, 549, obs.
G. Roussel ; Rev. sc. crim. 2013, 656, obs. D. Roets.
– V. C. Mayeur-Carpentier, Accès au juge et lutte contre le
terrorisme dans l’UE, in V. Donier et B. Lapérou-Scheneider, L’accès
au juge, Bruylant, 2013, 151.
[34] CEDH 4 déc. 2014 (deux arrêts),
req. 17110/10 et 17301/10, S. et alii c/ France, req. 46695/10 et
54588/10, H. et alii c/ France, Gaz. Pal. 10 janv. 2014, n° 9-10, p. 9, JCP
2015, 134, Pradel ; D. 2015, 303, note Renucci.
[35] Crim. 15 déc. 2010, n° 10-83674, Gaz.
Pal. 4 janv. 2011, note D. Roets ; JCP 2011, doctr. 214, J.
Leroy ; RSCrim. 2011/1, 142, obs. A. Giudicelli ; Procédures
2011, n° 67, obs. A.-S. Chavent-Leclère ; Nouveaux cahiers du
Conseil constitutionnel, 2011/31, 231, note W. Mastor. Pour le double
regard constitutionnel et européen M. Robert, « L’Autorité judiciaire, la
Constitution française et la Convention EDH », Nouveaux cahiers du
Conseil constitutionnel, 2011/31, 29. Pour une étude comparative des
positions de la chambre criminelle et de la Cour EDH, v. Pradel, D. 2011,
338 ; Fl. Chaltiel, « Le régime français de la garde à vue triplement
censuré », LPA 28 janv. 2011, n° 20, p. 5.
[36] Crim. 22 oct. 2013, deux arrêts, n°
13-81945 et 13-81949, D. 2014, 115, note H. Matsopoulou ; AJ
Pénal, 2013, 668, note L. Ascensi ; ensemble et sous l’angle du statut
du parquet, G. Grécourt, « Surveillance par géolocalisation, le parquet
sous contrôle ? » Gaz. Pal. 27 sept. 2014, Doctr.
[38] V. par ex. nos articles in
AJDA août 1998, no spéc. sur les droits
fondamentaux, in Mélanges Farjat, 1999 et notre contribution au Précis
Dalloz de Droit processuel. Droits fondamentaux du procès, op. cit.
V. aussi S. Guinchard, « L’avenir du juge », in Mélanges
Catala, Litec, juin 2001.
[39] Affaire dite des « trois de
Lyon », T. corr. Lyon 5 juill. 1994 : Gaz. Pal. 25 mai
1994 (relaxe d’un journaliste pour bonne foi dans la diffamation, les éléments
jugés diffamatoires par le tribunal provenant de la meilleure source, celle d’un
rapport signé du procureur général de Lyon).
[40] Dans la même affaire, la suite,
inéluctable, de la reconnaissance de la diffamation dans la condamnation de
l’État pour faute lourde du service de la justice, TGI Paris 3 avr.
1996 : Gaz. Pal. 1996. 584 et doctr. 1806, chron. J. Cl. Woog. Mais à quel prix !
[41] Cf. la relaxe des trois de
Lyon dans la même affaire pour absence totale d’infraction, T. corr. Lyon
10 mai 1996, inédit, v. ss 243.
[42] V. le rapport sur la formation
des magistrats (dir. F. Terré), Doc. fr., 1987. Sur une analyse
comparative, v. T. Renoux, RD publ. 1999. 965.
[43] Pour la Justice, opuscule
publié en sept. 2004 par l’Institut Montaigne, 38, rue Jean Mermoz, 75008
Paris.
[44] L’auteur de ces lignes invite le
lecteur à lire ces propositions qui datent de 1996, à la lumière des
dysfonctionnements et des enseignements de cette affaire de janvier à juin
2006, suite aux travaux de la Commission parlementaire d’enquête...
[45] Rapport d’information de la
Commission des lois du Sénat sur le recrutement et la formation des magistrats
de carrière (Rapport Fauchon/Gautier), juin. 2007.
[46] Outre les auteurs ou clubs de
réflexion dont les propositions seront présentées au cours des développements
qui suivent, v. T. Clay, « La réforme de la Justice doit être abordée sans
tabou », LPA 14 juin 2006, no 118,
p. 4 ; « Après Outreau, rebâtir la Justice », Libération
13 déc. 2006 ; avec Mathieu Boissavy et dans le cadre d’un projet
politique, Reconstruire la Justice, O. Jacob, 2006. X. Lagarde,
« Justice : éviter la tour d’ivoire », Gaz. Pal. 11 mai
2006. Sans oublier les propositions de la Commission d’enquête sur Outreau,
rapport de l’Assemblée nationale, no 3125, juin 2006 (sur le
site de l’Assemblée nationale). V. aussi les propositions de la fondation (de
gauche) Terra Nova, sur son site en mars 2011, La justice, un pouvoir
de la démocratie, www.tnova.fr/essais. C. Atias, « Une menace de
perdition judiciaire », D. 2013, 1232.
[47] V. par ex., P. Fauchon et Ch.
Gautier, « Recrutement et formation des magistrats de carrière. Le souci
d’une plus grande diversité de carrière », Annonces Seine 4 févr.
2008, p. 10 (présentation des 20 recommandations d’une mission
d’information du Sénat, dans la suite de la loi du 5 mars 2007).
[48] Cf. le discours du directeur, M.
Olivier Leurent, le 29 août 2016 devant la promotion (366 élèves) revenant de
son stage d’avocat : « rappelez-vous constamment que notre
recrutement, même au terme d’un concours difficile ou sur titres consacrant un
parcours élogieux, ne nous donne néanmoins aucune légitimité définitivement
acquise pour juger nos concitoyens », propos rapportés par P.
Robert-Diard, JCP 2016, 946.
[49] V. Le Point
2 févr. 2006, no 1742, p. 36, qui recense les
difficultés rencontrées par le juge d’instruction dans cette affaire, du fait
de sa formation initiale (un IEP), de son isolement, par rapport à sa
hiérarchie, de son manque d’expérience. V. aussi, Le Monde 8 févr.
2006, « Le juge X pensait détenir la vérité ».
[51] En 1998, trente places
supplémentaires avaient été mises au concours externe de recrutement (la voie
étudiante) ; il se trouve que les trente derniers du classement n’avaient
pas la moyenne de dix sur vingt. On en tirera la conclusion que ces trente
places auraient dû être reportées sur d’autres années (pour éviter les injustices
entre les générations) ou sur des concours exceptionnels ou sur des
recrutements par intégration directe. Au concours 2000, sur 164 candidats
admis, 45 n’avaient pas la moyenne.
[53] Cet axe de pensée semble
aujourd’hui, enfin, inspirer les discours politiques des Gardes des Sceaux qui
n’hésitent plus à se référer à cette notion (notamment depuis 1997) et impulser
certaines réformes.
[55] J. Lamarque, in Mélanges
Auby, Dalloz, 1992. 153 : « ce qui frappe d’emblée, c’est le
caractère superficiel de la décision juridictionnelle, sa platitude, sa
médiocrité, les erreurs qu’elle peut comporter sur des points pourtant
élémentaires et, surtout, surtout, sa motivation très légère. Ne parlons pas de
la rédaction embarrassée qui permet parfois de mettre en cause autant son
contenu intellectuel que sa valeur juridique. On n’évoquera pas non plus les
erreurs sur l’appréciation ou la qualification des faits qui peut confiner à un
véritable mensonge judiciaire, indécelables à la simple lecture et qui ne sont
connues que des parties et de leurs conseils. Bref, la rédaction sent la
facilité et, au-delà de l’insuffisante motivation de la décision, l’absence de
motivation du juge lui-même. Ce n’est pas un « magistrat » qui l’a
conçue, mais un fonctionnaire comme un autre, qui n’est probablement pas
passionné de justice, qui n’est pas non plus un juriste dans l’âme, qui a
peut-être été rebuté par le caractère banal et ennuyeux de l’affaire ».
[57] Comp. pour le système belge,
P. Orianne, « La méthodologie de la sélection et de la formation des
magistrats », Annales droit Louvain 1992. 105, spéc. p. 109
sur les critères d’évaluation « clairement indiqués dans la loi : il
s’agit d’apprécier la maturité des candidats et leur capacité intellectuelle à
exercer la fonction » [de magistrat]. (Rapp. Potocki, « La formation
des magistrats », in Mélanges Bellet, Litec, 1991,
p. 459).
[59] L’affaire Grégory dans la
vallée de la Vologne, au milieu des années quatre-vingt ; l’affaire de la
petite Céline, au début des années quatre-vingt-dix et une instruction,
à chaque fois, massacrée. À quel prix pour les acteurs involontaires de ces
grossières erreurs ? Et combien d’autres ? (ce médecin accusé de
meurtre à Marseille et qui sort acquitté des assises après deux ans de
détention provisoire).
[62] Départ largement médiatisé et avec
occultations desdites « bourdes », v. Le Figaro 15 janv.
2002, p. 9 et Le Monde 16 janv. 2002, p. 10. En 2006,
ledit juge a repris son poste de magistrat, en médiatisant son affectation qui
ne lui plaît pas ! Le courage aurait été de démissionner, ainsi que le
suggère un ancien magistrat, à propos de l’affaire d’Outreau,
L. Leguevaque, « Faîtes comme moi, démissionnez ! », Le
Monde 2 mars 2006, p. 20.
[66] Le juge : une figure
d’autorité, colloque de l’Association française d’anthropologie du droit,
Paris, 24-26 nov. 1994, l’Harmattan, 1996.
[67] D’où un éventuel slogan « 40
ans, 40 000 F (6 000 euros), 50 ans,
50 000 F (7 500 euros) etc. ». Soulignons que, dès
aujourd’hui, les magistrats ne sont pas si malheureux que cela, financièrement
parlant.
[68] La Commission européenne pour l’efficacité
de la justice (CEPEJ), peu suspecte de favoriser la France, donne les chiffres
suivants dans son rapport d’octobre 2016 (pour 2014), en moyenne brutee
annuelle : sortant de l’ENM, 41 552 euros ; fin de
carrière : 116 751 euros. Sans commentaire par rapport aux autres agents
de l’État. À titre d’information on relèvera que la moyenne mensuelle des
primes des magistrats est passé à 41 % de leur traitement de base en 2003
pour un objectif de 47,5 % correspondant aux primes perçues par les magistrats
des chambres régionales des comptes (source : déclaration du Garde des
Sceaux au congrès de l’USM, Reims, 18 oct. 2002, Annonces Seine
21 oct. 2002, p. 6), que le tiers de ce corps est situé aux échelles
lettres de la fonction publique, que nombreux sont ceux qui bénéficient de
bonification d’indices, que les vacations judiciaires (période des vacances)
permettent à chacun de prendre aux moins six semaines de vacances par an (sans
obligation de recherche) et que la rémunération de début de carrière d’un jeune
magistrat est quasiment égale à celle, en fin de carrière, d’un
instituteur avant qu’il ne devienne professeur des écoles. S’ajoute à cela,
depuis déc. 2003 (Décr. 26 déc. 2003), la prime au mérite, attribuée en
fonction de la contribution du juge au bon fonctionnement de l’institution
judiciaire, modulable et qui représente de 0 à 15 % du salaire brut d’un
magistrat ; le Conseil d’État a jugé que ce système ne porte pas atteinte
au principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire, 4 févr. 2005, Gaz.
Pal. 26 févr. 2005, concl. M. Guyomar. Le slogan du juge mal payé
est un mythe, qu’il faut dénoncer. Source : Deuxième rapport de la Cour
des comptes sur la fonction publique, Le Monde 25 avr. 2001,
p. 6 ; sur le temps de travail des magistrats, v. ss 236, a.
[69] Témoignage : « Si
une chose peut être utile avant d’entrer dans la magistrature, ce serait, comme
dans certaines entreprises, une batterie de tests psychologiques ; cela
éliminerait un certain nombre de caractériels », Th. Jean-Pierre, in L. Greisalmer
et D. Schneidermann, Les juges parlent, Fayard, 1992, p. 261.
[70] Rappr. P. Drai,
« L’institution judiciaire doit être un miroir fidèle de notre
société », Discours de rentrée de la Cour de cassation,
12 janv. 1996, Doc. fr. 1996, p. 1.
[72] Dans son rapport sur la formation
des magistrats, F. Terré préconisait, dès 1987, le rapatriement de l’ENM à
Paris et la création de centres régionaux rattachés à l’Université.
[73] Parmi un foisonnement d’articles,
de contributions, v. « Un bon juriste fait-il un bon juge ? », Le
Point 2 févr. 2006, no 1742, p. 41 ; J.
Coignard, « À l’école des magistrats, la technique règne en maître »,
Libération 12 févr. 2006, p. 16. L. Greilsammer, « Le
facteur humain », Le Monde 14 févr. 2006, p. 2.
M. Marzano, « Outreau, notre oubli de ce qu’est l’humanité », Libération
20 févr. 2006, p. 40.
[76] A. Garapon et D. Salas, Les
nouvelles sorcières de Salem. Leçons d’Outreau, Le Seuil, 2006, p. 144
s.
[78] M. Dobkine, in Le Monde de
l’éducation mars 2006, p. 56. Audition par l’Académie des sciences
morales et politiques le 26 juin 2006, Annonces Seine 1er mars
2007.
[79] Rapport remis au ministre de la
Justice en févr. 2007, Le Figaro 18 févr. 2007 ; Annonces
Seine 15 févr. 2007 ; Gaz. Pal. 20 févr. 2007.
[80] C’est ce que fait la loi du
25 juin 2001, avec la suppression des groupes à l’intérieur des trois
grades (v. ss 853).
[83] Témoignage de
P. Lyon-Caen : « La décoration comme l’un des moyens de tenir le
magistrat. Et donc sur l’intérêt qu’il y aurait à rendre incompatible l’état de
magistrat et l’état de décoré, sauf circonstances très exceptionnelles :
acte de courage, actions héroïques à la guerre. J’ai demandé à plusieurs
reprises que le magistrat ne puisse recevoir de décorations dans l’exercice de ses
fonctions et que cette incompatibilité légale soit inscrite dans le statut de
la magistrature », in L. Greisalmer et D. Schneidermann,
Les juges parlent, Fayard, 1992, p. 321-322. Note des auteurs :
quelques lignes plus loin, l’intéressé reconnaît avoir accepté la Légion
d’honneur, sans l’avoir demandée (la demande n’est pas nécessaire, mais son
acceptation oui…).
[84] L’Union syndicale des magistrats a
préparé une proposition de loi en ce sens, qu’elle a envoyée aux
parlementaires, en soulignant que les parlementaires ne peuvent pas bénéficier
de décorations pendant l’exercice de leur mandat (Ord. 18 nov. 1958), Le
Figaro 25 mars 2005, p. 8 ; Le Monde 25 mars
2005, p. 10 ; Annonces Seine 7 avr. 2005, p. 6.
[86] En ce sens : H. Dalle,
discours de rentrée en tant que Premier président de la cour de Rouen, janv.
2011, Annonces Seine 27 janv., no 7, p. 9.
V. la position des Premiers présidents de Cours d’appel exprimée à Saclay,
hors de leur réunion nationale, 27-29 mai 1998 ; ils proposent de
séparer le siège du Parquet au motif que « l’équilibre qui s’était
perpétré entre les deux fonctions, s’est progressivement rompu du fait
d’évolutions dans l’exercice de celles-ci et la confusion qui en résulte quant
à l’image de la justice n’est plus acceptable ». Surtout les Premiers
présidents constatent que si « les juges tendent à se recentrer sur leur jurisdictio,
le ministère public suit un mouvement inverse d’engagement dans des structures
extérieures où il est à la fois acteur et porte-parole des politiques pénales
gouvernementales et locales », Le Figaro 17 juill. 1998 (sur
cette tendance, v. supra, le passage du § 3, avant le no 111).
Contra : la position des procureurs généraux en nov. 2001 (Gaz.
Pal. 20 nov. 2001) et celle du procureur général de la Cour de
cassation (Le Figaro 8 oct. 2001, p. 14).
[87] V. P. Mazeaud,
« L’action publique dans la tradition républicaine », Justices
1996-3. 65 : « je ne suis pourtant pas loin de penser que la
confirmation des prérogatives du pouvoir exécutif dans la mise en mouvement de
l’action publique – en clair, le maintien du pouvoir hiérarchique du Garde des
Sceaux sur les magistrats du parquet en charge des poursuites pénales – est le
seul choix véritablement conforme à nos traditions constitutionnelles vivantes,
et le plus approprié aux attentes de l’opinion dans une société démocratique...
Si la justice est rendue au nom du peuple français, si le propre de l’action
publique est d’assurer la poursuite des infractions au nom de l’intérêt
général, qui mieux que le Garde des Sceaux, membre d’un gouvernement
responsable devant l’Assemblée nationale et politiquement devant le corps
électoral tout entier, peut exercer cette fonction ? ». Pour une
vision, somme toute assez proche, M. Jeol, « Le parquet entre le
glaive et la balance », Justices 1996-3. 69 : « le
pouvoir hiérarchique du garde des Sceaux est républicain dans son principe, il
permet à l’exécutif – dont c’est la mission – de veiller à l’application de la
loi, il évite à la justice d’être isolée, sans nuire pour autant à son
indépendance. Le seul problème est d’empêcher le dévoiement de ce pouvoir »
(p. 72-73) ; et déjà, in Les juges parlent, op. cit.,
p. 285. V. aussi, pour une mise en perspective historique et
comparatiste, dans une approche à la fois constitutionnelle et européenne,
M. Delmas-Marty, « Évolution du ministère public et principes
directeurs du procès pénal dans les démocraties européennes », Justices
1996-3. 75 s. V. ss 126, aussi les réf. citées , en note.
[88] P. Mbongo, « Justice et
politique : nouvelles réflexions sur le statut du parquet », Gaz.
Pal. 21 déc. 2004, Doctr. H. Dalle et D. Soulez-Lariviére,
« Juges et procureurs ne doivent plus être interchangeables », Le
Figaro 29 sept. 2006, p. 14.
[89] Décis. 93-326 DC, 11 août
1993, RSC 1994. 675, chron. L. Favoreu ;
P. Wachsmann, AJDA 1993. 819. Formulation reprise dans la décis. 22 avr.
1997, JO 25 avr. RG proc. 1998. 291, obs.
N. Molfessis.
[91] Certaines des mesures susceptibles
de faire l’objet d’une injonction pénale, étant de nature à porter atteinte à
la liberté individuelle, ne peuvent intervenir à la seule diligence d’une
autorité chargée de l’action publique mais requièrent la décision d’une
autorité de jugement.
[92] Décis. no 97-389,
22 avr. 1997, Certificats d’hébergement, RJC I, 707 ; JCP
1997. II. 22890, note Zarka ; AJDA 1997. 524, note F. Julien-Laferriére ;
RD publ. 1997. 931
chron. F. Luchaire ; LPA 1997, no 77,
p. 4, note G. Pellissier ; RFDC 1997-31. 571, note
O. Lecucq. Le Conseil relève que c’est un magistrat du siège qui décide du
caractère suspensif de l’appel d’un étranger en situation irrégulière et non
pas le procureur.
[95] Ph. Melburn, K. Kostulski, D.
Salas, Les procureurs entre vocation judiciaire et fonctions politiques, PUF,
2010.
[98] Sur cette dualité et la complexité
de cette situation, v. M. Delmas-Marty, loc. cit., Justices
1996-3. 80.
[99] Cet aspect est pratiquement relevé
par la plupart des juges interrogés par L. Greisalmer et
D. Schneidermann dans leur série d’entretiens, Les juges parlent, Fayard,
1992 ; ainsi le juge F. Guichard, p. 184 : « On ne peut pas
à la fois être juge et chargé d’une fonction d’enquête de type policier, qui
s’apparente vraiment à la chasse ».
[100] V. la décis. Cons. const. no 96-377 DC, 16 juill.
1996, Perquisitions de nuit, JO 23 juill. ; RJC, I,
671 ; D. 1997. 69, note B. Mercuzot ; JCP
1996. II. 22709, note Nguyen Van Tuong ; RD publ. 1996. 1245,
chron. F. Luchaire ;
AJDA 1996. 693, note O. Schrameck ; ibid. 1997. 86, note
Teitgen-Colly et F. Julien-Laferriére ; RFD const.
1996-28. 806, note T.
Renoux ; D. 1998. Somm. obs. Renoux, qui laisse entendre que
les magistrats instructeurs ne sont pas les meilleurs garants des
libertés ; la possibilité de permettre « des perquisitions et
visites de nuit pendant une période qui n’est pas déterminée par la loi, dans
tout lieu, y compris dans les locaux servant exclusivement à l’habitation...
alors que, dans l’instruction préparatoire, l’autorité déjà investie de
celle-ci se voit en outre attribuer les pouvoirs d’autoriser, de diriger et de
contrôler les opérations en cause, est de nature à entraîner des atteintes
excessives à la liberté individuelle ».
[101] V. sur ce point M. Delmas-Marty, loc. cit., Justices
1996-3. 80, qui relève soit la disparition du juge d’instruction
(Allemagne et Italie), soit sa marginalisation (Belgique, France et Portugal).
V. aussi A. Decocq, Communication présentée le 3 avr. 1995 à
l’Académie des sciences morales et politiques qui retient « l’idée d’une
séparation de la fonction d’instruction et de la fonction de la juridiction de
l’instruction », la première étant confiée au Parquet et aux OPJ.
[102] Protestation du Barreau de Paris, Bulletin du Bâtonnier
1998-9 ; J.G. Moore, « Libres propos », Gaz. Pal. 16 juin
1998 ; S. Guinchard, intervention au colloque du Barreau de Paris,
14 nov. 1998, Incertitude du droit pénal financier, commission no 12.
[103] C’est en 1995 que nous avons émis cette idée, S. Guinchard, Le
temps et les solutions d’organisation procédurale, colloque Ass. Fr. Ph.
Dr. et TGI de Nanterre, Paris, 5 déc. 1995, coll. « Thèmes et
Commentaires », Dalloz, 1996. Idée reprise par l’Institut Montaigne
en sept. 2004, in Pour la Justice, p. 11. Et que nous
avons reprise dans le rapport de la commission que nous avons présidée en 2008,
L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Doc. fr. 2008.
[104] L’idée d’un mandat de cinq ans avait été avancée par le rapport Terré,
mais uniquement pour les chefs de juridiction.
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