SOMMAIRE
I – Préface à la 24ème
édition du précis Dalloz de procédure civile, 1996 : "J’avais un Maître et
un ami"
II – Avertissement pour la 28ème
édition du précis Dalloz de procédure civile, 2006
III
– Avant-propos à la 30ème édition du précis Dalloz de procédure
civile : 1909/1911-2010, Le fabuleux destin du Précis de procédure civile aux éditions
Dalloz
IV – Avant-propos pour la 33ème
édition du précis Dalloz de procédure civile, 2016, « Une page se tourne »
V –
La part de la doctrine en procédure civile - Publié à la Revue de droit d’Assas – 2011, n° 3, p. 73.
VI –
VISIOZ, un rénovateur en quête du droit processuel, préface à la réédition en
2011 aux éditions Dalloz des Études de
procédure civile publiées en 1956 en l’honneur d’Henry Visioz.
VII - Jacques HÉRON et "son" Droit judiciaire privé
VIII - Le temps en procédure civile - XVème colloque des Instituts d'études judiciaires, Clermont-Ferrand, 13-15 octobre 1983, Annales de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand/LGDJ éditeur, 1983, Fascicule 20, pages 21 à 63.
VII - Jacques HÉRON et "son" Droit judiciaire privé
VIII - Le temps en procédure civile - XVème colloque des Instituts d'études judiciaires, Clermont-Ferrand, 13-15 octobre 1983, Annales de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand/LGDJ éditeur, 1983, Fascicule 20, pages 21 à 63.
I - PRÉFACE à la 24e édition
du précis de procédure civile, 1996
J'avais
un maître et un ami
Jean VINCENT
s'est éteint le 10 mars 1996, dans la Paix du Seigneur, rejoignant son
Sauveur, Celui qui était au centre de son existence. Pour ceux qui le connaissaient
bien, ces quelques mots suffisent, sans doute, à exprimer ce que fut sa vie,
habitée par la Foi et remplie de sérénité. Pour les autres, qu'il soit permis
au signataire de ces lignes, à celui qui fut son élève pendant cinq ans, puis
son collaborateur pendant plus de vingt-cinq ans, de lui rendre hommage, en
prélude à cette vingt-quatrième édition, en leur faisant découvrir quelques
caractéristiques moins connues de sa personnalité, au-delà du savant juriste
qu'il était, à travers le bref récit de certains aspects de notre collaboration
à ce précis de procédure civile.
Du Lexique de termes juridiques aux deux précis (La
justice et ses institutions ; Procédure civile), toujours chez Dalloz
(la fidélité était l'une de ses nombreuses qualités), sans oublier la création
du Guide juridique, j'ai eu l'immense honneur et le grand bonheur d'être
associé, très tôt et pleinement, à son œuvre doctrinale. Pour s'en tenir au
précis de Procédure civile, le lecteur doit savoir que, malgré la maladie qui
le frappait, Jean VINCENT avait
approuvé les substantielles modifications du plan et de l'exposé du droit
procédural dans une triple perspective, internationale, européenne et
constitutionnelle, modifications qui nous conduisirent à présenter, en 1994,
une vingt-troisième édition entièrement refondue. Homme de science et de
conscience, il voyait dans ces importantes évolutions de la matière, dans cette
conceptualisation de la procédure civile que je lui avais soumise, sous l'angle
de la protection de nos libertés et droits fondamentaux, une richesse
supplémentaire pour une discipline à laquelle il s'était progressivement et
profondément attaché et dont il avait toujours pensé qu'elle méritait mieux que
sa (mauvaise et injuste) réputation d'aridité et de technicité stériles. Même
si, avec la progression de la maladie, il ne pouvait plus s'investir autant
qu'il l'aurait souhaité, je peux témoigner qu'il a été jusqu'au bout, un
coauteur actif et pertinent. Rien n'échappait à sa sagacité, de la forme au
fond en passant par le souci — exigence permanente de qualité et de
respect du lecteur — d'une parfaite typographie. Sa plume élégante et
juste, onctueuse pourrait-on écrire, savait corriger, en tant que de besoin,
les angles, parfois un peu abrupts, de l'expression de la pensée de son
disciple. Mais ma liberté fut totale, du premier jour de 1979 (pour la
vingtième édition) à la refonte de la vingt-troisième édition en 1994 ; ce
n'est pas l'éloignement géographique (j'étais à l'époque en poste à Dakar) qui
avait justifié cette liberté, mais sa conception de la libre recherche
scientifique. Il ne concevait pas qu'une collaboration naissante puisse être
bridée par les développements antérieurs de sa pensée. Je me souviendrai
toujours de nos échanges sur les grandes théories de la procédure civile, sur
les évolutions que je souhaitais intégrer quant à la notion d'action en justice
ou d'acte juridictionnel, pour ne m'en tenir qu'à ces deux exemples les plus
significatifs. C'était sa manière à lui de passer le relais aux jeunes générations
que de s'effacer devant l'expression d'une théorie juridique qui n'était pas
tout à fait la sienne mais dont il acceptait la pertinence et endossait la
paternité, conscient qu'il était de la relativité des certitudes de la science
du droit. Empreint d'humanisme et homme de grande culture, la technique
procédurale n'était pour lui qu'un instrument au service des
justiciables ; elle ne devait jamais être un obstacle à la réalisation de
leurs droits, elle devait s'effacer dès lors qu'elle devenait inutile, sa seule
justification étant la protection de nos libertés. Ces dernières devenant le
socle conceptuel et fondateur de la procédure, les évolutions récentes évoquées
ci-dessus s'intégraient tout naturellement dans le cadre de sa pensée. Sans
doute, se souvenait-il aussi qu'elles sont facilement menacées, lui qui avait
préparé sa thèse dans l'Allemagne de 1932-1933 et qui avait conservé, dans une
boîte d'allumettes, des morceaux calcinés de livres que le régime nazi brûlait,
en autodafé, dans les rues de Berlin. Il me les avait montrés un jour, non sans
émotion partagée, au cours d'une promenade sur l'un de ces chemins et de ces
routes qui mènent de Saint-Gervais à Megève, ceux-là mêmes que fréquentait
Fernand Braudel, mon illustre et mitoyen voisin de vacances, et que ce savant
auteur décrit si justement dans L'identité de la France.
Nous allions ainsi l'un vers l'autre, au sens propre mais
aussi figuré d'un cheminement intellectuel, d'une découverte de la personnalité
de l'autre, pendant les étés hauts savoyards, pour discuter du fond ou, plus
humblement, échanger les épreuves pour le report des corrections. L'amitié
partagée, dans la chaleur estivale du climat alpin et dans la beauté des
paysages de haute montagne, lorsque le couchant colore d'ocre les aiguilles
granitiques et de rose les glaciers et les neiges éternelles, faisait oublier
le caractère fastidieux de ce travail de correction et la lassitude des
relectures du manuscrit. L'affection qu'il me portait m'encourageait à
persévérer, à refondre, toujours refondre, un ouvrage aux constantes mutations.
Il savait aménager nos rendez-vous estivaux pour ménager mes loisirs et mes
heures de liberté en pleine nature ; lui qui savait ce qu'une course en
montagne, par une belle journée ensoleillée, représente de joie intense
proposait toujours de nous retrouver le soir ou... les jours de pluie, à ma
convenance. Quelle délicatesse, quelle élégance ! Il possédait au plus
haut niveau d'accomplissement, cette aristocratie des gestes et des mots, cette
élégance intellectuelle qui distingue l'humaniste des autres hommes. Ce furent
des moments de réel bonheur, en famille, avec nos épouses, dans ce chalet des
Météores dont le nom évoquait les mystères de l'univers et sur lesquels il ne
cessait de réfléchir avec ses certitudes religieuses.
Homme de Foi et de convictions, Jean VINCENT était tolérant et n'imposait
jamais ses croyances ; bien que baptisés tous les deux dans la même
religion, il savait que je ne la pratiquais pas avec la même ferveur que lui,
mais il savait aussi que ma culture laïque et profondément républicaine et ma
religion catholique s'enrichissaient mutuellement. Lorsque le malheur frappait,
la perte d'un être cher par exemple ou la maladie implacable qui pouvait
atteindre un enfant, il savait trouver les mots de réconfort. Lorsque
l'injustice passait, il savait redonner confiance, sans doute parce que
lui-même issu d'une famille judiciaire, il n'imaginait pas un seul instant que
la Justice, celle-là même sur laquelle il dissertait, puisse persévérer dans
une erreur et devenir, de ce fait, injuste et partiale. Processualiste de
conviction, il croyait à l'efficacité du processus judiciaire et des
voies de recours pour que l'institution elle-même répare, par la sagesse des
uns ou leur meilleure connaissance du droit, les erreurs des autres ;
homme d'expérience, il ne doutait pas, au final, même si le parcours était
long, de l'immense sagesse de l'institution judiciaire. Ancien membre du
Conseil supérieur de la magistrature, il était très affecté par les procès
médiatiques dont notre pays est malheureusement le théâtre, car il y voyait,
au-delà des violations répétées du secret de l'instruction, des atteintes à la
présomption d'innocence, le signe d'un abaissement de notre Justice.
Pour Jean VINCENT,
la Justice était d'abord une Vertu, encore une Vertu, toujours une Vertu et
rien d'autre. Elle devait trouver sa réalisation suprême, son aboutissement,
dans la notion d'équité et, parce qu'il croyait en Dieu et qu'il pratiquait sa
religion, il avait tenu à témoigner de sa Foi dès la première édition du Lexique
de termes juridiques, le signant en quelque sorte, pour quelques initiés,
au mot équité précisément, en citant le psaume 84-II, qui résume, à lui seul,
tout le sens de sa vie, toute la richesse de sa personnalité : « amour
et vérité se rencontrent ; justice et paix s'embrassent ».
Maintenant qu'il nous a quittés, nous lui dédions, ce psaume qu'il
affectionnait tant, au point qu'il fut lu au cours de la cérémonie religieuse
de ses obsèques, in memoriam.
Serge GUINCHARD
Lyon, les 11 mars et 10 mai 1996
Lyon, les 11 mars et 10 mai 1996
II- AVERTISSEMENT pour la 28ème édition
du précis de procédure civile, 2006
Cette édition est
dédiée à Jean BUFFET
et à Giuseppe
TARZIA
Ce
précis de Procédure civile a d’abord été l’œuvre exclusive de Paul
CUCHE, avec une première édition, publiée chez un autre éditeur, il y aura
bientôt cent ans, en 1909 (sous le titre de Précis de procédure civile et
commerciale ; cette
première édition s'apparentait à un polycopié d'aujourd'hui). Paul CUCHE s’est
ensuite associé à Jean VINCENT qui l’a repris, seul, après la seconde guerre
mondiale, jusqu’en 1977, avant de me demander de le rejoindre en 1979, en vue
de la vingtième édition, qui fut publiée, il y a un quart de siècle, en janvier
1981. Pendant presque quinze ans, nous avons travaillé ensemble, dans l’esprit
d’une véritable collaboration, même si, au fil des ans, libre de ma plume et de
mes choix, mon empreinte s’est accentuée, notamment par le choix d’une forte
conceptualisation du plan sur le fondement de notre devise républicaine et par
la volonté de marquer systématiquement l’ancrage de la procédure civile dans le
champ d’attraction à la garantie des droits fondamentaux. C’est dans le même
esprit que j’ai poursuivi seul cette œuvre après le décès de Jean VINCENT,
survenu le 10 mars 1996. Bien évidemment, conceptuellement et techniquement
parlant, l’ouvrage d’aujourd’hui ne doit plus beaucoup à ceux qui m’ont
précédé, ne serait-ce qu’en raison des évolutions législatives, réglementaires
et jurisprudentielles qui ont bouleversé la matière et de l’emprise croissante
du droit européen. Précisément, pour tenir compte de l’importance du droit
communautaire dans les relations procédurales transfrontalières – mais aussi
pour préparer la relève qui viendra – j’ai demandé au Professeur Frédérique
Ferrand, qui fut mon (excellente) élève, avant de devenir notre éminente
collègue, de bien vouloir accepter de prendre en charge ces aspects sans
lesquels la procédure civile ne peut plus être étudiée dans toutes ses dimensions.
Le droit issu de la Convention européenne des droits de l’homme étant, depuis
fort longtemps, systématiquement intégré dans l’ouvrage, les deux volets de
l’Europe sont ainsi couverts. C’est pourquoi, m’inspirant de ce que Jean
VINCENT avait fait en son temps, il m’a semblé plus honnête, tout à la fois, de
marquer la continuité de l’œuvre par le millésime de l’édition et d’assumer
pleinement la responsabilité de la nouvelle rédaction par l’indication du seul
nom des auteurs ayant rédigé cette nouvelle édition. Le temps passe, mais le
respect des Maîtres, la reconnaissance de ce qu’on leur doit et l’affection
demeurent. Cet avertissement se veut donc aussi hommage.
Serge GUINCHARD
Rennes et Paris,
le 1er
mai 2006
III – Avant-propos à la 30ème
édition du précis de procédure civile, 2010
1909/1911-2010 :
le fabuleux destin
du
précis de procédure civile aux éditions Dalloz
Il n’est pas d’usage qu’un seul des
auteurs d’un Précis en signe l’avant-propos, a fortiori lorsque ses deux collègues ont déjà collaboré aux
éditions précédentes ! Si je déroge à cet usage aujourd’hui, ce n’est pas
parce que j’ai participé à un tiers de la vie (centenaire) du Précis de procédure civile, mais parce
que la tâche de retracer son fabuleux destin ne pouvait guère revenir à celles
dont je vais ci-après souligner les immenses mérites, porteurs de renouveau,
dans une brève mise en perspective dont je fus l’acteur avant même leur
naissance ou leur entrée au collège. Entièrement refondue sous l’impulsion de
Cécile Chainais, cette
nouvelle édition, sans rompre avec l’esprit qui inspire l’ouvrage depuis les
refontes de 1991 et 2006, toutes deux marquées du sceau du droit européen,
ouvre, par le nouveau regard qu’elle permet de porter sur la procédure civile
contemporaine, une période qui, je l’espère, conduira un jour nos lointains
successeurs à signer un nouvel avant-propos en… 2110, pour célébrer le
bicentenaire du Précis !
1909-1981.
La naissance d’un précis et la mémoire de nos pères.
L’ouvrage a d'abord été l'œuvre exclusive de Paul Cuche, professeur à la Faculté de droit de Grenoble, avec une
première édition, publiée en 1909 (sous le titre de Manuel de procédure civile et commerciale, chez un autre éditeur,
Albert FONTEMOING). Cette première
édition s'apparentait à un polycopié d'aujourd'hui ; elle fut rééditée
telle quelle, en 1911, chez Dalloz, avec pour seule mise à jour un simple addendum, de quelques pages, sous
l’intitulé Petit traité de procédure
civile et commerciale). Il traversa l’ouragan de la première guerre mondiale
et les sombres années de la seconde (avec huit éditions en trente ans, la
dernière en 1939, complétée d’une mise à jour datée du 15 septembre 1942), pour
renaître dans une 9ème édition qui parut, en 1946, sous la
seule plume de Jean Vincent,
professeur à la Faculté de droit de Lyon, même si les deux noms restèrent
associés sur la couverture jusqu’en 1970 (14ème édition). De 1971 à
1978, Jean Vincent assura seul la
mise à jour de l’ouvrage (15ème à 19ème édition) ;
en 1979, il me demanda de participer à la rédaction de la 20ème
édition, qui parut en janvier 1981. La matière était alors fortement marquée
par la territorialité de ses règles.
1981-2010.
Le deuxième souffle : la garantie des libertés et droits fondamentaux. Dès
1981, l’esprit fut celui d'une véritable collaboration avec Jean Vincent, même si, au fil des ans,
entièrement libre de ma plume et de mes choix, mon empreinte s’accentua,
notamment par l’idée de structurer l’ouvrage autour de notre devise
républicaine pour ancrer systématiquement la procédure civile dans le champ
d'attraction de la garantie des droits fondamentaux, ce qui fut fait lors de la
refonte intervenue en 1991 (22ème édition, d’où la qualification de
« souffle républicain » que lui donna le Doyen Jean Carbonnier). Après le décès de Jean Vincent, survenu le 10 mars 1996,
l’œuvre a été poursuivie dans le même esprit, animée par la volonté de rendre
compte des grandes évolutions qui ont bouleversé la matière, notamment
l'emprise croissante du droit européen des droits de l’Homme sur les solutions
du droit positif. Mais si ce droit était ainsi systématiquement intégré dans
l'ouvrage (concrétisé dans l’index par une entrée « droit processuel
européen »), il manquait le volet de ce qui s’appelait alors le droit
communautaire ; ce vide fut comblé en 2006, par l’arrivée de Frédérique Ferrand,
qui a su donner à la 28ème édition une nouvelle impulsion, en
intégrant les règles issues de ce droit. En 2008, avec l’entrée de Cécile Chainais, normalienne et jeune agrégée de
droit privé, la 29ème édition fut l’occasion de renouveler cette
étroite coopération intellectuelle, autour de ces valeurs européennes communes
aux trois auteurs. Cécile Chainais
a alors apporté un regard neuf, par exemple dans les développements consacrés
aux théories de l’action en justice et de l’acte juridictionnel.
2010-2110 ?
Les promesses de l’aube et les horizons lointains. A
l’occasion du centenaire du Précis de
procédure civile, qui marque aussi la trentième édition de l’ouvrage,
l’idée d’une refonte générale de l’ouvrage s’est imposée. Confiée à Cécile Chainais, validée par les deux autres
auteurs, elle était particulièrement nécessaire, à l’heure où s’accentue la
pression exercée sur le droit du procès et singulièrement sur la procédure
civile, par une vision technocratique des contentieux, davantage inspirée par
l’obsession de réguler les flux et le seul impératif de célérité que par les
idées de dialogue et de loyauté, trois principes dont l’équilibre subtil
compose la partition d’une démocratie procédurale et que l’on devrait « inscrire en lettres d’or aux frontons
des palais de justice » (J.-Cl. Magendie, « Loyauté,
dialogue, célérité : trois principes à inscrire en lettres d’or aux
frontons des palais de justice », Mélanges
Serge Guinchard, Dalloz, 2010, 329). Trois principes qui nous imposent de
revenir aux sources de la matière pour les retrouver tels que les concevaient
les auteurs du Code de procédure civile de 1976 et non tels qu’ils sont
aujourd’hui interprétés par une certaine jurisprudence, plus soucieuse d’évacuer
à marche forcée le rôle des juridictions que de garantir aux justiciables que
« le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont
applicables » et que n’a autorité que la chose réellement jugée par lui.
La refonte a ainsi été animée par une
double ambition : conserver à cet ouvrage la précision technique et la
volonté de hauteur théorique qui sont les siens depuis toujours et en
constituent en quelque sorte la marque de fabrique et, dans le même temps,
prendre en compte les évolutions les plus récentes de la procédure civile, sans
ignorer les mouvements qui l’affectent en profondeur. Cette trentième édition
marque un tournant dans la chronologie de celles qui se sont succédé depuis
1909.
Sur
un plan
entièrement revu à l’initiative de Cécile Chainais,
la procédure civile exposée dans ce précis n’a plus besoin de marteler, dans
l’intitulé de ses parties, son ancrage dans la garantie des droits
fondamentaux, tant cet aspect est inhérent à l’ouvrage, à jamais. On a ainsi
été amené à abandonner, non sans nostalgie, le plan articulé, depuis la 22ème
édition de 1991, autour de la devise « liberté, égalité,
fraternité ». Loin de vouloir renier la pertinence de l’adage pour
éclairer la procédure civile(Les lecteurs diligents décèleront du reste un
hommage discret au plan de l’ancienne édition dans le fait que la maxime ait
été maintenue dans la présentation du titre sur l’action en justice), il est
apparu nécessaire de souligner et promouvoir une autre lecture de la procédure
civile, visant à explorer et mettre en valeur toute la richesse du Code de
procédure civile entré en vigueur en 1976 et à revenir ainsi à la source de la
procédure civile française, tout en prenant la pleine mesure des enjeux qui la
traversent aujourd’hui.
Sous ce regard, la première partie de l’ouvrage révèle la construction d’un
véritable modèle du procès civil,
dont les grandes lignes sont tracées à la fois par les principes directeurs de
l’instance qui apparaissent au seuil du Code, et par les dispositions du Code communes
à toutes les juridictions, gouvernant l’action, l’instance et la juridiction.
Afin d’explorer ce modèle, on a pris le parti de ne jamais scinder principes et
technique, la seconde étant toujours appréhendée comme l’illustration et la
mise en œuvre des premiers : pour ne prendre que deux exemples, l’aide
juridictionnelle est ainsi revisitée à l’aune du principe d’effectivité de
l’action en justice, et les incidents d’instance sont appréhendés à la lumière
du principe d’initiative. Une haute ambition théorique et un souci pédagogique
renforcé ont commandé de tels choix et contribueront, dans la continuité de la
tradition de cet ouvrage, à apporter une réponse à l’argument rebattu de
l’austérité, voire de l’inaccessibilité, de la procédure civile.
La seconde
partie
explore les capacités immenses d’adaptation
de ce modèle à la diversité des contentieux, au service d’un impératif
grandissant de protection renforcée du justiciable. On ne s’étonnera pas, dès
lors, que le choix ait été fait de ne traiter des règles de compétence et de
procédure propres aux différentes juridictions qu’en seconde partie : car
ces dernières doivent d’abord être comprises comme la volonté affichée par les
auteurs du Code d’adapter le modèle général d’un procès respectueux des grandes
valeurs de notre culture processuelle, à la particularité des contentieux, au
moment où ceux-ci se diversifient et se spécialisent. On s’est également
attaché à dégager, en fin d’ouvrage, des théories générales du droit spécial de
la procédure civile. On pense à la matière gracieuse, dont l’intérêt ne décroît
pas aujourd’hui et qu’il était bon de revisiter à l’aune de son inscription
dans les dispositions liminaires du Code – où elle est présentée comme une
matière spéciale dérogeant aux principes directeurs – pour en proposer une
présentation homogène, soulignant la cohérence de son régime. On pense, aussi,
au développement d’une justice du provisoire, qui se donne aujourd’hui à voir,
par-delà sa dispersion partielle dans les dispositions du Code spéciales aux
différentes juridictions, sous l’angle d’un ensemble autonome animé par une
logique processuelle propre.
Le lecteur, qu’il soit à la
recherche d’éléments théoriques ou pratiques, trouvera ainsi plus immédiatement
les éléments qu’il recherche. Dans cette même perspective, la mise en forme de
l’ouvrage a été particulièrement soignée grâce aux soins attentifs de Bruno
Degoul, que nous tenons à remercier ; l’index a été entièrement refondu et
enrichi, afin de permettre à chacun, au-delà d’une présentation générale de la
discipline, de se déplacer à sa guise dans l’ouvrage, en quête d’informations
précises.
En restant fidèle à l’inspiration du Code de procédure civile et à son
organisation, tout en intégrant les évolutions contemporaines résultant de l’européanisation
de la procédure mais aussi de facteurs économiques et sociologiques nouveaux,
on espère ainsi renouer avec la tradition de ces processualistes allemands et
italiens[2]
des premières années du vingtième siècle jadis loués par Jean Carbonnier[3],
et offrir une vision d’ensemble de la procédure civile dont chaque lecteur
pourra retirer, à sa guise, la substantifique moelle.
Serge
guinchard
Chamonix,
le 1er août 2010
IV - Avant-propos de la 33e
édition, 2016
Une page se tourne
Il m’est agréable de présenter ici la 33e
édition du Précis de Procédure civile, qui en offre une version enrichie
et remaniée, suivant ainsi au plus près les grandes évolutions du droit du
procès.
Elle est substantiellement l’œuvre de Cécile Chainais,
qui parachève ainsi la vaste entreprise de refonte de l’ouvrage mise en œuvre
en 2010 pour son centenaire (voir
la préface du soussigné à l’édition de 2010 (reproduite dans les éditions de
2012 et 2014), « 1909/1911-2010. Le
fabuleux destin du Précis de Procédure civile aux éditions Dalloz »). L’édition bénéficie de la
contribution précieuse de Frédérique Ferrand, qui – dans la continuité du
renouvellement apporté à l’ouvrage pour sa 26e édition (l’édition de 2006 avait été marquée
par l’entrée dans l’ouvrage de Frédérique Ferrand et par l’insertion
systématique du droit processuel de l’Union européenne dans l’ouvrage, par ses
soins) – a su donner au droit de l’Union européenne une place nouvelle, plus en
adéquation avec l’idée que, dans un contexte d’internationalisation renforcée,
le modèle traditionnel du procès s’adapte à des particularismes issus de la
résolution des litiges transfrontaliers.
Si l’introduction, entièrement réécrite par Cécile
Chainais, s’inscrit dans la filiation des précédentes éditions, elle met
l’accent sur l’émergence « d’un droit du procès civil » (expression
qui donne désormais son sous-titre à l’ouvrage), envisagé comme une discipline
à part entière, qui s’est progressivement émancipée de son statut classique
(archaïque ?) de matière auxiliaire, purement technique et formelle, pour
accéder au rang d’une science. Celle-ci est présentée, en s’inspirant de la
manière dont Descartes concevait la
philosophie, sous la forme d’un arbre de la science : un arbre qui prend
ses racines dans le terreau du droit processuel conçu comme un « droit
commun du procès » (S.
Guinchard et al., Droit processuel/Droits fondamentaux du procès, Précis
Dalloz, 9e édition, 2017), se développe selon le tronc commun du procès civil
contentieux et connaît de multiples adaptations qui constituent autant de
branches de l’arbre de la science du droit du procès civil.
Cette métaphore fertile est mise à profit pour
permettre au lecteur (qu’il soit étudiant ou praticien) une découverte
progressive de cette discipline, au fil des pages : la première partie
offre une exploration de l'ensemble du modèle traditionnel du procès, ce tronc
commun essentiellement axé sur les trois grandes théories du procès (action,
instance, juridiction) et, plus particulièrement, sur les principes directeurs
de l'instance. Ces fondations étant posées, la seconde partie s'attache à
montrer comment ce modèle est adapté, travaillé au gré des particularités
propres aux différents types de conflits.
Cette 33e édition renouvelle, à la lumière
des apports du droit comparé et de l’histoire du droit, l’approche
antérieurement proposée pour certaines notions fondamentales du procès civil
(notamment le principe dispositif, renommé en conséquence principe de la libre
disposition, et l’autorité de la chose jugée). Elle s’attache particulièrement
à développer la seconde partie de l’ouvrage, consacrée à la diversité vivante
du procès civil. Cette seconde partie s’enrichit ainsi d’un nouveau titre qui
vise à mettre en lumière les inflexions que connaît le modèle classique du
procès civil face aux grandes évolutions contemporaines du règlement des
conflits, liées à l’internationalisation des différends et à la montée en
puissance des enjeux économiques. Au sein de ce titre, le lecteur trouvera
notamment une présentation synthétique et unifiée des règles procédurales
spécifiques applicables aux litiges transfrontaliers de
l'Union européenne, désormais réunies au sein d'un unique sous-titre et un
autre sous-titre entièrement nouveau, qui propose une vue d’ensemble des modes
amiables de résolution des différends, auxquels le code de procédure civile
consacre, depuis 2012, un cinquième et dernier livre.
Cette édition du Précis de procédure civile demeure
ainsi animée par la volonté toujours renouvelée de présenter le droit du procès
civil contemporain de manière claire et complète, avec une haute ambition
théorique, en prenant en compte le double mouvement qui affecte en profondeur
le procès civil contemporain, à savoir une attraction de la procédure par les
droits fondamentaux et, conjointement, l’inexorable essor des enjeux
économiques et internationaux dans la justice civile contemporaine.
Une page se tourne donc, non seulement celle des 105
ans de l’ouvrage, mais aussi celle des 35 ans de l’entrée du signataire de ces
lignes dans un Précis qu’il avait
d’abord souhaité ancrer au socle des droits fondamentaux par la référence, pour
chacune des parties de l’ouvrage, aux trois termes de notre devise républicaine
et qu’il avait ensuite confié à de jeunes mains avec comme seule directive,
celle d’une totale liberté de conception et de rédaction. C’est en se
renouvelant qu’une œuvre de l’esprit garde sa jeunesse (celle de
l’enthousiasme), sa fraîcheur (celle du style), sa profondeur d’analyse et de
synthèse (celle du raisonnement) et assure sa pérennité. Je suis heureux, au
soir de ma participation à cet ouvrage, de savoir que demain, avec ou sans moi,
selon ce que le destin décidera, le Précis
de procédure civile poursuivra sa route au gré des évolutions à venir, dans
l’esprit qui a toujours été le sien, celui de l’ouverture d’esprit, de débats
contradictoires, de respect de la pensée d’autrui, bref de tout ce qui fait
l’âme et l’honneur de l’Université et de ceux qui lui consacrent leur vie.
Celles qui ont été mes élèves incarnent l’une et l’autre cet état d’esprit et
je les remercie d’avoir accepté le redoutable défi de poursuivre, en
la renouvelant, une œuvre plus que centenaire.
À Chamonix-Mont-Blanc, le 18 juillet 2016
Serge Guinchard
V – LA PART DE LA DOCTRINE EN PROCÉDURE
CIVILE
Publié
à la Revue de droit d’Assas – 2011, n° 3, p. 73
Décliner en quelques pages la part de la
doctrine en procédure civile relève de la gageure, tant le sujet est vaste.
Encore faut-il savoir de quoi on parle.
Quelle doctrine ? Au sens retenu dans
cette contribution et pour faire bref, nous entendons par doctrine « la
pensée des auteurs qui écrivent[4] »
en cette matière. La pensée peut être plus ou moins dense, technique et/ou
prospective, mais elle provient de tous ceux qui écrivent, pas seulement les
universitaires ; il faut englober dans « les auteurs », les
opinions des magistrats (notamment ceux de la Cour de cassation) qu’ils
expriment dans leurs rapports ou avis, les notes et commentaires d’arrêts,
quelle que soit la qualité du signataire.
La
procédure civile, est-il besoin de la définir ici ? Pour faire
simple, on y verra « la procédure de la société civile[5] »,
celle des citoyens dans leurs litiges de droit privé (de droit civil, social,
commercial, rural), à l’exclusion du champ pénal, voire militaire, mais aussi
du droit administratif.
Quelle
part ?
On a coutume de présenter la procédure civile comme un droit servant (elle sert
le droit substantiel auquel elle se rattache par la nature du contentieux
qu’elle régit[6]) et la
doctrine comme un droit savant. Comment, dès lors, les deux peuvent-elles se
rencontrer ? Tout simplement, parce que la procédure civile, droit du
Palais par excellence, a toujours suscité l’intérêt des juristes, qu’ils soient
de l’Université, du Palais ou d’ailleurs. C’est donc aussi un droit de Faculté.
Dans
une approche volontariste du sujet, cette contribution est l’expression d’une
doctrine engagée, je veux dire par là d’une doctrine qui ne cache pas son
ambition pour la procédure civile ; un engagement sous le regard du droit
processuel fondamental, au prisme des libertés et droits fondamentaux. Je
distinguerai trois tiers, trois parts, complémentaires, de la doctrine dans la
procédure civile :
– la part, historiquement première, d’une
doctrine traditionnellement de pure technique juridique, c’est la doctrine que
je qualifie de procédurière, sans que ce mot soit péjoratif, cantonnée sur le
seul droit privé, avec parfois quelques (stériles) rapprochements avec les
contentieux administratif et pénal ; une doctrine ancrée sur le légalisme
procédural, qui est parfois une doctrine d’influence et qui ne compose pas un
bloc unique (I) ;
– la part, plus exceptionnelle, de
participation à l’élaboration de la norme qui régit la procédure civile :
c’est la doctrine « jurislateur », qui associe ses membres les plus
éminents (on pense à Gérard Cornu, Jean Foyer et Henri Motulsky) aux travaux de
conception et de rédaction des textes, sous la haute autorité de la
Chancellerie (II) ;
– enfin, la part, plus contemporaine,
d’une doctrine de réflexion et d’impulsion, plus proche des grandes théories du
droit public ; une doctrine de vastes synthèses, de rassemblement de
concepts épars, d’explication de la procédure civile à la lumière des grands
mouvements qui embrasent la société civile d’aujourd’hui et qui se résument en
trois mots : mondialisation, modélisation et attraction (à la garantie des
droits fondamentaux) ; c’est la part prospective et exponentielle d’une
doctrine processualiste humaniste (III).
En d’autres termes, la première et la
troisième parts correspondent aux observations du Doyen Visioz sur l’étude
de la procédure civile, dès 1927 (cf. infra,
II) et à la distinction du Doyen Carbonnier : « dans les
premières années du XXe siècle, les procéduriers français
travaillaient encore principalement par exégèse du code de procédure civile,
cependant qu’en Allemagne et en Italie, les processualistes se livraient à
d’importantes recherches théoriques marquées souvent par l’influence du droit
public[7] ». Elles encadrent la doctrine qui élabore
la norme, mais aucune de ces parts n’exclut les deux autres.
I. La part
technique et traditionnelle d’une doctrine procédurière d’influence
Cette part traditionnelle est centrée sur
les questions de pure technique juridique procédurale ; il est vrai que la
matière ne se prête pas toujours à de grandes envolées lyriques comme en droit
civil de la famille par exemple, avec la question de l’homoparentalité. Encore
que ce soit par le biais de la notion procédurale « d’intérêt légitime juridiquement protégé », que la Cour de
cassation a longtemps refoulé l’action de la concubine en réparation du
préjudice causé par la mort de son concubin[8] ;
que c’est par la notion de partie à une instance que la question du droit
d’appel des candidats à la reprise d’une entreprise en état de
« faillite » a été résolue[9] ;
et que la technique du pourvoi dans le seul intérêt de la loi a permis à la
Cour de cassation de connaître de la question des « mères
porteuses », sans avoir à remettre en cause la solution donnée dans
l’affaire qui servit de fondement à cette action[10].
L’influence de cette doctrine est encore
forte, ce qui prouve son utilité (on en donnera quelques exemples à la fin de
cette partie), mais elle a changé de visage : d’une doctrine analytique
qui annote le formalisme procédural (A), on va passer à une doctrine qui
synthétise mais reste centrée sur ce formalisme (B), puis à une doctrine qui
conceptualise et aborde enfin les problèmes de fond de la discipline en
dégageant trois grandes théories (C). Avec cette troisième période, la
procédure civile est prête à prendre son envol, en quittant le légalisme
procédural pour l’humanisme processuel. Le mouvement est linéaire, mais, bien
évidemment, les dates indiquées ne correspondent pas à des couperets
abrupts ; les transitions s’effectuent progressivement.
A. Une doctrine analytique qui annote le formalisme
procédural (1806-1908)
De tout temps, les auteurs ont analysé,
commenté, annoté les lois et règlements, les décisions rendues par les
juridictions, pas seulement en procédure civile. Mais la manière de le faire a
évolué. La période couvre un peu plus d’un siècle de 1806 (promulgation du code
de procédure civile) à 1908 (deuxième édition du Précis théorique et pratique de procédure civile de Glasson, qui porte le nom d’Albert Tissier, mais dont la marque de fabrique est
encore celle de Glasson (v. infra,
B). C’est une doctrine proche de la lettre des textes et de leur commentaire
exégétique, attentive aux formes et aux délais dont la procédure civile regorge
et qui font le bonheur de nombreux plaideurs.
1)
Au lendemain du code de procédure civile de 1806, la doctrine
s’est attachée essentiellement à l’étude du formalisme judiciaire ; pour
cela, elle s’est livrée au commentaire exégétique de la loi, souvent en suivant
l’ordre analytique des articles du code de 1806 (v. J.-B. Sirey, Code de procédure civile annoté), au
mieux celui de l’accomplissement des formalités qui rythment un procès. Cette
méthode ne s’est pas manifestée seulement dans le domaine de la procédure
civile, mais la matière s’y prêtait plus que d’autres, en raison de
l’importance du formalisme. Cette doctrine exégétique manque singulièrement
d’envergure, de hauteur de vues, de grandes et larges perspectives ; elle
se concentre sur des points de détail et en arrive à occulter les réalités
économiques et sociales qui se cachent derrière la pure technique juridique. On
rattachera à ce courant, par ordre chronologique : Pigeau, La procédure civile des tribunaux de France (1811),
« maître à penser » (si l’on peut oser l’expression…) de la doctrine
du XIXe siècle, mais qui avait déjà publié en 1787 La procédure civile du Châtelet de Paris ;
Berriat-Saint-Prix (professeur à Grenoble),
Cours de procédure civile (première
édition en 1811) ; Thomines-Desmazures,
et son Commentaire sur le code de
procédure civile (1832) ; Rauter,
dont le Cours de procédure civile
(1834) présente la particularité de suivre la méthode du Traité de droit civil d’Aubry et Rau ; Boncenne, Théorie
de la procédure civile, deuxième édition en 1837 ; Bonnier, Eléments
d’organisation judiciaire et de procédure civile, 1853 ; Boitard, dont
les Leçons de procédure civile sont
un commentaire littéral du code qui connaîtra le succès avec
douze éditions.
2)
Plus tard, à partir de la IIIe République, la méthode ne change
pas. Ainsi s’exprimait Boitard en
1876 : « déterminer selon la nature de chaque cause, les principes
de compétence qui la régissent ; dire comment se forme une demande,
comment présenter une défense, comment se rendent, se réforment et se
s’exécutent les jugements…, non ce n’est pas là nous condamner à une tâche
ingrate et rebutante ; c’est encore parler de droit[11] ».
En 1880-1888, Carré et Chauveau
publieront, dans le même esprit, la cinquième édition de leurs Lois de procédure civile et commerciale[12]. Garsonnet, en
1882-1897, publie un Traité théorique et
pratique de la procédure[13], qui n’a de traité
que le titre. Glasson publie en
1902 la première édition de son Précis
théorique et pratique de procédure civile, en deux volumes ; la
deuxième édition, publiée en 1908, appartient encore à cette doctrine de
l’exégèse, de l’analyse littérale des textes, bien que le nom de Tissier y soit
associé (v. infra, B).
Parallèlement, à côté des manuels et
autres « traités », la fin du XIXe siècle et le début
du XXe verront éclore des monographies doctrinales dont
Albert Tissier en 1911 soulignait « l’indigence[14] ».
Dans le même temps ou presque, en 1927, Visioz relevait lui aussi que la revue
spécialement consacrée à la procédure (Le
recueil de procédure civile, commerciale et administrative) « s’est
campée sur le pur terrain formaliste et s’est assigné un but rigoureusement
pratique. Les rares articles qu’elle insère, sous la rubrique Doctrine et qui d’ordinaire ne se
distinguent ni pas leur profondeur, ni par leur originalité, procèdent du même
esprit[15] ».
Allant plus loin dans la critique acerbe, il n’hésite pas à écrire que
« les commentaires resteront toujours, au regard de la science juridique,
un produit de qualité inférieure[16] ».
Mais déjà apparaît une autre forme de doctrine, plus synthétique. Ce sera
l’époque des grands traités, tous postérieurs à la guerre de 1914-1918.
B. Une doctrine synthétique mais qui reste centrée sur
le formalisme procédural (1909-1926)
La période s’ouvre en 1909 avec la
première édition du Précis de
procédure civile et commerciale de Cuche, dont il sera question plus loin
et se termine en 1926 à la veille de la publication d’un article au vitriol de
Visioz sur l’étude de la procédure civile[17].
Elle marque un progrès par rapport à celle qui la précède, en ce sens que les
auteurs s’affranchissent de la méthode exégétique et s’efforcent de dégager des
principes généraux, qu’ils exposent de manière synthétique, en regroupant les
questions dans l’ordre, non plus des articles du code, mais selon
l’enchaînement naturel d’un procès : quelles sont les juridictions qui
existent, leur compétence, comment introduit-on une instance, comment se
déroule celle-ci, etc. Bref, un effort de rassemblement, de synthèse, mais le
gros reproche que l’on peut formuler à son encontre, c’est de rester très
attachée au formalisme. Selon Visioz, cette doctrine est « exclusivement
ou presque orientée vers le formalisme et c’est à édifier un système des formes
qu’aboutit son effort[18] ».
1)
Se rattachent à cette période deux grandes écoles, l’une à
Toulouse, l’autre à Paris, les deux villes dont Fernand Braudel, dans l’identité de la France, nous dit
qu’elles avaient vocation, toutes les deux, à être la capitale de notre pays,
en raison du bassin de population au centre duquel elles se trouvent.
L’histoire et les rois de France ont choisi Paris.
– l’école de Toulouse, c’est Cézar-Bru,
qui publie une troisième édition du Garsonnet, en huit volumes de 1912 à
1925, traité truffé de références historiques et dont la précision de
l’information apportée aux lecteurs est l’une des qualités ; deux résumés
à l’usage des étudiants seront tirés de cet ouvrage : le Précis de procédure civile des deux
auteurs[19]
et le Précis élémentaire du seul
Cézar-Bru[20].
– L’autre école est à Paris, avec
Albert Tissier, professeur à
la faculté de droit de la capitale, puis conseiller à la Cour de cassation et
qui reprendra en 1908 la deuxième édition du Précis théorique et pratique de procédure civile du
doyen Glasson, sous l’intitulé d’un Traité
théorique et pratique d’organisation judiciaire, de compétence et de procédure
civile, mais dont l’apport ne sera réellement novateur qu’à compter de la
troisième édition, publiée à partir de 1925 (tomes 1 et 2) et dont
Morel poursuivra l’œuvre jusqu’en
1936 (tomes 3, 4 et 5, au total cinq volumes) ; entre la
première et la deuxième édition, aucune différence de plan, de conception
de l’ouvrage, de méthode ; c’est dans la troisième édition que
Tissier, par ailleurs brillant arrêtiste, imprimera son empreinte.
2) Entre
ces deux écoles,
pas grand-chose il faut bien l’écrire ; de même que les articles de
procédure publiés dans les revues ne sont souvent que d’honnêtes commentaires
des arrêts, les précis et autres manuels font peu de place aux théories
fondamentales de la procédure civile, sauf pour la théorie de l’action à
laquelle les auteurs consacrent quelques pages : Cuche dans son Précis de procédure civile et commerciale[21]
et dont l’actuel Précis Dalloz de
procédure civile est, dans sa trentième édition, le lointain successeur,
cent ans après[22].
Citons toutefois Crémieu, avec son Précis
théorique et pratique de procédure civile[23],
dont une ultime édition sortira encore en 1956.
Malgré tout le respect que l’on doit à
cette doctrine qui s’échappe de l’école de l’exégèse, elle reste une doctrine
de transition, en attendant Visioz et Morel.
C. Une doctrine conceptuelle qui développe les trois
grandes théories de la procédure civile (1927-2010)
On distinguera deux rénovateurs qui ont
marqué l’entre-deux guerres et l’immédiat après guerre, avant de dire quelques
mots de la doctrine contemporaine, mais sans citer de noms de vivants (à de
rares exceptions près) pour ne vexer personne, de peur d’en oublier !
1)
Les rénovateurs : Visioz et
Morel
a) C’est Henry Visioz qui ouvre la
période contemporaine, en 1927, par son article fondateur, déjà cité,
« Observations sur l’étude de la procédure civile[24] ».
Savoyard, mais professeur à la faculté de droit de Bordeaux (dont il fut le
doyen actif, ce qui prouve que l’on peut être, dans le même temps, un grand
chercheur et un grand administrateur), il meurt tragiquement le 31 juillet
1948 après avoir décollé de Fort-de-France où il était allé en mission pour
transformer l’école de droit en un Institut d’études juridiques et économiques.
C’est lui qui, dans cet article, insiste sur le fait que la procédure civile
n’est pas qu’un formalisme, même agrémenté de quelques considérations générales
sur la marche de l’instance et l’instruction des affaires : « il y a
dans la procédure autre chose que des problèmes de forme ; il existe aussi
des problèmes de fond[25] ».
Et de souligner que les actes successifs de l’instance sont accomplis
« avec l’intention de produire un effet de droit : ce sont des actes
juridiques […]. Il faudra se préoccuper, non seulement des conditions de forme,
mais aussi des conditions de fond que doivent remplir ces actes[26] ».
En s’appuyant sur les doctrines allemande (K. Hellwig, J. Kohler, P. Oertmann, F. Stein) et italienne (Giuseppe Chiovenda, Carlo Lessona, Lodovico Mortara, Carnelutti), qu’il a lues dans le texte et qu’il décortique pour ses
lecteurs, en s’inspirant des théories publicistes, il indique les trois grandes
théories qui, à ses yeux, devraient être la base de tout traité ou manuel de
procédure civile : celles de l’action, de la juridiction (l’acte
juridictionnel) et de l’instance[27].
Et il va reprendre cette trilogie pour étudier chacune de ces théories à la
lumière de la doctrine française de droit public, ce qui donnera lieu au second
article fondateur de sa pensée, « Les notions fondamentales de la
procédure civile et la doctrine française de droit public[28] »,
qui s’étend sur plus de cent-dix pages.
Il faut bien reconnaître que la doctrine actuelle s’inspire encore largement de
cette distinction, sans toujours la dépasser (cf. infra III). La puissance de la pensée de Visioz dans ces deux
études est phénoménale, notamment dans la première publiée et citée ; tout
y est : la critique acerbe des besogneux (cf. p. 49, comment il
analyse le plan du précis de Crémieux pour mieux le critiquer, le
« démolir » serait plus approprié), la critique plus élégante de ceux
qui, comme Cuche ont vu les problèmes, mais ne les ont pas traités
(note 1, p. 40 sur la notion d’acte juridictionnel et la distinction
des jugements), la critique méprisante de ceux qui n’ont rien vu passer
(Garsonnet et Cézar-Bru,
note 1, p. 38, à propos de la théorie de la juridiction). Dans le
second article, il va, là encore, dénoncer les insuffisances des
processualistes français qui ont « négligé » ou « superficiellement »
étudié les trois théories qui composent le droit du procès (p. 53 des Études) ; il est le premier par
exemple à aborder la notion de partie (p. 157 des Études), dont on a vu que, cinquante-sept ans plus tard, elle
faisait l’objet d’approfondissement à l’occasion du droit d’appel ou non des
candidats évincés de la reprise d’une entreprise en difficultés (Com.
22 mars 1988, précité).
Cornu et Foyer dans leur précis de Procédure civile regrettent que Visioz
n’ait pas eu le temps de donner à la procédure civile le traité scientifique
qu’il avait conçu et notent que « le talent de plume le dispute à la
pénétration d’esprit[29] ».
Pour notre part, on regrettera simplement que, comme tant d’autres, la plume de
Visioz, par ailleurs si acerbe, ne soit pas allée jusqu’à critiquer le statut
vichyste des juifs, à l’occasion de son commentaire, technique, purement
technique, de jugements sur des actions déclaratoires « de la race juive[30] »,
dont l’expression à elle seule, fait froid dans le dos ; triste illustration
de la doctrine grise des années noires de la France. Il est certain que
l’éclairage actuel du droit processuel humaniste (sur lequel v. infra, III) ne laisserait pas passer
cette froide vision du droit d’accès à un juge.
b) René Morel, Professeur à la
faculté de droit de Nancy, puis de Paris et qui avait repris le Glasson et Tissier, à partir du tome 3,
publia aussi un Traité élémentaire de
procédure civile, qui constitue un grand classique de la matière[31],
dont la lecture est toujours instructive pour la permanence et la pertinence de
ses analyses et synthèses. Selon Jean Foyer
et Gérard Cornu, il
« laisse une œuvre achevée, constructive, d’une solidité inégalée. Il a
profondément renouvelé l’étude de la procédure civile. Il a la clarté de
Pothier et sa sûreté de jugement[32] ». Il ancre la matière dans le droit
public, voyant en elle des règles de droit public, avec cette conséquence qu’il
ne faut pas laisser aux plaideurs la marche et l’instruction des procès[33],
car la justice c’est d’abord un service public. Il insiste sur son « rôle
social et économique[34] ».
Il propose l’expression « droit judiciaire civil », pour désigner à
la fois l’organisation judiciaire, la procédure civile et la théorie des
actions en justice[35].
Il ouvre son traité par un numéro consacré à « la fonction
juridictionnelle de l’Etat », pour mieux souligner l’ancrage de la
procédure dans la théorie des pouvoirs. Trois théories générales rythment le
livre : celles de l’action en justice, de l’instance et des actes et délais
de procédure. Un maître de la procédure, dont la nouveauté et la modernité
annoncent les grandes mutations de la discipline sous l’influence de la
doctrine. Il participera à la Commission de réforme du code en 1944-1954
(v. infra).
c) À côté de Visioz et de Morel, les
auteurs de leur époque apparaissent insignifiants, des besogneux encore
imprégnés d’une conception purement formaliste de la procédure civile :
Japiot, professeur à Dijon, avec son Traité
élémentaire de procédure civile et commerciale (troisième édition en
1935), Cuche, Crémieu, déjà cités, sont plus proches du XIXe siècle
que de Visioz et de Morel.
2)
L’ère post-Visioz-Morel
a) Il faudra attendre 1958 (mais la
préface reproduite dans l’édition de 1996 est datée d’août 1957, alors qu’elle
ne l’était pas dans l’édition originale) et la première édition du manuel de Procédure civile de Gérard Cornu et Jean Foyer, pour que la
doctrine moderne de ces deux grands civilistes renouvelle la matière. Comme si
le renouveau ne pouvait venir que de ceux qui avaient aussi étudié le droit
substantiel (mais Jean Foyer avait consacré sa thèse de doctorat à
l’autorité de la chose jugée) et exercé d’importantes responsabilités
administratives (Cornu fut doyen de la faculté de droit de Poitiers) ou
politiques (Foyer fut notamment Garde des Sceaux du général de Gaulle et
président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale), comme si la
matière ne trouvait à s’épanouir que chez ceux qui sont capables d’embrasser
plusieurs types d’activités à la fois, qui ont connu la vraie vie, celle des
autres en les administrant (on pense aussi à Jacques Héron, dont il sera
question plus loin et qui fut doyen à Caen). Les problèmes de fond sont
systématiquement abordés et les trois grandes théories approfondies. Après la
disparition de ces deux grands de la procédure civile, leur manuel reste un
ouvrage de référence incontournable, source d’inspiration de beaucoup (pas
toujours cité…), jamais égalé.
b) Il faudra attendre trois ans de
plus pour que paraisse sous la plume d’Henry Solus, professeur à la
faculté de droit de Paris, un véritable traité de Droit judiciaire privé (en collaboration avec Roger Perrot,
t. 1 en 1961, t. 2 en 1973 et t. 3 en 1991).
c) Le maître incontesté de la procédure
civile restera, au moins pour les deux derniers siècles, Henri Motulsky, dont
le nom est attaché, éternellement, à la notion de droit processuel (sur ce
point voir la troisième partie), aux principes directeurs du code de
procédure civile, au respect du contradictoire, à la notion de cause, à l’arbitrage
et, surtout, à l’élaboration du nouveau code de procédure civile (cf. infra, II).
d) Jacques Héron, prématurément disparu,
professeur et doyen de la faculté de droit de Caen (il confirme notre
observation sur le caractère fructueux du cumul des fonctions administratives,
d’enseignement et de recherche), publia très rapidement après son agrégation
(major du concours en décembre 1984, l’ouvrage sort en 1991[36])
un ouvrage de Droit judiciaire privé,
qui fera date par l’originalité de sa pensée, le plan, la connaissance très
fine de la matière. C’est une œuvre personnelle très forte, que nous avons déjà
eu l’occasion de présenter[37].
Nous avons eu l’honneur de « l’agréger » et nous pouvons dire qu’il
domina tous les autres : il survola le concours.
e) Pour s’en tenir aux vivants, on ne
citera personne, sauf Jacques Normand,
« le meilleur d’entre nous », le maître de la note d’arrêt à
la revue trimestrielle de droit civil, l’élégance de la plume et de la
courtoisie envers ses collègues, le souci de les citer dans leurs œuvres
doctrinales, sans flagornerie ni omission (laquelle est un véritable péché
contre l’esprit de l’université, lorsqu’elle conduit certains à occulter des
pans entiers de la doctrine contemporaine ou à ne se positionner qu’en
s’opposant, sans se poser vraiment), la précision de ses citations, la
profondeur de sa pensée, bref, la perfection d’une doctrine qui apporte chaque
fois qu’elle prend la plume et qui ne se contente pas d’annoter bêtement le
formalisme procédural.
3)
Pour terminer ce panorama d’une doctrine procédurière d’influence, on indiquera
qu’aujourd’hui elle se manifeste dans de multiples genres et que sa qualité n’a
plus rien à voir avec l’indigence relevée par Tissier et Visioz pour les auteurs du XIXe siècle
et du début du XXe : les encyclopédies, les précis et manuels
(pas moins de dix-sept au 1er octobre 2010[38]),
les traités pratiques (avec les deux Dalloz action de procédure civile et de
voies d’exécution, sous notre direction), les traditionnelles notes d’arrêts,
les observations et autres sommaires annotés ou commentés ; les articles
dans les revues, les contributions à des mélanges offerts à des professeurs ou
à des magistrats, voire à des avocats ; les thèses et monographies
diverses ; les rapports des conseillers à la Cour de cassation sur des
arrêts et avis des avocats généraux.
Quelle
influence réelle ? Il est difficile de la mesurer. Qui dira en quoi elle
inspire les hauts magistrats qui la lisent et qui ensuite rédigent les
arrêts ? À la différence de la L.O.L.F. (loi organique sur les lois de
finances), la doctrine n’a pas d’indicateurs de son impact. Un exemple récent
permet pourtant de mesurer l’influence de la doctrine sur la jurisprudence de
la Cour de cassation. La question s’était posée de savoir, en
matière de cautionnement, laquelle des deux voies procédurales de la défense au
fond ou de la demande reconventionnelle, doit emprunter la caution qui demande
à être déchargée de son obligation. Dans la rigueur des principes, si le
défendeur, en se défendant, présente une « demande » qui, si elle
acceptée, n’ajoute rien au rejet de la prétention adversaire, il y a défense au
fond ; le seul débouté du demandeur est le signe manifeste qu’il y a
défense au fond, quelle que soit par ailleurs, la manière dont le défendeur présente
sa défense. Pour qu’il y ait demande reconventionnelle, il faut que la demande
présentée ajoute un « avantage » au simple rejet de la demande
initiale. Quatre mois après la publication d’un article volontairement
provocateur du signataire de ces lignes[39],
la chambre commerciale opérait un revirement et distinguait deux cas : si
la caution demandait seulement à être déchargée de son obligation sans
prétendre obtenir un avantage autre que le simple rejet, total ou partiel, de
la prétention de son adversaire, elle pouvait procéder par voie de défense au
fond ; si elle demandait à être déchargée indirectement en sollicitant des
dommages-intérêts, puis la compensation entre le montant de sa dette et celui
de ces dommages-intérêts, elle devait agir par voie de demande
reconventionnelle[40].
Selon la jolie formule de Philippe Simler,
« jamais doctrine n’avait été suivie si rapidement d’autant d’effet[41] ».
Au-delà de cet exemple, la meilleure façon
de mesurer l’influence de la doctrine est de regarder du côté de ceux qui ont
eu la chance de participer à l’œuvre normative. Ils sont peu nombreux et ils
forment en ce sens une doctrine d’exception.
ii. La part normative
et exceptionnelle d’une doctrine « jurislateur »
Cette doctrine qui participe à
l’élaboration de la norme procédurale, le plus souvent d’origine réglementaire
est exceptionnelle dans les deux sens du terme : les occasions sont rares
et la participation est toujours de haute qualité, venant de la doctrine la
plus éminente. On en trouve un précédent dans l’élaboration du code de 1806
(A), surtout dans celui de 1976 (B) et, enfin, dans les réformes récentes de
procédure civile (C).
A. La part marginale de la doctrine procédurière dans
l’élaboration du code de 1806
Alors que dès les 16 et 24 août 1790,
un décret avait affirmé que « le
code de la procédure civile sera incessamment réformé de manière à ce qu’elle
soit rendue plus simple, plus expéditive et moins coûteuse », une
commission est nommée par le Consulat le 3 germinal de l’an X pour
préparer un projet de procédure civile. Sur six membres, on compte un seul
professeur de droit à Paris, Pigeau, ancien avocat au Châtelet, mais il donna
son nom à ce code d’un autre âge[42] ;
les cinq autres sont quatre magistrats et un greffier. Le
projet, publié en l’an XII, sera soumis à la Cour de cassation (qui
remplit l’office de la doctrine en faisant des observations remarquables) et
aux cours d’appel, avant d’être discuté par le Conseil d’État et le Tribunat
(an XIII, mars 1806). L’exposé des motifs du code, publié en six lois du
14 avril au 9 mai 1806, fut rédigé par le haut magistrat Treilhard,
président du tribunal d’appel de Paris, ancien avocat au Parlement et ancien
membre de la Constituante.
Malgré l’affirmation de ses rédacteurs
qu’ils avaient « voulu rendre à l’institution, la procédure civile, toute
sa pureté », en supprimant
« toute vaine formalité », l’avis général est plutôt que c’était
essentiellement un code de formalités, s’intéressant presque exclusivement au
déroulement du procès dont le plan traduisait bien l’esprit du moment :
décrire les formalités du procès, sans se préoccuper des questions de fond.
Bref, un code à l’image de la doctrine procédurière dominante au XIXe siècle
qui, on l’a vu, annote le formalisme procédural, sans développer de grandes
théories sur l’action en justice, la fonction juridictionnelle ou l’instance.
Même le pourvoi en cassation qui avait fait l’objet d’un règlement du
chancelier d’Aguesseau en 1738, était à peine cité. Les parties étaient libres
de ne rien faire dans la progression de l’instance, sans que le juge n’y pût
rien[43].
On peut d’ailleurs se demander si Napoléon n’a pas volontairement voulu
stabiliser la procédure civile pour ne pas perturber l’application des
nouvelles règles de fond.
Est-ce dû à la faible, très faible
participation de la doctrine à son élaboration ? Toujours est-il que la
doctrine ne l’accueillit pas avec bienveillance, d’autant plus que la
commission des rédacteurs avaient donné des verges pour se faire fouetter en
écrivant dans ses « observations » : « nous avons beaucoup
conservé », entendez par là de l’ordonnance de 1667 (le fameux code
« Louis », sous-entendez Louis XIV) ! Bref, un code de
praticiens sans envergure, comme le code de commerce fut un code de
boutiquiers. Garsonnet et Cézar-Bru
le qualifièrent de « copie trop servile » et Glasson et Tissier de « déjà vieux en naissant ».
Malgré ses défauts, ce code est resté en
vigueur pendant plus d’un siècle, sans être sérieusement retouché et a
influencé la législation de plusieurs États[44],
à commencer par ceux qui étaient alors sous la domination napoléonienne[45].
Il est aujourd’hui entièrement abrogé (loi n° 2007-1787,
20 déc. 2007, art. 26-II). Seules avaient été rajeunies, en 1841 et en
1858, les procédures d’ordre et de saisie des immeubles[46].
De nombreuses commissions furent réunies à partir de 1868, aboutissant
notamment à un projet de code en 1954. Dans la commission instituée à cet effet
par arrêté du Garde des sceaux du 17 novembre 1944, un seul universitaire,
René Morel, est présent sur neuf membres (Edgar Faure, avocat, n’est pas encore agrégé
d’histoire du droit). Tout autre
sera le Nouveau code de procédure civile de 1976.
B. La part éminente de la doctrine conceptuelle dans
le code de procédure civile de 1976
La part la plus belle que la doctrine ait
jamais prise dans l’élaboration d’un code est celle qui est due au travail qui
a réuni à la Chancellerie, à partir de 1969, trois grands universitaires ;
par ordre alphabétique, tant leurs mérites furent grands : Gérard Cornu, Jean Foyer et Henri Motulsky (décédé en décembre 1971, mais dont
l’ombre portée plane sur les principes directeurs du procès civil). À leur
côté, il ne faut pas les oublier, d’éminents magistrats : P. Francon, président de chambre honoraire à la Cour de cassation,
directeur-adjoint des affaires civiles, C. Parodi, premier président de la Cour d’appel d’Amiens et
Jean Buffet, alors en poste à la Chancellerie. La Commission de réforme du Code de procédure civile
présidée par notre collègue M. le Ministre Jean Foyer a travaillé
sans relâche jusqu’à sa dissolution, en 1980. Ses propositions ont inspiré
quatre décrets : n° 71-740 du 9 septembre 1971, n° 72-684
du 20 juillet 1972, n° 72-788 du 28 août 1972, n° 73-1122
du 17 décembre 1973. C’est leur contenu qui a pris place, avec quelques
variantes, dans le nouveau Code de procédure civile entré en vigueur le 1er janvier
1976, par l’effet d’un décret de codification (qui rassemble l’ensemble des
quatre décrets) le 5 décembre 1975 (n° 75-1123).
Disons-le
tout net : le NCPC est l’exemple d’une codification réussie avec une unité
de pensée et de plume, celle du Doyen G. Cornu, qui a beaucoup contribué à
faire passer un souffle nouveau sur la procédure civile[47],
à forger une « force doctrinale[48] »,
au service de la pratique et de ses problèmes quotidiens. Voici ce qu’écrivait
en 1997, Jean Foyer :
« ce code a été ou presque intégralement rédigé par la plume du Doyen
G. Cornu si bien qu’on pourrait l’appeler, en toute justice, le Code Cornu[49] ». C’est le plus bel hommage que l’on puisse
rendre à la doctrine.
Les
principes directeurs qui forment le premier chapitre du code de 1976
(articles 1 à 24) en expriment la quintessence. S’il est vrai que
cette idée de formuler des principes directeurs ne revient pas, selon la source
la plus autorisée, à Henri Motulsky, mais à MM. Jean Foyer et
G. Cornu qui, dans leur manuel de 1958 avaient déjà utilisé cette
terminologie et dont la dénomination figure chez Vizioz[50], il n’en demeure
pas moins que les travaux antérieurs de Motulsky sur le rôle respectif du juge
et des parties dans l’allégation des faits, sur les droits de la défense, sur
la délimitation de la chose jugée, sur la notion de cause (au sens des faits
sur lesquels la prétention est fondée) les avaient largement inspirés, comme
d’ailleurs les Romanistes médiévaux[51]. La rédaction de
ces principes « révèle la plume du doyen Cornu » et la « pars nova », celle qui ne vient pas
de ces Romanistes médiévaux, est celle de Motulsky[52].
C. La part
significative de la doctrine contemporaine postérieurement au code de 1976
Magistrats
et universitaires se sont relayés depuis les années 1980 pour inspirer des
réformes de procédure civile et, dans un sens plus large, de la justice civile.
Dérogeant à notre règle de ne pas citer d’auteurs vivants, nous ne pouvons
faire autrement que de citer ceux qui, à des titres divers, ont impulsé ces
réformes et dont les noms scandent les réformes des années 1990-2010. Le point
commun qui les réunit est que cette doctrine qui a réussi à faire passer ses
idées, n’a réussi précisément que parce qu’elle n’a jamais travaillé seule,
isolée, dans le secret d’un cabinet de travail, fut-il installé à la
Chancellerie ; tous ceux qui ont présidé aux destinées des ces groupes de
travail et autres commissions, l’ont fait avec le souci d’abord de s’entourer
de personnalités compétentes mais de sensibilités diverses, ensuite
d’auditionner des personnes de tous horizons, sans sectarisme, ni exclusive, à
la différence de ceux qui, de près ou de loin, ont parfois profité d’une amitié
partisane pour essayer d’influer sur certaines réformes (on pense aux réformes
avortées des tribunaux de commerce, de la procédure prud’homale, de l’exécution
provisoire). Les présidents de ces commissions ont su, par leur sens de
l’humain, leur capacité de grande et patiente écoute, leur qualité à
« manager » des commissions pouvant comprendre
cinquante personnes, bien plus que par leur unique compétence technique,
cristalliser autour d’eux un agrégat de personnalités aussi riches que diverses,
pour élaborer un consensus mûrement réfléchi. Ils ont donné une belle leçon
d’efficacité, mais aussi d’humilité : on ne réussit dans ce type de
fonctions que parce qu’on n’exclut pas, parce qu’on écoute l’Autre, dans toutes
ses différences et sensibilités. Est-ce parce que tous ou presque ont exercé
par ailleurs et souvent cumulativement d’importantes responsabilités
administratives ? Peut-être, on l’a déjà relevé pour l’influence de
Visioz, Cornu et Foyer, mais cela n’explique pas tout. Je crois que cela correspond
surtout à leur conception de l’université, faite d’universel et à leur vécu qui
va de la composition des jurys de thèse qu’ils dirigent (sans jamais pratiquer
l’exclusion de ceux qui ne pensent pas comme eux) à l’invitation à participer à
des colloques qu’ils organisent sans exclusive. Bref, leur réussite à impulser
des réformes n’est que le reflet de leur personnalité et leur personnalité est
le gage de réformes acceptées et durables. On ne grave bien dans les tables de
la loi ou du règlement que ce qui est le fruit d’une pensée enrichie de
l’apport des autres. La doctrine « jurislateur » n’est pas un
juge : elle n’a pas à trancher autoritairement entre deux thèses ;
elle doit décider dans le sens de l’intérêt général, lequel se construit pas à
pas, peu à peu, au fil des auditions et des échanges.
Le
rôle de cette doctrine « jurislateur » s’illustre tant en procédure
civile proprement dite (1) que dans l’organisation judiciaire (2) et les voies
d’exécution (3).
1) L’impulsion doctrinale des réformes
récentes de procédure civile
a) Le rapport
Coulon et le décret du 28 décembre 1998
Après
les très nombreux décrets qui l’ont complété ou modifié, le [nouveau] Code
aurait dû faire l’objet d’un très important réaménagement (pour ne pas dire
réécriture) suite à la mission confiée par le garde des Sceaux, en 1995, à
M. Jean-Marie Coulon, alors président du TGI de Nanterre. Le rapport,
très complet et qui traduisait une très bonne perception de la justice civile à
la fin du XXe siècle,
remis au Ministre en janvier 1997[53]
contenait trente-six propositions dont certaines bouleversaient la
structure, les fondements du [N]CPC. Finalement – et plus modestement – le
projet de décret préparé par la Chancellerie à la suite de ce rapport et soumis
à la consultation des professionnels concernés[54]
fut ramené à la promulgation d’un décret de procédure civile le
28 décembre 1998 (n° 98-1231)[55]
et d’un autre limité à la procédure suivie devant la Cour de cassation (pour en
rendre plus difficile l’accès) le 26 février 1999 (n° 99-131)[56].
b) Les conclusions
de la Commission Bolard/Guinchard et les décrets des 20 août et
23 décembre 2004
Une
autre commission de réforme, installée le 28 novembre 2002, sous la
présidence des professeurs Bolard (Dijon) et Guinchard (Paris II) devait
conduire aux décrets n° 836 du 20 août et n° 1420 du
23 décembre 2004 et, pour partie seulement, à celui n° 1678 du
28 décembre 2005. Parallèlement, un groupe de travail réuni sous la
présidence de Serge Guinchard,
préparait les textes sur la formation des juges de proximité et de ceux des
tribunaux de commerce qui ont conduit à donner à ces deux catégories de juges
non professionnels, une formation minimale nécessaire à l’exercice de leurs
fonctions.
c) Les conclusions
des commissions Magendie 1 et
2 et les décrets des 28 décembre 2005 et 9 décembre 2009
La
justice française a certes su évoluer pour répondre à la nécessité de respecter
les garanties du procès équitable, mais elle se trouve confrontée à une autre
pression, une autre logique, celle du « new public mangement », qui met l’accent sur le rendement, le
productivisme et l’efficacité de l’exercice de la fonction juridictionnelle.
Les travaux de ces deux commissions en sont l’exacte traduction.
Ainsi,
le décret précité du 28 décembre 2005 a subi l’influence des travaux du
groupe de travail « qualité et célérité de la justice » (Magendie 1) réuni sous l’autorité de
M. Magendie, premier
président de la Cour d’appel de Paris[57].
Le
décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 qui réforme (au 1er janvier
2011) la procédure d’appel, traduit la même obsession de « management » de la justice[58].
Il traduit, pour partie, les conclusions de la commission dite Magendie 2 sur la célérité et la qualité de
la justice en appel.
2) L’impulsion des travaux de la
commission Guinchard sur la réorganisation des contentieux
Instituée
en décembre 2008 par la Ministre de la Justice pour proposer des réformes
d’organisation judiciaire et d’éventuelles déjudiciarisations (avec notamment
la question du transfert aux notaires du divorce par consentement mutuel), la
Commission Guinchard (du nom de son président, signataire de ces lignes) a
remis ses conclusions le 3 juin 2008 sous la forme d’un rapport, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée,
qui contient soixante-cinq propositions de réforme (justices civile et
pénale)[59].
Composée de magistrats et de représentants des professions judiciaires, elle
comprenait quatre universitaires : outre son Président, professeur
(émérite) à Paris II, Natalie Fricero (Nice), Frédérique Ferrand
(Lyon 3) et Xavier Lagarde (Nanterre). Vingt-six de ses cinquante
propositions civiles ont déjà reçu une traduction complète dans
quinze textes divers (lois et décrets). Un texte très substantiel a été
déposé à l’Assemblée nationale le 3 mars 2010, par le Gouvernement et reprend
notamment les propositions concernant le divorce par consentement mutuel, la
suppression des juridictions de proximité (avec le maintien des juges de
proximité) et maintes suggestions de compétence et de procédure pénale.
3) L’aboutissement des travaux des groupes
de travail Perrot et Guinchard dans les réformes des procédures d’exécution
La
doctrine contemporaine a pris une part prépondérante dans la réforme des
procédures d’exécution : d’abord par le groupe de travail réuni autour du
professeur Perrot (Paris II)
pour réfléchir à la réforme des voies d’exécution mobilières et dont les
conclusions se retrouvent dans la loi du 9 juillet 1991 (n° 91-650).
Ensuite, par le groupe de travail réuni à la Chancellerie de juin 1996 à juin
1997, autour de Serge Guinchard (alors
professeur à Paris II) pour concevoir une réforme de la procédure de
saisie immobilière, projet qui devait devenir, dix ans plus tard,
l’ordonnance du 21 avril 2006 (n° 2006-461).
III. La part
exponentielle et prospective d’une doctrine processualiste humaniste
Progressivement,
depuis la fin des années quatre-vingt-dix, mais le mouvement s’est accéléré
avec la publication du précis Dalloz de droit processuel en 2001[60],
la procédure civile a changé de visage. Elle n’est plus le droit des
procéduriers qui réfléchissent à leur discipline en scrutant leurs aspects de
pure technique procédurale, voire en étudiant les trois théories de l’action,
de la juridiction et de l’instance, mais le droit de ceux qui s’intéressent aux
sources communes d’inspiration de tous les contentieux, à leurs fondements, aux
principes de droit naturel qui s’imposent dans la conduite de tous les procès.
En effet, le droit processuel d’aujourd’hui dépasse la simple comparaison des
contentieux administratif, civil et pénal et se trouve irrigué par des
standards communs à tous les procès, nationaux ou internationaux, peu important
qu’ils relèvent de la matière civile ou de la matière pénale, standards
provenant de sources internationales, pour l’essentiel européennes, mais aussi
de sources constitutionnelles. Le droit processuel étant devenu le droit commun
du procès, de tous les procès, la procédure civile n’a pas échappé à ce
mouvement et a bénéficié de cet apport, de ce renouvellement de la pensée
processualiste, en provenance notamment de la jurisprudence de la Cour EDH.
De
cette évolution, la doctrine qui l’épouse et la crée tire sa force et sa
légitimité qui s’imposent progressivement parce qu’elles s’enracinent dans la
protection des droits et libertés fondamentaux. Cette doctrine, que nous
qualifions de « processualiste humaniste », prend une part croissante
dans la construction, au quotidien, de la garantie des droits (A). Elle
contribue à faire émerger des principes structurants (B) qui dessinent les contours
de la démocratie procédurale de demain (C).
Cette
doctrine est exponentielle, car, avec le développement du concept de procès
équitable, elle ne connaît pratiquement pas de limites. Elle est prospective,
car elle fonde une vision futuriste de la démocratie procédurale.
A. La part de la doctrine processualiste humaniste
dans la construction de la garantie des droits
1) Par doctrine humaniste processuelle, nous n’entendons
pas la doctrine processualiste classique qui voyait dans le droit processuel
une « œuvre doctrinale [qui] s’élève à un degré supérieur de généralité
par la comparaison des divers types de procès[61] »,
celle sur laquelle plane l’ombre majestueuse et l’empreinte magistrale
d’Henri Motulsky, ce maître incontesté du droit du procès, jamais égalé, jamais
remplacé. Cette vision n’est pas périmée, mais dépassée, car en plus de
quatre-vingts ans (de Visioz en 1927, à aujourd’hui), elle n’a conduit à
rien, si ce n’est à disserter au mieux sur le droit d’action comparé du
ministère public et des groupements en contentieux administratif, civil et
pénal, au pire à se demander pourquoi les délais n’étaient pas les mêmes pour
agir dans chacun de ces trois contentieux. Surtout, elle ne conduit pas à
s’interroger sur les fondements de la procédure civile eu égard aux besoins
ressentis par les citoyens dans toutes les formes de démocratie moderne
(besoins d’écoute, de confiance et de proximité) et aux légitimes aspirations
des justiciables (aspirations au dialogue, à la loyauté du débat judiciaire et
à la célérité de la justice). C’est en ce sens que la seule comparaison des
trois grands contentieux est dépassée, « ringardisée » : que
peut-elle apporter aux justiciables qui aspirent à l’effectivité de leurs
droits et non pas à une construction intellectuelle, aussi réussie soit-elle,
d’une théorie générale du procès ? Loin de nous l’idée de renier l’apport
de cette réflexion à la doctrine juridique ; mais force est de
constater qu’elle n’apporte rien au droit de la procédure civile, au sens du
droit des justiciables à voir le législateur et les juridictions assurer
l’effectivité de leurs droits, par des mesures concrètes et pas seulement par
de belles envolées lyriques sur les trois grandes théories de l’action, de la
juridiction et de l’instance.
2) C’est ce volet « protection des
droits fondamentaux » qui a aujourd’hui considérablement transformé la
technique procédurale civile. Progressivement, tout un droit commun du procès
se construit sous nos yeux, par l’impulsion que donnent à tous les contentieux,
au-delà de leurs divergences congénitales, les sources supra-législatives de ce
droit. Le droit processuel, en tant que droit commun du procès équitable est
devenu le droit qui garantit la garantie des libertés et droits fondamentaux.
On assiste actuellement, sous l’influence conjuguée des normes
supra-nationales, mais aussi des auteurs tant français qu’étrangers qui
s’intéressent à ce mouvement d’internationalisation et de
constitutionnalisation des procédures et qui le conceptualisent, à la création
progressive, mais inéluctable, d’une science de la procédure, d’un nouveau
droit processuel envisagé comme un droit commun à tous les types de
contentieux.
a)
L’apport de la doctrine contemporaine est essentiel dans cette reconstruction
du droit processuel ; elle va soutenir ce mouvement, parfois le précéder,
par ses enseignements et ses écrits, en dégageant trois aspects du droit à un
procès équitable, quel que soit le type de contentieux, donc y compris celui
qui est régi par la procédure civile :
– le droit à un juge (et l’effectivité de
ce droit par la levée de tous les obstacles d’ordre financier et
juridique) ;
– le droit à un bon juge, par des
garanties d’ordre institutionnel (unité ou dualisme des juridictions ;
unité ou collégialité des juridictions ; indépendance et impartialité du
juge ; laïcité des juridictions ; une langue comprise des
justiciables) et d’ordre procédural, avec une procédure publique, rapide et
équitable, au sens de l’exigence d’un jugement motivé, du respect des principes
d’égalité des armes et de principe de la contradiction ;
– le droit à l’exécution de la décision du
juge.
C’est
le fameux triptyque que la Cour européenne des droits de l’homme a
progressivement dégagé de l’article 6, § 1 de la Convention du même
nom et dont les deux arrêts phares sont Golder
contre Royaume-Uni et Hornsby contre
Grèce. Il n’a plus grand-chose à voir avec la conception classique du droit
processuel.
b)
Il serait erroné de croire que ce droit processuel humaniste ne concerne pas la
procédure civile. Les arrêts de la Cour EDH ont démontré le contraire :
qui eût cru que des articles du code de procédure civile allaient donner lieu à
des arrêts de condamnation de la France sur le fondement du droit à un procès
équitable ? On pense notamment aux articles 619 sur les moyens
nouveaux[62], 979[63],
1009-1[64],
du code de procédure civile, au principe d’être jugé dans un délai raisonnable
avec l’examen, sur ce terrain, de l’usage que fait le juge de la mise en état
des pouvoirs que le code lui confère[65].
B. La part de la doctrine processualiste humaniste
dans l’émergence de nouveaux principes structurants
Si,
en partant des grandes évolutions de notre société, des attentes nouvelles des
justiciables, on recherche un dénominateur commun à tous les contentieux, dans
une perspective prospective, quels sont les principes directeurs susceptibles
de se dégager en ce début de siècle ? Avec le risque d’en oublier ou, plus
exactement de minimiser certaines évolutions, nous avons avancé l’idée, dès
1999, que trois principes structurants se profilent derrière les principes
directeurs actuellement retenus dans chaque type de contentieux, principes qui
correspondent à des besoins nouveaux, tels que les expriment les justiciables
et les citoyens :
– un besoin de confiance dans
l’institution justice et de respect de l’Autre, d’où un principe (structurant)
de loyauté, notamment dans la recherche de la preuve ;
– un besoin d’écoute de l’Autre, qu’il
s’agisse des parties ou du juge, voire de tiers, d’où un principe (structurant)
de dialogue entre les parties et entre celles-ci et le juge ;
– un besoin de proximité enfin, mais pas
forcément dans l’espace, le temps mis à parcourir une distance se substituant à
la proximité géographique, d’où un principe, lui aussi structurant, de
célérité.
Le
lecteur intéressé par ces nouveaux principes et cette doctrine qui les porte en
trouvera un exposé détaillé dans le précis Dalloz de droit processuel déjà cité[66].
Ce
sont les principes directeurs de demain, des principes émergents, ce qui
signifie qu’ils ne sont pas encore acceptés par tous. Ils structurent
l’ensemble des contentieux[67]
et il faut les « inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de
justice[68] ».
Ils traduisent l’avènement d’une démocratie procédurale[69].
C. La part de la doctrine processualiste humaniste
dans l’avènement d’une démocratie procédurale
Avec
l’émergence de ces trois principes structurants, nous croyons pouvoir discerner
la confirmation de l’opinion que nous avions émise dès 1999[70] :
nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de
pure technique procédurale, non point parce que celles-ci seraient devenues
inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la
mondialisation (qui induit une attraction de la procédure civile à la garantie
des droits fondamentaux) et à la lumière d’une modélisation du droit du procès.
De simple technique d’organisation du procès civil (comme la société est une
technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres, ainsi que nous
l’avions souligné dans le Précis de
Procédure civile, dès 1991[71]),
la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la
démocratie dans notre pays[72],
mesure que la Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[73].
Sous ce regard, les juristes d’aujourd’hui, en tout cas ceux qui s’intéressent
à la garantie des droits fondamentaux ne commenteraient certainement pas de la
même façon des jugements tels que ceux commentés par Visioz sur les actions
déclaratoires visant des juifs (cf. supra,
I, B). Ce qui vaut pour le champ du procès, vaut aussi, à un moindre degré,
pour le champ du service public de la Justice, tant il est vrai que, dans ce
cas, les résistances régaliennes sont plus fortes.
La
procédure civile réintègre ainsi pleinement le champ du service public de la justice
et la doctrine ne peut ignorer ce phénomène. On est loin de l’annotation du
formalisme procédural. La doctrine participe désormais à l’avènement de la
garantie des droits, à l’instauration d’une démocratie procédurale.
VI -visioz, un rÉnovateur
en quÊte du droit processuel
Préface à la réédition en 2011 aux éditions Dalloz
des « Études
de procédure » publiées en l’honneur d’Henry Visioz en 1956
C’est
une heureuse initiative prise par les éditions Dalloz que de rééditer les Etudes de procédure[74]
qui avaient été publiées en 1956 aux éditions Bière à la mémoire d’Henry
Visioz, tragiquement disparu en mer, à l’âge de 62 ans, le 31 juillet 1948,
dans l’accident du Latécoère 631, au large des Antilles où il s’était rendu en
mission pour transformer l’école de droit en un Institut d’études juridiques et
économiques. C’est l’occasion de revenir sur l’œuvre de cet universitaire
pleinement engagé dans la vie de sa Faculté, à Bordeaux, dont il fut le doyen
dès 1934.
Savoyard,
Visioz suivit les deux premières années de la licence en droit à Grenoble, mais
partit à Bordeaux terminer ses études de licence (en trois ans) et soutenir
deux thèses, la première en 1912 sur la Notion
de quasi-contrat, la seconde sur Le
fideicommis en Prusse en 1914, institution qu’il avait étudiée sur place.
Il devra attendre la fin de la première guerre mondiale pour reprendre la
préparation du concours d’agrégation, qu’il réussit en 1920. Cette guerre, il
la passa d’abord au front, à Charleroi, sur la Marne et sur l’Yser, avant
d’être fait prisonnier, années de captivité qu’il occupa à étudier la théologie
(il avait créé à Bordeaux l’Association catholique des étudiants, le
Secrétariat social et le Cercle Léon XIII) et à instruire ses camarades. Le
lecteur intéressé par sa carrière et sa personnalité lira avec profit l’hommage
(reproduit en tête de l’ouvrage), que lui a rendu son collègue Laborde-Lacoste,
le 7 février 1950, à la Faculté de droit de Bordeaux.
Les
Etudes de procédure se présentent
sous la forme d’un ouvrage en deux parties dans l’objectif de mettre en
évidence la pensée de Visioz, à partir de ses propres écrits. L’hommage n’est
donc pas celui de ses disciples ou collègues à un Maître, qui écrivent en son
honneur, comme on le fait aujourd’hui dans des Mélanges, mais d’une Faculté et d’une profession qui entendent que
sa pensée exprimée essentiellement dans des articles de fond qu’il
affectionnait particulièrement et dans ses commentaires d’arrêts, soit
présentée comme il n’aurait pas manqué de le faire si son projet de rédiger un Traité de procédure aux éditions Dalloz
avait abouti comme il en avait l’intention. Les Etudes de procédure comprennent donc deux parties, l’une, générale,
qui rassemble quatre contributions d’intérêt inégal ; l’autre, spéciale,
qui réunit, pour l’essentiel, ses observations à la Revue trimestrielle de droit civil, des articles et des préfaces,
le tout selon le plan de son cours, ce qui en accroît l’intérêt. On relèvera
que certains des articles ou notes d’arrêt publiés dans cette seconde partie,
l’ont été au recueil Penant sur des
sujets intéressant l’Indochine ou Madagascar (notamment son dernier
commentaire d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 1948, publié post-mortem), ou dans le Bulletin de l’Ecole française du Caire
en 1934, ce qui confirme l’intérêt
que Visioz portait à l’influence de la France hors de ses frontières et à la
France d’Outre-mer, intérêt qui l’a porté a accepté cette mission fatale en
Martinique.
Les
écrits réunis dans ces deux parties révèlent :
- une
quête inlassable mais inachevée d’un droit processuel qui donne de Visioz
l’image d’un homme de convictions (III) ;
- la
vision d’un droit processuel dont les bases conceptuelles sont construites (sur
deux piliers) par un homme d’ouverture (II),
- le
tout à partir d’une véritable entreprise de démolition de la doctrine du XIXème
siècle et du début du XXème siècle, au service de la forte ambition
qu’il forme pour la discipline qu’il affectionne (I).
I – Une entreprise de
démolition : un homme de forte ambition pour la procédure civile
a)
La base de la pensée de Visioz en matière de procédure civile est
incontestablement son article fondateur publié en 1927 (moins de 10 ans après
son retour de captivité et alors qu’il a déjà enseigné à Lausanne, sept ans
après son succès au concours d’agrégation des facultés de droit) à la Revue générale du droit, de la législation
et de la jurisprudence en France et à l’étranger, « Observations sur
l’étude de la procédure civile », que le lecteur trouvera en ouverture de
cet ouvrage. En cinquante pages, Visioz dénonce une doctrine trop attachée au
formalisme, trop exégétique, sans aucun esprit scientifique. Entendons-nous
bien, ce n’est pas la discipline que Visioz réfute, mais la doctrine qui n’a
pas su l’aborder de manière scientifique, comme cela fut fait dans les autres
disciplines juridiques. Les critiques en apparaissent d’autant plus vives.
1)
Certes, Visioz prend quelques précautions liminaires en écrivant (p. 6), à
propos de la conception (qu’il abjecte) de la procédure envisagée « comme
une initiation à l’art de conduire un procès ..., à acquérir la connaissance
des textes qui régissent la matière, du sens exact des formules et de leur
emploi judicieux, à se familiariser avec la rédaction des actes et le calcul
des délais, à apprendre les tours de mains et les usages du
Palais » : « il faut dire
à l’honneur de la doctrine française du XIXème siècle qu’elle n’a
jamais admis cette conception empirique ». Mais c’est pour aussitôt,
dans la phrase qui suit, relever qu’il est arrivé aux auteurs de cette même doctrine
« qui ont entendu élever la
procédure au rang de science[75]
…, de n’avoir pas su s’affranchir de ce legs du passé et, dans l’exécution, de
trahir leur dessein ». En d’autres termes, le dessein était noble,
mais ils l’ont trahi, sans doute – la suite le démontre – parce qu’ils n’ont
pas su adopter une méthode autre qu’exégétique ; en quelque sorte, une
insuffisance par défaut de compétence scientifique. Cruel constat.
2)
La suite de l’entreprise de démolition se développe autours de deux autres
conceptions de la procédure civile que Visioz dénonce : « d’après une première conception, la
tâche essentielle reste le commentaire détaillé de la loi », selon une
méthode « résolument
analytique », qui suit « pas
à pas le plan tracé par le législateur lui-même, de manière à suivre fidèlement
sa pensée ». Et comme les lois de procédure sont essentiellement des
lois de forme, qui régissent la succession des actes accomplis au cours d’une
instance, « l’étude de la procédure
se ramènera donc à l’étude du formalisme judiciaire ». Boitard en
aurait été, à la fin du XIXème siècle, le représentant[76].
Certes, Visioz concède volontiers que cette méthode exégétique était « inévitable » à la suite de « toute œuvre législative » et
qu’elle « répond à un besoin »,
au demeurant répandu dans les autres branches du droit, mais c’est pour mieux
souligner, dans le même paragraphe (p. 8) « qu’elle
offre des perspectives très limitées et aboutit assez vite à concentrer tout
l’effort des interprètes sur des points de détail, à épuiser leur vigueur dans
des controverses stériles » ; « appliquée
à la procédure civile, elle enferme la doctrine dans le cercle étroit du pur
formalisme, dont elle finit par donner le goût, sinon la superstition »[77] !
Cette conception ne peut donc avoir « qu’une
valeur provisoire » et ces « commentaires
resteront toujours, au regard de la science juridique, un produit de qualité
inférieure ». Le coup est rude.
Cette
critique est d’autant plus sévère que Visioz a connu à Bordeaux celui auquel il
a succédé dans la chaire de procédure civile, Le Coq de Kerland, dont
Laborde-Lacoste dans son hommage à Visioz nous dit qu’il était « un maître bien connu et aimé à
Bordeaux », mais aussi que pour ce maître « qui a laissé à des générations d’étudiants le plus doux et le
plus reconnaissant souvenir », la procédure civile « c’était avant tout le code de
procédure civile, c'est-à-dire les formes et les délais de l’instance civile,
sans considération des questions de fond », même si ce maître faisait[78]
de la méthode exégétique « l’essentiel
de son procédé d’enseignement ». Le rapprochement de ces propos tenus
en février 1950 et de la critique de Visioz écrite en 1927, souligne combien
Visioz ne s’embarrassait pas de toute considération favorable à l’art oratoire
de Le Coq de Kerland, dès lors que, pour lui, l’essentiel était en cause, à
savoir la manière d’aborder l’étude de la procédure civile pour la propulser au
plus haut niveau de la science juridique, pour qu’elle rivalise avec la
doctrine civiliste. A viser haut, très haut, Visioz ne supporte pas la
médiocrité et il l’écrit.
3)
Visioz ne s’arrête pas en si bon chemin. Il va aussi critiquer, vertement, une
seconde conception de la doctrine en procédure civile, représentée par Glasson[79]
au début du XXème siècle (1902), celle qui, tout en abandonnant la
méthode analytique pour lui substituer un exposé synthétique, reste cantonnée à
l’étude du formalisme : « elle
reste imprégnée des idées, de l’esprit qui ont présidé à sa rédaction ;
c’est à édifier un système des formes qu’aboutit son effort » et, à ce
titre, elle réduit le juriste « à
suivre les pistes battues, à répéter la leçon d’autrui » (p. 9 et
10). Après les traitres, voici les
répétiteurs des enseignements d’autrui !
b) Dix-sept ans plus tard, en 1944,
dans sa préface au manuel de procédure civile de Germain Bruillard[80],
publié en troisième morceau choisi de la partie générale de l’ouvrage que nous
présentons aux lecteurs, Visioz parlera encore de cette France dans laquelle « on piétinait », mais avec
une nuance favorable à Berriat-Saint-Prix[81]
et à Rauter[82]
(lequel avait suivi dans son Cours de
procédure civile la méthode d’Aubry et Rau), que l’on ne trouvait pas dans
l’article de 1927.
Visioz ne se contente pas de
critiquer ceux qui l’ont précédé dans l’étude de la procédure civile. Il va
reconstruire, en indiquant dès 1927 les bases de sa refondation. Ces bases font
partie de la pensée la plus originale de Visioz ; elles préparent et
permettent de mieux comprendre sa conception de l’étude de la procédure civile,
puis de sa quête inlassable du droit processuel.
II – Les deux piliers de la
reconstruction : un homme d’ouverture
Visioz est un homme d’ouverture
avant même d’avoir étudié la procédure civile. Toute sa vie, toutes ses
démarchent intellectuelles le prouvent. On a déjà signalé qu’il avait rédigé,
en Prusse, une seconde thèse sur Le
fidéicommis en cet Etat (1914), qu’il avait enseigné quelques mois à
Lausanne, après sa captivité au cours de la première guerre mondiale et avant
de préparer l’agrégation de droit. Son ouverture d’esprit va se manifester dans
deux directions : les droits étrangers, plus précisément l’étude de la
doctrine étrangère, puis l’étude des grands auteurs du droit public français,
tout au moins ceux qui ont écrit en matière procédurale. Ses recherches
constitueront les prolégomènes, les deux piliers de sa reconstruction.
a) L’ouverture à la doctrine
étrangère
Dans
son article fondateur de 1927, toute une partie (la deuxième, ci-après pages 16
à 24) est consacrée à « la doctrine
étrangère ». Il faut en apprécier l’aspect novateur à l’aune de
l’année de la publication : nous sommes en 1927, neuf ans après la fin
d’un conflit qui a vu les nationalismes exacerbés conduire les pays européens à
se livrer à une guerre civile dont les morts et les blessés se comptent par
millions. Loin de prolonger ce conflit par un repli identitaire sur le
franco-français, lui qui connaît l’Allemagne, lit et pratique la langue de
Goethe, va révéler aux juristes français spécialisés en procédure civile, toute
la richesse de la pensée des auteurs allemands, sans doute pour mieux souligner
les insuffisances de ses compatriotes. Il fera de même, à un degré d’admiration
au-dessus, avec la doctrine italienne (il voit en elle l’expression aboutie du « génie latin », alors qu’il
reproche aux Allemands leur goût excessif pour l’abstraction).
1) La
doctrine allemande est présentée comme celle de « processualistes » [pas des procéduriers] qui se sont ralliés à la conception
d’une procédure civile qui « ne doit
pas se limiter aux problèmes de technique juridique », la technique
n’étant « en définitive qu’un moyen
d’atteindre certaines fins d’ordre politique et social ». Le juriste « fera appel à l’histoire, au droit
comparé, à la jurisprudence » (p. 15). Visioz découvre les premières
traces de cette doctrine allemande dans « les
discussions qui s’élevèrent vers 1856 entre Pandectistes au sujet de la nature
de l’action en justice en droit romain » (p. 16) et d’énumérer les
auteurs qui ont marqué ce courant de pensée, qu’il qualifie d’Ecole : Degenkolb
(1877), Wach (1885), Kohler (1899), Langheineken (1899), Hellewig (1900), Kisch
(1903), Stein (1903) et, plus proches de lui en date de leurs écrits, Binder
(1927), Rosenberg, Goldschmidt (1925), auxquels il ajoute l’Autrichien Sperl
(1925). Il souligne combien « les
théories de l’action, de la juridiction et du jugement, du procès, ont été
l’objet de recherches approfondies, consignées dans un nombre imposant de
monographies, assurément de mérite inégal, mais qui témoignent dans leur
ensemble d’une grande pénétration » (p. 16) ; bref, en creux,
tout ce que la doctrine française de l’époque n’est pas. Même si cette doctrine
pêche souvent par « un penchant
immodéré pour l’abstraction », elle a apporté « une contribution précieuse non seulement à la science de la
procédure, mais à la science juridique tout court » (p. 17 et 18), ce
qui, pour Visioz, est capital ; il a le souci permanent, comme une
obsession, de tirer la procédure civile vers le haut, entendez par là le niveau
auquel les autres branches du droit sont arrivées sous l’influence d’une
doctrine de qualité.
2) Pour
autant, à lire Visioz, on ne peut qu’être frappé par la préférence qu’il
apporte à la doctrine italienne et cela de deux façons :
-
d’abord en la présentant certes comme celle qui a « exploité le résultat de ces travaux [allemands] et suivi la direction qu’ils avaient
imprimée aux études procédure », mais surtout en reconnaissant que « les juristes italiens ont appliqué la
marque du génie latin et le fruit de leur propre expérience scientifique.
D’élèves, ils sont devenus des maîtres » (p. 18)[83].
L’éloge est total, enthousiaste et tranche avec les mots très durs qu’il a eus
pour quelques auteurs français.
-
Ensuite, en accordant une place particulière à Giuseppe Chiovenda, qu’il cite
dès le début de son article de 1927, dans l’introduction (p. 5), dont il expose
les apports de sa pensée tels qu’il les découvre dans les Principes de droit processuel[84]
et dont il loue la méthode d’exposition de la discipline qui « a trouvé son expression la plus
parfaite » (p. 21). Et auquel il va consacrer une notice nécrologique
en 1938[85],
dans laquelle il le qualifie de « l’un
des plus illustres processualistes contemporains », celui qui, « en renouvelant l’étude de la
procédure civile, lui a procuré une faveur qui, depuis, ne s’est pas ralentie
et a gagné d’autres pays » (p. 169). Visioz est impressionné par la
capacité de Chiovenda à ramener le procès à deux grandes « notions maîtresses de son système » : celles de
l’action et de rapport processuel. Même si Visioz ne partage pas toutes les
analyses et les synthèses de Chiovenda, il voit dans ses Principii « une
construction solidement charpentée, dont toutes les parties se relient
harmonieusement, d’une magnifique synthèse doctrinale de la procédure civile »,
« l’un des monuments les plus
remarquables de la science procédurale à notre époque » (p. 24).
Toujours cette allusion au niveau scientifique atteint par les auteurs qu’il
étudie.
b) L’ouverture à la doctrine
publiciste française
Avant
de construire sa vision renouvelée de la procédure civile et d’introduire la
notion de droit processuel, Visioz a besoin d’un second pilier conceptuel comme
base de sa future construction. Ses recherches vont le conduire à étudier les
auteurs publicistes, dans la mesure où ils sont des pionniers en la matière, et
à publier, en 1931, soit seulement quatre ans après sa contribution à l’étude
de la procédure civile, un second article fondateur de sa pensée, « Les notions fondamentales de la
procédure civile et la doctrine française de droit public »[86],
article qui s’étend sur plus de 110 pages.
Rien dans l’article de 1927 ne laissait présager cet intérêt pour la doctrine
publiciste. Il faut sans doute y voir l’influence de la doctrine italienne et
l’injonction paternelle, rapportée par Laborde-Lacoste dans son hommage, que
Léon Duguit lui aurait donné de sauver la procédure civile de sa
médiocrité ; alors que Visioz était porté, au moment de son retour à
Bordeaux comme jeune agrégé (1920), vers des enseignements et des recherches de
droit civil ou de droit commercial, Duguit l’aurait persuadé qu’une tâche, « immédiate et nécessaire, s’imposait à
lui pour le renom du droit français : rénover l’enseignement de la
procédure. Il y avait là un devoir social à accomplir. Visioz n’hésita pas et
fit le sacrifice de ses préférences » (p. IX). Ce fut un sacrifice
réussi !
Ces
notions fondamentales, toujours d’actualité pour qui s’intéresse à la matière, « dominent toute espèce de
procès » (p. 53). Quatre noms se dégagent : Carré de Marlberg,
Duguit, Hauriou et Jèze. Visioz va décortiquer leurs écrits comme quelqu’un qui
se délecte en dégustant du miel ! Il va concentrer sa pensée sur trois
théories :
-
la théorie de la juridiction, avec l’exposé : des opinions de Carré de
Marlberg (p. 59 à 70), suivi de ses propres observations (p. 70 à 73) ;
des conceptions, sur le même sujet de Jèze et de Duguit (p. 73 à 88),
complétées, là encore, par ses propres critiques (p. 77 à 81 sur la théorie de
Jèze et p. 88 à 92 sur celle de Duguit) et par une synthèse finale sur les « conclusions à tirer de Jèze et Duguit
sur la juridiction » (p. 92 à 98) ; la conception d’Hauriou sur
le même sujet boucle cette première partie, selon la même méthode, exposé de la
thèse d’Hauriou (p. 98 à 107 et 123 à 126), puis ses critiques (p. 108 à
123) ;
-
la théorie de l’action en justice (p. 127 à 161) : exposé des thèses
(Hauriou, p. 129 à 132, Duguit, p. 132 à 147, Jèze, p. 147 à p. 150), puis
critique par Visioz ;
-
la théorie de l’instance (p. 150 à 160) et pour laquelle Visioz relève que les
auteurs publicistes se sont moins intéressés à cette notion, avec néanmoins une
controverse entre Jèze et Duguit sur le caractère de la demande en justice. Le
passage le plus prémonitoire et le plus actuel est celui sur la « notion de partie » (p. 157 à
160), auquel la Cour de cassation donnera, cinquante-sept ans plus tard, en
1988, une résonnance particulière à l’occasion du droit d’appel ou non des
candidats évincés de la reprise d’une entreprise en difficultés[87].
L’article
se termine par une sorte de conclusion récapitulative (le lecteur proche des
choses de la procédure civile verra peut-être dans l’utilisation spontanée de
cette dernière expression le réflexe pavlovien du décret du 28 décembre
1998 !) qui permet à Visioz d’apprécier « la contribution fournie à la science de la procédure par la
doctrine française du droit public » (p. 161 à 164).
Les deux piliers de la reconstruction sont
dressés, la doctrine étrangère d’un côté, la doctrine française publiciste de
l’autre. Nous sommes en 1931. Encore faut-il conforter la construction. Visioz
n’aura pas le temps de mener l’œuvre entrevue à son terme.
III – La symphonie inachevée :
un homme de convictions
La
puissance de la pensée de Visioz
dans ses deux études de 1927 et 1931 est phénoménale, notamment dans la
première publiée et citée ; elle ne sera égalée, de 26 à 44 ans plus tard
(de 1953 à 1971) que par Motulsky[88].
Visioz avait l’ambition d’une théorie générale du droit du procès ; il
l’amorcera, mais laissera une symphonie (a) inachevée (b).
a) Une symphonie en trois
mouvements
Dès
son article de 1927 et encore plus en 1931, Visioz va reprendre la trilogie
dégagée par les auteurs allemands et italiens (les théories de l’action, de la
juridiction et de l’instance) et qu’il a lui-même approfondie dans sa
magistrale étude des doctrines publicistes en la matière, pour construire un
droit nouveau qu’il qualifie de processuel. Il est le premier en tout, en tout
cas à trois points de vue :
-
Il est le premier, sans doute, dans son
article de 1927, à insister sur le fait que la procédure civile n’est pas qu’un
formalisme, même agrémenté de quelques considérations générales sur la marche
de l’instance et l’instruction des affaires : « il y a dans la procédure autre chose que des problèmes de
forme ; il existe aussi des problèmes de fond » (p. 11). Et de souligner que les actes
successifs de l’instance sont accomplis « avec
l’intention de produire un effet de droit : ce sont des actes
juridiques…Il faudra se préoccuper, non seulement des conditions de forme, mais
aussi des conditions de fond que doivent remplir ces actes ».
-
Il est le premier en France et chez les privatistes, en s’appuyant sur les
doctrines allemande et italienne, qu’il a lues dans le texte et qu’il
décortique pour ses lecteurs et en s’inspirant des théories publicistes, à
postuler et à formuler l’existence de trois grandes théories qui, à ses yeux,
devraient être la base de tout traité ou manuel de procédure civile :
celles de l’action, de la juridiction (l’acte juridictionnel) et de l’instance
(pages 27 à 52). Il faut bien reconnaître que la doctrine actuelle s’inspire
encore largement de cette distinction : on la retrouve en filigrane dans
de nombreux plans de cours et de manuels, qui déclinent, voire « détricotent »
cette approche, sans jamais la dépasser.
-
Il est le premier enfin à réfléchir à la terminologie de la discipline qui, en
s’échappant de la procédure civile et en côtoyant le contentieux administratif
et la procédure pénale, pourrait former une nouvelle branche du droit, le droit
processuel. Dans son article sur l’étude de la procédure civile (1927), il
avance l’expression « droit
processuel », mais avec prudence : « nous maintenons l’expression de <droit de la
procédure>, tout en convenant que
celle de <droit processuel>
serait peut-être préférable. Mais elle n’est pas encore reçue en France et elle
aura sans doute de la peine à s’y acclimater » (note 2, p. 13). Il
souligne néanmoins que cette expression a la faveur de Chiovenda et que les
Allemands l’utilisent aussi. « En
même temps que de droit processuel, on parlerait de rapports processuels, de
situations processuelles, et de processualistes pour désigner les auteurs qui
s’adonnent à l’étude de cette branche du droit, de même qu’on a accoutumé de
parler des civilistes, des commercialistes, des économistes, etc… Notre langue
ne connaît que le terme de <procédurier> qui est pris en mauvaise part. On hésite à introduire <procéduralistes> qui est par trop, disgracieux. Il faut
choisir entre processualistes et procéduristes. Nous inclinons pour
processualistes qui est d’un usage assez répandu à l’étranger » (suite
de la note 2, p.14).
Ces
efforts terminologiques et conceptuels resteront à l’état d’ébauche, mais il
faut lire cet ouvrage, car ils contiennent en germe une grande part de la
doctrine processualiste actuelle, en tout cas celle qui voit dans l’expression « droit processuel » l’étude
de la comparaison des trois grands contentieux à travers les trois théories de
l’action, de la juridiction et de l’instance.
b) Une symphonie inachevée
Cornu
et Foyer ont regretté, dans leur précis de Procédure
civile, que Visioz n’ait pas
eu le temps de donner à la procédure civile le traité scientifique qu’il avait
conçu et ont noté que « le talent de
plume le dispute à la pénétration d’esprit »[89].
La symphonie est inachevée à un double point de vue.
1)
Inachèvement matériel d’abord, dans la mesure où Visioz n’a pas eu le temps
(bien qu’il ait vécu jusqu’à 62 ans) de rédiger le Traité que les éditions Dalloz avaient accepté de publier. Sans
doute en raison de l’exercice de plusieurs fonctions, administratives,
d’enseignement et de recherche, de la deuxième guerre mondiale aussi.
2)
Inachèvement conceptuel ensuite. Ce traité n’aurait pas été un véritable
ouvrage de droit processuel, si l’on en juge par son intitulé (Traité de procédure civile) et par le
plan du cours de Visioz en cette matière, plan que le lecteur trouvera dans la
seconde partie de l’ouvrage, puisque c’est sur ce plan que ceux qui ont rendu
hommage à Visioz en 1956 ont rassemblé les notes, articles ou préfaces que
Visioz avaient publiés jusqu’à sa mort. Or, ce plan n’est pas celui d’un
ouvrage de droit processuel, mais celui d’un ouvrage de pure procédure civile.
Certes, les trois premières parties reprennent dans leurs intitulés les trois
théories (en sous-titre des deux premiers livres pour la théorie de l’action et
celle de la juridiction ; en intitulé principal pour la théorie de
l’instance). Mais les développements substantiels ne concernent que la procédure
civile. C’est Motulsky qui apportera à la science juridique le premier ouvrage
de droit processuel (au sens de la comparaison des trois contentieux) par la
publication post-mortem de ses notes
de cours[90].
La belle idée de Visioz, en 1927-1931, ne sera suivie d’aucune réalisation
concrète : son droit processuel est en réalité une théorie générale du
procès axée sur les théories de l’action, de la juridiction et de l’instance,
mais aucun élément des deux autres contentieux ne vient conforter sa pensée, ni
dans les deux études de 1927 et 1931, ni dans les notes et observations
publiées jusqu’à son décès.
3)
Cet inachèvement conceptuel se prolonge aujourd’hui – mais cela Visioz, sauf à
être un devin, ne pouvait pas l’envisager -
dans une toute autre conception du droit processuel, à base de garantie
des droits fondamentaux. Progressivement en effet, depuis la fin des années
quatre-vingt-dix, mais le mouvement s’est accéléré avec la publication du
précis Dalloz de Droit processuel –
Droits fondamentaux du procès, en 2001[91].
Le droit processuel n’est plus seulement celui des processualistes qui, ainsi
que Visioz les y invitait, étudient les trois théories de l’action, de la
juridiction et de l’instance en comparant les trois grands contentieux ;
il est devenu le droit de ceux qui s’intéressent aux sources communes
d’inspiration de tous les contentieux, à leurs fondements, aux principes de
droit naturel qui s’imposent dans la conduite de tous les procès. En effet, le
droit processuel d’aujourd’hui dépasse la simple comparaison des contentieux
administratif, civil et pénal et se trouve irrigué par des standards communs à
tous les procès, nationaux ou internationaux, peu important qu’ils relèvent de
la matière civile ou de la matière pénale, standards provenant de sources
internationales, pour l’essentiel européennes, mais aussi de sources
constitutionnelles. De cette évolution, la doctrine qui l’épouse et la crée
tire sa force et sa légitimité qui s’imposent progressivement parce qu’elles
s’enracinent dans la protection des droits et libertés fondamentaux. Cette
doctrine, que nous qualifions de « processualiste
humaniste », prend une part croissante dans la construction, au
quotidien, de la garantie de la garantie des droits. Elle contribue à faire
émerger des principes structurants (la loyauté qui fonde la confiance, le
dialogue qui réalise l’écoute de l’Autre et la célérité qui est la forme
moderne de la proximité), qui dessinent les contours de la démocratie
procédurale de demain.
Avec l’émergence de ces trois principes
structurants, nous croyons pouvoir discerner la confirmation de l’opinion que
nous avions émise dès 1999[92] :
nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de
pure technique procédurale, non point parce que celles-ci seraient devenues
inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la
mondialisation (qui induit une attraction de la procédure civile à la garantie
des droits fondamentaux) et à la lumière d’une modélisation du droit du procès.
De simple technique d’organisation du procès civil (comme la société est une
technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres, ainsi que nous
l’avions souligné dans le Précis de Procédure
civile, dès 1991)[93],
la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la
démocratie dans notre pays[94],
mesure que la Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[95].
Sous
ce regard, les juristes d’aujourd’hui, en tout cas ceux qui s’intéressent à la
garantie des droits fondamentaux ne commenteraient certainement pas de la même
façon des jugements tels que ceux commentés par Visioz sur les actions
déclaratoires visant des juifs (p. 197-200)[96].
Sur ce point, on regrettera simplement que la plume de Visioz, par ailleurs si
acerbe, ne soit pas allée jusqu’à critiquer le statut vichyste des juifs, à
l’occasion de son commentaire, technique, purement technique, de jugements sur
des actions déclaratoires « de la
race juive », dont l’expression à elle seule, fait froid dans le dos.
Il est certain que l’éclairage actuel du droit processuel humaniste ne
laisserait pas passer cette froide vision du droit d’accès à un juge. On peut
être d’autant plus étonné que Visioz se soit contenté de commenter les
jugements rendus sur la base de cette législation, sans laisser percer la
moindre émotion, sans émettre la moindre critique, que c’est lui qui, dès 1927
écrivait que le juriste devait « s’informer
des rapports permanents qui existent entre le droit de la procédure et un état
politique et social donné » (p. 16) et qui ajoutait, en conclusion de
sa brillante étude de 1927 qu’il ne fallait pas négliger « le côté politico-social de la procédure » (p. 51),
critiquant Glasson de s’être montré d’une discrétion excessive à ce sujet,
alors que « le point de vue
politico-social est certainement le plus propre à captiver l’attention des
étudiants, à développer en eux l’esprit juridique au sens le plus élevé, à les
faire méditer sur la fonction sociale du droit » (en note 1, page 52).
Etonnant silence, mais Visioz le rénovateur de la procédure civile est, sur ce
point, à l’image de beaucoup d’autres, d’une froide technicité ; c’est la
part obscure d’une doctrine grise (ni approbatrice, ni critique) de la France
des années noires : de la technique juridique, d’abord de la technique, toujours
de la technique, pas d’interrogations sur la légitimité de cette législation.
On est dans le légalisme procédural, pas dans l’humanisme processuel, pour
reprendre le titre d’un livre de Mélanges
qui viennent d’être offerts à celui qui signe la préface de cette nouvelle
édition[97],
de la même façon que le Général de Gaulle ne confondait pas la légalité avec la
légitimité.
VII - Jacques Héron
et son « droit judiciaire
prive »
Article
publié dans les mélanges offerts
in memoriam de Jacques Héron, LGDJ, 2009, p.
247
Cette contribution aux Mélanges
publiés en l’honneur de Jacques Héron, se veut non seulement hommage posthume,
mais aussi réparation, non pas d’un oubli, mais du fait que, lorsque Jacques
Héron publia son « Droit judiciaire privé », en septembre 1991, je
n’avais pas eu le temps d’en faire un compte-rendu dans l’une de nos revues
juridiques ; cette année là en effet, je cumulais beaucoup
d’activités : adjoint aux finances, à la programmation des investissements
et aux travaux de la ville de Lyon, vice-président de la Communauté urbaine de
la même ville, en charge pour le compte de 52 commune, des investissements, de
la négociation des grands contrats structurants de l’agglomération (voirie,
assainissement, eau, etc..), président d’une société d’économie mixte, Lyon
Parc auto, engagée dans la construction en cinq ans de 8000 places de parking,
toutes en centre ville, sans oublier, la direction de l’Institut d’études
judiciaires de Paris 2, véritable Faculté ayant le statut d’UFR et, enfin, la direction
de l’Ecole du Barreau de Paris qui devait relever le défi de l’intégration des
anciens conseils juridiques et la mise sur pied d’une nouvelle pédagogie.
Et
pourtant, Jacques Héron méritait pleinement que l’un de ses collègues, commente
son premier manuel publié depuis l’agrégation qu’il passa en 1984. D’autant
plus que j’étais dans le jury qui le proclama major, rang acquis sans aucune
contestation possible, tant il avait survolé ce concours par sa science et
surclassé tous ses concurrents par sa technique de la leçon, sa maîtrise de la
pédagogie, l’aisance de sa parole, l’élégance (quasi aristocratique) de ses
gestes, sa voix bien posée, son ton mesuré et bien d’autres qualités encore. Il
avait su, sans prétention, d’abord convaincre ses rapporteurs qui, sans
dévoiler un secret, le portèrent au plus haut de la notation sur ses travaux,
puis convaincre les autres membres du jury, présidé par cet admirable arbitre
impartial que fut Gérard Lyon-Caen (ah, ce souci que le contradictoire s’exerce
avec force au sein du jury par la communication des rapports préalablement aux
réunions plénières, que l’on ne juge pas les candidats sur des appartenances
supposées à des écoles de pensée, mais sur leur capacité à présenter des thèses
originales, faisant œuvre de doctrine). En toutes circonstances, pendant tout
le déroulement du concours, il avait « la
simplicité des grands hommes et la grandeur des gens simples »[98].
Et puis
arriva son manuel. Une somme. Une œuvre originale, perfectible sans doute,
comme toute première publication d’un précis dans une discipline aride et
rébarbative. Mais tellement révélatrice de sa foi dans la science juridique, de
son enthousiasme dans la présentation de la matière et de sa clarté dans
l’exposition des notions les plus difficiles, que 16 ans plus tard, Jacques
n’étant plus là, mais l’amitié restant, il ne nous a pas paru incongru d’écrire
quelques lignes à ce sujet. Précisons que si Jacques Héron n’avait pas opté, au
concours d’agrégation pour cette discipline en leçon de spécialité (étant
« DIPiste », il avait naturellement choisi le droit international
privé[99]),
il a toujours publié dans le domaine du Droit judiciaire privé, notes d’arrêts,
articles de doctrine, tenue d’une rubrique dans la revue Justices, puis dans la
Revue générale des procédures, sans même évoquer ici sa collaboration à Audijuris. Un seul genre ne lui plaisait
pas, celui des contributions aux encyclopédies, parce que, m’avait-il dit, leur
publication n’était pas pérenne !
Nous
aborderons successivement la conception générale de la procédure civile chez
Jacques Héron, à partir du plan de son ouvrage (I), puis ses positions
doctrinales quant aux grandes théories de la procédure civile (II).
I – Jacques Héron et sa conception générale de la procédure civile
C’est par le plan que se révèle, chez un auteur, la
conception générale qu’il se fait de la discipline qu’il étudie. Le plan du
manuel de Jacques Héron est (relativement) classique. Après une brève
introduction d’une vingtaine de pages, l’auteur va d’abord présenter « les notions essentielles du droit
judiciaire privé » (1ère partie), avant d’envisager
successivement « la procédure civile
devant les juridictions du premier degré » (2ème partie), « les voies de recours » (3ème
partie) et « les incidents »
(4ème partie). Si le classicisme du plan apparaît nettement dans
l’existence d’une partie « notionnelle » en préalable aux
développements plus axés sur la pratique de la procédure (dans la mesure où
nombre d’auteurs en procédure civile ont eu recours et ont encore recours à
cette manière de faire), puis dans les deux parties centrales consacrées aux
juridictions du premier degré et aux voies de recours (qui se succèdent ainsi
selon la chronologie classique du processus processif), ce classicisme n’est
que relatif à maints égards.
a)
D’abord, par le rejet en quatrième et dernière partie des incidents qui
n’occuperont « que » 150 pages environ sur un total de 738 (si l’on
ne compte ni l’index, ni les tables), sans doute parce que Jacques Héron
voulait attirer l’attention de ses lecteurs, au premier rang desquels ses
étudiants, sur les trois parties qui précédaient celle-ci. On peut aussi y voir
le souci très pédagogique (et cette fois très classique) pour tous ceux qui
enseignent cette matière, de faire comme si la procédure civile se déroulait
sans incidents, afin de mieux dégager les axes forts de la discipline,
indépendamment des incidents précisément. Même si chaque professeur sait bien
que dans la pratique il n’en est rien. On observera que la démarche d’une partie
« notionnelle » est parfois prise en défaut : ainsi, lorsque
l’auteur nous dit (n° 25) qu’il va étudier l’action en justice de deux façons,
d’abord de manière théorique (« dans
sa théorie »), puis « sur
un plan plus concret », c’est à dire dans sa mise en œuvre ; et
il est vrai que la séparation de la théorie et de la pratique de la procédure
civile (à laquelle nous nous étions nous-mêmes essayés pour tout ce qui
concerne l’instance, lorsque nous avons repris le précis Dalloz de procédure
civile) montre rapidement ses limites ; avec l’étude des actes et des
délais de la procédure, on n’est plus dans la théorie (ce que Jacques Héron
concède bien volontiers aux numéros 25 et 127) ; on est sorti du cadre
notionnel pour entrer dans la pure technique juridique. Même remarque pour le
titre deux de cette première partie consacré aux « notions essentielles concernant le procès » :
ainsi, l’étude du rôle respectif des parties et du juge, du principe de la
contradiction ne peut pas être menée dans une perspective exclusivement
théorique ; à preuve, les développements forts pratiques que leur consacre
Jacques Héron dans l’entier sous-titre qui leur est réservé. La remarque vaut
enfin pour le recours au juge, avec des développements très « notionnels »
(la notion de matière gracieuse et celle d’acte juridictionnel, pour reprendre
l’ordre de Jacques Héron ; ou encore la distinction des effets
substantiels du jugement et de ses effets processuels ; ou, enfin, la
nature juridique de l’ordonnance sur requête) et d’autres très concrets (par
exemple, les dispositions communes aux référés, le droit positif des
ordonnances sur requête et le contentieux du possessoire). En réalité, cette
première partie, toute axée sur les notions procédurales, sans pour autant
négliger les approches plus pratiques, est l’occasion rêvée pour l’auteur de
faire passer ses idées, sa conception de la procédure civile et, pour ce grand
théoricien que fut Jacques Héron, de laisser son empreinte doctrinale quant aux
grandes théories de la discipline. Cette partie « notionnelle » est
une succession de leçons théoriques, du niveau doctorat, entrecoupées de
respirations pratiques, par des plongées dans quelques aspects moins abstraits
de la procédure civile. Dans les deux cent cinquante premières pages de
l’ouvrage, toutes les grandes théories de la procédure civile ont été vues, à
l’exception de la notion de voie de recours.
b)
Relativité du classicisme ensuite, par le plan interne à chaque partie.
-
Ainsi, dans la première partie, si l’on retrouve classiquement « les notions essentielles concernant
l’action » (titre un), le titre deux, sur « les notions essentielles concernant le procès »,
regroupe et « les principes
directeurs du procès » et « le
recours au juge » ; ce dernier sous-titre est en réalité
l’occasion de traiter non seulement de l’acte juridictionnel, mais aussi de la
diversité des contentieux, y compris les actions possessoires, que l’on a
plutôt l’habitude d’aborder avec l’action en justice et les demandes. Plus
étonnant encore est le choix de traiter d’abord des principes directeurs du
procès, puis seulement après du recours au juge, comme si les premiers étaient
si importants qu’il fallait absolument les envisager avant même que l’accès au
juge ait été étudié.
-
La deuxième partie appelle moins d’observations de cet ordre, sauf à remarquer
que le jugement étant envisagé dans « les
dispositions communes à toutes les juridictions » (qui forment un
titre un), il sera traité avant même que la procédure devant chaque type de
juridiction ait été présentée ; la chronologie n’est pas ici retenue au
profit d’une autre logique (dispositions communes/procédures
spécifiques) ; et sauf à observer aussi que toutes les juridictions ne
sont point étudiées, puisque les juridictions de sécurité sociale sont omises.
-
En revanche, la troisième partie (les voies de recours) est tout à fait
originale, car le plan révèle le fond de la pensée de l’auteur : après un
chapitre préliminaire consacré aux « notions
générales sur les voies de recours » (et qui n’a donc pas été intégré,
à juste titre, à la première partie sur les notions essentielles du droit
judiciaire privé), Jacques Héron va développer, en deux titres, les voies de
recours « générales » et
les voies de recours « spéciales ».
La curiosité, sur laquelle nous reviendrons au fond, c’est de regrouper l’appel
et le pourvoi en cassation, au titre des voies de recours générales, pour mieux
les opposer aux trois autres (opposition, tierce opposition et recours en
révision), sans s’attacher à la distinction classique qui oppose les voies de
recours ordinaires (appel et opposition) aux voies de recours extraordinaires
(pourvoi en cassation, tierce opposition et recours en révision).
-
Quant à la quatrième et dernière partie, son originalité tient d’une part au
fait qu’elle regroupe « les
incidents liés à la compétence » et les autres, plus
traditionnellement étudiés sous cette terminologie (ceux relatifs à la preuve
et tous ceux relatifs à l’instance elle-même ou aux parties) et, d’autre part,
qu’elle intègre les règles de compétence d’attribution et territoriale pour
chaque juridiction, dans une étude consacrée aux « incidents liés à la compétence », ce qui oblige
l’auteur à jouer avec les mots et à parler de « détermination de l’incompétence »
au lieu de « détermination de la
compétence », pour pourvoir justifier leur étude à cet endroit du
précis.
II – Jacques Héron et les grandes théories de la procédure civile
Nous n’avons pas l’ambition de
toutes les étudier ici d’une manière approfondie, mais d’insister sur quelques
aspects particuliers qui font l’originalité de la pensée de Jacques Héron. Nous
suivrons le plan classique des trois théories de l’action en justice, de la
juridiction et de l’instance (en nous limitant, dans ce dernier cas, aux
classifications, proposées par Jacques Héron, des voies de recours), bien que
l’auteur n’ai pas repris expressément ce plan.
Quelques mots au préalable sur les
sources de la procédure civile. Jacques Héron apporte beaucoup sur
l’élaboration du Nouveau code de procédure civile, car il avait pris la peine
d’aller interroger les principaux rédacteurs du projet, notamment Monsieur le
Doyen Gérard Cornu (cf. n° 14, note 1, p. 18) ; et son introduction
fourmille de détails sur le rôle respectif de chacun au sein de la Commission
de réforme. En revanche, rien sur les sources de droit fondamental ; sans
doute, parce qu’on est au tout début des années quatre-vingt-dix et que
l’internationalisation de la procédure civile et sa soumission au droit venu
d’ailleurs, c’est à dire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme, n’ont pas encore atteint le niveau de pénétration que nous connaissons
aujourd’hui ; il faudra attendre la fin des ces années quatre-vingt-dix
pour voir émerger ces sources. Et Jacques Héron écrira dans les Mélanges
offerts à M. Pierre Drai, une contribution faisant le lien, notamment par la
notion d’impartialité, entre cette Convention européenne et les voies de
recours ; s’il avait survécu, il est certain qu’il aurait enrichi
l’ouvrage de cet apport considérable.
a) l’action en justice, entre droit au juge et demande en justice
D’entrée de jeu, Jacques Héron frappe fort : au
numéro 37, il écrit que « l’action
n’est pas un droit virtuel, distinct des demandes et des défenses. Lorsqu’on
parle d’action, il ne s’agit que d’une façon commode de désigner ces deux
sortes d’actes processuels, et le contenu que l’on attribue à l’action ne
constitue rien d’autre que des conditions de recevabilité de ces actes, c’est à
dire des éléments du présupposé de la règle déterminant les conditions
d’efficacité des demandes et des défenses ». Suit la démonstration de
la thèse, fondée sur une approche structurale de l’action, avec un soin
particulier pris non seulement à présenter sa propre analyse (n° 39), mais
aussi à écarter les objections qu’on pourrait lui opposer (n° 40-41). L’appui
sur les travaux de Motulsky et de celui qui fut son directeur de thèse (Pierre
Mayer) est ici patent, non sans souci de préciser sa propre pensée par une
critique de Motulsky dans la présentation de sa théorie sur les conditions
d’une règle (cf. note 3, n° 39, p. 41).
Défendue
avec talent et bien argumentée, cette nouvelle théorie entraîne toute une série
de conséquences (cf. n° 42 à 50) orientée autour de l'idée qu'il faut
rendre aux demandes et aux défenses, ainsi qu'au droit substantiel des
attributs, des règles que l'on attache traditionnellement à l'action ;
celle-ci n'existant pas en soi, il faudrait restituer ces attributs à leur
propriétaire, ainsi des caractères libre et facultatif de l'action qui
appartiennent aux demandes et aux défenses et de l'obligation naturelle qui
appartient au droit substantiel. Autre conséquence, qui rend difficile
d'application pratique cette thèse, la distinction sémantique entre les « actes
de procédure » et
les « actes
processuels » ; après avoir énoncé que « pour
chacun des actes du procès », qu’ils émanent du demandeur ou du défendeur, « peut
et doit être opérée la distinction entre la manifestation de volonté et l’objet
de cette manifestation, entre l’acte créateur et ce qui se trouve ainsi
créé »,
Jacques Héron affirme que « pour
éviter de confondre les deux aspects de l’acte juridique, lorsqu’il se rapporte
à une procédure, nous proposons de réserver l’expression acte de procédure pour
désigner la manifestation de volonté et de parler d’acte processuel pour
désigner le contenu de l’acte, c’est à dire l’effet de droit recherché par les
parties » (cf. n° 51, p. 49)[100].
Nous avons critiqué, en son temps, cette
subtile distinction qui conduit à recourir à une non moins subtile sémantique[101]. S'il est vrai que dans tout acte
juridique il faut distinguer ce qui relève de la manifestation de volonté
elle-même et le contenu de l'acte[102], pourquoi faudrait-il appeler « acte
de procédure » au
sens de manifestation de volonté ce qui n'est, après tout, que l'action
envisagée comme un pouvoir d'agir, et « actes
processuels » au
sens de demandes et défenses, ce qui constitue l’exercice de l'action et pour
lequel les mots classiques de demandes et défenses conviennent très bien ?
Au niveau du droit d'agir, cet affinement ultime des concepts nous semble
introduire une abstraction quelque peu inutile, dans une discipline qui a
besoin de concret. On peut ajouter, au strict niveau du vocabulaire, que si
l’on inverse les expressions « actes
de procédure » et « actes
processuels », et
qu’on décide, de manière tout à fait arbitraire, que l’acte de procédure désigne non plus la manifestation
de volonté, mais le contenu de l’acte, qu’à l’inverse l’acte processuel désigne
désormais la manifestation de volonté et non plus le contenu de cet acte, on ne
voit pas ce que cela change à la portée de la distinction ; en d’autres
termes, le vocabulaire pouvant être inversé par pure convention linguistique,
la théorie ne trouve guère de fondements juridiques réels.
Il est vrai, en revanche, que l'évolution
contemporaine de la procédure civile qui se traduit pas son attraction à la
garantie des droits fondamentaux, tend à absorber l'action en justice, conçue
comme un pouvoir légal d'agir, dans la théorie du droit à un juge ; sous
ce regard, la théorie de Jacques Héron, apparaît prémonitoire, même si l’on
doit l'élaguer de ses applications sémantiques qui viennent d'être relevées.
Entre le droit subjectif d’agir en justice au sens d’une liberté fondamentale
et les demandes et défenses au sens procédurier du mot, l’espace est mince et
se rapproche du néant[103]. En ce sens, Jacques Héron avait raison.
b) le critère de l’acte juridictionnel et la nature
juridique des ordonnances sur requête
Jacques Héron va développer sa propre conception de
l’acte juridictionnel (a) et de la nature juridique de l’ordonnance sur requête
(b).
a)
La notion d’acte juridictionnel
D’une façon tout à fait originale et à l’encontre de la
présentation généralement adoptée par les auteurs processualistes, Jacques
Héron fait précéder l’étude de la notion d’acte juridictionnel de celle de
matière gracieuse et écrit « qu’il
est possible de dégager une notion de la matière gracieuse, indépendamment de
ce qu’est l’acte juridictionnel » (cf. n° 254, p. 191). Après avoir
insisté sur l’importance qu’il y a à ne pas confondre « absence de contestation » (au sens de la loi du 15
juillet 1944 sur la chambre du conseil) et « absence
de litige » au sens de l’article 25 du Nouveau code de procédure
civile (cf. n° 257, p. 192), Jacques Héron analyse le second élément qui, dans
cet article 25, caractérise la matière gracieuse, à savoir l’exigence légale
d’un contrôle du juge (cf. n° 258, p. 192-193). Et d’une manière tout à fait
prémonitoire, il prend l’exemple du changement de régime matrimonial dont le
législateur pourrait décider de le sortir de la matière gracieuse en supprimant
le contrôle du juge (cf. n° 259, p. 194).
Pour caractériser l’acte juridictionnel, Jacques Héron
s’en tient au critère, qui nous vient de la doctrine italienne, de la qualité
de tiers du juge. Il ne s’attarde pas sur l’exposé et la réfutation des
principales thèses, essentiellement publicistes, qui ont été présentées depuis
un siècle pour découvrir le critère de l’acte juridictionnel ; en une
trentaine de lignes, l’affaire est réglée (cf. n° 270, p. 199-200), pour aller
à l’essentiel, à savoir que l’acte est juridictionnel parce que le juge est un
tiers aux intérêts en cause, que ces intérêts s’expriment dans un litige (donc
un contentieux) ou pas (donc la matière gracieuse est de nature
juridictionnelle) (cf. n° 271, p. 200-201). Et Jacques Héron d’insister
davantage sur la matière gracieuse pour écrire que « ce n’est pas parce que le recours au juge est exceptionnel et
peut apparaître artificiel que l’on doit en déduire que le jugement gracieux
n’est pas spécifique de l’activité du juge. C’est tout le contraire. L’examen
de l’acte est confié au juge parce qu’il est un tiers, étrangers aux intérêts
en cause et que la loi veut qu’il agisse en juge » (p. 201).
Ainsi est mise en évidence, en
majeure, la qualité de tiers du juge. Cette qualité, pour Jacques Héron, est
essentielle, ce qui explique sans doute qu’il n’ait pas souhaité développer la
critique des autres thèses, ni même chercher à combiner les critères. C’est
sans doute un peu réducteur et nous préférons toujours pour notre part insister
à la fois sur le critère téléologique fondé sur le but de la fonction
juridictionnelle, ce but étant de dire le droit, d’opérer la vérification des
situations juridiques, à l’aide d’une constatation qui constitue, à elle seule,
l’acte juridictionnel, pourvu qu’elle soit l’œuvre d’un tiers aux intérêts en
cause, et sur les signes aussi importants que la distinction et la structure des
organes, l’existence de formes procédurales. Mais il est vrai que la qualité de
tiers permet de mettre en valeur le fait que l’acte juridictionnel peut émaner
d’autorités qui ne sont point des juridictions, ainsi des autorités
administratives indépendantes, notamment dans le secteur de la régulation
économique[104]. Le
critère du tiers « colle » parfaitement aux actes juridictionnels qui
émanent d’autorités qui ne sont pas, par nature, des juridictions.
b)
La nature juridique de l’ordonnance sur requête
C’est à propos de la nature juridique de l’ordonnance sur
requête que Jacques Héron va déployer tout son talent. Voulant sortir du faux
dilemme, nature gracieuse ou nature contentieuse de cette ordonnance, dans
laquelle l’enfermait et s’enfermait une certaine doctrine, Jacques Héron,
présente d’abord, pour la réfuter, la théorie dite évolutive, puis la sienne
propre. Comme toujours, Jacques Héron prend soin de décrire, le plus
scrupuleusement possible, la thèse adverse, argument par argument, avant de
mieux la démonter pied à pied. Jamais l’étudiant qui lira le manuel n’ignorera
qui a écrit quoi et pourquoi la thèse ne peut emporter la conviction de
l’auteur. Souci permanent d’une grande honnêteté intellectuelle qu’on ne
rencontre malheureusement pas toujours dans la doctrine contemporaine, qui
ignore, parfois intentionnellement,
parfois par négligence ou ignorance, ce qu’elle doit à ceux qui l’ont précédée.
Un peu comme dans la fameuse affaire Branly.
Alors que la doctrine classique et dominante considérait
que les ordonnances sur requête sont toujours gracieuses, une doctrine plus
moderne avait cherché à approfondir la nature juridique de ces ordonnances, en
prospérant dans une voie qui, pour avoir été dénoncée, n’en était pas moins
porteuse d’un renouveau et collait davantage à la réalité procédurale, en ne
retenant pas une conception unitaire de cette nature juridique[105].
C’est dans cette voie que va s’engager Jacques Héron, mais en conduisant la
démarche à son terme extrême et, surtout, en l’étayant d’arguments très forts.
La démonstration qu’il va faire de sa thèse est un modèle du genre. Qu’on en
juge.
C’est d’abord l'affirmation que les ordonnances sur requête seraient, « dans
l'écrasante majorité »
des cas, contentieuses, parce que « les
demandes les supportant seraient dirigées contre un adversaire ». Et il est vrai que l'on peut adopter une
autre lecture de l'article 493 du nouveau Code que celle qui en était
traditionnellement faite jusqu’à la démonstration de Jacques Héron ; selon
lui en effet, lorsqu'il est écrit dans ce texte que « le
requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse », cela ne signifie pas qu'il n'y a pas
d'adversaire dans l'immédiat, donc pas de litige mais, tout au contraire, qu'il
est permis dans les conditions et les effets prévus par le Code (art. 493
à 498) de ne pas faire comparaître cet adversaire, de ne pas l'appeler, parce qu'il est indispensable
que le litige soit tranché, dans un premier temps au moins, sans débat
contradictoire ; en d'autres termes, l'article 493 règle la question du contradictoire, qui est
écarté pour des raisons d'efficacité (profiter d'un effet de surprise), et non
pas la question de la nature
gracieuse ou contentieuse de l'ordonnance qui sera rendue, question qui relève,
elle, de l'absence ou non de litige. Et Jacques Héron de poursuivre que c'est
cas par cas qu'il faudra rechercher ce litige ou son absence pour qualifier la
décision :
- lorsque ce litige existe, l'ordonnance sur requête sera, tout
comme l'ordonnance de référé, contentieuse, mais, à la différence de celle-ci,
non contradictoire, article 493 et textes spécifiques à chaque juridiction[106] ; article 17 pour le recours
approprié ; article 54 pour l'acte introductif d'instance.
- lorsque le contrôle du juge s'exerce, sans qu'il soit possible
de trouver un adversaire contre lequel la décision sera prise à son insu, on
est conduit à reconnaître un caractère gracieux à l'ordonnance rendue sur
requête (art. 25 et 60).
L’intérêt de la thèse de Jacques Héron est
que la pratique vérifie cette distinction, qui a le mérite de ne pas être
dogmatique. Ainsi de l'article 145 du nouveau Code qui permet de demander
une mesure d'instruction in futurum,
avant tout procès, mais en prévision de celui-ci ; le même objectif pourra
être atteint selon trois voies différentes qui illustrent chacune la nature
juridique de l'ordonnance qui ordonnera la mesure d'instruction :
- La demande peut être présentée en référé, ce qui est le cas le
plus fréquent ; dans cette hypothèse la mesure sera ordonnée, après une procédure
contradictoire, par une décision provisoire de nature contentieuse ;
- La demande peut aussi être présentée par requête unilatérale, ce que la jurisprudence
n'autorise que « si
les circonstances exigent que les mesures ne soient pas prises contradictoirement »[107]. On voit bien ici que le recours à cette
seconde procédure ne trouve sa justification que dans la nécessité de se passer
du débat contradictoire, sans modifier les critères de qualification de
l'ordonnance rendue : qu'il y ait ou non débat contradictoire, il existe
un adversaire et le juge aura procédé aux mêmes constatations pour en tirer les
mêmes conséquences ; on comprendrait mal, dans ces conditions que
l'ordonnance rendue sur requête unilatérale soit moins contentieuse que celle rendue
en référé.
- Enfin, la demande peut être présentée conjointement, sans litige, auquel cas l'ordonnance rendue sera
bien juridictionnelle, le juge ayant procédé à une vérification, mais gracieuse car rendue en l'absence de
litige[108].
Sauf erreur de notre part, il ne semble pas que la
démonstration ait reçu un démenti péremptoire.
c) les classifications des voies de recours
Conformément à sa méthode que nous avons relevée, Jacques
Héron va d’abord détruire la théorie classique qui classe les voies de recours,
d’une part en voies de réformation et voies de rétractation et, d’autre part,
en voies de recours ordinaires et voies de recours extraordinaires ; sans
s’attarder sur cette critique de la théorie classique, relevons seulement que
Jacques Héron démonte point par point les deux grandes classifications, en
insistant sur ce qu’elles ont de peu conforme à la réalité procédurale (ainsi
de l’opposition qui ne peut pas répondre à la définition a contrario des voies ordinaires que donne l’article 580,
NCPC ; ainsi du pourvoi en cassation pour lequel la définition de ce même
article 580 ne convient pas du tout, cf. n° 572, p. 409).
Comme toujours, Jacques Héron va partir d’une nouvelle
donne, en l’occurrence le constat que les voies de recours constituent l’une
des espèces de l’action et que « le
premier élément à retenir est que la classification des voies de recours doit
s’ordonner autour de ce que peut demander au juge celui qui exerce la voie de
recours : que va-t-il demander et comment va-t-il le
demander ? » (cf. n° 573, p. 410). De là, en réponse à ces deux
questions, une première classification fondée sur le choix (offert au
législateur) entre la destruction et le remplacement de la décision attaquée,
classification qui répond à la question « que va demander celui qui exerce
le recours ? » ; et une seconde classification, qui répond à
l’autre question (comment va-t-il le demander ?) et qui se fonde sur
l’organisation du remplacement de la décision attaquée, puisque, selon
l’auteur, le législateur a opté pour des voies de recours, voies de
remplacement (cf. n° 575, p. 412).
Cette organisation du remplacement
de la décision attaquée s’ordonne selon que la voie de recours est
« générale » ou « spéciale » : elle est générale si « elle paraît apte à corriger n’importe
quelle sorte de mal jugé » (cf. n° 578, p. 414) ; sous ce regard,
on comprend aisément – et c’est tout le génie de Jacques Héron d’amener une
conclusion qui ne s’imposait pas de prime abord – que l’appel et le pourvoi en
cassation puissent être réunis dans la même catégorie des « voies de
recours générales », au sens que, chacune pour ce qui la concerne,
constitue la voie de recours de principe, sans prise en considération de
circonstances particulières qui ne se retrouveraient pas dans toutes les affaires
de même nature. En revanche, la voie de recours est spéciale si elle répond à
un besoin spécifique, si elle a été instituée en vue d’une situation
particulière ; ainsi l’opposition ne répond qu’au souci de permettre de
contester un jugement rendu par défaut, alors que cette situation doit rester
exceptionnelle, « particulière » ; de même pour la tierce
opposition qui ne vise que la situation, exceptionnelle elle aussi, où un tiers
serait intéressé par le jugement rendu ; de même enfin pour le recours en
révision qui n’a lieu d’être que lorsque des circonstances frauduleuses rendent
probable que le jugement a été rendu en trompant le juge, situation elle aussi
exceptionnelle. Ainsi apparaît une ligne de partage théorique qui colle à la
pratique : d’un côté le « normal » (ce que Jacques Héron appelle
le « général »), de l’autre l’exceptionnel, le particulier (ce que
Jacques Héron appelle le « spécial »). La démonstration est lumineuse
et si elle ne correspond pas à la classification retenue par les rédacteurs du
Nouveau code de procédure civile, peu importe ; elle a sa cohérence
propre, tout s’articule à la perfection !
Plus tard, dans l’un de ses deux derniers articles
publiés à titre posthume, Jacques Héron va approfondir sa théorie des voies de
recours et présenter un critère de classement fondé , à partir de la Convention
européenne des droits de l’homme, sur l’idée d’impartialité du juge[109].
Le temps lui aura manqué pour intégrer cette évolution dans une nouvelle
édition de son manuel et aujourd’hui c’est lui qui nous manque, cruellement,
pour poursuivre l’œuvre entreprise, pour renouveler cette matière qui devenait
un peu poussiéreuse, qu’on l’appelle procédure civile ou droit judiciaire
privé. Mais c’est le propre des grands auteurs (et des grands hommes) que de
s’imposer par leur seule intelligence sans rien imposer aux autres, de prendre
racine dans le champ de leur discipline, de préparer la relève par des idées,
parfois audacieuses, toujours courageuses et astucieuses, par la direction de
thèses, etc.. A ce titre, Jacques Héron était un Maître et son décès prématuré
a privé la science juridique française de tout ce qu’il lui aurait certainement
apporté en novations et innovations.
VIII - LE TEMPS EN PROCÉDURE CIVILE
Rapport au XVème colloque des Instituts d'études judiciaires,
Clermont-Ferrand, 13-15 octobre 1983,
Annales de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand
LGDJ éditeur, 1983, Fascicule 20, pages 21 à 63.
[2]
On verra plus qu’un clin d’œil dans le fait que Frédérique Ferrand a soutenu
une thèse de procédure civile en droits français et allemand, et Cécile
Chainais une thèse, de procédure civile aussi, en droits français et italien.
[3]
Jean CARBONNIER, Droit civil,
Introduction, 22ème éd., PUF, coll. Thémis, 1995, n° 191. Le
doyen Carbonnier constate que ces auteurs se livraient déjà « à
d'importantes recherches théoriques, marquées souvent par l'influence du droit
public », alors que, dans le même temps, « les procéduriers français
travaillaient encore principalement par exégèse du Code de procédure
civile ».
[4]
S. Guinchard et T. Debard (dir.), Lexique
des termes juridiques, Dalloz, 18e éd., juin 2010, daté
2011, V° « Doctrine ».
[5]
S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile - Droit interne et droit de l’Union européenne, 30e éd.,
centenaire de l’ouvrage, Dalloz, sept. 2010, n° 14.
[6]
À preuve, l’ordonnance n° 2006-673, 8 juin 2006 qui sort du code de l’organisation
judiciaire les règles relatives aux tribunaux de commerce, aux conseils de prud’hommes,
aux tribunaux paritaires des baux ruraux.
[7]
J. Carbonnier, Droit civil,
Introduction, PUF, coll. Thémis, 22e éd., 1995, n° 191.
Pour un commentaire composé de cette citation, v. S. Guinchard,
F. Ferrand et C. Chainais, Procédure
civile, Hypercours, Dalloz, 2009, p. 27.
[8]
Jusqu’à l’arrêt du 27 févr. 1970, rendu en chambre mixte, pourvoi n° 68-10.276.
[9]
Com. 22 mars 1988, pourvois n° 87-15.901 et 87-15.902.
[10]
Ass. plén., 31 mai 1991, pourvoi n° 90-20.105.
[11]
Boitard, Leçons de procédure civile, 12e éd.,
1876, de Linage, (continuées par Colmet-Daage et par Glasson, 15e éd.,
1890), Introduction, pp. 1 et 2.
[12]
Marchal et Billard éd., 5e édition en 1880-1888, 13 vol.
[13]
Larose et Forcel éd., 1882-1897, 7 vol.
[14]
A. Tissier, « Le rôle social et économique des règles de la procédure
civile », in Méthodes juridiques, 1911, p. 105.
[15]
H. Visioz, « Observations sur l’étude de la procédure civile », Revue générale du droit, de la législation
et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1927 ; article
repris in Études de procédure, 1956,
Bière, p. 3, « Études » qui seront elles-mêmes rééditées en 2011
aux éditions Dalloz avec une présentation de S. Guinchard.
[16]
Etudes de procédure, op. cit., p. 8,
in fine.
[17]
H. Visioz, Observations sur l’étude
de la procédure civile, 1927, préc.
[18]
Etudes de procédure, op. cit., p. 8,
in fine, p. 9 et 10.
[19]
Neuvième édition en 1923.
[20]
Précis Sirey, 1927 ; à peine plus de cinq cents pages, mais avec
des formules et des annexes « complémentaires ».
[21]
Première édition en 1909, Fontemoing, reprise avec une simple mise à jour de
2 pages en 1911, chez Dalloz.
[22]
Par S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, sept. 2010.
[23]
Sirey, 1924.
[24]
Revue générale du droit, de la
législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1927.
[25]
Études de procédure, op. cit., p. 10.
[26]
Ibid., p. 11.
[27]
Ibid., p. 27 à 52.
[28]
Revue générale du droit, de la
législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1931.
[29]
G. Cornu et J. Foyer, Procédure
civile, 3e éd. 1996, PUF, p. 27.
[30]
RTD civ. 1942, 309 ; 1943, 133
et 1944, 132.
[31]
Sirey, 1re éd. 1932 ; 2e éd. 1949.
[32]
G. Cornu et J. Foyer, Procédure
civile, 3e éd. 1996, PUF, p. 27.
[33]
Morel, Traité élémentaire de procédure
civile, Sirey, 2e éd. 1949, n° 9.
[34] Ibid., n° 8.
[35] Ibid., n° 4.
[36] Montchrestien, coll. précis
Domat.
[37]
S. Guinchard, « Jacques Héron et son droit judiciaire privé »,
in Mélanges Jacques Héron, LGDJ,
2009, 247.
[38]
V. la liste dans notre précis de Procédure
civile, préc. Dalloz, 2010, pp. 97-98.
[39]
S. Guinchard, « Le
droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ? », in Mélanges Terré, 1999, p. 761,
spéc. p. 764-766.
[40] Com.
26 oct. 1999, Bull. IV,
n° 182 ; JCP 2000, I, 209,
obs. Ph. Simler ; D. 2000, somm. 340, obs. M.-N. Jobard-Bachelier ; D. Legeais, Rev. dr. bancaire et bourse, nov.-déc.
1999, 196 ; JCP 2000, II, 10262,
note D. Legeais. Procédures,
févr. 2000, n° 36, obs. H. Croze ; D. 2000, somm.. 340, obs. M.-N. Jobard-Bachelier.
Civ. 1re, 4 oct. 2000, D.
2001, 698, obs. L. Aynès.
Mettant fin à cette option, une chambre mixte a éludé le débat en relevant que
les demandes reconventionnelles étant formées, à l’encontre des parties à l’instance,
de la même manière que les moyens de défense (art. 68, al. 1er,
CPC), les juges du fond devaient répondre à la demande de la caution qu’elle qu’en
fût la qualification[40] ! Si
l’argument est habile, la solution ne donne pas entière satisfaction, car le
régime des deux voies procédurales n’est pas identique (cf. art. 49 et 51,
d’une part, 67 et 70 d’autre part).
[42]
C. Lecomte, « De l’immobilisme en procédure civile du code de 1806 au XXe siècle », in
Coutumes, doctrine et droit savant (dir. V. Gazeau et J.-M. Augustin),
Univ. Poitiers, coll. Faculté de droit, LGDJ 2006, p. 251, spéc. p. 252.
[43]
Selon J. Foyer, in Le NCPC
(1975-2005), Économica, 2006, p. XIV, c’était le principe (italien) d’impulsion
processuelle que Bartin va « magnifier » dans le Cours de droit civil d’Aubry et Rau (4e éd.) sous
le thème de la neutralité du juge.
[44]
La circulation du modèle juridique
français, travaux Association
H. Capitant, t. 44, 1993, Litec, 1994 : Belgique,
p. 39 ; Grèce, p. 385 ; Japon, p. 553.
[45]
F. Aimerito, « Aspects de l’application du droit privé : l’application
du CPC et l’administration de la justice civile dans le Piémont sous domination
napoléonienne », Mélanges
Maryse Carlin, La Mémoire du droit, 2008, p. 17.
[46]
A. Tissier, « Le centenaire du Code de procédure civile et les projets
de réforme », RTD civ. 1906, 625.
[47]
C. Lecomte, « Le NCPC : rupture et continuité », in Le NCPC (1975-2005), op. cit., Économica, 2006, p. 5.
[48]
J. Héron, « Le NCPC », in
La codification, coll. « Thèmes et commentaires », Dalloz, 1996,
p. 86 ; R. Perrot, « L’unification des procédures devant
les juridictions autres que le tribunal de grande instance, » Annales Fac. droit Lyon 1970, II, 632 et
s. ; H. Solus, « Le problème de l’unification de la procédure
civile, selon les décrets de 1971, 1972 et 1973 destinés à s’intégrer dans le
nouveau Code de procédure civile », D. 1975,
chron. 45.
[49]
J. Foyer, in Le NCPC, vingt ans
après, colloque Cour de cassation, déc. 1997, Doc. fr., 1998, p. 323.
[50]
H. Vizioz, RTD civ. 1943, 56 et Etudes de procédure, 1956, 441.
[51]
J. Foyer, « Éloge de Motulsky », in Journées H. Motulsky, 20 déc. 1991, Cour de cassation,
p. 9 ; rapport de synthèse, colloque, Le NCPC, vingt ans après, Doc. fr. 1998, p. 324 (qui cite,
comme exemple de cette inspiration, l’ouvrage de Tancrède de Bologne).
[52]
Ibid.
[53]
Doc. fr. 1997. Sur ce rapport, R. Martin, JCP 19 févr. 1997, actualités ; A. Garapon, D. 1997, chron. 69 ;
R. Perrot, Procédures avr. 1997,
chron. n° 4.
[54]
États généraux de la profession d’avocat, Rev.
jur. d’Ile de France oct.-déc. 1997 et Dalloz, coll. « Thèmes et
commentaires », 1997.
[55]
Commentaires généraux (dans l’ordre chronologique) : S. Guinchard, D. 1999, chron. p. 65 ; Rép. proc. civ. janv. 1999, synthèse
annuelle 1998 ; G. Canivet et Chapelle, Gaz. Pal. 4 mars 1999 ; B. Daille-Duclos, JCP E 1999, 409 ;
R. Perrot, Procédures
mars 1999, chron. n° 3 ; J. Héron, RGDP 1999, 65 ; C. Jamin, RTD civ. 1999, 225 ; M. Douchy, Gaz. Pal. 15 juin 1999.
[56]
Commentaires : E. Bonnet, LPA
2 mars 1999 ; A. Perdriau, JCP
1999, I, 121 ; A. Monod, Procédures
avr. 1999, chron. n° 5.
[57]
J.-M. Coulon, « Du rapport Coulon au rapport Magendie », in Le NCPC (1975-2005), op. cit., Économica, 2006, p. 87 ;
E. Putman, « Le décret du 28 décembre 2005 et les principes
directeurs du procès civil », Bull
Aix, 2006-2, p. 31.
[58]
C. Castaing « Les procédures civile et administrative confrontées aux
mêmes exigences du management de la justice », AJDA 2009, 913.
[59]
Documentation française, août 2008.
[60]
Première édition en janvier 2001, dir. S. Guinchard. 6e éd.
janv. 2011.
[61] Cornu et Foyer, Procédure civile, 3e éd., PUF, 1996, n° 3,
p. 9.
[62]
CEDH, 21 mars 2000, Dulaurans c/
France.
[63] CEDH, 23 oct. 1996.
[64] CEDH, 14 nov. 2000.
[65] CEDH, 9 nov. 1999, Gozalvo c/ France.
[66]
Dalloz éd., 6e éd., janv. 2011.
[67] S. Guinchard, « Vers une
démocratie procédurale », Justices,
nouvelle série, 1999/1, p. 91, repris in « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire »,
in Clés pour le siècle, Paris II-Dalloz,
mai 2000, pp. 1135-1211. Et aussi, « Quels principes directeurs pour
les procès de demain ? » in Mélanges
J. Van Compernolle, Bruylant, 2004, qui reprend et développe l’idée
émise dès la première édition de ce précis (janv. 2001).
[68]
Selon l’heureuse formule de J.-C. Magendie, in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, 329 :
« Loyauté, dialogue, célérité, trois principes à inscrire en lettres d’or
aux frontons des palais de justice ».
[69] Pour une illustration dans l’arrêt
Kress, 7 juin 2001, à propos de la place du commissaire du gouvernement au
Conseil d’État, S. Guinchard, « Ô Kress, où est ta victoire, ou
la difficile réception en France d’une (demie) leçon de démocratie
procédurale », Mélanges G. Cohen-Jonathan,
Bruylant éd. 2004.
[70]
Dans la défunte revue Justices,
1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges
de l’université Paris II publiés à l’occasion de l’entrée dans le
troisième millénaire, Dalloz, 2000 ; v. aussi, notre contribution précitée
aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant
éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de
demain ? »
[71]
V. aujourd’hui la 30e édition, op. cit. 2010, n° 66.
[72]
La procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une
technique de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. S. Guinchard,
« Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la
procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique ou
européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant-LGDJ, 2004.
[73]
V. notre contribution aux Mélanges
Gérard Cohen-Jonathan, Buylant, 2004, à propos de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une
(demie) leçon de démocratie procédurale.
[74]
Après, pour le droit privé, les Ecrits
d’Henri Motulsky : Etudes et notes
de procédure civile, préfacés par
Georges Bolard, déc. 2009) et Etudes et
notes sur l’arbitrage (préfacés par Claude Raymond, nov. 2010). Pour le
droit public : Les Principes de
droit public de Maurice Hauriou, préfacés par Olivier Beaud, 2010.
[75]
Pigeau en 1811, Berriat-Saint-Prix en 1811-1813, Thomines-Desmazures en 1832,
Boncenne en 1837.
[76]
Boitard, Leçons de procédure civile,
12ème éd. par Colmet-Daage,
1876, dont Visioz cite une phrase de l’introduction, significative de
cette tendance.
[77]
Ce mot n’est sans doute choisi au hasard, car quelques lignes plus haut, ce
chrétien engagé faisait allusion à « l’esprit
religieux ».
[78]
Avec Boncenne.
[79]
Glasson, Précis théorique et pratique de
procédure, 1ère éd., 1902.
[80]
G. Bruillard, Manuel de procédure civile
– Cours professé à l’école supérieure d’organisation professionnelle, Presses
universitaires, 1944.
[81]
Berriat-Saint-Prix, Cours de procédure
civile, 1ère éd., 1811.
[82]
Rauter, Cours de procédure civile, 1834.
[83]
Parmi les auteurs italiens cités, outre Chiovenda et par ordre chronologique de
leurs écrits cités par Visioz : Rocco (1906), Cicala (1909), Caldi (1910),
Calamandrei (1920), Mortara (1922),
Bellavatis (1924), Carneluti (1926).
[84]
Troisième édition en 1912-1913.
[85]
A la Revue générale du droit, de la
législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, p. 169 de cet
ouvrage.
[86]
Revue générale du droit, de la législation
et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1931.
[87]
Com. 22 mars 1988, pourvois n° 87-15.901 et 87-15.902.
[88]
Ecrits réédités dans la bibliothèque Dalloz : études et notes de procédure
civile, déc. 2009, préface de Georges Bolard ; Etudes et notes sur
l’arbitrage, nov. 2010, préface de Claude Reymond.
[89]
Cornu et Foyer, Procédure civile, 3ème
éd. 1996, PUF, p. 27.
[90]
H. Motulsky, Droit processuel, textes
réunis par Marie-Madeleine Capel, Les
cours de droit, 1973.
[91]
Première édition en janvier 2001, ss. la direction de S. Guinchard. 6ème
édition en janvier 2011.
[92]
Dans la défunte revue Justices,
1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges de
l’université Paris 2 publiés à l’occasion de l’entrée dans le troisième
millénaire, Dalloz éd., 2000 ; v. aussi, notre contribution aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant
éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de
demain ? ».
[93]
V. aujourd’hui la 30ème édition, op.
cit. 2010, n° 66.
[94]
La procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une
technique de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. S. Guinchard,
« Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la
procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique ou
européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant/LGDJ, 2004.
[95]
V. notre contribution aux Mélanges Gérard
Cohen-Jonathan, Buylant éd., 2004, à propos de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une (demie) leçon de démocratie
procédurale.
[96]
RTDCiv. 1942, 309, 1943, 133 et 1944,
132.
[97]
Justice et droit du procès – Du légalisme
procédural à l’humanisme processuel, Mélanges en l’honneur de Serge
Guinchard, Dalloz, mai 2010.
[98]
La formule est d’Audrey Hepburn pour rendre hommage à Grégory Peck.
[99]
V. sa thèse sur « Le morcellement des successions internationales »,
Economica, 1986.
[100]
V. aussi, sur l’acte de procédure comme acte juridique, la note de Grérad Cornu
ss. Civ. 2ème, 20 mai 1976, D. 1977, 125. Et Jacques Héron,
Réflexions sur l’acte juridique et le contrat à partir du droit judiciaire
privé », Revue Droits, 1988, n° 7, p. 85.
[101]
Cf. Serge Guinchard et Frédérique Ferrand,
Précis Dalloz de procédure civile, 28ème éd., oct. 2006, n°
94.
[102]
Kelsen, La théorie juridique
de la convention, Archives de philosophie du droit, 1940, p. 33.
[103]
Serge Guinchard et Frédérique Ferrand, op.
cit., n° 65, p. 108.
[104]
V. Serge Guinchard et Frédérique Ferrand, op.
cit. n° 205 et 206.
[105]
Sur tous ces points, v. Serge Guinchard et Frédérique Ferrand, op. cit., n° 214 et 215.
[106]
Président du TGI :
art. 812 ; tribunal d'instance : art. 851 ; tribunal
de commerce : art. 874 et 875 ; tribunal paritaire des baux
ruraux : art. 897 ; premier président de la Cour d'appel :
art. 958.
[107]
Civ. 2e, 13 mai
1987, RTD civ. 1988, 181, obs. Perrot.
[108]
Pour une illustration de la
difficulté à qualifier l'ordonnance sur requête conjointe, V. Bourges,
28 mai 1985, Gaz. Pal. 1986.431, obs. J.M., qui y voit une décision
contentieuse introduite par une requête de l'article 54, alors qu'il s'agissait
plus vraisemblablement d'une décision gracieuse introduite par une requête de
l'article 60 (deux ex-époux et un tiers agissaient en commun en
déclaration de paternité). TGI Rouen, 7 oct. 1993, Gaz. Pal.
20 janv. 1994, somm. v° Filiation (demande conjointe du père naturel
et du fils qu'il a reconnu, en expertise comparée des sangs pour lever le doute
commun sur la réalité de cette paternité).
[109]
Convention européenne des droits de l’homme et théorie des voies de recours,
Mélanges P. Drai, Dalloz éd., 2000, p. 369.
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