SOMMAIRE
I – UNE (DEMIE) LEÇON DE DÉMOCRATIE PROCÉDURALE
II – LES PRÉMICES DE LA DÉMOCRATIE PROCÉDURALE
III – L’AVÈNEMENT D’UNE DÉMOCRATIE PROCÉDURALE
IV – LA DÉMOCRATIE PROCÉDURALE SOUS LE REGARD DE LA LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE
DE PIERRE ROSANVALLON
I – UNE (DEMIE) LEÇON DE DÉMOCRATIE PROCÉDURALE
o kress où est ta victoire ?
ou la difficile réception, en France,
d’une
(demie) leçon de démocratie procédurale
(publié aux
mélanges offerts à gérard cohen-jonathan, 2004)
« Dans le monde des hommes, les arguments de droit n’ont de poids que dans la mesure où les adversaires en
présence disposent de moyens équivalents ; si tel n’est pas le cas, les
plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance tandis que les plus
faibles n’ont qu’à s’incliner »
Thucydide, La
guerre du Péloponèse,
Gallimard, Paris,
1964, t. 2, p. 120.
Cette contribution que nous sommes heureux
d’offrir à notre estimé collègue, Monsieur le Professeur Gérard Cohen-Jonathan,
n’est pas un nouveau commentaire (un de plus, allions nous écrire) de l’arrêt Kress rendu contre la France le 7 juin
2001, par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. Il est
à la fois un commentaire de certains des commentaires écrits à cette occasion[1],
commentaires parfois surprenants, toujours intéressants et instructifs sur
l’état des esprits, voire les états d’âme des uns et des autres, et une
tentative de recadrage des questions posées par cet arrêt sur l’intérêt
supérieur de la Justice et des justiciables, sur les exigences de la démocratie
procédurale. Nous voudrions offrir aux lecteurs une nouvelle grille de lecture
de l’arrêt, à la lumière de ce que nous appelons la démocratie procédurale et
de ses principes directeurs que sont le dialogue, la loyauté et la célérité
dans le procès[2].
D’ailleurs, l’intitulé de la contribution, dont la première partie est tirée du
premier épître aux Corinthiens de Saint Paul (54-55 : « o mort où est ta victoire ? »), veut attirer
l’attention du lecteur d’une part, sur le décalage entre ce qu’a jugé la Cour,
et les suggestions qui ont été présentées par certains pour continuer à faire
comme avant, comme s’il n’y avait pas eu de condamnation de la France et,
d’autre part, sur les insuffisances de l’arrêt (d’où le qualificatif de
« demie » leçon de démocratie procédurale). Quant à la phrase placée
en exergue, elle a pour objectif de souligner le véritable enjeu de la bataille
engagée autour de la place de chacun à la Cour de cassation ou au Conseil
d’Etat, un enjeu d’effectivité de la démocratie au sein de ce type de procès,
et de ramener les passions parfois exacerbées qui se sont manifestées à cette
occasion au cœur du problème, celui de la prise en compte réelle et effective,
ni théorique, ni illusoire, de l’intérêt du justiciable, au-delà des mots et
des pétitions de principe qui n’engagent que ceux qui les énoncent, mais qui ne
font pas progresser la démocratie procédurale et les droits des justiciables.
Loin des agitations parisiennes, au Palais royal, quai de l’Horloge ou place du
Panthéon[3],
le justiciable français attend que l’on prenne enfin en compte ses aspirations
à plus de transparence et d’ouverture dans la manière d’instruire et de juger
au plus haut sommet de la pyramide judiciaire.
On sait que, pour l’essentiel, la
Cour européenne des droits de l’homme, dans
ce fameux arrêt Kress, rendu
en Grande chambre et confirmé depuis[4],
n’a pas condamné la France sur la question de la non-communication préalable
aux parties des conclusions du commissaire du gouvernement près le Conseil
d’Etat, mais a condamné notre pays, au nom de la théorie des apparences, pour
participation du même commissaire du gouvernement au délibéré de cette Haute
juridiction. Elle a, en revanche, glissé sur la troisième question, mal
articulée par la requérante, celle de la communication au commissaire du
gouvernement, mais pas aux parties, du rapport du conseiller-rapporteur et de
son projet d’arrêt ; pour cette raison et par souci de respecter les
contraintes éditoriales de cette contribution, ce point ne sera pas abordé ici.
Ce qui est surprenant dans certains des commentaires c’est, d’une part, la
critique acerbe de la théorie des apparences (encore appelée théorie de
l’apparence), présentée parfois comme « une
apparence de théorie »[5],
ce qui, toute révérence gardée, montre la totale méconnaissance par ceux qui
s’expriment ainsi, du sens et de la portée de cette théorie ; et, d’autre
part, l’incitation à ne pas tenir compte, à l’avenir, des solutions de l’arrêt
pour, en jouant sur les mots, permettre au commissaire du gouvernement
« d’assister » au délibéré (sous-entendu passivement), assistance qui
ne vaudrait pas « participation » (sous-entendue
« active »), sans encourir les foudres de la Cour européenne[6] ;
en quelque sorte un appel à la désobéissance juridique à l’autorité de la
chose interprétée par la Cour européenne! Surprenant pour une proposition
venant de ceux qui sont chargés de dire le droit.
Sans reprendre ici un commentaire analytique, exégétique,
ligne par ligne, de la motivation de l’arrêt Kress[7],
sans doute utile mais fastidieux et qui n’est pas la hauteur des enjeux du
nouveau droit du procès, nous voudrions procéder à une synthèse des intérêts
supérieurs en jeu, souligner, tout au contraire, la nécessité d’assurer la mise
en œuvre de ce que nous avons appelé la « démocratie procédurale »[8],
dont on trouve ici une application patente, même si nous regrettons que la Cour
européenne ne soit pas entrée en condamnation[9]
sur la question de la non-communication préalable des conclusions du
commissaire du gouvernement. La démocratie procédurale c’est le respect des
principes démocratiques au sein des institutions juridictionnelles, lors de
l’instruction, puis du jugement de l’affaire, pour que la décision de justice
qui sera rendue soit la meilleure possible et pour que les citoyens,
justiciables potentiels (tout comme les bien-portants du docteur Knock de Jules
Romain sont des malades qui s’ignorent), aient confiance dans leur Justice de
leur pays et que l’Etat de droit soit une réalité vivante et concrète, dans
l’effectivité retrouvée de l’exercice quotidien de leurs droits. L’équilibre du
procès, ainsi rattaché au concept de démocratie procédurale, suppose, plus
particulièrement, le respect des trois grands et nouveaux principes directeurs
que nous avons cru pouvoir dégager en leur temps[10] :
dialogue, loyauté et célérité ; si l’on veut bien faire exception ici de
la célérité (en écartant l’argument, dérisoire et pas à la hauteur des enjeux,
à l’époque des envois de documents en fichiers agrafés par simple click du
courrier électronique) du retard apporté à la solution du procès par la
duplication des conclusions du commissaire du gouvernement, il reste à se
demander si, aujourd’hui, les principes de dialogue et de loyauté sont
parfaitement respectés au sein des procès devant le Conseil d’Etat et la Cour
de cassation entre les acteurs de ces procès que sont les parties, le commissaire
du gouvernement ou l’avocat général et les juges de jugement. C’est cela
l’enjeu de l’arrêt Kress, pas celui
de l’avenir des uns et des autres au sein de ces deux nobles institutions. Pour
répondre à cette double question et prendre la mesure du dialogue et de la
loyauté dans le procès devant nos deux Cours suprêmes, il faut d’abord procéder
à une opération de qualification de ce personnage que l’on appelle commissaire
du gouvernement ou avocat général ; si l’on veut bien retenir la qualification
de tiers intéressé et non pas de juge (I), tout s’éclaire différemment :
parce qu’il est un tiers, tout document qu’il produit et qui est susceptible
d’influencer les juges en leur décision doit être transmis aux parties pour que
le dialogue s’installe (II) et toute participation au délibéré doit être
examinée au regard du principe de loyauté (III). Ainsi posées, les deux
questions tranchées par la Cour européenne ne se ramènent pas à la litanie
« on a toujours procédé ainsi ». Au final, c’est de la qualité de la
justice et de l’intérêt supérieur du justiciable dont il s’agit, pas du
maintien ou non de pratiques, certes respectables, mais au seul motif qu’elles
seraient ancestrales.
i) la democratie procédurale dans la qualification de
tiers intéressé du commissaire du gouvernement ou de l’avocat général
a) le commissaire du gouvernement ou l’avocat
général ne sont pas des juges
Dans l’affaire Kress, le gouvernement français a d’abord présenté une première
ligne de défense sur la qualité du commissaire du gouvernement en essayant
d’ailleurs de le distinguer de l’avocat général à la Cour de cassation (ce qui
ne manifeste pas, soit dit au passage, une totale solidarité entre Cours
suprêmes et s’apparente un peu au jeu du « chacun pour soi »!).
Comme aucun des litiges antérieurement portés devant la Cour européenne ne
concernaient les juridictions administratives, il était assez naturel que la
question de la qualité de ce acteur du procès administratif soit posée.
Malicieusement – et avec un rien d’agacement – la Cour européenne fait observer
que tous les gouvernements « se sont
attachés à démontrer, depuis l’arrêt Borgers de 1991, devant la Cour, que dans
leur système juridique, leurs avocats généraux ou procureurs généraux étaient
différents du procureur général belge tant du point de vue organique que du
point de vue fonctionnel » (§ 67).
Et elle ajoute : « le
gouvernement français ne fait pas exception.. » (§ 68), ce qui,
d’emblée, relativise et fragilise la force de la défense française ; en
d’autres termes, moins élégants : « je ne suis pas dupe ». Comme
pour mieux faire passer le rejet de l’argumentation du gouvernement français
sur la qualité de juge du commissaire du gouvernement, la Cour européenne
commence par admettre que la juridiction administrative française présente, par
rapport aux juridictions de l’ordre judiciaire, un certain nombre de
spécificités, qui s’expliquent par des raisons historiques, et que « la création et l’existence même de la
juridiction administrative peuvent être saluées comme l’une des conquêtes les
plus éminentes d’un Etat de droit, notamment parce que la compétence de cette
juridiction pour juger les actes de l’administration n’a pas été acceptée sans
heurts » » (§ 69) ; autrement dit, l’histoire plaide en
faveur de l’institution ; mais l’histoire c’est le passé et la Cour
européenne vit dans le présent, pas dans la nostalgie des conquêtes du
passé ! D’où la phrase, cruelle pour le Conseil d’Etat, que l’existence
centenaire d’une institution n’en garantit pas, à vie, le fonctionnement
démocratique (« la seule
circonstance que la juridiction administrative, et le commissaire du
gouvernement en particulier, existent depuis plus d’un siècle et fonctionnent,
selon le gouvernement, à la satisfaction de tous, ne saurait justifier un manquement
aux règles du droit européen », § 70) ; et pour mieux se faire
comprendre la Cour donne une leçon de démocratie vivante au gouvernement
français (ainsi incité, à l’avenir, à se défendre autrement que par des
arguments historiques) : « la
Cour rappelle à cet égard que la Convention est un instrument vivant à
interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles et des conceptions
prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques » (§ 70). Elégante
façon de dire qu’on ne peut vivre dans l’évocation nostalgique du passé des
temps heureux où il n’existait pas de Cour européenne et que la démocratie,
notamment la démocratie procédurale, est quelque chose de vivant, même et
surtout, pour de vieilles démocraties !
Fidèle
à sa conception finaliste du droit et fonctionnelle des institutions critiquées
devant elle, la Cour européenne ne va pas trancher la question de la nature
exacte de la qualité en laquelle intervient le commissaire du gouvernement
devant le Conseil d’Etat ; après lui avoir donné le coup de chapeau,
traditionnel pour les avocats généraux devant la Cour de cassation, sur son
indépendance et son impartialité (§ 71), elle va poursuivre dans une démarche
finaliste et fonctionnelle en relevant que cette indépendance et cette absence
de hiérarchie qui caractérisent le commissaire du gouvernement « ne sont pas en soi suffisants pour
affirmer que la non-communication de ses conclusions aux parties et
l’impossibilité pour celles-ci d’y répliquer ne seraient pas susceptibles de
porter atteinte aux exigences du procès équitable » (§ 71, al. 1). Dès
lors, elle annonce qu’elle va s’attacher à déterminer le rôle réellement assumé
dans la procédure par le commissaire du gouvernement et plus particulièrement
au contenu et aux effets de ses conclusions (§ 71, al. 2).
b) le commissaire du gouvernement ou l’avocat général sont des tiers intéressés au procès
Nous
n’en saurons pas plus de la Cour européenne, mais l’interprète processualiste
peut, peut-être, faire avancer la discussion sur le terrain de la qualification
de l’intervention du commissaire du gouvernement ou de l’avocat général devant
le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Le droit processuel connaît bien ces
situations marginales et ambiguës où une personne s’intègre mal dans le schéma
trop dichotomiste pour ne pas être manichéen, partie ou juge ou encore organe
(de la procédure) et acteur (du procès)[11].
Certes, ces notions sont peu étudiées et mal cernées, mais on les connaît en
droit processuel[12]. Le
commissaire du gouvernement ou l’avocat général ne peuvent être des juges
puisque – et c’est la grande faiblesse de la défense française à Strasbourg –
ils ne participent pas à l’exercice de la fonction juridictionnelle, le droit
de vote leur étant refusé au moment crucial où tout se joue et se noue, celui
de l’issue du délibéré. Ils sont sans doute des magistrats, formellement
parlant et pour leur donner un statut au sein de la fonction publique
française, mais ils ne sont pas des juges au sens fonctionnel du mot. Organe de
la juridiction, comme le greffier, ils ne jugent pas, mais à la différence de
celui-ci, ils participent à l’élaboration intellectuelle du jugement. Et comme
nul n’a jamais prétendu qu’ils étaient des parties (tout au contraire, certains
se sont servis de cette exclusion pour contester l’application du principe de
l’égalité des armes entre eux et les parties), au-delà de la qualification
d’institution suis generis, on peut y
voir des tiers intéressés au procès, comme il existe en droit privé français,
deux catégories de tiers : les penitus
extranei ou tiers véritables qui sont totalement étrangers à une situation
juridique et les tiers intéressés à cette situation. Mais alors, s’ils sont des
tiers intéressés au procès, tout ce qu’ils vont produire, intellectuellement
parlant, sur ce procès, ils doivent le transmettre aux parties puisqu’ils
visent à influencer le juge dans sa décision : plus leur rôle est reconnu
comme important, plus leurs conclusions sont jugées primordiales pour l’issue
du procès, plus il faut respecter le contradictoire et, plus généralement, le
principe de dialogue, et celui de loyauté.
II - La démocratie procédurale dans la valorisation des conclusions du tiers intéressé : le respect du principe de dialogue
La démocratie procédurale postule d’aller plus loin que
la Cour européenne dans l’articulation de l’intervention des acteurs au cours
de la phase de l’instruction des procès qui se déroulent devant les Cours
suprêmes, ce qui passe par une valorisation active des conclusions du
commissaire du gouvernement ou de l’avocat général. Dans l’instruction du
procès devant le conseil d’Etat, comme d’ailleurs devant la Cour de cassation,
le rôle des conclusions du commissaire du gouvernement ou de l’avocat général
est primordial, même s’il ne l’est pas avec la même intensité pour toutes les
affaires. Le fait que ce rôle ne vaudrait que pour une seule affaire par an
(hypothèse d’école nous en convenons volontiers), justifie le maintien de
l’institution. Bien sûr, on a pu songer à faire disparaître le problème en
supprimant le commissaire du gouvernement ou l’avocat général[13] ;
solution radicale mais qui confine à l’absurde : supprimons
l’incrimination du vol et il n’y a plus de vols ! Nous croyons à la vertu
pédagogique très forte de ce travail intellectuel souvent remarquable, toujours
enrichissant, que constituent les conclusions devant les Cours suprêmes et nous
prenons toujours un réel plaisir à les lire, à les décortiquer, voire à les
critiquer ; la pensée juridique s’assécherait si la justice française se
privait de ces contributions à la science juridique. Nous sommes d’accord sur
ce point avec le président Bruno Genevois lorsqu’il parle de « valeur ajoutée » à propos
des conclusions du commissaire du gouvernement[14] ;
et cela vaut pour celles des avocats généraux près la Cour de cassation. Mais
alors comment intégrer cette valorisation dans le schéma de l’instruction des
procès devant les Cours suprêmes (nous ajouterons d’ailleurs un mot pour les
juridictions du fond) pour que les justiciables (puisque c’est d’eux dont il
s’agit ici) puissent en bénéficier pleinement ? On ne peut pas, à la fois,
affirmer le caractère irremplaçable, hautement valorisant, des conclusions et
les réserver à un exposé oral sans communication préalable et sans possibilité
effective, donnée aux parties, de répondre. L’exigence d’une démocratie
procédurale postule, irréductiblement, d’aller beaucoup plus loin que ne l’a
fait la Cour européenne dans l’arrêt Kress.
Il faut communiquer le texte intégral des conclusions aux parties avant
l’audience, en raison du droit d’accès à l’information donnée au tribunal par
un tiers intéressé, premier aspect du principe de dialogue (A) ; il faut
leur permettre de répondre aux arguments qui y sont développés dans des
conditions plus satisfaisantes que l’actuelle note en délibéré, en raison du
respect du principe de la contradiction, second aspect du principe de dialogue
(B).
A) la démocratie procédurale à l’épreuve de la communication préalable du seul sens général des conclusions : le droit d’accès à l’information en provenance d’un tiers intéressé
a) En l’état actuel de la
jurisprudence européenne, le Conseil d’Etat, comme la Cour de cassation, n’ont
pas l’obligation de transmettre aux parties, préalablement à l’audience, le
texte intégral des conclusions de ce que nous appellerons par commodité de
langage, leur Ministère public. En effet, dans l’arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd c/ France du 31 mars 1998, puis dans
l’arrêt Voisine c/ France du 8
février 2000 (confirmé par l’arrêt Meftah,
rendu le 26 juillet 2002, en Grande Chambre, la Cour européenne s’est
contentée, pour ce qui concerne la Cour de cassation d’une communication, avant
le jour de l’audience du seul « sens
général » de ces conclusions (tout en condamnant la France parce que
cette pratique n’était pas établie au moment de l’évocation des affaires en
question devant la Cour de cassation). Mais la solution vaut aussi lorsque
l’affaire est sans représentation obligatoire (jurisprudence Voisine). C’est cette solution qui est
reprise dans l’arrêt Kress : «à la différence de l’affaire Reinhardt et
Slimane Kaïd, il n’est pas contesté que dans la procédure devant le
Conseil d’Etat, les avocats qui le souhaitent peuvent demander au commissaire
du gouvernement, avant l’audience, le sens général de ses conclusions »
(§ 76). Elle nous semble insuffisante.
En
effet, la communication préalable du seul «sens
général » des conclusions appelle immédiatement la question en
provenance des parties et à destination du Ministère public, « pourquoi
tel sens ? ». La valeur ajoutée des conclusions tant mise en avant
pour souligner, à juste titre, la nécessité de maintenir la fonction exercée
par les commissaires du gouvernement et les avocats généraux, postule une
communication intégrale de leur texte : la valeur ajoutée des conclusions
ne vaut que par le raisonnement et les arguments avancés pour le soutenir,
raisonnement et argument qui sous-tendent ce « sens général » visé par la Cour européenne ; la
valorisation des conclusions que l’on met en avant passe par cette exigence de
démocratie procédurale : il n’y a pas de démocratie de ce type dans les
procès où les juges de la formation de jugement ont accès à des documents en
provenance d’un tiers, certes qui n’est pas partie, mais qui, néanmoins, est un
tiers intéressé à l’issue du procès puisqu’il prend parti pour une solution
plutôt qu’une autre et qu’il va tout faire pour emporter la conviction des
juges. Où est la démocratie dans un procès où les juges ont, en leur
possession, l’intégralité d’un texte que les parties ne découvriront vraiment
(et encore) qu’à l’audience, avec une maigre possibilité d’y répondre par une
note en délibéré (sur ce point v. infra,
B) ? Si l’on veut que le jugement des juges soit éclairé, que la décision
qu’ils vont prendre soit la meilleure possible (toujours dans l’intérêt d’une
bonne justice, donc d’une bonne démocratie), il est nécessaire que les parties
soient en mesure de participer pleinement à son élaboration ; pour cela,
il faut, dans une démocratie procédurale de participation à l’œuvre commune de
justice, qu’elles aient connaissance, avant l’audience et dans un délai
raisonnable leur permettant de les étudier sereinement, de l’intégralité des
conclusions et non pas seulement d’un sens général qui est « dérisoire » au regard de leurs droits, comme l’a si
bien dit notre collègue Olivier Gohin[15].
Lorsque des avocats aux Conseils se félicitent de la communication aux parties
du sens général des conclusions[16],
cela ne signifie nullement qu’ils s’en contentent, comme on a pu le dire
récemment[17] ;
ils s’en félicitent comme d’un progrès par rapport à l’existant, c’est à dire
par rapport à rien, à aucune communication, certainement pas par rapport à
plus, c’est à dire par rapport à la communication de l’intégralité du texte.
Quant à l’argument du coût que représenterait cette transmission intégrale,
argument qui a été avancé au cours d’un colloque[18],
il est facile de répondre que ce n'est pas lui qui fera sortir la France du
pacte de stabilité et que la transmission électronique évoquée tout à l’heure à
propos de l’argument de célérité, a aussi cette vertu de ne pas coûter très
cher.
b) Restent deux questions en suspens.
1)
D’abord, celle de la mise en œuvre de l’exigence de la communication du sens
général des conclusions aux parties qui ne sont pas représentées par un avocat
spécialisé. La Cour européenne a répondu aux objections que la pratique de la
Cour de cassation traduisait, en ne communiquant pas à ces parties non
représentées ce qui l’était aux avocats des parties représentées ; dans
l’arrêt Voisine précité et confirmé
depuis, elle a affirmé que dès lors qu’un Etat accepte qu’une partie puisse se
présenter seule devant la Haute juridiction, elle doit bénéficier des mêmes
moyens de se faire entendre, à peine d’introduire une discrimination qui violerait
le principe d’égalité dans la procédure. On le voit, là encore, c’est un grand
principe de procédure, de démocratie procédurale, celui de l’égalité entre les
justiciables, qui fonde une solution de
pure technique juridique. On est loin des arguties sur l’impossibilité pour de
telles parties de comprendre le sens et la portée du sens général des
conclusions : si l’on accepte leur présence sans avocat, on doit accepter
de les traiter à égalité avec celles qui sont représentées. C’est une leçon de
démocratie que donne la Cour européenne, pas seulement de cuisine
procédurale ; il faudrait être mesquin pour ne voir dans ces exigences,
que la volonté dévoyée de la Cour de s’intéresser aux aspects les plus pointus
de notre procédure nationale.
2) Seconde interrogation, peut-on transposer cette
jurisprudence aux juridictions du fond ?
- S’agissant des
juridictions administratives on a appris récemment[19]
qu’une note du président de la section du contentieux du Conseil d’Etat en date
du 23 novembre 2001 incitait vivement les juridictions administratives du fond
à pratiquer la communication aux parties du sens général des conclusions du
commissaire du gouvernement ; nous nous en réjouissons, même si l’on peut
s’étonner de la nature du procédé incitatif ; un texte réglementaire
n’aurait-il pas été plus opportun car plus contraignant ? Il n’est
nullement acquis que devant ces juridictions l’incitation
« hiérarchique » soit suivie d’effet…[20]
- S’agissant des
juridictions pénales, cette pratique n’existe pas et si elle devait s’instaurer
il serait difficile de l’adapter aux procédures d’urgence comme celle des
comparutions immédiates et même à la plupart des affaires correctionnelles où
le Parquet ne prépare pas de réquisitions écrites; mais est-il normal que
dans les audiences correctionnelles importantes qui suivent la procédure
traditionnelle sur plusieurs jours et même aux assises, le prévenu ou l’accusé
n’ait pas connaissance des réquisitions qui vont être prises contre lui ?
On objectera que l’instruction qui se déroule à l’audience ne permet pas au
Ministère public lui-même de connaître, avant que celle-ci n’ait eu lieu, le
sens de ses propres réquisitions puisque l’audience peut l’inciter à changer
d’avis, en tout cas à l’affiner ; mais serait-il si anormal que cela que
d’exiger, une fois son opinion arrêtée et avant d’entendre les avocats en leur
plaidoirie, que les réquisitions du Parquet leur soient transmises, en texte
intégral si elles sont écrites (ce qui tendrait à prouver qu’elles ont été
préparées avant l’audience, donc qu’elles sont aisément communicables…) ?
Il nous est arrivé d’entendre un procureur asséner dans ses réquisitions
(faussement d’ailleurs, avec autant d’autorité, apparente, que d’incompétence,
réelle), des arguments de droit à l’appui de sa démonstration juridique de
l’existence de l’infraction, avec d’abondantes citations d’arrêts et de
doctrine tirées du droit civil et non pas du droit pénal ; ne serait-il
pas normal que dans ces cas au moins (à vrai dire exceptionnels), les parties aient
connaissance de ces réquisitions avant de plaider, ne serait-ce que pour
pouvoir vérifier la pertinence de la jurisprudence invoquée[21] ?
- Enfin, s’agissant des
juridictions du fond civiles, la question ne se pose à vrai dire pas si l’on
veut bien se souvenir que dans toutes les affaires où il est partie jointe, le
Ministère public s’en remet toujours à la sagesse du tribunal, ne présentant
pas véritablement d’arguments, de conclusions étayées. Néanmoins, la Cour
européenne a exigé que le demandeur à une indemnité pour une détention
injustifiée obtienne communication des observations du procureur général de la
cour d’appel et qu’il ait la possibilité d’y répondre[22].
A vrai dire, le parquet était ici partie principale et devait être traitée
comme toute autre partie en demande ou en défense à l’égard de son adversaire.
Encore faut-il que la transmission des conclusions du
Ministère public soit accompagnée de la possibilité, pour les parties, d’y
répondre. C’est la question des notes en délibéré, avec la possibilité donnée
réellement aux parties de répondre effectivement aux conclusions du Ministère
public.
B) la démocratie procédurale à l’aune de la note en délibéré : le droit de discuter l’information en provenance du tiers intéressé
La Cour européenne, reprenant la solution donnée dans les
affaires concernant la Cour de cassation, va se contenter, pour ne pas
condamner la France de ce chef pour non-respect du contradictoire, de la
pratique de la note en délibéré : « il
n’est pas contesté que les parties peuvent répliquer, par une note en délibéré,
aux conclusions du commissaire du gouvernement, ce qui permet, et c’est
essentiel aux yeux de la Cour, de contribuer au respect du principe du
contradictoire » (§ 76, al. 1). Et d’ajouter que « au cas où le commissaire du gouvernement invoquerait oralement à
l’audience un moyen non soulevé par les parties, le président de la formation
de jugement ajournerait l’affaire pour permettre aux parties d’en
débattre » (§ 76, al. 2).
a)
Ce satisfecit ne nous paraît pas justifié et c’est pourquoi nous n’avons parlé
que d’une « demie » leçon de démocratie procédurale. Dans la pratique
en effet, la note en délibéré, alibi du respect du contradictoire, est élaborée
à l’issue de l’audience, sans même que les avocats aient eu la possibilité de
lire les conclusions, ce qui est tout de même différent d’en prendre
connaissance par l’audition, à l’audience, de l’exposé oral du Ministère
public, surtout lorsqu’elles sont soigneusement préparées, élaborées et
rédigées (et c’est le cas dans les affaires les plus importantes quand on
connaît la qualité éminente des membres de ce Ministère public). En outre, les
avocats (ne parlons même pas des parties sans avocats) devront les rédiger dans
la précipitation, sur un coin de table ; ce n’est pas sérieux pour les
parties, eu égard aux intérêts procéduraux en cause et au respect de la
démocratie procédurale ; ce n’est pas digne non plus de la fonction
d’avocats aux Conseils, avocats « hautement
spécialisés » selon la formule de la Cour européenne. Certains des
juges de la formation ayant rendu l’arrêt Kress
ont perçu cette double injure faite aux parties et aux avocats par l’admission
de cette demie mesure, cette sorte de tolérance que l’on veut bien octroyer aux
justiciables, du haut de sa bienveillance ; ce n’est pas du droit
effectif, même si c’est devenu un droit avec les arrêts de la Cour européenne.
Trois juges en effet, Casadevall, Rozakis et Tulkens, ont exprimé l’avis, dans
une opinion concordante, que la conception actuelle de la note en délibéré ne
suffit pas à garantir, à elle seule, le respect du principe du contradictoire,
même si elle peut y contribuer ; elle pourrait y contribuer davantage « si ses modalités d’exercice étaient
améliorées et si le juge administratif avait l’obligation d’en tenir
compte ». Ces réserves, cette leçon de démocratie procédurale ont été
entendues, pour partie, par la Cour européenne, par le Conseil d’Etat et par la
Cour de cassation.
b) Dans deux arrêts du 21 mars 2002, A.P.B.P. c/ France et Immeubles
groupe Kosser c/ France, la Cour européenne va poser des conditions au
dépôt d’une note en délibéré : autorisation de déposer une telle note
indépendamment de la décision éventuelle du président de la juridiction
d’ajourner l’affaire ; délai suffisant pour la rédiger ; visa dans
l’arrêt de l’existence d’une note en délibéré.
Quant au Conseil d’Etat, il estime
désormais que lorsque le juge administratif (pas seulement le Conseil d’Etat)
reçoit une note en délibéré, il doit toujours en prendre connaissance et prouver,
par un visa dans l’arrêt, que cette obligation a été respectée ; il peut
en outre, s’il le juge utile rouvrir l’instruction, au vu de cette note ;
enfin, la réouverture devient une obligation pour le juge, donc un droit pour
les parties, si de nouvelles circonstances de fait sont apparues, ignorées au
moment de la clôture de l’instruction ou si de nouvelles circonstances de droit
apparaissent que le juge aurait dû relever d’office[23].
Tout ceci est encore largement insuffisant, car les modalités de rédaction de
la note en délibéré devraient être telles, notamment dans le délai donné pour
la rédiger, que la démocratie soit effective à ce niveau de la procédure, c’est
à dire que les parties ou leurs avocats aient la possibilité de connaître,
avant l’audience les conclusions pour préparer ce qu’il conviendrait d’appeler
un mémoire en réponse et, au cas où les conclusions n’auraient pas été rédigées
avant l’audience, qu’ils soient autorisés à ne pas remettre leur note sur le
champ. Cette incongruité s’aggrave du fait que les parties n’ont pas
connaissance du texte intégral du rapport du conseiller-rapporteur et de son
projet d’arrêt, alors que le commissaire du gouvernement en a, lui,
connaissance ! En quelque sorte, la contraction du contradictoire sur une
période de temps très courte et sans connaissance du texte intégral des
conclusions se double d’une sorte de délit d’initié en la personne du
commissaire du gouvernement qui a accès à des documents que les parties ne
peuvent obtenir. On a appris le 15 novembre 2002, lors d’un colloque, par une
voix très autorisée[24],
qu’il n’était pas envisagé, au niveau du Conseil d’Etat, de revenir sur cette
incongruité et qu’il était hors de question de transposer la jurisprudence Voisine valable pour la Cour de
cassation, c’est à dire, soit de transmettre les mêmes documents, en provenance
du conseiller-rapporteur, à la fois au commissaire du gouvernement et aux
parties, soit de ne rien transmettre à chacun de ces personnages du
procès ! Le commissaire du gouvernement continue donc de recevoir des
documents en provenance de l’un des membres de la formation de jugement, alors
même qu’il ne communique pas son propre texte aux parties ou à leurs
avocats et que ceux-ci ne reçoivent pas le texte intégral du rapport du
conseiller-rapporteur! Il est, en quelque sorte, très bien informé, mais sa
science (et celle du conseiller-rapporteur) ne bénéficie pas aux principaux
intéressés que sont les justiciables. Ainsi présenté, le schéma procédural
suivi au Conseil d’Etat est encore loin de satisfaire aux exigences de dialogue
(et de loyauté) que postule la démocratie procédurale.
A l’inverse, on a entendu, par une voix
tout aussi autorisée[25],
que la Cour de cassation avait adopté une sorte de compromis dans la
transmission à l’avocat général et aux parties d’un rapport
« enrichi » (faits, doctrine et jurisprudence pertinentes, problèmes
juridiques posés, éléments de solution, éventuellement sens général de la
décision envisagée) mais non assorti du projet d’arrêt, pour éviter que le
conseiller-rapporteur ne soit éliminé du délibéré en raison du secret de
celui-ci. Quant aux conclusions de l’avocat général, les parties n’en ont
connaissance qu’à l’audience, seul le sens général leur étant préalablement
communiqué avant l’audience. Elles y répondront par une note en délibéré.
L’extension de la représentation obligatoire devant la Cour de cassation, comme
cela a été suggéré[26],
permettrait sans doute de progresser dans une circulation pleine et entière des
documents entre le conseiller-rapporteur, l’avocat général et les avocats aux
Conseils et dans la voie d’une note en délibéré rédigée sereinement.
Heureusement, avec le maintien de telles pratiques, que
le commissaire du gouvernement ou l’avocat général ne participent plus au
délibéré de la formation de jugement.
III - La démocratie procédurale dans la protection des juges en leur délibéré : le respect du principe de loyauté
La
démocratie procédurale postule encore de ne pas biaiser dans le respect du
délibéré des seuls juges, la théorie des apparences venant les protéger eux,
donc la Justice, et pas seulement les justiciables, contre toute intervention
extérieure : la démocratie procédurale c’est aussi la protection des juges
en leur délibéré ; il faut bien qu’un lieu de débat leur soit réservé, en
toute indépendance, sans regard extérieur.
A) Vive la théorie des apparences, garante de la loyauté du procès !
La
Cour européenne a fait appel à la théorie des apparences pour justifier son
interdiction faite au commissaire du gouvernement comme à l’avocat général, de
participer au délibéré de la formation des jugements : « la Cour conçoit en outre qu’un
plaideur puisse éprouver un sentiment d’inégalité si, après avoir entendu les
conclusions du commissaire dans un sens défavorable à sa thèse à l’issue de
l’audience publique, il le voit se retirer avec les juges de la formation de
jugement afin d’assister au délibéré dans le secret de la chambre du
conseil » (§ 81, al. 3). Certains se sont gaussés de l’appel à cette
théorie qui ne serait qu’une « apparence
de théorie ». On s’étonne de leur étonnement, surtout venant de
juristes : qui ignore l’adage « error
communis facit jus » ? N’est-ce pas l’apparence qui est visée,
l’apparence créatrice de droits, comme elle l’est dans le cas de l’héritier
apparent, du mandataire apparent, du gérant de fait et - pour le droit public –
du comptable de fait, justiciable à ce titre des juridictions
financières ? Nous n’aurons pas la cruauté de renvoyer ceux qui critiquent
la théorie de l’apparence en droit européen aux enseignements de première année
de droit et aux thèses de doctorat rédigées et publiées sur ce sujet[27].
Mais comment la théorie des apparences pourrait-elle être connue du droit
national et ignorée du droit européen? Comment pourrait-on l’accepter
pour mieux poursuivre en gestion de fait un comptable de fait et la rejeter
lorsqu’elle concerne le fonctionnement du service public de la justice ?
Ce qui vaut pour le justiciable vaut pour la Justice dans son fonctionnement
tel qu’il apparaît aux yeux des tiers.
a) Qui plus
est, cette théorie vaut protection non seulement des justiciables mais aussi
des juges en leur délibéré :
Protection
des justiciables, car on a bien compris que c’est le soupçon d’une
participation active, donc déloyale, du commissaire du gouvernement ou de
l’avocat général pendant le délibéré, hors la présence des parties, qui plane
sur sa présence au délibéré. Ce ne sont pas les personnes de ceux qui exercent
ces nobles fonctions qui sont en cause, mais l’institution. Personne ne peut,
parmi les justiciables avoir la certitude que le représentant du Ministère
public n’aura pas une forte influence au sein du délibéré. Mieux, on a appris,
le 15 novembre 2002, par la voix même de celui qui défend la France à
Strasbourg[28],
qu’antérieurement à l’arrêt Kress, le
commissaire du gouvernement « avait
l’obligation d’assister au délibéré et le droit d’y participer avec
modération ». Il pouvait indiquer qu’on s’éloignait d’une
jurisprudence, etc.. ; bref, il avait « un
droit de parole », droit, nous a-t-on encore appris, qu’il exerçait de
manière variable selon la nature de la formation de jugement (toutes sections
confondues ou pas, etc..) ; il n’était pas un assistant passif. On ne
saurait mieux justifier la condamnation de la France dans l’affaire Kress ! Le raisonnement vaut encore
plus pour les juridictions administratives du fond, puisqu’il semblerait que le
poids du commissaire du gouvernement est encore plus fort devant elle, qu’au
sein du Conseil d’Etat, lors de l’adoption du jugement[29].
Protection
des juges ensuite : écarter le Ministère public du délibéré (sauf à
trouver une autre solution, v. infra,
B), c’est protéger les juges contre le soupçon de partialité ; c’est
protéger les juges contre le risque d’une décision qui ne serait pas crédible,
dont le justiciable pourrait penser qu’elle a été prise sous l’influence de
quelqu’un qui assistait au délibéré sans avoir droit de vote et sans preuve
extrinsèque à l’institution qu’il n’était pas intervenu lors de ce délibéré. La
théorie des apparences c’est le rideau qui tombe à l’entrée de la salle de
délibérations pour protéger nos juges, c’est le garant de la démocratie
procédurale en son principe de loyauté, dans l’enceinte la plus intime de nos
Palais de justice. Il ne faut donc point s’en moquer ; elle est l’une des
garanties de nos droits, elle est, à ce titre, la mesure de la confiance que
l’on doit avoir dans nos institutions, particulièrement dans l’institution
judiciaire.
b) Peut-on alors prétendre continuer à « faire comme
avant » ou presque, c’est à dire à permettre au commissaire du
gouvernement « d’assister » (sous-entendu passivement) au délibéré,
sans y « participer » (sous-entendu activement) ? La Cour de
cassation ne s’y est point résolue et elle a exclut l’avocat général de toute
présence au délibéré depuis le 1er octobre 2001[30].
Certains ont suggéré qu’une loi vienne dire clairement que le Ministère public
assiste au délibéré du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation[31].
Cette proposition nous paraît, pour le moins, incongrue : d’une part, la
Cour européenne pourra toujours écarter celle loi pour inconventionnalité, si
elle persiste dans son opinion ; d’autre part, il paraîtra curieux qu’une
sorte de loi de validation (pour lesquelles la Cour européenne manifeste une
aversion certaine) vienne contrecarrer sa propre jurisprudence, qui plus est à
l’instigation des juges dont les pratiques ont été condamnées ! Le Conseil
d’Etat, au contraire, suit cette pratique dans l’espoir qu’un arrêt de la Cour
européenne viendra lui donner raison, en jouant sur la composition de la Cour
puisque sept juges ont été dissidents dans l’arrêt Kress. Plusieurs arguments ont été avancés pour justifier cet
accommodement suggéré, dès le lendemain de l’arrêt Kress, par l’un de ses premiers et plus autorisés commentateurs[32].
Nous savions depuis Giraudoux (dans La
Guerre de Troie n’aura pas lieu) que « le
droit était la plus belle des écoles de l’imagination » ; de là à
se livrer à un analyse sémantique des mots utilisés par la Cour européenne,
pour distinguer et opposer « présence », « participation »
et « assistance », il y a une marge que nous ne franchirons pas pour
notre part, tant il est vrai que le soupçon de déloyauté planera tout autant
sur une assistance passive (appelons la comme on veut, cela ne changera rien à
la chose), que sur une participation active. Qui garantira le justiciable,
aujourd’hui comme hier, que cette assistance est passive puisqu’il n’y a pas de
témoins extérieurs à la juridiction? Faudra-t-il aller jusqu’à signifier
aux juges une sommation interpellative pour qu’ils affirment solennellement que
le commissaire du gouvernement a été effectivement passif ? Ce serait
faire injure à la Justice que d’en arriver à de telles solutions extrêmes. Ce
qui compte ici, ce n’est pas le mot choisi par la Cour européenne pour
sanctionner la France, mais les raisons de cette condamnation, sa
motivation : le soupçon que, hors la présence des parties, nul ne peut
garantir à celles-ci que le délibéré s’est déroulé sans l’intervention du
commissaire du gouvernement. Si l’on veut conserver la présence de ce
commissaire au délibéré, il faut élargir le cercle de ce délibéré.
b) une autre solution, fondée sur le dialogue et la loyauté du procès
Si l’on veut à tout prix faire
participer le commissaire du gouvernement ou l’avocat général au délibéré de
leur formation de jugement, sans que le soupçon de déloyauté par rapport aux
parties se perpétue, il n’y a qu’une solution : faire entrer les parties,
c’est à dire leurs avocats, dans le cercle du délibéré ! Avant de revenir
sur cette solution, y compris dans ses contraintes sur la nature des procédures
suivies devant nos deux Hautes juridictions, il faut s’interroger sur le
pourquoi d’une telle solution. Quel intérêt présenterait-elle ? On nous a
dit, toujours lors du colloque du 15 novembre, que le commissaire du
gouvernement avait besoin de cette présence (même passive) pour comprendre les
arrêts du Conseil d’Etat et la jurisprudence de cette Cour[33].
Si cela est vrai, l’argument surprend doublement et expose la France à une
cruelle condamnation : d’abord, on pourra répliquer que les arrêts du
Conseil d’Etat doivent se suffire à eux-mêmes ; il est pour le moins
curieux que l’on ait besoin d’assister au délibéré pour mieux s’imprégner du
sens profond des arrêts. Ensuite, si l’on tient pour vrai ce besoin, il vaut
aussi pour les parties, en tout cas pour les avocats aux Conseils, certes
« hautement spécialisés », mais pas au point d’avoir l’outrecuidance
de mieux comprendre la jurisprudence du Conseil que les commissaires du gouvernement.
On le voit, l’affirmation de la nécessité de la présence du Ministère public au
délibéré, débouche inéluctablement sur la question de la présence des parties
et/ou de leurs Conseils. Ce déboucher n’est pas sans risque et sans susciter de
multiples interrogations.
En premier lieu, il faut dire
nettement que cette présence se justifie mieux par l’idée de loyauté et de
dialogue, donc par un retour à notre grille de lecture (la démocratie
procédurale dans le procès en cassation), que par la formation pédagogique
et scientifique des membres du Ministère public: introduire le Ministère public
au délibéré en présence des avocats des parties, c’est d’une part, mettre les
uns et les autres en mesure de veiller à ce qu’aucun d’entre eux n’aura
d’influence sur la décision de la juridiction, l’instruction et l’audience
étant terminées ; bref, une surveillance réciproque ; c’est d’autre
part, permettre un éventuel et court dialogue pour faire préciser un point,
sans rouvrir secrètement l’audience.
Mais cette solution suppose en
deuxième lieu, pour des raisons évidentes de secret du délibéré, de dignité de
la fonction de juger, de protection des juges en leur délibéré, que les parties
elles-mêmes ne puissent pas assister à ce délibéré ; cela suppose donc une
représentation obligatoire en toute matière ; le bruit court que cette
généralisation interviendrait rapidement au sein de la Cour de cassation ;
acceptons-en l’augure, sans mésestimer le poids des syndicats qui, pour la
matière sociale, ne se satisferont peut-être pas d’une extension de l’aide
juridictionnelle pour accepter une remise en cause de la procédure sans
représentation obligatoire. Pour le Conseil d’Etat, cette solution bute sur le
recours pour excès de pouvoir, dont chacun sait qu’il s’exerce sans
représentation obligatoire ; la rendre obligatoire en la matière ne
serait-ce pas disproportionné par rapport au bénéfice attendu d’une
participation du commissaire du gouvernement au délibéré ? Ne vaut-il pas
mieux, dans ces conditions, que le commissaire du gouvernement soit exclu du
délibéré, en conformité avec la solution de l’arrêt Kress et comme la Cour de cassation le pratique désormais ?
En troisième lieu, même la présence des seuls avocats aux
Conseils (avec l’avocat général ou le Commissaire du gouvernement) au délibéré,
sans les parties, pose problème au niveau des principes, indépendamment de
toute défiance à leur égard, défiance qui serait mal venue ; d’abord,
parce que dans les procédures sans représentation obligatoire où, de fait, un
grand nombre de requérants font déjà appel, pour les assister, à des avocats de
Cour, il faudra bien admettre, par symétrie et respect de l’égalité de
traitement des deux types de procédure, que ceux-ci soient eux aussi présents
au délibéré ; ce sera, à terme, la fin du monopole des avocats aux
Conseils (car, comment refuser ensuite aux avocats de Cour d’intervenir dans
les autres matières lorsqu’ils auront été admis au délibéré des procédures sans
représentation obligatoire ?). Ensuite, au niveau des principes, il faut
bien qu’au final, à un moment ou à un autre, on laisse un espace de liberté, de
discussion, aux juges de la formation de jugement ; il faut comprendre que
ces arbitres de nos conflits doivent être protégés dans leur indépendance par
l’impossibilité pour quiconque d’imposer sa présence au délibéré ; on ne
peut pas repousser éternellement le moment où ces juges et eux seuls se
retirent pour discuter entre eux, à égalité de droit (celui de voter, que n’ont
pas précisément, le Commissaire du gouvernement et l’Avocat général) et de
devoir (celui du secret du délibéré) ; cette collégialité de collègues de
même statut est altérée par la présence d’un tiers. En définitive,
l’interdiction de la présence au délibéré de ces deux organes du procès sur le
fondement de la violation du principe de l’égalité des armes, ne permet pas,
pour rétablir cette égalité, de préconiser la solution de l’introduction des
avocats au délibéré (à supposer résolue la question des procédures sans
représentation obligatoire), car cette solution viole elle-même un autre
principe, celui de l’indépendance des juges du siège. Il faut donc que ces
juges siègent seuls en leur délibéré.
II – LES PRÉMICES DE LA DÉMOCRATIE PROCÉDURALE
synthèse de l’année 2006 au
répertoire de procédure civile
Le
chercheur qui, dans quelques décennies, se penchera sur l’année 2006,
confirmera peut-être (ou infirmera totalement !) notre perception, à la
fois des interprétations des textes existants données par l’autorité judiciaire
et des innovations retenues par les pouvoirs législatif et règlementaire dans
le champ du procès civil et du service public de la Justice au cours de cette
année, à savoir que ces solutions nouvelles se rattachent à l’idée d’une « démocratie procédurale »
naissante. Elles en constituent les prémices. Certes, nous prenons le risque
d’être démenti par les analyses ultérieures qui bénéficieront de plus de recul
que nous n’en disposons en cette fin décembre 2006, mais nous croyons pouvoir
discerner la confirmation de l’opinion que nous avions émise dès 1999[34] :
nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de
pure technique procédurale, non point parce que celles-ci seraient devenues
inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la
mondialisation qui induit une attraction de la procédure civile (et, a fortiori, pénale) à la garantie des
droits fondamentaux et une modélisation du droit du procès. De simple technique
d’organisation du procès civil (comme la société est une technique
d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres, ainsi que nous l’avions
souligné dans le Précis de Procédure
civile, dès 1991)[35],
la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la
démocratie dans notre pays[36],
mesure que la Cour européenne des droits surveille de près[37].
Ce qui vaut pour le champ du procès, vaut aussi, à un moindre degré, pour le
champ du service public de la Justice, tant il est vrai que, dans ce cas, les
résistances régaliennes sont plus fortes.
Si
l’on veut bien admettre, avec nous, que cette démocratie procédurale repose sur
ces trois piliers que constituent, ce que nous appelons, les nouveaux principes
directeurs du procès (tous contentieux confondus), on peut illustrer chacun des
ces principes par les évènements jurisprudentiels ou législatifs et
règlementaires intervenus en 2006 dans le double champ du service public de la
justice (I) et du procès civil (II) : à l’écoute, à la confiance et à la
proximité qui fondent une démocratie dans le domaine du service public de la
justice, répondent, comme en écho, le dialogue, la loyauté et la célérité dans
celui du procès. Ce sont les fondements d’une démocratie plus participative que
représentative ou d’opinion, sans que cela implique de notre part une
quelconque prise de position sur les programmes des uns et des autres en vue de
l’élection présidentielle qui ponctuera l’année 2007 !
i – la
démocratie procédurale dans le service public de la justice
Les
trois principes de cette démocratie sont, dans le domaine du service public de
la justice, l’écoute (qui favorise le dialogue), la confiance (qui fonde la
loyauté) et la proximité (qui permet la célérité) ; on les retrouve
ensemble (A) ou séparément (B et C). On ne fera que signaler ici les textes,
étudiés par ailleurs dans ce cahier, sur les administrateurs judiciaires et les
mandataires judiciaires (décret n° 2006-1709 du 23 décembre, publié au JO du 29
décembre, tant attendu, la loi étant du 26 juillet 2005), sur les avoués
(décret n° 2006-1736 du 23 décembre 2006, sur le statut des avoués et deux
arrêtés du 23 décembre 2006 en application des articles 4-5 et 4-6 du décret n°
45-0118 du 19 décembre 1945, relatifs à l’examen d’aptitude, l’ensemble au JO
du 30 décembre 2006).
a) ecoute, confiance et proximité
Un
même texte peut couvrir plus d’un seul des principes qui fondent une démocratie
procédurale :
a)
Ainsi de l’importante réforme de la saisie immobilière et de la procédure de
distribution du prix : l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 et le
décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006), appliquent, à des degrés divers,
l’ensemble de ces principes ; le lecteur trouvera un aperçu du contenu de
ces deux importantes réformes (applicables au 1er janvier 2007) dans
les Cahiers de l’actualité 2006-3, p.
12 et s. et un commentaire plus
fourni dans les Cahiers de l’actualité
2006-5, p. 3 à 20, par Anne Raymond-Grèze). On notera que le décret n°
2006-1805 du 23 décembre 2006 (mais publié au JO du 31 décembre, ce qui, pour
une réforme applicable au 1er janvier 2007, n’est guère propice à la
confiance des justiciables en la place Vendôme !), apporte quelques
retouches au décret du 27 juillet 2006, dans son article 9 auquel on renvoie
ainsi qu’au commentaire dans ce cahier. Cette réforme, largement inspirée des
travaux du groupe de travail que nous avions présidé à la Chancellerie entre
juillet 1996 et le printemps 1997 (comme quoi tout vient à point pour qui sait
attendre dix ans), ne remet pas en cause le rôle des avocats dans ce type de
procédure et n’instaure donc pas une saisie « notarialisée », mais
rapproche les parties concernées du juge, en l’occurrence le juge de
l’exécution, paradoxalement en favorisant la vente amiable, à base de dialogue
avec le juge et le créancier et de confiance dans la capacité du débiteur à
s’investir dans cette démarche. Seul l’avenir nous dira si les espoirs mis dans
cette nouvelle approche du droit de l’exécution immobilière sont confortés par
la pratique.
b) De même encore pour l’ordonnance n° 2006-673 du 8 juin
2006 qui remplace les titres I à IX de la partie législative du code de
l’organisation judiciaire par cinq nouveaux livres ; la partie
réglementaire n’a pas encore été publiée à ce jour, ce qui est d’autant plus
ennuyeux que la partie législative étant issue d’une ordonnance prise par voie
d’habilitation législative donnée au Gouvernement (sur le fondement de
l’article 38 de la Constitution), elle n’a que la valeur d’un acte
administratif (selon une jurisprudence du Conseil d’Etat), tant que la loi de
validation de l’ordonnance n’est pas promulguée. Nous voilà pourvu d’un code de
l’organisation judiciaire :
- entièrement renuméroté, avec, parfois, des formulations non identiques aux anciennes ;
- « dépouillé » de ses articles concernant les juridictions d’exception puisqu’ils sont « rapatriés » vers les codes de droit substantiel qui les concernent ; ainsi, les tribunaux de commerce sont exportés vers le code de commerce, les conseils de prud’hommes vers le code du travail, etc.. ; cette pratique est contestable, non pas tant parce que certains de ces codes ne disposent pas encore de partie réglementaire, ce qui obligera à conserver les anciens articles de la partie réglementaire du code de l’organisation judiciaire, mais parce qu’à vouloir ventiler les juridictions d’exception entre les différents codes de droit substantiel, on porte atteinte à l’unité procédurale qui les transcende ; on affiche ainsi une diversité au-delà de la spécificité de chacune, alors même que la nouvelle partie législative débute par un corps d’articles qui constituent autant de principes directeurs de l’organisation judiciaire et que les principes directeurs constitueront demain, avec la réforme de la responsabilité des magistrats, le fondement d’une action disciplinaire (v. infra) ;
- parfois maintenu en vigueur dans certaines de ses dispositions (à titre temporaire, voire à titre définitif) ;
- et sans table de concordance, tant l’exercice de son établissement relevait de la mission impossible.
Bref,
un travail bâclé qui risque de dérouter les praticiens et qui est l’antinomie
de l’écoute des professionnels du droit que doit pratiquer la Chancellerie et
de la confiance qu’elle doit inspirer aux justiciables par l’élaboration de
textes à la lisibilité parfaite.
Précisons enfin que ce
code ne constitue pas un nouveau code de l’organisation judiciaire, comme le
fut, en son temps, le Nouveau code de procédure civile ; formellement,
l’enveloppe, le contenant, restent les mêmes ; seul le contenu change.
b) la confiance dans le service public de la justice par la loyauté de ses serviteurs
C’est par une réforme de la responsabilité disciplinaire
des magistrats professionnels que le Gouvernement a entendu répondre aux
interrogations posées par l’effroyable affaire d’Outreau. Après bien des
hésitations, politiques (le Garde des Sceaux annonçant publiquement un dimanche
après-midi, devant un syndicat de magistrats réunis en congrès, que cette
question ne figure pas dans son projet, mais le Premier ministre affirmant le
contraire le soir même, sans d’ailleurs que le ministre de la Justice ne se
sente désavoué….), juridiques (le Conseil d’Etat ayant émis des réserve sur la
projet gouvernemental, au regard de l’indépendance des juges), un texte a été
voté par l’Assemblée nationale à la mi-décembre 2006, le vote par le Sénat
devant intervenir en janvier (le projet ayant été soumis à la procédure
d’urgence, il ne comprendra qu’une seule lecture). En l’état actuel du texte,
la responsabilité disciplinaire des juges pourrait être engagée pour « la violation grave et intentionnelle
d’une ou plusieurs règles de procédure constituant des garanties essentielles
des droits des parties, commises dans le cadre d’une instance close par une
définition de justice devenue définitive ». Voilà les règles de procédure
élevées au rang des fondements à un manquement, par un magistrat, de ses
devoirs professionnels ; sur le principe – et quoi qu’on dise dans les
milieux concernés – cela ne nous choque pas ; après tout, la loyauté est
retenue dans le droit disciplinaire de nombreuses professions, notamment
judiciaires et, à consulter sur le site du Conseil supérieur de la
magistrature, le recueil des décisions intervenues à l’encontre de magistrats,
on peut constater que la rubrique « loyauté », occupe déjà une bonne
place. Le garde-fou que constitue la double exigence d’une violation
« grave » et « intentionnelle », devrait rassurer ceux qui
craindraient, à juste titre, que cette voie ne soit utiliser abusivement par
des plaideurs mécontents. Faut-il rappeler enfin, que c’est sur le fondement
d’une violation du principe du contradictoire par un juge que la Cour de
cassation belge a retenu la responsabilité de l’Etat pour dysfonctionnement du
service public de la justice ? Que la Cour de Justice des Communautés européennes
retient, elle, la violation du droit communautaire par le juge national pour
fonder une action en responsabilité ? (sur ces jurisprudences, v. notre
rubrique sur les responsabilités engagées pour dysfonctionnement du service
public de la Justice, dans le Répertoire de procédure civile).
c) la proximite
On débordera un peu de 2006 sur 2007 pour signaler que
les juges de proximité font l’objet :
-
d’une
part, d’un décret n° 2007-17 du 4 janvier 2007 (intégré au décret n° 93-21 du 7
janvier 1993) sur leur formation initiale, qui est allongée : 12 jours de
formation organisée par l’Ecole nationale de la magistrature et 25 jours de
présence effective en juridiction sur une période de six mois) et leur
obligation de formation continue (cinq jours par an, obligatoire les trois
premières années).
-
D’autre
part, d’un arrêté du 4 janvier 2007, qui réglemente l’organisation du service
de ces juges et abroge l’arrêté du 15 mai 2003.
ii – la démocratie procédurale dans le procès civil
Au-delà du procès, on signalera le décret n° 2006-1805 du
23 décembre 2006 qui, pour l’essentiel, réglemente la procédure en matière
successorale et de changement de régime matrimonial (articles 1 à 3). Le même
décret transfère la procédure de prise à partie de l’ancien code de procédure
civile au Nouveau code de procédure civile (art. 366-1 à 366-9).
a) le principe de dialogue
1°) En jurisprudence
Au titre du principe de dialogue, plusieurs
arrêts (parmi de très nombreuses décisions) sont significatifs de l’importance
qu’il a prise en jurisprudence. Ainsi, par ordre chronologique, la deuxième
chambre civile a-t-elle successivement jugé :
1) le 4 janvier 2006
(pourvoi n° 04-14.080), que si le juge saisi d’une demande de taxe des dépens
exposés devant une cour d’appel, décide de tenir une audience (alors que les
articles 708 et 709, NCPC, ne lui en font point obligation), il doit convoquer
les parties, s’assurer du caractère effectif et régulier des convocations qui
leur sont adressées et organiser, au cours de cette audience, un débat
contradictoire permettant à chacune de prendre connaissance et de discuter de
toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influer sa décision ; en
somme, si le législateur n’a pas prévu un dialogue obligatoire, dès lors que
celui-ci est provoqué par le juge, il doit être complet et correspondre à vrai
dialogue.
2) Le 11 janvier 2006,
par trois arrêts rendus le même jour (pourvois n° 03-17.381, n° 03-18.577 et n°
04-11.129), que si les parties ont fait figurer dans le bordereau de pièces
annexé aux dernières conclusions (et dont la communication n’a pas été
contestée) des pièces qui sont ensuite invoquées à l’appui d’une demande mais
qui ne figurent pas au dossier du juge, ce dernier doit inviter les parties à
s’expliquer sur cette absence. Jurisprudence confirmée dans l’arrêt de la
première chambre civile du 14 novembre 2006 (pourvoi n° 05-12.102, commenté
dans ce cahier, V° Principes directeurs du procès).
3) Le 14 septembre 2006
(pourvoi n° 04-20.524), que le juge (d’instance délégué dans les fonctions de
juge de proximité) qui statue avec des motifs inintelligibles et qui écarte par
une pétition de principe certains éléments de preuve produits par le défendeur,
rompt le principe d’égalité des armes ; or, ce principe, ainsi qu’il vient
d’être démontré dans une thèse soutenue à l’université de Montpellier 1 (Gaëlle
Betrom, Le principe d’égalité des armes
au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, direction
Frédéric Sudre, 8 décembre 2006) fonde un principe de dialogue pour, peut-être,
conduire à un nouveau type de procès, le procès dialogique (c’est en tout cas
la thèse de la candidate).
4) Le 21 septembre 2006,
par douze arrêts, que le principe du dialogue devait être respecté dans la
procédure de réinscription des experts judiciaires (motivation de la décision
de refus, respect du principe de la contradiction). V. ces arrêts, annotés par
Anne Raymond-Grèze, dans les Cahiers de
l’actualité, 2006-6, p. 5 à 7.
2°) En législation
L’idée de dialogue est très présente
dans le projet de loi qui vise à introduire en droit français un recours
collectif en défense des intérêts des consommateurs qui subissent un préjudice
de masse. L’an dernier, dans cette synthèse annuelle, nous avions présenté les
circonstances qui avaient conduit le Gouvernement à mettre sur pied une
Commission de réflexion et de propositions sur ce sujet ; si la Commission
n’a pas pu aboutir à un projet unique, faisant l’unanimité de ses membres, elle
a permis au moins d’entendre tous les points de vue. Et de ces auditions est
sortie l’idée de recourir au maximum aux mécanismes procéduraux existants,
ainsi que nous l’avions suggéré devant la Commission (v. le texte de notre
intervention au Recueil Dalloz du 15
septembre 2005, p. 2180).
Dans un discours du 12 septembre 2006, la Garde des
Sceaux a présenté le projet du gouvernement en partant des conclusions du
groupe de travail qui avait remis son rapport le 16 décembre 2005. Ecartant la
voie d’une réforme des actions collectives que les associations de
consommateurs agréées peuvent exercer, ainsi que celle de la création d’une
action de groupe inspirée des systèmes des Etats-Unis et du Québec, il
privilégie une troisième voie, celle dans laquelle le groupe de consommateurs
n’est constitué que par les personnes ayant expressément entendu se joindre à
l’action. C’est en partie, mais en partie seulement (avec des ambitions plus
modestes quant à la nature et au montant du litige, ainsi que quant à l’origine
du préjudice), le système, d’essence procédurale, que nous avions présenté à la
Commission :
1) La nouvelle procédure sera confiée à des tribunaux de
grande instance spécialement désignés.
- Dans une première phase
(celle de l’amorçage du dialogue), initiée nécessairement par une association
agréée de consommateurs et représentative au niveau national (et non pas par
n’importe quel consommateur), il s’agit de favoriser les conditions du
dialogue : le juge se borne à se prononcer sur la responsabilité du
professionnel ; pas question d’introduire ici la certification (anglo-saxonne)
de l’action par le juge, d’où, en contrepartie, pour réguler l’exercice de
l’action, les garanties exigées des associations. L’introduction de cette
action paralyse l’action pénale et inverse ainsi à la règle « le criminel tient le civil en l’état ».
La représentation par avocat sera obligatoire à ce stade de la procédure. Le
juge se prononce alors sur la responsabilité du professionnel, mais sans fixer
le préjudice subi par les consommateurs, qui ne sont pas parties à l’action. Si
le juge déclare le professionnel responsable, la décision fait l’objet d’une
publicité selon les modalités fixées par le jugement (ce que nous avions
préconisé avec paiement des frais au moyen d’une provision payée par le
professionnel reconnu responsable, ce que le projet ne précise pas). Le juge
surseoit alors à statuer sur la liquidation des préjudices individuels subis
par les consommateurs pour permettre à la deuxième phase de se dérouler :
il impartit un délai aux consommateurs pour adresser au professionnel concerné
une demande d’indemnisation et fixe la date à laquelle l’affaire sera rappelée
devant lui.
- Dans un deuxième temps,
le dialogue se noue : en effet, chaque consommateur, ainsi informé, peut
présenter une demande d’indemnité au professionnel qui sera tenu de faire une
offre accompagnée d’un chèque ; en cas d’acceptation de l’offre, l’affaire
est terminée.
- Dans un troisième
temps, celui de la sanction du non-dialogue, à l’expiration du délai de sursis
à statuer, si certaines demandes d’indemnisation n’ont pas été satisfaites, le
juge reprend l’affaire, mais statue selon une procédure simplifiée et sans
représentation obligatoire ; il pourra décider de la comparution des
parties. Aux cas où aucune offre n’aurait été faite ou bien encore si elle est
jugée manifestement insuffisante, le juge pourra condamner le professionnel, au
profit du consommateur, au paiement d’une pénalité égale à cinquante pour cent
de l’indemnité allouée.
2)
Le champ de l’action est triplement limité
- Quant à la nature du
litige : ne sont concernés que les litiges relevant du droit de la
consommation ; en sont exclus ceux qui relèvent du droit du travail ou les
atteintes au droit de l’environnement. On reste sceptique sur la capacité à
distinguer les litiges relevant strictement du droit de la consommation !
- Quant à l’origine et la
nature du préjudice : seuls les préjudices d’origine contractuelle
pourront faire l’objet de cette procédure ; sont exclus, les préjudices
d’origine délictuelle ou quasi-délictuelle. En outre, seuls les préjudices
matériels et les troubles de jouissance des consommateurs nés d’un manquement
d’un professionnel à ses obligations (contractuelles) pourront être réparés
selon cette procédure. Sont exclus les préjudices corporels, ce qui, ipso facto, écarte toute possibilité de
recourir à cette procédure pour les préjudices nés d’un accident d’avion.
- Enfin, quant au montant
du litige, il convient de souligner que le projet cantonne la procédure aux
litiges dont le montant du préjudice individuel ne dépasse pas 2000 euros.
Tout ceci est bien modeste et donnera certainement lieu à
des amendements au Parlement, tant le projet est perfectible.
b) le principe de loyauté
- Bien qu’il ait été
rendu fin 2005, on ne peut pas ne pas citer un arrêt rendu en chambre mixte par
la Cour de cassation, le 16 décembre 2005 (pourvoi n° 03-12.206), qui décide
que la force de la chose jugée attachée à une décision judiciaire, dès son
prononcé, ne peut avoir pour effet de priver une partie d’un droit tant que
cette décision ne lui a pas été notifiée ; la loyauté des échanges
renforce l’esprit « dialogique » du procès.
- Le 11 janvier 2006
(pourvoi n° 04-14.305), la deuxième chambre civile parle expressément de la
loyauté des débats : « le juge
ne peut écarter des débats des conclusions et pièces communiquées par les
parties sans préciser les circonstances particulières qui ont empêché de
respecter le principe de la contradiction ou caractériser un comportement de
leur part contraire à la loyauté des débats ». Cet arrêt
confirme que la Cour de cassation souhaite intégrer le principe de loyauté dans
l’ordonnancement juridique (v. déjà l’important arrêt de la première chambre
civile du 7 juin 2005 dans la synthèse de l’an dernier) et apporte ainsi un
démenti à la doctrine qui n’entend pas le reconnaître, alors qu’il émerge de
toutes parts (v. sur ce point nos remarques au Précis de procédure civile, 28ème éd., par Serge
Guinchard et Frédérique Ferrand, Dalloz éd., oct. 2006, n° 641, c, L’émergence de nouveaux principes directeurs).
- Le 11 juillet 2006
(pourvoi n° 03-20.802), la première chambre civile a jugé, en matière
d’arbitrage, que la renonciation d’une partie à soulever une irrégularité (en
l’espèce quant à la l’existence ou la validité de la clause compromissoire),
doit s’apprécier au vu de son comportement au cours de la procédure
d’arbitrage ; et elle le fait au nom de la règle de l’estoppel, règle qui
sanctionne une obligation de loyauté procédurale, par le moyen d’une fin de
non-recevoir, apportant ainsi un nouveau démenti à ceux qui refusent encore de
voir en la loyauté un principe directeur (sur ce point, v. Précis de procédure civile, op. cit., n° 179). Elle confirme ainsi
sa jurisprudence inaugurée le 5 juillet 2005 (sur laquelle v. notre synthèse
2005).
c) le principe de célérité
a) En jurisprudence, on signalera, au titre
de ce principe :
1) L’arrêt rendu par
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 7 juillet 2006 (pourvoi n°
04-10.672). Revenant sur une jurisprudence issue d’une autre assemblée plénière
(3 juin 2004), la Cour de cassation juge désormais que « le changement de fondement juridique ne permet pas de soumettre
à un nouveau juge un litige déjà tranché par les juges du fond ».
Concrètement, cela signifie que si le demandeur s’abstient, volontairement ou
non, de soulever en première instance, un fondement juridique différent (et
complémentaire) de celui qui a servi de fondement à sa demande, il ne peut plus
ensuite, au niveau de l’instance d’appel, invoquer cet autre fondement :
il y a identité de cause des deux demandes. Si la célérité y gagne, on
regrettera tout de même que le juge ne se voit pas rappeler son obligation de
dire le droit (cf. art. 12, NCPC), donc de relever d’office cet autre
fondement ; une interprétation dynamique des pouvoirs du juge aurait
permis de concilier souci de célérité et besoin de donner aux procès la
solution juridiquement la plus adéquate. L’élargissement de la notion de cause
est considérable ; celle-ci couvre désormais des demandes ayant le même
but, mais dont le fondement juridique est différent.
2) L’arrêt de la deuxième
chambre civile qui, énonce « qu’aucun
texte ne fixant un délai de comparution devant le juge des référés, les
dispositions des articles 643 à 645 du Nouveau code de procédure civile, qui
ont pour objet d’augmenter un tel délai, ne sont pas applicables »
(Civ. 2ème, 9 nov. 2006, n° 06-10.714, commentaire dans ce cahier V°
Référé civil) ; il s’agit des délai dits de distance.
3) En contrepoint, on
signalera l’avis de la Cour de cassation sur les fins de non-recevoir qui ne
constituent pas des incidents mettant fin à l’instance visés à l’article 771,
al. 2, NCPC et qui, de ce fait, n’entrent pas dans la liste des incidents qui
relèvent de la compétence du juge de la mise en état. Une vision plus dynamique
du procès civil aurait permis, sans trop de dangers pour les parties et la
conduite des procès, que le juge puisse en connaître, accélérant ainsi le
travail de préparation de l’affaire au fond et dégageant la route des juges du
fond de tous les incidents qu’une procédure ne manque pas da faire apparaître.
La doctrine était divisée : par exemple, dans le même ouvrage collectif,
sous notre direction[38],
les opinions opposées de Jean Beauchard (en faveur de la thèse qui voit dans
les fins de non-recevoir des incidents mettant fin à l’instance[39])
et celle de Jean Paul Lacroix-Andrivet (qui anticipait sur l’avis de la Cour de
cassation[40]) ;
la divergence d’opinion, sans être recherchée dans l’ouvrage, n’en est pas
moins maintenue dès lors qu’elle participe au débat doctrinal et permet au
lecteur de se forger une opinion.
b) En législation, on trouvera de
nombreuses illustrations de ce principe de célérité. Ainsi, le décret n° 2005-
1678 du 28 décembre 2005 portant réforme de la procédure civile, applicable
depuis le 1er mars 2006 (mais dont il ne sera point question ici,
car il relève de la synthèse et des analyses de l’an dernier auxquelles nous
renvoyons) concrétise une réponse au besoin de célérité, d’une part par la
reconnaissance de pouvoirs accrus au juge de la mise en état dans l’instruction
du procès civil et, d’autre part, par les nouvelles dispositions sur la
recevabilité de l’appel si le jugement de première instance assorti de
l’exécution provisoire de droit ou ordonnée par le juge n’a pas été exécuté.
III – L’AVÈNEMENT D’UNE DÉMOCRATIE PROCÉDURALE
la
doctrine, le juge
et L’avènement d’une démocratie procédurale
Il y a quelques années de cela, en 1999,
j’avais publié un article intitulé « Vers
une démocratie procédurale »[41]. L’article se
voulait prospectif (ce que soulignait son intitulé en forme de mouvement),
au-delà de l’intuition que nous étions au début d’une profonde évolution du
rôle de la procédure civile dans nos sociétés dites développées. J’insistais
sur les métamorphoses de cette discipline sous l’influence de la garantie des
droits et concluais par l’idée qu’au final la procédure c’était « la
garantie de la garantie des droit ».
Pour sensibiliser mes étudiants de
doctorat à ces métamorphoses, notamment à la mondialisation des sources et des
concepts, je demandais à Shlomo Levin
d’accepter, malgré ses lourdes charges à la Cour suprême d’Israël de venir leur
parler du système judiciaire israélien, dans une perspective de modélisation
des procédures tant civiles que pénales, avec notamment l’influence
anglo-saxonne. Cette venue, en qualité de professeur invité par l’université
Panthéon-Assas (Paris 2), fut l’occasion d’échanges fructueux, qui se
prolongèrent, soit lors de mes séjours en Israël, soit lors de la venue de mon
ami Shlomo à Paris, pratiquement chaque année. Lorsque je discutais de cette
question avec Shlomo Levin, lors
de nos rencontres à Paris ou en Israël, il se montrait (et se montre encore)
intéressé par cette idée que la procédure, cette technique souvent mal aimée, peut
aider à la construction d’une démocratie, que je qualifie, pour cette raison,
de procédurale.
Treize ans ont passé et les prémices de
cette évolution se sont depuis confortées, mais si les idées développées dans
cet article se sont affinées, c’est en grande partie grâce à l’apport de Shlomo
Levin, par la justesse de ses
observations, sa connaissance de plusieurs systèmes juridiques, son sens
pratique né du terrain et sa curiosité intellectuelle toujours en éveil et
jamais prise en défaut. Si le thème de cet article est bien celui de
l’avènement d’une démocratie procédurale, son contenu est dû à la confrontation
de la doctrine que je qualifie de processualiste humaniste, à l’expérience d’un
juge profondément humain.
Le point de départ de cette réflexion est
que, progressivement, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, mais le
mouvement s’est accéléré, en France, avec la publication du précis Dalloz de
droit processuel en 2001[42], la procédure
civile a changé de visage. Elle n’est plus le droit des procéduriers qui
réfléchissent à leur discipline en scrutant leurs aspects de pure technique
procédurale, voire en étudiant les trois théories de l’action, de la
juridiction et de l’instance, mais le droit de ceux qui s’intéressent aux sources
communes d’inspiration de tous les contentieux, à leurs fondements, aux
principes de droit naturel qui s’imposent dans la conduite de tous les procès.
En effet, le droit processuel d’aujourd’hui dépasse la simple comparaison des
contentieux administratif, civil et pénal et se trouve irrigué par des
standards communs à tous les procès, nationaux ou internationaux, peu important
qu’ils relèvent de la matière civile ou de la matière pénale, standards
provenant de sources internationales, pour l’essentiel européennes, mais aussi
de sources constitutionnelles. Le droit processuel étant devenu le droit commun
du procès, de tous les procès, la procédure civile n’a pas échappé à ce
mouvement et a bénéficié de cet apport, de ce renouvellement de la pensée processualiste,
en provenance notamment de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme.
De cette évolution, la doctrine qui
l’épouse et la crée tire sa force et sa légitimité qui s’imposent
progressivement parce qu’elles s’enracinent dans la protection des droits et
libertés fondamentaux. Cette doctrine, que nous qualifions de
« processualiste humaniste », prend une part croissante dans la
construction, au quotidien, de la garantie des droits (I). Elle contribue à
faire émerger des principes structurants (II) qui dessinent les contours de la
démocratie procédurale de demain (III).
Cette
doctrine est exponentielle, car, avec le développement du concept de procès
équitable, elle ne connaît pratiquement pas de limites. Elle est prospective,
car elle fonde une vision futuriste de la démocratie procédurale.
I
- la part de la doctrine processualiste humaniste dans la construction de la
garantie des droits
A) Par doctrine humaniste processuelle, nous n’entendons
pas la doctrine processualiste classique qui voyait dans le droit processuel
une « œuvre doctrinale [qui] s’élève à un degré supérieur de généralité
par la comparaison des divers types de procès[43] », celle sur
laquelle plane l’ombre majestueuse et l’empreinte magistrale
d’Henri Motulsky, ce maître incontesté du droit du procès, jamais égalé,
jamais remplacé. Cette vision n’est pas périmée, mais dépassée, car en plus de
quatre-vingts ans (de Visioz en 1927, à aujourd’hui), elle n’a conduit à
rien, si ce n’est à disserter au mieux sur le droit d’action comparé du
ministère public et des groupements en contentieux administratif, civil et
pénal, au pire à se demander pourquoi les délais n’étaient pas les mêmes pour
agir dans chacun de ces trois contentieux. Surtout, elle ne conduit pas à
s’interroger sur les fondements de la procédure civile eu égard aux besoins
ressentis par les citoyens dans toutes les formes de démocratie moderne
(besoins d’écoute, de confiance et de proximité) et aux légitimes aspirations
des justiciables (aspirations au dialogue, à la loyauté du débat judiciaire et
à la célérité de la justice). C’est en ce sens que la seule comparaison des
trois grands contentieux est dépassée, « ringardisée » : que
peut-elle apporter aux justiciables qui aspirent à l’effectivité de leurs
droits et non pas à une construction intellectuelle, aussi réussie soit-elle,
d’une théorie générale du procès ? Loin de nous l’idée de renier l’apport
de cette réflexion à la doctrine juridique ; mais force est de
constater qu’elle n’apporte rien au droit de la procédure civile, au sens du
droit des justiciables à voir le législateur et les juridictions assurer
l’effectivité de leurs droits, par des mesures concrètes et pas seulement par
de belles envolées lyriques sur les trois grandes théories de l’action, de la juridiction
et de l’instance.
B) C’est ce volet « protection des
droits fondamentaux » qui a aujourd’hui considérablement transformé la
technique procédurale civile. Progressivement, tout un droit commun du procès
se construit sous nos yeux, par l’impulsion que donnent à tous les contentieux,
au-delà de leurs divergences congénitales, les sources supra-législatives de ce
droit. Le droit processuel, en tant que droit commun du procès équitable est
devenu le droit qui garantit la garantie des libertés et droits fondamentaux.
On assiste actuellement, sous l’influence conjuguée des normes
supra-nationales, mais aussi des auteurs tant français qu’étrangers qui
s’intéressent à ce mouvement d’internationalisation et de
constitutionnalisation des procédures et qui le conceptualisent, à la création
progressive, mais inéluctable, d’une science de la procédure, d’un nouveau
droit processuel envisagé comme un droit commun à tous les types de
contentieux.
a)
L’apport de la doctrine contemporaine est essentiel dans cette reconstruction
du droit processuel ; elle va soutenir ce mouvement, parfois le précéder,
par ses enseignements et ses écrits, en dégageant trois aspects du droit à un
procès équitable, quel que soit le type de contentieux, donc y compris celui
qui est régi par la procédure civile :
– le droit à un juge (et l’effectivité de
ce droit par la levée de tous les obstacles d’ordre financier et
juridique) ;
– le droit à un bon juge, par des
garanties d’ordre institutionnel (unité ou dualisme des juridictions ;
unité ou collégialité des juridictions ; indépendance et impartialité du
juge ; laïcité des juridictions ; une langue comprise des
justiciables) et d’ordre procédural, avec une procédure publique, rapide et
équitable, au sens de l’exigence d’un jugement motivé, du respect des principes
d’égalité des armes et de principe de la contradiction ;
– le droit à l’exécution de la décision du
juge.
C’est
le fameux triptyque que la Cour européenne des droits de l’homme a
progressivement dégagé de l’article 6, § 1 de la Convention du même
nom et dont les deux arrêts phares sont Golder
contre Royaume-Uni et Hornsby contre
Grèce. Il n’a plus grand-chose à voir avec la conception classique du droit
processuel.
b)
Il serait erroné de croire que ce droit processuel humaniste ne concerne pas la
procédure civile. Les arrêts de la Cour EDH ont démontré le contraire :
qui eût cru que des articles du code de procédure civile allaient donner lieu à
des arrêts de condamnation de la France sur le fondement du droit à un procès équitable ?
On pense notamment aux articles 619 sur les moyens nouveaux[44], 979[45], 1009-1[46], du code de
procédure civile, au principe d’être jugé dans un délai raisonnable avec
l’examen, sur ce terrain, de l’usage que fait le juge de la mise en état des
pouvoirs que le code lui confère[47].
II
- la part de la doctrine processualiste humaniste dans l’émergence de nouveaux
principes structurants
Si,
en partant des grandes évolutions de notre société, des attentes nouvelles des
justiciables, on recherche un dénominateur commun à tous les contentieux, dans
une perspective prospective, quels sont les principes directeurs susceptibles
de se dégager en ce début de siècle ? Avec le risque d’en oublier ou, plus
exactement de minimiser certaines évolutions, nous avons avancé l’idée, dès
1999, que trois principes structurants se profilent derrière les principes
directeurs actuellement retenus dans chaque type de contentieux, principes qui
correspondent à des besoins nouveaux, tels que les expriment les justiciables
et les citoyens :
– un besoin de confiance dans
l’institution justice et de respect de l’Autre, d’où un principe (structurant)
de loyauté, notamment dans la recherche de la preuve ;
– un besoin d’écoute de l’Autre, qu’il
s’agisse des parties ou du juge, voire de tiers, d’où un principe (structurant)
de dialogue entre les parties et entre celles-ci et le juge ;
– un besoin de proximité enfin, mais pas
forcément dans l’espace, le temps mis à parcourir une distance se substituant à
la proximité géographique, d’où un principe, lui aussi structurant, de
célérité.
Le
lecteur intéressé par ces nouveaux principes et cette doctrine qui les porte en
trouvera un exposé détaillé dans le précis Dalloz de droit processuel déjà cité[48].
Ce
sont les principes directeurs de demain, des principes émergents, ce qui
signifie qu’ils ne sont pas encore acceptés par tous. Ils structurent
l’ensemble des contentieux[49] et il faut les
« inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de justice[50] ». Ils
traduisent l’avènement d’une démocratie procédurale[51].
III
- la part de la doctrine processualiste humaniste dans l’avènement d’une
démocratie procédurale
Avec
l’émergence de ces trois principes structurants, nous croyons pouvoir discerner
la confirmation de l’opinion que nous avions émise dès 1999[52] : nous
sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de pure
technique procédurale, non point parce que celles-ci seraient devenues
inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la
mondialisation (qui induit une attraction de la procédure civile à la garantie
des droits fondamentaux) et à la lumière d’une modélisation du droit du procès.
De simple technique d’organisation du procès civil (comme la société est une
technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres, ainsi que nous
l’avions souligné dans le Précis de
Procédure civile, dès 1991[53]), la procédure
est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la démocratie dans
notre pays[54], mesure que la
Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[55]. Sous ce regard,
les juristes d’aujourd’hui, en tout cas ceux qui s’intéressent à la garantie
des droits fondamentaux ne commenteraient certainement pas de la même façon des
jugements tels que ceux commentés par Visioz sur les actions déclaratoires visant
des juifs ; on regrettera que cet éminent auteur, comme tant d’autres, mais
à la plume par ailleurs si acerbe[56], ne soit pas allé
jusqu’à critiquer le statut vichyste des juifs, à l’occasion de son
commentaire, technique, purement technique, de jugements sur des actions
déclaratoires « de la race juive[57] », dont l’expression
à elle seule, fait froid dans le dos ; triste illustration de la doctrine
grise des années noires de la France. Il est certain que l’éclairage actuel du
droit processuel humaniste ne laisserait pas passer cette froide vision du
droit d’accès à un juge.
Ce
qui vaut pour le champ du procès, vaut aussi, à un moindre degré, pour le champ
du service public de la Justice, tant il est vrai que, dans ce cas, les
résistances régaliennes sont plus fortes.
La
procédure civile réintègre ainsi pleinement le champ du service public de la
justice et la doctrine ne peut ignorer ce phénomène. On est loin de
l’annotation du formalisme procédural. La doctrine participe désormais à
l’avènement de la garantie des droits, à l’instauration d’une démocratie
procédurale. Il reste au juge, à la fois inspirateur et collaborateur de cette
doctrine, à la conforter dans sa vision, autrefois prémonitoire, aujourd’hui
communément admise ou presque, d’un droit processuel humaniste.
IV – LA DÉMOCRATIE PROCÉDURALE SOUS LE REGARD DE LA LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE
DE PIERRE ROSANVALLON
un juge,
acteur de la construction d’un nouveau modèle procédural et d’une nouvelle
démocratie
(troisième partie des propos conclusifs au tgi de
paris sur
« le
juge à l’écoute du monde », le 27 mars 2013)
Ce qui m’a frappé dans les mots et les
concepts qui émergent dans les rapports de vos quatre groupes de travail, c’est
de retrouver ceux que j’utilise depuis 15 ans maintenant pour faire émerger la
notion de principes structurants de l’instance (A) et la notion de démocratie
procédurale (B) : ce sont ceux d’écoute,
de dialogue, de loyauté, de proximité et
de célérité, le groupe n° 2 allant
même jusqu’à utiliser les cinq dans le même rapport, ce qui n’est pas
surprenant puisqu’il s’est plus particulièrement intéressé aux procédures
elles-mêmes, qu’elles soient civiles ou pénales. Ce concept de démocratie
procédurale que nous défendons depuis 1999 trouve un écho dans celui de
légitimité démocratique que l’on trouve développé dans un ouvrage de Pierre
Rosanvallon édité en 2008[58]
(C).
A) l’émergence de principes
structurants de l’instance
Ce n’est sans doute pas un hasard
si ces notions rejoignent les trois principes structurants qui se
profilent derrière les principes directeurs actuellement retenus dans chaque
type de contentieux, principes qui correspondent à des besoins nouveaux, tels
que les expriment les justiciables et les citoyens :
– un besoin de confiance dans
l’institution Justice et de respect de l’Autre, d’où un principe (structurant)
de loyauté, notamment dans la recherche de la preuve ;
– un besoin d’écoute de l’Autre, qu’il
s’agisse des parties ou du juge, voire de tiers, d’où un principe (structurant)
de dialogue entre les parties et entre celles-ci et le juge ; votre groupe
2 l’a particulièrement mis en exergue dans la conduite de l’instruction des
affaires et même dans l’élaboration du jugement.
– un besoin de proximité enfin, mais pas
forcément dans l’espace, le temps mis à parcourir une distance se substituant à
la proximité géographique, d’où un principe, lui aussi structurant, de célérité.
Ce
sont les principes directeurs de demain, des principes émergents, ce qui
signifie qu’ils ne sont pas encore acceptés par tous. Ils structurent
l’ensemble des contentieux[59]
et il faut les « inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de
justice[60] ».
Ils traduisent l’avènement d’une démocratie procédurale[61].
B)
l’émergence d’une démocratie procédurale
Avec l’émergence de ces trois principes
structurants, je discerne la confirmation de l’opinion émise dès 1999[62] :
nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de
pure technique, non point parce que celles-ci seraient devenues inutiles, mais
parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la mondialisation (qui
induit une attraction de la procédure à la garantie des droits fondamentaux) et
à la lumière d’une modélisation du droit du procès.
De simple technique d’organisation du
procès (comme la société anonyme est une technique d’organisation de
l’entreprise, parmi d’autres), ainsi que nous l’avions souligné dans le Précis de Procédure civile, dès 1991[63],
la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la
démocratie dans notre pays[64],
mesure que la Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[65].
Et plus les exigences de gestion des flux, plus les garanties s’étoffent et
prennent de l’importance.
La procédure
réintègre ainsi pleinement le champ du service public de la Justice et une
certaine doctrine n’ignore plus ce phénomène, même si une autre continue de se
perdre dans les marécages des approches de pure technique juridique et de la
comparaison des trois grands types de procédure, administrative, civile et
pénale, alors que tout autour de nous le monde bouge et vous pousse à réfléchir
sur votre office au XXIème siècle. On est loin de la stricte application par le
juge du formalisme procédural et de son annotation par la doctrine, alors que
la communication électronique bouleverse nos habitudes et que le rôle de la
doctrine est de dégager des principes qui transcendent ces aspects purement
formels. La doctrine et vous juges du TGI de Paris, participez désormais à
l’avènement de la garantie des droits, à l’instauration d’une démocratie
procédurale. Il vous reste à vous juges, à la fois inspirateur et collaborateur
de cette doctrine, à la conforter dans sa vision, autrefois prémonitoire,
aujourd’hui communément admise ou presque, d’un droit processuel humaniste.
c) démocratie procédurale et
« légitimité démocratique » de pierre rosanvallon
a) Dans le
deuxième volet de son enquête sur les mutations de la démocratie au XXIème
siècle, La légitimité démocratique –
Impartialité, réflexivité, proximité,
Pierre Rosanvallon propose une histoire et une théorie de cette
« révolution de la légitimité »[66].
L’idée est ainsi exposée dans la présentation de l’ouvrage : « l’élection ne garantit pas qu’un
gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. Le verdict
des urnes ne peut donc être le seul étalon de la légitimité. Les citoyens en
ont de plus en plus fortement conscience. Une appréhension élargie de l’idée de
volonté générale s’est ainsi imposée. Un pouvoir n’est désormais considéré
comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et
de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression
majoritaire ».
b) Comparée à
l’idée de démocratie procédurale, on voit aisément ce qui rapproche les deux
théories. De la même façon que la démocratie procédurale repose sur le
triptyque des trois principes structurants du droit processuel que sont la
confiance (d’où la loyauté), le dialogue (d’où la contradiction) et la
proximité (d’où la célérité), un pouvoir démocratique « doit se plier à un triple impératif de mise à distance des
positions partisanes et des intérêts particuliers (légitimité d’impartialité),
de prise en compte des expressions plurielles du bien commun (légitimité de
réflexivité) et de reconnaissance de toutes les singularités (légitimité de
proximité) ». Quelques rapprochements s’imposent, à ces trois niveaux
de l’analyse pour souligner la place que prend le droit processuel (au sens où
nous l’entendons) dans la recherche de la légitimité d’un pouvoir démocratique.
1) S’agissant de
la « légitimité d’impartialité », l’exigence est éminemment
processuelle dans son affirmation et procédurale dans sa mise en œuvre. Pierre
Rosanvallon reprend la distinction, classique chez les juristes, de
l’indépendance qui est un statut et de l’impartialité qui est, pour lui
« une qualité » (p. 150-151), pour nous « une vertu »[67].
Et ce sont les autorités administratives indépendantes qui sont l’objet de la
démonstration du savant auteur (p. 139 et s.) à la recherche de ce qui
caractérise leur légitimité, puisque, par hypothèse, elles ne sont pas élues.
Le choix de cet exemple est particulièrement révélateur puisque ce sont ces
autorités qui ont posé le plus de problèmes en jurisprudence quant à leur
impartialité[68] !
Notre rapprochement trouve ici toute sa justification.
2) S’agissant de
la « légitimité de réflexivité », le rapprochement est moins évident
au premier abord, puisque nous insistons sur le dialogue et Pierre Rosanvallon
sur « la prise en compte des expressions plurielles du bien commun ».
Pourtant, on ne peut manquer d’être frappé par l’exigence de dialogue avec le
législateur que sous-tend l’analyse à laquelle procède Pierre Rosanvallon, de
l’intervention des cours constitutionnelles dans l’élaboration de la loi (cf.
p. 217 et s.) ; or, ce dialogue est particulièrement mis en évidence
aujourd’hui en France avec l’instauration de la question prioritaire de
constitutionnalité et Guillaume Drago l’avait déjà relevé dans sa thèse[69]
en parlant d’une coproduction de la loi par le Parlement et le Conseil
constitutionnel dans le contrôle de constitutionnalité a priori.
3) Enfin, en ce
qui concerne la « légitimité de proximité », il est très intéressant
de rapprocher cette exigence dans la démocratie procédurale telle que nous la
voyons, de ce qu’écrit Pierre Rosanvallon (pages 265 et s.) à propos de la
légitimité d’un pouvoir démocratique. Ainsi, page 269 et s., l’auteur montre
que selon les travaux de Tom Tyler la légitimité des agents publics est
fonction des qualités de « justice procédurale » attachées à leur
comportement. En d’autres termes et selon une « grande étude menée en 1984 à Chicago auprès d’individus ayant eu
personnellement maille à partir avec la police et la justice », il
résulte que « ces individus ont un
regard sur l’institution qui n’est que faiblement corrélé avec la nature
des sanctions qui leur avaient été infligées. Si la satisfaction des individus
dépendait évidemment, au premier chef,
du verdict prononcé, leur appréciation de la légitimité de l’institution
judiciaire était, elle, fondée sur un autre critère : celui de la
perception de l’équité du procès ». L’équité de la procédure légitime
le fond d’une sentence.
Ainsi, dans toutes
ses composantes, la justice procédurale est au service de la démocratie et le
droit processuel européen, voire universel, est le marqueur qui, tout à la
fois, structure la démocratie procédurale et légitime le pouvoir démocratique.
En guise de conclusion
Vous
êtes, par l’exercice de vos trois fonctions régaliennes, des régulateurs de
flux, c’est-à-dire des gestionnaires de contentieux, mais aussi les protecteurs
de ceux qui actionnent le devoir de protection juridictionnelle que l’état doit à chaque citoyen et les
gardiens des libertés fondamentales.
-
Devenez
dès à présent, des visionnaires du monde de demain que vous construisez, à
« l’écoute de ce monde » qui fut le thème central de vos travaux et
dont vous ne devez pas avoir peur.
-
Soyez
les acteurs d’une nouvelle démocratie, à base de procédure parce que celle-ci
porte en elle les idées de confiance qui fonde la loyauté, d’écoute de l’Autre
qui implique le dialogue contradictoire et la proximité dans la célérité de vos
jugements.
[1] Sans prétendre être exhaustif et dans l’ordre
chronologique de parution : Sudre, JCP 2001, II, 10578. B. Favreau,
Journal des droits de l’homme, supplément au n° 56 du 9 août 2001 des Annonces
de la Seine. Fr. Rolin, AJDA, 20 juill./ 20 août 2001, 675. G. Cohen-Jonathan,
Juris-classeur Europe Traité, fasc. 6520 à 6522. Joël Andrintsimbazovina, D.
2001, 2611. R. Drago, D. 2001, 2619. B. Genevois, RFDA 2001, 991. J. Fr.
Flauss, Petites affiches, 3 octobre 2001, p. 13. J. Louis Autin et Fr. Sudre,
RFDA 2001, 1000. S. Deygas, Procédures, nov. 2001, n° 223. J. P. Marguénaud,
Dr. et proc. nov. 2001, 374. Fl. Benoît-Rohmer, RTDEur. 2001-4, 727. D.
Chabanol, AJDA, janv. 2002, 9. M. Eudes, JDI 2002-1, 255. X. Prétot, RDP
2001-4, 983. G. Gonzalez, RDP 2002-3, 684. L. Sermet, RTDH 2002, 223. M.
Puechavy, Journal des droits de l’homme, supplément au n° 50 du 5 août 2002 des
Annonces de la Seine. G. Cohen-Jonathan, Gaz. Pal. 5 oct. 2002. O. Gohin,
Contentieux adm., Litec, 3ème éd., 2002, n° 349. Antériurement à
l’arrêt Kress : V. Haïm, D.
1999, chron. 201. B. Genevois, RFDA 2000-6, p. 1207. Joël Andriantsimbazovina,
D. 2001, chron. 1188. Numéros 1 et 2 de la RFDA 2001
[2] Serge Guinchard, Justices 1999, nouvelle série, n° 1,
p. 91 et aussi, Précis de droit processuel, Dalloz, 2ème éd.,
février 2003, n° 541 et s. (avec Monique Bandrac, Mélina Douchy, Frédérique
Ferrand, Xavier Lagarde, Véronique Magnier, Hélène Ruiz Fabri, Laurence
Sinopoli et Jean-Marc Sorel).
[3] V. à cet égard, la première séance de l’excellent
séminaire organisé en 2001-2002 sur ce sujet par le laboratoire de sociologie
judiciaire de l’université Paris 2, même si toutes les sensibilités
processuelles n’étaient pas vraiment représentées…
[4] CEDH, 10 octobre 2002.
[5] D. Chabanol, Théorie de l’apparence ou apparence de
théorie ? AJDA janvier 2002, p. 9.
[6] V. notamment, avec toute l’autorité qui est la sienne,
la position de M. Bruno Genevois, RFDA 2001, 991.
[7] Type de commentaire auxquels se sont astreints la
plupart des commentateurs, à l’exception notable, même si nous ne sommes pas
exhaustifs, du récipiendaire de ce recueil de Mélanges (in Gaz. Pal. 5 octobre 2002).
[8] Serge Guinchard, Justices 1999, nouvelle série, n° 1,
p. 91.
[9] Nous utilisons volontairement une terminologie en
usage devant les juridictions répressives.
[10] Serge Guinchard, Justices 1999, nouvelle série, n° 1,
p. 91, préc. et aussi, Précis de droit processuel, Dalloz, 2ème éd.,
février 2003, préc., spéc. n° 541 et s.
[11] Sur cette distinction, Hervé Croze, Mélanges Perrot,
Dalloz, 1995, 49.
[12] Pour le droit privé, Serge Guinchard, Mégacode
commenté de procédure civile, 2ème éd., 1999, ss. art. 1er,
n° 022 à 036 ; Procédure civile, dalloz, 26ème éd., 2001,
n°484. Pierre Chevalier, Jurisclasseur de procédure civile, fasc. 105. Cornu et
Foyer, Procédure civile, PUF, 3ème éd., 1996, p. 380.Etudes Vizioz,
p. 157 et s. Wiederkehr, Qu’est-ce qu’un juge ? Mélanges Perrot, Dalloz,
1995, 575. Pour le droit administratif : Kornprobst, La notion de partie
et le recours pour excès de pouvoir, Paris, 1959.
[13] Propos tenus par certains au colloque organisé le 15
novembre 2002 au Barreau de Paris par la Faculté de droit de Saint-Maur sur le
Ministère public et les exigences du procès équitable.
[14] Ibid.
[15] Colloque organisé le 15 novembre 2002 au Barreau de
Paris par la Faculté de droit de Saint-Maur sur le Ministère public et les
exigences du procès équitable.
[16] V. par ex. Arnaud Lyon-Caen, in Mélanges Drai, Dalloz, 1999.
[17] B. Genevois, colloque précité de la Faculté de droit
de Saint Maur.
[18] B. Genevois, colloque précité de la Faculté de droit
de Saint Maur.
[19] Intervention de Bruno Genevois au colloque précité et
déjà in RFDA 2001, spéc. p. 998, col.
droite.
[20] V. sur la « participation active » du
commissaire du gouvernement à l’adoption du jugement devant les juridictions du
fond, Fr. Rolin, AJDA 2001, p. 677.
[21] V. l’exemple, tiré d’un cas vécu, cité par Guinchard
et Buisson, Procédure pénale, 2ème éd., 2002, n° 387, spéc. p. 407.
[22] CEDH, 24 nov. 1997, Wernerrs c/ Autriche, série A, n° 282 ; JCP 1998, I, 107, n°
27, obs. Sudre.
[23] CE, 12 juillet 2002, M. et Mme Leniau. Propos tenus par M. Bruno Genevois au colloque
précité de la Faculté de droit de Saint-Maur le 15 novembre 2002. Et déjà
l’arrêt Einhom, 12 juill. 2001.
[24] Bruno Genevois, colloque précité du 15 novembre 2002.
[25] Régis de Gouttes, colloque précité du 15 novembre
2002.
[26] J. Normand, colloque précité du 15 novembre 2002.
Serge Guinchard, rapport sur Les solutions d’organisation procédurale au
colloque organisé par le TGI de Nanterre et l’Association de philosophie du
droit, 5 décembre 1995, Dalloz éd ., collec. Thèmes et documents, 1996.
[27] Parmi les plus célèbres, sans être exhaustif :
Jean Calais-Auloy, L’apparence en droit commercial. Marie-Noëlle
Jobard-Bachelier, L’apparence en droit international privé, etc..
[28] Intervention de M. Ronny Abraham au colloque précité
de la Faculté de droit de Saint Maur.
[29] Intervention de Frédéric Rolin au colloque précité de
la Faculté de droit de Saint Maur ; AJDA 2001, p. 677.
[30] Intervention du doyen Waquet au colloque précité de la
Faculté de droit de Saint Maur.
[31] Intervention de M. Ronny Abraham au colloque précité
de la Faculté de droit de Saint Maur.
[32] B. Genevois, RFDA, 2001, soéc. p. 998 et 999, col.
gauche, al. 4.
[33] Intervention de M. Ronny Abraham.
[34] Dans
la défunte revue Justices, 1999/1, p.
91, puis dans les Mélanges de
l’université Paris 2 publiés à l’occasion de l’entrée dans le troisième
millénaire, Dalloz éd., 2000 ; v. aussi, notre contribution aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant
éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de
demain ? »
[35] V.
28ème édition, par Serge Guinchard et Fédérique Ferrand, oct. 2006,
Dalloz éd., n° 61.
[36] La
procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une technique
de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. Serge Guinchard, « Le
réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la procédure
civile entre droit processuel classique, néo-classique ou européaniste et
technique d’organisation du procès », Mélanges
R. Martin, Bruylant/LGDJ, 2004
[37] V.
notre contribution aux Mélanges Gérard
Cohen-Jonathan, Buylant éd., 2004, à propos de l’arrêt Kress c France, qui nous a valu une (demie) leçon de démocratie
procédurlale.
[38]
Dalloz-Action de procédure civile, 5ème édition, sept. 2006, Dalloz
éd.
[39] N°
122-521.
[40] N°
331-182.
[41] S. Guinchard, « Vers une
démocratie procédurale », Justices,
nouvelle série, 1999/1, p. 91, repris in « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire »,
in Clés pour le siècle, Paris
II-Dalloz, mai 2000, pp. 1135-1211.
[42] Première
édition en janvier 2001, dir. S. Guinchard. 6e éd. janv.
2011, Dalloz éditeur.
[43] Cornu et Foyer, Procédure civile, 3e éd., PUF, 1996, n° 3,
p. 9.
[44]
CEDH, 21 mars 2000, Dulaurans c/
France.
[45] CEDH, 23 oct. 1996.
[46] CEDH, 14 nov. 2000.
[47] CEDH, 9 nov. 1999, Gozalvo c/ France.
[48]
Dalloz éd., 6e éd., janv. 2011.
[49] S. Guinchard, « Vers une
démocratie procédurale », Justices,
nouvelle série, 1999/1, p. 91, repris in « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire »,
in Clés pour le siècle, Paris
II-Dalloz, mai 2000, pp. 1135-1211. Et aussi, « Quels principes
directeurs pour les procès de demain ? » in Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant, 2004, qui reprend et
développe l’idée émise dès la première édition de ce précis (janv. 2001).
[50]
Selon l’heureuse formule de J.-C. Magendie, in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, 329 :
« Loyauté, dialogue, célérité, trois principes à inscrire en lettres d’or
aux frontons des palais de justice ».
[51] Pour une illustration dans l’arrêt
Kress, 7 juin 2001, à propos de la place du commissaire du gouvernement au
Conseil d’État, S. Guinchard, « Ô Kress, où est ta victoire, ou
la difficile réception en France d’une (demie) leçon de démocratie
procédurale », Mélanges
G. Cohen-Jonathan, Bruylant éd. 2004.
[52] Dans
la défunte revue Justices, 1999/1,
p. 91, puis dans les Mélanges de
l’université Paris II publiés à l’occasion de l’entrée dans le
troisième millénaire, Dalloz, 2000 ; v. aussi, notre contribution précitée
aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant
éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de
demain ? »
[53] V.
aujourd’hui la 30e édition, op.
cit. 2010, n° 66.
[54] La
procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une technique
de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. S. Guinchard,
« Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la
procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique ou
européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant-LGDJ, 2004.
[55] V.
notre contribution aux Mélanges
Gérard Cohen-Jonathan, Buylant, 2004, à propos de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une
(demie) leçon de démocratie procédurale.
[56] V.
notre article sur « La part de la doctrine en procédure civile », Revue de droit d’Assas, 2011-3, p. 73,
Lextenso éditeur et notre préface à la réédition des Etudes offertes à Henri
Visioz, Dalloz 2011..
[57] RTD civ. 1942, 309 ; 1943, 133 et 1944,
132.
[58] Seuil éditeur,
collec. Les livres du nouveau monde.
[59]
S. Guinchard, « Vers une démocratie procédurale », Justices,
nouvelle série, 1999/1, p. 91, repris in « Les métamorphoses de la
procédure à l’aube du IIIe millénaire », in Clés pour le siècle,
Paris II-Dalloz, mai 2000, pp. 1135-1211. Et aussi, « Quels principes
directeurs pour les procès de demain ? » in Mélanges J. Van
Compernolle, Bruylant, 2004, qui reprend et développe l’idée émise dès la
première édition de ce précis (janv. 2001). S. Guinchard et alii, Droit
processuel/Droits fondamentaux du procès, Dalloz, 7ème éd., 2013.
[60] Selon l’heureuse
formule de J.-C. Magendie, in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010,
329 : « Loyauté, dialogue, célérité, trois principes à inscrire en
lettres d’or aux frontons des palais de justice ».
[61]
Pour une illustration dans l’arrêt Kress, 7 juin 2001, à propos de la
place du commissaire du gouvernement au Conseil d’État, S. Guinchard,
« Ô Kress, où est ta victoire, ou la difficile réception en France
d’une (demie) leçon de démocratie procédurale », Mélanges
G. Cohen-Jonathan, Bruylant éd. 2004.
[62] Dans la défunte
revue Justices, 1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges de l’université
Paris II publiés à l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire,
Dalloz, 2000 ; v. aussi, notre contribution précitée aux Mélanges
J. Van Compernolle, Bruylant éd., 2004, « Quels principes directeurs
pour les procès de demain ? »
[63] V. aujourd’hui la
31e édition, op. cit. 2012, n° 66.
[64] La procédure est à
la fois une technique d’organisation du procès et une technique de garantie des
libertés et droits fondamentaux, v. S. Guinchard, « Le réveil d’une
belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la procédure civile entre
droit processuel classique, néo-classique ou européaniste et technique
d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant-LGDJ, 2004.
[65] V. notre
contribution aux Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Buylant, 2004, à propos
de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une (demie) leçon de démocratie
procédurale.
[66] Editions du Seuil,
2008, collection Les livres du nouveau monde, dirigée par l’auteur. Premier
volet : La Contre-démocratie, 2006.
[67] S. Guinchard et
alii, Droit processuel, op. cit., n° 340 et s. d’une part, n° 363 et s. d’autre
part.
[68] S. Guinchard et
alii, Droit processuel, op. cit., n° 366 et 375 et s.
[69] L’exécution des
décisions du Conseil constitutionnel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire