SOMMAIRE : LE JUGE D’INSTRUCTION
I – ÉVOLUTION HISTORIQUE DE SON RÔLE
II – RELATIONS ENTRE LES ORGANES DU PROCÈS PÉNAL
III – RELATIONS AVEC LE PARQUET
IV – MORT PROGRAMMÉE ?
V – REQUIEM JOYEUX POUR SA DISPARITION
VI – RESPONSABILITÉ DU JUGE D’INSTRUCTION
I – ÉVOLUTION HISTORIQUE DE SON RÔLE
Janvier 2017
L’historique
du rôle du juge d’instruction entre procédure accusatoire et procédure
inquisitoire – L’affaire d’Outreau, symbole des dysfonctionnements de
l’instruction « à la française »
Pour
simplement, ici, synthétiser l’aperçu historique et en extraire l’essentiel de
ce qui concerne le juge d’instruction, on relèvera les mouvements de balancier,
qui traduisent bien l’idée que la procédure pénale est toujours à la recherche
d’un équilibre entre la sécurité et la liberté, disons ici, entre l’intérêt de
la société, l’ordre public et les droits de la défense, recherche qui se
manifeste dans les hésitations, puis le choix d’une procédure accusatoire ou
inquisitoire ou mixte.
Que l’on en
juge :
1) En 1808,
vision prospective de ce que doit être la véritable séparation des fonctions au
sein même d’un organe judiciaire, du rôle du juge d’instruction tel qu’il
devrait être selon la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet
1996, Perquisitions de nuit (soit près de 200 ans après), le
législateur napoléonien dissocie la fonction d’enquêteur de celle de dire le
droit, de la fonction proprement et étymologiquement juridictionnelle (juris-dictio).
2)
À l’inverse, c’est un régime autoritaire et fondé sur le plébiscite (ce
qui n’a jamais constitué un critère de bonne démocratie) qui réalise la
confusion des fonctions et des genres en 1856 ; que ceux qui plaident
et militent aujourd’hui pour cette confusion se souviennent bien de la période
pendant laquelle ce système a été imposé et de la nature du régime politique de
l’époque ; à cet égard, il n’est pas étonnant que ce soit une association
très corporatiste au sens de l’Ancien Régime, des empires et autres régimes peu
démocratiques, qui défende le plus l’institution actuelle. Peut-être d’ailleurs
que l’échec du projet de la commission présidée par Henri Donnedieu de Vabres
qui tendait à revenir à une plus grande clarté dans l’exercice de la fonction
de magistrat instructeur est-il dû davantage à cette avancée démocratique
qu’il représentait sur ce point et à laquelle les esprits n’étaient pas prêts,
malgré (à cause de ?) Vichy, plutôt qu’aux aspects répressifs du projet.
3) La loi
n° 2000-516 du 15 juin 2000 réalise, enfin, cette dissociation des
pouvoirs d’investigation du juge d’instruction et de ses pouvoirs de
coercition, puisque c’est désormais le juge des libertés et de la détention qui
décide de la mise en détention provisoire, sauf le pouvoir résiduel du juge
d’instruction (jusqu’à quand ?) de maintenir en détention celui que, par
son ordonnance de règlement, à la fin de son instruction, il renvoie devant une
juridiction de jugement. Mais la réforme n’est pas passée sans heurts, à preuve
les événements politico-judiciaires de la fin de l’année 2001 mettant en
cause – et en vrac – la limitation des pouvoirs du juge d’instruction
par la nouvelle loi et le contrôle de leurs actes par la nouvelle chambre de
l’instruction, y compris au prix de la dénonciation publique d’un magistrat par
le Premier ministre de la France, à la télévision et par ses collègues au sein
du palais de justice de Paris[1] ;
quelle « indécence »[2] !
Ces événements illustrent bien le mouvement de balancier que nous évoquons
ici : dans un premier temps, la classe politique unanime vote la loi du
15 juin 2000 ; puis, certains découvrent qu’ils ne l’auraient pas
votée (alors que leur abstention, sur certains articles seulement, s’expliquait
par le fait qu’ils estimaient que le gouvernement n’allait pas assez loin dans
l’amputation des pouvoirs du juge d’instruction)[3]
et réclament son abrogation au motif d’une « bavure » judiciaire et
de la libération par une chambre d’accusation (en décembre 2000) d’un
dangereux individu, oubliant que ladite chambre avait pesé, en collégialité, le
pour et le contre et avait pris en considération la faute du juge d’instruction
qui n’avait pas bouclé son instruction dans le délai de deux ans, pour, certes,
libérer l’individu, mais en lui imposant un sévère contrôle judiciaire ;
la passion l’a emporté sur toute autre considération, le Président de
l’Assemblée nationale allant même jusqu’à réclamer des poursuites
disciplinaires contre le président de la chambre mise en cause, et le Premier
ministre parlant, à la télévision, « d’une erreur grave
d’appréciation », au mépris du respect du principe de la séparation des
pouvoirs, pour essayer de justifier le retrait de l’ordre du jour du Conseil
des ministres, de la nomination de l’intéressé comme procureur général ;
en l’absence de connaissance du dossier, que savait-il de cette erreur, lui qui
s’était engagé à ne pas intervenir dans les affaires judiciaires et dans la
nomination des magistrats ? Et cinq ans plus tard, on apprend que les
juges avaient eu raison de libérer le détenu en question, puisqu’il fut
acquitté pour les faits qui lui étaient alors reprochés[4] ;
mais quelle mesure viendra réparer le préjudice de carrière et le préjudice
moral subis par le président mis en cause ? Le balancier oscille
constamment : quelques jours plus tard, un ancien ministre des Finances
contraint à la démission par l’annonce d’une prochaine mise en examen est
relaxé ; haro cette fois sur le juge d’instruction qui l’avait renvoyé et
demande de réforme de la procédure d’instruction ; il est vrai que, en
l’espèce, le juge d’instruction avait, selon le jugement de relaxe, rendu une
ordonnance de renvoi qui « confinait à l’absurde » ; même
charge, dans le même jugement, contre le parquet du TGI de Paris ;
turbulences donc. Dès lors, certains réclament la suppression du juge
d’instruction[5]
(qui n’instruit plus que 8 % des affaires), alors que d’autres souhaitent
son maintien[6].
4) Même
mouvement d’opinion et médiatique contre le juge d’instruction dans l’horrible
affaire d’Outreau jugée en deux fois ; d’abord en juillet 2004 :
les deux tiers des 17 accusés d’actes de pédophilie (quasiment sur le seul
témoignage d’une mère de famille habile à accuser des « notables »
dans l’espoir d’atténuer sa propre responsabilité) furent acquittés par la cour
d’assises, l’instruction refaite à l’audience ayant démontré les errements du
juge d’instruction mais aussi de ceux qui l’ont accompagné (procureur et
procureur général) ou contrôlé (chambre de l’instruction) ; puis en
décembre 2005, avec l’acquittement de toutes les personnes mises en cause
par les parents des enfants qu’ils avaient eux-mêmes violés. Le lecteur
intéressé par cette lamentable affaire qui deviendra – il faut le
souhaiter – un cas d’école pour les élèves magistrats à l’École nationale
de la magistrature, en trouvera une excellente analyse dans le numéro
d’avril-mai 2005 de la revue Culture Droit ; voici ce qu’en
écrivait (p. 53) Hubert Dalle, haut magistrat et homme de
réflexion sur les choses de la justice, au jugement pertinent : « Ce procès
fait apparaître une contradiction fondamentale entre les méthodes de
construction de la vérité judiciaire par un dossier et celle qui résultait du
procès d’assises. Y aurait-il deux vérités judiciaires ? La première
écrite, professionnelle, construite en trois ans dans le secret des services de
police et de gendarmerie, du parquet, d’un cabinet de juge d’instruction et
d’une chambre de l’instruction. La seconde, orale, publique, devant un jury
populaire, après neuf semaines de débats contradictoires, à armes égales entre
accusation et défense et devant l’opinion publique. La vérité professionnelle
construite par des juges pour des juges se heurte à la vérité judiciaire du
procès d’assises, déconstruite par le débat public devant des non-professionnels.
Outreau démontre, une nouvelle fois, que la construction de la vérité
judiciaire par un juge qui instruit en principe “à charge et à décharge” ne
présente pas les mêmes garanties que le débat oral, contradictoire et public
entre l’accusation et la défense devant la cour d’assises. Ce procès hors norme
a démontré jusqu’à l’extrême l’inadéquation du système procédural
français ». Le second procès d’Outreau, en appel (déc. 2005),
confirma la pertinence de ces écrits empreints de sagesse et d’expérience.
À notre sens, il faut y voir, non pas une entreprise machiavélique à
broyer des innocents qui aurait été mise en place par les acteurs judiciaires
de cette affaire, mais la résultante de plusieurs facteurs, dont l’inexpérience
du juge d’instruction, et, à l’inverse, l’habitude, trop fréquente chez
certains, de s’en remettre aux conclusions de ceux dont ils doivent contrôler
les actes de procédure, par manque de temps, par paresse intellectuelle, par
habitude ; bref un aveuglement collectif, doublé de vices structurels de
l’enquête (crimes retenus sans preuves matérielles, uniquement sur la base de
témoignages contestables ; détention provisoire pervertie ; contrôles
procéduraux inexistants ; trop grande proximité des acteurs judiciaires,
contraire au principe de séparation des autorités de poursuite, d’instruction
et de jugement, ce qui entraîna l’absence de ce double regard sur le dossier[7] ;
climat de l’époque contre les pédophiles ; audiences tardives, etc.)[8].
Une double poursuite disciplinaire contre le juge d’instruction et le procureur
de la République a abouti au blâme du premier (avr. 2009) et au changement
d’affectation du second. Dans cette affaire, il faut distinguer d’éventuels
manquements aux règles d’exercice des fonctions, le comportement personnel du
juge, de ce qui relève de l’application pure et simple d’un système
d’instruction qui dépasse ceux qui ont eu en charge de le mettre en œuvre dans
l’affaire en question ; on ne peut tout de même pas reprocher au juge
d’instruction de cette affaire d’avoir à la fois enquêté et pris des décisions
juridictionnelles, d’autant plus que c’est au juge des libertés et de la
détention qu’il revenait de rendre les ordonnances de mise en détention
provisoire (qui ne fut pas inquiété, pas plus que tous les autres qui ont eu à
connaître du dossier, à commencer par les membres du parquet du tribunal et du
procureur général à la cour d’appel de Douai, supérieur hiérarchique du premier[9]).
Bien au contraire, s’il n’avait pas respecté l’attribution de ses pouvoirs,
s’il n’avait pas exercé ses prérogatives légales, que n’aurait-on pas dit
contre lui ! Ce qui est en cause, c’est l’organisation de notre justice
pénale, celle qui entretient la confusion des pouvoirs d’enquêteur et de juge[10] ;
le juge d’instruction de cette affaire est un peu comme Louis XVI qui
porta tragiquement le poids des erreurs passées de la royauté, à cette
différence que Louis XVI avait le pouvoir de réformer, ce que le juge
n’avait pas. C’est pourquoi, on ne peut qu’approuver l’Assemblée nationale
d’avoir créé une commission d’enquête, non seulement pour discerner les
dysfonctionnements de la justice dans cette affaire, mais aussi pour proposer
des solutions, des réformes ; des auditions, souvent publiques, eurent
lieu, à la fois des protagonistes de cette affaire et d’experts de la justice
pénale ; la France vécut, à partir du 8 février 2006 (date de
l’audition du juge d’instruction de l’affaire) dans l’attente et la frénésie de
ces auditions, retransmises sur certaines chaînes de télévision et découvrit,
avec horreur, les dessous cachés de la justice pénale, ce que tous les
professionnels de cette justice savaient depuis longtemps, à savoir qu’elle
n’est pas fiable, mais s’en contentaient au nom de l’efficacité ; bien peu
s’élevaient, comme nous l’avons fait dans ce précis, dès les trois premières
éditions (2000/2002/2005), contre les injustices qu’elle génère. La commission
déposa son rapport à l’Assemblée nationale en juin 2006 (édité à la
Documentation française et consultable sur le site de l’Assemblée) ; mais
il était bien tard pour revoir l’ensemble de notre procédure pénale et la
question de l’articulation des organes du procès pénal, dix mois avant
l’élection présidentielle. On en trouvera néanmoins un prolongement dans deux
lois : celle n° 2007-287 du 5 mars 2007 sur le recrutement, la
formation et la responsabilité des magistrats et celle n° 2007-291, du
même jour, qui tend à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, avec
notamment le principe d’une collégialité de l’instruction[11].
5) Le
Président de la République s’étant prononcé en janvier 2009 pour la
suppression du juge d’instruction et la commission Léger ayant repris cette
idée dans son rapport, on pouvait penser que la survie de l’institution n’était
qu’une question de quelques mois, le temps de voter une loi en ce sens et,
surtout, de mettre en place un système garantissant les libertés. Déjà, la loi
du 9 mars 2004, dite Perben II, contourne le juge d’instruction en
accroissant le champ d’investigation des procureurs de la République, qui
deviennent les pivots de la procédure pénale (pouvoirs accrus dans la conduite
des enquêtes, émergence d’un quasi-pouvoir de jugement à travers la mise en
place d’une procédure de « plaider coupable », pouvoir de saisir le
juge des libertés et de la détention sans passer par le juge d’instruction)[12] ;
cette loi a conduit le Parquet de Paris à étendre ses prérogatives en créant
des « bureaux des enquêtes »[13].
Mais les vicissitudes de la vie politique et la manière dont la réflexion fut
conduite ont fait capoter la réforme, jusqu’à ce que la barbarie des attentats
terroristes de janvier et novembre 2015 conduise le gouvernement (de gauche...)
à faire voter la loi n° 2016-731 du 3 juin, qui donne aux procureurs, sous le
seul contrôle des JLD, des pouvoirs jusqu’à maintenant réservés aux juges
d’instruction (ou aux JLD), par exemple : pour veiller à ce que les
investigations qu’il demande à des enquêteurs d’effectuer « tendent à la
manifestation de la vérité et soient accomplies à charge et à décharge[14],
dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne
suspectée (CPP, art. 39-3, créé par art. 54) ; pour utiliser le fichier
des empreintes génétiques aux fins de recherche de personnes pouvant être
apparentées en ligne directe à une personne inconnue ayant laissé une trace
biologique dans le cadre de l’un des crimes visés à l’article 706-55, CPP
(CPP, art. 706-56-1-1, créé par art. 80) ; pour autoriser des OPJ, dans le
cadre des infractions visées aux articles 706-73 et 706-72-1, CPP, comme peut
le faire un JLD, à utiliser un appareil permettant d’identifier un équipement
terminal ou un numéro d’abonnement de connexion, mais seulement « en cas
d’urgence résultant d’un dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux
personnes ou aux biens » (CPP, art. 705-95-4, § III, créé par art. 23).
À plus
long terme, la vraie question reste néanmoins posée, celle de la suppression ou
non du juge d’instruction et par qui le remplacer, avec une enquête confiée au
parquet et un juge du siège qui arbitre en cas de difficulté, oriente le
dossier, prend les décisions juridictionnelles qui s’imposent et protège les
libertés.
II – RELATIONS ENTRE LES ORGANES DU
PROCÈS PÉNAL
Une question récurrente : les relations entre les
organes du procès pénal
Janvier 2017
La loi
n° 2000-516 du 15 juin 2000 abordait ces relations, mais à propos de
problèmes particuliers, sans les replacer dans une perspective d’ensemble du
modèle de procès que la France voudrait pour le troisième millénaire. Au-delà
du meilleur respect de la présomption d’innocence, de l’amélioration des droits
des victimes (L. 15 juin 2000° et des relations du parquet avec le
garde des Sceaux (L. 9 mars 2004), reste le problème de la
place et du rôle du juge d’instruction dans le procès pénal, même si, quantitativement,
le nombre d’affaires soumises à une instruction préparatoire va en diminuant et
n’est pas caractéristique des problèmes de traitement de la délinquance
d’aujourd’hui. La vraie question, par rapport au juge d’instruction, en
attendant sa disparition inscrite dans l’évolution mondiale du procès
pénal ? reste celle de la confusion des pouvoirs que l’institution porte
en elle depuis 1856. Ne faut-il pas introduire une nouvelle et radicale
séparation des pouvoirs à l’intérieur de chaque institution ? Par exemple,
le Parlement ne pourrait pas se transformer en Cour de justice de la République
ou en Haute Cour parce qu’il est législateur. De la même façon, le juge
d’instruction, soit devrait rester ce qu’il était en 1808, un enquêteur, sans
aucun pouvoir juridictionnel, soit devrait perdre ses pouvoirs d’investigation
(qui passerait entièrement au parquet) et ne conserver que ses pouvoirs
juridictionnels de contrôle des enquêtes et de prendre les mesures restrictives
de liberté, auquel cas sa disparition serait actée au profit du juge des
libertés et de la détention. La loi du 15 juin 2000 va dans cette
direction. Celle du 9 mars 2004 n’aborde pas franchement cette question,
mais, indirectement, écarte le juge d’instruction de la scène judiciaire au profit
du parquet (historiquement, sur le mouvement de balancier entre le parquet et
le juge d’instruction et la réforme annoncée de la suppression du juge
d’instruction avait redonné de l’actualité à ce sujet, avant qu’il ne fût
abandonné. C’est sans doute le juge des libertés et de la détention qui devrait
être l’arbitre de ce mouvement de balancier.
III – RELATIONS AVEC LE PARQUET
Janvier 2017
Il faut dénoncer ici la pratique contraire au principe de séparation
des fonctions de poursuite et d’instruction qui consiste, pour un juge d’instruction, à
« sous-traiter »[15]
la rédaction de ses ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel ou
de mise en accusation devant la cour d’assises, en se contentant de recopier et
de reprendre mot pour mot le réquisitoire du parquet, procédé détestable qui
contribue à accentuer ces menaces qui pèsent sur la Justice des droits de
l’homme et que l’informatisation des cabinets d’instruction rend encore plus
aisé par le procédé du « copier-coller ». Une juridiction a eu
l’audace et le courage d’annuler une ordonnance de renvoi de ce type :
T. corr. Angoulême, sept. 2009 (sans indication de date plus
précise) : Bull. Barreau Paris, 19 oct. 2009, n° 32,
p. 418. Et la chambre criminelle semble amorcer une évolution dans un
arrêt du 23 novembre 2016, par lequel elle censure un arrêt d’une chambre de
l’instruction qui avait estimé qu’une
ordonnance d’un JLD de maintien en garde à vue jusqu’au maximum du délai
autorisé en matière de criminalité organisée (96 heures) était suffisamment
motivée par référence aux réquisitions du ministère public qui mentionnaient
« la nécessité de nouvelles auditions et d'exploitation de données techniques
et scientifiques », considérant que la mesure ne devait s'apprécier qu'au
regard "des seules nécessités de l’enquête » ; pour la Cour, le
JLD ne pouvait se contenter de renvoyer aux motifs du procureur de la
République, mais devait spécialement justifier de la nécessité de la
prolongation de garde à vue pour permettre à l'intéressé d'en connaître
"les raisons précises" et le prémunir d'une atteinte disproportionnée
aux droits et libertés individuels protégés par la Convention EDH[16].
Même solution pour la motivation d’une ordonnance du JLD[17].
IV – MORT PROGRAMMÉE ?
La mort programmée puis déprogrammée du juge
d’instruction
Janvier 2017
a) Témoignages
sur le juge d’instruction
Pour éclairer le débat sur le juge d’instruction, non
pas sur les hommes qui exercent ces fonctions difficiles et qui sont bien
souvent confrontés à la lie de la société, mais sur l’institution, quelques
témoignages de magistrats sont révélateurs du malaise que crée l’institution au
sein même de la magistrature, sans parler de la société civile.
Lors de son
départ en retraite, Pierre Truche, Premier président de la Cour de cassation (et,
surtout, ayant occupé les plus hautes fonctions au parquet), répondait à la
question : « Le juge d’instruction va-t-il, à terme,
disparaître ? », « Je l’espère bien ! Rares sont dans le
monde, les pays à avoir des juges d’instruction tels que nous les connaissons.
Ce n’est pas un signe de modernité… Il faudrait confier l’enquête à un
procureur, dont le statut serait modifié, avec, en face, un vrai juge désigné
par le CSM. Il interviendrait dès qu’un droit fondamental serait en cause
(détention, perquisition chez un avocat) et fixerait des délais au procureur.
Il n’est pas sain d’instruire et de juger » (Le Figaro 28 juin
1999, p. 9).
Un juge
d’instruction : « Je serai plutôt partisan de la suppression du juge d’instruction.
On ne peut à la fois être juge et chargé d’une fonction d’enquête, de type
policier, qui s’apparente vraiment à la chasse. Il faudrait dans un premier
temps prendre l’habit du chasseur et, dans un second temps, mettre une toque de
juge pour être garant des droits individuels, apprécier la régularité de la
procédure ? Je n’y crois pas ». Et plus loin : « C’est tout
de même l’aspect recherche de la vérité qui prime chez le juge d’instruction,
plutôt que celui garant des procédures ? C’est incontestable… Il faut
mettre fin à la schizophrénie » (F. Guichard, in Les juges parlent,
de L. Greiselmer et D. Schneidermann, Fayard, 1992, p. 184).
Vision
anglaise du juge d’instruction français : « Ce fonctionnaire de l’État a pour tâche
de faire avouer un suspect. Afin d’obtenir des aveux le juge peut
l’emprisonner, pendant des mois, voire des années, sans procès »
(D. Lawday, in New Statesman and society, Londres, rapporté par Courrier
international, 7 juill. 1999, p. 13). Pour être complet et
honnête, certains juristes anglais découvrent les mérites de l’instruction à la
française, critiquant, dans leur pays, la procédure de recherche des preuves
par la police qui a donné lieu à des excès (V. supra,
n° 106, c, avec l’affaire dite des « Quatre de Guilford »
citée en note). V. le livre de maître Michael Mansfield, Presumed
Guilty (présumé coupable).
B)
Éternelle question : faut-il maintenir un juge d’instruction ?
1)
À l’étranger : L’Allemagne et l’Italie ont supprimé le juge d’instruction depuis 1975 et 1988.
La Suisse le supprimera au 1er janvier 2011, la direction de
l’instruction étant confiée au ministère public. Aux Pays-Bas et au Portugal,
si le juge d’instruction a été maintenu, la conduite de la phase préparatoire
au jugement est confiée au ministère public. En Angleterre et au pays de
Galles, la police réalise l’enquête et bénéficie d’une large indépendance, et
si elle collabore avec le Crown prosecution service, elle n’est pas
placée sous son autorité ; depuis 2003, c’est ce service et non plus la
police qui rédige l’acte d’accusation. En Espagne, l’instruction est menée par
un juge, avec l’aide de la police judiciaire, le parquet étant chargé de
contrôler son activité.
V. L’instruction
des affaires pénales en Europe, étude de législation comparée du Sénat,
n° 195, mars 2009, sur le site du Sénat. Suivi du rapport
d’information sénatorial sur la réforme de l’enquête et de l’instruction,
Sénat, 8 déc. 2010, n° 162.
2) En
France : Au-delà des
passions, personnelles ou politiciennes, la question est toujours
d’actualité ; il faut la traiter sans passion précisément et sans la
pression de quelques affaires d’actualité. Comment décanter un problème qui a
donné lieu à tant de projets ?
a)
Problématique et position doctrinale en faveur de la suppression du juge
d’instruction
Une première
chose est certaine, il ne faut pas exagérer l’importance quantitative des
affaires soumises à la sagacité d’un juge d’instruction (environ 3 %
des affaires), mais, à l’inverse, ce n’est pas parce que peu de gens sont concernés
qu’il ne faut rien faire ; la liberté d’un seul serait-elle en cause qu’il
faudrait agir.
Ensuite, il
semble que la question du maintien ou non de l’institution passe d’abord par la
réponse à la question par qui le remplacer, qui exercera ses fonctions ?
Une première piste semble se dessiner et, progressivement, recueillir
l’assentiment des hommes de bonne volonté, ni sécuritaires, ni laxistes, celle
de la dissociation des fonctions d’enquête (de chasseur) et du pouvoir
juridictionnel sur la liberté des suspects. On vient de le voir, c’est le point
qui est immédiatement dénoncé par les magistrats soucieux d’une justice
respectueuse de nos engagements en faveur des droits et libertés fondamentaux.
C’est le sens de nombreux projets. Il faudrait d’ailleurs affiner cette
présentation, car, en réalité, le juge d’instruction exerce trois fonctions,
celle d’enquêteur, celle de juge, mais aussi celle de poursuite lorsqu’il étend
sa saisine qui est in rem à des personnes non visées dans l’acte
introductif de poursuites et/ou lorsqu’il rend une ordonnance de renvoi devant
une juridiction de jugement ; cet aspect est trop souvent passé sous
silence ou méconnu dans le débat actuel sur le transfert au parquet de toutes
les enquêtes ; la Cour EDH elle-même s’est trompée dans l’arrêt Medvedyev
c/ France, en voyant en lui un magistrat impartial envers les
parties au sens de l’article 5, § 3 : sous ce regard des
pouvoirs de poursuite du juge d’instruction, l’affirmation est inexacte.
À supposer
cette dissociation acquise en droit, mais surtout en fait, dans son effectivité
au sens de la jurisprudence européenne, il resterait la question de savoir s’il
est encore besoin d’un juge d’instruction qui ne ferait qu’instruire au sens
d’enquêter. Le Code de 1808 avait répondu par l’affirmative, mais, en
réalité, en faisant de ce juge un OPJ et en le plaçant sous les ordres du
parquet. Alors, pourquoi ne pas franchir le pas et confier les pouvoirs
d’enquête dans l’instruction actuelle au parquet, avec un contrôle des juges du
siège sur les actes coercitifs, tels que les perquisitions et saisies ?
Plus n’est besoin d’un organe spécialisé et c’est sans doute parce que la
dissociation des pouvoirs d’enquête et de décisions sur la liberté semblait sur
le point d’aboutir en 1999-2000, que les pressions et les critiques se
sont faites plus fortes contre ce projet ; derrière cette dissociation se
profile la disparition, à terme, du juge d’instruction qui serait remplacé par
deux organes, le parquet pour enquêter (et garderait ainsi la conduite des
enquêtes de police) et un juge du siège (JLD ?) qui contrôlerait l’enquête
et déciderait de toutes les mesures attentatoires aux libertés. Les juges
d’instruction eux-mêmes ont programmé leur mort, lorsqu’ils ont accepté le
principe des pôles financiers, qui les réunissent avec les parquetiers, dans
une même structure ; de même que le symbole du rapprochement spatial, au
sein des palais de justice, y compris les plus modernes, entre les bureaux des
procureurs et ceux des juges d’instruction, sans parler de cette complicité
entre les hommes de la poursuite et ceux de l’instruction, qui mènent de
concert les enquêtes et les instructions, ce qui a pour effet de pervertir le
principe de séparation des fonctions judiciaires ; à vouloir, et à accepter,
par petites touches, au quotidien de l’action judiciaire, les atteintes à un
grand principe d’organisation de notre justice pénale, les juges d’instruction
ont brûlé leur raison d’être, c’est-à-dire leur indépendance à l’égard des
autres organes de l’autorité judiciaire. L’affaire d’Outreau et le
volontarisme du Président de la République ont presque achevé de tuer
l’institution, mais les maladresses de la Chancellerie dans la manière de
conduire ce dossier en 2009-2010 ont tué la réforme !
Resteraient alors
deux organes de l’autorité judiciaire, le parquet et le juge du siège. Le
premier ayant déjà des pouvoirs de rétention des personnes et de restriction à
leur liberté d’aller et de venir, dans le cadre d’une enquête sur
l’article 5, Conv. EDH, faut-il les maintenir ? Le Conseil
constitutionnel a indiqué, dans ses décisions des 2 février 1995
(injonction pénale) et 16 juillet 1996 (perquisitions de nuit), qu’il
pouvait y avoir une gradation dans l’intervention des différents acteurs de
l’autorité judiciaire, en matière d’atteintes à la liberté individuelle ;
la compétence respective du parquet et des juges du siège en matière de liberté
individuelle serait déterminée, conformément aux décisions du Conseil, en
fonction du degré de gravité de la mesure envisagée en matière de liberté
individuelle : aux seconds la détention provisoire et la décision sur la
garde à vue au-delà d’une durée à confirmer ou à fixer (24,
48 heures ? pas au-delà) ; aux premiers, ce qui est en deçà (sur
cette théorie de la gradation des compétences constitutionnelles de l’autorité
judiciaire, V. Th. Renoux, Justices, loc. cit., 1998-10,
p. 75). Mais la jurisprudence européenne sur la non-indépendance du
parquet français à l’égard de l’exécutif et, surtout, à l’égard des parties
poursuivies, risque de remettre en question cette construction.
Dans une
remarquable communication à l’Académie des sciences morales et politiques, le
3 avril 1995, M. le Doyen André Decocq invitait à méditer sur
l’expérience du Code de 1808 et à relire le projet
Donnedieu de Vabres, pour conclure à l’inspiration d’une nouvelle
réforme : « Au ministère public reviendrait la mission d’instruire,
avec le concours de la police judiciaire. À la juridiction de
l’instruction [qui ne se confond pas avec la fonction d’instruction], il
appartiendrait d’autoriser les investigations attentatoires à la liberté
individuelle, de statuer sur les demandes d’investigations des parties,
d’ordonner, le cas échéant, la détention provisoire ou le contrôle judiciaire,
de régler la procédure [au sens technique du règlement en fin d’instruction,
qui consiste à prendre une décision de non-lieu ou de renvoi]. Il conviendrait
également d’habiliter cette juridiction à ordonner d’office les investigations,
s’il lui apparaissait que l’instruction s’égare ».
b)
Avant-projet de loi (février-mars 2010)
Aujourd’hui
abandonné, ce projet s’orientait vers les pouvoirs respectifs du
parquet-directeur d’enquête et d’un juge du siège aux pouvoirs juridictionnels
plus ou moins étendus (trop, ce serait revenir au juge d’instruction, pas
assez, c’est encourir le risque d’une censure du Conseil constitutionnel et de
la Cour EDH). La voie était étroite, dès lors que le Président de la République
avait écarté toute réforme constitutionnelle aux fins de modifier le statut du
parquet ; certes, on peut craindre un retour au corporatisme de l’ancien
régime si les membres du parquet sont nommés par leurs pairs ; mais ce
risque est écarté si l’on veut bien se souvenir que depuis la réforme du
Conseil supérieur de la magistrature en juillet 2008, les magistrats sont
minoritaires au CSM ; est-ce si dangereux que cela pour la démocratie que
de faire confiance à un CSM reflet de la société civile ? Et rien
n’interdirait de revoir le mode de nomination des membres non-magistrats du CSM
dans le sens d’une plus grande transparence et d’une plus juste neutralité
(avec un contrôle du Parlement à une majorité qualifiée). Et en quoi
l’indépendance du parquet serait-elle incompatible avec l’obligation de
respecter la politique pénale du gouvernement ? Ne pourrait-on pas
sanctionner tout refus sur le fondement des obligations statutaires du
corps ? À défaut de réformer le statut du parquet, il faudra lui
enlever tout pouvoir juridictionnel, pour ne pas retrouver demain, du côté du
parquet ce que l’on reproche aujourd’hui au juge d’instruction, à savoir d’être
à la fois un enquêteur et un juge ! Il n’y a pas d’autre alternative.
L’avant-projet
de loi présenté au Conseil des ministres du 23 février 2010[18] prévoyait
effectivement la suppression du juge d’instruction, la concentration de toutes
les enquêtes pénales entre les mains du parquet, avec les garde-fous
suivants :
– comme le
statut du parquet ne serait pas revu, aurait introduit un devoir de
désobéissance des parquetiers, à tous les échelons de la hiérarchie
(ahurissant !!), au cas où la Chancellerie aurait donné des ordres de
non-poursuite, puisque, comme c’est déjà le cas, il n’aurait pu donner que des
ordres de poursuite ; ainsi, le procureur général aurait pu s’y opposer,
de même que le procureur de la République aurait pu s’opposer à des
instructions de son PG qui auraient été « contraires à la recherche de la
vérité » ; un substitut aurait pu faire de même envers son procureur.
Curieuse conception du fonctionnement de nos institutions qui reportait sur le
parquet une obligation de désobéissance, alors que celui qui aurait donné
l’ordre illégal (le ministre de la Justice) aurait dû être démissionné
d’office, puisque par hypothèse, il aurait commis une forfaiture en
contrevenant à la loi. Comprenne qui pourra !
– Les
instructions de poursuite auraient été écrites et versées au dossier, comme
c’est déjà le cas aujourd’hui.
– Un juge de
l’enquête et des libertés (JEL) aurait été chargé du contrôle de l’enquête
menée par le parquet : à cet effet, il aurait repris certaines des
attributions du juge d’instruction et du juge des libertés et de la
détention ; nommé par décret il lui aurait autorisé ou non les actes
coercitifs de l’enquête (placement en détention, mais aussi écoutes et
perquisitions). En cas de refus du parquet de procéder à des actes ou de
volonté manifeste de tarder à les réaliser, il aurait pu être saisi par les
parties civiles et la défense. Le JEL aurait pu obliger le parquet à réaliser
ces actes, dans des délais contraignants et, en cas de conflit entre eux, les
parties auraient pu saisir la chambre dite de l’enquête et des libertés (qui
aurait remplacé la chambre de l’instruction). Cette dernière aurait pu évoquer
certaines affaires et désigner l’un de ses membres pour réaliser certains
actes. C’est sans doute pour éviter la ressemblance avec les pouvoirs actuels
du juge d’instruction qu’il n’était pas prévu que ce soit le JEL qui aurait
réalisé ces actes. Bien évidemment, ce changement d’échelon supposait un
renforcement des pouvoirs et des moyens des futures chambres de l’enquête et
des libertés.
– Enfin,
pour éviter le soupçon de vouloir permettre à l’exécutif d’étouffer les
affaires dites sensibles ou politico-financières, aurait été créée la
« partie citoyenne », à côté de l’actuelle partie civile : cette
partie aurait pu agir en invoquant un intérêt à agir même indirect ; cela
visait, par exemple, le citoyen d’une commune qui aurait souhaité dénoncer des
malversations d’élus.
– La
personne mise en cause aurait été appelée « partie pénale ».
Une concertation
avait été ouverte pour une période de deux mois, à l’issue de laquelle un
projet devait être déposé au Parlement et discuté début 2011, mais le Président
de la République a considéré que cette réforme n’était plus prioritaire et elle
a été différée… aux calendes grecques ! Il faut bien reconnaître que si
l’avant-projet avait le mérite d’exister et aurait dû être étudié loyalement,
sans esprit partisan[19], il était
lacunaire sur l’axe central de la réforme, celui des conditions des enquêtes
entièrement entre les mains du parquet[20] et ne
remettait pas en cause le statut du parquet[21] tout en
accroissant ses pouvoirs, ce qui pose problème au regard des libertés publiques[22]. Il a été
vivement critiqué à ces titres par le Conseil national des Barreaux, les
syndicats de magistrats et la Cour de cassation (avr. 2010).
V – REQUIEM JOYEUX POUR SA DISPARITION
requiem joyeux pour l’enterrement
annoncé
du juge d’instruction
publiée en 2014, ouvrage
collectif de l’université paris 2 sur le bi-centEnaire du code pénale et du
code d’instruction criminelle (éditions dalloz)
La remise au Président de la
République, le 1er septembre 2009, du rapport du « Comité de
réflexion sur la justice pénale » (dit encore rapport Léger) nous incite à
revenir une nouvelle fois sur la suppression du juge d’instruction, ne
serait-ce que parce que nous demandons depuis des années[23], avec beaucoup d’autres[24], la transformation complète et radicale
de l’articulation des organes du procès pénal, transformation qui passe par
cette suppression. C’est l’occasion ultime de se pencher sur une situation
française anachronique (I), de montrer en quoi cette institution a failli et
s’est elle-même condamnée par les excès de certains qui, aujourd’hui, sont
parfois les plus virulents à la défendre (II), avant d’envisager des pistes de
réflexion et de réformes qui doivent accompagner ce bouleversement, si tant est
qu’il passe le cap de la procédure parlementaire au cours de l’année 2010
(III).
i – il était une fois en
france[25] une situation anachronique
L’anachronisme de la situation actuelle se mesure à l’aune de l’espace européen
(A) et se comprend à la lumière de l’histoire de France, celle de nos
institutions judiciaires pénales[26] (B).
A)
un anachronisme en europe : une france isolée au sein de l’espace
européen
La situation actuelle de la France
est d’autant plus anachronique – et le rapport Léger ne manque pas de le
relever – que la plupart des pays européens ont abandonné ou sont sur le point
d’abandonner l’institution du juge d’instruction[27].
L’Allemagne et l’Italie ont supprimé
le juge d’instruction depuis 1975 et 1988. La Suisse le supprimera au 1er
janvier 2011, la direction de l’instruction étant confiée au ministère public.
Aux Pays-Bas et au Portugal, si le juge d’instruction a été maintenu, la
conduite de la phase préparatoire au jugement est confiée au ministère public.
En Angleterre et au Pays de Galles, la police réalise l’enquête et bénéficie
d’une large indépendance et si elle collabore avec le Crown prosecution
service, elle n’est pas placée sous son autorité ; depuis 2003, c’est
ce service et non plus la police qui rédige l’acte d’accusation. En Espagne,
l’instruction est menée par un juge, avec l’aide de la police judiciaire, le
parquet étant chargé de contrôler son activité. On renvoie pour plus de détails
de droit comparé à l’excellente étude de législation comparée publiée par le
Sénat sur son site en mars 2009. En revanche, l’éclairage historique, capital
en la matière, mérite plus de développements.
B)
un anachronisme historique : une france encore modelée par le second
empire
Pour mesurer l’anachronisme des
missions du juge d’instruction il faut rappeler que c’est une loi du Second
Empire qui a modelé le visage contemporain de cette institution.
a) A l’origine en effet, dans le Code d’instruction
criminelle de 1808 (applicable
au 1er janvier 1811), le juge d'instruction instruisait,
c'est-à-dire enquêtait, mais ne prenait pas de décisions juridictionnelles, ni
quant aux demandes de mise en liberté, ni quant au sort des personnes
concernées à la fin de l'instruction ; il ne lui appartenait pas de
décider seul du renvoi ou non d'une personne devant une juridiction de
jugement ; les rédacteurs du Code d’instruction criminelle avaient été
plus prudents sur ce point que le législateur contemporain et avaient perçu les
graves dangers pour les libertés publiques à réunir sur la même tête des
pouvoirs d'enquêteur et des pouvoirs juridictionnels. Par une vision
prospective de ce que doit être la véritable séparation des fonctions au sein
même d'un organe judiciaire, du rôle du juge d'instruction tel qu'il devrait
être selon la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1996, Perquisitions
de nuit (soit près de 200 ans après)[28], le législateur napoléonien avait su
dissocier la fonction d'enquêteur de celle de dire le droit, de la fonction
proprement et étymologiquement juridictionnelle (juris-dictio).
Pour autant, le juge d'instruction
participait à la décision de renvoi ou non, puisqu'il faisait partie de la
formation (la Chambre du Conseil du tribunal correctionnel) appelée à décider
du renvoi et lui faisait rapport du dossier ; c'est la pratique et la
faiblesse de ses collègues au sein de cette formation qui lui donnèrent un rôle
prépondérant et amenèrent à réformer le système mis en place en 1808. Pour les
crimes, le renvoi était décidé par une chambre de la cour d'appel, la Chambre
des mises en accusation, mais l'acte d'accusation était rédigé par le parquet,
postérieurement à l'arrêt de renvoi.
b) À l'inverse, c'est un régime autoritaire et fondé
sur le plébiscite (ce qui n'a jamais constitué un critère de bonne démocratie)
qui va réaliser la confusion des fonctions et des genres. C'est en effet sous
le second Empire que fut prise la loi du 17 juillet 1856 qui va longuement – et
encore aujourd’hui - influencer tout l'esprit de notre procédure pénale, en
concentrant sur la tête du juge d'instruction des pouvoirs d'enquête et de
pouvoirs juridictionnels ; c'est désormais lui qui, non seulement enquête,
mais aussi décide des mises en liberté et du renvoi ou du non-lieu (sauf, bien
sûr, en matière criminelle, où la décision appartient à la Chambre des mises en
accusation). On a parfois essayé de justifier cette loi par le besoin qu'aurait
eu le second Empire d'affecter davantage de juges à la formation de jugement, leur
participation à la Chambre du conseil du tribunal correctionnel pour statuer
sur les demandes de mise en liberté et le renvoi, leur conférant la qualité de
juges ayant accompli des actes d'instruction, ce qui leur interdisait toute
participation à une formation de jugement ; cela est vrai, mais il semble
bien que la raison principale de cette réforme fut la tendance autoritaire du
régime, car il aurait suffi pour répondre au souci de libérer des juges pour la
formation de jugement de réduire à un seul juge la composition de la Chambre du
conseil devant laquelle le juge d'instruction aurait continué à venir faire son
rapport ; c'est d'ailleurs la solution retenue par la Belgique à laquelle
le code de 1808 était applicable dès l'origine.
Que ceux qui plaident et militent
aujourd'hui pour le maintien de cette confusion se souviennent bien de la
période pendant laquelle ce système a été imposé et de la nature du régime
politique de l'époque ; à cet égard, il n'est pas étonnant que ce soit une
association très corporatiste (au sens de l'Ancien Régime, des empires et
autres régimes peu démocratiques), qui défende le plus l'institution actuelle.
c) Les évolutions postérieures majeures attendirent
150 ans avant de se concrétiser
1) Certes, une commission fut instaurée à la
Libération et confiée à un magistrat, Henri Donnedieu de Vabres pour réfléchir
à un nouveau code de procédure pénale ; en réalité, cette commission
n'élabora pas un projet de code nouveau, se contentant de reprendre, en
l'actualisant, le projet de la commission présidée par Paul Matter entre 1930
et 1939. Curieusement (compte tenu des idées de l'époque à la Libération), ce
projet, déposé en 1949, était plutôt d'inspiration répressive, mais néanmoins
très novateur et moderne sur un point.
- Le répressif apparaissait dans trois
dispositions : celle de la présence de l'avocat au côté de la personne
soupçonnée qu'à partir du premier interrogatoire sur le fond ; celle du
report du point de départ de la prescription de l'action publique au jour de la
découverte de l'infraction ; enfin, celle qui facilitait grandement la
couverture des causes de nullité de procédure.
- À l'inverse, le juge d'instruction
disparaissait en tant qu'organe chargé à la fois d'instruire et de prendre des
décisions juridictionnelles. Certes, il était maintenu un juge de
l'instruction, mais le changement de terminologie traduisait le changement de
philosophie : ce juge, magistrat du siège était en réalité un juge des
libertés et du contrôle de l'instruction qu'il ne pouvait conduire
lui-même ; il revenait au procureur de la République de poursuivre et
d'instruire, selon les nouveaux pouvoirs que le projet concentrait sur sa
tête ; en revanche, les décisions sur la mise en liberté, par exemple,
relevaient de la compétence de ce nouveau juge de l'instruction. En somme, le
glissement de vocabulaire traduisait le même mouvement que pour la procédure
civile (mais, pour celle-ci, en sens inverse, dans le sens de l'accroissement
des pouvoirs du juge) avec la création, en 1935 (décret-loi du
30 octobre), du « juge chargé de suivre la procédure », puis le
passage, en 1965 (décret du 13 octobre), au « juge des mises en
état » et, en 1971 (décret du 9 septembre) au « juge de la mise
en état ». Le projet, très critiqué, fut enterré et entra au musée des
rapports mort-nés, encore que l'influence intellectuelle de ceux-ci ne doive
pas être sous-estimée ; ils leur arrivent de survivre à un abandon
législatif, l'esprit l'emportant sur l'inexistence d'une mise en œuvre
parlementaire ; ils constituent le terreau de nouvelles nourritures
intellectuelles.
Peut-être d'ailleurs que l'échec du
projet de la commission présidée par Henri Donnedieu de Vabres entre 1945 et
1949, qui tendait à revenir à une plus grande clarté dans l'exercice de la
fonction de magistrat instructeur est-il dû davantage à cette avancée
démocratique qu'il représentait sur ce point et à laquelle les esprits
n'étaient pas prêts, malgré (à cause de ?) Vichy, plutôt qu'aux aspects
répressifs du projet[29].
2) La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000
réalise, enfin, cette dissociation des pouvoirs d'investigation du juge
d'instruction et de ses pouvoirs de coercition, puisque c'est désormais le juge
des libertés et de la détention qui décide de la mise en détention provisoire,
sauf le pouvoir résiduel du juge d'instruction de maintenir en détention celui
que, par son ordonnance de règlement, à la fin de son instruction, il renvoie
devant une juridiction de jugement. Mais la réforme n'est pas passée sans
heurts, à preuve les événements politico-judiciaires de la fin de l'année 2001
mettant en cause – et en vrac – la limitation des pouvoirs
du juge d'instruction par la nouvelle loi et le contrôle de leurs actes par la
nouvelle chambre de l'instruction, y compris au prix de la dénonciation
publique d'un magistrat par le Premier ministre de la France, à la télévision
et par ses collègues au sein du palais de justice de Paris [30] ; quelle
« indécence » [31] ! Et si la loi n’est pas passée
sans heurts, elle n’a pas encore suffisamment d’ancienneté pour remodeler les
esprits contre l’esprit de 1856 ; on le voit bien dans les déclarations
d’aujourd’hui, dès la remise du rapport Léger.
ii – seven[32] ou les sept péchés capitaux des juges
d’instruction
Une large part des critiques formulées contre le juge d’instruction s’enracine
dans des pratiques de certains juges, certes emblématiques, mais loin, très
loin parfois, du respect des normes démocratiques, des standards européens de
la procédure pénale. Sans esprit de polémique, mais pour en finir avec les
plaidoyers de ceux qui découvrent au juge d’instruction des vertus qu’il n’a
pas toujours eues[33], on peut regrouper ces péchés sous sept
rubriques[34], qui ont été autant de signes annonciateurs
de la mort du juge d’instruction[35].
a) le péché du mépris des
règles de procédure
« Trop de procédure tuerait la
procédure » et il
faudrait au plus vite abroger les lois récentes (essentiellement la loi du 15
juin 2000) qui ne feraient que traduire le souci du législateur de favoriser
les délinquants, voire les hommes politiques dans les affaires
politico-financières.
a) Ainsi s’exprime l’une des figures
les plus emblématiques des juges d’instruction de ces dernières années, Madame
Eva Joly, à la fois dans une interview au journal La Croix[36] et dans
une autre donnée, un an plus tard, à deux journalistes spécialisés dans les
questions touchant à la Justice pour un ouvrage collectif[37] ; la répétition de la critique ne
peut faire douter de son caractère intentionnel et de la volonté de
l’intéressée de revenir sur ce que nous considérons, pour notre part, comme des
acquis d’une démocratie, surtout en matière pénale. C’est à propos de la
multiplication (ce qui reste à prouver scientifiquement) des requêtes en
nullité déposées par les avocats dans les affaires financières, requêtes
qualifiées “ d’ardoise magiques ” par ce magistrat, que
l’opinion est émise “ qu’il y a un équilibre à trouver et que trop de
procédure tue la procédure ”. La charge est reprise maintes fois dans
l’interview donnée un an plus tard : “ c’est la procédure qui
freine, pas les juges ” (page 90) ; “ on nous ajoute des
contraintes de procédure qui consomment des magistrats ” (page 94).
b) C’est la même idée qui transparaît dans la déclaration d’une autre figure
médiatique de l’instruction d’affaires politico-financières, qui voit dans la
procédure “ une science qui n’est pas exacte ”, susceptible
d’interprétation[38], donc dont on peut s’émanciper !
Faut-il rappeler que le propre du droit et de la procédure est d’être l’art du
difficile, ce qui suppose de bons juristes connaissant parfaitement leurs
règles procédurales et que l’annulation de ses procédures par les organes de
contrôle de son activité ne qualifie pas particulièrement l’intéressé pour
tenir de tels propos. Sous couvert d’une libre interprétation de la loi, le
juge Halphen revendique l’arbitraire du juge, qui l’autoriserait à donner à la
loi la signification propre à justifier sa décision. Il l’autoriserait même à
violer les droits de la défense. Quand un juge convoque comme témoin une
personne qu’il prétend impliquée dans l’infraction poursuivie, il ne méconnaît
pas seulement l’article 105 du code de procédure pénale, qui interdit
d’entendre comme témoins « les personnes à l’encontre desquelles il
existe des indices graves et concordants d’avoir participé aux faits »
litigieux. Il suggère aussi sa propre déloyauté, qui le conduirait à piéger une
partie d’abord entendue comme témoin, sans les garanties apportées par la loi
aux personnes soupçonnées. Il suggère même, par une faute qu’on ne tolérerait
pas d’un étudiant, qu’il a renoncé à l’impartialité naturellement exigée du
juge.
b) le péché du non-respect des
droits de la défense
a) Charge encore contre la procédure, mère de tous nos maux, mais cette fois
plus ciblée sur les droits de la défense perçus comme un obstacle à la
répression, en automne 2001 et hiver 2001-2002, lorsqu’il s’est agi de dénoncer
les méfaits supposés de la loi du 15 juin 2000 qui visait à renforcer la
protection de la présomption d’innocence, alors que le plus souvent une
décision de mise en liberté ne faisait que sanctionner une erreur du juge
d’instruction qui n’avait pas respecté les règles procédurales, notamment les
délais de règlement des dossiers pour répondre aux exigences européennes du
délai raisonnable.
Qu’un Premier ministre de la France
ait pu ainsi traîner dans la boue et livrer à la vindicte publique en
s’opposant publiquement, à la nomination comme procureur général, d’un
président de chambre de l’instruction, honorable magistrat et homme de talent,
respectueux des droits de la défense, mais aussi des droits des victimes, sans
même lui donner l’occasion de se défendre, au motif qu’il aurait libéré, à
tort, un délinquant auteur ensuite de plusieurs meurtres, alors que ce
magistrat avait siégé en collégialité, en pesant (avec ses deux collègues) en
son âme et conscience sa décision assortie d’un important contrôle judiciaire
et que le dysfonctionnement provenait non pas de la décision prise mais, en
amont, des fautes du juge ayant instruit l’affaire, voilà qui est révélateur
d’un vent de folie sécuritaire, de panique au plus haut niveau de l’État et de
mépris des règles de procédure. Dans la même affaire, le Président de
l'Assemblée nationale est allé jusqu'à réclamer des poursuites disciplinaires
contre le président de la chambre mise en cause ! Et cinq ans plus tard,
on apprend que les juges avaient eu raison de libérer le détenu en question,
puisqu'il fut acquitté pour les faits qui lui étaient alors reprochés [39] ; mais quelle mesure viendra
réparer le préjudice de carrière et le préjudice moral subis par le président
mis en cause ?
Ce dernier exemple prouve, si besoin
était, combien le respect des droits de la défense aurait été plus que nécessaire
dans cette affaire, d’abord de la part de celui qui avait mal instruit le
dossier (la chambre d’accusation ne faisant que sanctionner ses fautes) ;
ensuite de la part de ceux – et particulièrement le Premier ministre – qui se
sont déchaînés contre ce malheureux président le poursuivant de leur vindicte,
sans même lui laisser le droit de se défendre.
b) Les voies de recours sont encore
perçues comme un obstacle à l’efficacité répressive, par ceux-là mêmes qui
devraient avoir à cœur de les voir s’exercer.
1) On retrouve ici le thème
démagogique de « l’appel de Genève » lancé le 1er
octobre 1996 par quelques magistrats vraisemblablement en mal de publicité (et
en tout cas en délicatesse avec leur déontologie statutaire) pour protester
contre l’utilisation qui serait abusive des voies de recours dans les
procédures de transmission internationale de pièces et pour réclamer une
transmission directe, de juge à juge, au-dessus des frontières, sans respecter
les règles protectrices des justiciables contre d’éventuels abus de
transmission ![40] Bien peu l’ont dit[41]. Voici des juges qui, gardiens des
libertés selon la Constitution (art. 66), veulent réduire les voies de recours
ouvertes aux justiciables pour contester les décisions irrégulières, ou
réclament la transmission internationale d’actes de procédure hors des règles
courantes ! Avaient-ils oublié qu’au moins le bon sens empêche qu’un juge
puisse lui-même ouvrir ou fermer les recours contre sa propre décision ?
Avaient-ils oublié qu’un juge n’est pas une autorité de poursuite, mais qu’il
est chargé d’apprécier la régularité des actes de l’autorité de
poursuite ? Que toute procédure, sous peine d’admettre en dernière analyse
même la torture, protège les libertés des justiciables ? Il appartient
précisément au juge non pas d’anéantir la procédure, mais d’en assurer l’application.
Il est significatif de relever que
le signataire français de cet appel est celui-là même qui, quelques années plus
tard, est suspecté de s’être affranchi des droits de la défense en instruisant
hors procédure, c'est-à-dire en rencontrant secrètement des protagonistes d’une
affaire en cours d’instruction aux fins de se faire remettre des documents
« anonymes », sans en informer ses collègues de l’instruction[42].
2) Cette critique des règles
protectrices des droits de la défense dans l’exercice des voies de recours, se
retrouve dans la déclaration suivante de Madame Eva Joly : “ que
penser lorsqu’un mis en examen intente des recours en Suisse contre la
transmission d’un certain nombre de documents et qu’il est donc lui-même
responsable d’une partie du retard ? ”[43] Faut-il rappeler ici, que si l’exercice
des voies de recours a mécaniquement un effet retardateur de l’issue d’une
procédure, leur finalité première est de permettre un contrôle de l’activité
des juges ?
c) Être partial en
n’instruisant systématiquement qu’à charge (ce que reconnaît Madame Eva Joly[44]),
ne pas respecter le contradictoire ou ne le faire qu’avec réticence, aux
limites de l’abus (par exemple en cotant des pièces plusieurs mois après leur entrée
dans le dossier de la procédure pour ne donner aux avocats que quatre jours
pour prendre connaissance de ces pièces occulter dans une ordonnance de renvoi
devant le tribunal correctionnel des pièces qui viennent démontrer l’existence
d’un mandat régulier qui détruit l’infraction d’abus de confiance, recopier
dans cette même ordonnance le rapport de synthèse du S.R.P.J. (sur ce point v. infra,
sur les relations des juges d’instruction avec le Parquet), n’est-ce pas à
chaque fois, commettre une faute contre la procédure qui, outre qu’elle
pourrait engager la responsabilité disciplinaire de celui qui la commet, réduit
à néant les déclarations de ceux qui aujourd’hui critiquent la suppression du
juge d’instruction ? Ces juges d’instruction ne méritent plus la
qualification de juges. Ils se conduisent de manière partiale, pour ne pas dire
déloyale et on ne pleurera donc pas sur leur disparition.
c) le péché de privilégier des
affaires financières médiatisées sur d’obscures atteintes aux personnes
L’institution judiciaire s’est progressivement détournée de sa mission
première, la sécurité des personnes, en grande partie parce que de nombreux
juges d’instruction ont préféré la gloire médiatique liée à l’instruction
d’affaires politico-financières à l’obscur travail de défense des valeurs
premières de notre société[45].
a) Les faits sont brutaux. En voici quatre. En décembre 2001, une femme a été
empalée, en plein Paris. À son drame, quelques journaux seulement ont consacré
un entrefilet de trois ou quatre lignes. Les médias étaient plus occupés par
l’affaire Elf et les bottines d’un ancien ministre. Il est tout aussi vrai que
de 1987 à 1999, les effectifs de police affectés à la répression du
proxénétisme et de la prostitution des mineurs ont été réduits de près de
moitié[46]. Ou encore, au Tribunal de Grande
instance de Paris le fameux « pôle financier » occupait en 2000-2001,
60 juges d’instruction, alors que 10 étaient affectés à la section des mineurs,
7 à la lutte contre le terrorisme, et 46 – qui étaient aussi en charge des
affaires financières – au « service général ». Une autre
anomalie : les trois affaires du sang contaminé, de l’hormone de
croissance et de la vache folle avaient été confiées à un seul juge
d’instruction en outre chargé d’une centaine d’autres dossiers[47].
b) À force de privilégier la
chasse à la corruption et de lui affecter le maximum de moyens, le risque est
grand (et il est déjà réalisé) que, faute de moyens, on en arrive à négliger la
recherche et l'instruction d'infractions beaucoup plus importantes au regard
des valeurs qu'une société se doit de défendre ; nous pensons à la
répression de l'esclavage sexuel sous toutes ses formes, prostitution, ventes
d'esclaves sexuels et, on l'a appris en 2001 (mais était-ce une surprise),
viols de femmes pour « produire » (excuser le mot) des enfants prêts
à être vendus comme esclaves sexuels[48]. Notre société est-elle à ce point
culpabilisée par l'argent et ses excès qu'elle affecte, au TGI de Paris, plus
de magistrats instructeurs à la lutte (nécessaire) contre la corruption
qu'à la chasse des marchands d'esclaves de toutes sortes ; est-ce parce que
cette chasse est moins porteuse médiatiquement s'entend que le juste combat
contre la corruption ? Il y a là matière à réflexion : les biens
avant les personnes.
c) On ne saurait évidemment renoncer
à poursuivre les délits financiers. Il fallait seulement leur donner leur juste
place au sein de la criminalité. Il ne fallait pas y affecter des juges en si
grand nombre qu’ils puissent instruire pendant des années, au besoin
sur la place publique, pour le seul profit des médias, des dossiers
vains - sauf par les personnalités visées - vides ou prescrits.
Surtout si, pour prix de telles poursuites, il fallait négliger les victimes
bien réelles des crimes de sang, ou du proxénétisme, mafieux et violent, dirigé
d’Europe de l’Est vers l’Europe de l’Ouest.
Pour le juge, la « gloire médiatique » a été très pernicieuse.
Il est sans doute plus valorisant, dans la vanité du moment, de poursuivre ou
d’instruire - publiquement, en toute illégalité – une affaire politique
et financière qu’une obscure affaire de banditisme classique à laquelle les
médias ne s’intéresseront pas, voire qui exige la plus grande discrétion pour
débusquer un réseau bien organisé. Mais ce sont alors les médias qui fixent les
priorités de l’institution judiciaire, ce sont les médias qui gouvernent
l’activité du juge. Où sont ses devoirs ?
d) le péché de trop grande
proximité avec le pouvoir exécutif
Ce type de proximité ne concerne pas
que les seuls juges d’instruction, mais tous les magistrats qui, par exemple,
acceptent de recevoir des décorations du pouvoir exécutif, alors que dans le
même temps certains d’entre eux revendiquent l’instauration d’un véritable
pouvoir judiciaire, aux côtés des pouvoirs législatif et exécutif. Pour un juge
d’instruction le péché est plus grave encore, car comment peut-on prétendre
être indépendant dans l'exercice de ses fonctions si l'on dépend du pouvoir,
pour se distinguer de ses collègues ? Parmi tous les serviteurs de l'État,
réservons les distinctions aux fonctionnaires d'autorité ; ils ont pour
mission d'obéir au pouvoir en place, qu'ils en aient la contrepartie
honorifique ![49] Cette proposition formulée dès 1996, a
été reprise, en mars 2005, par un syndicat de magistrats[50]. Elle gardera son actualité avec le
transfert au Parquet de la totalité des enquêtes (v. infra, III, sur les
garanties à mettre en place).
e) le péché de trop grande
proximité avec le pouvoir médiatique
Outre ce qui vient d’être dit au
sujet des pratiques consistant, en liaison avec le pouvoir médiatique, à
privilégier les affaires politico-financières sur la protection des personnes,
on relèvera qu’un ancien ministre des Finances a été contraint à la démission
par l'annonce d'une prochaine mise en examen puis relaxé, au motif que, selon
le jugement de relaxe, le juge d’instruction avait rendu une ordonnance de
renvoi qui « confinait à l'absurde ». Aurait-il été contraint à cette
démission si l’instruction n’avait pas été médiatisée ?
Dans une affaire concernant M.
Jean-Luc Lagardère, la Cour d’appel de Paris statuait, le 25 janvier 2002[51], par des motifs édifiants. Alors que
l’instruction avait commencé début 1993, pour prendre fin en 1999, la Cour
d’appel énonce que « la réalité et l’utilité des prestations fournies par
la société bénéficiaire aux sociétés débitrices en exécution des conventions
conclues ne sont pas discutées ». Elle ajoute qu’ « aucun
élément de l’instruction ne permet d’établir l’existence d’une
disproportion manifeste entre les prestations litigieuses fournies par la société
bénéficiaire et le montant des redevances versées en contrepartie ».
L’arrêt de la Cour de Paris a moins intéressé les médias que l’instruction, si
vide qu’elle ait pu être : faut-il s’en étonner ?
Il est certain que les médias ont
tout à gagner à médiatiser certaines affaires, mais les juges d’instruction qui
se prêteraient à de telles pratiques sont-ils encore des juges au sens noble et
plein du terme ?
f) le péché de consanguinité
avec le parquet
Entendons-nous bien, il n’est pas question de critiquer ici les relations
professionnelles fonctionnelles entre les juges d’instruction et les membres du
Parquet, mais d’attirer l’attention sur le risque que font peser sur les
libertés, quelques liaisons dangereuses.
a) Ainsi, des pôles économiques et
financiers. On sait que dans chaque ressort de cour d'appel, un ou plusieurs
TGI sont compétents pour traiter de la délinquance économique et financière
grâce à la spécialisation d'une formation du tribunal et à condition que
l'affaire soit d'une grande complexité. Parquet et juges d'instruction sont
aussi spécialisés (CPP, art. 704 et s.). L'idée a fait son chemin de
réunir en un même lieu et avec des moyens humains et matériels importants et en
partie communs, juges d'instruction et membres du parquet spécialisés dans ces
questions, afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre ce type de
délinquance, souvent liée à des réseaux internationaux et d'une grande
complexité juridique, économique et financière. Une circulaire du
19 février 1999 (no 99-2/G3) en a précisé les modalités de
mise en place et le premier pôle, parisien, a été installé le 1er mars
1999, dans les anciens locaux (faut-il y voir un symbole ?) d'un quotidien
du soir qui s'est depuis spécialisé dans le journalisme dit d'investigation et
qui, bien souvent (mais pas toujours), n'est qu'un journalisme de délation.
Qu'advient-il dans ces pôles et dans les faits, dans le quotidien d leur
pratique, du principe de la séparation des autorités de poursuite et
d'instruction, dans la mesure où ces deux organes du procès pénal travaillent
en commun, dans les mêmes lieux et, surtout, avec les mêmes moyens ? Des
assistants spécialisés, créés par la loi no 98-546 du
2 juillet 1998 (in art. 706, CPP ; décret d'application
n° 2004-984, 16 sept. 2004, in CPP, art. D. 47-4) leur sont
affectés en commun, ce qui laisse perplexe, au nom de cette séparation des
autorités de poursuite et d'instruction. Qui fait quoi dans ces pôles ?
Qu'est-ce qui relève de la poursuite ? de l'instruction ? La Cour
européenne des droits de l'homme s'attache beaucoup à l'apparence dans son
appréciation de la garantie d'un procès équitable ; l'apparence, ici,
c'est la confusion des genres et des fonctions. À terme, d'ailleurs, le
juge d'instruction apparaîtra pour ce qu'il est réellement, malgré la réforme
de 1856, un enquêteur, bref, un auxiliaire du parquet, en aucun cas ce juge des
libertés qu'il a bien fallu créer (V. L. 15 juin 2000, qui crée le
juge des libertés et de la détention). Une telle réforme, par le principe qu'elle
met en cause, aurait mérité un débat au Parlement[52]. En tout cas, elle aura préparé les
bouleversements annoncés par le rapport Léger.
En effet, les juges d'instruction
eux-mêmes ont programmé leur mort, lorsqu'ils ont accepté le principe des pôles
financiers qui les réunissent avec les parquetiers, dans une même
structure ; de même que le symbole du rapprochement spatial, au sein des
palais de justice, y compris les plus modernes, entre les bureaux des
procureurs et ceux des juges d'instruction, sans parler de cette complicité
entre les hommes de la poursuite et ceux de l'instruction, qui mènent de
concert les enquêtes et les instructions, ce qui a pour effet de pervertir le
principe de séparation des fonctions judiciaires ; à vouloir, et à
accepter, par petites touches, au quotidien de l'action judiciaire, les
atteintes à un grand principe d'organisation de notre justice pénale, les juges
d'instruction ont brûlé leur raison d'être, c'est-à-dire leur indépendance à
l'égard des autres organes de l'autorité judiciaire.
b) Ainsi aussi, de la pratique,
contraire au principe de séparation des fonctions de poursuite et
d'instruction, qui consiste, pour un juge d'instruction, à
« sous-traiter » [53] la rédaction de ses ordonnances de
renvoi devant le tribunal correctionnel ou de mise en accusation devant la cour
d'assises, en se contentant de recopier et de reprendre mot pour mot le
réquisitoire du parquet, procédé détestable qui contribue à accentuer ces
menaces qui pèsent sur la Justice des droits de l'homme et que
l'informatisation des cabinets d'instruction rend encore plus aisé par le
procédé du « couper-coller ».
Certains juges ont eu le courage de
dénoncer cette pratique que la chambre criminelle de la Cour de cassation
valide[54]. Ainsi, Claude Grelier déclare-t-il à deux journalistes
qui l’interrogent[55] : « Je trouve très
choquante la pratique du réquisitoire dit “définitif”. Tous les textes
prévoient qu'à la fin de l'instruction, c'est le juge qui détermine quelles
charges doivent être retenues. Or, ces textes ne sont absolument pas respectés
et la pratique judiciaire est celle du réquisitoire dit définitif, rédigé par
le parquet, avec lequel il est rarissime que le juge d'instruction ne soit pas
d'accord. C'est donc en fait l'une des parties au procès qui clôt
l'instruction. Et j'ai vu de très nombreux jugements de tribunaux
correctionnels ou de cours d'appel qui sont la copie, parfois la photocopie du
réquisitoire définitif ! On aura du mal à se débarrasser de l'emprise du
parquet sur le siège ».
On ajoutera que la chambre criminelle a validé cette
pratique contraire à nos engagements internationaux (où est l'égalité des armes,
si le parquet détient l'arme du renvoi ?) ; que la pratique continue,
à en croire la reproduction dans la presse, pour des affaires fortement
médiatisées, et de l'ordonnance de renvoi et du jugement de condamnation ;
que le doute des juges de jugement devrait être la règle ; que la pratique
s'aggrave avec, parfois, un réquisitoire lui-même directement inspiré par le
rapport de synthèse du SRPJ, ce qui fait, qu'au bout de la chaîne, la personne
interrogée par la police sera condamnée par un tribunal au vu de ses
déclarations à celle-ci.
c) Ainsi enfin, est tout à fait
significatif de cette dangereuse proximité avec le Parquet, la réaction
pathétique et quasiment désespérée du (trop) jeune juge d’instruction de
l’affaire d’Outreau, lorsqu’il fut interrogé sur sa solitude au sein de sa
juridiction, par la commission parlementaire d’enquête. Sans l’accabler (car
d’autres magistrats ont connu de l’affaire sans être inquiétés), il répondit
qu’en cas de doute, il allait voir le Procureur ou le Président de la chambre
de l’instruction. Double erreur, car le premier poursuit dans le cadre du
principe de séparation des fonctions judiciaires et parce que le second est
censé le contrôler à la tête de sa chambre.
g) le péché d’anticipation sur
le jugement au fond
Interrogée par deux journalistes, Madame Edith Boizette
s’exprime ainsi : « dans le dossier Péchiney-Triangle, j'ai
demandé une caution qui était le double de la plus-value réalisée par chacun
des inculpés quand je les ai placés sous contrôle judiciaire, en ayant bien
conscience que c'était une présanction. La peine encourue représentait alors le
quadruple de la somme détournée... J'ai donc pris un moyen terme. Je me suis
demandée : si j'étais juge, quelle sanction appliquerais-je ? au
moins la moitié. J'ai donc fixé la caution au double des profits réalisés,
8,8 millions de francs pour l'un et 4,4 millions pour l'autre[56] ». Voilà une provision à
juge unique et prise au mépris des droits de la défense, qui s’apparente à une
peine ; que dire si la provision n’est plus une caution, mais une
détention provisoire, ce qui était encore possible antérieurement à la loi du
15 juin 2000 ?
Ces pratiques et toutes celles qui viennent d’être dénoncées, portaient en
elles la mort annoncée du juge d’instruction. Mais par quel système le
remplacer ?
iii – il était une fois en
France une révolution[57] annoncée et encore à venir
Le rapport Léger marque une étape
importante sur le chemin de la transformation radicale de notre système de
procédure pénale, mais c’est toute l’articulation des organes du procès pénal
qui est ici en cause dans la mise en œuvre de la réforme (B), bien au-delà du
souhait porté depuis longtemps par des voix autorisées de voir disparaître le
juge d’instruction (A).
a) des voix autorisées pour la
suppression du juge d’instruction
Pour éclairer le débat sur le juge
d'instruction, non pas sur les hommes qui exercent ces fonctions difficiles et
qui sont bien souvent confrontés à la lie de la société, mais sur l'institution
que certains ont dévoyée, quelques témoignages de magistrats ou d’avocats sont
révélateurs du malaise qu’a créée l'institution au sein même de la
magistrature, sans parler de la société civile.
a) Points de vue de juristes
français
1) Un Parquetier : lors de son
départ en retraite, Pierre Truche, Premier président de la Cour de cassation
(et, surtout, ayant occupé les plus hautes fonctions au parquet, y compris
comme Procureur général de la Cour de cassation), répondait à la question « le
juge d'instruction va-t-il, à terme, disparaître ? », « je
l'espère bien ! Rares sont dans le monde, les pays à avoir des juges
d'instruction tels que nous les connaissons. Ce n'est pas un signe de
modernité... Il faudrait confier l'enquête à un procureur, dont le statut
serait modifié, avec, en face, un vrai juge désigné par le CSM. Il interviendrait
dès qu'un droit fondamental serait en cause (détention, perquisition chez un
avocat) et fixerait des délais au procureur. Il n'est pas sain d'instruire et
de juger »[58].
2) Un juge d'instruction : « je
serai plutôt partisan de la suppression du juge d'instruction. On ne peut à la
fois être juge et chargé d'une fonction d'enquête, de type policier, qui
s'apparente vraiment à la chasse. Il faudrait dans un premier temps prendre
l'habit du chasseur et, dans un second temps, mettre une toque de juge pour
être garant des droits individuels, apprécier la régularité de la
procédure ? Je n'y crois pas ». Et plus loin, « c'est
tout de même l'aspect recherche de la vérité qui prime chez le juge
d'instruction, plutôt que celui garant des procédures ? C'est
incontestable... Il faut mettre fin à la schizophrénie »[59].
3) Un avocat pénaliste : « j’avance
sans masque : je suis favorable à cette réforme, comme vous le savez.
J’entends que les juges d’instruction seraient les garants naturels des
libertés individuelles et de la sûreté des personnes, lesquelles seraient
aujourd’hui en grand danger ! C’est un argument que je ne peux pas
accepter. Les abus de pouvoir et les erreurs judiciaires qu’ont commis les
juges d’instruction ces dernières années ne sont-ils pas au contraire les
preuves visibles du danger que peut représenter un juge seul, doté de pouvoirs
si puissants, sûr de sa morale et de son bon droit ? »[60].
b) Vision anglaise du juge
d'instruction français : « ce fonctionnaire de l'État a pour tâche de
faire avouer un suspect. Afin d'obtenir des aveux le juge peut l'emprisonner,
pendant des mois, voire des années, sans procès »[61]. Pour être complet et honnête,
certains juristes anglais découvrent les mérites de l'instruction à la
française, critiquant, dans leur pays, la procédure de recherche des preuves
par la police qui a donné lieu à des excès[62], tels l’affaire dite des « quatre
de Guilford »[63] ou des « sept
de Maguire ».
Il faut donc construire notre propre
système, imprégné de notre propre culture.
b) comment procéder ?
Au-delà des passions, personnelles
ou politiciennes, la question est plus que jamais d'actualité ; il faut la
traiter sans passion précisément et sans la pression de quelques affaires
contemporaines. Comment décanter un problème qui a donné lieu à tant de
projets ? Une première chose est certaine, il ne faut pas exagérer
l'importance quantitative des affaires soumises à la sagacité d'un juge
d'instruction (5% aujourd’hui, contre 20% en 1960 et encore 8% en 1989), mais,
à l'inverse, ce n'est pas parce que peu de gens sont concernés qu'il ne faut
rien faire ; la liberté d'un seul serait-elle en cause qu'il faudrait
agir.
Une nouvelle articulation générale
des organes du procès pénal, déjà ancienne, nous voulons dire développée par
certains auteurs bien avant le rapport Léger[64], permet de tracer les grands axes d’une
réforme (1°). Nous ne pouvons donc que nous réjouir que ce rapport reprenne
nombre de nos propositions (avec, au-delà de la suppression du juge
d’instruction, l’instauration d’une obligation de loyauté, la transformation en
arbitre du président de la juridiction de jugement et la motivation des arrêts
d’assises).
Mais, le rapport Léger laisse
subsister quelques incertitudes sur la mise en œuvre de la réforme, car il ne
relevait pas de sa mission de rédiger un projet de loi complet, simplement de
fixer de grandes orientations ; or, c’est dans les détails que l’on trouve
le diable ! Il faut donc accompagner la proposition phare de suppression
du juge d’instruction et de l’enquête confiée désormais au Parquet, d’une
réflexion sur les garanties à mettre en place pour que cette suppression
n’aboutisse pas, purement et simplement, à transposer les défauts du système
actuel sur la tête des procureurs qui, demain, seront en charge des enquêtes
aux lieu et place des juges d’instruction (2°).
1°) Une nouvelle articulation générale des organes du
procès pénal
Poser le principe de la suppression
du juge d’instruction, c’est répondre à la question : par qui le
remplacer ; qui exercera ses fonctions ? Au-delà des sirènes
anglo-saxonnes auxquelles il ne faut point céder (a), c’est un système « à
la française » qu’il faut construire (b), pour tenir compte de notre
propre culture judiciaire.
a) écarter les sirènes anglo-saxonnes
1) Il ne se passe pas un jour sans
que le système judiciaire répressif américain (traduisez USA) nous soit montré
en modèle idéal (à la différence d'ailleurs du système pénitentiaire)[65].
– D'abord, à la télévision ou au cinéma, avec des
films, généralement remarquablement bien tournés [66], qui nous montrent l'action de la police
américaine, du procureur, du jury populaire, sans oublier le président du
tribunal, avec la si classique désignation par l'expression « votre
honneur », qu'on se demande jusqu'à quand, dans les Palais de justice
français, on résistera à la tentation d'appeler le président du tribunal
« votre honneur » ! Il est notable de constater que le centre
d'intérêt des cinéastes américains s'est progressivement déplacé de l'action de
la police (cf. les films noirs des années trente et quarante) au fonctionnement
du système judiciaire[67]. L'autorisation en 1981, par la Cour
suprême américaine, de retransmettre à la télévision les procès en cours, a
accentué ce phénomène[68].
– Dans les esprits ensuite, avec cet oubli, que ne
font pas les films, du contexte économique, social et culturel dans lequel le
système américain baigne. L'attirance vers un système très accusatoire est
forte, avec une égalité des armes totale entre l'accusé et le ministère public
(sur le plan théorique), avec la distinction du jury d'accusation et du jury de
jugement, etc. ; ce système générerait moins d'erreurs judiciaires, serait
plus respectueux des droits de la défense que le nôtre. On oublie de dire, généralement,
que le respect des droits de la défense a valeur constitutionnelle et que la
procédure pénale américaine est d'abord une branche du droit constitutionnel.
2) Tout ceci est en partie vrai,
mais en partie seulement, d'une part, parce qu'on ne peut pas juger un modèle
en le détachant de son contexte économique, culturel et social, d'autre part,
parce que la connaissance de ce modèle est souvent indirecte chez ceux qui le
donnent en exemple ; ils ne l'ont pas vraiment étudié, n'en ont qu'une
connaissance superficielle. Il faut connaître ce système[69], encourager les études comparatives,
mais porter sur lui un regard lucide, sans complaisance, dresser la liste de
ses avantages et de ses vertus, mais aussi de ses effets pervers (par ex., au
niveau de la transaction, du plea bargaining)[70], de ce qui lui est spécifique en raison
du contexte dans lequel il évolue, bref, faire la part des choses. On ne peut
transposer un système complet, sans tenir compte de notre héritage
socioculturel et juridico-judiciaire ; la transfusion dans le domaine des
sciences sociales n'est pas acceptable sans précautions ; comme en
médecine et en biologie, il y a des compatibilités à respecter, sous risque de
rejet de la perfusion ou de la greffe.
3) Et nous avons un héritage qui
pèse lourd dans les contraintes, les blocages de notre société :
– On n'évacue pas facilement, par exemple, des esprits
des juges d'instruction français, leur tendance inquisitoriale poussée à son
paroxysme, jusqu'à créer une association, non pas de défense de leurs intérêts
professionnels (ce qu'un syndicat pourrait d'ailleurs faire), mais de défense
du système dans lequel ils évoluent, alors que ce choix appartient au peuple
souverain, donc au Parlement.
– Il faut aussi tenir compte, autre exemple, de la
structure très hiérarchisée de notre société, hiérarchie qui ne peut pas ne pas
avoir de conséquences sur l'organisation du parquet. Qu'on le veuille ou non,
en France, tout remonte, plus ou moins, par des voies directes ou indirectes, à
l'État, au sommet de la pyramide de la hiérarchie ; il est vrai que les
choses commencent à bouger, localement, dans les parquets, avec les politiques
locales de sécurité, les initiatives de certains procureurs[71], mais le mouvement est plutôt un
frémissement qu'une révolution. Nous ne voulons pas dire par là qu'il ne faut
rien faire, mais qu'il faut le faire en connaissance de cause et avec prudence.
En bref, « il y a bien une
culture judiciaire que nous portons en nous, qui vit en nous, palpable et
mystérieuse tout à la fois, dont nous sommes les héritiers et les acteurs, dont
nous sommes responsables dans tout ce petit point de temps qui représente
chacune de nos vies. Et l'Europe est toujours là »[72].
b) Construire un système « à la
française »
1) Une première piste semblait se
dessiner et, progressivement, recueillir l'assentiment des hommes de bonne
volonté, ni sécuritaires, ni laxistes (tout au moins avant la publication du
rapport Léger…), celle de la dissociation des fonctions d'enquête (de chasseur)
et du pouvoir juridictionnel sur la liberté des suspects. On vient de le voir,
c'est le point qui est immédiatement dénoncé par les magistrats soucieux d'une
justice respectueuse de nos engagements en faveur des droits et libertés
fondamentaux. C'est le sens de nombreux projets, dont le rapport Léger. Il
faudrait d'ailleurs affiner cette présentation, car, en réalité, le juge
d'instruction exerce trois fonctions, celle d'enquêteur, celle de juge, mais
aussi celle de poursuite lorsqu'il étend sa saisine qui est in rem à des
personnes non visées dans l’acte introductif des poursuites, ou lorsqu’il rend
une ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement.
2) À supposer cette
dissociation acquise en droit, mais surtout en fait, dans son effectivité au
sens de la jurisprudence européenne, il reste la question de savoir s'il est
encore besoin d'un juge d'instruction qui ne ferait qu'instruire au sens
d'enquêter. Le code de 1808 avait répondu par l'affirmative, mais, en réalité,
en faisant de ce juge un OPJ et en le plaçant sous les ordres du parquet.
Alors, pourquoi ne pas franchir le pas et confier les pouvoirs d'enquête dans
l'instruction actuelle au parquet, avec un contrôle des juges du siège sur les
actes coercitifs, tels que les perquisitions et saisies ? Plus n'est
besoin d'un organe spécialisé et c'est sans doute parce que la dissociation des
pouvoirs d'enquête et de décisions sur la liberté semblait sur le point
d'aboutir en 1999-2000, que les pressions et les critiques se sont faites plus
fortes contre ce projet ; derrière cette dissociation se profile la
disparition, à terme, du juge d'instruction qui serait remplacé par le parquet.
C’est la solution que nous avions
préconisée il y a plus de dix ans[73] et qui est effectivement adoptée par le
rapport Léger. C’était déjà la solution préconisée par de nombreux auteurs,
dont M. le Doyen André Decocq qui, dans une remarquable communication à
l'Académie des sciences morales et politiques, le 3 avril 1995, nous
invitait à méditer sur l'expérience du code de 1808 et à relire le projet Donnedieu
de Vabres, pour conclure à l'inspiration d'une nouvelle réforme :
« au ministère public reviendrait la mission d'instruire, avec le concours
de la police judiciaire ». À la juridiction de l'instruction [qui ne
se confond pas avec la fonction d'instruction], il appartiendrait d'autoriser
les investigations attentatoires à la liberté individuelle, de statuer sur les
demandes d'investigations des parties, d'ordonner, le cas échéant, la détention
provisoire ou le contrôle judiciaire, de régler la procédure [au sens technique
du règlement en fin d'instruction, qui consiste à prendre une décision de
non-lieu ou de renvoi]. Il conviendrait également d'habiliter cette juridiction
à ordonner d'office les investigations, s'il lui apparaissait que l'instruction
s'égare.
A ceux qui objecteraient que celui
qui poursuit ne peut instruire, on répondra que nul ne peut poursuivre sans un
minimum de connaissance de l’affaire, du dossier de la procédure, donc
d’instruction et que, déjà aujourd’hui, lorsque le juge d’instruction renvoie
un mis en examen devant une juridiction, il exerce au plus haut degré l’acte de
poursuite par excellence, après avoir instruit l’affaire, au même titre que le
Procureur qui cite devant une juridiction un mis en cause après une enquête
qu’il aura conduite. Les schémas sont parallèles. Enquête et poursuite sont
intimement liées ; ce qui ne doit pas l’être c’est d’investiguer avec des
pouvoirs juridictionnels, notamment quant aux mesures restrictives de liberté.
3) Resterait alors deux organes de
l'autorité judiciaire, le parquet et le juge du siège, le premier ayant déjà
des pouvoirs de rétention des personnes et de restriction à leur liberté
d'aller et de venir, dans le cadre d'une enquête. Faut-il les maintenir ?
Le Conseil constitutionnel a indiqué, dans ses décisions des 2 février
1995 (Injonction pénale) et 16 juillet 1996 (Perquisitions de
nuit), qu'il pouvait y avoir une gradation dans l'intervention des
différents acteurs de l'autorité judiciaire, en matière d'atteintes à la
liberté individuelle ; la compétence respective du Parquet et des juges du
siège en matière de liberté individuelle serait déterminée, conformément aux
décisions du Conseil, en fonction du degré de gravité de la mesure envisagée en
matière de liberté individuelle : aux seconds la détention provisoire et
la décision sur la garde à vue au-delà d'une durée à confirmer ou à fixer (24,
48 heures ? pas au-delà) ; aux premiers, ce qui est en deçà[74]. Mais la jurisprudence européenne sur
l’indépendance du parquet français risque de remettre en question cette
construction (v. infra, 2°, b). Parler de l’indépendance du Parquet,
c’est poser la question des garanties à apporter quant au respect de la liberté
individuelle dans un tel système. C’est sur ce point que le rapport Léger doit
être complété.
2°) Les garanties nécessaires
Ces garanties s’orientent autour des
deux questions de l’indépendance du Parquet et des droits de la défense.
D’ailleurs, le Conseil national des Barreaux ne s’y est point trompé, lui, qui,
au lendemain de la publication du rapport Léger a clairement déclaré que les
propositions contenues dans ce rapport « ne peuvent se concevoir qu’à
la double et impérative condition d’être accompagnées d’un nouveau statut du
Parquet et d’un renforcement véritable des droits de la défense »[75].
a) La garantie d’indépendance et
d’impartialité du Parquet
On a beaucoup dit et écrit sur cette
indépendance et cette impartialité, non sans arrière-pensées et quelques
fantasmes. En réalité, la question se dédouble : indépendance organique,
en raison du lien entre le Parquet et la Chancellerie ; c’est la question
d’un statut rénové (1). Impartialité personnelle en raison des comportements
individuels ; c’est la question d’une vertu retrouvée (2).
1) La question de l’indépendance
organique : un statut rénové
Le point est délicat car il
touche à la nécessité de la cohérence de la politique pénale sur tout le
territoire de la République, à concilier avec la garantie qu’il n’y aura pas de
favoritisme ou, à l’inverse, d’acharnement inspiré par l’exécutif contre une
personne mise en cause dans une affaire pénale. Il faut ici concilier des
impératifs souvent antagonistes.
α) Certains revendiquent la rupture
de tout lien entre le pouvoir exécutif, donc la Chancellerie, et le Parquet.
Au-delà de l’arrière-pensée de certains de créer un véritable pouvoir
judiciaire totalement indépendant des deux autres, c’est la question de la
légitimité de ce pouvoir qui est posée. Nul ne conteste, en revanche, la
nécessité qu’une autorité unique doive diriger la politique pénale sur
l’ensemble du territoire national ; deux exemples suffiraient d’ailleurs à
convaincre les réfractaires à cette idée : lorsqu’en 1974 fut votée la loi
sur l’interruption volontaire de grossesse qui décriminalisait l’avortement, il
fut fort utile que le Garde des Sceaux de l’époque puisse enjoindre à tous les
Parquets de France de ne plus poursuivre de ce chef pendant la durée des
travaux parlementaires. Lorsque des évènements graves se produisent, avec la
nécessité vitale pour le pays, de se réconcilier, il est encore fort utile
qu’une seule autorité puisse enjoindre aux Parquets de ne poursuivre que sous
certaines conditions bien précises. Seul un pouvoir politique issu de
l’élection qui lui confère sa légitimité, est habilité à être cette autorité
unique. Toute proposition d’un « Procureur général de la Nation » qui
incarnerait cette autorité hiérarchique est vouée à l’échec par manque de
légitimité. Et la remarque vaut, au-delà de nos deux exemples, pour toute la
politique pénale, pour le choix des priorités dans la conduite de l’action
publique. On pourrait d’ailleurs améliorer la transparence sur ce sujet en imposant
un débat annuel au Parlement sur les objectifs poursuivis par le Gouvernement
et en nourrissant ce débat d’éléments statistiques et qualitatifs d’évaluation
des politiques menées.
Si l’on accepte ce schéma, il reste
à garantir que, au quotidien, l’exécutif n’interviendra pas dans les affaires
individuelles, plus exactement ne fera pas valoir des intérêts partisans. Il ne
faut pas en effet se leurrer : toute interdiction généralisée
d’instructions particulières engendrera la suspicion d’instructions secrètes,
verbales bien sûr ; de plus, dans quelques (rares) affaires, il est sain
que la Chancellerie puisse exprimer son point de vue ; mais cela doit être
public, pas pour enterrer clandestinement un dossier ou poursuivre de sa
vindicte partisane tel ou tel mis en cause. À ce niveau, la publicité des
instructions est la première des garanties données aux justiciables. Mais il en
est une autre, qui pose la question du statut du Parquet dans les conditions de
la nomination et la promotion de ses membres, ainsi que leur régime
disciplinaire.
β) La portée de la jurisprudence
européenne quant à l’indépendance du Parquet dans l’application de l’article 5
de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans les conditions actuelles du
droit français en matière de promotion et de régime disciplinaire, on ne
s’étonnera pas que la Cour EDH considère, au regard de l’article 5, § 3 de la
Convention (impartialité exigée du magistrat chargé du contrôle d’une
arrestation ou d’une détention) que les membres du Parquet n’ont pas la qualité
de membre de l’autorité judiciaire, en raison de leur manque d’indépendance à
l’égard de l’exécutif. La Cour EDH a défini l'impartialité du magistrat par
rapport à un critère apprécié in abstracto et non pas in concreto,
en ce sens que peu importe que, en l'espèce soumise à la Cour, le magistrat du
parquet n'ait pas exercé les fonctions d'un organe de poursuite ; dès lors
qu'il y avait une chance pour qu'il les exerce contre la personne traduite
devant lui dans le cadre d'une arrestation, « son impartialité peut
paraître sujette à caution » [76]. La simple possibilité crée la
partialité, jette un doute sur l'impartialité du magistrat. Il en est ainsi,
par exemple, pour un procureur polonais qui, lorsqu'il se prononce sur la
détention provisoire d'un prévenu, n'est pas un magistrat indépendant des
parties puisqu'il est susceptible d'intervenir dans la procédure ultérieure à
titre de représentant de l'autorité de poursuite[77]. Les enseignements à tirer de cette
jurisprudence pour le parquet français sont clairs, même si la chambre
criminelle les ignore délibérément [78] : les magistrats du parquet ne
sont pas, en France, des magistrats habilités à se prononcer sur une
arrestation ou une détention puisqu'ils ont la possibilité d'être organe de poursuite
à l'égard de cette personne ; c'est d'ailleurs ce qu'avait envisagé la
Commission EDH dans une affaire mettant en cause la qualité de magistrat de
l'avocat général devant l'ex-Cour de sûreté de l'État [79]. Et c’est ce que vient de décider la
Cour EDH, mais appel a été formé devant la grande chambre qui ne devrait rendre
sa décision qu’à la fin de l’année 2009[80]. Si l’arrêt a été rendu au regard de
l’article 5 de la Convention EDH, sa portée dépasse celle de cette disposition,
car il est rédigé en termes très généraux ; la lecture du nouvel article
65 de la Constitution ne peut que renforcer la Cour EDH dans sa
conviction : quel est ce « magistrat », nommé par l’exécutif
après avis simple du CSM et dont les sanctions disciplinaires sont prises par
l’exécutif, dans les mêmes conditions d’avis simple ? Où est son indépendance ?
Mais l’obstacle n’est pas
insurmontable, car, d’une part, l’arrêt condamne d’abord et essentiellement le
cumul de la fonction de poursuite avec celle de contrôleur d’une arrestation ou
d’une détention et d’autre part, parce qu’il est possible de corriger la
dépendance du Parquet dans ses conditions de nomination et de promotion, ainsi
que dans son régime disciplinaire sans pour autant remettre en cause le lien
nécessaire de subordination à l’autorité qui détermine la politique pénale de
la Nation, tout en échappant aussi à la condamnation de la Cour EDH.
Dès lors que, dans le système que
nous préconisons, le Parquet enquête et poursuit mais ne contrôlerait plus les
arrestations et détentions au sens de l’article 5 de la Convention EDH (cette
fonction reviendrait au seul juge de l’enquête et des libertés), la critique de
la Cour EDH, ainsi que la condamnation de la France, tombent.
γ) Les quelques ajustements de
statut qui pourraient aisément gommer la critique d’une dépendance si étroite
avec le pouvoir exécutif que l’impartialité du Parquet dans sa conduite des
instructions en serait altérée, pourraient être les suivants : il
suffirait de soumettre les nominations, promotions et sanctions disciplinaires
à un organe (le CSM) contrôlé et dominé non pas par les juges ou par le pouvoir
exécutif, mais par la Nation, avec des représentants issus de la société civile
majoritaires au sein de cet organisme. Après tout, la théorie de la séparation
des pouvoirs ne signifie nullement que chacun des trois pouvoirs fait ce qu’il
veut de son côté, s’autogère sans le contrôle d’une autre autorité. Ainsi,
l’activité législative du Parlement (donc des projets de lois présentés par le
Gouvernement) est soumise à la censure du Conseil constitutionnel (dans des conditions
élargies par la réforme constitutionnelle de juillet 2008). De même, le
législatif et l’exécutif se contrôlent-ils l’un l’autre, par tous les rouages
de l’articulation des pouvoirs publics (droit de dissolution, motion de
censure, etc…). En quoi serait-il attentatoire aux libertés individuelles que
le CSM soit cet organe, en majorité extérieur au monde judiciaire, qui, tout à
la fois nomme (ce qui supposerait un avis conforme et non pas un avis simple,
pour l’ensemble des membres du Parquet[81]), promeut et, le cas échéant,
sanctionne ? La magistrature ne peut qu’y gagner en légitimité en
éliminant le soupçon du corporatisme (ce que postule tout système dans lequel
les juges sont majoritaires) et celui du favoritisme (en ne remettant pas les
nominations, promotions et sanctions entre les mains de l’exécutif). Encore
faudrait-il s’entendre sur un système impartial de désignation des membres
« civils » de ce CSM, avec un équilibre à trouver entre toutes les
sensibilités qui peuvent s’exprimer dans notre pays. Cela ne doit pas être
impossible ! Nous n’ignorons pas que la procédure sera assez lourde
puisqu’elle suppose, sur le point du statut du Parquet une modification de la
Constitution ; mais le jeu n’en vaut-il pas la peine ? Ce serait
passer à côté d’une grande réforme, à l’égale de celle conduite par Napoléon à
l’époque des grands codes ou par Jean Carbonnier à l’époque des grandes
réformes de notre droit civil à partir des années soixante. Mais quelle trace
laissera dans l’histoire de notre pays, celui qui aura la volonté de la
conduire à son terme !
La vraie question est plutôt de
savoir si les membres du Parquet y sont prêts. On peut en douter pour certains d’entre
eux, les traditionnels habitués des couloirs du pouvoir, mais il est permis de
penser que cette minorité désertera vite ces mêmes allées du pouvoir
lorsqu’elle se rendra compte qu’elle ne peut y trouver ni nomination, ni
promotion, ni indulgence disciplinaire. Cette réforme suppose aussi que
certains comportements personnels changent.
2) L’impartialité personnelle dans les
comportements individuels : une vertu retrouvée
1) La jurisprudence française
affirme que le parquet n'est tenu à aucune obligation d'impartialité ; ce
qui vaut pour l'impartialité fonctionnelle, liée soit à la séparation des
fonctions, soit à l'exercice des fonctions de poursuite, vaudrait aussi pour
l'impartialité personnelle, liée aux considérations propres à celui qui représente
le ministère public ce jour-là. Les exemples qui suivent permettent de douter
de la pertinence de ce point de vue.
- Ainsi, la chambre criminelle ne
craint-elle pas d'affirmer qu'il n'y a aucune atteinte à l'impartialité du
tribunal dans le cas d'un avocat général qui serait parrain du fils du
principal prévenu[82]. Il est vrai que, littéralement, le
parquet étant une partie il ne compose pas le « tribunal » au sens de
l'article 6, § 1, mais il est évident que la position de la chambre
criminelle fait peu de cas de la jurisprudence européenne qui s'attache à
l'image que la justice donne d'elle-même. Quelle confiance le justiciable
peut-il avoir dans une justice où le parquet est représenté par un avocat
général parrain du fils du prévenu ? À une époque où les membres du
parquet revendiquent le statut de magistrats que leur contestent les premiers
présidents de cour d'appel, il serait sain que la chambre criminelle leur
applique les mêmes obligations qu'aux juges du siège, lorsqu'ils ne se les sont
pas imposées à eux-mêmes (en se déportant).
- Même position dans une affaire où
il était invoqué l'attitude prétendument déloyale du parquet dans une première
affaire (il aurait dissimulé une pièce du dossier pour écarter le privilège de
juridiction dont bénéficiaient les élus jusqu'en 1993, pièce enregistrée au
parquet, mais dont le procureur niait l'existence jusqu'à la délivrance du
bordereau informatique en faisant état), pour obtenir la délocalisation d'une
seconde procédure sur le fondement de l'article 662, CPP (requête en
suspicion légitime) ; pour la chambre criminelle, la suspicion d'une
attitude partiale du parquet ne peut être retenue que si elle concerne le même
procès, la même affaire [83].
- Dans une curieuse affaire, il
avait été prétendu par une personne placée en détention provisoire, que
l'entretien entre le représentant du parquet et le juge des libertés et de la
détention avant la tenue de l'audience à l'issue de laquelle la détention
provisoire fut prolongée de six mois, avait vu naître un doute quant au respect
du principe du contradictoire ; cet entretien ayant lieu hors la présence
de la défense, « il était à craindre que le juge ait pu orienter le
réquisitoire du procureur ». Pour la chambre criminelle, « le seul
fait » de cet entretien ne pouvait accréditer « un doute objectivement
justifié quant au respect du contradictoire ». [84] En réalité on était davantage dans le
domaine de l'impartialité que dans celui du contradictoire, mais il était plus
diplomatique sans doute d'invoquer le non respect du contradictoire que
l'impartialité du juge !
Pourtant, ne faut-il pas exiger plus
qu'une obligation de loyauté du parquet, une obligation d'impartialité
personnelle, au niveau de l'enclenchement des poursuites, mais aussi de son
exercice ? Il est clair, à cet égard, que l'existence d'un lien de
parenté, d'alliance ou simplement affectif (entre parrain et filleul) entre le
représentant du parquet et le prévenu (ou sa famille) peut troubler l'image de
la justice quant à l'objectivité de l'action du parquet. De même que les
conditions d'exercice de l'action dans l'affaire précitée de la dissimulation
d'une pièce et du silence gardé sur son enregistrement informatique, la
circonstance que la déloyauté avait eu lieu dans une autre affaire n'ôte pas à
l'acte déloyal son caractère partial. Là encore, quelle image de la justice
est-elle donnée aux justiciables ?
2) Le Conseil supérieur de la
magistrature ne s'y est pas trompé, lui, lorsqu'il a jugé le 21 décembre
1994, en formation disciplinaire, « qu'en prenant des décisions de
poursuite et de classement dans des procédures mettant en cause des personnes
avec lesquelles il était en relation d'affaires, le membre du parquet a pu
légitimement faire douter de l'impartialité du parquet ».
Jurisprudence dont un procureur
aurait bien fait de s’inspirer, alors que, selon la presse (non démentie à ce
jour), il réunit à sa table (pour un dîner à son domicile) le policier chargé
d’une enquête, le patron d’un groupe concerné par cette enquête, l’avocat de ce
patron et sa propre épouse qui travaille pour la fondation de ce groupe !
Les apparences ne sont guère trompeuses, puisque les deux juges d’instruction
chargés d’affaires en relation avec cette enquête ont déchargé ce policier de celle-ci[85]. Où va-t-on avec de tels comportements
qui suscitent la suspicion sur la loyauté du parquet ?
Sous ce regard et celui de sa
déontologie, comment qualifier le comportement du même Procureur de la
République qui, choisit de se faire remettre les insignes d’une décoration par
le chef de l’exécutif en personne ?[86] Comment peut-on oser demander (et en
tout cas accepter) qu’une telle remise ait lieu dans ces conditions, alors
qu’on est tenu à un devoir de réserve dans la Cité ?
3) Au regard de la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme tous ces comportements sont
condamnables et devraient, à l’avenir, pourvoir être sanctionnés sur le plan
disciplinaire s’entend – ne serait-ce que par un simple blâme – par l’organe de
sanction à majorité civile que nous appelons de nos vœux. Après tout, lorsqu’on
représente l’intérêt public, ceux de la Nation, dans l’exercice, au quotidien,
de ses fonctions de poursuite (et, demain, d’enquête généralisée), il n’est pas
anormal que l’on soit placé sous le regard vigilant de ceux au nom de qui cet
intérêt est défendu.
b) L’extension des droits de la défense
1) La garantie d’un débat public impartial
A propos de l'horrible affaire
d'Outreau jugée en deux fois, d'abord en juillet 2004, puis en décembre 2005,
avec l'acquittement de toutes les personnes mises en cause par les parents des
enfants qu'ils avaient eux-mêmes violés voici ce qu'en écrivait Hubert
Dalle, haut magistrat et homme de réflexion sur les choses de la justice, au
jugement pertinent : « ce procès fait apparaître une contradiction
fondamentale entre les méthodes de construction de la vérité judiciaire par un
dossier et celle qui résultait du procès d'assises. Y aurait-il deux vérités
judiciaires ? La première écrite, professionnelle, construite en trois ans
dans le secret des services de police et de gendarmerie, du Parquet, d'un
cabinet de juge d'instruction et d'une chambre de l'instruction. La seconde,
orale, publique, devant un jury populaire, après neuf semaines de débats
contradictoires, à armes égales entre accusation et défense et devant l'opinion
publique. La vérité professionnelle construite par des juges pour des juges se
heurte à la vérité judiciaire du procès d'assises, déconstruite par le débat
public devant des non-professionnels. Outreau démontre, une nouvelle fois, que
la construction de la vérité judiciaire par un juge qui instruit en principe “à
charge et à décharge” ne présente pas les mêmes garanties que le débat oral,
contradictoire et public entre l'accusation et la défense devant la cour
d'assises. Ce procès hors norme a démontré jusqu'à l'extrême l'inadéquation du
système procédural français »[87].
C’est dire que l’une des premières garanties à renforcer en matière de droits de
la défense, c’est d’instaurer le maximum de publicité tout au long de
l’instruction, pour assurer la transparence des enquêtes et de réformer
ensuite, au niveau de la phase de jugement, le rôle du président de la
juridiction. Le rapport Léger l’envisage expressément pour tout président de
juridiction de jugement qui doit devenir un arbitre impartial (ce que certains
sont déjà, heureusement, comme dans la triste affaire Roman pour le
meurtre de la petite Céline). Il devient intolérable de voir des présidents se
transformer en accusateur et montrer ostensiblement que, dès l’ouverture des
débats, leur conviction est acquise.
2) La garantie de réels pouvoirs de contrôle de
l’activité du Parquet
- Cela concerne d’abord le futur juge des enquêtes et des libertés qui,
indirectement, participe à l’affermissement des droits de la défense. Si l’on
ne veut pas qu’il soit, de fait, extérieur à l’enquête, il faut lui donner les
moyens juridiques et matériels de son contrôle du travail du Parquet. Il ne
faut pas que, demain, ce nouveau juge soit dans la situation de nombreux juges
des libertés et de la détention qui n’ont pas les moyens de leurs missions (cf.
l’affaire d’Outreau qui a révélé que le JLD était très extérieur au dossier,
sans avoir pu infléchir l’enquête). Il est donc nécessaire qu’un même juge des
enquêtes et des libertés n’ait pas trop d’affaires à traiter en même temps.
Surtout, il doit être hiérarchiquement situé à un grade élevé, afin de lui
donner le poids nécessaire dans le corps pour asseoir son autorité sur le
Parquet. Ne peut-on envisager aussi qu’il puisse contester le choix opéré par
le Parquet entre tel ou tel type d’enquête, voire saisir la chambre de
l’instruction pour le dessaisir s’il estime qu’une cause grave le
justifie ?[88]
- Cela concerne aussi les avocats des parties mises en cause qui doivent
pouvoir s’adresser à ce juge pour lui demander qu’il ordonne les actes d’investigation
que les enquêteurs auraient refusé d’accomplir, le tout sous le contrôle de la
chambre de l’instruction. Une stricte égalité des armes passe aussi par le
droit pour ces parties de contester la validité des actes accomplis par le
Parquet, d’exercer l’appel à stricte égalité avec ce qu’il est permis au
Parquet de faire. Le débat sur l’aide juridictionnelle ne pourra pas non plus
être occulté.
- Cela concerne enfin la victime qui doit pouvoir demander au Parquet
l’ouverture d’une enquête et, en cas de refus (motivé), exercer un recours
devant le juge des enquêtes, sous le même contrôle de la chambre de
l’instruction.
C’est un
vaste chantier qui s’ouvre et le travail de rédaction d’un avant-projet de loi
ne sera sans doute pas simple, non seulement parce que les opposants à cette
transformation radicale de notre procédure pénale ne manqueront pas de faire
valoir leurs arguments, mais aussi parce que ceux qui sont favorables à cette
réforme ne sont pas tous d’accord sur les moyens à mettre en œuvre pour y
parvenir. La question du statut du Parquet sera cruciale.
VI – RESPONSABILITÉ DU JUGE
D’INSTRUCTION
de l’irresponsabilité des
juges d’instruction :
pour combien de temps
encore ?
publié aux mélanges offerts à
jean pradel, 2005
Le titre de cette contribution, un peu provocateur, s’adresse, en amical
hommage, à celui qui, avant d’être agrégé des facultés de droit et de siéger
avec moi, de longues années, au sein du Conseil national des universités, fut
juge d’instruction, ce qu’il ne manque pas de rappeler, avec une légitime
fierté, en signature de nombre de ses écrits. Jean, toi qui fut un juge
d’instruction pleinement responsable de ses actes, tu ne m’en voudras pas de
plaider ici (le mot n’est pas innocent) pour que cesse une certaine forme
d’irresponsabilité de tes anciens confrères.
Les affaires judiciaires médiatisées sont toujours l’occasion d’approfondir la
réflexion sur la Justice, au-delà des passions et des réactions qu’elles provoquent.
Au printemps 2004, c’est l’affaire dite d’Outreau ou de la cour d’assises de
Saint-Omer dans le Pas-de-Calais (du nom de la juridiction qui en connut au
stade du jugement), liée à des faits de pédophilie, qui déclencha une violente
attaque contre l’institution judiciaire en général, contre le juge
d’instruction et la chambre de l’instruction qui instruisirent cette affaire en
particulier ; une mini-réflexion s’ensuivit, des propositions de réformes
furent émises, notamment par des hommes politiques[89] et un groupe de travail devrait proposer
des mesures nouvelles au garde des Sceaux[90]. On a pu parler, à juste titre, de
« cataclysme judiciaire », de « catastrophe nationale de
l’instruction », de « scandale judiciaire », « d’horreur
judiciaire »[91]. Qu’on en juge : treize des
accusés, qui avaient d’ailleurs toujours nié les faits qui leur étaient
reprochés, furent finalement innocentés à l’audience, par la principale
accusatrice (et mise en cause) qui déclara avoir menti pendant plus de trois
ans ; pour saisir le choc de cette affaire, « cet immense gâchis
judiciaire »[92], il faut savoir que huit des treize
accusés comparaissaient détenus, certains depuis trois ans, que d’autres ont
perdu la garde de leurs enfants, leur travail, parfois leur maison qu’ils ont
dû vendre ; ces « vies ruinées par le mensonge » de la mère des
enfants victimes des actes de pédophilie (et elle-même mise en cause dans le
dossier), ces « destins fracassés » ne le sont pas que par ce
mensonge ; ils le sont aussi par la défaillance de l’institution
judiciaire qui n’a pas fait jouer ses garde-fous, par le refus des juges
« de faire marche arrière » (notamment au stade de la chambre de
l’instruction)[93], de ne pas s’en tenir aux déclarations
des victimes (des enfants au témoignage fragile), de procéder à une confrontation
des victimes (les enfants) et des mis en cause (les persécuteurs), de
s’interroger sur les conditions dans lesquelles ont été recueillies les
déclarations des enfants ; les psychiatres et psychologues n’ont rien
trouvé à redire à ces témoignages d’enfants, les trouvant
« crédibles » (il paraîtrait que c’est un mot technique qui ne
signifie pas qu’ils disent la vérité…). De fait, la machine judiciaire semble
s’être emballée pour ne retenir, accusation commode, que l’idée d’un vaste
réseau international de pédophilie, de notables venant s’approvisionner en
chair fraîche, alors que rien ne venait corroborer les accusations ; n’ont
échappé à ce cauchemar que ceux des mis en cause qui, de toute évidence, par
certaines caractéristiques de leur morphologie ne pouvaient pas être impliqués
comme le prétendaient les accusateurs, par exemple, cette femme enceinte de
plusieurs mois et dont la grossesse ne fut pas relevée par ses
accusateurs ; ceux-là sont venus témoigner à l’audience et n’en reviennent
pas d’avoir été écartés du renvoi devant
la cour d’assises ; sentiment d’un jeu de roulette, la boule s’arrêtant
sur celui-ci, pas sur celui-là. De ce que l’on peut connaître du dossier
par la presse[94] – et donc avec toute la prudence
nécessaire - chaque maillon de la chaîne judiciaire joua son rôle néfaste dans
l’aveuglement de tous : du juge d’instruction novice, frais émoulu de
l’École nationale de la magistrature à qui l’institution confia cette lourde
responsabilité de juger de la liberté et de l’honneur de ses concitoyens, aux
expertises psychologiques dont il a déjà été fait état, en passant par
« les hésitations du procureur » (qui reconnaît dans son réquisitoire
de décembre 2002 que certains propos « outranciers » des enfants et
de leur mère « s’avèrent sans aucun doute incompatibles avec la
vérité ») et « l’intransigeance de la cour d’appel de Douai »
qui a systématiquement rejeté les innombrables demandes de remise en liberté (à
deux exceptions près). L’affaire fut amplifiée par le maintien en détention,
pour quelques jours, de sept des huit accusés détenus et
« innocentés » par la déclaration de rétractation de la principale
accusatrice.
Il reviendra à la Justice
d’indemniser les victimes de ce dysfonctionnement judiciaire, sachant qu’elles
ont demandé que l’État reconnaisse officiellement la faute lourde, place
Vendôme[95], donc au ministère de la Justice et non
pas dans une enceinte judiciaire, sans doute par transaction. Il n’est pas dans
notre intention de dresser ici le tableau des fautes des uns et des autres et
de prononcer des condamnations qui, à l’instar de celles que profèrent les
médias seraient hâtives, sans fondement juridique et, pour tout dire, aussi
injustes que l’ont été les mises en détention provisoire et le renvoi aux
assises de treize innocents ; d’autres s’en sont déjà chargés[96]. On remarquera simplement que les jeunes
magistrats sont plutôt bien formés, que les procédures sont bonnes, à quelques
nuances près, mais qu’elles ne sont pas respectées ; ainsi, le double
regard, que postule le principe de séparation des autorités judiciaires, est
quotidiennement bafoué par la pratique de la sous-traitance au Parquet de la
rédaction de l’ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises, comme
l’est celle de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel[97]. Si ces principes étaient respectés, il
n’y aurait pas tous ces dysfonctionnements et si ceux-ci existent, c’est qu’il
y a faute quelque part. L’affaire d’Outreau illustre combien l’irresponsabilité
des juges, spécialement des juges d’instruction, devient intolérable à
l’opinion publique.
Cette nécessaire réflexion sur la Justice et les responsabilités encourues du
fait de ses dysfonctionnements fut bien vite caricaturée dans la
cristallisation de la pensée en deux camps irréductibles : d’un côté,
« l’opinion » des accusés devenus victimes relayée par celle des
journalistes, fustigeant le système qui avait permis à un (jeune) juge
d’instruction de les maintenir en détention provisoire pendant trois ans ;
de l’autre, le chœur unanime des magistrats défendant leur collègue
« injustement attaqué »[98], argumentant pour ce faire autour de
l’idée d’une chaîne de décideurs, de contrôles, tous aussi performants les uns
que les autres (mais alors pourquoi ce cataclysme ?), sans jamais remettre
en cause un maillon de cette chaîne ! Et pourtant, rechercher la
responsabilité d’un juge d’instruction, n’est-ce pas identifier sa faute,
caractériser le préjudice et établir le lien de causalité entre les deux ?
Si les deux derniers ne font aucun doute dans les affaires de détention
provisoire, encore faut-il que la faute soit clairement identifiée ; et
quand bien même elle le serait, la question doit être posée de la légitimité
d’une mise en cause personnelle du juge. Traditionnellement on affirme que
l’activité juridictionnelle d’un juge ne peut être soumise à faute ;
affirmation péremptoire, sans autre justification que l’argument d’autorité
(pourquoi pas le même raisonnement pour les chirurgiens ?). Si la
responsabilité de l’Etat peut, en théorie pure, être engagée pour faute du juge
dans son activité juridictionnelle, celle-ci, quelque peu sacralisée, apparaît,
de fait, à l’abri de toute action de ce type. Malgré une évolution qui semble
se dessiner, devant la Cour de cassation et devant les juridictions du fond, quant
à l'appréciation d'une faute (lourde) dans l'activité juridictionnelle des
juges, spécialement des juges d'instruction (18% des requêtes visent l’activité
des juges d’instruction en 2001), la tendance dominante reste le refus
d’engager cette responsabilité dans une telle hypothèse. Mais un arrêt de la
Cour de justice des Communautés européennes du 30 septembre 2003 conduit à
revoir totalement la question. Il faut donc confronter l’affirmation
traditionnelle de l’irresponsabilité du juge (notamment d’instruction) à
l’évolution contemporaine de la jurisprudence, tant interne (I) qu’européenne
(II), avant d’émettre quelques propositions (III).
i) l’évolution de la
jurisprudence interne
La jurisprudence manifeste un
frémissement qui ne va pas toutefois jusqu’à la reconnaissance d’un principe
général de responsabilité des juges d’instruction du fait de leur activité,
sans doute parce que le système de l’article L. 781-1 du code de l’organisation
judiciaire enserre cette responsabilité dans un carcan d’irresponsabilité
personnelle absolue, parallèlement à de récentes évolutions jurisprudentielles
sur le fondement de la responsabilité de l’Etat[99]. Plusieurs arrêts balisent une nette
évolution vers la prise en considération de l'intérêt du justiciable, pour
retenir soit la faute lourde dans l'activité juridictionnelle du juge
d’instruction (A), soit le déni de justice (B).
a) vers la reconnaissance de
la faute lourde du juge d’instruction
a) On rappellera
d’abord que dans un premier temps, la jurisprudence entendait la faute
lourde d'une manière très extensive, mais la rattachait à la notion d'erreur
grossière du juge ou à son intention de nuire. En effet, jusqu'à un important
arrêt du 23 février 2001 de son assemblée plénière, la Cour de cassation
définissait la faute lourde comme celle « qui a été commise sous
l'influence d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat ou un fonctionnaire
de justice, normalement soucieux de ses devoirs, n'y eût pas été
entraîné »[100]. Dans un second temps, par un
important arrêt de son assemblée plénière, rendu le 23 février 2001, la
Cour de cassation a nettement infléchi, dans un sens libéral, sa notion de la
faute lourde ; sans aller jusqu'à retenir une faute simple (ce que seul le
législateur pourrait faire), elle retient une notion assez voisine de celle que
nous avions préconisée à propos du déni de justice envisagé comme le manquement
de l'État à son devoir de protection juridictionnelle des citoyens (V. infra,
B). En effet, selon cet arrêt, « constitue une faute lourde toute
déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant
l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est
investi »[101].
b) Antérieurement à l’arrêt du 23
février 2001, la Cour de
cassation avait validé l’analyse de la cour d’appel d’Aix-en-Provence selon
laquelle « un acte juridictionnel, même définitif, peut donner lieu à
une mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat »[102] et la
cour d'appel de Paris, dans la même affaire, a ébauché une tentative en ce
sens : « les énonciations de l'article L. 781-1 du code
de l'organisation judiciaire n'excluent d'aucune manière du champ d'application
de ce texte les actes juridictionnels proprement dits »[103].
Appliquant ce principe dégagé en
1989, la même cour de Paris, sept ans plus tard, retient la responsabilité de
l'État pour une mise en détention provisoire non justifiée en ses éléments,
sans s'arrêter au fait qu'il existe, en droit français, un régime
d'indemnisation spécifique pour détention injustifiée[104] ; la même activité du juge
d'instruction, ou plutôt son inactivité, peut d’ailleurs constituer un déni de
justice entraînant la responsabilité de l'État[105]. Il y a là, à n'en pas douter, même si
la Cour de cassation y est encore largement hostile[106], un champ, encore largement inexploré
par les justiciables, de contrôle de l'activité pour le moins contestable de
certains juges d'instruction lorsqu'ils pouvaient utiliser l'arme de la mise en
détention comme mode de pression sur les personnes mises en examen, avant
l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption
d'innocence qui limite ce pouvoir et cette pratique par l'intervention du juge
des libertés et de la détention (V. par ex. l'ordonnance du 21 décembre
2000 du président de la chambre d'accusation de Paris qui relève qu'une
ordonnance de placement en détention provisoire est « fondée pour partie
sur un motif entaché d'inexactitude et ne répond pas aux exigences
légales »[107]).
Allons plus loin : lorsqu'une
personne est relaxée pour inexistence de l'infraction dans ses éléments
juridiques constitutifs, et non pas seulement pour absence de toute preuve de
la réalité matérielle des faits, n'y a-t-il pas une faute de la part de celui
qui a renvoyé indûment cette personne devant le tribunal correctionnel
(V., sur ce point et sur le déni de justice de certains juges
d'instruction, infra, B) ?
Dans un autre arrêt du
29 janvier 1997, la cour de Paris retient le principe même de sa
compétence sur l'article L. 781-1 du code l'organisation judiciaire
pour statuer sur l'inculpation, tout en rejetant, au fond, la responsabilité de
l'État, parce que le juge d'instruction l'avait spécialement motivée en ses
éléments, sans recourir à une motivation générale[108].
Même solution lorsque l'inculpation
est parfaitement justifiée : l'inculpé n'ayant jamais contesté que les
faits reprochés lui étaient imputables, la responsabilité sera rejetée[109].
En dehors de l'activité des juges
d'instruction, la cour de Paris a admis que le texte ne distingue pas selon que
le fonctionnement défectueux est intervenu dans l'acte juridictionnel ou
non ; il convient donc d'examiner si les juges d'appel ont commis, dans
leur décision, une ou plusieurs « fautes lourdes »[110].
c) Postérieurement au revirement du
23 février 2001, la cour de
Paris a reconnu expressément, dans un arrêt du 25 janvier 2002[111], en matière de poursuite pour abus de
biens sociaux, « qu'aucun élément de l'instruction ne permet d'établir
l'existence d'une disproportion manifeste entre les prestations litigieuses fournies
par la société bénéficiaire et le montant des redevances versées en
contrepartie par les sociétés débitrices » ; elle ajoute que « la
réalité et l'utilité des prestations fournies par la société bénéficiaire aux
sociétés débitrices en exécution des conventions conclues et passées en
assemblée générale de la société ne sont pas discutées ».
Dans un arrêt du 28 avril 2003, à propos de l’affaire liée au décès de la
princesse Diana, la cour d’appel de Paris a estimé que « les faits
relèvent un manquement de l’autorité judiciaire à l’obligation de veiller à
l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute
procédure pénale, ainsi qu’une violation du droit d’accès réel et effectif à un
tribunal et du droit de voir sa cause examinée dans un délai raisonnable qui
sont garantis à tout justiciable ; si la procédure a pu se poursuivre,
cela n’enlève pas aux manquements relevés leur caractère, dès lors que ce n’est
qu’après l’introduction de l’instance en responsabilité de l’Etat et la
décision de la chambre d’accusation, saisie par la partie civile à la suite du
refus du magistrat instructeur d’accomplir les actes qui lui étaient demandés,
que l’information a été effectivement suivie, de sorte que celle-ci est fondée
à croire que si elle n’avait pas pris ces initiatives procédurales, l’inaction
des juges, pourtant régulièrement saisis, aurait perduré »[112].
En revanche, la faute lourde n’a pas
été retenue dans le cas où le juge d’instruction avait provoqué l’ouverture
d’une procédure collective à l’encontre d’une société, décision infirmée quatre
ans plus tard, mais alors que les graves anomalies constatées justifiaient la
teneur des deux lettres adressées au parquet par le magistrat instructeur dont
l’intention de nuire n’était pas établie[113].
En raison des fautes accumulées au
cours de l’instruction de l’affaire dite du petit Grégory, assassiné en 1984
dans les Vosges, la responsabilité de l'État a finalement (et heureusement) été
retenue en appel[114], alors que le TGI l’avait écartée au
motif que le magistrat instructeur n'est pas tenu d'une obligation de résultat
dans sa recherche de la vérité[115]. La cour retient que la justice est
responsable d’avoir laissé ce crime impuni en raison des erreurs du juge
d’instruction et des gendarmes durant l’enquête (35 000 euros ont été
accordés à chacun des parents).
On rapprochera de ces affaires ayant
donné lieu à reconnaissance officielle de la responsabilité de l'État pour
faute d'un juge dans son activité juridictionnelle des décisions, révélées par
la grande presse, qui n'étaient pas saisies de ce type de demande, mais qui,
dans leurs attendus, révèlent de graves dysfonctionnements pouvant aller
jusqu'à l'erreur de droit. Ainsi le président d'une chambre d'accusation a
reconnu, dans une ordonnance du 21 décembre 2002, que « l'ordonnance
de placement en détention provisoire fondée, pour partie, sur un motif entaché
d'inexactitude, ne répond pas aux exigences légales »[116]. Ainsi encore, le tribunal
correctionnel de Paris, en prononçant la relaxe d'un ancien ministre, a porté
des appréciations sévères sur l'instruction menée par des juges qui avaient
contraint ce ministre à la démission et l'avaient renvoyé devant la formation
de jugement : « il eût été préférable, avant que d'engager le débat
judiciaire public, de s'interroger sur les limites de l'application de la règle
de droit »[117].
b) l’affirmation d’un déni de
justice du juge d’instruction
La notion de déni de justice est en
pleine expansion, ce qui devrait permettre d'échapper à la difficile preuve
d'une faute lourde dans bien des cas. Ce fondement est donc appelé à se
substituer au précédent, avec le mérite d'objectiver la responsabilité, sans
qu'il soit besoin de parler d'une faute qui, même si elle ne vise pas nommément
un juge, laisse persister un malaise à cet égard et dissuade certains usagers
d'agir en réparation du préjudice causé. Le déni de justice constitue par
ailleurs un délit pénal (C. pén., art. 434-7-1 et 434-44).
a) Sens premier du déni de justice
Dans un sens premier, le déni de
justice s'entend (des termes mêmes utilisés dans l'art. 505 de l'anc.
C. pr. civ.) du refus de répondre aux requêtes ou du fait de négliger de
juger les affaires en l'état de l'être. C'est la paresse du juge qui est ici
sanctionnée, la seule visée par l'ancien code. Ainsi commet un déni de justice
la juridiction qui retient « qu'il n'est pas possible de choisir l'une des
sociétés pour créancière »[118]. Le déni de justice est notamment le
cas où le juge (d'instruction) refuse de répondre aux requêtes ou ne procède à
aucune diligence pour instruire ou faire juger les affaires en temps utile, le
maintien en détention étant manifestement injustifié, et le juge d'instruction
ayant agi avec une légèreté qu'un juge normalement avisé et conscient de ses
responsabilités n'aurait pas eue ; ce comportement déficient engage la
responsabilité de l'État[119].
b) Sens second du déni de justice
Dans un second sens, totalement
exponentiel, on va le constater, le déni de justice, c'est le manquement de
l'État à son devoir de protection juridictionnelle. L'idée et l'expression sont
de Louis FAVOREU ; la phrase, reprise par de nombreux jugements, est tirée
de la thèse de cet auteur, publiée en 1964[120]. Bel exemple d'anticipation sur les
évolutions essentielles à la protection des garanties fondamentales. Ce
manquement, c'est par exemple un délai anormal d'audiencement. Il faut voir
dans cette jurisprudence le symbole d'une justice qui souhaite des réformes par
la voie législative et réglementaire, mais qui, si elle ne les obtient pas,
peut donner à l'État un signal fort de l'attente des justiciables et le
contraindre ainsi à quelques efforts budgétaires. Ne nous y trompons pas :
en effet, derrière la satisfaction immédiate donnée au justiciable à l'origine
du procès, c'est toute la communauté judiciaire qui est concernée, car
condamner l'État pour déni de justice dans le non-respect d'un délai raisonnable
dans le prononcé d'un jugement, c'est créer un appel d'air vers d'autres procès
de ce type, compte tenu de la longueur des procédures aujourd'hui ; appel
d'air qui, s'il devait être suivi d'effet, provoquerait un accroissement de ce
type de contentieux, ce qui ne ferait qu'augmenter les charges des
tribunaux ! Il y a donc un aspect provocateur dans ce type de jugement, en
tout cas le souci de signifier à ceux qui nous gouvernent un
« stop », on ne joue plus à évacuer des rôles, alors que, de tous
côtés, on est assailli de contentieux et que la justice doit se contenter de
bonnes paroles. Le rapprochement doit être fait ici avec le refus du procureur
général près la Cour de cassation de prononcer le traditionnel discours de
rentrée en 1996, pour les mêmes raisons d'indifférence.
L'autre apport de ces jugements,
c'est la conception qu'ils introduisent de la relation du citoyen avec la
justice ; la notion de devoir de protection juridictionnelle de l'État,
pour n'être pas entièrement nouvelle dans une décision de justice, est ici
affirmée avec éclat. La protection juridictionnelle a un bel avenir devant
elle, car le concept pourrait être appliqué à d'autres situations, même s'il
est vrai que l'infléchissement de la notion de faute lourde par la Cour de
cassation le 23 février 2001 (V. supra, A) risque de conduire
les justiciables davantage vers cette cause de responsabilité que vers le déni
de justice ; on peut aussi penser que deux voies sont largement ouvertes.
L'État ne manque-t-il pas encore à
son devoir de protection juridictionnelle lorsqu'il laisse en activité, au
moins dans les mêmes fonctions, un magistrat qui a démontré son incompétence
dans un type d'activité ?
- Par exemple, devant la commission d'indemnisation
pour détention provisoire injustifiée, le procureur général avait relevé à
l'encontre d'un juge d'instruction « un manque de diligence dans la
conduite de l'information, des insuffisances graves dans la recherche de la
vérité, insuffisances qui avaient contraint la chambre d'accusation à ordonner
un supplément d'information qui était indispensable, mais qui aurait pu être
évité si ce juge d'instruction n'avait pas négligé la piste ouverte par les
incohérences des récits de X et les contradictions de ses déclarations ;
qu'il apparaît donc qu'il a existé en l'espèce un dysfonctionnement dans le
déroulement de l'information, source d'un préjudice indemnisable »[121]. Certes il n'appartenait pas au
procureur général près la Cour de cassation, pas plus qu'à la commission
d'indemnisation, de statuer sur le sort de ce magistrat ; mais un tel
constat de carence et de défaillance n'aurait-il pas dû être communiqué à la
Chancellerie pour qu'elle en tire toutes les conséquences sur le plan
disciplinaire, au moins sur le maintien de ce juge dans les fonctions de
l'instruction, pour protéger les justiciables de son activité jugée
déficiente ? En le maintenant « sur le marché » de
l'instruction, l'État ne faisait-il pas courir un risque à d'autres
justiciables, en les laissant entre les mains d'un juge d'instruction qui avait
démontré ses faiblesses à ce poste ? Supposons ensuite que,
postérieurement à ce maintien en fonction, ce même juge d'instruction continue
à instruire avec autant d'incompétence manifeste ; les justiciables
concernés ne seraient-ils pas en droit de reprocher à l'État son manque de
protection juridictionnelle ? Sans aller jusqu'à ce que ce même juge
maintienne injustement en détention provisoire une autre personne (on peut
supposer que le rapport du procureur général lui aura causé quelques troubles
et remords !), le fait, par exemple, qu'il renvoie des mis en examen
devant le tribunal correctionnel et que ce dernier relaxe ceux-ci au motif de
l'inexistence juridique de l'infraction, n'est-il pas, en soi, constitutif
d'une faute qui, si elle n'est pas lourde, prouve en tout cas que l'État a
manqué à son devoir de protection juridictionnelle, en maintenant l'intéressé
en fonction alors qu'il ne connaissait pas assez le droit pénal spécial pour
n'avoir pas discerné que l'un des éléments constitutifs de l'infraction
n'existait pas (l'accord exprès des sociétaires, en fait l'ordre donné par eux
régulièrement réunis en assemblée générale, accord constaté par procès-verbaux
non contestés par le juge, mais qui les occulta ; volonté de l'association
qui excluait tout abus de confiance à l'égard de l'association, dont l'objet
était déterminé par les statuts et par ce vote) ? Ce manquement de l'État
à son devoir de protection juridictionnelle concernant ce même juge n'est-il
pas encore confirmé et aggravé quand, quelques années plus tard, le temps
s'étant écoulé sans changement dans le comportement de ce juge, on apprend
qu'une plainte pour faux en écritures publiques a été déposée contre lui et
qu'elle a été déclarée recevable[122], même si la Cour de cassation a eu
l’occasion de mettre un terme à l’accusation ? Au-delà de ce cas
particulier, c'est le problème de la passerelle entre l'instance civile en
réparation (ici sur C. proc. pén., art. 149) et les autorités
disciplinaires qui est posé (V. infra, III).
- En tout cas, une évolution semble se faire jour avec
le jugement du TGI de Paris qui retient le déni de justice (mais uniquement
pour le préjudice moral) dans le cas d’un juge d’instruction qui n’avait pas
encore vérifié l’alibi du principal accusé, plus de trois ans après les
faits ; le tribunal prend soin de relever que « le service public de
la justice s’entend d’un ensemble d’actes accomplis dans le cadre de ce
service, dont les actes juridictionnels, qui comprennent les actes liés à
l’instruction » ; en revanche, « le requérant ne peut obtenir sur
ce fondement de l’article L. 781-1, COJ, réparation des infractions pénales,
même si les auteurs restent inconnus[123].
- Dans l’affaire de la princesse Diana, la cour de
Paris a retenu, non seulement la faute lourde (v. supra, A), mais aussi
le déni de justice : «caractérise le déni de justice, l’inaction
injustifiée des juges pendant près de trois ans qui a entraîné un retard dans
l’instruction de l’affaire, la reprise de la procédure n’étant, au surplus, due
qu’aux initiatives du demandeur, et qui a eu pour conséquence de retarder
l’examen de l’affaire par le tribunal, lequel n’interviendra que plus de six
ans après le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, ce qui ne
constitue pas, en l’espèce, un délai raisonnable »[124].
Toute cette jurisprudence devrait fortement évoluer sous l’influence de la
jurisprudence européenne venue, une fois n’est pas coutume, non pas de
Strasbourg, mais de Luxembourg.
ii) le cataclysme de la
jurisprudence européenne
a) le séisme
de l’arrêt köbler du 30 septembre 2003 engageant la responsabilité de l’état
pour violation du droit communautaire par une juridiction suprême
La Cour de justice des Communautés
européennes a eu l’occasion de préciser que la violation manifeste du droit
communautaire par une juridiction nationale statuant en dernier ressort est de
nature à obliger l’Etat membre à réparer les dommages causés aux
particuliers : « il convient de répondre aux première et deuxième
questions que le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de
réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit
communautaire qui leur sont imputables est également applicable lorsque la
violation en cause découle d’une décision statuant en dernier ressort, dès lors
que la règle de droit communautaire violée a pour objet de conférer des droits
aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il
existe un lien de causalité directe entre cette violation et le préjudice subi
par les personnes lésées. Afin de déterminer si la violation est suffisamment
caractérisée lorsque la violation en cause découle d’une telle décision, le
juge national compétent doit, en tenant compte de la spécificité de la fonction
juridictionnelle, rechercher si cette violation présente un caractère
manifeste. C’est à l’ordre juridique de chaque Etat membre qu’il appartient de
désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges relatifs à ladite
réparation » ; en l’espèce, il fut jugé que la juridiction
administrative suprême d’Autriche avait violé le droit communautaire (point 119
de l’arrêt), mais que cette violation (la lecture erronée d’un arrêt de la
CJCE, point 123) n’était pas manifeste (point 124)[125]. Cet arrêt s’inscrit dans une
jurisprudence bien établie de la Cour de justice, qui admet le principe de la
responsabilité de l’Etat membre en cas de violation du droit communautaire[126], mais avec l’apport considérable de
poser que le principe ne cède pas devant celui de l’autorité de la chose jugée
par une juridiction nationale. Cette jurisprudence, audacieuse au regard du
droit positif français, devrait concerner le cas où la juridiction du dernier ressort
méconnaît purement et simplement l’existence et le contenu d’une norme
communautaire, parce que le juge national est, ne l’oublions pas, juge du droit
communautaire[127]. Faut-il aller plus loin et assimiler à
cette hypothèse celle de la méconnaissance d’une jurisprudence constante de la
Cour de justice ? On se gardera d’aller aussi loin, car ce serait empêcher
toute évolution jurisprudentielle et transformer la Cour de justice en
« caporal » de l’application du droit communautaire : à tout le
moins, il faudrait exiger dans ce cas que la jurisprudence de la CJCE soit
stable et confirmée depuis longtemps et moduler la solution en distinguant
selon que la jurisprudence concerne une règle de procédure (exigence de respect
plus forte, par exemple pour les droits de la défense) ou une règle de droit
substantiel. La Cour de justice, sentant le risque d’une conception trop large
de la responsabilité de l’Etat, a balisé l’appréciation de la violation
manifeste du droit communautaire en posant comme critères de violation
caractérisée de ce droit, « le degré de clarté et de précision de la règle
violée, le caractère délibéré de la violation, le caractère inexcusable ou
inexcusable de l’erreur de droit » (§ 55). En tout cas, c’est bien un
véritable séisme que provoque l’arrêt du 30 septembre 2003 ; il oblige à
revoir la question de la responsabilité de l’Etat français pour l’activité
juridictionnelle de ses juges.
b) le
paysage revisité de la responsabilité de l’état français pour faute dans
l’activité juridictionnelle de ses juges
L’arrêt Köbler du 30 septembre 2003
oblige à reconsidérer la question dans la mesure où l’Etat français, qui
n’était pas directement concerné par l’affaire Köbler, était intervenu à
l’instance en développant l’argument que reconnaître la responsabilité de
l’Etat pour violation du droit communautaire par un acte juridictionnel
conduisait à remettre en cause l’autorité de la chose jugée des décisions de
justice. La Cour de justice ne s’est pas arrêtée à cet argument, qu’elle balaye
ainsi : « une procédure visant à engager la responsabilité de
l’Etat n’a pas le même objet et n’implique pas nécessairement les mêmes parties
que la procédure ayant donné lieu à la décision ayant acquis l’autorité de la
chose définitivement jugée. En effet, le requérant dans l’action en
responsabilité contre l’Etat obtient, en cas de succès, la condamnation de
celui-ci à réparer le dommage subi, mais pas nécessairement la remise en cause
de l’autorité de la chose définitivement jugée de la décision juridictionnelle
ayant causé le dommage. En tout état de cause le principe de la responsabilité
de l’Etat inhérent à l’ordre juridique communautaire exige une telle réparation,
mais non la révision de la décision juridictionnelle ayant causé le
dommage » (point 39) ; la Cour de justice condamne, de fait, la
jurisprudence administrative Darmont et se rallie ici à une conception
orthodoxe de l’autorité de la chose jugée, alors que pour apprécier l’autorité
de ses propres arrêts, elle s’échappe aisément du cadre de l’identité d’objet,
de cause et de parties….[128] ; vérité dans un cas, erreur dans
un autre !
La France soutenait aussi que la solution finalement retenue par la Cour de
justice, pouvait remettre en cause l’indépendance de la justice ; la Cour
répond que « le principe de responsabilité visé concerne non la responsabilité
personnelle du juge, mais celle de l’Etat. Or, il n’apparaît pas que la
possibilité de voir engagée, sous certaines conditions, la responsabilité
personnelle de l’Etat pour des décisions juridictionnelles contraires au droit
communautaire comporte des risques particuliers de remise en cause de
l’indépendance d’une juridiction statuant en dernier ressort » (point
42) ; la réponse est un peu légère, car une fois engagée et retenue la
responsabilité de l’Etat, ce dernier a la possibilité (toute théorique il est
vrai) d’exercer une action récursoire contre le juge, voire une procédure
disciplinaire ; mais il est non moins vrai que le fait que les deux types
de responsabilité soient liés ne porte pas pour autant atteinte à
l’indépendance de la justice, puisque ce sont d’autres juges qui statueront sur
le principe de cette responsabilité et qu’à retenir l’argument de la France sur
ce terrain, aucune action en responsabilité ne serait possible ![129]
Il n’en demeure pas moins, qu’avec l’arrêt Köbler, ce sont désormais les
conditions classiques de la responsabilité qui prévaudront pour apprécier la
responsabilité de l’Etat et non pas celles, beaucoup plus restrictives, du
droit national français qui répugnait, malgré quelques décisions contraires que
nous venons d’indiquer, de retenir la faute (lourde) dans l’activité
juridictionnelle. Et comment expliquer au justiciable agissant en France contre
l’Etat français qu’il est soumis à deux régimes de responsabilité selon la
violation invoquée, alors même que le droit communautaire est intégré au droit
national ? belle illustration de « la métamorphose des pouvoirs du
juge national par le droit processuel européen »[130]. La
seule porte de sortie permettant de concilier le droit français issu de
l’article L. 781-1, COJ avec la jurisprudence européenne est de tenir compte de
l’exigence européenne d’une violation « suffisamment caractérisée »
du droit communautaire et de l’affirmation de la Cour de justice qu’il y a lieu
de tenir compte « de la spécificité de la fonction juridictionnelle, ainsi
que des exigences légitime de sécurité juridique », la responsabilité de
l’Etat ne pouvant être engagée « que dans le cas exceptionnel où le juge a
méconnu de manière manifeste le droit applicable » (point 53). Il
n’empêche qu’on voit mal comment le juge français pourrait désormais ne pas
tenir compte de cette jurisprudence pour apprécier la responsabilité de l’Etat
pour violation, par un juge, du droit national, d’autant plus que la Cour de
justice a posé des critères d’appréciation du caractère manifeste de la
violation du droit communautaire qui sont tout à fait transposables à la
violation du droit national (v. numéro précédent) ; à l’inverse, la
nouvelle définition de la faute lourde introduite par l’arrêt Bollé-Laroche du
23 février 2001, ne rejoint-elle pas la notion de « violation suffisamment
caractérisée du droit communautaire » de l’arrêt Köbler du 30 septembre
2003 ? Les décisions à venir des juridictions nationales devraient nous
éclairer sur le degré de pénétration du droit communautaire et des concepts qu’il
véhicule, en droit national. Affaire à suivre donc.
iii) propositions
a) critique
du système actuel
Ainsi exposé, ce régime dualiste de
responsabilité à l'égard des usagers laisse perplexe[131], car il ne répond plus aux évolutions
de notre société où ce qui est exigé des uns (les justiciables potentiels que
nous sommes tous) ne l'est pas des autres (les juges)[132]. Certes la jurisprudence interprète
largement la notion de faute lourde ou de déni de justice, et la menace d'une
condamnation de la France par la Cour européenne de Strasbourg peut jouer un
rôle révélateur de nos déficiences, non négligeables ; mais cette
jurisprudence est limitée à des cas où aucun magistrat n'était clairement
identifié : la conception extensive de la faute lourde ou du déni de
justice ne vaut vraiment que lorsque c'est le service en lui-même qui est
concerné (exemples du retard dans la délivrance des copies, de la transmission
d'un document à la presse, etc.) ; à chaque fois que l'on touche à un juge
identifié, on constate un raidissement, surtout si c'est son activité
juridictionnelle qui est en cause, en clair son incompétence. Et c'est là que
la nouvelle jurisprudence de Strasbourg du 31 janvier 1996 (affaire
Fouquet) doit nous faire réfléchir : la faute en question n'était pas
purement matérielle, la Cour de cassation elle-même avait commis une erreur
dans l'examen du moyen soulevé par le justiciable, certes une erreur de fait,
mais une erreur tout de même ! Qui nous dit que demain, pour une
juridiction inférieure, la Cour européenne n'acceptera pas de condamner, pour
une erreur de droit cette fois ? Déjà la France a été condamnée (dans
l'affaire Higgings) pour défaut de motivation d'un arrêt de la Cour de
cassation.
Et la question doit être franchement
posée, sans acrimonie, sans exagération, mais avec lucidité : est-il
encore normal de considérer que les juges sont intouchables dans leur activité
juridictionnelle? On ne peut se contenter de répondre que les voies de recours
suffisent à réparer les erreurs des juges et que la sacralité de la fonction
exercée justifie ce régime d'immunité[133]. D'abord, parce qu'il est des
préjudices que l'exercice d'une voie de recours ne réparera jamais (exemples
des affaires soumises à la Cour européenne) ; ensuite, parce qu'admettre
une certaine forme, une certaine dose de responsabilité personnelle dans
l'activité juridictionnelle des juges, c'est aussi faire du préventif, c'est
attirer l'attention de tous sur le fait que l'éminence des fonctions exercées
débouche sur une vigilance plus grande à l'égard des décisions rendues, de
l'examen attentif et objectif des faits sans occultation à une motivation
sérieuse, en passant par le respect de toutes les règles de procédure et de
fond. On ne peut non plus se contenter de relever de ce que chacun
s’accorderait « selon un assez large consensus » « à estimer que
l’intérêt général, la sérénité de la justice nécessaire à la sécurité juridique
et à la paix sociale justifiaient les conditions restrictives visant à rendre
moins fréquentes les actions en responsabilité » (G. Canivet, La responsabilité des juges en
France, revue Commentaire, n° 103, automne 203, spéc. p. 641) ; face à des
attitudes, à des négligences, telles que nous venons de les décrire, peut-on
encore se contenter d’affirmer que « le régime de responsabilité du fait
du service public de la justice ne peut être qu’un régime
spécifique » (G. CANIVET, ibid.) ? Non, car régime spécifique
(dont nous reconnaissons volontiers la légitimité) ne signifie pas irresponsabilité,
alors que d’autres professionnels, de la santé par exemple (et singulièrement
les chirurgiens), voient leur responsabilité mise en cause et les actions des
victimes favorablement accueillies par les tribunaux, sans que l’intérêt
général soit moindre (celui de garantir un réel accès aux soins et aux
opérations chirurgicales, accès qui ne sera plus garanti si l’on décourage les
chirurgiens), sans que la sérénité de l’activité des hôpitaux soit moins
importante que celle de l’activité des juges (il est plus courant d’avoir
besoin d’un médecin et d’un chirurgien que d’un juge), sans que la paix sociale
ne soit pas, là aussi, menacée (quelle paix dans un pays où les chirurgiens
refuseraient de pratiquer certaines opérations ?). Déjà des voix autorisées
s'élèvent pour poser la question de savoir qui nous protégera de ceux qui nous
protègent[134], sous l'angle d'une responsabilité
accrue, car « il n'est pas souhaitable que la paresse obstinée d'un juge,
son incapacité professionnelle, ses fautes grossières demeurent sans effet, et
que le magistrat compétent, sérieux et qui travaille sans relâche, ce que
beaucoup font, poursuive la même carrière qu'un autre qui ne fait rien ou qui
accumule les manquements aux obligations de son statut, de la loi, de la
déontologie »[135]. Déjà la jurisprudence de la Cour de
justice des Communautés européennes ouvre une brèche considérable dans la
responsabilité du fait de l’activité juridictionnelle des juges pour violation
du droit communautaire par une cour suprême (v. supra, II).
b)
prospective
En fonction de ces critiques,
plusieurs pistes peuvent être explorées, l'une dans la coordination de l'action
en indemnisation de la victime et de l'action disciplinaire (a), l'autre dans
l'extension de l'indemnisation des victimes à la faute du juge dans son
activité juridictionnelle (b). La seconde sera d'autant plus aisément admise
que l'indemnisation de la victime sera détachée de toute idée d'exercer une
action récursoire sur le juge fautif.
a) Meilleure articulation des régimes de
responsabilité, civile et disciplinaire
Le système actuel, il faut bien le
dire, n'est pas satisfaisant, même si la jurisprudence en a atténué les
inconvénients les plus manifestes par une appréciation bienveillante de la
notion de faute lourde ; il semble bien que la notion de faute lourde
n'ait pas, en jurisprudence, la même portée selon qu'on peut l'imputer ou non à
une personne clairement identifiée ; en ce sens, la jurisprudence tend à
rectifier, dans son appréciation de la faute lourde, une mauvaise appréhension
du problème par le législateur. En effet, en exigeant une faute lourde pour
mettre en jeu la responsabilité de l'État et une faute personnelle du juge pour
ouvrir contre lui l'action récursoire de l'État, le législateur entretient la
confusion entre la réparation légitimement due à toute victime d'un dommage, y
compris d'un préjudice né de l'activité du service de la justice, et la
sanction, pécuniaire ou disciplinaire, de l'auteur de ce dommage, ici un juge.
Il faut arriver à dissocier les deux fonctions de la responsabilité, une
fonction d'indemnisation et une fonction de moralisation[136].
1) Au titre de la réparation, on devrait
admettre, au profit des usagers de la justice, une réparation pour rupture de
l'égalité des citoyens devant les charges publiques, de la même façon qu'elle
existe aujourd'hui pour les collaborateurs de ce service et pour les tiers.
Point n'est besoin de recourir ici à l'exigence d'une faute lourde. La
réparation ne saurait s'accommoder de ce type d'exigence qui, en revanche, doit
protéger le juge fautif à titre personnel. L'État devrait répondre, en dehors
de toute faute lourde, des dommages causés par le service de la justice si ces
dommages excèdent, par leur gravité, les charges que supportent normalement les
particuliers[137] ; ainsi, on appliquerait ici le
principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. C'était le
sens d'un projet de loi en discussion au Parlement au printemps 2000.
2) En revanche, au titre de la sanction personnelle
de la faute du juge, de la moralisation de l'activité des juges, il faut
abandonner l'hypocrisie du système actuel fondé sur l'exercice d'une action
récursoire de l'État pour faute personnelle du juge, alors que celle-ci n'est
jamais exercée ! Il ne sert à rien de dire que la faute personnelle du
juge engage sa responsabilité personnelle si ce n'est jamais le cas en fait.
Mieux vaut chercher une autre forme de responsabilité, du côté du
disciplinaire. Il faut en effet coordonner les deux types de responsabilité,
pour canaliser la vindicte de la victime d'une faute d'un juge. On pourrait
déjà admettre largement la passerelle entre les dossiers ayant donné lieu à une
condamnation de l'État (soit sur L. 781-1 du code l'organisation
judiciaire pour dysfonctionnement du service de la justice, soit sur
l'article 149 du C. pr. pén., pour détention provisoire injustifiée)
et la procédure disciplinaire par transmission du dossier au Conseil supérieur
de la magistrature en vue, éventuellement, d'une poursuite disciplinaire contre
le magistrat fautif.
Ainsi, il n'est pas normal que le
juge d'instruction à l'encontre duquel il est relevé (cas réel) « un manque
de diligence dans la conduite de l'information, des insuffisances graves dans
la recherche de la vérité, insuffisances qui avaient contraint la chambre
d'accusation à ordonner un supplément d'information qui était indispensable
mais qui aurait pu être évité si ce juge d'instruction n'avait pas négligé la
piste ouverte par les incohérences des récits de X... et les contradictions de
ces déclarations » (révélé par l'hebdomadaire VSD du 27 oct. 1994,
non démenti par l'intéressé, supra, I, B), ne soit pas sanctionné
disciplinairement. Son maintien en fonction d'instruction est une provocation à
l'égard de celui qui a subi vingt-deux mois de détention injustifiée, pour
ne percevoir, au final, que quelques milliers de francs. En outre, le maintien
ou le renouvellement en fonction n'est-il pas constitutif d'une faute lourde de
la part de l'État, pour l'avenir, puisqu'il prend le risque d'un renouvellement
de telles défaillances, de la part d'un juge qui a montré son incapacité à
instruire correctement et loyalement ? Est-ce que l'État ne manque pas
ainsi à son devoir de protection juridictionnelle qu'il doit aux
citoyens ? La technique de la passerelle, proposée par un groupe de
travail réuni à l'ENM en 1998-1999[138], aurait permis, dans ce cas, d'éclairer
les organes compétents sur l'activité de ce juge : « les membres de
l'atelier se sont accordés sur la nécessité d'instaurer une passerelle entre
responsabilité civile et responsabilité disciplinaire ». Cette pratique
aurait été institutionnalisée au sein du tribunal de grande instance de Paris[139].
Il faudrait sans doute ouvrir plus
largement la possibilité de déclencher cette forme de responsabilité, au-delà
de la mise en détention provisoire injustifiée, chaque fois que l'État est
condamné sur le fondement de l'article L. 781-1 du code
l'organisation judiciaire, tout en filtrant les demandes pour en éviter les
excès, soit par un organisme ad hoc, soit par le Conseil supérieur de la
magistrature lui-même. Il ne faut ni déstabiliser les juges par le libre champ
donné à une vindicte excessive ni laisser la grogne des victimes monter à un
point tel que, demain, des mesures plus draconiennes soient prises contre les
juges fautifs ; un juste milieu doit être trouvé entre ces deux exigences,
et l'on ne perdra pas de vue que la sanction disciplinaire a, directement ou
indirectement, des incidences financières sur la situation patrimoniale du juge
fautif ; la suppression de l'action récursoire ne serait donc pas sans
conséquences patrimoniales pour lui, mais ces sanctions seraient prises sans la
pression d'indemniser la victime qui le serait par l'État.
b) Indemnisation de la victime par l'État pour faute
du juge dans son activité juridictionnelle
Il ne s'agit pas de permettre la
remise en cause, par une action en indemnisation, de l'autorité de la chose
déjà jugée, mais d'accorder aux victimes d'une faute du juge, dans le processus
juridictionnel, une juste indemnisation. Plusieurs remarques s'imposent
ici :
La première, c'est que l'ancienne
prise à partie, celle antérieure à la loi de 1933, constituait à la fois une
voie de recours et une demande d'indemnisation ; l'argument, parfois
avancé aujourd'hui, qu'il ne faut pas remettre en cause l'autorité de la chose
jugée n'est donc pas pertinent. Et la Cour de cassation avait admis la prise à
partie pour déni de justice, nonobstant la collégialité, retenant une
responsabilité solidaire, le jugement étant réputé être l'œuvre collective des
juges qui composent la juridiction[140]. Et quelle autorité reconnaître à une
décision reposant sur une faute lourde ?
La deuxième, c'est que la chose
jugée, comme l'acte médical ou chirurgical, n'est que l'aboutissement d'un
processus qui comporte plusieurs étapes et dont chacune peut être envisagée
isolément pour discerner la faute du juge. Comme le cheminement d'une opération
chirurgicale ou d'un acte médical, l'acte de juger peut être décomposé en
plusieurs phases. Ainsi, serait-il anormal d'indemniser la victime d'une
violation, par le juge, du principe du contradictoire ? Ce juge n'a-t-il
pas l'obligation procédurale et déontologique de respecter ce principe ?
La sanction de la violation de la règle de procédure sera à la fois la remise
en cause (éventuellement) de la décision, l'indemnisation de la victime (pour
préjudice prouvé) et l'instruction disciplinaire du dossier du juge fautif,
dans le cas notamment où ce juge violerait systématiquement le contradictoire,
ou, pour sortir de cet exemple, les règles essentielles de procédure (par
exemple, le fait de ne pas établir de double d'un dossier d'instruction,
contrairement aux prescriptions légales, cas non fantaisiste[141]). La violation d'une norme procédurale
établie pourrait, à l'avenir, fonder une action en indemnisation et,
éventuellement, dans les cas les plus graves, une action disciplinaire. De la
même façon, lorsqu'un médecin commet une erreur de diagnostic et prescrit une
mauvaise ordonnance, il engage sa responsabilité ; le juge qui commet une
erreur de raisonnement juridique (l'équivalent du diagnostic) et rédige un
mauvais jugement (l'équivalent de l'ordonnance) est dans la même situation et
la protection liée à la nature juridictionnelle de son activité n'a plus de
raison d'être.
La troisième, c'est que la nouvelle
définition de la faute lourde donnée par la Cour de cassation le
23 février 2001, en visant la « mission » du service de juge, ne
distingue pas selon que cette mission est juridictionnelle ou non.
La quatrième, c'est qu'il faudrait
exclure cette responsabilité lorsque, la loi étant obscure ou complexe, le juge
est obligé de l'interpréter ; l'interprétation serait exclusive de toute
faute dans l'activité juridictionnelle, de la même façon que la dénaturation
d'une convention ne peut exister, pour la Cour de cassation, que si la clause
interprétée par le juge du fond était claire et précise ; l'ambiguïté est
exclusive de toute dénaturation ; elle pourrait l'être de toute faute du
juge.
[1]V. La pétition des juges
d’instruction de Paris contre « Annulator » : Le Monde
28-29 oct. 2001 ; Le Figaro 29 oct. 2001.
[3]Ch. Lazerges, L’inconstance du
Parlement, in Mél. D. Lochak, LGDJ, coll. « Dr. et société »,
2007, vol. 14, p. 187.
[5]D. Soulez-Larivière : Le
Monde 1er déc. 2001 ;
Libération 16 janv. 2002. – Le syndicat des commissaires et hauts
fonctionnaires de la police nationale : Le Figaro 8 et 9 déc.
2001.
[7]Les auditions, telles que rapportées
par la presse, sont éloquentes sur ce point de la collusion parquet/juge
d’instruction : Libération 22 févr. 2006, p. 15
(F. Aubenas, Les vues convergentes du juge et du regard « extérieur »). – 2 mars
2006 (F. Aubenas, Un juge passe un savon au Parquet : devant la
commission d’Outreau : la présidente de la cour d’assises a dénoncé la
collusion entre parquet et siège). Dès le 9 février 2006, au lendemain de
la première audition du juge par la commission d’enquête parlementaire, le
Conseil national des Barreaux dénonçait « la principale faiblesse de
l’instruction française : les interlocuteurs valables du juge
d’instruction sont ses partenaires de l’accusation ; les avocats, dont les
demandes ont été quasi systématiquement rejetées, ne sont tenus que pour
quantité négligeable ».
[8]On aura une idée de ces
dysfonctionnements en lisant le rapport de la commission d’enquête
parlementaire et les comptes rendus établis par la presse, notamment : Le
Point 2 févr. 2006, n° 1742, p. 36 (qui relève, chez le
juge d’instruction, l’absence d’expérience judiciaire et de la vie, la formation
type « sciences po », un passage au parquet qui révèlerait un manque
d’indépendance, une détermination « froide et technique » ; mais
aussi l’absence de réel contrôle par la chambre de l’instruction). Libération
9 févr. 2006, p. 4, qui relève une pratique systématique de la détention
provisoire, une instruction exclusivement à charge, un cadre préétabli dès le
premier jour et dont le juge n’aurait pas varié, des techniques d’intimidation,
etc. Libération 17 févr. 2006, p. 15, qui relève une obéissance
aveugle (E. Poncet : Un cadre obéissant).
[9]Ledit procureur général,
Jean-Amédée Lathoud, deviendra procureur général de Versailles, puis
directeur de l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice. Il ne
sera jamais inquiété en tant que PG de Douai (cf. Le
Point 17 févr. 2011, n° 2005, p. 12).
[10]Maintes fois dénoncée. Et encore,
dans l’affaire d’Outreau, par le bâtonnier de Paris en exercice
Y. Repiquet, Peut-on à la fois être juge et enquêteur ? : Le
Figaro magazine 4 févr. 2006, p. 38.
[11]Sur cette affaire, parmi
d’innombrables articles, points de vue et livres : A. Garapon et
D. Salas, Les nouvelles sorcières de Salem – Leçons d’Outreau, Le
Seuil, 2006. – F. Aubenas, La méprise – L’affaire d’Outreau, Le
Seuil, 2005. – Dossier de la revue Actualité juridique Pénal,
Dalloz, sept. 2006. – Y. Strickler, Après la crise de
l’affaire d’Outreau : l’émotion et la procédure pénale : LPA
14 déc. 2006, n° 249, p. 7.
[12]E. Mathias, La marginalisation
du juge d’instruction : vers un renouveau du modèle
inquisitoire ? : LPA 18 août 2005, p. 3.
– J.-P. Jean, Le ministère public entre modèle jacobin et modèle
européen : Rev. sc. crim. 2005, 670.
[14] On notera la similitude des mots
utilisés avec ceux qui encadrent la mission des juges d’instruction.
[15] L’expression est de J. Danet,
Le procès pénal après la réforme : Rev. sc. crim. 2003, 289 et s.,
spéc. p. 297.
[20]Sur cet aspect, M. L. Rassat :
JCP 2010, act. 369, qui se livre à un véritable réquisitoire
parfaitement motivé contre le projet. – Ph. Conte :
D. 2010, 774.
[23] S. Guinchard in Institutions
juridictionnelles, Précis Dalloz, 10ème éd. août 2009, n° 126, b-2,
p. 184-185 et in S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Lexisnexis/Litec
éd., dès la 1ère édition, 2000 et 5ème édition, septembre
2009, n° 86, p. 92, 143, p. 151 et 1593, p. 834. Menaces sur la justice des
droits de l’homme et les droits fondamentaux de procédure, Mélanges J. Normand,
Dalloz éd., 2003. De l’irresponsabilité des juges d’instruction, pour combien
de temps encore ? Mélanges J. Pradel, Cujas éd., 2006, 349.
[24] Par exemple, les célèbres et
précurseurs travaux (à maints égards) de la commission « Justice pénale et
droits de l’homme » en 1989-1990, publiés à la Documentation française
sous le titre La mise en état des affaires pénales, 1991. Mais aussi, moins
connu la communication du Doyen André Decocq à l'Académie des sciences morales
et politiques, le 3 avril 1995. R. Van Ruymbeck, Il faut supprimer le juge
d’instruction, Le Monde, 20 janv. 2006, p. 3.
[25] Le lecteur y verra une allusion
cinématograhique au film de Sergio Leone (1968) Once upon a time in the west
(il était une fois dans l’ouest).
[26] Sur cette longue histoire, voy., en
dernier lieu, C. Duparc, Le rôle
du juge d’instruction (1808-2008) Actualité et prospective, in J. Hautebert et
S. Soleil [dir.], Modèles français, enjeux politiques et élaboration des grands
textes de procédure en Europe, t. 2, actes du colloque d’Angers, 18-19 oct.
2007, EJT, éd., 2008, p. 119.
[27] V. L’instruction des affaires
pénales en Europe, étude de législation comparée du Sénat, n° 195, mars 2009,
sur le site du Sénat.
[28] Décision n° 96-377 DC, 16 juillet
1996, Perquisitions de nuit : JCP 1996, II, 22709, note Nguyen Van
Tuong ; AJDA 1996, 693, note
O. Schrameck ; ibid.
1997, 86, note C. Teitgen-Colly et F. Julien-Laferrière ;
RFD const. 1996-28, 806, obs. Th. Renoux ;
RD publ. 1996, 1245, note F. Luchaire ;
D. 1997, 69, note B. Mercuzot ;
ibid. 1998, somm. comm., obs. Th. Renoux.
[29] On peut consulter le rapport du
président et le texte du projet à la Rev. sc. crim., 1949, p. 433,
617 et 796. – Les discussions sur ce projet devant le Mouvement
national judiciaire se trouvent à la Rev. sc. crim. 1949, p. 499 et 1950,
p. 98. – Le projet a été commenté par Caleb : Rev. sc. crim. 1952, 19 et dans une thèse
de doctorat, Paris, 1952, de Mme Arnal-Donnedieux de Vabres.
Enfin, un parallèle très intéressant a été dressé entre ce projet et celui de
la commission « Justice et droits de l'homme » par P. Couvrat, in Archives de philosophie du
droit, t. 13, Sirey, 1991, p. 67.
[30] V. La pétition des juges
d'instruction de Paris contre « Annulator » : Le Monde,
28-29 oct. 2001 ; Le Figaro, 29 oct. 2001.
[31] « Indécence », titre de
l'éditorial du Bâtonnier Teitgen, Bulletin du Barreau de Paris, 30 oct.
2001.
[32] Autre clin d’œil cinématographique
au film Seven de David Fincher, avec Brad Pitt et Morgan Freeman (1995).
[33] V. par exemple, Eva Joly qui
interpelle le Président de la République au lendemain de son discours du
7 janvier 2009 à la Cour de cassation, par lequel il annonce son souhait de
supprimer le juge d’instruction, Monsieur le Président, Le Monde, 16 janvier
2009, p. 19.
[34] En contrepoint, J. Pradel, Tous les
péchés du juge d’instruction méritent-ils sa mise à mort ? D. 2009, 438.
[35] La publicité du film Seven, sur la
jaquette du DVD, nous dit que ces sept péchés capitaux sont aussi « sept
façons de mourir »… L’affirmation est ici transposable.
[41] Cf. cependant Gilbert Azibert in Où
vont les juges, op. cit., qui déclare, page 218, qu’il n’aurait pas signé ce
texte.
[45] V. G. Bolard et S. Guinchard, Le
juge dans la cité, JCP 2002, I, 137. Il est vrai que, depuis 2002, la tendance
s’est un peu inversée, avec de moins en moins d’affaires confiées au pôle
financier de Paris : 88 en 2007, 21 nouvelles en 2008, cf. l’enquête de
Nathalie Guibert et Alain salles, Le Monde, 24-25 mai 2009, p. 8.
[49] Témoignage de
P. Lyon-Caen : « La décoration comme l'un des moyens de tenir le
magistrat. Et donc sur l'intérêt qu'il y aurait à rendre incompatible l'état de
magistrat et l'état de décoré, sauf circonstances très exceptionnelles :
acte de courage, actions héroïques à la guerre. J'ai demandé à plusieurs
reprises que le magistrat ne puisse recevoir de décorations dans l'exercice de
ses fonctions et que cette incompatibilité légale soit inscrite dans le statut
de la magistrature », in L. Greisalmer et D. Schneidermann, Les
juges parlent, Fayard, 1992, p. 321-322. Note de l’auteur : quelques
lignes plus loin, l'intéressé reconnaît avoir accepté la Légion d'honneur, sans
l'avoir demandée.
[50] L'Union syndicale des magistrats a
préparé une proposition de loi en ce sens, qu'elle a envoyée aux
parlementaires, en soulignant que les parlementaires ne peuvent pas bénéficier
de décorations pendant l'exercice de leur mandat (ord. 18 nov. 1958), Le
Figaro, 25 mars 2005, p. 8 ; Le Monde, 25 mars 2005, p.
10 ; Les Annonces de la Seine, 7 avr. 2005, p. 6.
[52] Sur cette question, notamment
l’activité des assistants spécialisés au service du parquet et des juges
d’instruction, A. Gallois, Le traitement des affaires
procédurales de grande complexité, thèse (dacty.) Paris 1, mai 2008, spéc. n°
662 s.
[53] L'expression est de J. Danet,
Le procès pénal après la réforme : Rev. sc. crim. 2003, 289
et s., spéc. p. 297.
[57] Dernier clin d’œil à un autre film
de Sergio Leone, 1972 (« explosif et mythique », selon la jaquette du
DVD, ce qui est particulièrement adapté à la situation exposée au texte).
[59] François Guichard, in Les juges
parlent, de L. Greiselmer et
D. Schneidermann, Fayard,
1992, p. 184.
[61] D. Lawday, in New Statesman and society, Londres, rapporté par
Courrier international, 7 juillet 1999, p. 13.
[63] Sur cette affaire, v. le film
irlandais de Jim Sheridan, Au nom du père, avec Daniel Day-Lewis, Emma
Thompson, John Lynch et Mark Shepard (1993, 128 minutes).
[64] Notamment, S. Guinchard in Précis
d’institutions juridictionnelles, op. cit., n° 126, b-2, p. 184 et in Procédure
pénale, op. cit., n° 143-b, p. 152-153.
[65] V. entretien avec S. Bonifassi et M. Delhomme, Le phénomène d'attraction du
droit américain : Gaz. Pal. 9 déc. 2003. – J. Fr. Kriegk, L'américanisation de la justice,
prisme d'un nouvel ordre symbolique en matière pénale ? : Gaz. Pal.
9 avr. 2005, doctr., p. 2.
[66] Par ex. sans prétendre à
l'exhaustivité, le feuilleton The law of Los Angeles et les films, Douze hommes
en colère de Sidney Lumet (sur le délibéré du jury américain), Music Box (avec
la question de l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et la preuve
des faits), Le mystère Von Bülow (avec le rôle des professeurs de droit dans la
conduite d'un procès), Erin Brockovich (sur la défense des intérêts des
particuliers contre une multinationale), Absence of negligence (sur le problème
de la preuve), Class action (sur les actions collectives dans un contexte de
fraude pénale), Des hommes d'honneur (pour la justice militaire), La firme
(pour la déontologie des avocats, ou plutôt, l'absence de déontologie de
certains d'entre eux), L'idéaliste (pour l'importance des questions financières
dans les procès américains), Peur primale (1995, pour la conduite de la cross
examination), Chicago (pour la preuve), Michael Clayton (2007, pour la fonction
des cabinets d'avocats auprès des multinationales) etc. Même les réalisateurs
français préfèrent parfois filmer des histoires judiciaires américaines plutôt
que des histoires françaises, par ex. le documentaire
« Soupçons » de Jean-Xavier Lestrade
(six épisodes en octobre 2004 sur Canal +). Sur ce phénomène,
B. Villez, Séries télé :
visions de la justice, PUF, 2005, qui montre l'évolution des séries américaines
vers la faillibilité des hommes dans le fonctionnement des institutions, mais
sans remise en cause de leur autorité.
[67] C. Guéry, Justice à l'écran : pourquoi
l'Amérique ? : Revue Culture Droit, juin-août 2005, p. 74.
[69] Par ex., A. Garapon et
I. Papadopoulos, Juger en Amérique et en France, Odile Jacob, 2003.
– V. Magnier, in Droit processuel, Droit commun et droit comparé du
procès équitable, Dalloz, janv. 2009 spéc. n° 117 quater sur les
spécificités de cette procédure. Sur le système anglais, C. et
I. Delicostopoulos, ibid., n° 117 ter.
[70] V. Audrey Guinchard : Rev. sc. crim.
1997, 611. – J. Pradel, Le plaider-coupable des droits américain, italien
et français : RID comp. 2005, 473.
[71] H. Dalle, Juges et procureurs : une évolution
divergente : Justices 1999-1, nouvelle série, p. 55. Et, en réponse
et en critique, L. Cadiet,
intervention au colloque sur l'américanisation du droit, juin 2000, Archives de
philosophie du droit, 2001.
[72] J. Hilaire, présentation du colloque, organisé à l'automne
1993, par le Centre d'études d'histoire juridique de l'IHEJ, sur Le juge et le
jugement dans les traditions juridiques européennes, LGDJ, coll. Dr. et
Soc., 1996.
[73] S. Guinchard in Précis
d’institutions juridictionnelles, Dalloz, op. cit., n° 126, b-2, p. 184 et in
Procédure pénale, op. cit., n° 143-b, p. 152-153.
[74] Sur cette théorie de la gradation
des compétences constitutionnelles de l'autorité judiciaire, V. Th. Renoux, Justices, loc. cit.
1998-10, p. 75.
[75] Communiqué du 2 septembre 2009. Et
déjà, François Saint-Pierre, Entretien à la Gazette du Palais, 19 mars 2009.
[76] CEDH, 22 mai 1984, trois
arrêts (à propos d'un auditeur militaire en Hollande) : De Jong, Baljet et
Van Den Brink c/ Pays-Bas, série A, no 77 ; Van Der
Sluijs, Zuiderveld et Kloppe, série A, no 78 ;
Duinhof et Duijf, série A, no 79 ; Rev. sc. crim.
1985, 141, obs. L.E. Pettiti ;
JDI 1986, 1056, obs. Rolland et Tavernier. – 26 mai 1988,
Pauwels c/ Belgique, série A, no 135 (auditeur
militaire). – 23 oct. 1990, Huber c/ Suisse, série A, no 188
§ 42 et s. (procureur de district). – 26 nov. 1992,
Brincat c/ Italie, série A, no 249-A (solution d'autant
plus nette que le gouvernement italien avait plaidé le cumul effectif de
fonctions comme critère de partialité).
[77] CEDH, 4 juill. 2000, Niebdela
c/ Pologne : JCP 2000, I, 291, no 13, obs. Fr. Sudre. Même solution pour la Roumanie,
CEDH, 3 juin 2003, Pantea c/ Roumanie, D. 2003, 2268.
[78] Cass. crim., 10 mars
1992 : Bull. 105 (« possède la qualité de magistrat habilité par la
loi à exercer des fonctions judiciaires le procureur de la République,
magistrat de l'ordre judiciaire dont la mission est de veiller à l'application
de la loi ; l'article 5, CEDH n'interdit pas à ce magistrat
d'ordonner, dans les limites que la loi autorise, la prolongation du maintien
de la personne entendue à la disposition des
enquêteurs »). – Et, déjà, Cass. crim., 28 janv.
1992 : Bull. 32 (« les dispositions de l'article 77, CPP [sur la
garde à vue] ne sont pas incompatibles avec la Convention EDH »).
[80] CEDH, 10 juill. 2008, Medvedyev et
alii c/ France, Gaz. Pal. 28 oct. 2008, note G. Poissonnier ; Procédures, déc. 2008, n°
343, obs. Buisson ; D. 2008, 3055, note P. Hennion-Jacquet
(sous l’angle du délai raisonnable pour être présenté à un juge) ;
D. 2009, 600, note Renucci ; JCP 2009, Actualités, 200, M.-L. Rassat ; Rev. sc. crim. 2009/1, 176, obs.
Marguénaud ; JDI 2009-3, 1003, obs. P. von Muhlendahl.
[81] V. en ce sens la déclaration de M.
le Président Degrandi, lors de la rentrée solennelle du TGI de Paris, en
janvier 2009, Les Annonces de la Seine, 15 janv. 2009, n° 3, p. 5, spéc. p. 7.
[82] Cass. crim., 6 janv.
1998 : Bull. no 1 ; RGDP 1998, 461, obs. D. Rebut ; Procédures avr. 1998, no 96,
obs. Buisson ; D. 1999, 246,
note G. Yildrim.
[88] V. en ce sens les déclarations
pertinentes de M. le Président Degrandi, lors de la rentrée solennelle du TGI
de Paris, en janvier 2009, Les Annonces de la Seine, 15 janv. 2009, n° 3, p. 5,
spéc. p. 6, ainsi que les très intéressantes propositions de Madame Mireille
Delmas-Marty lors de sa communication devant l’Académie des sciences morales et
politiques, le 25 mai 2009, Le Monde, 26 mai 2009, p. 18 et Annonces de la
Seine, 4 juin 2009, n° 34, p.2.
[89] Robert Badinter, Le Nouvel
Observateur, 27 mai-2 juin 2004, p. 90, qui observe que le Code de procédure
pénale permettait de confier l’instruction (délicate) de cette affaire à
plusieurs juges d’instruction, qu’il aurait suffi de respecter les principes de
notre procédure pénale, tels que ceux de la présomption d’innocence et de la
mise en détention exception par rapport au principe de la liberté. Edouard
Balladur, Le Monde, 13 juillet 2004, qui propose une décision collégiale de
mise en détention (trois magistrats décidant à l’unanimité) et une
indemnisation fixée par une « commission nationale indépendante composée
de représentants de magistrats, d’avocats, d’universitaires, de parlementaires,
de personnalités qualifiées venant d’horizons variés » ; ses
décisions pourraient faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil
d’Etat.
[96] V. Le Figaro, 20 mai 2004,
« fiasco de l’instruction ou justice en échec » ; 22 mai 2004,
« … un juge en accusation » ; 9 juin 2004, « une instruction
uniquement à charge » ; 5 juillet 2004, « le juge voulait
instruire seul ». Le Monde, articles précités des 20, 21 et 25 mai 2004,
mais aussi du 11 juin. Le Point, 27 mai 2004, p. 62. France-Soir, 16 juillet
2004, « des magistrats à révoquer ».
[97] Sur la dénonciation de cette
pratique, Guinchard et Buisson, Procédure pénale, Litec, 2ème éd.,
2003, n° 269-1 et 1212. Jean Danet, Le procès pénal après la réforme, Rev. sc.
crim. 2003, 289, spéc. p. 297.
[99] Sur ce système et ces évolutions,
v. Serge Guinchard, Responsabilités du fait du fonctionnement défectueux du
service public de la justice, répertoire de procédure civile, 2005.
[100] Cass. 1re civ.
13 oct. 1953, Bull. civ. I, no 224 ; 20 févr.
1996, JCP 1996. I. 3938, no 1, obs. Cadiet, Gaz. Pal.
8 juill. 1997, qui ne retient pas la faute d'un greffe du TGI qui enrôle
inconsidérément une assignation délivrée devant le tribunal de commerce, ni du
TGI qui statue sans vérifier sa saisine ; CA Paris, 6 sept. 1996,
Lebrun c/ Agent judiciaire du Trésor, inédit ; TGI Rennes, 27 nov.
2000, Le Monde, 29 nov. 2000.
[101] Cass. ass. plén. 23 févr.
2001, affaire Bolle-Laroche, Bull. inf. C. cass., 1er avr.
2001, concl. R. de Gouttes et note Mme Collomp ;
ibid. Gaz. Pal. 28 juill. 2001, D. 2001. 1752, note
Ch. Debbasch, JCP 2001. I. 26, obs. G. Viney ; JCP 2001.
II. 10583, note J.-J. Menuret ; AJDA 2001. 788, note
S. Petit.
[103] CA Paris, 21 juin 1989,
affaire Saint-Aubin, Gaz. Pal. 1989. 944, concl. Lupi : la
responsabilité ne fut pas retenue en l'espèce, à propos d'une ordonnance de
non-lieu et de l'arrêt le confirmant.
[112] Paris, 28 avril 2003, Annonces de
la Seine, 29 mai 2003, p. 20 ; Gaz. Pal. 24 juin 2003, p. 17 ; la
cour retient aussi le déni de justice, v. infra, B.
[115] TGI Paris, 20 nov. 2002, aff.
Villemin, Annonces de la Seine, 19 déc. 2002, p. 8, et note
Serge Petit,
p. 16 ; Gaz. Pal. 11 janv. 2003, note J.G.M.
[121] Rapporté par l'hebdomadaire VSD le
27 oct. 1994 et non démenti ensuite par l'intéressé qui n'a pas poursuivi
le journaliste en diffamation.
[124] Paris, 28 avril 2003, Annonces de
la Seine, 29 mai 2003, p. 20 ; Gaz. Pal. 24 juin 2003, p. 17.
[125] CJCE, 30 sept. 2003, Köbler c/
République d’Autriche, aff. C-224/01, § 59, JCP 2003, éd. Adm. et collectivités
territoriales, p. 1943, note O. Dubos ; Procédures, nov. 2003, n° 240,
obs. C. Nourissat ; Europe, nov. 2003, chron. D. Simon, p. 3 ; AJDA
2003, 2146, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; ibid.
2004, étude J. COURTIAL, p. 423, spéc. 427 et s. ; Gaz. Pal. 4 mars 2004,
chron. I. Pingel ; V. aussi les conclusions Ph. Léger sur l’arrêt,
Procédures 2003, n° 170.
[126] Arrêt Francovich, 19 nov. 1991,
aff. C-6/90 et 9/90, Rec. p. I-5405 ; AJDA 1992, 143, note P. Le Mire. –
Arrêt Brasserie du Pêcheur et alii, 5 mars 1996, aff. C-46/93 et C-48/93, Rec.
p. I-1029 ; chron. Chavrier, Honorat et de Bergues, AJDA, 1997, 342 ;
D. Simon, AJDA 1996, 489.
[127] V. Ioannis Delicostopoulos, Le procès civil à l’épreuve du droit
processuel européen, LGDJ, 2003, préface, Serge Guinchard, n° 305 et s.
[128] V. Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA,
L’autorité des décisions de justice constitutionnelle et européennes sur le
juge administratif français, LGDJ, 1998.
[129] Sur le rapport entre la fonction
juridictionnelle et l’autorité, l’indépendance et la responsabilité, v. D.
SABOURAULT, in Justice et responsabilité de l’Etat, sous la direction de M.
Deguergue, op. cit., PUF, 2003, p. 172.
[130] Ioannis Delicostopoulos, Le procès
civil à l’épreuve du droit processuel européen, LGDJ, 2003, préface Serge
Guinchard, p. 241 et s.
[132] V. par ex. Cass. crim.
11 oct. 1995, qui n'accepte pas que l'erreur de droit d'un avoué exonère
de sa responsabilité pénale le client, au titre de l'erreur de droit de
l'art. 122-3 du C. pén.
[133] P. DRAI, Discours de rentrée,
audience solennelle de la Cour de cassation, 12 janv. 1996, in La
Documentation française, p. 16, Le Figaro, 2 mai 1996, p. 10.
[134] M. CAPPELETTI, in Le pouvoir
de juger, 1990, Economica, p. 115), pour demander un réexamen de cette
question (J. LAMARQUE, Le procès du procès, in Mélanges Auby, 1992,
Dalloz, p. 178 ; J.-D. BREDIN, Qu'est-ce que l'indépendance du
juge ?, Justices 1996-3. 161, spéc. p. 165-166 ; V. aussi
D. SOULEZ-LARIVIÈRE, De l'impunité des juges, Libération, 26 janv.
1994.
[139] V. Discours de rentrée solennelle
de J. Cl. MAGENDIE, 15 janvier 2003, Gaz. Pal. 21 janv. 2003, spéc., p. 34.
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