SOMMAIRE
I – LE PHÉNOMÈNE DE MONDIALISATION ET DE MODÉLISATION DU DROIT
DU PROCÈS – janvier
2017
II - LE DROIT PROCÉDURAL, RÉFÉRENCE COMMUNE DANS L’ESPACE
EURO-MÉDITERRANÉEN – 2001 et 2005
III – VERS UNE PROCÉDURE MONDIALE MODÉLISÉE ? 3 juin 2003
IV – L’ÉVOLUTION DES SOURCES DU DROIT DU PROCÈS : 2015-2016
I – LE PHÉNOMÈNE DE MONDIALISATION
ET DE MODÉLISATION DU DROIT DU PROCÈS
Mondialisation,
droit naturel et universalité
Phénomène
marquant de la fin du xxe siècle
et, vraisemblablement, du iiie millénaire [1], la
mondialisation du droit, maintes fois soulignée [2], accompagne la
mondialisation de l’économie et traduit l’aspiration à un droit commun [3],
notamment dans le domaine de la justice et du procès (y compris le procès
arbitral) [4], comme
si les hommes cherchaient à compenser, par le droit, vecteur de morale [5], la
mondialisation des guerres, par deux fois au cours du xxe siècle. Mondialisation dans les rapports
entre États, par la signature de conventions internationales dont la finalité
est l’établissement de règles communes de procédure, de standards de procès (v.
ss 41 s.) pour ceux qui
les ont ratifiés, ou de traités institutifs d’organes ayant un pouvoir
juridictionnel (Convention EDH avec la Cour EDH, traités CEE, EURATOM et CECA,
avec la Cour de justice des communautés européennes, devenue Cour de justice de
l’UE etc.). Mondialisation aussi dans les rapports entre les opérateurs privés,
par la technique du contrat appliquée au procès ; on songe, tout
naturellement, à l’arbitrage international, le contrat confiant une mission de
juger, un pouvoir juridictionnel, à un tiers.
Cette
aspiration à l’universel [6] n’est
que l’expression contemporaine d’une tradition ancestrale, celle d’un droit
naturel [7], qui,
de l’Antiquité grecque à François Gény, conduit finalement à la Déclaration
universelle des droits de l’homme dont on a vu qu’elle constituait le
texte-mère du droit processuel de protection des droits et libertés
fondamentaux [8]. Cette
aspiration correspond à la grande tradition de l’universalité du droit et s’en
trouve renforcée, dans le domaine du procès, y compris celui de
l’exécution [9], par
l’attraction de celui-ci à la sphère d’influence des droits fondamentaux [10], même
si les droits fondamentaux se trouvent parfois bouleversés par cette
mondialisation [11].
Les droits romano-germaniques et la Common law, en ressortent
altérés : il y a bien pour eux une véritable épreuve de la
mondialisation [12], ces
systèmes subissant tous les deux, à des titres divers, les contraintes de la
mondialisation qui conduit progressivement à une modélisation. La
mondialisation s’accompagne en effet, d’un phénomène de modélisation du procès.
La modélisation
dans la mondialisation
La
modélisation procédurale [13], déjà
signalée progresse depuis que les organes de contrôle des instruments de
protection des droits de l’homme ont commencé à fonctionner et à élaborer une
jurisprudence sur les garanties du procès équitable, sur les exigences d’une
bonne justice, essentiellement sur le fondement de l’article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (Comité des
droits de l’homme de l’ONU) et sur celui de l’article 6, § 1 de la
Convention EDH (Cour EDH), sans parler de la jurisprudence de la Cour de
justice de l’UE bâtie à partir de la notion de principes généraux de droit de
l’UE et qui se développe davantage avec l’adoption de la Charte des droits
fondamentaux de l’UE. Si cette jurisprudence constitue la base d’un modèle
universel de procès auquel nous consacrerons le titre premier de cette seconde
partie, il faut dire quelques mots d’autres modèles ou projets de modèle.
III – LE DROIT PROCÉDURAL, RÉFÉRENCE COMMUNE DANS L’ESPACE
EURO-MÉDITERRANÉEN : version galatasaray
Rapport
présenté
au
colloque
« La
formation des praticiens du droit dans l’espace euro-méditerranéen, émergence
d’une culture juridique commune et élément de contribution à l’état de
droit »
Istanbul,
1er octobre 2001
Université GALARASARAY
Ce texte a aussi été
publié, avec quelques modifications, aux mélanges offerts à Giuseppe Tarzia en
2005
S’interroger
sur une référence commune au droit procédural, dans l’aire géographique
euro-méditerranée, relève de la gageure, en tout cas suscite quelques
interrogations. En effet, l’Europe, qui est en grande partie méditerranéenne,
même réduite à l’Europe communautaire des quinze (sans compter les pays
bénéficiant d’un statut d’association) est soumise à un remarquable instrument
international de protection des libertés et droits fondamentaux, à savoir la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales. Cet instrument comprend un article 6 qui est devenu la source
d’une évolution considérable des droits procéduraux des Etats parties et
bénéficie, en outre, d’un organe de contrôle vigilant et influent, la Cour
européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, l’Union européenne s’est dotée
en décembre 2000 d’une Charte communautaire des droits fondamentaux, dont
l’article 47 est très proche de l’article 6 de la Convention.
En
contemplation, il n’y a pas d’instrument comparable pour les pays du pourtour
méditerranéen, non européens.
Comment,
alors, envisager une communauté de référence au droit procédural, ce droit
étant, en outre, par essence, par tradition, extrêmement territorial et se
prêtant mal à des tentatives d’harmonisation, sans même parler d’unification,
en dehors, précisément, de l’adhésion à un instrument régional ou mondial de
protections des libertés et droits fondamentaux. Il n’y a rien de plus
territorial, de plus national, dans le droit, que la procédure, qu’elle soit
civile ou pénale. La territorialité n’est-elle pas de l’essence de la
procédure ? Ne parle-t-on pas, de plus en plus, d’une justice de proximité
qui présuppose non seulement un juge de proximité, mais aussi une procédure
proche des préoccupations de nos concitoyens, à mille lieux de la
mondialisation ? La procédure n’est-elle pas tout le contraire des
opérations de services, de l’industrie ou de l’agriculture qui se mondialisent,
parfois à leurs corps défendant ? Pourtant, à regarder de plus près, le
droit procédural est animé de mouvements qui traduisent un phénomène de
mondialisation, dans lequel on peut discerner l’émergence d’une référence
commune à l’espace qui nous intéresse ici.
Il
nous semble en effet possible de rechercher cette référence commune au-delà de
la seule application d’un instrument international. N’y a-t-il pas, par
capillarité, une influence du droit européen sur d’autres droits nationaux, par
les enseignements de la doctrine, par la diffusion sur internet des arrêts de
la Cour européenne, par des colloques comme celui-ci, bref, par tout un
mouvement de progrès du droit à partir de principes universels, ceux qui
constituent les bases, les garanties d’une bonne justice ? En d’autres
termes, n’y a-t-il pas un fonds commun, certes issu, pour l’essentiel de la
jurisprudence européenne, mais largement ouvert vers d’autres cultures, puisque reposant sur des valeurs
universelles ?
C’est à cette recherche que nous nous sommes attelés, à
la demande des organisateurs de ce colloque, sans distinguer selon les
procédures, qu’elle soit civile ou pénale, voire administrative pour les Etats
qui connaissent cette dernière. Et sans distinguer entre les Etats de cet
espace euro-méditerranéen.
A
cet égard, trois axes nous semblent devoir être dégagés et approfondis :
-
En premier lieu, sous l’influence
prépondérante des instruments internationaux des droits de l’homme (que nous
préférons désigner par l’expression de libertés et droits fondamentaux), le
droit procédural se trouve placé aujourd’hui sous l’emprise croissante des
droits fondamentaux, à tel point qu’on peut désormais parler de droits
fondamentaux du procès, de « droits de procédure ». La première manifestation d’une référence
commune dans l’espace euro-méditerranéen,dans le domaine du droit procédural,
c’est donc l’internationalisation des sources de ce droit (I).
-
En
deuxième lieu, la mondialisation se traduit par l’apparition de modèles de
procès qui empruntent à plusieurs traditions juridiques, mais avec un fonds
commun universel, celui qui correspond, précisément, aux garanties
fondamentales d’une bonne justice ; si un rapprochement s’opère, par
exemple, entre les procédures accusatoire et inquisitoire, c’est toujours dans
le respect de ce modèle universel, celui du procès équitable. La modélisation des procès, par
l’apparition de standards communs, constitue la deuxième référence commune dans
l’espace euro-méditerannéen (II).
-
Enfin,
la procédure elle-même, dans ce qu’elle a de plus technique, se renouvelle.
Cette évolution de la technique des procès laisse entrevoir un autre point
commun, une ligne force, l’émergence de
nouveaux principes directeurs du procès qui traduisent les besoins de
davantage de dialogue, de confiance légitime dans l’adversaire et dans le juge,
de loyauté, mais aussi de rapidité ; les rôles respectifs du juge, des
parties, du ministère public, s’en trouvent modifiés ? C’est la troisième
référence commune dans l’espace euro-méditerranéen dans le domaine du droit
procédural (III).
I - LA RÉFÉRENCE COMMUNE À DES SOURCES D'ATTRACTION À LA GARANTIE DES DROITS FONDAMENTAUX
Le
procès est désormais solidement ancré dans la sphère des droits fondamentaux.
Cette attraction de la procédure par les droits fondamentaux résulte
essentiellement de l’existence d’instruments internationaux de protection des
droits fondamentaux, d’application directe (A) et qui constituent, pour les
juges de tous les Etats concernés, une arme redoutable (B).
a)
L’applicabilité directe des instruments internationaux
Le
premier facteur de référence commune dans l’espace euro-méditerranéen dans le
domaine du droit procédural tient à ce que ces instruments internationaux sont
directement applicables dans les Etats qui y sont parties.
Le
centre de la question se ramène à une seule notion, qui s’exprime en deux mots
seulement, « procès équitable ». Jamais, si peu de mots
n’auront autant bouleversé le droit du procès. L’expression n’est pas
spécifique au droit européen, même si elle est au cœur de l’article 6 de la
convention européenne des droits de l’homme.
- Cette exigence est en
effet exprimée, pour la première fois, à l’article 10 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. Celle-ci n’ayant que la
valeur d’un idéal à atteindre et aucun organe de contrôle n’ayant été mis en
place, l’article 10 reste un texte de référence, une valeur morale, sans plus.
- En revanche, l’article
14, §1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19
décembre 1966, qui reprend lui aussi cette exigence, a une importance plus
grande, d’une part, parce que le pacte est auto-exécutoire en droit national
et, d’autre part, parce qu’il est doté d’un organe de contrôle, le Comité des
droits de l’homme de l’ONU qui a élaboré une jurisprudence très protectrice des
requérants ; ceux-ci, sur la base du Protocole facultatif, ont la faculté
de présenter des communications individuelles. Toute une jurisprudence,
malheureusement peu accessible, s’est construite, faisant de ce droit à un
procès équitable un véritable droit substantiel.
- Même remarque avec
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’autre fille de
la Déclaration universelle, et le rôle joué par la Cour européenne des droits
de l’homme.
- L’entrée en vigueur du
traité d’Amsterdam, a consacré l’adhésion des institutions communautaires aux
idéaux des libertés et droits fondamentaux, notamment dans le domaine du droit
du procès.
- La Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne adoptée à Nice en décembre 2000 constitue
l’adhésion de l’Europe des 15 à cet idéal ; on y trouve notamment un
article 47 qui reprend, pour l’essentiel les dispositions de l’article 6 de la
CEDH et qui s’impose aux candidats à l’adhésion.
b) une arme redoutable entre les mains des juges
La
recherche de l’effectivité des droits aura, sans doute, été le phénomène le
plus marquant de la fin du XXème siècle, notamment dans le domaine de la
procédure. Elle s’inscrit dans un mouvement plus général de la recherche de l’effectivité
pour tous les droits de l’homme. On ne peut pas, ici, ne pas citer le fameux
arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Airey c/ Irlande, du 7 octobre 1979 et le souci de la Cour,
clairement énoncé comme une exigence, « de
protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et
effectifs »[14].
Cette recherche de l’effectivité des droits ne s’est jamais démentie et se
fonde sur la spécificité des traités de protection des droits de l’homme,
assurer la garantie collective de ces droits, ce qui implique de les
interpréter « d’une manière qui en
rende les exigences concrètes et effectives »[15].
A
cet égard, l’applicabilité directe des instruments internationaux constitue une
arme redoutable entre les mains des juges.
Pour nous en tenir à la Convention européenne, on soulignera qu’elle est en
effet directement applicable par les tribunaux français, ce qui se traduit,
dans l’ordonnancement juridique français, par deux considérations :
- d’une part, les
justiciables peuvent invoquer la Convention européenne devant les juridictions
nationales qui sont tenues de l’appliquer[16].
- d’autre part, la
Convention l’emporte sur les normes internes et a une autorité supérieure à la
loi[17].
Ce dernier aspect constitue un pouvoir considérable entre les mains des juges,
encore peu utilisé, sans doute parce qu’il est exorbitant, par rapport à notre
tradition juridique, qu’un juge puisse écarter une loi votée par le Parlement[18].
Les exemples de textes écartés par une juridiction française pour non-conformité
à la Convention européenne des droits de l’homme sont donc rares. Mais
récemment, la chambre criminelle, sortant d’une léthargie certaine, a écarté
certaines dispositions de la loi sur la presse de 1881 et la loi qui
interdisait la publication et la diffusion des sondages dans la semaine qui
précédait une élection nationale.
Ce sont les conséquences que ces sources produisent sur
la procédure qui constituent, pour partie, le deuxième axe d’une référence
commune dans l’espace euro-méditerranéen dans le domaine du droit procédural.
ii) la référence commune à un modèle universel de procès
La référence commune, dans l’espace euro-méditerranéen,
pour le droit procédural, se construit autour de deux phénomènes :
-
l’existence
de standards de procédure communs à de nombreux pays à travers le concept de
procès équitable (A).
-
l’apparition
de procédures mixtes, mi-accusatoires, mi-inquisitoires (B).
a) le standard universel du procés equitable
La
mondialisation des standards de procédure a été grandement facilitée par
l’existence, dans l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques et dans l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme, d’une garantie que l’on résume par l’expression de procès équitable,
mais qui rassemble toutes les composantes d’une bonne justice. Ces deux textes
ont beaucoup contribué, sinon au rapprochement des procédures, tout au moins,
au-delà de leur diversité maintenue, à la construction d’un fonds commun
procédural qui s’impose à tous les Etats soumis à l’emprise de ces instruments
internationaux.
1°)
Le procès équitable, facteur de mondialisation de la procédure
Véritable
socle de standards d’une bonne justice, le procès équitable contribue
grandement à la modélisation des procès, quel que soit d’ailleurs le type de
contentieux, quel que soit le pays. Une jurisprudence audacieuse du Comité des
droits de l’homme de l’ONU et de la Cour européenne des droits de l’homme a
complètement transformé le sens de certains mots qui pouvaient paraître bien anodins
ou ne traduire qu’un vœu pieu (par ex. la notion de délai raisonnable) et a
extrait de ce texte, de ce concept, des exigences non formellement exprimées
(par ex. l’égalité des armes). La Cour de justice des communautés européennes,
en s’appropriant le procès équitable au titre des principes généraux du droit
communautaire, dispose du même outil, dans son champ de compétence. La Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne le consacre dans son article 47.
En quoi
consiste-t-il ?
2°)
La notion de procès équitable
Dans
l’expression « procès équitable », avant équitable il y a procès ; pourtant on chercherait vainement
l’expression dans les anciens codes de procédure, qu’il soient de procédure
civile ou d’instruction criminelle, sans parler des textes qui régissaient le
contentieux administratif. Le mot qui était davantage utilisé sous l’empire des
grandes ordonnances royales, civile et criminelle, de 1667 et 1670, était celui
d’équité, celle de nos Parlements
bien sûr, dont Dieu devait nous garder, ... à côté de leur arbitraire. Le
concept n’était pas formalisé et avait mauvaise réputation, ce qui explique
sans doute que nous l’ayons enfoui au plus profond de nos institutions
judiciaires ; on parlait plutôt d’une « équité
arbitraire »[19],
que d’un procès équitable ! Curieux glissement du vocabulaire juridique
qui doit nous inciter à la prudence dans l’utilisation de cette expression et à
rechercher le sens exact de l’équité pour mieux approcher l’équitable.
Les
dictionnaires généraux, qu’ils soient anglais ou français, nous livrent deux
sens de l’équité et conduisent progressivement au procès équitable :
- Dans le dictionnaire
historique de la langue française[20],
l’équité est d’abord définie comme un emprunt savant (1262) au latin aequitas : égalité, équilibre
moral, esprit de justice, dérivé de aequus,
égal, d’où impartial. On retrouve cette notion d’égalité dans le dictionnaire
anglais Collins (English language dictionnary) : la qualité d’être loyal et raisonnable d’une manière qui donne à chacun
un traitement égal.
- Ces deux mêmes
dictionnaires voient aussi dans l’équité, pour l’un « la juste appréciation de ce qui est dû à chacun, selon un
principe de justice naturelle, parfois divine », pour l’autre, le
principe qui fera d’un jugement un jugement loyal dans un cas où les lois
existantes n’apportent pas de réponse satisfaisante à un problème (« the principe used in law which allows
a fair judgement to be made in a case where the existing laws do not provide a
reasonnable answer to the problem »). C’est ici l’équité dont Philippe
Jestaz nous dit[21],
qu’elle serait tantôt désobéissance à la loi lorsque le juge écarte la règle de
droit pour rendre un jugement « en
équité », c’est à dire supposé plus juste que ne l’aurait permis
l’application du droit strict, tantôt adaptation de la règle de droit à un cas
particulier, tantôt expression d’une idée de justice comme fondement du droit.
Le Vocabulaire Henri
Capitant[22], ne
parle pas de l’équilibre, mais dégage cinq sens dont les quatre derniers
peuvent être regroupés sous l’idée commune d’atténuation de la règle de droit
par des considérations particulières, de dépassement du droit pour tendre à la
justice, justice supérieure au droit positif ; l’autre sens serait
l’égalité.
Dès lors, si l’on revient
au procès équitable pour en faire une exigence, à quoi reconnaît-on qu’un
procès donné l’a été ? Quel sens faut-il retenir de l’équité ?
- S’il s’agit d’être juste dans le jugement rendu, chacun sait bien
que l’application de la règle de droit s’accommode mal avec une équité qui
serait conçue comme la recherche systématique de l’humain dans les conséquences
que provoque toute décision de justice ; c’est cette recherche qui
conduisit le Président Magnaud à n’être le « bon juge » de
Château-Thierry que pour les justiciables, pas pour les juristes. L’équité, au
sens de la « sensibilité généreuse
et hardie », que dénonçait Gény chez ce juge n’a pas sa place dans la
notion de procès équitable, car les bons sentiments en matière de justice, la
sensiblerie, mènent au déséquilibre et à l’inégalité entre les justiciables.
C’est le sens d’une jurisprudence constante : le juge ne peut se contenter
de se référer à son « arbitraire », même en invoquant son souci
d’apaisement et son impuissance à démêler l’affaire, pour condamner le débiteur
à ne régler que la moitié de la somme déclarée[23].
- C’est donc davantage la
racine equus, l’idée d’équilibre
qu’il faut retenir pour comprendre ce que peut représenter aujourd’hui un
procès équitable ; l’idée d’assurer à tout justiciable un tel procès, se
rattache à la notion très générale et générique de garanties fondamentales d’une bonne justice, dont on trouve des
illustrations dans le caractère public des audiences, dans l’exigence d’un
tribunal indépendant et impartial, ou d’un délai raisonnable, etc.. Ce sont ces
garanties qui assurent à chacun, dans un État de droit, le droit à un procès
équilibré, loyal, tant il est vrai
que l’on oublie trop facilement que, dans la version anglaise de l’article 6 de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, l’équivalent du mot français « équitablement »,
ce n’est pas « equity »,
mais « fair », ce qui, au
moins pour un esprit continental, fait penser au légendaire fair play britannique ; en outre
dans le 14ème amendement à la Constitution américaine figure
l’exigence d’un procès loyal. Et l’equity, dans la langue anglaise, c’est
d’abord la qualité d’être loyal (fair)
et raisonnable dans une voie qui donne un traitement égal à chacun[24].
Il faut donc ici dissiper
toute ambiguïté, l’équité dont il est question n’est pas celle qui s’oppose au
droit ; ce n’est pas le dépassement du droit au nom de principes
supérieurs. Le mot « équité » vient du latin « equus », qui signifie
équilibre ; les deux termes sont équipollents[25].
Pour
conclure, on dira que le procès équitable, c’est le procès équilibré entre
toutes les parties.
Cela
ne signifie pas pour autant que l’idéal de justice soit absent car l’équité au sens d’un équilibre à
réaliser, c’est aussi un idéal de
justice ; c’est, selon l’heureuse expression d’Henri Capitant il y a
maintenant 70 ans, « l’une des plus
radieuses formules de justice dont on ait depuis la Grèce et Rome, illuminé
l’espoir des sociétés modernes »[26].
Le procès équitable repose sur des garanties qui tendent à faire régner cet
idéal de justice. Si l’équité dans
le procès c’est l’équilibre, tendre à assurer le respect de celui-ci, c’est
aussi veiller à promouvoir l’idéal de justice : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix
s’embrassent »[27].
3°) Le contenu du procès équitable
Ce
droit à un procès équitable s’exprime aujourd’hui à travers un triptyque :
en effet, en vingt-deux ans, entre l’arrêt Golder
contre le Royaume Uni du 21 février 1975 et l’arrêt Hornsby contre la Grèce, du 19 mars 1997, la Cour européenne a
construit un droit au procès équitable extrêmement large, droit qui comprend
désormais trois volets :
-
le premier volet est le droit d’accès à un
tribunal,
-
le deuxième, le droit à une bonne justice dans
ses deux aspects d’organisation du tribunal (indépendance, impartialité) et de
garanties dans le déroulement de l’instance (droit à un procès équitable au
sens strict, publicité de l’audience et délai raisonnable) ;
-
le troisième volet, droit à l’exécution, est
désormais détaché de l’exigence du respect du délai raisonnable pour devenir un
droit autonome.
a)
Le droit à un juge
Ce
droit se dédouble, mais dans deux volets de portée différente :
- il y a d’abord le droit
d’accès à un tribunal au sens d’un premier juge appelé à connaître de l’affaire.
- Il y a ensuite la
question du droit à un recours contre une décision juridictionnelle et cette
fois, la portée de cette exigence est plus faible.
1) Le droit à l’examen de
sa cause par l’accès à un tribunal
Le
droit d’accès à un tribunal n’est reconnu que de manière allusive ou limitée
dans la Convention européenne des droits de l’homme :
- dans l’article 13 qui
énonce que « toute personne dont les
droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit
à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale... ».
On remarquera que ce recours n’est pas qualifié de juridictionnel et que, par
conséquent, il peut être porté devant toute instance nationale indépendante,
même si elle ne constitue pas une juridiction ;
- dans l’article 5, §4,
mais ce texte , qui garantit un recours devant un tribunal, a un champ
d’application limité à la privation de liberté, à la détention arbitraire.
Pour
autant, la Cour européenne de Strasbourg reconnaît un droit à un recours
juridictionnel, qu’elle fonde, depuis son célèbre arrêt Golder c/ Royaume Uni, 21 février 1975, sur le texte et le contexte
de l’article 6 §1 de la Convention, article qui consacre le droit pour toute
personne à un procès équitable, plus exactement à ce que sa cause soit entendue
équitablement.
L’effectivité
du droit à un juge recouvre deux exigences :
- La première exigence
est que le recours juridictionnel reconnu par l’Etat conduise à un contrôle
juridictionnel réel, suffisant. C’est la notion de tribunal qui est ici en cause.
Il faut que le tribunal qui sera saisi, soit compétent en pleine juridiction,
afin de pouvoir examiner l’affaire tant en droit qu’en fait. Le tribunal se
caractérise par sa fonction juridictionnelle, « trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une
procédure organisée, toute question relevant de sa compétence ».
- La seconde exigence est
d’ordre plus pratique. L’effectivité suppose ensuite une réelle possibilité
pour les parties d’accéder, en fait, à la justice. Le droit d’agir en
justice est ainsi relié aux obstacles que pourraient rencontrer les
justiciables, obstacles d’ordre matériel ou financier, et que l’Etat doit lever
pour assurer l’effectivité du droit d’accès à un tribunal.
2) Le droit à un recours
contre une décision juridictionnelle prolonge le droit à un juge.
Mais, en-dehors de la
matière pénale, la Cour européenne des droits de l’homme considère que
l’article 6 n’impose pas aux Etats d’ouvrir un recours contre les décisions
rendues en matière civile ; le fait que l’accès à un tribunal ait été
effectif, pour une première instance, a une incidence sur le principe même d’un
recours contre la décision rendue. Cela explique que la Cour européenne n’a
jamais consacré, en matière civile, un droit absolu à un deuxième ou à un troisième
examen de sa cause par un juge ; c’est toute la question du droit à un
appel et du droit à un pourvoi en cassation.
b)
Le droit à un bon juge
Le juge doit être de qualité, c’est à dire indépendant et
impartial ; il doit être équitable, c’est à, essentiellement, respecter
les droits de la défense et motiver ses décisions ; enfin, il doit juger
avec célérité.
1) Un juge indépendant et
impartial
Pour
que le procès soit de qualité, encore faut-il que les acteurs institutionnels
actifs de ce procès, c’est à dire les juges, répondent à des qualités de
sérieux et de compétence. Il revient à chaque Etat de mettre en place un
système de recrutement et de formation des juges qui en assurent la qualité
intellectuelle, ce que, d’ailleurs, le Conseil constitutionnel ne manque pas de
rappeler chaque fois qu’une loi organique organisant un mode de recrutement
exceptionnel ou complémentaire des concours normaux, est soumise à son
contrôle. Au-delà, l’institution judiciaire doit répondre à des exigences
institutionnelles qui ne sont pas indifférentes à la qualité du procès. Ainsi
en va-t-il, à des degrés divers, de l’indépendance et de l’impartialité du
tribunal.
La garantie d’indépendance du tribunal
Il
est indispensable que le tribunal puisse exercer sa mission de juger en toute
liberté, sans entraves, ni du pouvoir législatif, ni du pouvoir exécutif, dans
les deux cas par des garanties de statut (indépendance organique) et de
fonctionnement (indépendance fonctionnelle). L’indépendance doit aussi
s’apprécier à l’égard des parties.
-
Par rapport au pouvoir législatif, l’indépendance de l’autorité judiciaire
suppose que ce dernier ne puisse empiéter sur les prérogatives de celle-ci, que
le Parlement ne puisse remettre en cause ni les données d’un procès, ni les
décisions rendues et ayant autorité de chose jugée. La Cour européenne encadre
cette protection des juges par rapport au Parlement.
-
Par rapport à l’exécutif, le principe de l’indépendance des tribunaux est
affirmé avec force dans les instruments internationaux de protection des droits
de l’homme. Si le régime de protection des juges contre l’exécutif relève de la
compétence des Etats parties, la Cour européenne contrôle qu’ils l’ont bien mis
en place et qu’il offre des garanties suffisantes[28].
-
Par rapport aux parties. On confine, dans ces hypothèses à la question de
l’impartialité du tribunal. Ce qui est en cause, c’est le mode de désignation
des membres de la juridiction et de l’apparence de dépendance que les membres
de l’organe peuvent donner. Mais le pouvoir exécutif n’est pas en cause, en
tout cas pas directement. C’est le lien, plus ou moins direct, qui peut
exister, institutionnellement parlant, de par la structure de l’organe, entre
un juge et l’une des parties, qui est en cause. Le comportement personnel du juge
dont l’indépendance et l’impartialité sont contestées, n’est pas concerné.
L’impartialité du tribunal
« Tu n’auras pas de
partialité », ainsi s’expriment les textes bibliques[29].
Les membres de l’autorité judiciaire doivent satisfaire à l’obligation d’impartialité
édictée à l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de
l’homme, obligation qui est la traduction juridique d’une exigence de
neutralité, elle-même gage de la crédibilité du juge. Notion fuyante,
l’impartialité a donné lieu à une jurisprudence abondante en droit européen,
dont une synthèse permet d’approcher le contenu de cette garantie due aux
justiciables.
Ces
difficultés ont conduit la doctrine à proposer de distinguer plutôt une « impartialité fonctionnelle »
d’une « impartialité
personnelle »[30] :
- Dans le premier cas, la
question de l’impartialité du juge se pose à raison de l’exercice même de ses
fonctions, indépendamment de ses convictions personnelles, de son attitude,
etc.., et tout juge placé dans la même situation verrait son impartialité
appréciée de la même façon.
- Dans le second cas,
c’est indépendamment de la fonction exercée, en raison des traits propres au
juge que l’impartialité doit être appréciée. C’est ce que certains auteurs
appellent la neutralité politique et sociale du juge, celle qui fait que le
juge ne doit pas avoir de préjugés et que le justiciable doit être protégé
contre les convictions personnelles du juge[31].
Seule une éthique forte du juge, au-delà de toutes les techniques procédurales
de mise en œuvre de cette neutralité peut garantir complètement le justiciable
contre les préjugés de « son » juge[32].
Pour
simplifier, mais sans attacher trop d’importance à ces deux mots, d’un coté le
préjugement, de l’autre, le préjugé, sachant qu’un préjugement se transformera
en préjugé (si l’on déjà connu de l’affaire, c’est qu’on risque de reporter sur
le jugement au fond l’opinion déjà donnée dans une autre circonstance) et, qu’à
l’inverse, un préjugé (racial par exemple) peut constituer un
préjugement ; à chaque fois on glisse de la conception objective vers une
conception subjective.
2) Un juge équitable
Le
concept de procès équitable apparaît expressément dans l’article 14, du Pacte
international et dans l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits
de l’homme. C’est une notion en voie d’expansion, notamment en droit européen
où elle sous-tend d’autres dispositions et plus particulièrement celles des
paragraphes 2 et 3 de l’article 6. On rejoint aussi l’idée d’égalité mise en
avant dans le Pacte international, qui en fait le préalable à l’équité du
procès (« tous sont égaux devant les
tribunaux et les cours de justice »), avec son pendant dans l’article
26 qui consacre l’égalité devant la loi « toutes
personnes sont égales devant la loi ».
Les
applications du droit à un procès équitable sont multiples et, sans doute,
compte tenu des intérêts en jeu, plus importantes en matière pénale qu’en
matière civile.
-
Parmi ces applications, il y a d’abord les applications dérivées du principe
général d’équité : présomption d’innocence et droits de la défense.
-
Il y a ensuite les applications que la jurisprudence de la Cour européenne a
dégagées à partir du principe général d’équité, ce que l’on pourrait appeler
une garantie processuelle autonome. En effet, la notion, comme toutes les
notions européennes, a son autonomie propre, en ce sens qu’elle peut permettre
de sanctionner un État pour procès non équitable, à propos d’une décision
pourtant rendue dans le respect des garanties formelles de l’article 6. La
raison en est qu’il faut tenir compte de l’objet et du but de la Convention et
assurer effectivement la garantie d’un “ procès équitable ”. Les deux
applications autonomes les plus remarquables tournent autour des garanties
d’égalité des armes, avec notamment le principe de la contradiction, et la motivation des décisions de justice.
Ainsi,
la motivation est indispensable à la qualité de la justice. Elle est le rempart
contre l'arbitraire en forçant le juge à prendre conscience de son opinion, de
sa portée. Elle procure au plaideur une justification de la décision et permet
de procéder à une analyse scientifique de la jurisprudence. Enfin, elle permet
à la Cour de cassation d'exercer son contrôle.
3) Un juge qui statue
avec célérité
Il
est tout à fait caractéristique de remarquer qu’en droit international et
européen, l’exigence de célérité procédurale revient très souvent dans les
textes du Pacte et de la Convention (comme une obsession) et que la Cour
européenne des droits de l’homme est très stricte sur le respect de cette
garantie, tant en matière civile, qu’en matière pénale.
L’article
6, §1 de la Convention stipule que la durée des procédures doit s’inscrire dans
« un délai raisonnable ».
La Cour de justice des Communautés européennes impose
aussi cette garantie au Tribunal de première instance (dans une matière qui
relève de la matière pénale, même si la Cour ne le dit pas, alors que son
avocat général y faisait expressément allusion dans ses conclusions et alors
que le Conseil exclut cette qualification pour les amendes prononcées par la
Commission des communautés européennes, dans son premier règlement
d’application, n° 17 du 6 février 1962, des articles 85 et 86 du traité CE)[33].
Elle retient les mêmes critères que la Cour européenne des droits de l’homme,
mais, comme elle, ne se les applique pas à elle-même ![34]
La nouvelle Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre
formellement cette garantie.
Les
mêmes principes valent en matière civile et en matière pénale.
Selon les termes mêmes de
la Cour européenne, « le caractère raisonnable de la durée d'une procédure
s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères
consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de
l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ».
Mais, la référence
commune dans l’espace euro-méditerranéen ne naît pas seulement des garanties
qu’apporte le procès équitable. Progressivement se met en place une procédure
mixte, mi-accusatoire, mi-inquisitoire.
b) l’apparition de modèles mixtes de procédure
Parallèlement,
en matière pénale, un modèle mixte, mi-accusatoire, mi-inquisitoire, se
construit en droit international et en droit européen (1°), qui aura
nécessairement une influence sur nos procédures nationales (2°).
1°)
L’accusatoire et l’inquisitoire dans les procédures internationales
Deux exemples suffiront.
a) L’accusatoire et l’inquisitoire
dans la procédure suivie devant le tribunal pénal international de La Haye.
En
juillet 1998, les 9 et 10 précisément, il s’est passé à La Haye un événement
important au Tribunal pénal international ad
hoc, compétent pour connaître des crimes contre l’humanité commis dans
l’ex-Yougoslavie et qui préfigure la future Cour pénale internationale. Ces
jours-là, le Tribunal a modifié pour la treizième fois son règlement de
procédure et, sous la présidence d’un juge américain, a mis en place un
juge de la mise en état des affaires pénales pour contrôler l’action du
Procureur pendant la phase de recherche des preuves. En d’autres termes,
l’inquisitoire a fait reculer l’accusatoire, la procédure française l’a
emporté, à ce stade du procès, sur la procédure anglo-saxonne, jugée inapte à
permettre le fonctionnement de cette juridiction pendant la phase d’enquête.
Dans le même temps, il était décidé de confier aux magistrats participant à la
juridiction de jugement un pouvoir de direction pour fixer l’ordre des
dépositions, pour intervenir dans l’interrogatoire des parties et pour obliger
les parties, dont le Procureur, à produire leurs preuves.
b) L’accusatoire et l’inquisitoire
dans la procédure suivie devant la future Cour pénale internationale.
Parallèlement
à ce qui se passait à La Haye, était adoptée à Rome, le 17 juillet 1998, la
Cour pénale internationale qui entrera en vigueur soixante jours après que le
soixantième Etat aura déposé ses instruments de ratification (120 Etats sur 160
ont voté pour le statut de la nouvelle Cour). Compétente pour connaître des
génocides, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des agressions,
la Cour, qui siégera à La Haye, suivra une procédure mixte, mi-accusatoire,
mi-inquisitoire, mais à dominante largement accusatoire, le partage n’étant pas
moitié-moitié. Il n’en reste pas moins que le modèle de common law n’a pas été adopté pour l’ensemble de la procédure.
-
Il y aura une phase préalable de mise en état du procès pénal. Celle-ci sera
placée sous la domination du Procureur qui jugera de la nécessité d’ouvrir une
enquête, d’engager des poursuites. S’il décide de ne pas poursuivre, il en
informe les Etats concernés, le Conseil de sécurité et la chambre
« préliminaire » (= d’instruction) qui ont un pouvoir d’examen de
cette décision de ne pas poursuivre. S’il décide de poursuivre, le Procureur il
demande la remise de la personne ou sa présentation devant la chambre
préliminaire. C’est lui qui aura la charge de la preuve. Commence alors une
phase inquisitoire.
-
En effet, l’instruction devant la chambre préliminaire est, en partie, inspirée
du modèle français et est conçue comme l’avait souhaité la France avec une
procédure en deux temps. Dans un premier temps, la chambre préliminaire
instruit, c’est à dire prend des actes relatifs à la liberté individuelle,
comme le fait jusqu’à présent un juge d’instruction français (mise en détention,
mise en liberté) ; mais la chambre ne fait qu’aider les personnes à
rassembler les preuves ; elle dispose cependant de prérogatives
particulières quand les preuves risquent de disparaître (exhumation, personnes
malades). Mais la chambre n’instruit pas au sens français du terme, puisqu’il
appartient au Procureur de rassembler les preuves. Dans un second temps, la
chambre préliminaire organisera une audience de confirmation, au besoin sans la
présence de la personne poursuivie, mais selon une procédure plus proche du
modèle anglo-saxon ; au cours de cette audience, le Procureur présentera
ses charges, que les personnes poursuivies pourront contester. L’audience se
termine par une décision de renvoi devant la Cour ou de non-lieu ou de
suspension de confirmation ; la majorité simple est requise et les
opinions dissidentes ne seront pas exprimées.
-
La phase de jugement devra toujours se faire en présence de l’accusé, la
contumace n’étant pas prévue. La procédure est alors conforme à ce que
voulaient les autres Etats, c’est à dire accusatoire.
D’où la nécessité d’accroître notre connaissance des
principes directeurs des procès de demain. C’est le troisième mouvement qui se
dessine au sein de l’espace euro-méditerranéen.
iii) la reférence commune à de nouveaux principes directeurs du procès
Un
mouvement qui transcende les contentieux tend à dégager de nouveaux principes
directeurs. Avec le risque d’en oublier ou, plus exactement de minimiser
certaines évolutions, nous avancerons l’idée que trois principes se profilent
derrière les principes actuellement retenus, qui correspondent à des besoins
nouveaux, telles que les expriment les justiciables et les citoyens :
-
un besoin de loyauté, notamment dans la recherche de la preuve ;
-
un besoin de dialogue entre les parties et entre celles-ci et le juge ;
-
un besoin de célérité.
a) le principe de loyauté
a)
En procédure civile
Indirectement
on le trouve exprimé essentiellement dans le droit de la preuve. Motulsky y
voyait l’une des composantes des droits de la défense, au même titre, pour les
parties, que l’obligation de donner connaissance de l’introduction de
l’instance et de l’obligation de permettre la comparution et aux côtés de
l’obligation, pour le juge, de sanctionner les violations des droits de la
défense commises par les parties, d’observer une stricte neutralité et de
motiver ses jugements et, pour le législateur, d’organiser un système rationnel
de voies de recours[35].
Le
principe de loyauté procédurale tend à acquérir une importance autonome,
au-delà du domaine de la preuve[36].
Cette évolution doit être rapprochée de l’interdiction de se contredire au
détriment d’autrui, (qui est une forme de l’obligation de loyauté) et de
l’introduction de l’estoppel dans les pays de tradition romano-germanique
.b)
En procédure pénale.
Contrairement
à ce que l’on pourrait croire, compte tenu de l’importance de ce contentieux
pour la protection des libertés fondamentales, la procédure pénale ne consacre
pas toujours, dans tous les Etats, une obligation absolue de loyauté, notamment
dans la recherche des preuves.
Certes,
le policier dans l’enquête, comme le juge d’instruction dans l’instruction,
doivent administrer la preuve dans le respect du principe de légalité, ce qui
implique que cette administration soit loyale, sans stratagème ni artifice.
Pour
autant, l’obligation de loyauté n’est pas encore, en procédure pénale, un
impératif absolu : beaucoup reste à faire pour conforter le principe de
loyauté :
b) le principe de dialogue
Il se manifeste plus fortement dans le procès civil que
dans le procès pénal.
a)
Dans le procès civil
On
ne peut reprendre ici tous les exemples contemporains qui illustrent la percée
de ce nouveau principe directeur en procédure civile. Pour l’essentiel, on
notera qu’il se manifeste à tous les stades de l’instance.
1)
Dans l’introduction de l’instance avec la technique de la
requête conjointe. C’est aussi l’assignation qualificative : le dialogue
c’est aussi le dialogue entre le juge et les parties, dès l’introduction de
l’instance.
2)
Dans le déroulement du procès civil
-
C’est toute l’économie de la mise en état des affaires civiles. Les textes et
la pratique de la mise en état des affaires civiles confortent le principe de
dialogue. Le dialogue est intimement lié au principe de la contradiction,
lequel ne se conçoit pas sans échanges entre le juge et les parties ou entre
les parties.
-
Le dialogue, c’est aussi la recherche de la conciliation, d’une médiation et
d’une transaction. Le temps est aux modes alternatifs de règlement des conflits
(les MARC en abrégé) et à la recherche amiable d’une solution que ce soit avec
ou sans le juge. Le procès fait aujourd’hui systématiquement l’objet d’un
traitement consensuel.
b)
Les difficultés du dialogue dans le procès pénal
L’initiative
du procès pénal appartient au Parquet, même si la victime, en se constituant
partie civile, met en mouvement l’action publique. De plus, dès qu’une
poursuite est déclenchée, l’instance doit se poursuivre, le ministère public ne
disposant pas de l’instance. Pour autant, la médiation et la transaction ne
sont pas inconnues dans le procès pénal.
c) le principe de célérité
La lenteur a pu être considérée autrefois comme une sagesse qui « donne le temps de déjouer les calculs d’un adversaire trop habile et rassure la conscience du juge » (Garsonnet et Cézar-Bru). Ce temps est révolu, car la justice, service public, doit trancher les litiges dans les délais les plus rapides afin de garantir l’effectivité de leurs droits. La célérité participe à cette effectivité. D’ailleurs, certaines législations étrangères n’hésitent pas à inscrire dans leurs textes que « la solution juste et en même temps rapide des litiges apparaît comme un but essentiel »[37].On retrouve cette exigence dans la notion de délai raisonnable de l’article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les procédures d’urgence participent aussi de ce principe
de célérité.
conclusion
Ainsi se dégage progressivement une triple référence
commune au droit procédural dans l’espace euro-méditerranée. Certes, c’est la
Convention européenne qui a servi essentiellement de base à notre raisonnement.
Mais, par la généralité de ses principes, elle a vocation à servir de modèle
dans le domaine des droits de procédure pour tous les Etats de cet espace.
Pour
autant, si le dessein d’une procédure mondiale présente l’avantage de nourrir
les procédures nationales de standards, de principes transnationaux et
universels qui garantissent, partout dans le monde, une bonne justice, il ne
faut pas perdre de vue, au risque de perdre l’âme de la procédure, que cette
discipline, cette ossature du procès, est essentiellement de nature
territoriale. Ne provoquons pas de réactions négatives et de rejet de la
protection des libertés et droits fondamentaux en voulant à tout prix exporter
les règles européennes. Elles ne doivent l’être que dans la mesure où elles
correspondent aux garanties de droit naturel que tout citoyen du monde est en
droit d’attendre de la justice de son pays. Sinon, les phénomènes de rejet
joueront.
IV – VERS UNE PROCÉDURE MONDIALE
MODÉLISÉE ?
La
procédure mondiale modélisée :
le projet de l'American
Law Institute et d'Unidroit
de principes et
règles transnationaux de procédure civile
Lyon,
colloque 3 juin 2003
|
Rapport
de synthèse
Recueil Dalloz 2003, p. 2183
|
Nous voici parvenus au temps de la synthèse
sur un projet de principes et de règles transnationaux de procédure civile
élaboré par l'American Law Institute et Unidroit et devant nous
conduire vers une « procédure civile mondiale modélisée ». Les rapports thématiques
ont tous été d'une grande richesse et les débats fructueux ; il m'appartient
d'en tirer les grandes orientations.
Permettez-moi auparavant, en
votre nom à tous, de remercier les organisateurs de ce colloque, au premier
rang desquels Madame le professeur Frédérique Ferrand, dont chacun a pu
apprécier les qualités d'organisatrice alliées à une profonde connaissance du
sujet, puisqu'elle participe, en tant qu'expert français, aux travaux
d'Unidroit.
Permettez-moi aussi de
saluer, plus spécialement, les professeurs Geoffrey Hazard et Herbert Kronke,
qui ont bien voulu accepter de venir à Lyon pour parler de ce projet et nous
en présenter les grandes lignes.
Chacun se souvient ici que le
premier colloque tenu sur le sujet l'avait été à l'initiative de Philippe
Fouchard, à Paris 2, le 27 octobre 2000[38]. Est-ce le changement
de lieu, le déplacement vers une ville de sensibilité italienne, qui a
provoqué cette atmosphère plus détendue, plus feutrée, pour tout dire moins
agressive ? A vrai dire, je n'en sais trop rien et ne me risquerai pas à
émettre une hypothèse. Chacun se souvient aussi que le colloque précédent se
terminait par quelques mots de Philippe Fouchard, se demandant si les
rapporteurs et intervenants de l'époque n'avaient pas fait au projet « un
mauvais procès » et si les instigateurs de celui-ci avaient choisi « la bonne
procédure » d'élaboration. C'était, en guise de conclusion, parfaitement
traduire l'esprit de l'époque : préventions fortes à l'égard d'un projet
perçu comme la manifestation de l'impérialisme d'une grande puissance amie,
comme une opération d'acculturation juridique, comme une importation à marche
forcée de règles techniques auxquelles la « vieille Europe » (l'expression
n'avait pas encore pris une connotation péjorative) était viscéralement
réfractaire, puisque l'architecture du procès qui nous était proposée prenait
appui sur une loi américaine de 1938, alors que les Européens avaient tout de
même dépassé le stade de l'entre-deux-guerres ! Mais, aussi, espoir qu'une
autre procédure d'élaboration, dans un cadre élargi au-delà du cercle
restreint de l'American Law Institute, pourrait conduire les
principaux protagonistes à revoir leurs opinions négatives sur le projet, à
remettre en cause leur hostilité de forme et de fond à toute tentative
d'imposer une modélisation de la procédure civile. La présence d'Herbert
Kronke est le symbole de cette ouverture et de cet élargissement. Le temps
est donc venu, presque trois ans plus tard, de tirer les leçons de cette
double interrogation d'octobre 2000.
Point ne sera besoin
d'évoquer ici l'idée d'un procès, bon ou mauvais, fait au nouveau projet, car
j'ai le sentiment - je l'espère partagé par nos hôtes étrangers - que
l'esprit de polémique a été absent au cours de cette journée de travail et de
réflexion. La sérénité l'a emporté sur la passion et les susceptibilités
nationales. Merci à tous les rapporteurs d'avoir su s'élever au-dessus de la
mêlée et d'avoir tenu un discours qui, pour être académique et courtois, n'en
est pas moins resté ferme sur le fond et intelligemment critique. C'est le
rôle de la doctrine, et en particulier de l'université, de parler librement
et d'explorer des chemins en toute indépendance d'esprit.
Reste l'autre question que posait Philippe
Fouchard en octobre 2000 : la procédure d'élaboration du nouveau projet
a-t-elle été la bonne ? A vous entendre tous je répondrai oui sans
hésitation, peut-être parce qu'Unidroit est un organisme reconnu et respecté
par la communauté internationale des juristes et que la composition du groupe
d'experts était un gage d'équilibre entre plusieurs sensibilités, entre
plusieurs traditions juridiques, continentales ou de common law,
accusatoire ou inquisitoire, écrite ou orale, latine ou anglo-saxonne, etc.
Je voudrais tout de même
soulever et insister sur un point que mon vieil ami de la faculté de droit de
Lyon (presque quarante ans), Jacques Junillon, a relevé au tout début de son
rapport, lorsqu'il a tenu à souligner « qu'une fois encore, c'est le monde
des affaires et les universitaires qui, faisant fi de reproches d'utopisme,
tentent d'avancer », pour réaliser le rêve de tout praticien d'uniformiser
les règles du procès, « sans s'inquiéter des particularismes, pièges du
protectionnisme renforcés par des règles chicanières à déceler dans la
législation de chaque Etat ».
C'est mettre le doigt sur un
phénomène beaucoup plus général et qui dépasse le cadre du seul droit du
procès, à savoir que, aujourd'hui, la norme peut se construire en dehors de
l'Etat, des autorités étatiques nationales ou transnationales ; on assiste à
un phénomène de production privée du droit, parce que l'Etat n'a ni le temps,
ni la volonté d'élaborer tout le droit nécessaire à la satisfaction des
besoins des uns et des autres. Il faut donc être vigilant quant à ces modes
privés d'élaboration des normes et se demander quelle peut être leur
sanction. Leur légitimité est nécessairement moins forte, puisqu'elles ne
sont pas issues du politique, elles lui échappent. Et cette production privée
du droit - on le voit bien ici - est liée à la mondialisation de l'économie.
Ne nous y trompons pas, ce projet est un projet d'économie politique,
d'accompagnement des grandes évolutions économiques mondiales ; c'est un
projet de nature politique. Ce n'est donc pas une fantaisie de juristes
imaginatifs et curieux de tout qui s'amuseraient à concevoir un système
modélisé de procédure civile pour l'amour de l'art, traduisez ici pour
l'amour de la construction juridique et la beauté des débats intellectuels
purement spéculatifs. Non, ce dont nous parlons aujourd'hui, c'est d'une
mondialisation du droit conséquence de la mondialisation des échanges ; le
professeur Hazard l'a relevé d'emblée dans son propos introductif : c'est le
commerce mondial qui est visé, pas la seule Amérique du Nord ou la seule
Europe, mais aussi la Chine, qui, nous a-t-il dit, constitue un immense
marché. J'ajouterai que c'est parce que les acteurs économiques vivent à l'heure
de la mondialisation dans un espace transnational à faible densité
institutionnelle qu'ils ont besoin de normes, normes pour régler et réguler
leurs échanges, normes pour s'imposer aux concurrents et aux consommateurs,
mais aussi - nous y voilà - normes pour s'imposer dans l'enceinte de nos
palais de justice aux futurs plaideurs, pour s'imposer aux juges nationaux.
L'absence d'un législateur transnational, l'extrême lenteur d'élaboration des
conventions internationales - même avec l'amélioration européenne des
règlements communautaires qui, de toute façon, ne concernent que 15 Etats et
demain 25 - conduisent les opérateurs économiques mondiaux à produire
eux-mêmes leurs normes de référence, leurs chartes, leurs principes et leurs
règles de procédure. Le phénomène n'est pas anecdotique, nous assistons, par
ce projet, à la naissance d'un capitalisme juridique mondial qui va intégrer
le coût des procès transnationaux dans sa stratégie mondiale de conquête des
marchés, pour le cas où le procès serait rendu obligatoire dans l'exercice de
cette activité ; mais ce coût sera d'autant mieux maîtrisé que les principes
du procès auront été fixés dans un projet privé d'organisation procédurale.
Et ce mouvement de globalisation englobe aussi le rôle éminent des avocats,
des grands cabinets internationaux d'affaires elles-mêmes mondiales.
Face à
cette stratégie mondiale de production privée du droit, stratégie - je le
répète - imposée par la carence de l'Etat et du politique, la question va se
poser du contrôle de l'autorité publique, de l'arbitrage politique, ne
serait-ce qu'en raison de la sanction qui sera attachée à ces normes. Et la
réponse ne peut être que politique. Car, pour être d'origine privée, ces
normes, plus particulièrement ces règles transnationales de procédure civile
(et non plus seulement ces principes), concernent directement la protection
de l'ordre public. Ces sanctions ne peuvent être que nationales.
C'est
donc à un double mouvement que nous assistons et qui, me semble-t-il, émerge
des rapports présentés aujourd'hui :
- un mouvement d'impulsion de principes d'un droit
processuel mondial, mouvement qui inspire plutôt la sympathie, voire
l'adhésion,
- et un mouvement de résistance souverainiste qui
s'exprime en faveur des règles et des codes techniques des droits procéduraux
nationaux, comme si les juristes, par une sorte de principe dispositif
transposé à l'élaboration de la norme, souhaitaient garder la maîtrise de
leur droit procédural, des règles techniques d'application des principes du
droit processuel mondial, auxquels ils ne sont pas, par ailleurs, opposés.
Ce double
mouvement correspond parfaitement à ce que notre collègue Jacques Ellul, de
la faculté de droit de Bordeaux, curieusement bien oublié en France depuis
son décès en 1994, alors qu'il a été révélé aux Etats-Unis d'Amérique par
Aldous Huxley, qu'on réédite quelques-uns de ses livres majeurs[39] et qu'une biographie
lui est consacrée[40], synthétisait dès les
années trente, en inventant le slogan qui allait devenir, soixante-dix ans
plus tard, celui de la mouvance écologiste et de l'organisation
antimondialiste Attac : « pensons global », mais « agissons local ». C'est
autour de ces deux axiomes que je tenterai de synthétiser les idées émises
aujourd'hui, en espérant ne pas dénaturer l'esprit général qui se dégage de
nos travaux.
J'envisagerai donc successivement et sous ce double regard :
I - Pensons global pour un principe d'impulsion d'un
droit processuel mondial ;
II - Agissons local par le principe dispositif d'un
droit procédural national.
I - Pensons global pour un principe d'impulsion d'un droit processuel mondial
La
distinction des principes et des règles est revenue tout au long de la
journée chez nos rapporteurs, les uns pour les étudier séparément (Jacques
Junillon) ou ensemble (Hervé Croze ; Jacques Normand), les autres pour s'en
tenir aux seuls principes (Tony Moussa, Loïc Cadiet, par exemple). Frédérique
Ferrand nous en a présenté la genèse, avant de s'interroger sur le maintien
des règles dans le projet ; on ne relève chez aucun des rapporteurs le même
doute quant au maintien des principes. Il semble ainsi se dessiner, au moins
dans une première approche, une sorte de consensus a minima, sur la
légitimité et l'utilité de ces principes transnationaux de procédure civile.
Une première approche ai-je dit, car il n'est pas certain qu'une écoute plus
attentive de quelques réserves émises par des rapporteurs ne laisse pas
apparaître un doute sur cette impulsion d'un droit processuel mondial. C'est
donc un « oui » (A), « mais » (B), qui a retenu mon attention de rapporteur
de synthèse.
A - Le « oui » tout d'abord
La tonalité dominante est celle d'un
consensus sur le besoin de poser des principes communs de procédure. Ce n'est
pas moi qui dirais le contraire, alors que la création du précis Dalloz de Droit
processuel, en février 2001, répondait à ce besoin et l'exprimait par son
sous-titre « Droit commun du procès », auquel nous avons ajouté en février
2003 « Droit comparé du procès ». Il est vrai que le juriste français, comme
le souligne Jacques Normand, « n'est nullement dépaysé lorsqu'il aborde les
principes de procédure civile transnationale, sous l'angle des principes
directeurs auxquels il est accoutumé. Il retrouve tous les principes qui lui
sont familiers ou qui sont en passe de le devenir ». En quelque sorte, le
juriste français sait reconnaître d'instinct, dans l'énumération des
principes du projet, la plume savante du Doyen Gérard Cornu et la pensée
aiguisée d'Henry Motulsky, plume et pensée qui font du nouveau code de
procédure civile français un monument à la gloire du procès civil français.
On
regrettera tout de même que le classement n'en soit pas aussi harmonieux.
Tony Moussa l'a relevé d'emblée en parlant de la forme du projet, Loïc Cadiet
l'a souligné à propos des principes probatoires et Jacques Normand le laisse
deviner en introduisant une distinction entre ce qui relève des principes
classiques « expressément consacrés » (traduisez, ceux qui nous viennent du
nouveau code) et ce qui relève des principes « que la doctrine de pointe
qualifie d'émergents » (traduisez, ceux que la doctrine contemporaine la plus
avertie de l'attraction de la procédure à la garantie des droits fondamentaux
dégage des sources de protection des libertés et droits fondamentaux) :
- Aux premiers on rattachera les principes de la liberté
de la défense, de la contradiction, d'initiative et le principe dispositif,
sans oublier la publicité de la justice et la motivation des décisions de
justice ;
- Aux « principes émergents », on réservera les
principes de dialogue, de loyauté et de célérité chers à Serge Guinchard et
le principe de coopération que Loïc Cadiet dégage dans son manuel de droit
judiciaire privé. L'équité aussi, celle que les juristes européens
connaissent bien, celle qui correspond aux garanties énumérées à l'article 6
§ 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Et Tony Moussa a eu
raison de souligner que le projet se garde bien de confondre l'équité ainsi
entendue avec l'absence de fondement juridique de la décision du juge,
puisque le projet met à la charge du tribunal « le devoir de déterminer le
fondement juridique de sa décision ».
Consensus
encore sur les qualités exigées du juge (indépendance et impartialité) et sur
l'architecture générale du procès envisagée dans ces principes, ainsi de
l'organisation du procès en trois phases.
Consensus
enfin, sur la preuve, dont Jacques Junillon nous a dit que le principe de sa
charge qui la concerne dans le projet correspond aux principes français
exposés dans notre code civil et dont Loïc Cadiet nous a montré combien le
régime juridique ne devait pas bouleverser tout notre droit procédural. Mais,
déjà, sur ce point précis de la preuve, des réserves apparaissent dans le
rapport de Loïc Cadiet. Ces réserves dépassent ce strict domaine probatoire
pour atténuer le consensus général ; très vite des réserves de fond et
fondamentales apparaissent sur ces principes. Un « mais » s'élève en
contrepoint.
B - Le « mais » ensuite
Ce « mais »
s'exprime par toute une série de réserves : d'abord sur les concepts qui
fixent le champ d'application du projet (a), puis sur le contenu des
principes retenus (b), enfin sur le risque de divergences
d'interprétation de ces principes (c), question qui débouche sur celle
de l'utilité des principes.
a) Réserves quant aux concepts d'abord
Trois concepts font difficulté.
1) En premier lieu la notion de « principes de
procédure » - On l'a bien vu avec le rapport de Tony Moussa qui a relevé
l'incongruité de quelques dispositions qui mélangent principes et règles,
confondant parfois les unes avec les autres ; ainsi à propos des règles
techniques sur le déroulement de l'instance érigées en principes fondamentaux
détaillés. Le départ entre règles et techniques n'est pas toujours très net.
2) Difficulté encore dans la notion de « procès ou de
litige transnational » - Hélène Gaudemet-Tallon a souligné combien il
était regrettable qu'une « relative imprécision » entoure la définition de ce
type de litige. Dans la mesure, en effet, où ce projet ne concerne pas les
litiges ne relevant pas de cette catégorie, il est indispensable que les
contours de la catégorie soient bien définis. C'est un peu, toute proportion
gardée, comme lorsqu'on prévoit des dispositions dérogatoires au droit commun
procédural et à la protection de la liberté individuelle en matière de «
grande criminalité » et que la définition de cette notion reste floue. Il est
vrai que l'on trouve, en chapeau de la version mai 2003 des principes, un
paragraphe consacré au « champ d'application » de ces principes, mais le
commentaire qui les accompagne ne fait que reprendre ce qui figurait dans
l'avant-projet des règles des versions antérieures et est nettement
insuffisant. De plus, la conception très restrictive d'internationalité est
décevante et les exemples donnés par le projet sont en total retrait par
rapport aux solutions du droit français, si l'on tient compte de la
définition de l'arbitrage international (« mise en cause des intérêts du
commerce international »). Il faudra nécessairement revoir sur ce point la
question du champ d'application du projet qui comporte trop d'incertitudes,
les critères donnés actuellement pour essayer, sans y parvenir, de
circonscrire la notion de procès international (résidence des parties ou lieu
de situation de l'immeuble) étant trop réducteurs.
3) Difficulté enfin dans la volonté affirmée d'étendre un jour le champ d'application du projet aux litiges purement internes - Gabriele Mecarelli a eu raison de souligner combien cette volonté, au-delà de la question de son opportunité, était porteuse de graves incertitudes, puisqu'il faudrait alors prendre en compte des questions négligées dans le projet, telles que l'aide juridique, pour lever les obstacles financiers d'accès à un tribunal.
J'ajouterai, à l'inverse, que l'arbitrage devant un arbitre privé
risque de pâtir de ce projet s'il devait s'appliquer un jour devant les
juridictions nationales des principaux Etats, car beaucoup des litiges entrant
dans le champ d'application des principes relèvent aujourd'hui d'une
procédure d'arbitrage international. Quelle place ce projet réserve-t-il à
l'arbitrage international ? Nul ne peut prétendre détenir la réponse
aujourd'hui, mais il y a une sorte de paradoxe que, à partir d'une source
privée de production de la norme processuelle, on en vienne peut-être, un
jour, à marginaliser l'institution privée par excellence que constitue
l'arbitrage !
b) Réserves encore, on l'a bien perçu tout au long de la journée, dans le détail de certains de ces principes, dans leur articulation avec nos traditions continentales
Plusieurs
intervenants ont relevé des difficultés liées, d'une part, à certaines
imprécisions ou confusions (1°) ou, d'autre part, à des proclamations en
totale contradiction avec certains de nos principes admis en procédure civile
française (2°).
1°) Au titre des imprécisions ou confusions, je
relèverai l'exemple donné par Hervé Croze de la double confusion entre le
procès et l'instance et entre l'introduction de l'instance et sa phase
introductive. Ou encore, l'ambiguïté du titre de l'article 10 (version mai
2003) qui parle de « principe dispositif » pour traiter à la fois de
l'introduction de l'instance (qui relève en réalité du principe d'initiative
ou d'impulsion ou accusatoire) et de la détermination de la matière
litigieuse (principe dispositif proprement dit).
Imprécision encore à propos de l'objet du litige, puisque le
commentaire de l'article 22 nous dit « qu'en général » il s'impose au juge. «
En général... », la formule française, on le sait bien ici - et Jacques
Normand n'a pas manqué de le souligner - sous-entend des exceptions possibles
; si c'est le cas, lesquelles ? On ne le sait pas.
Imprécision enfin, dans la formule que le juge peut inviter les
parties à modifier leurs allégations de fait ou de droit (article 22.2) ;
mais peuvent-elles apporter de nouveaux moyens de fait ?. Une lecture a
contrario de l'article ne semble pas le permettre (cf. J. Normand). La discussion
initiée par Thierry Le Bars sur ce point a confirmé les difficultés de
traduction et, même, l'accord sur les concepts entre francophones, a
fortiori entre francophones et anglophones.
2°) Au titre des contradictions, c'est bien sûr la quasi-disparition, dans le projet, de l'effet dévolutif de l'appel, qu'a soulignée Jacques Junillon, qui pose le plus de problèmes.
L'article
27.2 énonce en effet que « l'appel est en principe limité aux demandes,
défenses, demandes reconventionnelles, preuves présentées et questions
soulevées en première instance » et le commentaire de ce texte explique que
les deux solutions extrêmes d'un procès largement ouvert en seconde instance
(droit français) et d'un procès limité aux graves erreurs judiciaires (tendance
anglo-saxonne) ont été écartées ; très bien, mais quitte à admettre un appel,
pourquoi soumettre toute modification des demandes à l'autorisation du juge ?
La cohérence n'est pas évidente : à vouloir chercher le compromis, on aboutit
à un système bâtard et bancal. Gageons que l'imagination des plaideurs sera
telle qu'ils en viendront bien à trouver un moyen de contourner cette
interdiction, au besoin en ayant recours à la notion de principe général du
droit !
Contradiction
encore avec notre système de preuve, dans les dispositions sur l'accès aux
éléments d'information et à la preuve de l'article 16. Je rejoins sur ce
point Tony Moussa qui y voit une disposition qui va « trop loin » et qui «
excède les droits de la défense et les nécessités du contradictoire ».
Contradiction encore dans le principe que seuls des avocats peuvent
assister les parties dans les procès transnationaux (article 4.1), alors que
devant nos tribunaux de commerce, juridictions privilégiées s'il en est pour
les litiges du commerce, l'assistance peut être le fait d'une autre personne.
Jacques Junillon l'a relevé.
Contradiction enfin dans la disposition qui permet au juge de conduire
« activement » l'instance (article 14) ; certes, le juge français dispose
déjà, dans le nouveau code, de pouvoirs importants dans la conduite de la
mise en état et de l'instance. Et la jurisprudence européenne, dans l'arrêt Gozalvo
c/ France, a sanctionné, en 1999[41], le fait pour un juge
de la mise en état français de ne pas utiliser tous les pouvoirs que lui
reconnaît le nouveau code pour conduire le procès à son terme dans un délai
raisonnable. Néanmoins, Tony Moussa a eu raison de relever que, dans le
projet, le juge pourra « déterminer l'ordre dans lequel les questions doivent
être traitées » et, surtout, « inviter les parties à modifier leurs
allégations de fait ou de droit et à présenter en conséquence des moyens de
droit ou des preuves additionnels ». Il me semble, en accord total avec
Gabriele Mecarelli, que le système prévu s'écarte davantage du dogme
américain de l'adversary system (avec un juge passif devant des
parties actives) que du système français de la mise en état. Loïc Cadiet nous
a dit que l'influence de la réforme anglaise de 1999 a dû, très certainement,
jouer un rôle dans la proclamation de ce principe (introduction du principe
du judicial case management) et je crois qu'il a raison.
c) Réserves enfin dans le risque de divergences
d'interprétation de ces principes et sur l'utilité même de leur proclamation
La
thématique retenue par découpage du sujet en tranches, correspondant aux
principaux aspects du procès, ne doit pas occulter une réserve plus globale
sur l'ensemble du projet, sur la manière dont, à terme, des divergences
d'interprétation peuvent apparaître. Dans la mesure où ce sont les
juridictions nationales qui vont devoir interpréter ces principes, personne
ne peut sérieusement douter que des questions d'interprétation vont très
rapidement se poser. Or, à la différence de la Convention européenne des
droits de l'homme, ce texte ne sera pas soumis au contrôle d'une cour
supranationale, d'un organe unique. Très vite, l'objectif de sécurité
juridique dans le règlement de ce type de litiges, à partir d'un fonds commun
processuel de grands principes du droit du procès, va être battu en brèche.
Dès que les tribunaux vont commencer à en connaître, des interprétations de
tel ou tel article vont se poser et les juristes internationaux qui suivront
ce type de procès devront bientôt connaître la jurisprudence nationale de
chaque Etat ayant accepté de se soumettre à ces principes. Il y a encore de
beaux jours pour les annotateurs des codes de procédure nationaux !
Poser
cette question, c'est poser celle de l'utilité de ces principes ; après tout,
44 Etats européens connaissent une Convention européenne dont le fameux
article 6 § 1, tel qu'interprété par la Cour du même nom, englobe
pratiquement tous les principes directeurs du projet ; et plus de 120 Etats
ont adhéré au Pacte de New York de 1966 dont l'article 14 donne lieu à
application directe devant les juridictions nationales, sans même parler des
recommandations de son organe de contrôle, le Comité des droits de l'homme de
l'ONU. Alors, à quoi bon « légiférer » en la matière puisque ces principes
sont universellement admis ? Le doublon est patent, au moins pour les Etats
européens soumis à l'emprise de la Convention européenne des droits de
l'homme, avec, de plus, un avantage que ne peut pas offrir l'initiative d'Unidroit,
celle d'une interprétation contrôlée par une cour régulatrice unique et
supranationale.
Cette question en amène une autre : qui peut dire aujourd'hui ce que
feront les juges nationaux de ces principes ? Qui aurait pensé en 1974, au
moment de la ratification de la Convention européenne des droits de l'homme
par la France, qu'un jour nous en serions où nous en sommes dans la théorie
du procès tant au niveau de la politique du juge national qui peut se servir
de cette Convention comme d'un instrument de pouvoir, qu'au niveau de la Cour
européenne, avec l'utilisation de méthodes d'interprétation assez
exponentielles (par exemple la méthode de l'autonomie des notions ou de
l'approche globale du procès ou de la marge d'appréciation laissée aux Etats
ou de la prééminence du droit) ? Qui aurait pensé que la Cour de cassation
française se déchirerait sur la question de la place de son parquet général ?
C'est sans doute pour cette raison que le « penser global » doit se
doubler d'une unité d'action territoriale à travers l'idée d'un « agir
localement » pour mieux imposer une sorte de principe dispositif d'un droit
procédural national.
II – AGISSONS LOCAL PAR LE PRINCIPE DISPOSITIF D'UN DROIT PROCÉDURAL NATIONAL
Ce n'est pas par hasard ou par souci de
lancer un clin d'œil malicieux aux processualistes que j'utilise l'expression
« principe dispositif » pour caractériser la nécessité d'un « agir local » au
moyen d'un droit procédural national dans le cadre des litiges
transnationaux. C'est pour souligner avec force que si les principes du droit
processuel peuvent appartenir à une sorte de fonds commun de l'Humanité, la
maîtrise de la conduite des procès, de la technique procédurale, appartient
aux Etats souverains, de la même manière que la maîtrise de la matière
litigieuse appartient aux parties ; la transposition, j'en conviens
volontiers, n'est pas neutre. Elle tend à souligner que, si la garantie des
libertés et droits fondamentaux du procès et dans le procès peut
et doit faire l'objet d'une reconnaissance dans des instruments
internationaux, qu'ils aient la force d'un traité ou non, la mise en oeuvre
de ces principes appartient irréductiblement aux Etats. N'est-ce pas cette
division du travail, attraction à la garantie des droits fondamentaux d'un
côté, adaptation de cette garantie de l'autre[42](5), qui a conduit
les rédacteurs du projet, plus ou moins volontairement, à scinder leur projet
en deux parties, principes et règles ? Plus ou moins volontairement ai-je dit
et il faudra s'interroger d'abord sur l'intérêt que représentent ces règles
transnationales pour les Etats qui disposent déjà d'un corpus sérieux
et performant de règles procédurales nationales (A), avant de poser la
question du véritable objectif de ce corpus de règles techniques qui
vise peut-être davantage les Etats en voie de développement que les autres
(B). Nous passerons, en quelque sorte, des Etats dits développés, en tout cas
qui ont des codes (ou des corpus) élaborés, affinés, de procédure, aux
Etats en voie de développement qui, eux, ne disposent pas de tels
instruments. La dimension économique évoquée au début de cet exposé revient
ici en force. L'investissement dans ces pays n'est pas qu'économique, il est
aussi juridique. On ressent un profond besoin de recherche de la sécurité
juridique dans l'idée même d'élaborer un tel projet, cette sécurité dont
Stefan Zweig, dans son livre écrit en 1941, Die Welt von gestern, nous
dit qu'elle était la caractéristique essentielle de l'empire austro-hongrois
avant la Guerre de 1914-1918. Mon expérience africaine et ma participation à
la rédaction du code des affaires sénégalais me confortent dans cette
opinion.
A - Quel est l'intérêt d'un corpus de règles transnationales pour les Etats disposant déjà d'un solide corpus de règles nationales ?
Ce n'est pas un hasard non plus si Frédérique Ferrand nous a parlé, ce matin,
de la question du maintien ou non de ces règles dans le projet soumis à
discussion. Outre que ces règles font parfois double emploi avec les
principes du projet lui-même, le risque de contradiction entre les deux, le
principe général d'un côté, la règle technique de l'autre, n'est pas nul. On
le voit bien avec les principes posés à l'article 6 § 1 de la Convention
européenne des droits de l'homme qui est tout sauf un texte technique : c'est
pourtant bien au nom de ces principes, de ces garanties exprimées en termes
très généraux que le conflit survient avec la règle technique nationale. Or,
les sources privées de production du droit, surtout lorsqu'elles sont
transnationales, n'ont pas à entrer en conflit avec les règles nationales de
procédure et à éliminer celles-ci, à terme, parce que celles-ci ont la
légitimité politique que celles-là n'ont pas.
En outre, à maintenir de telles
règles techniques, on prend le risque de huit niveaux de normes : les
principes du projet, les règles de ce même projet, les principes directeurs
et les règles des procédures nationales, sans compter, pour l'Europe, les
textes supranationaux que sont les règlements communautaires, la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne et la Convention européenne des
droits de l'homme, sans même parler ici du Pacte international de New York de
1966.
Alors, on peut s'interroger sur
la raison qui pousse les rédacteurs du projet à maintenir ces règles
techniques pour les litiges du commerce international, puisqu'on pose en
hypothèse que les Etats développés disposent tous d'un corpus de
règles nationales de procédure conformes aux exigences énoncées dans les
principes. Pourquoi vouloir dépasser l'instillation homéopathique d'un droit
processuel de protection des libertés et droits fondamentaux du procès (ce
sont les principes du projet), pour aller jusqu'à une perfusion lourde de
règles techniques, jusque dans le moindre détail de la conduite du procès ou
de l'administration de la preuve ? Oui, pourquoi ? Pourquoi, les Etats-Unis
d'Amérique, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, tous les Etats
de la vieille Europe et du monde entier qui disposent déjà d'un code ou d'un corpus
de procédure civile élaboré, devraient-ils adopter ces règles au risque de
bouleverser leur ordonnancement juridique et leur architecture judiciaire,
celle de l'articulation de leurs procès ? Bien sûr, ces règles ne seront que
facultativement adoptées, en ce sens qu'un Etat qui déciderait d'adopter les
principes ne serait pas obligé de prendre aussi les règles. Mais pourquoi les
maintenir ? Est-ce pour assurer des procès à moindre coût ? Rien n'est moins
certain. Tout au contraire, Gabriele Mecarelli nous a dit tout à l'heure que
si les craintes exprimées en octobre 2000 de procès transnationaux très
onéreux avaient été en partie dissipées, il restait encore des risques
d'augmentation des coûts en raison du système probatoire ; mais ce n'est pas
l'essentiel, car on sait bien que dans les litiges du commerce international l'argent
ne compte pas pour les grands opérateurs mondiaux, plus exactement, il est
intégré dans les coûts de l'investissement et répercutés sur l'acheteur, le
consommateur. On ne nous fera pas croire, quand on connaît le coût des grands
arbitrages internationaux, que la question du montant des frais à engager
dans les procès transnationaux envisagés par le projet constitue l'élément
déterminant de son élaboration et de son intégration dans les droits
nationaux.
Pour ma part, j'aurais tendance à considérer que, pour les Etats développés, le maintien, dans le projet d'Unidroit, de règles techniques transnationales, dans l'espoir de leur adoption par les Etats disposant déjà d'un bon code de procédure, vise en réalité à créer un marché du droit procédural, en tout cas un espace judiciaire mondial, en ce sens que se sont les avocats habituels des multinationales, c'est-à-dire les grands cabinets mondiaux de droit des affaires, qui viendront assister leurs clients devant n'importe quelle juridiction nationale, dès lors qu'elle appliquera les règles transnationales. Vue utopiste et pessimiste des choses ? L'avenir nous le dira, mais la question méritait d'être posée hic et nunc.
Et pour ces Etats disposant déjà
d'un corpus moderne de procédure civile, la juxtaposition de deux
corps de règles, l'un pour les litiges transnationaux, l'autre pour les
autres types de procès, ne pourra pas ne pas poser problème : d'abord par les
questions de frontières que nous avons soulevées à propos des principes (qu'est-ce
qu'un litige et un procès transnational ?). Ensuite au niveau de la
perméabilité des deux corpus : la France, par exemple, vit sous
l'empire d'un code dont 749 articles sur 1 500 sont communs à toutes les
juridictions et à toutes les matières et dont les dispositions spécifiques à
certains types de procès ne sont pas trop éloignées des principes et règles
communs ; avec le projet proposé, le problème change de nature : les règles
prévues, pour certaines d'entre elles en tout cas, sont en rupture avec les
principes directeurs du procès civil (ainsi en matière d'administration de la
preuve et du procès en appel). Est-il normal qu'il y ait ainsi rupture d'une
sorte de principe d'égalité, en tout cas du droit à son juge naturel, droit
entendu ici comme englobant les règles de procédure à suivre devant le juge
que la loi, naturellement, vous désigne ?
La
même question du maintien de ces règles transnationales dans le projet se
pose pour les Etats en voie de développement ; un autre objectif se dessine
peut-être. Il convient de le préciser.
B - Le véritable objectif des règles transnationales n'est-il pas d'exporter un code clef en mains, au-delà des litiges du commerce international ?En réalité, la décision de maintenir ou non un corps de règles transnationales n'est pas neutre non plus en termes de modèle du droit du procès et d'exportation de ce modèle vers d'autres Etats et notamment vers les pays en voie de développement. Après tout, ces Etats ont, pour la plupart, adhéré au Pacte de New York de 1966 et le respect que, à juste titre, on souhaite leur imposer, de principes fondamentaux de procédure, peut s'ancrer sur ce Pacte, sans avoir besoin des principes transnationaux. A la limite, ces principes transnationaux viendront compléter les principes des instruments internationaux des droits de l'homme pour les litiges du commerce international et on ne peut que s'en réjouir.
En revanche, dans la mesure où
ces Etats n'ont pas encore de code de procédure civile élaboré, le maintien
d'un corpus de règles transnationales, qui apparaît inutile à bien des
égards par rapport aux principes transnationaux, laisse apparaître sa
véritable raison d'être, sa vocation, à savoir être importé tel quel dans ces
Etats. Frédérique Ferrand nous l'a dit ce matin, avec beaucoup de franchise,
en parlant de « code-modèle » et en précisant que, déjà, les Etats de l'OHADA
se préparaient à cette réception, clef en mains en quelque sorte ; même
remarque pour le Mexique qui aurait tenu compte du projet pour unifier sa
procédure, puisqu'il connaît trois lois de procédure sur son territoire.
L'enjeu est considérable, il dépasse largement celui des principes. Il
mérite réflexion. Pour tout dire, cet objectif nous semble porteur de gros
risques à quatre points de vue :
- D'abord, ce corpus de règles transnationales
n'a d'autre légitimité que celui que peut avoir une source privée de
production du droit et il paraît difficile, dans ces conditions, qu'on puisse
envisager de l'imposer comme modèle, alors que les Etats qui l'adopteraient,
certes volontairement nous dit-on, n'auraient pas participé à son
élaboration. Les rédacteurs du projet l'ont bien compris. Une chose est de
promouvoir le principe universel d'un procès équitable dans l'élaboration de
principes transnationaux qui recoupent, grosso modo, les garanties
internationales des droits fondamentaux de procédure, une autre est de
plaquer artificiellement un corps complet de règles techniques dans un Etat
qui a ses traditions et sa culture propre. Le professeur Hazard a d'ailleurs
évoqué la culture propre de la Chine, dans le même temps qu'il insistait sur
le marché qu'elle représente.
- Ensuite, est-on bien certain que l'adoption d'un tel corpus
de règles techniques sera réellement volontaire ? N'oublions pas que nous
sommes ici, au départ du moins, dans le champ du commerce international.
Quelle liberté de choix aura un Etat en voie de développement, pour ne pas
dire sous-développé, soumis aux contraintes du commerce mondial, aux règles
de la concurrence internationale et aux pressions des investisseurs étrangers
? Quelle liberté donc cet Etat aura de refuser un code clef en mains, alors
que, par ailleurs, on lui propose une usine, elle aussi clef en mains, qui
devrait donner des emplois à des centaines de ses ressortissants ?
Imagine-t-on sa capacité à résister à ce code lorsqu'on lui aura dit que
l'investisseur en question lie sa décision d'investissement à l'adoption de
ces règles transnationales pour s'assurer qu'en cas de litige tout se
déroulera selon des règles de procédure qui sont les siennes ? Et même si un
Etat dit oui, ce « oui » sera-t-il sincère ? En Afrique, par exemple, on dit
rarement non, pour ne pas blesser son interlocuteur, mais on agira comme si
le « non » avait été exprimé.
- Et encore, est-on bien sûr que ces Etats en voie de
développement n'ont pas de traditions procédurales qui leur soient propres ?
Si ces Etats, nous dit-on (F. Ferrand), « ne sont pas encore très versés dans
l'application de droits fondamentaux de procédure », n'ont-ils pas eu, eux
aussi, dans un passé plus ou moins lointain, des règles de procédure ?
Croit-on, par exemple, que le procès africain traditionnel sous l'arbre à
palabre, cette thérapie de groupe que décrit si bien René David dans un
numéro des Annales africaines de 1960, n'obéisse à aucune règle de procédure
? Ces procédures traditionnelles ne sont pas les nôtres, elles ne sont sans
doute pas transnationales (et encore, l'Afrique ne connaît pas, à cet égard,
nos divisions étatiques !), mais elles correspondent à une culture, celle où
le procès oral, en discussion comme dans un théâtre, a une vertu d'apaisement
des conflits sociaux. Pensons à la Grèce antique et à son tribunal populaire
(de l'Héliée) à composition variable (de 201 à 2 501 héliastes). Pensons à la
France qui, dans ses anciennes colonies, avait laissé subsister des tribunaux
coutumiers. Je conçois parfaitement que ce modèle de procès ne soit pas celui
que recherchent les grands investisseurs internationaux et qu'on ne puisse
sérieusement le leur proposer pour résoudre les litiges transnationaux du
commerce ! Mais, entre ce modèle traditionnel et le modèle clef en mains dont
on nous dit qu'il serait exporté pour tous les litiges et non pas seulement
pour ceux du commerce international, il y a place pour l'arbitrage
international ou pour une exportation des seuls principes transnationaux
limitée au commerce international qui laisse aux Etats leur liberté de choix
pour tous les autres litiges et leur dignité pour l'ensemble. Prenons garde à
ne pas éradiquer les cultures nationales. Par exemple, il y a longtemps que
certains peuples d'Asie ou d'Afrique pratiquent la conciliation ou la
médiation, prélude à une transaction sans avoir attendu les règles de pure
technique procédurale - et fort intéressantes - que le projet contient sur
l'offre de transaction. Certes, j'ai bien compris, d'une part, que le choix
d'adopter le corps des règles serait facultatif et, d'autre part, que
plusieurs jeux de règles seraient offerts ; néanmoins, je pense qu'il faut
être prudent dans ces exportations clef en mains, pour les raisons qui
viennent d'être évoquées et parce que, dans d'autres domaines du droit,
l'actualité de ces quarante dernières années nous montre, en Afrique et en
Asie en tout cas, qu'il est des rejets d'autant plus violents que les peuples
se sont sentis contraints d'adopter des règles qui ne correspondaient pas à
leur mode de vie, à leur culture, parfois à leur religion lorsqu'elle vaut
norme juridique.
- Enfin, une fois franchis tous ces obstacles, il
restera que même adoptées volontairement par l'un de ces Etats, il n'est pas
certain que ces règles techniques soient réellement, effectivement,
appliquées. Le professeur Hazard l'a évoqué avec la remarque sur l'équipement
actuel de certains Etats du tiers monde. Ce serait singulièrement ignorer les
pratiques de ces pays que de croire qu'entre l'adoption d'un code et son
application il n'y a pas place pour le néant, le vide total. Là encore, mon
expérience africaine m'incite à la prudence ; ainsi, pour exécuter un
jugement encore faut-il le notifier et pour le notifier il faut disposer
d'une copie écrite ; quid si l'équipement en matériel du greffe ne le
permet pas ? Il est des pays où l'on acceptera d'autant plus aisément ces
règles qu'on sait qu'on ne sera pas en mesure de les appliquer.
Prudence donc sur ces règles techniques. A pousser trop
loin le projet, le rejet n'est pas loin.
XXX
Me voici arrivé à la fin
de ce rapport, en espérant n'avoir vexé personne ni heurté aucune sensibilité.
Les enjeux du projet sont importants : enjeu de pouvoir d'abord dans
l'élaboration privée de la norme, enjeux économiques ensuite dans
l'accompagnement juridique des investissements internationaux ; enjeux
juridiques enfin dans le choix d'un modèle. Autant on comprend bien
qu'Unidroit est dans son rôle avec l'élaboration des principes
transnationaux, autant on peut craindre des risques d'acculturation,
contraire à sa vocation, avec le maintien des règles transnationales, même à
titre facultatif. Ne prenons pas le risque d'éradiquer les cultures
nationales.
Si
l'on veut qu'Unidroit soit grand, il faut donner aux Etats souverains des
raisons et des moyens d'être ses prophètes, en les confortant dans leur
système procédural national !
|
V – L’ÉVOLUTION DES
SOURCES DU DROIT DU PROCÈS
L’évolution
des sources du droit du procès (2016-2017)
Parmi les métamorphoses du droit du
procès à l’aube du IIIème millénaire, étudiées en doctrine dès
1999 et 2000[43],
la question de l’évolution des sources est sans doute l’une des plus
spectaculaires, notamment en procédure civile, parce que peu de spécialistes
de cette procédure l’ont vu venir. Cette évolution concerne tous les
contentieux, à commencer par la matière pénale (au sens où l’entend la Cour
européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire procédure pénale et procédures
quasi-répressives réunies) qui a subi de plein fouet le choc de la
possibilité offerte aux citoyens d’agir directement devant cette juridiction.
Mais les contentieux qui relèvent de la matière civile (là encore au sens
européen de l’expression, contentieux administratif compris) ont eux aussi
évolué sous l’influence des sources internationales et notamment européennes,
auxquelles il faut ajouter les sources nationales constitutionnelles, ce que
l’on appelle les sources d’impulsion du droit du procès dans la doctrine la
plus autorisée en la matière[44].
Ce
premier changement, important, mais aujourd’hui durablement installé dans le
paysage juridictionnel français (I), se double d’un phénomène plus récent,
qui se traduit par le retour à des sources d’adaptation du droit du procès à
la garantie des droits fondamentaux, au plus près de la technique juridique,
qui connaissent une nouvelle jeunesse en se transformant, tout au moins pour
certaines d’entre elles (II).
i – l’installation durable des sources d’impulsion
du droit du procès dans le paysage juridictionnel français
Sous l’influence prépondérante des
instruments internationaux des droits de l’homme (que nous préférons désigner
par l’expression de libertés et droits fondamentaux), le droit du procès,
comme l’ordre juridique en général , se trouve placé aujourd’hui sous
l’emprise croissante des droits fondamentaux, à la garantie desquels,
d’ailleurs, il participe, à tel point que l’on peut désormais parler de
droits fondamentaux du procès (les fameux « droits de procédure »
évoqués aux Conseils européens de Cologne et Tampere au moment de
l’élaboration de ce qui allait devenir la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne) et qu’il existe un véritable droit substantiel à un
procès équitable conforme aux exigences d’un État démocratique, c’est-à-dire
aux garanties fondamentales d’une bonne justice, même si la culture des
droits de l’homme n’est pas encore totalement acceptée en France[45].
L’humanisme processuel l’emporte sur le légalisme procédural[46].
Plusieurs instruments internationaux de
protection des libertés et droits fondamentaux, constituent un véritable
abrégé de procédure, aux formules tranchantes mais suffisamment floues pour
en permettre une interprétation très large soit par les organes
internationaux de contrôle, soit par les juridictions nationales. Ils
apportent ainsi une garantie indispensable aux justiciables dans le domaine
du droit du procès. La France, qui s’autoproclame très souvent pays des
droits de l’homme, alors qu’il n’est pas du tout certain que ces droits y
sont mieux protégés que dans d’autres États, a besoin du rempart des droits
fondamentaux du procès pour assurer la prééminence du droit. Et ce rempart
vient, heureusement, le plus souvent, de sources supra-législatives, d’autant
plus nécessaires que la pratique nationale des juridictions est loin d’être
toujours conforme, en tous points, aux standards internationaux de garantie
des droits fondamentaux des justiciables. La procédure est devenue la
garantie de la garantie des droits. Que l’on en juge par quelques exemples
tirés de la procédure civile : la France a été condamnée à Strasbourg,
par la Cour EDH, par trois fois, pour dysfonctionnements de sa Cour de cassation ;
une fois pour erreur de fait dans un arrêt de cette cour (affaire Fouquet) ;
une autre fois pour défaut de motivation (affaire Higgins), ce qui
constitue un affront lorsqu’on sait que la Cour de cassation contrôle la
motivation des décisions du juge du fond, dans son existence et dans ses
modalités[47] ; une
troisième fois enfin, mais la condamnation est très discutable, pour erreur
manifeste d’appréciation dans un arrêt d’irrecevabilité du pourvoi pour cause
de moyen présenté pour la première fois en cassation (affaire Dulaurans
du 21 mars 2000).
Cette
importance croissante de l’attraction de la procédure civile par les droits
fondamentaux garantis essentiellement par les instruments internationaux des
droits de l’homme tient à trois facteurs : d’une part, à
l’applicabilité directe de ces instruments ; d’autre part, à l’existence
d’un concept cohérent, qui leur est d’ailleurs commun, celui de procès
équitable ; à l’utilisation, par les organes de contrôle de ces
instruments internationaux, et notamment par la Cour européenne des droits de
l’homme, de méthodes originales pour assurer l’effectivité des droits
fondamentaux et de la garantie d’un procès équitable. S’agissant du deuxième
facteur, le « procès équitable », jamais si peu de mots n’auront
autant bouleversé le droit du procès. L’expression n’est pas spécifique au
droit européen, même si elle est au cœur de l’article 6 de la Convention
EDH.
Le
procès est désormais solidement ancré dans la sphère des droits fondamentaux.
Cette attraction du droit processuel par les droits fondamentaux afin de
mieux garantir les droits substantiels et les droits de procédure résulte de
deux facteurs qui recouvrent eux grandes catégories de sources :
– d’une
part, l’existence d’instruments internationaux de protection des droits
fondamentaux, dont la garantie des droits de procédure, d’un procès
équitable, constitue l’élément central (A).
– d’autre
part, l’existence d’un droit constitutionnel des libertés, reposant notamment
sur le contrôle de constitutionnalité et dont l’importance est d’ailleurs
plus forte en procédure pénale qu’en procédure civile ou administrative, en
raison de la nature principalement législative des sources de la première et
de la nature réglementaire des sources des deux autres (B).
A) les sources internationales
d’impulsion du droit du procès
Les instruments
internationaux se dédoublent en
sources internationales à vocation mondiale, essentiellement onusiennes (1°)
et sources internationales à vocation régionale, dont nous ne retiendrons
ici, à titre principal, dans le cadre nécessairement limité de cette étude,
que les sources européennes (2°).
Mais toutes ont conduit les juges à dégager
le droit à un procès équitable, droit qui s’exprime aujourd’hui à travers des
garanties qui forment un triptyque. La garantie d’un procès équitable ne
concerne pas seulement tous les contentieux, dès lors que le litige entre
dans le champ d’application de l’article 14 du pacte international ou de
l’article 6, § 1 de la Convention EDH ou de l’article 47 de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, au regard soit de la
matière civile, soit de la matière pénale. Elle concerne aussi toutes les
phases d’une procédure, de l’introduction de l’instance à l’exécution du
jugement. L’équilibre du procès équitable on va le retrouver dans tous
les apports du Pacte international, de la Convention européenne au droit du
procès et de la Charte précitée de l’Union européenne. Ces apports arrivent à
former un triptyque dont les trois volets constituent la garantie de la garantie
des droits, garantie qui part du droit d’accès à un tribunal (en abrégé, le
droit à un juge[48]),
pour conduire à l’exécution effective de la décision du juge[49],
en passant par des garanties institutionnelles et procédurales (en abrégé, le
droit à une bonne justice, à un bon juge[50]).
C’est le fameux triptyque que la Cour européenne a progressivement dégagé de
l’article 6, § 1 et dont les deux arrêts phares à chaque bout du
triptyque sont l’arrêt Golder c/ Royaume Uni et Hornsby c/ Grèce.
1° les sources internationales mondiales
Il y a quelque paradoxe
à parler de sources internationales et notamment onusiennes du droit du
procès, alors que la discipline est essentiellement nationale, pour ne pas
dire « nationaliste », puisque son objet principal est de régir la
conduite d’un procès devant une juridiction étatique et que la souveraineté
des États se manifeste fortement à travers l’activité de leurs juges. Malgré
ces éléments de résistance à l’insertion du droit du procès dans un cadre
international, cette discipline s’internationalise sous l’effet
complémentaire de deux facteurs :
– d’une part, le
développement des relations internationales entre les sujets de droit qui
multiplie les causes de survenance de litiges internationaux. Nous dirons
quelques mots de ces sources du droit international du procès, en laissant de
côté cependant ce qui concerne les juridictions internationales (a) ;
– d’autre part, et
indépendamment de tout litige international, les États acceptent,
généralement par la conclusion de conventions internationales multilatérales,
de respecter, dans la conduite des procédures se déroulant au sein de leur
ordre juridique, certains principes ou standards, que l’on peut qualifier de
fondamentaux, par analogie et évocation des droits et libertés semblablement
qualifiés ; certains auraient parlé autrefois de principes
« naturels ». Ce sont ces conventions qui constituent la véritable
source internationale du droit du procès au sens de droit commun du procès
(b).
a)
Les sources internationales de coopération
Les sources
internationales les plus nombreuses tendent à résoudre les questions liées à
l’existence d’un élément d’extranéité dans un litige. Si la question se
présente différemment selon qu’il s’agit de la matière civile (au sens le
plus large de procédure de la société civile, y compris commerciale et
sociale) ou de la matière pénale, dans les deux cas on trouve dans ces
conventions des règles de procédure qui participent plus ou moins directement
à l’élaboration d’un droit commun du procès.
1)
En matière civile, en présence d’un litige international, c’est-à-dire
affecté d’un élément d’extranéité, plusieurs questions vont surgir :
quelle est la juridiction compétente ? Dans quelle mesure et comment un
jugement sera-t-il reconnu et exécuté à l’étranger ? Comment légaliser
et transmettre les actes du procès, les commissions rogatoires ? Ces
questions sont généralement résolues par des traités bilatéraux qui se sont
maintenus, surtout dans le domaine des conflits de juridictions, mais aussi
par des traités multilatéraux qui ont vocation à dépasser les simples
questions de conflits de juridictions. C’est dans ces conventions que se
trouvent les règles de procédure qui s’imposent à tous les États les ayant
ratifiées et qui contribuent ainsi à l’élaboration d’un droit commun du
procès, au-delà des frontières des États, au moins lorsque le litige est
affecté d’un élément d’extranéité. Parmi ces conventions il faut souligner
l’importance particulière de celles négociées au sein de la Conférence de
La Haye, l’Organisation mondiale pour la coopération transfrontalière en
matière civile et commerciale, en raison d’une part du nombre important
d’États les ayant ratifiées[51]
et, d’autre part, de l’étendue de leur champ d’application matériel. Depuis
le 3 avril 2007, la Communauté européenne en est membre, ce qui devrait
faciliter l’articulation des conventions avec les instruments du droit de
l’Union européenne.
2) En matière
répressive : les conventions internationales d’entraide répressive. La
répression de la délinquance suppose une coopération internationale au-delà
des frontières. Les différentes formes de coopération répondent à plusieurs
types de problèmes. À côté du cas de celui qui fuit un État pour échapper à
toute sanction pénale, il y a ce que l’on a coutume d’appeler le crime
organisé (la fausse monnaie et le proxénétisme, mais aussi, aujourd’hui, le
trafic de stupéfiants, la corruption, le terrorisme, le trafic de déchets et
le blanchiment d’argent lié à ces activités délictueuses).
- Les États mettent en
place des mécanismes de coopération policière et judiciaire pour lutter
contre les effets de la mondialisation de la criminalité, la
dématérialisation des instruments financiers et l’informatisation croissante
de la planète. On signalera l’entrée en vigueur de nombreuses conventions
conclues sous l’égide des Nations unies avec une forte activité dans les
années 1990 et les premières années du deuxième millénaire.
- Par ailleurs, les
règles de procédure des juridictions pénales internationales sont également
des sources internationales importantes
du droit processuel, d’autant plus riches qu’elles sont mises en œuvre
par ces juridictions internationales.
Les conventions qui
organisent des mécanismes de coopération policière et judiciaire, recoupent
dans des domaines spécifiques les conventions d’extradition et les accords
mondiaux d’entraide policière et judiciaire ; ces conventions et accords
contribuent à enrichir le droit processuel par des règles de procédure
communes à plusieurs États. Ces règles visent non seulement l’extradition,
l’entraide policière mais également la reconnaissance des jugements rendus
par des juridictions pénales étrangères, le gel ou la saisie des avoir[52].
b)
Les sources internationales de protection des droits
et libertés fondamentaux
À côté de ces sources
internationales (les plus nombreuses) qui tendent à résoudre les difficultés
procédurales nées de l’existence d’un véritable litige international, il
existe des sources internationales qui concernent les litiges internes,
indépendamment de tout élément d’extranéité, en consacrant des principes
fondamentaux qui s’imposeront dans la conduite des procès en France et dans
les États qui en ont accepté l’emprise juridique. Ainsi se construit, au
niveau international, un droit processuel envisagé sous l’angle d’un droit
commun du procès. Ces sources processuelles internationales sont elles-mêmes
de plusieurs sortes. À côté de la jurisprudence des juridictions
internationales, des principes généraux du droit et de la coutume, on trouve
des déclarations, principes-directeurs, recommandations et traités-modèles,
etc., qui n’ont que la valeur d’un engagement politique. Ainsi, les principes
fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature (1985), les
principes directeurs applicables au rôle des magistrats du Parquet (1990),
les principes de base relatifs au rôle du barreau (1990), etc. Surtout, la
Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, origine
des instruments internationaux de protection des droits de l’homme, mais qui
n’a que la valeur d’un objectif à atteindre[53].
En matière procédurale, ce sont les articles 8 à 11 de cette
Déclaration qui retiennent l’attention (droit à un recours effectif devant
des juridictions en cas de violation des droits fondamentaux ; interdiction
des arrestations et des détentions arbitraires, ainsi que de l’exil ;
droit à un procès équitable ; présomption d’innocence et
non-rétroactivité des lois pénales). L’absence d’organe de contrôle et de
force obligatoire en droit interne, ainsi que la reprise de ces dispositions
par d’autres instruments internationaux, en réduit considérablement l’intérêt
pratique. À maints égards, la Déclaration universelle des droits de l’homme
reste un texte de valeur symbolique, mais elle a inspiré des instruments de
droit positif dont le Pacte international relatifs aux droits civils et
politiques du 19 décembre 1966 et la Convention européenne des droits de
l’homme de 1950.
2°) les sources internationales régionales du droit
du procès
Le droit processuel
horizontal, fondamental, au sens d’un droit commun du procès ne se construit
pas seulement au niveau mondial par le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques de 1966 et la jurisprudence du Comité des droits de
l’homme de l’ONU. Des conventions internationales mettent en place,
progressivement, pour de grandes zones géographiques, des standards de
procès, de garanties d’une bonne justice, qui constituent autant de droits
processuels régionaux ; mis bout à bout, ces standards régionaux, qui ne
s’éloignent pas fondamentalement, ni en droit, ni en fait, des standards
posés par le Pacte international de 1966, créent une chaîne du droit du
procès à travers le monde. Leur intérêt supplémentaire par rapport au système
de protection de l’ONU, et pour au moins deux d’entre eux, est de disposer
d’un organe juridictionnel de contrôle de l’application des obligations mises
à la charge des États-parties : le premier ensemble régional est, bien
sûr, celui de l’Europe, des deux Europe, celle du Conseil de l’Europe et
celle de l’Union européenne.
Le pôle européen du
droit du procès est sans doute, sans esprit européen trop chauvin, le plus
important dans le monde. Cela tient essentiellement à l’existence de deux
ordres juridiques qui, en (saine) concurrence, il faut bien le reconnaître,
progressent rapidement vers l’amélioration des garanties procédurales
fondamentales, sous l’influence de deux facteurs :
– en premier lieu,
en raison de l’existence d’instruments internationaux de protection des
droits procéduraux fondamentaux directement inspirés de la Déclaration
universelle des droits de l’homme déjà citée, qu’il s’agisse de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
ou de la jurisprudence élaborée par l’ex-Cour de justice des Communautés
européennes (devenue Cour de justice de l’Union européenne) en regard,
respectivement, de cette Convention et de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne ;
– en second lieu,
ce double espace européen bénéficie, chacun pour ce qui le concerne, d’une
Cour régulatrice, dotés de véritables pouvoirs juridictionnels et dont les
arrêts s’imposent aux États-Parties, comme aux justiciables.
a)
Les sources du droit du procès en provenance du
Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe
se préoccupe de questions juridiques, soit par des traités qui porteront le
nom de « Convention européenne », suivie de l’indication de
son objet, soit par des « Accords » qui ont la même portée
juridique que les conventions mais qui sont signés sans qu’ils soient besoin
ensuite d’un instrument de ratification ou d’acceptation, soit par des « Recommandations »
qui sont des actes adressés aux États membres par le Conseil des ministres du
Conseil de l’Europe pour qu’ils adaptent leur législation aux principes
contenus dans ces actes. Bien sûr, on songe naturellement à cet instrument
qui envahit de plus en plus notre vie quotidienne, la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (désormais,
en abrégé, Convention EDH) et à son interprétation par la Cour européenne des
droits de l’homme (désormais, en abrégé, Cour EDH). En réalité, d’autres
sources du droit du procès existent en provenance du Conseil de l’Europe,
même si elles n’ont pas la même importance que la célèbre Convention EDH. On
peut les distinguer selon le critère de leur objectif principal, même si,
bien souvent, plusieurs objectifs sont mêlés : certains instruments,
porteurs de droit processuel, sont essentiellement des instruments de
coopération entre les États membres du Conseil de l’Europe (1) ;
d’autres sont d’abord des instruments de protection des droits et libertés
fondamentaux (2).
1. Le droit du procès
dans les instruments de coopération du Conseil de l’Europe
On le trouve d’abord
dans les conventions d’extradition. Au niveau du Conseil de l’Europe la
France a ratifié la Convention
européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ; entrée en vigueur le
11 mai 1986. On y ajoutera la Convention
européenne pour la répression du terrorisme, qui est une convention
d’extradition ce que n’indique pas son intitulé ; signée à Strasbourg le
27 janvier 1977, elle n’est entrée en vigueur, en France, que le 22 décembre
1987, en raison de difficultés sur le droit d’asile.
On trouve ce droit du
procès aussi dans les accords de coopération policière et judiciaire. Au niveau du Conseil de l’Europe, intéresse
à titre principal la procédure pénale (outre les conventions européennes
d’extradition déjà citées), la Convention européenne d’entraide judiciaire
en matière pénale, du 20 avril 1959 et publiée en France par décret no 67-636
du 23 juillet 1967 (complétée par un premier protocole additionnel signé le
17 mars 1978 et par un second adopté à Strasbourg le 8 novembre 2001 et
publié par décret n° 2012-813 du 16 juin 2012). Ou encore, la Convention
européenne sur la transmission des procédures répressives, signée le 15
mai 1972. Il faut y ajouter, à titre subsidiaire, les conventions d’entraide
en matière pénale pour des infractions particulières (par exemple,
infractions routières, 30 novembre 1964 ; crimes contre l’humanité et
crimes de guerre, 25 janvier 1974) ou pour des problèmes particuliers
(surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition, 30 nov.
1964 ; valeur internationale des jugements répressifs, 28 mai
1970 ; transfèrement des personnes condamnées, 21 mars 1983 ;
dédommagement des victimes d’infractions violentes, 24 novembre 1983 ;
blanchiment, dépistage, saisie et confiscation des produits du crime, 8
novembre 1990) ; généralement, ces conventions prévoient une
collaboration des organismes nationaux spécialisés.
2. Le droit du procès dans les instruments de
protection des droits et libertés fondamentaux du Conseil de l’Europe
- Les Chartes sociales de 1961 et 1996. Le Comité européen des
droits sociaux. On se contentera de citer ici, au sein du Conseil de
l’Europe, la Charte sociale européenne de 1961, entrée en vigueur en 1965 et
révisée en 1996. Le Conseil d’état
vient de reconnaître son effet direct, à propos de son article 24[54].
Bien que comparée, à l’origine, à la Convention EDH, cet instrument est
rapidement devenu obsolète du fait que son organe de contrôle ne disposait
pas de pouvoir juridictionnel ; il fut décidé, en 1995, par un Protocole
additionnel, de doter la Charte d’un tel organe de contrôle, le « Comité
européen des droits sociaux ». Composé de 15 experts indépendants,
désignés par les États, ce CEDS est un organe subsidiaire du Comité des
ministres. Ce Comité connaît d’une procédure de réclamation collective entrée
en vigueur le 1er juillet 1998 ; ses modalités en font une
procédure quasi-juridictionnelle : les partenaires sociaux et les
Organisations non gouvernementales peuvent introduire des recours, appelés
« réclamations », devant ce Comité aux fins de faire constater
qu’une situation ou des dispositions juridiques déterminées dans un État
partie sont contraires aux stipulations de la Charte sociale[55].
Devant son rôle « d’actif collaborateur de l’application des droits
sociaux » au sein du Conseil de l’Europe, il a été proposé de le
juridictionnaliser et de le rénover structurellement[56].
Mais n’est-ce pas aller à contre-courant de la
place croissante que prend la Cour EDH dans les droits sociaux, depuis la fin
de l’année 2008 ? [57]
- La
Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant du 25 janvier
1986.
Cette convention du Conseil de l’Europe présente la double
particularité d’être ouverte à la signature d’États non-membres et de la
Communauté européenne et de ne pas autoriser de réserves. Pour l’essentiel,
il s’agit d’une convention dont l’objet est de promouvoir la jouissance par
les enfants de leurs droits matériels, mais, comme son homologue de New York
de 1990, elle leur reconnaît pour cet exercice des droits de procédure, tels
que le droit de demander la désignation d’un représentant spécial dans les
procédures les concernant. Son organe de contrôle est un Comité permanent,
intergouvernemental, chargé de suivre les problèmes relatifs à l’interprétation
et à la mise en œuvre de la Convention ; il peut adopter des
recommandations.
- La Convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Dès le 4 novembre 1950, soit moins de deux ans après la Déclaration
universelle des droits de l’homme, était signée à Rome, dans le cadre du
Conseil de l’Europe, une Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. La France ne l’a ratifiée que le 3 mai
1974 (décret no 74-360) et n’a admis le droit de recours
individuel que le 9 octobre 1981. Remarquable instrument de protection des
droits de l’homme, qui concerne aujourd’hui 47 États et
800 millions d’Européens, elle a pris son essor grâce à l’existence d’un
organe de contrôle supranational, pouvant être saisi directement et
individuellement par les justiciables, la Cour EDH (assortie, jusqu’au 1er
novembre 1998, d’un organe de filtrage, la Commission du même nom) et grâce à
la jurisprudence audacieuse de celle-ci . La Cour a su habilement
interpréter de manière « autonome » les notions contenues dans
cette convention, afin, officiellement, d’éviter une babélisation des
concepts, en fait pour mieux imposer ses vues aux États membres ; elle
s’est dotée de moyens de contrôle élargis de l’application des lois
nationales par le recours à l’idée d’autonomie des notions conventionnelles
par rapport aux qualifications nationales et en ne s’attachant pas à la
notion formelle de loi. Les deux tiers des requêtes portées devant la Cour de
Strasbourg contiennent au moins un grief sur l’article 6 de la
Convention.
La jurisprudence de la
Cour EDH est d’autant plus importante en droit du procès, tant en matière
civile qu’en matière pénale, que cet organe a considéré très tôt que les
droits que la Convention EDH a pour but de protéger ne sont pas
« théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » et qu’il
est en droit de dégager, à la charge des États, des obligations positives
inhérentes aux droits abstraitement proclamés. La Convention EDH constitue,
selon la Cour EDH elle-même, « un instrument constitutionnel de
l’ordre public européen »[58], à tel point
qu’on peut se demander si la Cour EDH n’est pas devenue une cour
constitutionnelle. La Convention EDH est un véritable instrument de
protection des libertés et droits fondamentaux, dans la mesure où, à la
différence des instruments de coopération qu’était la Convention de Bruxelles
et que sont aujourd’hui les règlements de l’Union européenne, elle ne suppose
pas un élément d’extranéité ; ses exigences doivent être respectées pour
tout procès se déroulant devant une juridiction nationale d’un État membre,
dès lors que ce procès entre dans le champ d’application de la Convention.
En outre, si,
officiellement, la Cour EDH juge les procédures suivies dans les États membres
et la violation des droits substantiels, et non pas les législations des
États membres, la portée de ses arrêts est considérable et l’hypertrophie de
la notion de procès équitable, contenu à l’article 6 de la Convention
EDH, lui a permis de faire du droit procédural le critère d’appréciation du
respect par les États des droits substantiels, au point de transformer le
droit à un procès équitable en un véritable droit substantiel[59].
Enfin, les juges
nationaux peuvent écarter un texte interne pour non-conformité à la
Convention EDH ; celle-ci est ainsi devenue un instrument de pouvoir
entre les mains des juges nationaux, pas seulement entre celles du juge
européen[60].
b)
Les sources du droit du procès en provenance de
l’Union européenne
Que le droit de l’Union
européenne envahisse de plus en plus notre vie quotidienne, c’est un lieu
commun que de l’écrire. La force du droit de l’Union européenne vient
essentiellement de la règle posée par l’ex-Cour de justice des Communautés
européennes, dite de la « primauté du droit communautaire », y
compris sur une disposition de nature constitutionnelle. Cette supériorité du
droit de l’UE existe bel et bien et se dégage de la jurisprudence. En termes
de droit du procès, le phénomène s’accélère et se développe dans plusieurs directions,
à tel point qu’il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver, surtout si l’on
tient compte de l’accès difficile aux textes de l’Union européenne ne
serait-ce qu’en raison de la numérotation des traités qui se sont succédé. Un
auteur a pu parler de « dispersion des sources du droit
processuel »[61]. Comme dans le
droit du procès en provenance du Conseil de l’Europe, celui en provenance du
droit de l’UE est issu des instruments de coopération (1) et des instruments
de protection des droits et libertés fondamentaux (2).
1. Dans le domaine de
la coopération, les instruments sont nombreux : directives, règlements,
programmes d’information et plans d’action.
Les Règlements se
multiplient dans le domaine procédural, mais leur point commun est de
dessiner une tendance à vouloir les compléter, à terme, par une harmonisation
des procédures civiles nationales. Ainsi, à la suite de la disparition de
l’exequatur dans le Règlement Bruxelles I bis, la Commission européenne a
annoncé l’ouverture d’un nouveau chantier, à savoir l’harmonisation de
certains aspects de procédure civile[62].
Et les travaux ont commencé dans le domaine des notifications et
significations avec le rapport de la Commission sur l’actuel règlement
« Notifications », où elle déclare que « la suppression progressive de l’exequatur soulève la question
de la nécessité d’une harmonisation plus poussée en ce qui concerne les
règles nationales de procédure civile en général, et les règles régissant la
signification et la notification des actes, en particulier »[63].
Les traités concernent
tant la matière civile que la matière pénale. Le Traité de Lisbonne traite de
l’espace de liberté, de sécurité et de justice dans le titre IV du Traité sur
le fonctionnement de l’UE (TFUE), avec des dispositions générales dans le
chapitre 1 et des dispositions en matière de coopération judiciaire
civile, de coopération judiciaire pénale et de coopération policière dans les
chapitres 3, 4 et 5, le chapitre 2 étant consacré aux politiques
relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration.
- En matière civile par
exemple, l’article 81, TFUE pose le principe que « l’Union
développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une
incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle
des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut inclure
l’adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives et
réglementaires des États membres ». L’accès
effectif à la justice est évoqué à l’article 82, e, ainsi que le
développement des modes alternatifs de résolution des litiges (art. 82,
g).
- En matière pénale,
l’Europe de l’Union européenne a mis en place des instruments de coopération
judiciaire et policière qui ont permis ensuite de déboucher sur des actions concrètes,
par la conclusion soit de conventions d’extradition, soit d’accords
d’entraide dans ces deux domaines de coopération. Il ne s’agit pas, ici, de
présenter dans le détail chacune de ces conventions ou chacun de ces accords,
mais de signaler simplement qu’ils contiennent des dispositions de procédure
qui participent à la construction d’un droit commun du procès en Europe, ne
serait-ce qu’en habituant les États membres à respecter un délai raisonnable
dans la mise en œuvre de ces procédures, les droits de la défense, etc.
2. Dans le domaine de la protection des droits
fondamentaux, deux instruments sont essentiels. Très tôt, la Cour de justice
a bouleversé la problématique des traités institutifs en construisant une
jurisprudence qui a fait du droit communautaire issu des traités une
véritable source de droit du procès, tant en matière civile qu’en matière
pénale. Cette jurisprudence s’est construite sous l’angle de la protection
des libertés et droits fondamentaux, en appliquant aux questions de procédure
les grands principes fondateurs des textes originaux (ainsi du principe de
non-discrimination). Par la suite, les traités de Maastricht, d’Amsterdam et
de Nice ont plongé le droit communautaire au cœur de l’idée de protection des
droits et libertés fondamentaux, une Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne a été adoptée à Nice le 18 décembre 2000 et la Commission
européenne et le Parlement développent une action en ce domaine. Le traité de
Lisbonne accentue cette attraction à la garantie des droits fondamentaux[64].
S’agissant plus
particulièrement de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, Les
dispositions concernant le droit du procès, se trouvent essentiellement dans
le chapitre consacré à la Justice, mais certaines sont dispersées dans
d’autres chapitres : ainsi, pour ce qui est du chapitre 1, de la
dignité humaine qui est « inviolable » et « doit être
respectée et protégée » (art. 1er) ou de l’interdiction
de la peine de mort (art. 2), de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (art. 4) ; on trouve aussi un
article 43 consacré au médiateur de l’Union. C’est bien sûr le
chapitre 6 sur la Justice qui fournit l’essentiel des dispositions de
droit processuel :
- L’article 47,
intitulé « droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal
impartial », commence par un premier alinéa au domaine
ambiguë : « toute personne dont les droits et libertés garantis par
le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un
tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article ». Le
deuxième alinéa de l’article 47 reprend, en substance, les dispositions
de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme : « toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable
par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.
Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et
représenter ». Aucune référence n’est faite à la matière civile ou à
la matière pénale alors que pour cette dernière, compte tenu des sanctions
administratives répressives qui peuvent être prononcées, dans le champ de
compétence communautaire, par la Commission européenne, la précision n’aurait
pas été inutile. La notion de délai raisonnable est absente. Le troisième
alinéa de l’article 47 est relatif à l’aide juridictionnelle qui : « est accordée à ceux qui ne
disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait
nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice ».
- L’article 48
est relatif à la présomption d’innocence et au respect des droits de la
défense. L’article 49 proclame les principes de légalité et de
proportionnalité des délits et des peines et l’article 50 celui de non
bis in idem.
B)
les sources nationales constitutionnelles du droit processuel
L’émergence d’un
véritable droit processuel constitutionnel est l’autre phénomène fondamental
de la fin du xxe siècle, sous l’influence de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel et des suites données, en
jurisprudence judiciaire, aux principes fondamentaux ainsi dégagés par le
Conseil constitutionnel[65].
De quoi s’agit-il précisément ?
Même
si ce phénomène n’est pas encore bien perçu par tous les juristes, les choses
sont en train de changer, en grande partie d’ailleurs sous l’effet des
efforts de la doctrine constitutionnaliste contemporaine, celle qui voit dans
le droit constitutionnel autre chose que l’enseignement des institutions
politiques, de l’acquisition du pouvoir, de son exercice et de sa
transmission [66]. « Le droit constitutionnel moderne a deux
autres objets : le système normatif et la protection des droits et
libertés fondamentaux » [67]. Dès lors,
parler de la constitutionnalisation d’une branche du droit ce n’est pas
essayer de l’attraire à tout prix dans le champ d’application législatif de
l’article 34 de la Constitution. C’est constater que cette branche, en
l’occurrence le droit du procès, est sous l’emprise des droits fondamentaux,
de la protection des droits et libertés, donc du droit constitutionnel ainsi
entendu. C’est toute une conception du droit du procès qui est en cause. Pour
nous le procès, quel qu’il soit, pénal, administratif civil ou disciplinaire,
doit être conduit dans le respect des droits fondamentaux, l’expression étant
clairement celle de la jurisprudence constitutionnelle. La procédure
n’échappe pas à cette affirmation de la normativité de la Constitution, à son
applicabilité directe. « L’ensemble
des actes administratifs ainsi que ceux des juridictions administratives et
judiciaires doivent respecter la constitutionnalité dont le contenu est
identique quels que soient les actes contrôlés »[68].
La mission du Conseil constitutionnel a profondément évolué : « de régulateur des compétences »
(décision du 6 novembre 1962) il est devenu « le gardien des droits et libertés défendus par la Constitution »[69],
voire, depuis l’instauration de la question prioritaire de
constitutionnalité, une « cour suprême »[70],
sur le rôle duquel, même la littérature non juridique s’intéresse[71].
Bien
sûr, on songe, tout naturellement, à la constitutionnalisation du volet pénal
du droit du procès, pour reprendre la terminologie de la Cour européenne des
droits de l’homme. Et il est vrai, que la nature, essentiellement mais pas
exclusivement, législative de la procédure pénale, favorise le contrôle de
constitutionnalité et, partant, la constitutionnalisation de cette branche du
droit processuel (a). Mais ce serait oublier que tout le droit processuel se
constitutionnalise, y compris la matière civile, toujours au sens européen
(b)[72].
Pour être moins connue, cette constitutionnalisation est pourtant bien
réelle.
a) Pour ce qui concerne
la matière pénale, la constitutionnalisation concerne à la fois la procédure
pénale stricto
sensu et les procédures administratives
répressives. Les deux branches du droit répressif
sont concernées; dès lors, les garanties constitutionnelles procédurales ne
s’appliquent pas qu’à la procédure pénale ; toutes les procédures
suivies devant les autorités administratives autorisées à prononcer des
sanctions administratives répressives doivent respecter les normes
constitutionnelles, notamment quant aux droits de la défense et à la
présomption d’innocence, ainsi qu’en a décidé le Conseil
constitutionnel [73].
1. Le rôle directeur du Conseil constitutionnel en matière de
procédure pénale provient directement de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel qui s’est progressivement élaborée
en matière de procédure pénale, au fur et à mesure que des lois étaient
soumises à son contrôle. Il faut bien comprendre que ce contrôle a un double
effet :
- L’un
immédiat pour la loi en question, qui sera validée totalement ou
partiellement ; par l’exercice de son contrôle, le Conseil
constitutionnel rend opératoire le respect de la Constitution par le
Parlement, ce qui n’est pas neutre dans une matière telle que la procédure
pénale qui touche aux libertés individuelles et qui déchaîne souvent les
passions politiques. L’activité du Parlement n’est donc pas libre. Et le
Conseil constitutionnel a considérablement étendu les limites imposées au
pouvoir Parlement dans son activité législative lorsqu’il s’est mis à
découvrir d’autres normes constitutionnelles que celles contenues dans le
corps de la Constitution elle-même (art. 1 à 89).
- Surtout, la décision
du Conseil constitutionnel peut avoir effet pour l’avenir, en raison de deux
facteurs de technique juridique, certes constitutionnaliste, mais qu’on ne
peut néanmoins passer ici sous silence, tant ils sont d’une importance
considérable en matière de procédure pénale, pour comprendre les évolutions à
venir de la procédure pénale et non pas seulement le droit positif : il
s’agit de la technique de l’autorité reconnue aux décisions du Conseil et de
celle des réserves d’interprétation.
2. Le rôle directeur du Conseil constitutionnel dans
les procédures administratives répressives. Il ne faudrait pas croire que le
juge du répressif soit uniquement le juge judiciaire pénal. Sous l’influence
de la jurisprudence de la Cour EDH et du Conseil constitutionnel français [74],
est apparue ce que l’on a coutume d’appeler la matière pénale qui va au-delà
du droit pénal contenu dans les lois pénales au sens formel et, notamment, le
Code pénal pour s’étendre à toute « accusation en matière pénale »
(terminologie reprise de l’article 6 de la Convention EDH), celle-ci
pouvant se trouver dans des textes autres que les sources formelles du droit
pénal et mise en œuvre par des organes non judiciaires, autres que le juge
judiciaire pénal. Le pouvoir de répression en matière pénale éclate entre
plusieurs attributaires, parfois d’une manière cachée, au-delà des
qualifications nationales : le juge judiciaire pénal classique, le juge
administratif (pour les contraventions de grande voirie par exemple),
l’Administration elle-même pour les infractions fiscales, douanières,
routières, etc., des autorités administratives indépendantes pour le
contentieux de la régulation (Autorité de la concurrence, AMF, etc.), le juge
civil en appel et en cassation des décisions de ces dernières autorités (parfois
le Conseil d’État), sans oublier les instances disciplinaires
professionnelles qui peuvent parfois prononcer des sanctions sévères valant
alors qualification pénale [75].
b) Pour ce qui concerne
la matière civile, on entend par là celle qu’on a définie
dans le cadre des sources européennes du droit du procès ; c’est le sens
d’une contestation sur des droits et obligations de caractère civil, dans le
cadre d’une procédure dont l’issue est déterminante pour les droits et
obligations en cause, peu important la nature de la juridiction devant
laquelle cette contestation est portée, judiciaire ou administrative,
disciplinaire ou autorité de régulation, etc. Le droit du procès ne connaît
pas ces distinctions fondées sur la nature des juridictions ; il n’y a
que la matière civile ou la matière pénale. Ainsi, à propos d’un contentieux
de l’expropriation, la Cour EDH considère que « le droit à
l’indemnisation ainsi créé présentait sans nul doute un caractère patrimonial
et donc civil, nonobstant l’origine du différend et la compétence des
juridictions administratives »[76]. Bien que les
mêmes principes et la même démonstration s’appliquent au contentieux
administratif, nous raisonnerons essentiellement, pour la clarté du débat, au
sein de la matière civile, sur celle qui concerne la procédure civile,
c’est-à-dire la procédure suivie devant les tribunaux de l’ordre judiciaire
civil (2), mais nous dirons quelques mots auparavant de la procédure
administrative (1).
1. La
constitutionnalisation de la procédure administrative. C’est la compétence
législative en procédure administrative, qui, bien sûr, déclenche le contrôle
éventuel de constitutionnalité. Si aucune disposition expresse de la
Constitution de 1958 ne réserve au pouvoir législatif le domaine de la
procédure administrative, l’évolution ultérieure, pour les mêmes raisons que
celles qui seront développées pour la procédure civile, a modifié cette
présentation classique, mais désormais un peu obsolète, de la répartition des
compétences en cette matière[77]. Trois éléments
doivent être ici soulignés :
- En premier lieu, seul
le législateur peut modifier la répartition des compétences entre les deux
ordres de juridiction, car la séparation des autorités administratives et
judiciaires appartient au domaine des garanties fondamentales reconnues aux
citoyens pour l’exercice des libertés publiques[78].
- En
deuxième lieu, la création d’un nouvel ordre de juridiction, création qui
détermine la compétence législative, est entendue très largement par la
jurisprudence constitutionnelle et administrative[79].
Il faut entendre par ordre de juridiction les catégories de juridiction (le
Conseil d’État, les Cours administratives d’appel et les tribunaux
administratifs constituent trois types distincts de juridiction ; de
même toutes les juridictions spéciales[80]) et il
appartient au législateur – et non pas au pouvoir réglementaire – de fixer
les caractéristiques essentielles de la catégorie en cause, dans ses missions
(y compris sa compétence), sa composition et le cadre général de son organisation.
Il appartient ensuite au pouvoir réglementaire de préciser la mise en œuvre
de ces règles constitutives, sous réserve d’ailleurs, de ne pas prendre des
dispositions qui, par l’importance de leurs incidences, auraient « un
caractère déterminant »[81], de ne pas
dénaturer la volonté du législateur : la remise en cause des
caractéristiques essentielles qui permettent d’identifier un ordre de
juridiction, serait assimilée à une règle constitutive d’un ordre de
juridiction et relèverait donc de la compétence législative.
C’est pourquoi, lors de
la nouvelle codification de la procédure administrative par l’ordonnance no 2000-387
du 4 mai 2000 et les décrets no 2000-388 et 389 du même jour,
portant Code de la justice administrative, c’est un article de nature législative
(L. 311-1) qui dispose que « les tribunaux administratifs sont,
en premier ressort, juges de droit commun du contentieux administratif »,
tout en réservant l’intervention du pouvoir réglementaire pour les « compétences
que l’importance du litige ou l’intérêt d’une bonne administration de la
justice conduisent à attribuer au Conseil d’État ». Le législateur
(par pouvoir délégué dans une ordonnance) fixe donc le cadre (assez souple)
des critères que le pouvoir exécutif devra respecter pour édicter de telles
exceptions ; et c’est donc dans la partie réglementaire du code (art.
R. 311-1) qu’on trouvera les exceptions à cette compétence de droit
commun des tribunaux administratifs, exceptions édictées au profit du Conseil
d’État et reprises (avec l’ajout du contentieux des décisions ministérielles)
de l’article 2 du décret no 53-934 du 30 septembre 1953.
Pour autant, il ne faut point s’étonner de trouver dans les articles
L. 311-2 à L. 311-4, donc dans des textes de nature législative,
des exceptions à la compétence de droit commun des tribunaux administratifs
au profit du Conseil d’État, d’une part, parce qu’elles sont reprises de
textes qui étaient eux-mêmes de nature législative, d’autre part, parce
qu’elles concernent, pour l’essentiel, des matières qui relèvent, par leur
nature, de la compétence législative (par exemple, les oppositions à
changement de nom).
On retrouve la même
technique pour la compétence de droit commun des Cours administratives
d’appel dans l’article L. 321-1, dont le principe est posé dans un texte
de nature législative, de même que les critères des exceptions qui seront
prises par le pouvoir réglementaire (et dont on trouve une liste dans
l’article R. 321-1 de ce code, liste reprise de la loi du 31 décembre
1987, article 1er, ce qui constitue un déclassement).
-
Enfin,
seul le législateur peut modifier les principes généraux de la procédure qui
présentent le caractère de principes généraux du droit, tels que le principe
du contradictoire et le respect des droits de la défense. Le Conseil
constitutionnel ajoute à ces deux exemples le silence gardé par
l’administration valant décision de rejet, « principe général de
notre droit auquel il ne peut être dérogé que par une décision
législative »[82]. Mais le Conseil
d’État n’est pas du même avis et considère qu’il peut être porté atteinte à
cette règle, aussi bien par un texte réglementaire que par une loi[83].
2. La
constitutionnalisation de la procédure civile.
La réception du droit
processuel constitutionnel en procédure civile se manifeste de deux façons,
directement ou indirectement.
-
Il y a constitutionnalisation directe lorsque le Conseil constitutionnel
réintègre une partie de la procédure civile, dans le champ d’application de
l’article 34 de la constitution. Ainsi, le Conseil constitutionnel a
réintégré dans le champ législatif de l’article 34 de la Constitution d’abord
toutes les règles qui concernent des matières qui, par leur nature, relèvent de la compétence législative ;
ensuite, toutes celles qui mettent en cause les droits de la défense, en
considérant, dès 1972, que l’article 34 qui réserve à la loi « les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques »
permet de considérer que les règles de procédure contentieuse, même civiles
relèvent du pouvoir législatif chaque fois qu’elles mettent en cause les
droits de la défense[84]. Application en
fut faite ensuite, en 1985, au principe de la contradiction qui est « de nature législative »[85].
- Une
constitutionnalisation indirecte, sans attraction de la procédure civile au
champ législatif. La seconde manifestation de la constitutionnalisation de la
procédure civile provient des évolutions considérables qui se produisent
quant au contenu du droit constitutionnel et, surtout, quant à la manière
dont ce droit constitutionnel nouveau est importé en droit privé et
réceptionné par les autorités juridictionnelles. On l’a déjà dit, le droit
constitutionnel n’est plus seulement l’étude de la manière dont le pouvoir
s’acquiert et se transmet ; il « a
deux autres objets : le système normatif et la protection des droits et
libertés ». Quelles sont alors les techniques qui ont permis de
réceptionner le droit constitutionnel des droits fondamentaux en procédure
civile et de favoriser la constitutionnalisation de la procédure
civile ? Selon l’article 62, al. 2 de la Constitution, les décisions du
Conseil constitutionnel s’imposent, « aux
pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles ». Et l’autorité des décisions du Conseil
s’attache non seulement au dispositif mais aussi aux motifs dès lors « qu’ils en sont le soutien
nécessaire et en constituent le fondement même »[86].
Bien souvent ignoré à la fois de la pratique judiciaire et des autorités
administratives amenées à réglementer nos activités et, malheureusement d’une
certaine doctrine, ce principe entraîne trois conséquences qui forgent un
droit processuel constitutionnel d’origine judiciaire ou réglementaire :
en premier lieu, le contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs
(décrets, arrêtés, etc.) par le juge administratif. En deuxième lieu, le
respect, par le juge judiciaire, de l’autorité de la chose jugée ou
interprétée par le Conseil constitutionnel, à propos de lois soumises à son
contrôle. En troisième lieu, le juge judiciaire est juge de la
constitutionnalité des actes administratifs et juridictionnels. Cette
dernière technique prend une importance considérable aujourd’hui car elle va
au-delà du seul respect de la chose jugée ou interprétée par le Conseil
constitutionnel à propos d’une loi ; elle l’englobe, mais la dépasse,
les normes constitutionnelles étant toutes d’application directe, sans qu’il
soit besoin du relais de la loi « pour
être rendues opérationnelles »[87]. Le Conseil
constitutionnel l’a rappelé récemment à propos du principe de l’égalité des
sexes qui s’impose au pouvoir réglementaire sans qu’il soit besoin au
législateur d’en rappeler l’existence[88].
ii – la place limitée des sources d’adaptation du droit du procès à la garantie des droits fondamentaux
Les sources
d’adaptation du droit du procès à la mise en œuvre des droits fondamentaux
ont, en principe, une importance nécessairement et inéluctablement réduite au
sein des sources du droit du procès. Celui-ci est, en effet, le droit commun
du procès et ce droit ne peut se diversifier dans ses applications nationales
ou disciplinaires, sans contraintes fortes pour les sources d’adaptation, au
risque de se diluer et d’être dénaturé par ces sources secondaires si elles
ne sont pas encadrées. Soumises, par un lien de nature hiérarchique à
l’emprise des sources d’attraction à la garantie des droits fondamentaux, ces
sources ne peuvent avoir qu’un seul objet, l’adaptation du droit du procès
aux spécificités de chaque contentieux, que ces spécificités soient nationales
ou thématiques, par type de contentieux. Leur vocation n’est pas de créer un
droit du procès propre à chaque contentieux. Elle est de faciliter la mise en
œuvre des droits fondamentaux du procès dans les États, d’adapter les règles
communes qui viennent d’ailleurs et de plus haut dans la hiérarchie des
normes, de subir l’épreuve de ces normes supérieures et, en tout premier
lieu, de la Convention EDH. C’est d’ailleurs bien en ce sens que la Cour EDH,
reconnaît, dans ses méthodes d’interprétation de la Convention, une marge
d’appréciation aux États contractants, c’est-à-dire aux législateurs
nationaux et aux juridictions nationales. L’affirmation du principe même de
cette marge d’appréciation, ne va pas sans l’affirmation parallèle du
contrôle, par la Cour EDH, des qualifications nationales et de la conformité
du droit interne aux exigences de la Convention. Mais cette affirmation ne
vaut essentiellement que pour la première des sources d’adaptation du droit
processuel, à savoir les sources de valeur législative (A). En revanche, pour
les sources de valeur infra-législative, on constate au contraire un
renouveau de leur pratique et de leur force (B).
a) les sources de valeur législative dans le carcan
des sources d’impulsion du droit du procès
a) Une autonomie
croissante
Les sources
d’adaptation du droit du procès à chaque type de contentieux manifestent de
plus en plus l’autonomie de tous ces contentieux qui, loin de se rapprocher
dans leurs sources formelles, s’éloignent au contraire les uns des autres, au
moins par les textes, parfois les codes qui les régissent. Il n’y a pas de
fonds commun procédural d’origine civiliste. On a souvent posé que la
procédure civile jouait, par rapport aux deux autres grands contentieux que
sont le contentieux administratif et la procédure pénale, un rôle supplétif
et que ses règles de fonctionnement avaient, dans une certaine mesure, valeur
de règles de droit commun. Cette affirmation n’est plus tout à fait exacte et
il faut la nuancer sérieusement.
Par exemple, la chambre
criminelle de la Cour de cassation a enfermé dans des limites étroites (mais
justifiées), la faculté pour les tribunaux répressifs de recourir à des
règles issues de la procédure civile :
– d’une part, il
faut qu’il s’agisse de principes généraux commandant toutes les procédures et
qui ne soient pas incompatibles avec l’esprit de la procédure pénale. Autant
dire, qu’en réalité, il s’agit de principes issus du droit commun du procès,
de ce droit processuel tel que nous l’avons défini dans notre introduction
générale ;
– d’autre part, et
surtout, les règles de la procédure pénale relevant essentiellement, aux
termes de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, du domaine
de la loi, les dispositions du Code de procédure civile qui sont, pour
l’essentiel, de nature réglementaire, ne peuvent trouver application devant
les juridictions répressives que dans la mesure où elles sont étendues par la
loi. La chambre criminelle en a ainsi jugé pour l’article 32-1, CPC
(abus du droit d’agir en justice)[89], l’article 463
(omission de statuer) [90], les
articles 521 et 524 (exécution provisoire) [91],
l’article 593 (recours en révision) [92] et
l’article 700 (frais irrépétibles) [93] du même Code. À
vrai dire, le problème avait déjà perdu une grande partie de son importance
depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure pénale en 1959. Pour ces
diverses raisons, le principe même de la complémentarité de la procédure
civile à la procédure pénale est ainsi condamné. Mais une évolution en sens
inverse semble se manifester à propos des enquêtes, la procédure pénale
venant au secours de la procédure civile [94] ; en effet,
la jurisprudence admet, à côté de l’enquête réglementée par le Code de
procédure civile (art. 204 s., CPC), que les parties puissent recourir
au parquet, en matière civile, pour procéder à une enquête par les services
de police judiciaire [95] ; elle
reconnaît en outre, l’existence d’une mission d’information du conseiller
rapporteur en matière prud’homale, non soumise aux règles des
articles 204 s., CPC [96].
Une évolution semblable
s’est produite pour la procédure administrative :
– À l’origine,
celle-ci ne s’alimentait qu’à des sources très réduites, essentiellement
d’origine jurisprudentielle ; elle a donc eu recours, dans de nombreux
cas, à la procédure civile ; l’interprète y était d’ailleurs parfois
invité par le législateur lui-même. Cependant, le Conseil d’État a toujours
affirmé le principe que le caractère administratif d’une juridiction provoque
le rejet des règles de procédure civile, « les règles du Code de
procédure civile n’étant pas par elles-mêmes applicables à cette
juridiction » [97].
– Depuis quelques
années, grâce à l’action combinée de la loi et de la jurisprudence, les
règles du contentieux administratif se sont multipliées et perfectionnées. Le
rôle supplétif de la procédure civile ne pouvait donc que s’estomper ;
il ne se rencontre que dans des éventualités où les juges administratifs font
appel à des principes qui, figurant dans le Code de procédure civile,
constituent en réalité, des principes généraux de procédure, des
règles du droit commun du procès, sans être réservés à un contentieux
déterminé [98]. Avec l’entrée
en vigueur, le 1er janvier 2001, du Code de justice
administrative, ce rôle supplétif s’efface, ce nouveau Code contenant des
dispositions qui n’existaient pas dans le Code des tribunaux administratifs
et des cours administratives d’appel, ainsi en matière de récusation (mais en
cette matière les règles sont directement inspirées du code de procédure
civile, ce qui n’a pas empêché la jurisprudence administrative de construire
un droit spécifique, le Conseil d’Etat proposant des solutions différentes de
celles de la Cour de cassation[99]).
Jusqu’à l’entrée en
vigueur de ce Code en effet, l’exemple le plus probant du rôle supplétif de
la procédure civile était donné par les questions d’impartialité des juges,
de leur récusation et de leur dessaisissement pour partialité : en 1934,
le Conseil d’État avait admis que les règles de l’ancien Code de procédure
civile (art. 378 à 380) peuvent jouer un rôle supplétif, dès
lorsqu’elles ne sont pas incompatibles avec les règles d’organisation et de
fonctionnements des juridictions administratives [100].
Les articles L. 5 et R. 194 du Code des tribunaux administratifs et
des cours administratives d’appel les avaient déclarées applicables à ces
deux types de juridiction.
En conclusion,
on peut poser que si la procédure civile, dans la mesure où elle s’attache
aux procès entre particuliers, a constitué un milieu favorable à l’expression
légale de principes fondamentaux qui ont infléchi les procédures voisines et
ont favorisé leur développement, elle ne représente plus une sorte de droit
commun de la procédure. Elle ne constitue plus qu’une source d’inspiration,
notamment dans ces nouveaux contentieux économiques qui sont portés devant
les autorités administratives indépendantes. Par rapport à la procédure
civile, les procédures administrative et pénale ont conquis leur autonomie.
Par son ancienneté, par l’élaboration très poussée de ses concepts, par
l’existence d’un support moderne et particulièrement bien rédigé, la
procédure civile a sans doute vocation à inspirer tous ceux qui cherchent des
solutions à des questions pour lesquelles les textes en vigueur dans d’autres
contentieux n’apportent pas de réponse.
b) Une autonomie
encadrée
Les sources
d’adaptation du droit du procès aux spécificités de chaque contentieux ne
peuvent s’éloigner des principes fondamentaux du droit commun du procès. Si
c’était le cas, trois mécanismes, déjà rencontrés, permettraient de
sanctionner la violation du droit commun du procès.
- En premier lieu, les
pouvoirs du juge national qui l’autorisent à écarter un texte de droit
interne qu’il juge contraire à ce droit commun, tout au moins tel qu’il
s’exprime dans la Convention EDH ou le Pacte relatif aux droits civils et
politiques. Il est vrai, que si ce pouvoir existe, il n’a pas donné lieu à
beaucoup d’application. L’encadrement peut venir du droit national lui-même,
lorsque, à l’instar de l’article préliminaire du Code de procédure pénale
(introduit par la loi du 15 juin 2000), il reprend les principes directeurs
européens du procès pénal ; le juge national ne pourra-t-il pas
s’appuyer sur ce texte pour contrôler la légalité de la loi
pénale ? [101]
– En second lieu,
le mécanisme du recours devant la Cour EDH, pour violation du droit à un
procès équitable, sur le fondement de la violation de l’article 6,
§ 1 de la Convention EDH. À cet égard, il faut redire que la Cour EDH,
si elle laisse une marge d’appréciation aux États contractants dans la mise
en œuvre des standards minima qu’elle a fixés, afin de ne pas gommer toute
différence entre les régimes juridiques nationaux, encadre fortement cette
marge de manœuvre ; en effet, elle se refuse à déterminer avec précision
l’étendue de cette marge d’appréciation, se contentant de proclamer qu’elle « varie
selon les circonstances, les domaines et le contexte » ; autant
dire, quelle en fixe l’étendue à sa guise. De plus, elle se réserve le droit
de contrôler les qualifications nationales, ce qui réduit d’autant la marge
d’appréciation des États, dont on peut légitimement se demander si elle ne
constitue pas un attrape-nigaud !
– En troisième
lieu, la nouvelle technique de la question prioritaire de constitutionnalité
posée par le Conseil d’État ou la Cour de cassation au Conseil
constitutionnel si, au cours d’une instance, la question de la
constitutionnalité d’une disposition d’une loi est posée.
b) le renouveau des sources de nature
infra-législative
Parmi
les sources d’adaptation du droit du procès aux spécificités des divers
contentieux, pour mettre en œuvre les droits fondamentaux, il faut faire une
place à part pour celles qui n’ont pas de valeur législative, mais qui,
cependant, ont parfois une grande importance. À côté des principes généraux
du droit procédural, tels que les dégagent les juridictions suprêmes mais
dont il ne sera pas question ici, on trouve des pratiques des tribunaux qui
peuvent être créatrices de normes adaptant le droit du procès aux
spécificités du contentieux dont ils ont la charge (a), ce qui pose la
question des règlements de procédure à l’initiative des juridictions (b).
a) La pratique
judiciaire (au sens large de celle de toutes les
juridictions, sans donner à l’expression un caractère limité aux juridictions
de l’ordre judiciaire) crée le droit procédural, à côté, parfois en marge, de
ce qui est prévu dans les codes propres à chaque contentieux.
1. Par exemple, en procédure civile, il serait
erroné de croire que la seule lecture des articles du Code de procédure
civile sur la mise en état permet de connaître la réalité des procédures
suivies devant les juges et conseillers de la mise en état. Malgré des règles
précises dans le Code, la pratique suivie n’est pas uniforme sur le
territoire de la République. À côté des contrats de procédure, s’est créée la
pratique d’une mise en état par le président de la juridiction (ou son
délégué) ; il suffit à ce président de procéder à plusieurs renvois de
l’affaire à des audiences successives d’appel des causes pour, au final, se
passer du juge de la mise en état, exercer lui-même les fonctions confiées
par le Code à ce juge ; en procédant à ces renvois successifs, il
discutera de l’avancement de l’affaire au cours des conférences qu’il
préside. La numérisation des procédures et la communication électronique ont
accéléré ce mouvement de « balkanisation » des procédures locales[102],
avec par exemple la création d’audiences « virtuelles » de mise en
état[103].
D’une manière plus
directe, la pratique est parfois transposée dans le Code, à l’initiative des
juridictions (ex : de la radiation conjointe devenue retrait de rôle).
Certaines nouveautés procédurales sont dues à des propositions de magistrats,
par ex. l’article 1009-1 (initiative de Pierre Drai, alors premier
président de la Cour de cassation). La Cour de cassation a créé en son sein
une « commission de méthodologie en matière de procédure civile devant
les cours d’appel », dont la mission est d’élaborer des « notices méthodologiques relatives à
certaines questions de procédure qui suscitent des difficultés ».
L’objectif est de proposer des réponses aux principales interrogations
susceptibles de se poser en matière de procédure civile devant les cours
d’appel : harmoniser les pratiques, les adapter aux solutions
jurisprudentielles dégagées par la Cour de cassation « afin de prévenir les pouvoirs et d’éviter
les cassations dites disciplinaires » ; les thèmes portent sur
la rédaction des arrêts civils, les principes fondamentaux, les aspects
généraux de procédure, les pouvoirs dévolus à la Cour, les procédures
spécifiques, la juridiction du premier président. À terme, les magistrats des
cours d’appel disposeront de véritables Codes de bonne conduite[104].
2. En procédure pénale,
les exemples ne manquent pas, depuis les pratiques déplorables consistant,
pour un juge d’instruction à recopier le réquisitoire du parquet, lequel est
parfois lui-même la copie conforme du rapport du SRPJ (ce qui fait qu’on peut
être condamné au vu de ce rapport...), jusqu’à l’aménagement par le président
de la chambre criminelle de la procédure lui permettant d’autoriser l’examen
immédiat d’un pourvoi contre un jugement avant-dire droit.
b) Faut-il aller plus
loin et permettre aux tribunaux d’élaborer des règlements de procédure ?
La pratique est connue à l’étranger, mais aussi en
France.
1. Aux USA, la Cour
suprême peut modifier, sauf opposition du Parlement fédéral et après avis
d’une Commission consultative, les règles contenues dans les trois Federal Rules of civil procédure (pour
la première instance), of Appellate
procédure (pour la procédure en appel), of evidence (pour le droit des preuves)[105].
2. La Cour de justice
de l’Union européenne élabore aussi son règlement de procédure, de même, en
France, que les autorités administratives indépendantes (Conseil de la
concurrence, Autorité des marchés financiers).
3. En France, la nature
réglementaire de la plupart des réformes de procédure civile rend moins utile
la consécration de cette pratique, les tribunaux obtenant aisément
satisfaction de la Chancellerie si la réforme proposée correspond à un réel
besoin. Mais le fait que la procédure civile soit élaborée
quasi-exclusivement par des juges est de plus en plus contesté[106]
et pose la question du retour au Parlement et de la nature des réformes à
engager, de pure logique gestionnaire ou plus conceptuelle sur l’idée de la
qualité de la justice. Parallèlement, des protocoles sont passés entre les
présidents des juridictions et les Barreaux, ce qui pose le double problème
de la balkanisation des règles de procédure et de la force obligatoire de ces
accords envers les avocats membres du Barreau signataire.
4. Toujours en France,
mais dans le champ des autorités administratives indépendantes, les
règlements de procédure traduisent une privatisation des sources du droit,
dans la mesure où ces autorités se voient confier par l’État le soin
d’élaborer des normes de nature obligatoires, de nature réglementaire dans
leur domaine de compétence. Dans le cadre de leur fonction juridictionnelle,
au fil de leurs décisions, notamment pour l’ex-Commission des opérations de
bourse et le Conseil de la concurrence (devenu Autorité), une véritable
jurisprudence s’est créée sur le fond des affaires et, en matière
procédurale, on a pu parler de l’apparition d’un droit processuel économique,
entendez par là un corpus de règles procédurales applicables en la
matière. Leurs pratiques procédurales reposent parfois sur le texte qui les
institue, beaucoup plus souvent sur leur règlement intérieur. Et ces
règlements ont subi de plein fouet les conséquences de l’application à ces
contentieux du droit du procès tel que façonné par le droit européen, relayé
par la Cour de cassation. Ainsi, l’ex-COB a-t-elle dû modifier son règlement
intérieur, une première fois en 1997, pour tenir compte d’une jurisprudence
sur le respect du contradictoire, une deuxième fois le 16 février 1999, pour
tenir compte d’un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 5
février 1999, qui condamnait la confusion des fonctions d’instruction,
confiées au rapporteur, et de jugement parce que le rapporteur participait à
la formation de jugement ; bien mieux, en mars 2000, elle a suspendu son
pouvoir de sanction, suite à l’arrêt de la Cour de Paris du 7 mars 2000, qui
condamnait, cette fois, le cumul des fonctions de poursuite, d’instruction et
de jugement par le collège de l’ex-COB, instance de décision de la
Commission. Sa suppression, par fusion avec le Conseil des marchés financiers
en une nouvelle autorité, l’Autorité des marchés financiers (loi du 1er
août 2003), à mis un terme, pour l’essentiel, à ces errements.
On a là des exemples
topiques d’applications sans concession de la jurisprudence européenne à un
contentieux spécifique, du rôle joué par les sources d’attraction du droit
processuel sur les sources d’adaptation : l’ex-COB a été obligée
d’adapter son règlement intérieur (lui-même source d’adaptation du droit
processuel à la mise en œuvre des droits fondamentaux) pour tenir compte des
sources d’attraction du droit du procès à la garantie des droits
fondamentaux, notamment de la jurisprudence européenne. L’ex-COB elle-même ne
s’y était pas trompée lorsqu’elle avait publié un communiqué dans lequel elle
affirmait : « l’octroi d’un pouvoir de sanction dont l’exercice
est assorti de mesures destinées à la sauvegarde des droits et libertés fondamentaux,
repose sur la nécessité d’assurer une répression rapide et efficace des
infractions commises sur les marchés financiers et de garantir ainsi aux
épargnants la sécurité et la transparence de leurs placements » (manière
de préserver sa spécificité et de combattre l’idée de son absorption par les
juridictions judiciaires). C’est donc toute une procédure de sanction qui est
bloquée parce que le droit du procès, les principes et règles du droit commun
n’ont pas été respectés. On soulignera qu’à chaque fois l’ex-COB a réagi très
rapidement afin de ne pas fragiliser, par un risque d’annulation, les
procédures en cours ; elle a préféré les suspendre, plutôt que de les
rendre annulables.
Ces incidents à
répétition, ajoutés à la diversité des règlements de procédure (autant de
règlements que d’autorités) ont conduit certains à préconiser une
uniformisation des règlements de procédure, sous la forme de l’élaboration
d’un code uniforme de procédure [107].
|
[1]. S. Guinchard,
« Vers une démocratie procédurale », Justices, nouvelle série, 1999/1, p. 91 ; « Les
métamorphoses de la procédure à l'aube du IIIe millénaire »,
in Clefs pour le siècle, Université
Paris 2/Dalloz éd., 2000.
[2]. V. par ordre chronologique : J.
Chevalier, « La mondialisation de l'État de droit », Mélanges Ph. Ardant, 1999, 325. M.
Delmas-Marty, « La mondialisation du droit : chances et
risques », D. 1999, chron.
43 ; « L'espace judiciaire européen, laboratoire de la
mondialisation », D. 2000,
chron. 421 ; Les forces imaginantes
du droit, Le Seuil éd., t. 1, 2004 et t. 2, 2006. E. Loquin et C.
Kessedjian [dir.], La mondialisation du
droit, Colloque Dijon, 13-15 sept. 1999, diffusion, Litec, 2000.
Ch. Albert Morand [dir.], Le droit
saisi par la mondialisation, Bruylant éd, 2001, coll. Dr. international, no 46.
Colloque de l’Union internationale des Huissiers de justice, Tunis, 9 mai 2003,
La mondialisation du droit dans un nouvel
espace de justice universel, EJT 2004. J. Allard et A. Garapon, Les juges dans la mondialisation, Le
Seuil éd., 2005. J. Basedow, « Vie universelle, Droit national – À propos
de la mondialisation du droit », Mélanges
X. Blanc-Jouvan, Soc. lég. comp. éd., 2005, 223. P. Glenn, « Droit
mondial, droit mondialisé ou droit du monde », Mélanges X. Blanc-Jouvan, Soc. lég. comp., 2005, 259. Six articles
regroupés in « M. Delmas-Marty
et les années UMR », Soc. lég. comp. éd., 2005. p. 333. H.
Gaudemet-Tallon, Le pluralisme en droit
international privé : richesses et faiblesses (le funambule, et
l’arc-en-ciel), Cours général, Académie de la Haye éd., 2006. M.
Delmas-Marty et S. Breyer, Regards
croisés sur l’internationalisation du droit : France-USA, collec.
« UMR de droit comparé de Paris », vol. 18, Soc. lég. comp. éd. 2009. S. Cassese, « La
globalisation du droit », Mélanges
J.-P. Costa, Dalloz, 2011, 113. J.-Sylvestre Bergé, L’application du droit national, international et européen-Approche
contextetualisée des cas de pluralisme juridique mondial, Dalloz, collec.
Méthodes du droit, 2013, compte-rendu par S. Corneloup in Rev. crit. DIP 2013, 537 et par J.-Cl. Gautron in RIDC 2013/4, 1005. F. Audren et J.-L. Halperin, La
culture juridique française-Entre mythe et réalités – xixe et xxe siècles,
CNRS éd. 2013, spéc. p. 257, mais si les opposants à l’internationalisation
des cultures juridiques sont cités (Carbonnier et Oppetit), rien sur ceux qui y
sont favorables en « droit commun » du procès.
[3]. Le droit commun
de l'Europe et l'avenir de l'enseignement juridique, Kluwer éd., 1992 [ss. la
dir. De B. de Witte et C. Forder]. – Cadiet et Guinchard, Justices, 1995/1,
p. VI. – Carbasse, Introduction
historique au droit, PUF, 1998, no 78. – M.
Delmas-Marty, Pour un droit commun,
Le Seuil, 1994 ; « Réinventer le droit commun » : D. 1995 chron.
1. – J.P. Gridel, « Déclin des spécificités françaises et
éventuel retour d'un droit commun européen » : D. 1999, chron. 139. – R. Jacob (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions
juridiques européennes, LGDJ, coll. Dr.
soc. 1996 (compte-rendu par
Cadiet : RIDC 1997,
1002. – P. Lagarde, compte rendu de la Revue allemande ZEUP, in Rev. crit. DIP 1993. 862. – L. Moccia, « Les
bases culturelles d’un juriste européen » : RIDC 1997. 799. – B. Oppetit, « Droit commun et
droit européen », Mélanges Y.
Loussouarn, Dalloz, 1994, 311. – M. Fr. Renoux-Zaugamé,
« Le droit commun européen entre histoire et raison » : Rev. Droits, 1991/14, 27. – R.
Schulze, « Le droit privé commun européen » : RIDC 1995. 7. M. de Salvia,
« L'élaboration d'un jus commune
des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la perspective de
l'unité européenne : l'œuvre accomplie par la Commission et la Cour
EDH », Mélanges Wiarda, Carl
Heymanns Verlag KG éd., Cologne, 1988, p. 555-563.
[4]. Ph. Fouchard,
« L'arbitrage et la mondialisation de l'économie », Mélanges Farjat, 1999, p. 381.
[5]. Ph. Fouchard
avait relevé que l'on pouvait dégager deux valeurs essentielles qui intéressent
les relations économiques, la vertu et l'équité, « Droit et morale dans
les relations économiques internationales » : Rev. sc. morales et politiques 1997, no 3,
p. 1.
[6]. L. Boy,
« Le relatif et l’universel-Entre contrôle juridictionnel et gouvernement
des juges en droit de la concentration », Mélanges S. Guinchard, Dalloz 2010, p. 505. L. Sinopoli, « Une
épreuve pour les droits de l’homme – De l’universel postulé à la mondialisation
réalisée », Mélanges S. Guinchard, Dalloz
2010, p. 369.
[7]. P. Kayser,
« Essai de contribution au droit naturel à l'approche du IIIe millénaire »,
Rev. jur. dr. prospectif, 1998-2,
p. 387.
[8]. Sur cette
évolution, P. Kayser, préc. no 2 à 11, p. 388 à 403.
[9]. B. Menut,
« Pour un code mondial de l’exécution », in XIXe congrès de l’Union internationale des
huissiers de justice, Washington, 26-28 avr. 2006, EJT, nov. 2007, p. 19.
[10]. G. Cohen-Jonathan,
« De l'universalité des droits de l'homme », in Hommage à René-Jean Dupuy, Ouvertures en droit international,
Pédone, éd. 2000, p. 23.
[11]. C. Grèwe,
« La circulation des droits fondamentaux ou l’impact du pluralisme
culturel en Europe », in Mélanges B.
Genevois, Dalloz, 2009, p. 505.
[12]. S.
Amrani-Mekki, « Les catégories de common
law et de civil law à l’épreuve
de l’office du juge et des parties », Mélanges
S. Guinchard, Dalloz 2010, 157.
[13]. Sur laquelle,
S. Guinchard, « Vers une démocratie procédurale », Justices, nouvelle série, 1999/1, p.
91 ; « Les métamorphoses de la procédure à l'aube du IIIe millénaire »,
in Clefs pour le siècle, Université Paris 2, Dalloz éd., 2000. C.
Kessedjian, « La modélisation procédurale », in La mondialisation du droit, Colloque Dijon, 13-15
sept. 1999, diffusion Litec, 2000, p. 237. G. Mecarelli, L’hypothèse d’un droit commun du procès,
thèse (dacty.) Paris 2, déc. 2002 [dir. Ph. Fouchard]. Fr. Sudre et
C. Picheral [dir.], La diffusion du modèle européen du procès équitable,
Doc. fr., coll. Perspectives sur la justice, Paris, 2003. La modélisation
progresse aussi pour éviter les procès, V. Th. Clay, « Le modèle pour
éviter le procès », in Code civil et
modèles – Des modèles du Code au Code comme modèle, ouvrage
collectif [dir. Th. Revet], Univ. Paris 1, UMR 8056, LGDJ éd. p. 51.
Rapport de la Cour de cassation 2006 (doc. fr. 2007). G. Maugain, La modélisation du procès civil – Émergence
d’un schéma procédural en droit interne, thèse Dijon, nov. 2010 [dir. M.
Douchy-Oudot]. W. Mastor et L. Miniato (dir.), Les figures du procès au-delà des frontières, Dalloz, collec.
Thèmes et commentaires 2013.
[14] Série A,
n° 32.
[15] CEDH, 2
sept. 1998, arrêt Yasa c/ Turquie (§
64).
[16] Crim. 3
juin 1975 : Bull. n° 141. - 5
déc. 1978 : Bull. n° 346 ; D.
1979, 50, note Kerhig. - 6 mars 1986 : D. 1986, 315, note Mayer. - Civ. 1ère, 18 mai
1989 : Bull. I, n° 198.
[17] Crim. 30
juin 1976 : D. 1977, 1, note
Coste-Floret ; JCP 1976, II, 18435, rapp. Mongin.
[18] J.P.
Gridel, Déclin des spécificités et éventuel retour d’un droit commun
européen : D. 1999, chron. 139,
spéc. p. 141.
[19] Boyer, La notion d’équité et son rôle dans la
jurisprudence des Parlements : Mélanges Maury, 1960, t. 2, p. 257.
[20] Edition
Le Robert, sous la direction d’Alain Rey, V° équité.
[21] Rép. Dr.
civil, V° équité, n° 1.
[22] V° équité,
PUF, 1994, sous la direction de Gérard Cornu.
[23] Civ. 2ème,
19 janv. 1983 : Gaz. Pal. 198, Pan.,
177, obs. Guinchard) ; il ne peut pas non plus se fonder sur l’équité
(Soc. 21 fév. 1980 : JCP 1980 ;
IV, 176. - 11 mai 1994 : D.
1995, 626, note C. Puigelier. - Civ. 3ème, 22 mars 1995 : Gaz. Pal. 16 mai 1996, som. ann. , V°
Preuve, obs. Croze et Moussa). - Revue Justices,
1998-9, L’équité du juge.
[24] v.
Dictionnaire Collins, English langage
dictionnary, 1992, V° Equity.
[25] Serge
Guinchard, Le procès équitable, droit fondamental ? AJDA, n° spécial,
juill./août 1998, p. 191. - Le procès équitable, garantie formelle ou droit
substantiel ? Mélanges Farjat, Credeco, Nice, 1999. - Mégacode de
procédurre civile, Dalloz éd. 1999, ss. art. 6, CEDH. - Opinion dissidente du
juge Lopes Rocha, sous CEDH, 20 fév. 1996, arrêt Lobo Machado c/
Portugal : Rec. 1996-I, vol. 3, p. 210.
[26] RTDCiv. 1928, 371.
[27] Psaume
84-II.
[28] CEDH,
28 juin 1984, Campbell et Fell c/
Roy. Uni, série A, no 80,
§ 77 ; JDI 1986, 1058, obs.
Rolland et Tavernier.
[29]
Deutéronome, 1, 17.
[30] R. Koering-Joulin :
Justices 1998-10, 1.
[31] Vincent,
Guinchard, Montagnier et Varinard, op. cit., n° 96 à 97-1. - J.D. Bredin,
Qu’est-ce que l’indépendance du juge ? Justices, 1996, p. 161.
[32] Ibid., n°
97-1.
[33] CJCE, 17
déc. 1998, aff. C-185-95/P, Baustahlgewebe Gmbh c/ Commission :
Contrats-Concurrence-Consommation, mai 1999, n° 78 ; AJDA, 1999, 302,
chron. H. Chavrier, H. Legal et G. de Bergues (à propos du délai de cinq et six
mois écoulé entre le dépôt de la requête en annulation et le prononcé de
l’arrêt par le TPI).
[34] V. par
ex., CJCE, 18 mai 1994, aff. C-309/89, Cordniu c/ Conseil : AJDA, 1994,
698, chron. H. Chavrier, H. Legal et G. de Bergues.
[35] Motulsky,
Mélanges Roubier, n° 13 et s., note 27.
[36] J.
Carbonnier, Introduction, PUF, n°
188. Bulletin d’information du Bâtonnier
de Paris, 18 janv. 1994, p. 15 : « la
loyauté dans les relations entre les avocats constitue une impérieuse
nécessité ». V. aussi, A. Leborgne, L’impact de la loyauté sur la
manifestation de la vérité ou le double visage d’un grand principe, RTDCiv. 1996, 535. Mélanges Cerexhe, La loyauté, Larcier éd., 1997, spéc.,
pour le droit procédural : Ph. Couvreur, La loyauté dans les rapports judiciaires internationaux, p.
67 ; Fr. Delpérée, A la loyale,
p. 116 ; X. Dijon, La loyauté
osmotique, p. 127 ; P. Martens, Sur
les loyautés démocratiques du juge, p. 249. Colloque sur l’obligation, Ass.
Philo. Dr., 9 et 10 avr. 1999, rapport L. Aynès, L’obligation de loyauté.
[37] Pour le
droit américain, Federal Rules of civil
procédure, Rule 1 ; New York
Civil Pratice Law and Rules, § 104, cités par Peter E. Herzog : Justices, 1996-3, p. 446.
[38] Actes du colloque aux éditions Panthéon-Assas, 2001.
[39] J. Ellul, La pensée marxiste, éditions la Table ronde,
2003, 254 pages. - Sans feu, ni lieu, même éditeur, 2003, 378 pages.
[40] J.-L. Porquet, Jacques Ellul, l'homme qui avait presque
tout prévu, éditions Le Cherche Midi, 2003, 284 pages.
[41] CEDH 9 nov. 1999, D. 2000, Somm. p. 183, obs. N. Fricero.
[42] Sur cette distinction, V. S. Guinchard et alii,
Droit processuel, droit commun et droit comparé du procès, 2e éd., Dalloz,
2003.
[43] S. Guinchard, « Vers une démocratie
procédurale », Justices, 1999, nouvelle série, p. 91 ;
« Les métamorphoses de la procédure à l'aube du IIIe millénaire »,
in Clefs pour le siècle, Paris 2, Dalloz éd., 2000.
[44] S. Guinchard et alii, Droit processuel/droits fondamentaux du procès, Dalloz, 8ème
éd., à paraître janv. 2015, n° 5.
[45] P. Muzny,
« A quand une véritable culture des droits de l’homme en France, », JCP 2011, doctr. 981, qui plaide pour
plus d’impartialité, d’indépendance et de transparence de l’activité
juridictionnelle.
[46] C’est l’intitulé de l’ouvrage offert à Serge Guinchard en guise
de Mélanges, Dalloz, mai 2010.
[47] Sur
ces deux arrêts et la question plus générale de l'application du droit par la
Cour de cassation, v. S. Guinchard, « Le droit a-t-il encore un avenir à
la Cour de cassation ? Qui cassera les arrêts de la Cour de
cassation ? » Mélanges Terré, Dalloz, Litec et PUF, 1999.
[48] S. Guinchard et alii, Droit processuel/droits fondamentaux du procès, op. cit., n°
230 à 331-4.
[49] S. Guinchard et alii, Droit processuel/droits fondamentaux du procès, op. cit., n°
476 à 481.
[50] S. Guinchard et alii, Droit processuel/droits fondamentaux du procès, op. cit., n°
331-5 à 475.
[51] Sur la
liste des principales Conventions, voir S. Guinchard et alii, Précis de droit
processuel, 8ème éd., à paraître janvier 2015, n° 48 par L.
Sinopoli.
[52] Ibid., n° 49 et notre précis de Procédure pénale, Lexisnexis, 10ème
édition, 2014.
[53] Ibid., n° 51. Marc Gambaraza, Le statut juridique de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, thèse Paris 2, 2013, dir. E. Decuax.
[54] CE, 10
fév. 2014, n° 358992, AJDA 2014, 380,
obs. M.-Ch. De Montecler
[55]
Marguénaud et Mouly, « Le Comité européen des droits sociaux, un
laboratoire d’idées sociales », RDP 2011/3,
685
[56]. B.
Boissard, « La contribution du comité européen des droits sociaux à
l’effectivité des droits sociaux », RD publ. 2010/4, 1083.
[57]. CEDH
12 nov. 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, D. 2009. 739, chron. J.P. Marguénaud et J. Mouly,
« L’avènement d’une Cour européenne des droits sociaux » ; AJDA
2009. 872, chron. J. Fr. Flauss.
[58]. CEDH
23 mars 1995, Loizidou c/Turquie, série A, no 310, AJDA
1995. 723, obs. Flauss ; JCP
1996, I, 3910, no 1, obs. Sudre ; Grands arrêts
de Sudre et alii, préc., no 1. A. Kiss, « La
Convention EDH a-t-elle créé un ordre juridique autonome ? » Mélanges
Pettiti, Bruylant éd., 1998, 493.
[59]. Voy.
notamment nos deux articles sur le procès équitable, AJDA, no spécial
juill./août 1998, p. 191 et Mélanges Farjat, 1999.
[60]. S.
Guinchard, article précité in Mélanges Farjat, 1999, p. 139 ; Europe,
oct. 1999, no H.S., p. 15. S. Guinchard et alii, Droit procesuel, op. cit., n° 131
s.
[61]. O.
Dubos, Les juridictions nationales, juge communautaire – Contribution à l'étude
des transformations de la fonction juridictionnelle dans les États membres de
l'Union européenne, Dalloz, 2001, Biblio. thèses, spéc. p. 247 à 428,
préface Gautron.
[62] E.
Guinchard, RTDEurop. 2010, p. 927,
spéc. nos 4 et s.
[63] Rapport
de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et
social européen sur l'application du règlement (CE) n° 1393/2007 du Parlement
européen et du Conseil relatif à la signification et à la notification dans les
États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou
commerciale («signification ou notification des actes»), Bruxelles, le 4
décembre 2013 (COM(2013) 858 final), point 3.1.4.
[64] S. Guinchard et alii,
Droit procesuel, op. cit., n° 146 à 154-2 s.
[65] V. S.
Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, Procédure
civile, 32ème éd., 2014, n° 32 s.
[66]. Notamment,
L. Favoreu et alii, Droit constitutionnel, Dalloz, 13e éd.,
2010, E. Zoller, Droit constitutionnel, PUF, 2e éd., 1999. L.
Favoreu et alii, Droit des libertés fondamentales, Dalloz, 5e éd.,
2009.
[67]. L. Favoreu
et alii, op. cit., préface par L. Favoreu, p. 6.
[68]. L. Favoreu
et alii, Droit constitutionnel, op. cit., no 481.
[69]. Fr. Luchaire,
Le Conseil constitutionnel, 2e éd. Economica, 1997,
Avant-Propos, p. VII.
[70] M.
Guillaume, « Après la QPC, le Conseil constitutionnel est-il devenu une
Cour suprême ? », JCP 2012,
doctr. 722.
[71] Pierre
Rosanvallon, La légitimité démocratique,
Impartialité, réflexivité, proximité, Le Seuil éd. 2008, p. 217.
[72]. S.
Guinchard, « La constitutionnalisation du droit processuel », in
B. Mathieu (dir.), 50e anniversaire de la Constitution
française, Dalloz, 2008, p. 459.
[73]. Décision
88-248 DC, 17 janv. 1989, Conseil supérieur de l'audiovisuel, Grandes
décisions, Dalloz, no 44 ; RD publ. 1989. 399, note L. Favoreu ;
RFDA 1989, no 2, p. 215, chron. B. Genevois (§ 35 :
« il résulte des dispositions de l'art. 8 de la déclaration des
droits de l'homme et du citoyen, comme des principes fondamentaux reconnus par
les lois de la République, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition
que soient respectés... le principe du respect des droits de la
défense » ; § 36 : « ces exigences ne concernent pas
seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais
s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le
législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non
judiciaire »).
[74]. Pour une
comparaison des deux jurisprudences, v. J. Farina-Cussac, « La sanction
punitive dans les jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour
EDH », RSC 2002-3, 517.
[75]. Audrey
Guinchard, Les enjeux du pouvoir de répression en matière pénale, Du modèle
judiciaire à l'attraction d'un système unitaire, LGDJ, 2003, coll. Biblio.
sciences crim. t. 38, préface Y. Mayaud.
[76]. CEDH 24
nov. 1994, Beaumartin c/ France, série A, no 296-B.
[77]. B. Pacteau,
« Constitutionnalisation ou européanisation de la justice
administrative », Mélanges Pactet, Dalloz, 2003.
[78]. CE 30
mars 1962, Association nationale de la Meunerie, D. 1962. 631, concl.
Bernard. T. conf. 7 déc. 1970, Riehm c/ ORTF, D. 1971. 611, note J. Chevalier ;
AJDA 1971. 171 ; RTD civ. 1971. 418, obs. Hébraud. Cons. const. Déc. du 22
juill. 1980.
[79]. CE 13
déc. 1968, Association syndicale des propriétaires de Champigny-sur-Marne,
Rec., p. 645.
[80]. CE 13
juill. 1962, Conseil national de l'Ordre des médecins, Rec., p. 479 ;
RD publ. 1962. 739, concl. Braibant. – 30 juin 1967, Caisse de compensation de
l'Organic, Rec., p. 286, à propos des commissions des qualifications des
artisans qui étaient habilitées, par décret (d'où l'annulation), à prononcer la
déchéance du titre d'artisan, comme sanction de certains comportements.
[81]. A. de
Laubadère, AJDA 1965. 102.
[82]. Décision
26 juin 1969, AJDA 1969. 563.
[83]. CE 20
avr. 1956, École professionnelle de dessin industriel, Rec., 163, concl. M.
Long. 27 févr. 1970, Commune de Bozas, Rec., 139.
[84]
Déc. 72-75 L, 21 déc. 1972, RJC (par Favoreu, Litec), II, 50, considérants 1 et
3.
[85]
Déc. 85-142 L, 13 nov. 1985, Rec. p. 116, V. E. Zoller, Droit constitutionnel,
PUF, 2e éd., 1999, no 297. L. Favoreu et alii, Droit constitutionnel,
Dalloz, no 1344.
[86]
Déc. 62-18 L, 16 janv. 1963, Loi d'orientation agricole.
[87]
L. Favoreu, in La constitutionnalisation des branches du droit, Economica,
1998, p. 185.
[88]
Déc. 97-388 DC, 20 mars 1997, JO 26 mars 1997, p. 4661.
[89]. Crim. 24
août 1981, Bull. no 249. 13 déc. 12005, Procédures, avr. 2006, no 87,
obs. J. Buisson ; RSC 2006, 632, obs. A. Giudicelli.
[90]. Crim. 5
nov. 1981, Bull. no 296.
[91]. Le
problème est aujourd'hui réglé par la loi no 81-82 du 2 févr. 1981, qui
introduit, en les contractant, les dispositions des art. 524 à 526, CPC,
dans l'art. 515-1, CPP, pour permettre au premier président de disposer
des mêmes pouvoirs lorsqu'il statue sur les intérêts civils en matière pénale.
[92]. Crim. 19
janv. 1982, D. 1983, IR, 74, obs. Roujou de Boubée.
[93]. Crim. 9
déc. 1980, Bull. no 340.
[94]. A. Vitu,
« Les rapports de la procédure pénale et de la procédure civile »,
Mélanges P. Voirin, 1967, p. 812. B. Bouloc, « Procédure civile et
procédure pénale », in Le NCPC (1975-2005), op. cit., Économica, 2006,
p. 369. Fl. Bussy, « L’attraction exercée par les principes
directeurs du procès civil sur la matière pénale », RSC 2007, 39. E.
Vergès, « Procès civil, procès pénal : différents et pourtant si
semblables », D. 2007, 1441.
[95]. Reims,
25 juin 1982, RTD civ. 1983, 591, obs. Perrot. TGI Nice, 28 juin 1984,
D. 1984, IR, 420, obs. Julien ; RTD civ. 1985, 211, obs. Perrot.
[96]. Soc. 31
mars 1978, RTD civ. 1978, 727, obs. (crit.) Perrot.
[97]. CE, 15
oct. 1929, Rec. p. 932. 7 mai 1971, D. 1971, 414, note L.
Bertrand. 16 déc. 1998, RGDP 1999, 359 (à propos des art. 423 à 431,
NCPC).
[98]. W.J. Habscheid,
« Les principes fondamentaux du droit judiciaire privé », Rapport
général au Congrès international de procédure civile, Kluwer éd. 1978,
p. 29. R. Chapus, « Le NCPC et la procédure juridictionnelle
administrative », Colloque Cour de cassation sur les 20 ans du NCPC, déc.
1997, Doc. fr. 1998, p. 75.
[99] D. Gros,
« La récusation vue par le juge administratif – Rapport d’influence entre
contenteux administratif et procédure civile », JCP 2012, doctr. 227.
[100]. CE, 24
juill. 1934, Ducos, Rec. p. 882. 16 mars 1966, Paisnel, Rec.
p. 216 : « ces règles [de procédure civile] ne sont pas
incompatibles avec le caractère administratif du Conseil d'État statuant au
contentieux ».
[101]. Cf. D.
Mayer, « Vers un contrôle du législateur par le juge pénal »,
D. 2001, chron. 1643, spéc. p. 1644-1645.
[102] C. Bléry,
« De la contractualisation à la règlementation unilatérale : dérive des
protocoles de la mise en état », Procédures, fév. 2012, alerte 5. Avec G.
Huvelin, « Pourquoi des protocoles de procédure, alors qu’il y a un code
de procédure civile ? », Gaz. Pal. 8 sept. 2012, Libres propos.
[103] H. Croze,
« Qu’est-ce qu’une audience », Procédures mai 2012, repère 5, à
propos de l’expérience lyonnaise.
[104] BICC
15 mars 2005. Les travaux de la commission sont publiés au Bulletin
d’information de la Cour, disponible sur le site de la Cour de cassation.
[105]
P.-E. Herzog, Justices 1996/3. 445, spéc. p. 447-448.
[106]
R. Martin, Gaz. Pal. 16 nov. 2002. Th. Le Bars, in Héron,
op. cit., no 14, en note.
[107]. Cl. Ducouloux-Favard,
« La COB et les droits de l'homme », LPA, 10 févr. 1999, p. 14.
N. Rontchevsky, obs. RTD com. 2000, spéc. p. 412-413.
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