SOMMAIRE
I – L’OBJET DE LA PROCÉDURE PÉNALE
II – CONCILIER L’INCONCILIABLE : SÉCURITÉ ET LIBERTÉ
III – UNE AUTRE FINALITÉ : LA JUSTICE RESTAURATIVE
IV – VINGT ANS DE DISCOURS POLITIQUES SUR LE SENTIMENT D’INSÉCURITÉ
V – QUEL JUGE DES LIBERTÉS ? ADMINISTRATIF OU JUDICIAIRE ?
VI – LE CONTENTIEUX ROUTIER, EXEMPLE D’UNE DIFFICILE CONCILIATION ENTRE
RÉPRESSION ET GESTION DES FLUX
I – L’OBJET DE LA PROCÉDURE PÉNALE
La procédure
pénale dépasse aujourd’hui le cercle du seul procès pénal. La justice pénale se manifeste
normalement par une audience de jugement ; c’est l’aspect le plus visible
parce que les audiences sont publiques, encore que la médiatisation excessive
de certaines instructions l’emporte souvent, à l’époque contemporaine, dans
l’esprit du public, sur la phase de jugement. Mais la justice pénale ne se
ramène pas au seul procès pénal, au sens d’une instance de jugement :
D’abord,
parce que, de tout temps, la recherche des infractions sous l’autorité de la
justice, la recherche des preuves peuvent conduire à des décisions de
classement sans suite ou de non-lieu ; pour autant, sans procès pénal, une
procédure pénale s’appliquera à ces phases en amont du procès proprement dit.
Ensuite,
parce qu’à l’époque contemporaine, la justice pénale peut passer sans véritable
procès, sans instance de jugement : que l’on songe aux amendes
forfaitaires sans intervention du juge[1], à la
procédure simplifiée avec condamnation sans débat, à la composition pénale
(CPP, art. 41-2 et 41-3), système proche de la transaction, à
l’instar d’autres pays et notamment des USA[2].
La procédure
pénale transcende donc le procès pénal ; on le voit bien aujourd’hui avec
la jurisprudence Allenet de Ribemont de la Cour EDH qui étend le respect
de la présomption d’innocence, au-delà des organes du procès pénal, à toute
autorité, même ministérielle, qui désignerait une personne comme l’instigateur
d’un assassinat sur les ondes radiophoniques et à la télévision.
Règles de
fond et règles de forme : relativité nouvelle de la distinction. On a coutume de dire que le droit
pénal est fait pour les malandrins, alors que la procédure pénale est faite
pour les honnêtes gens.
a) On oppose traditionnellement
le droit pénal général et le droit pénal spécial à la procédure pénale, cette
dernière étant constituée de règles de forme, alors que les deux droits
substantiels sont à base de règles de fond. Et il est vrai que la procédure
pénale, comme toute procédure judiciaire, est essentiellement une technique
d’organisation du procès, de mise en œuvre, par la forme, des règles de fond du
droit pénal général et du droit pénal spécial. Sans elle, le droit pénal
substantiel n’est pas grand-chose ; elle est le passage obligé de
l’incrimination à la sanction.
On ajoute
aussi, tout aussi classiquement, qu’intimement liée au fond, la procédure
pénale en épouse les principes fondateurs tels que la distinction tripartite
des infractions qui détermine de nombreuses procédures propres à chacune des
catégories d’infractions ; ou encore le principe de légalité des délits et
des peines qui englobe la procédure pénale. La forme est absorbée par le fond.
b) Pour autant, les
développements nouveaux du droit du procès et l’apparition de véritables droits
fondamentaux du procès viennent modifier cette présentation classique :
À certains
égards et sous l’influence de la jurisprudence européenne, la procédure pénale
n’est plus seulement une garantie formelle ; elle devient, par elle-même,
un enjeu substantiel. Les normes processuelles de référence contenues dans la
procédure pénale continuent, bien sûr, à garantir la régularité formelle d’une
procédure, que le procès sera conduit loyalement ; c’est le rôle notamment
du procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention EDH. Mais la
procédure pénale devient aujourd’hui un enjeu substantiel, un droit fondamental
qui tend à l’emporter sur toute autre considération : le droit à un procès
équitable qui est au cœur de la procédure pénale devient le critère
d’appréciation du respect par les tribunaux des droits substantiels et,
au-delà, devient lui-même un véritable droit substantiel[3].
c) Cette transformation du rôle
de la procédure pénale sera d’autant plus importante à l’avenir que la garantie
des droits substantiels par les États sera jugée effective à l’aune des
critères du droit processuel. Un exemple tiré d’une jurisprudence de la chambre
criminelle illustre cette ardente obligation : le 16 décembre 1997,
la Cour de cassation a créé une nouvelle incrimination qui n’existe pas en
droit pénal spécial français, le viol où le violeur n’est plus seulement celui
qui pénètre autrui de son sexe, mais celui qui se fait pénétrer par
autrui ![4]. Quoi que l’on
puisse penser de ces agissements odieux, surtout lorsqu’ils sont commis sur des
mineurs, ils n’entrent pas dans les éléments d’incrimination du viol. Ce saut
juridique, dangereux pour nos libertés, n’a pu être contrebalancé que par un
revirement de jurisprudence (intervenu le 21 octobre 1998) ou par la
procédure, spécialement européenne, qui permet de faire juger par la
Cour EDH que la prévisibilité et la lisibilité de l’incrimination n’ont
pas été respectées dans l’affaire jugée le 16 décembre 1997. La procédure
devient ici un droit substantiel, celui de permettre à quelqu’un de ne pas être
condamné extra legem, pour des infractions qui n’existent pas
légalement.
Procédure
pénale et procédure civile. Vision renouvelée de leurs relations dans
l’émergence d’un droit processuel humaniste[5].
a) Les
différences dans les techniques du droit procédural. La particularité de la procédure
pénale par rapport à la procédure civile, c’est déjà qu’elle constitue
l’application obligatoire du droit pénal, lequel se conçoit mal sans procès,
donc sans procédure. La procédure pénale est la suite inéluctable de la
commission d’une infraction (tout au moins de sa révélation), de l’application
des incriminations pénales, alors que la procédure civile est un accident dans
une société civile qui ne doit pas se confondre avec le procès. Le droit pénal
suppose un procès ; le droit civil comme le droit commercial peuvent s’en
passer.
D’autres
différences apparaissent :
– Ainsi,
l’esprit du procès pénal, tout empreint d’ordre public et qui ne connaît pas le
principe dispositif, s’oppose à la procédure civile qui est entre les mains des
parties. De l’introduction de l’instance (principe accusatoire ou d’impulsion)
à la maîtrise de la matière litigieuse (principe dispositif), la procédure
civile est strictement d’intérêt privé. Ses règles de compétence par exemple
peuvent, dans certaines limites, être modifiées d’un commun accord des parties.
Le juge de la mise en état, encore appelé, par commodité de langage, juge
d’instruction civil, n’a pas les pouvoirs d’investigation du juge d’instruction
pénal.
– Même le
principe du contradictoire est moins bien respecté au pénal qu’au civil ;
malgré des réformes récentes, la tradition française reste, en matière pénale,
très en deçà de ce que l’on serait en droit d’attendre d’un État démocratique
qui se proclame par ailleurs, haut et fort, pays des droits de l’homme ;
ce n’est que récemment que les parties privées (victime et mis en cause) ont
acquis quelques droits dans le déroulement de l’instruction ; une
confrontation peut encore être refusée pratiquement d’une manière
discrétionnaire par le juge d’instruction et sans réel moyen, en fait, de faire
infirmer la décision, le président de la chambre de l’instruction ayant un
pouvoir discrétionnaire de refuser de transmettre l’appel à la chambre de
l’instruction. Il a fallu attendre une loi du 30 décembre 1996 pour voir
consacrer un droit d’accès de l’accusé au dossier pénal et encore, sous
certaines conditions. Il faudra attendre la loi du 14 avril 2011 pour que
le gardé à vue soit assisté par un avocat dès la première heure de sa rétention
et le 1er janvier 2015 pour que la personne soupçonnée d’avoir
commis une infraction, mais entendue librement au cours de l’enquête bénéficie
de certains droits.
– Le système
de l’intime conviction du juge pénal (CPP, art. 353, al. 2, pour la
cour d’assises ; CPP, art. 427, pour le tribunal correctionnel) non
seulement s’oppose au système de la preuve légale administrée devant le juge
civil, mais, surtout, anéantit totalement la théorie générale de la preuve
pénale[6]. À quoi bon
sanctionner la loyauté dans la recherche de celle-ci si, de toute façon, le
juge peut librement s’en écarter pour condamner, relaxer ou acquitter ?
– Les
sources normatives nationales sont elles aussi différentes depuis la
Constitution de 1958 : loi pour la procédure pénale, décret pour la
procédure civile. C’est ce qui explique d’ailleurs que l’on ne peut plus
transposer les règles de la procédure civile à la procédure pénale[7], sauf pour les
principes généraux communs à toutes les procédures qui ne seraient pas
incompatibles avec l’esprit de la procédure pénale. En réalité, ce n’est plus
la procédure civile qui est transposée en matière pénale, mais des principes
fondamentaux communs à tous les contentieux.
b) Les
points communs dans l’émergence d’un droit processuel humaniste. On ne peut plus opposer totalement
procédure civile et procédure pénale, non pas tant pour la raison avancée
classiquement que les organes judiciaires sont les mêmes, mais parce que
certaines techniques se retrouvent dans l’une et l’autre et, surtout, parce que
les droits fondamentaux du procès, qu’il soit pénal ou civil, constituent
désormais un jus commune de plus en plus important[8].
– L’unité de
la justice civile et de la justice pénale existe dans les textes ; elle
est moins réelle sur le terrain où la tendance à la spécialisation des
magistrats, surtout dans les grands tribunaux, se généralise. On est président
de chambre correctionnelle à titre principal et, par commodité pour le
fonctionnement du tribunal, juge civil à titre accessoire. Ou inversement.
– En
revanche, technique d’organisation du procès, les deux procédures font souvent
appel aux mêmes procédés de mise en œuvre. Par exemple, les deux procédures
connaissent l’appel autorisé par un tiers (premier président de cour d’appel au
civil, président de chambre de l’instruction au pénal) ou la notion de jugement
mettant fin à l’instance comme critère d’ouverture d’un recours, ou la notion
de grief à prouver ou non selon que la formalité qui devait être accomplie est
substantielle ou non.
– Enfin et
surtout, les deux procédures obéissent l’une et l’autre aux mêmes normes
internationales, européennes et constitutionnelles, normes qui ont déterminé ce
que l’on appelle maintenant les droits fondamentaux du procès. Le véritable
rapprochement est là, dans ce bloc de droits intangibles, dans ce socle de
libertés, dans ce fonds commun processuel issu de notre charte
constitutionnelle et de nos engagements internationaux, dans ce jus commune qui
se construit sous nos yeux. Il existe des garanties fondamentales d’une bonne
justice qui s’appliquent indifféremment à la justice civile et à la justice
pénale, comme à tout autre contentieux ; les textes sont les mêmes,
notamment l’article 6 de la Convention EDH et la notion de procès
équitable qui en a été tirée par la jurisprudence européenne. Le pont entre les
deux procédures est essentiellement là et nulle part ailleurs. La procédure
pénale ne peut plus aujourd’hui être étudiée, comprise et rénovée sans cet
apport de nature processuelle et d’origine essentiellement européenne et
constitutionnelle. Pour avoir été dans les premiers à faire émerger ces idées,
à conceptualiser cette communauté de destin de tous les contentieux[9], à ne pas nous
contenter du légalisme procédural, pour mieux souligner le caractère
indispensable de l’humanisme processuel[10], nous
pouvons nous permettre de dire au juriste qui s’intéresse à la procédure pénale
qu’il doit d’abord lire les grandes décisions du Conseil constitutionnel
(encore plus avec la mise en œuvre de la question prioritaire de
constitutionnalité) et les arrêts de la Cour EDH, sans même parler des
recommandations du Comité des droits de l’homme de l’ONU. Nous y reviendrons à
propos des sources de la procédure pénale. De plus, le droit processuel
humaniste, essentiellement d’origine européenne, qui se construit à Strasbourg,
siège de la Cour EDH, oblige le juriste à regarder ce qui se passe dans
l’ensemble des quarante-sept États qui ont adhéré à la Convention EDH ; le
juriste français ne peut plus ignorer ce qui a été décidé pour un autre État,
car, nonobstant l’article 53 de la Convention EDH, la Cour a décidé que
ses arrêts n’avaient pas d’autorité relative puisqu’un État doit faire
disparaître une disposition similaire à celle qui a valu une condamnation à un
autre État[11]. Le droit
commun du procès se double ici d’un droit comparé des procédures nationales,
droit comparé qui retrouve son utilité première d’harmonisation des systèmes
juridiques. Pour comprendre et construire ce droit commun du procès que la Cour
EDH tisse au fil de ses décisions, il faut comparer les législations et les
jurisprudences des quarante-sept États membres, entre elles et par rapport au
droit européen ; c’est en ce sens que le droit processuel, particulièrement
dans son application à la matière pénale, est devenu, selon l’intitulé de notre
précis sur ce thème, « un droit commun et un droit comparé du procès
équitable », celui « des droits fondamentaux du procès » (op. cit.
en bibliographie de ce numéro)[12].
À ce titre des sources communes d’inspiration, il ne nous semble plus
possible de parler d’autonomie de la procédure pénale ; cette
qualification n’est plus conforme au mouvement qui agite le droit du procès
dans son ensemble et auquel la procédure pénale n’a aucune raison
d’échapper : l’attraction du droit du procès par les droits fondamentaux
et à leur garantie, la modélisation dans la mondialisation et l’émergence de
nouveaux principes directeurs, événements majeurs de cette fin de millénaire et
que la doctrine processualiste humaniste tend à mettre en évidence[13], englobent
la procédure pénale.
Procédure pénale et procédure administrative. De source
réglementaire, la procédure administrative s’oppose à la procédure pénale
essentiellement par le principe de la dualité des ordres juridictionnels :
les juridictions administratives n’appliquent pas le droit pénal, bien que
celui-ci soit du droit public ; dès lors elles ne connaissent pas de la
procédure pénale. L’esprit des deux procédures est très différent : la
procédure administrative n’a pas d’objet corporel ou de liberté, elle ne
connaît pas de ministère public et les parties en disposent largement. Mais,
comme la procédure pénale et à l’instar de la procédure civile, la procédure
administrative repose sur un socle de droits fondamentaux, de garanties tirées
de la notion de procès équitable.
Procédure
pénale et procédure disciplinaire : vision renouvelée. Là encore, on enseigne
traditionnellement que ces deux procédures sont autonomes ; cela reste
vrai organiquement, les juridictions disciplinaires (ordres des professions libérales
par exemple) étant totalement distinctes des juridictions répressives, et
fonctionnellement, l’autorité de discipline pouvant statuer alors que
l’autorité pénale n’a pas rendu sa décision. Cela reste vrai, aussi, selon un
critère matériel du pouvoir de répression en matière pénale : la sanction
disciplinaire a certes une finalité punitive (ce qui, tout à la fois, la
rapproche du pouvoir de répression pénale et l’éloigne de la sanction civile
qui a une finalité réparatrice), mais la norme « incriminatrice »
disciplinaire ne concerne jamais qu’un groupe déterminé de personnes, celles
qui exercent telle profession ou qui se livrent à telle ou telle activité (ce
qui la distingue, fondamentalement, du pouvoir de répression pénale qui se
caractérise, lui, par la généralité de ses normes incriminatrices)[14]. Mais trois
observations permettent de nuancer cette dualité :
– d’une
part, les sanctions disciplinaires sont tout aussi graves pour ceux qui les
subissent, et parfois plus, que les sanctions pénales. Que l’on songe un
instant à un médecin interdit d’exercer sa profession ou déconventionné par la
Sécurité sociale ; c’est une véritable mort civile qui le frappe ;
– d’autre
part, et sans doute pour cette raison liée à la gravité de la sanction
disciplinaire, les procédures disciplinaires sont attraites à l’empire de
l’article 6 de la Convention EDH et au respect du droit à un procès
équitable, non seulement dans la jurisprudence de la Cour EDH qui exige alors,
au minimum, un recours devant un organe doté d’un pouvoir de pleine juridiction
et respectant les garanties du procès équitable (arrêt Engel c/
Pays-Bas, 8 juin 1976)[15], mais aussi
dans celle du Conseil d’État depuis un revirement opéré le 14 février 1996[16]. Par la
suite, la Cour EDH devait étendre le respect des garanties du procès équitable,
au sens de l’article 6 de la Convention EDH, aux violations des règles de
la discipline pénitentiaire[17] ou
professionnelle[18], assimilant,
de fait, ces règles à la matière pénale, même si la norme disciplinaire
« incriminatrice » ne présente aucun caractère d’intérêt général. Dès
lors, on retrouve ici ce tronc commun dont nous parlions à propos des relations
entre la procédure pénale et la procédure civile, ou entre la procédure pénale
et la procédure administrative. On aborde alors la matière pénale, ainsi que
nous allons le préciser maintenant ;
- enfin, le
cumul de poursuites pénales et disciplinaires peut conduire à un cumul de
sanctions prononcées par une autorité disciplinaire et par une juridiction
pénale ; le Conseil constitutionnel considère que le principe d'un tel
cumul n'est pas, en lui-même, contraire au principe de proportionnalité des
peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789, mais que, lorsque
plusieurs sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler,
le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant
global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le
plus élevé de l'une des sanctions encourues ; il appartient donc aux autorités
juridictionnelles et disciplinaires compétentes de veiller au respect de cette
exigence et de tenir compte, lorsqu'elles se prononcent, des sanctions de même
nature antérieurement infligées[19].
Procédure
pénale et matière pénale. Le juge du répressif n’est pas uniquement le juge judiciaire pénal. De tout
temps, et en tout cas depuis la Révolution française comme il a été récemment
démontré[20], le pouvoir
de répression pénale n’a jamais été attribué exclusivement au juge judiciaire
pénal ; le critère du pouvoir de répression n’est pas organique, mais
matériel : il repose sur la finalité punitive de la sanction pénale (ce
qui la distingue de la sanction civile purement réparatrice) et sur le
caractère d’intérêt général de la norme incriminatrice (ce qui la distingue de
la sanction disciplinaire, V. supra, n° 11) ; si l’on
veut bien retenir ce critère matériel du pouvoir de répression pénale, il n’y a
rien d’étonnant à ce que ce pouvoir soit éclaté entre plusieurs attributaires,
à commencer par cet attributaire premier et naturel que constitue le juge
judiciaire pénal, mais en y ajoutant aussi, dès la Révolution, l’administration
qui est autorisée à prononcer des amendes pénales dans le système dit de
l’administration directe[21], sous le
contrôle du juge administratif qui devient ainsi le troisième attributaire du
pouvoir de répression pénale[22] (pouvoir
qu’il exerce aussi à titre autonome dans le domaine des contraventions de
grande voirie ; il faut encore y ajouter, à l’époque contemporaine, ces
autres institutions administratives que sont les autorités administratives
indépendantes (notamment dans le domaine de la régulation économique)[23] et, par le
contrôle qu’ils exercent sur les décisions de ces autorités, d’une part, le
juge judiciaire civil (cour d’appel de Paris et Cour de cassation, chambre
commerciale, par exemple pour l’Autorité de la concurrence et l’Autorité des
marchés financiers) et, d’autre part, le Conseil d’État (par ex., pour
l’Autorité de régulation des télécommunications et pour le Conseil supérieur de
l’audiovisuel)[24]. Au total,
ce ne sont pas moins de cinq types d’organes qui sont attributaires du pouvoir
de répression pénale : juge judiciaire pénal, administration, juge
administratif (soit à titre autonome, soit comme juge du contrôle de
l’administration directe et de certaines autorités administratives
indépendantes), autorités administratives indépendantes et, enfin, juge
judiciaire civil dans le contrôle des décisions de certaines autorités administratives
indépendantes (cour d’appel de Paris et chambre commerciale de la Cour de
cassation). C’est pourquoi, il ne faut point s’étonner que, sous l’influence
contemporaine de la double jurisprudence de la Cour EDH et du Conseil
constitutionnel français, ait été confortée, « aux confins du critère
matériel »[25],
c’est-à-dire dans le prolongement d’une longue tradition historique, ce que
l’on a coutume d’appeler la matière pénale, matière qui va au-delà du droit
pénal contenu dans les lois pénales au sens formel et, notamment le Code pénal,
pour s’étendre à toute « accusation en matière pénale » (terminologie
reprise de l’article 6, Conv. EDH), celle-ci pouvant se trouver
dans des textes autres que les sources formelles du droit pénal et mise en
œuvre par des organes non judiciaires, autres que le juge pénal judiciaire.
Dans l’arrêt précité, Engel c/ Pays-Bas, la Cour EDH
affirmait, pour éviter une « babélisation » de la notion de matière
pénale contenue dans la Convention :
– d’une
part, que les États ne devaient pas disposer à leur guise des
qualifications ;
– et, d’autre part, que la matière pénale dépassait le
Code pénal (rejet du critère organique) et que l’on pouvait l’identifier par la
réunion de trois réactifs que sont les indications du droit national, la nature
du fait ou du comportement transgresseur et le but et la sévérité de la
sanction.
II – CONCILIER L’INCONCILIABLE :
SÉCURITÉ ET LIBERTÉ
Procédure pénale, procédure d’équilibre. L’honneur d’une société civilisée, d’un État garant d’un véritable état
de droit, c’est, précisément, de ne pas condamner une personne accusée (au sens
large) d’une infraction, sans organiser un procès permettant à cet accusé de se
défendre selon les principes démocratiques universels (ou qui devraient
l’être…) de fonctionnement d’une enquête, d’une instruction, d’une poursuite
et, en toute hypothèse, d’une instance judiciaire, c’est-à-dire sans lui
permettre de bénéficier du droit à un juge, ce tiers indépendant et impartial,
garant de toutes nos libertés, de notre liberté, raisons pour lesquelles il
faut être si exigeant quant à son recrutement, sa formation et le mode
d’exercice de sa profession[26].
Alors que les Français ont tendance à voir dans le droit « une entité
abstraite, révélation d’une vérité éternelle », pour les Anglais « le
droit est un ensemble de procédures pratiques enfermées dans des délais et
formes »[27].
Ce qui explique qu’avec la conception anglaise, « il est plus difficile au
pouvoir de tourner une procédure qu’un principe abstrait, d’accommoder à son
goût des règles pratiques que des déclarations solennelles »[28].
a) Le judiciaire est, là encore, une fois de plus, au service de la
civilisation, de la liberté : ce n’est pas parce que quelqu’un a commis le
pire des crimes, qu’il n’a pas droit à un procès équitable. Bien au contraire,
entre la suspicion de la commission d’une infraction et la condamnation de son
auteur présumé après une procédure garantissant son droit à se défendre, il y a
toute la différence entre l’amoralité, voire la sauvagerie du délinquant et la
sagesse de la société. La peine, éventuellement sévère, sera d’autant mieux
comprise et acceptée que la procédure aura été parfaite, respectueuse des
droits de chacun. Bref, sans être naïf sur la nature humaine, il faut appliquer
les principes de Beccaria, ce grand penseur qui publia à vingt-six ans,
en 1764, à Milan, son Traité des délits et des peines[29] :
certitude du prononcé d’une peine, célérité dans le processus de
sanction ; et ceux de la Convention européenne des droits de l’homme
(ci-après Convention EDH) : peine proportionnée à la gravité des
faits et procédure irréprochable dans le respect des droits de la défense.
C’est cela l’honneur de la justice pénale, conformément à l’article 66 de
la Constitution qui fait de l’autorité judiciaire le gardien de nos libertés.
Jean Carbonnier a remarquablement décrit, dans un essai visionnaire, à
propos de la détention préventive, l’aspiration à la liberté du droit pénal qui
ne se limite pas à réprimer[30].
À l’inverse, dans les procès médiatiques, les procès « hors les
murs »[31], ce respect
des droits des personnes livrées à la vindicte publique n’est pas assuré ;
on mesure alors toute la différence entre une procédure pénale empreinte du
rituel judiciaire[32], en lui-même
protecteur des libertés et de la dignité humaine[33], et la
chasse médiatique qui traduit, jusqu’à la caricature, « les équivoques de
la démocratie d’opinion »[34], fondé sur
un journalisme dit d’investigation et qui, bien souvent, n’est qu’un
journalisme de délation.
b) Malheureusement, les exigences
contradictoires de la procédure pénale ne permettent pas toujours de répondre à
cet objectif :
– d’un côté,
les intérêts de la société, qui ne peut tolérer de laisser se développer le
crime dans un État de droit, au préjudice de la collectivité, au-delà de la
victime directe de l’infraction ; l’organisation sociale suppose une
répression certaine et rapide de toutes les infractions, par une sanction
appropriée aux délinquants ;
– de
l’autre, les intérêts de la personne poursuivie et, même, du délinquant, dont
l’honneur et la liberté sont en cause (autrefois la vie).
c) La procédure pénale doit donc naviguer entre ces deux impératifs,
concilier des intérêts largement opposés, contradictoires, qui traversent les
courants politiques[35]. Plus que
toute autre procédure elle est une procédure d’équilibre,
d’harmonie :
Déjà,
Faustin Hélie, en 1866, soulignait cette idée d’équilibre « entre
deux intérêts également puissants, également sacrés, qui veulent à la fois être
protégés, l’intérêt général de la société qui veut la juste et prompte
répression des délits, l’intérêt des accusés qui est lui aussi un intérêt
social et qui exige une complète garantie des droits de la collectivité et de
la défense »[36].
Cet
équilibre c’est le sens même du procès équitable (du latin equus) au
sens de l’article 6 de la Convention EDH : le procès doit être
équilibré entre les parties, spécialement entre les parties privées et le
représentant de l’intérêt général.
On en trouve encore une trace dans le traité sur l’Union européenne dont
l’article 29 précise que « l’objectif de l’Union est d’offrir aux
citoyens un niveau élevé de protection dans un espace de liberté, de sécurité
et de justice » (idem in article 40).
C’est aussi
l’opinion du Conseil constitutionnel : « La recherche des auteurs
d’infraction est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits de valeur
constitutionnelle ; il appartient au législateur d’assurer la conciliation
entre cet objectif de valeur constitutionnelle et l’exercice des libertés
publiques constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la
liberté individuelle et notamment l’inviolabilité du domicile »[37].
C’est,
enfin, la prescription de l’article 304, CPP, qui exhorte les jurés
citoyens aux assises, notamment à « ne trahir ni les intérêts de l’accusé,
ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime ».
L’article 1er de la loi n° 95-73 du 21 janvier
1995 (réd. L. n° 2001-1062, 15 nov. 2001) reconnaît que
« la sécurité est un droit fondamental » et qu’elle « est une
condition de l’exercice des libertés et de la réduction des inégalités ».
d) On peut d’ailleurs affiner les
intérêts du côté de l’État, en insistant davantage sur la certitude de la
répression que sur sa rapidité ; la sérénité de la Justice peut
s’accommoder de délais de poursuite, d’instruction et de jugement, le tout dans
les limites de la notion de délai raisonnable de la procédure, au sens de la
Convention EDH ; elle ne pourrait survivre, et l’État avec elle, à une
procédure expéditive qui ne respecterait pas les garanties les plus
élémentaires dans la recherche de la preuve et la procédure de jugement. S’il
faut sacrifier l’une des deux exigences que souhaitait déjà Beccaria (certitude
de la peine et rapidité du prononcé de la sanction à compter de la commission
des faits, par opposition, à l’époque, avec la torture et les peines corporelles),
c’est la rapidité qu’il faut placer en second[38]. On peut
ajouter en effet qu’il revient à la police et non pas à la justice, en amont du
procès pénal, d’assurer la protection des citoyens, et au législateur de
prévoir des sanctions appropriées, mais la procédure doit rester juste et
équilibrée : « Le principe du respect des droits de la défense
constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République,
réaffirmés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel
se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 ; il implique,
notamment en matière pénale, l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant
l’équilibre des droits des parties »[39].
On trouvera
des illustrations de ces deux tendances et du mouvement de balancier qu’elles
provoquent dans le chapitre sur l’évolution historique. La légende du marchand
de chevaux Michael Kohlhaas (xve siècle), légende ressuscitée par le génie
littéraire de Kleist en 1805[40], illustre bien
ce besoin de justice et les dangers d’une société qui n’accorde pas à ses
citoyens la protection de leurs droits en tant que victimes d’infractions et
d’exactions.
Procédure pénale,
procédure de garantie d’une bonne justice. En raison de la
gravité des intérêts en jeu pour la personne soupçonnée d’une infraction, la
procédure pénale doit garantir à celle-ci que son éventuelle condamnation est
fiable, c’est-à-dire exempte d’erreur. S’il est toujours possible qu’une
personne soit injustement accusée, mise en examen et renvoyée devant un
tribunal correctionnel ou une cour d’assises, il est indispensable que l’État
organise une procédure lui permettant de faire proclamer, au final, son
innocence. D’où une triple exigence :
1) une
protection de nature législative, sous l’éclairage de nos engagements
internationaux et de nos normes constitutionnelles ; à la différence de la
procédure civile (et même si pour celle-ci cela n’est plus tout à fait vrai),
la procédure pénale relève de l’article 34 de la Constitution et non pas
de l’article 37. Les standards européens et constitutionnels sont
fondamentaux en la matière ;
2) un
régime de preuves permettant d’éviter les erreurs judiciaires et respectueux de
la dignité de la personne humaine[41] ;
3) une
organisation permettant, à tous les stades de la procédure, de s’assurer de
l’indépendance des organes du procès pénal les uns par rapport aux autres et
non pas seulement par rapport aux tiers à l’institution judiciaire [42].
De cette
triple exigence, il résulte une certaine complexité de la procédure pénale, en
laquelle il ne faut pas voir un obstacle à la recherche de la vérité, mais le
souci, à chaque étape du processus pénal, que le dossier qui s’élabore contre
quelqu’un soit constamment soumis au doute de ceux qui sont chargés de s’en
occuper, nonobstant les regards antérieurs qui ont été portés sur l’affaire. Le
doute des acteurs au procès pénal – et ils sont nombreux – est la
meilleure garantie, en pratique, d’une bonne justice. La séparation des
fonctions confiées aux organes de police, d’instruction et de jugement en est
une autre.
III – UNE AUTRE FINALITÉ :
LA JUSTICE RESTAURATIVE
Rapprocher la victime de l’auteur de l’infraction. Dans une idéologie (un
peu naïve et d’origine anglo-saxonne) de rapprochement entre une victime et
l’auteur de l’infraction, la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 les invite à
œuvrer ensemble à la résolution des difficultés résultant de cette infraction,
dans les conditions ainsi définies à l’article 10-1, CPP[43] :
« à
l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y
compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une
infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir
proposer une mesure de justice restaurative.
Constitue
une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi
qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des
difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des
préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut
intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une
information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer.
Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le
contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de
l’administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire
des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de
prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations
relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du
procureur de la République ».
IV – VINGT ANS DE DISCOURS POLITIQUES
SUR LE SENTIMENT D’INSÉCURITÉ
une certaine idée de la sécurité et de la liberté en
france
à travers vingt ans de discours politiques
sur le sentiment d’insécurité
Publié aux mélanges offerts à André Decocq, Litec 2004
Les thèmes de réflexion ne manquent pas pour offrir
une contribution au recueil d’études offert en hommage à notre ami André
Decocq, tant est large la diversité de ses investigations en recherche
fondamentale. Les liens du cœur, depuis la Faculté de droit de Lyon en
septembre 1970, jusqu’à l’université Panthéon-Assas (Paris 2) où nous avons eu
la joie, en ces deux institutions, de travailler ensemble et d’essayer d’œuvrer
pour le bien commun de l’Université, se conjuguent avec l’infini respect pour
celui qui, par son véritable traité de droit pénal paru chez Armand Colin au
début des années soixante-dix, sut toujours mêler pensée et action. C’est un
peu en liaison avec ce mélange de réflexion et d’action que nous avons choisi
de traiter un sujet qui constitue un clin d’œil malicieux au rôle que le Doyen
Decocq joua (avec Jean-Claude Soyer que nous ne pourrions oublier ici) dans la
préparation de ce qui allait devenir la loi « Sécurité et Liberté »
du 2 février 1981. Il faudra attendre vingt ans, neuf mois et treize jours (le
15 novembre 2001), pour qu’un autre gouvernement, sur une autre case de
l’échiquier politique, ose faire voter une loi incluant elle aussi le mot
« sécurité » dans son intitulé (mais sans le mot
« liberté ») et que celle-ci soit reconnue, dans l’article premier
qui la proclame, comme un « droit fondamental » des citoyens,
proclamation d’autant plus forte que le reste de la loi est une succession de
restrictions aux libertés individuelles, à telle point, fait exceptionnel en
droit français répressif, que les nouvelles mesures ne sont applicables que
pour un temps limité (jusqu’au 31 décembre 2003). Ne critiquons pas trop
rapidement ceux qui ont voté cette loi du 15 novembre 2001 car, soumis à la
pression des conséquences sur les esprits des attentats terroristes meurtriers
de New York et Washington, à la conviction qu’une guerre mondiale devait être
enclenchée contre le terrorisme, ils n’ont sans doute pas voulu apparaître
comme des hommes politiques irresponsables, imprégnés de ce que l’on appelle
l’esprit de Munich. Mais il serait naïf de croire que, à cinq mois d’une
élection présidentielle, le thème de l’insécurité intérieure et le souci de se
battre sur ce terrain-là au cours de la campagne qui se profilait à l’horizon
aient été absents de l’esprit de certains ; sinon pourquoi ce qualificatif
de sécurité « quotidienne » pour des dispositions censées répondre à
un danger mondial ? On rejoint ainsi, symboliquement, la question,
centrale, de la perception par le politique de l’insécurité en France depuis
vingt ans ; la loi du 4 mars 2002 réformant, dans un sens restrictif, la
loi du 15 juin 2000 qui, elle, tendait à renforcer la protection de la
présomption d’innocence et les droits des victimes, ne fera que confirmer,
malheureusement, quelques mois plus tard, cette tendance. D’abord niée par
beaucoup, au point de ne parler que de « sentiment d’insécurité »,
l’insécurité va ressurgir brutalement en haut de l’écume, au cours des années
2001 et 2002, comme thème de combat politique, d’invectives réciproques, à un
point tel que certains vont perdre leurs repères idéologiques et s’enfoncer
dans une politique, pour le coup franchement sécuritaire, si l’on donne à ce
mot le sens de liberticide ! Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de
constater, en mettant en contemplation l’une de l’autre la loi du 2 février
1981 et les lois des 15 novembre 2001 et 4 mars 2002, que certains responsables
politiques, en vingt ans, vont passer de la négation de ce que des esprits plus
avertis qu’eux avaient si bien perçu (à savoir qu’il n’existe pas de sécurité
sans liberté), à leur perdition dans une politique liberticide parce que
touchant essentiellement à la procédure pénale, davantage qu’au droit
pénal ; c’est au cœur des dispositions de procédure pénale que l’on juge
de la capacité d’un Etat à être en état de droit, plus qu’au cœur de son droit
pénal général, si l’on veut bien considérer que nul n’a remis en cause en
France les grands principes fondateurs de ce dernier (par exemple, le principe
de légalité). Et les lois des 15 novembre 2001 et 4 mars 2002 sont d’abord et
avant tout des lois de procédure pénale !
Ce que nous avons choisi de traiter, en liaison avec une expérience personnelle
de la vie municipale dans une très grande ville (Lyon), assortie d’une
Communauté urbaine sensible (puisqu’elle comprend sur son territoire le fameux
quartier des Minguettes à Vénissieux et celui du Mas du Taureau à
Vaulx-en-velin), c’est de la perception de l’insécurité, de son évolution plus
précisément, en vingt ans de discours locaux ou nationaux, pour souligner qu’il
faut se garder de tout manichéisme et que les liberticides ne sont pas toujours
du côté où certains les montrent du doigt et que le combat pour les libertés,
dans le cadre de la sécurité de chacun, est un combat quotidien qui dépasse et
devrait dépasser en tout cas, les clivages partisans. En nous retournant vingt
ans en arrière, en consultant nos archives personnelles sur cette vie politique
locale et nationale en matière d’insécurité, nous éprouvons la fierté de ne pas
avoir changé de discours (protection forte des libertés en matière pénale pour
mieux faire accepter la nécessité de la juste répression de ceux qui sont
reconnus coupables d’avoir transgressé la règle sociale) mais aussi l’amer
sentiment qu’il n’est pas bon d’avoir raison trop tôt et que de le dire avec
force, publiquement, à contre-courant d’une certaine idéologie naïve, ne nous
remplit de (tristes) satisfactions (intellectuelles) que vingt ans plus tard.
Nous partirons donc de cette expérience municipale et nationale dans les années
quatre-vingt (I), avant de voir ce qu’est devenue cette perception de
l’insécurité au début du XXIème siècle (II).
I) le sentiment d’insécurité
dans les discours politiques des années quatre-vingt
Face à un contexte d’accroissement de la délinquance dans les années
soixante-dix et, surtout, quatre-vingt (A), la classe politique va se diviser
en deux clans irréductiblement opposés mais recouvrant le clivage traditionnel
« droite/gauche », certains ne parlant que du sentiment d’insécurité
pour mieux nier l’existence de celle-ci, d’autres, plus réalistes, préférant
utiliser une terminologie plus conforme à la réalité vécue sur le terrain (B).
Ce clivage va occulter le vrai débat sur le mariage d’une politique de
prévention avec les nécessités de la répression.
A) le contexte
a) Des statistiques qui traduisent une forte augmentation de la
délinquance
Outre les instruments traditionnels en provenance des Ministères de l’intérieur
et de la Justice, on dispose, pour le début de la période envisagée, d’un très
bon outil de synthèse dans le rapport de la Commission Bonnemaison dont il sera
question plus loin. Ce rapport est honnête ; il donne des chiffres
officiels de la délinquance pour 1981; il ne triche pas au niveau des faits,
soulignant même combien les chiffres ne révèlent qu’une partie de la réalité,
puisque certains actes délictueux ne sont pas comptabilisés dans les
statistiques de la police ou de la gendarmerie : au total 2 890 020 faits
de criminalité, toutes infractions confondues, soit un quadruplement depuis
1963, avec une augmentation annuelle de 8,3%). Surtout, il indique que le taux
de criminalité (c’est à dire le nombre de crimes et de délits commis pour 1000
habitants) a augmenté de 273% entre 1963 et 1981, alors que la population ne
progressait que de 13%. Le rapport insiste déjà sur la répartition inégale sur
le territoire des actes de délinquance, les grandes villes et leurs banlieues
étant les plus touchées, de même que les stations de vacances ; le taux de
criminalité pour 1000 habitants peut ainsi passer de 30 à 137 selon la
ville ; la France, nous dit-on, occupait un rang moyen dans les pays
industrialisés. Ce taux moyen est aujourd’hui (en 2001) de 70 pour mille
habitants.
b) Une législation qui peine à s’adapter à cette évolution
Les années 1970 à 1990 vont être marquées par
l’aspiration à de meilleures garanties des libertés individuelles, mais dans ce
contexte d’accroissement de la délinquance que nous venons d’indiquer et de
répression accrue. Passée en effet, la période d’exception liée à la guerre en
Algérie, l’ordre étant revenu (on notera que les événements de mai 1968 n’ont
pas engendré de réforme importante de la procédure pénale), les réformes, dans
une société qui se modifiait considérablement avec des aspirations à plus de
liberté, mais aussi des violences urbaines plus pesantes, vont être inspirées
par ces deux traits.
1) D’un côté donc, la montée en puissance de la
délinquance et de la violence (dont le film Orange mécanique de Stanley
Kubrick, 1971, n’est que l’expression filmatographique à son paroxysme ;
depuis on “ a fait mieux ” dans l’expression visuelle de la violence
avec les films Kids, Seven[44] et L’appât[45]) et
l’engorgement des juridictions qui en a résulté. L’esprit des lois nouvelles
est donc simple, juger plus rapidement, d’où des procédures simplifiées et des
lois de pure technique procédurale, sans porter un projet global, mais parfois
redoutablement efficaces dans l’objectif de répression poursuivi. Ainsi, de la
loi du 3 janvier 1972 sur la procédure d’ordonnance pénale et l’élargissement
de la procédure d’amende forfaitaire. Ou de la loi du 29 décembre 1972 qui
introduisait le juge unique devant les tribunaux correctionnels pour certaines
infractions ; de la loi du 6 août 1975 élargissant la procédure de
flagrant délit et minimisant les effets de la nullité d’une procédure ; de
la loi du 2 février 1981 (loi dite Sécurité et liberté, plus
conceptualisée que les autres textes de l’époque, sans doute en raison de la
présence, déjà signalée, de deux éminents professeurs de droit pénal, André Decocq
et Jean-Claude Soyer, au sein de la commission chargée de la préparer) et de la
loi du 9 septembre 1986 qui élargissent le domaine des procédures
accélérées. La loi du 2 février 1981 sera très vite abrogée, pour
l’essentiel, par la nouvelle majorité politique issue des élections de mai
1981.
2) Parallèlement, on note la
montée en puissance de l’idée de protection des citoyens contre l’arbitraire
des autorités de poursuite, d’instruction et de jugement. Contrairement à une
idée (fausse) reçue, ce n’est pas exclusivement un pouvoir de gauche qui va
être à l’origine de ces lois. Ainsi, la loi du 17 juillet 1970 qui
s’appelait, intitulé significatif, “ loi tendant à renforcer la
garantie des droit individuels des citoyens ” remplace la détention
préventive par la détention provisoire ; ce n’était pas seulement un clin
d’œil aux libertés, par un simple changement de terminologie ; c’était
aussi la volonté de limiter la détention en la rendant plus exceptionnelle,
d’où l’instauration d’une mesure nouvelle, le contrôle judiciaire ; mais
l’intention du législateur fut dévoyé par certains juges d’instruction plus
répressifs que d’autres qui imposèrent des contrôles judiciaires dans des
hypothèses où la personne concernée aurait été laissée en liberté ; dans
ce cas, il est clair que le contrôle judiciaire “ mordait ” sur la
liberté et non pas sur la détention, ce qui n’était pas l’intention du
législateur. Il faut aussi citer à ce titre de la protection des libertés, mais
sans en donner le détail, les lois du 6 août 1975, 10 juin 1983,
30 décembre 1985, 9 septembre 1986, 30 décembre 1987,
6 juillet 1989 qui, toutes, et le chiffre en est impressionnant ramené à
la période (six en 14 ans), vont réglementer les privations et restrictions
de liberté avant jugement, réglementation qui apparaît ainsi comme le problème
récurrent de cette période.
c) Une politique de prévention de la délinquance qui se dessine
C’est le 28 mai 1982 que le Premier ministre, Monsieur Pierre Mauroy, installe
la Commission des maires sur la sécurité, « chargée de procéder à une
réflexion sur le développement du sentiment d’insécurité » et de faire
des propositions pour l’enrayer. On note immédiatement une contradiction
terminologique forte entre, d’un côté « le développement » de ce que
l’on n’ose pas encore appeler l’insécurité, mais un (simple) sentiment et, de
l’autre, l’incitation à « enrayer » ce sentiment, ce qui est absurde,
mais vise, en réalité, l’insécurité elle-même : on enraye une insécurité,
pas un sentiment ; c’est la crainte d’utiliser des mots qui font peur qui
inspire un tel préambule. Composée de 36 élus locaux, présidée par Monsieur
Gilbert Bonnemaison (qui finira par donner son nom à la commission), lui-même
député-maire d’une commune de la grande banlieue parisienne (Epinay-sur-Seine,
qui sera l’objet d’émeutes liées à la délinquance dans les années
quatre-vingt-dix) la Commission organise toute une série de rencontres
avec des élus locaux, des responsables syndicaux et associatifs, etc.., et le
17 décembre 1982 elle remet son rapport au Premier ministre ; ce rapport
est approuvé en Conseil des ministres le 19 janvier 1983, mais déjà des
réticences se font sentir, révélées au cours d’une réunion, à l’Hôtel Matignon,
le 1er mars 1983, certains départements ministériels réussissant à
faire écarter 12 des 64 propositions de la Commission et à en renvoyer 28
autres pour une étude plus approfondie. Cinq mois plus tard, en juillet 1983,
toujours à Matignon, mais avec un nouveau Premier ministre, Laurent Fabius, les
travaux de la Commission Bonnemaison trouvent leur aboutissement dans la
création et l’installation du Conseil national de prévention de la
délinquance. Nous y étions. A partir de là le discours va, non pas déraper,
cela serait injurieux de le dire pour ceux qui ont cru de bonne foi (et même
avec une foi propre à soulever des montagnes) à ces orientations, mais glisser
vers le seul sentiment d’insécurité, en privilégiant un seul axe, celui
de la prévention.
B) Les discours
a) Déjà, dans le rapport Bonnemaison, l’expression « sentiment
d’insécurité » est omniprésente ; elle fait même l’objet
d’une rubrique statistique à part, sous le thème « les délits qui
créent le sentiment d’insécurité », avec un tableau comparatif des
années 1972, 1980 et 1981. On y trouve, par rubriques clairement identifiées,
les vols de 2 et 4 roues, les vols à la roulotte, avec violence contre les
personnes (sauf les hold-up et vols à main armée), les vols sans violence, les
coups et blessures volontaires, les vols avec entrée par ruse au domicile, la
destruction et la dégradation des biens publics et privés. Bref, l’essentiel de
la délinquance quotidienne, y compris les rodéos de voitures volées puis
incendiées dans les banlieues. A partir de ces chiffres et de cette présentation
axée sur le « sentiment d’insécurité », se développent,
discours officiel, des chapitres sur « les limites de l’appareil
répressif », dont on nous dit qu’il est « trop coûteux »,
avec des tribunaux « débordés », un taux d’élucidation des
vols et cambriolages ridiculement bas (15% contre 70% pour les crimes), des
prisons surpeuplées (cela reste vrai, malheureusement, vingt ans plus tard),
une population « jeune et peu instruite, composée pour un quart
d’étrangers plus sévèrement traités que les Français ». Les 64
propositions, dont on a signalé que certaines seront écartées par les ministres
concernés, se regroupent en cinq thèmes, dont il n’est pas inintéressant, vingt
ans après, de donner un aperçu, pour mieux apprécier « l’ambiance de
l’époque » et les comparer aux problèmes et solutions actuels, qui
demeurent les mêmes. Le thème de « l’environnement social et le cadre
de vie » : politique du logement pour l’essentiel ;
développement des équipements socio-éducatifs ; contrats de sécurité pour
les transports en commun ; association des médias à la prévention de la
délinquance ; accueil des gens du voyage ; politique en faveur des
marginaux ; contrôle des séjours touristiques des étrangers. Le thème de
la protection de la jeunesse : enseignement aux familles des droits et
devoirs de l’homme, écoles à taille humaine, participation communale aux
actions de formation professionnelle de base, opérations été au bénéfice des
jeunes des banlieues. Le thème de la réformation des méthodes de la police :
commissariats plus accueillants, policiers mieux formés, statistiques plus
fiables, priorité à l’ilôtage, adaptation du statut des polices municipales,
réglementation des activités de gardiennage, de ventes et de détention d’armes.
Le thème de la « matière judiciaire », avec une amélioration de
l’apport de la Justice à la prévention, le renforcement des effectifs de
magistrats, la création des travaux d’intérêt général, l’amélioration des aides
aux victimes, la répression plus sévère du recel. Enfin, le thème de
« l’organisation permanente de la prévention », avec la création du
Conseil national de prévention de la délinquance, de Conseils départementaux,
de Conseils communaux, d’un Fonds national de prévention, la participation de
chômeurs à la politique de prévention de la délinquance et, dernière
proposition, « refuser le fatalisme ». On le voit, de bonnes
intentions, mais toutes empreintes d’une idéologie loin des réalités du
terrain, celles que, quelques années plus tard, le cinéaste Bertrand Tavernier,
peu suspect de populisme et de complaisance à l’égard des idées extrémistes,
dénoncera avec brio et courage dans ses films L. 627 et L’appât.
b) Il ne faut point s’étonner dès lors, que tout discours qui
tentait de recadrer la question de l’insécurité sur la réalité de celle-ci et
la nécessité de mixer prévention et répression, tout en respectant les libertés
individuelles, ait été contré et celui qui le tenait traité de fasciste ou
presque ! Le seul fait de dire qu’il ne fallait pas cacher aux Français la
réalité et que mieux valait appeler « un chat un chat » était
considéré comme émanant de quelqu’un qui ne pouvait pas être un humaniste, mais
qui était un sectaire pur et dur, un sécuritaire à tout crin, un nostalgique
des régimes totalitaires ! Dure période, on va le voir par quelques
exemples tirés de notre expérience personnelle d’élu local ; pour cette
raison d’une trop grande personnalisation nous passerons du « nous »
au « je ». J’avais été élu en mars 1983 sur les listes de la majorité
municipale et immédiatement élu adjoint au maire de Lyon chargé de la police
municipale (en fait, pour l’essentiel, les contraventions au stationnement
payant), de la police administrative (relations avec les commerçants, question
des soldes et liquidations) et de « la prévention de la
délinquance ». Il faut dire que la campagne électorale, déjà, s’était
faite sur ce dernier thème pour une bonne part. Ce n’était donc pas un cadeau,
mais le Maire de Lyon et le groupe politique majoritaire auquel j’appartenais avaient
pensé qu’en tant que juriste (et Doyen de la Faculté de droit de ma ville), je
donnais des garanties de sérieux et des gages de sérénité en ce domaine ;
je ne fus pas déçu de mon voyage, pendant six ans, au sein des turbulences
liées au secteur d’activité dont j’avais la charge. Je pris le parti de
réfléchir d’abord et d’agir ensuite.
1) La réflexion se porta au terrain local et au niveau national. Sur ce dernier
point, j’ai donc participé à la création et à l’installation, par le Premier
ministre lui-même, du Conseil national de prévention de la délinquance, en
juillet 1983, à Matignon. Période consensuelle, les maires ou leurs délégués
souhaitant échanger leurs difficultés et leurs expériences. Mais, très vite, le
fonctionnement de cet organisme (le CNPD) va s’enliser dans des structures trop
lourdes ; c’est en tout cas ce que j’ai retenu de cette période : des
commissions de réflexion vont être créées avec, pour chacune, des
sous-commissions, des assemblées générales, des réunions de bureau ou de
formation restreinte, etc. J’avais calculé, qu’à plein régime et en ne
s’intéressant qu’à certaines des actions du CNPD, il me fallait passer la
moitié de chaque semaine à Paris. Je le dis sans vouloir critiquer ceux qui ont
cru bien faire, mais qui ont alourdi le fonctionnement du CNPD et découragé,
dès lors, la réflexion, puis l’action. Est-ce là l’origine des dérapages vers
trop de naïveté ? Je ne peux l’affirmer, mais c’est que je sais, c’est que
beaucoup d’élus ne sont plus venus à Paris participer aux travaux du
CNPD ; ce dernier s’est donc trouvé, très vite, coupé de sa base si j’ose
dire, de ces élus de terrain qui, tous les jours, rencontraient leurs
administrés, les victimes parfois de cette insécurité galopante. C’est ce que
j’ai fait ; après une participation active de 18 mois environ, j’ai arrêté
de me rendre à ces réunions boulimiques en temps, inutiles pour l’action et
insatisfaisantes pour la réflexion.
2) La réflexion se développa aussi au niveau local. Je souhaitais disposer d’un
outil statistique fiable avant de me lancer dans des actions locales. Dix-huit
mois après notre élection, je publiais un « Livre blanc sur la sécurité et
la prévention de la délinquance à Lyon », qui dressait l’état des lieux à
Lyon, agglomération comprise (chapitre 1), en proposait une analyse (chapitre
2) et des réponses (chapitre 3) sous forme d’actions concrètes à engager ;
toutes furent menées à leur terme, mais à quel prix du discours des
opposants ! L’un d’entre eux n’hésita pas à déclarer en conseil
d’arrondissement (pas en conseil municipal tout de même) que « cet
ouvrage était à tendance raciste, rappelant l’idéologie de la Francisque[46]
dont le contenu est inquiétant pour tous les démocrates » ;
heureusement, il n’était guère crédible, ses propres amis l’ayant ensuite exclu
de leur parti politique[47].
Mais on sentait que les passions étaient exacerbées, qu’aborder tous les
problèmes liés à la délinquance dans toutes leurs composantes, y compris dans
les aspects sensibles, comme celui de la nationalité des délinquants,
provoquait des réactions politiciennes, sans aucun rapport avec la réalité que
chaque élu vivait sur le terrain.
A mi-chemin
de l’élection de mars 1983 et de la publication du Livre blanc en décembre
1985, un débat politique eut lieu, pour faire le point en quelque sorte, en
séance publique du Conseil municipal, de la politique de prévention de la
délinquance à Lyon ; c’était le 18 juin 1984 (belle date pour un
gaulliste !). Je m’en souviens encore (et le bulletin officiel municipal
en témoigne) : dénonçant les dérives du mode de fonctionnement du CNPD,
affirmant ma volonté de revenir aux réalités du terrain lyonnais et de
privilégier l’action locale, en créant une commission locale de prévention de
la délinquance ne s’inspirant pas du moule rigide national et en mettant en
place, au sein de la municipalité, vingt postes de travail d’intérêt général
(loi du 10 juin 1984), je terminais ensuite par un exposé idéologique, annoncé
comme tel comme troisième partie de l’intervention et dont je conviens
volontiers aujourd’hui qu’il était plus professoral que politique ;
j’avais voulu être provocateur, j’étais servi, car que n’avais-je pas
dit ! Je m’entendis opposer que mon discours « faisait froid dans
le dos » et qu’avec moi on pouvait bientôt, comme au Chili de
Pinochet, ouvrir les stades pour accueillir, je suppose, les gens que j’aurais
fait arrêter avec ma modeste et bonhomme police municipale ! Bref, j’étais
devenu un fasciste à la tête de brigades policières ! Amalgame facile et
démagogique entre mes responsabilités à la tête de la police municipale (les
infractions au stationnement) et celles liées à la prévention de la
délinquance. Le temps a passé et je n’en veux pas à ceux qui ont dénaturé mes
propos, à preuve, ils ont, depuis, fait amende honorable en reprenant à leur
compte certaines de mes propositions et actions. Ils sont même allés plus loin
que moi (trop loin) dans la voie d’une politique de sécurité dans la ville (cf.
infra, II).
3) Les bases
de l’action étant posées, il fallait agir. Sans entrer dans le détail, pour
l’essentiel, je décidais que la ville de Lyon créerait une commission
municipale de prévention de la délinquance en liaison avec les partenaires
sociaux, les autorités judiciaires[48] et de police et offrirait vingt postes
de travaux d’intérêt général ; c’est moins simple à mettre en place qu’on
ne croit ; il faut convaincre ceux qui vont, au quotidien, travailler avec
les « titulaires » de ces postes, que tout se passera bien, qu’il n’y
aura pas de risque de vol accru et que l’action éducative est essentielle. J’ai
rencontré beaucoup de compréhension, de soutien aussi, de la part des chefs de
direction[49] que j’avais réunis à cet effet et des
employés municipaux concernés. Il y eut aussi la création d’un système de
protection des commerces à haut risque (bijoutiers, fourreurs, etc..) en les
reliant à un réseau de télésurveillance (pour favoriser une action plus
rapide de la police), l’accompagnement des personnes âgées par des bénévoles
pour retirer de l’argent auprès de leur établissement bancaire, l’amélioration
de la sécurité des parkings publics, des piscines et des patinoires, la
création d’un réseau de téléalarme auquel tous les lyonnais pouvaient se
relier, l’installation d’appelés du contingent dans des logements
sociaux, les rencontres mensuelles avec le Préfet de police du Rhône et le
Directeur départemental des polices urbaines pour une meilleure coordination
des actions municipales et de l’État en matière de prévention de la
délinquance, etc..
Le discours était donc celui du réalisme et de l’action. Comment ignorer quand,
chaque semaine on va à la rencontre des gens sur le terrain, que le sentiment
d’insécurité, ça n’existe pas ; ce qui existe, c’est la réalité de
l’insécurité quotidienne. Est-ce pour cette raison que la loi du 15 novembre
2001 va, vingt ans après, reprendre cette formulation ? Peut-être…
II) L’insécurité quotidienne
dans les discours politiques des années deux mille
Les temps ont changé et les discours aussi, radicalement, localement et
nationalement !
A) Sur le plan local, l’expérience lyonnaise, vingt
après ce que je viens de raconter, est entre les mains de l’opposition de mon
époque. C’est la vertu de l’alternance que d’apprendre aux opposants de jadis,
parvenus au pouvoir, d’être réalistes, une fois confrontés aux difficultés de
l’action. Plus de beaux discours, de l’action ! Mais le discours nouveau
(avec un virage à 180 degrés) est présent derrière les actes. Et que
constate-t-on sur ce point ? Le nouveau maire de Lyon, élu en mars 2001,
l’opposant de jadis sur ce terrain-là, s’est converti au réalisme, il le dit et
il le fait : fermeture des piscines au moindre incident (et non plus
politique de prévention par l’action de bénévoles), installation de caméras
vidéo (système de vidéosurveillance) dans les rues de Lyon, non plus seulement
dans les commerces pour ceux qui le souhaitaient, mais dans les rues et places
« sensibles » de Lyon, sans le volontariat, cela va de soi, de ceux
qui sont ainsi filmés dans leur vie quotidienne. Interdiction de la
prostitution et de l’alcool dans les rues du centre-ville (arrêtés du 11 août
2002) : « considérant que des groupes importants de personnes se
réunissent régulièrement dans ces secteurs en consommant de l’alcool, ce qui
entraînent directement des troubles à l’ordre public : rixes,
provocations, nuisances sonores, souillures et bris de bouteilles ;
considérant également que ces regroupements nuisent à la sûreté des piétons, la
consommation d’alcool est interdite, en dehors des endroits prévus pour
cela »[50].
L’action est ainsi inversée par rapport au discours des années quatre-vingt. Et
le discours se veut adapté au renversement des situations ; il n’est plus
question de sentiment d’insécurité, mais d’insécurité tout court et elle est
traitée comme telle ; le dossier sécurité est devenu un dossier
prioritaire pour la nouvelle équipe municipale, entraînée sur ce point par son
maire, peut-être plus loin que certains, dans son équipe, ne l’auraient
souhaité et qui avaient voté contre les mesures prises aujourd’hui lorsqu’ils
étaient hier dans l’opposition. Entendons-nous bien, il ne s’agit nullement de
critiquer ce revirement, mais de relativiser les oppositions de principe qui
avaient pu s’exacerber dans un passé récent ; les hommes ne sont pas
toujours aussi éloignés les uns des autres qu’ils le croient. A preuve, les
propos tenus le 10 décembre 2002, sur Europe 1, en réponse aux questions de
Jean-Pierre Elkabach par Monsieur Gérard Collomb, le nouveau maire de Lyon
(l’opposant de jadis), au lendemain de l’intervention du Ministre de
l’Intérieur, Monsieur Nicolas Sarkozy, à la télévision ; il déclare
approuver totalement la politique « d’autorité et de fermeté » du
Ministre et que toutes les mesures prises sur le plan de la sécurité vont dans
le bon sens. Voilà un rapprochement significatif, venant de celui qui
stigmatisait toute politique dite « sécuritaire ».
Même pratique à Paris où la nouvelle municipalité issue des élections de
2001 a mis en place un système d’accompagnement des personnes âgées de leur
domicile à leur établissement bancaire, par des inspecteurs de sécurité, comme
je l’avais fait à Lyon il y a vingt ans (près de 1200 accompagnements en 2001).
Même pratique encore dans 185 communes à la date de décembre 2002 pour
l’équipement des rues en système de vidéosurveillance, avec des caméras ultra
perfectionnées, permettant parfois des zooms à 300 mètres et des balayages de
180 degrés, pour un coût non négligeable d’environ 12 000 euros par caméra.
Certains se souviennent le tollé qu’avait provoqué l’initiative du maire de
Levallois-Perret en 1994, la première du genre en France. Il est vrai
qu’aujourd’hui, une loi de 1995 a instaurer des garde-fous : autorisation
préfectorale, droit d’accès du public aux bandes vidéo conservées au plus un
mois, etc.
Même discours dans les Yvelines et à
Mulhouse en novembre 2002 : le délégué régional du syndicat de la
magistrature pour le département cité déclare que son syndicat « est à
côté de la plaque en continuant de croire qu’il s’agit plus d’un sentiment que
d’une réalité »[51].
A Mulhouse, c’est le maire socialiste de la ville qui apporte son soutien
« républicain » au Ministre de l’intérieur en novembre 2002[52].
Mais il va plus loin, puisqu’il déclare vouloir militer en faveur d’un pacte
républicain sur la sécurité qui fait, selon lui, l’objet « d’un autisme
idéologique chez les uns et d’une surenchère sécuritaire chez les autres ».
Et d’ajouter, « s’il n’y a pas de risque de sanction, toute prévention
est inutile ». On a ainsi, en deux phrases, l’essentiel du vieux
discours sur le sentiment d’insécurité qui s’effondre : d’une part,
l’opposition prévention et répression, d’autre part, le manichéisme primaire
des sécuritaires d’un côté et des idéologues libertaires de l’autre. Et c’est
heureux. On aura bientôt un autre regard sur les lois qui se sont succédé sur
le thème de la sécurité depuis plus de vingt ans, un regard objectif et l’on se
rendra compte, peut-être, que les lois dites sécuritaires, l’étaient moins que
ce que l’on a prétendu et que les lois laxistes ne l’étaient pas. Il n’y avait que
la bonne volonté des uns et des autres de répondre à une situation de crise
sans précédent ou de ne pas sacrifier les libertés de l’autre ; le seul
problème, c’est que ces volontés contraires ne se rencontraient pas :
chacune avait raison à son époque, dans l’instant, séparément ; les uns
privilégiaient la sécurité et la répression, les autres favorisaient la liberté
et la prévention. La vérité est sans doute entre les deux.
B) Au plan national, les choses changent aussi. Le temps n’est plus aux
discours, tout au moins chez certains hommes politiques, qui dénonçaient « l’exploitation
de la violence » ou « les dérives sécuritaires » de
l’autre camp. Chacun commence par prendre conscience que la sécurité est la
première liberté des citoyens et que l’insécurité frappe d’abord les plus
pauvres, les plus mal logés, les plus défavorisés par la vie. La réflexion
laisse la place à l’action et les discours se font moins angéliques : « la
plupart de ceux qui s’expriment sur la question ne la connaissent pas » ;
ou encore : ne parlons plus « par euphémisme, d’incivilité en nous
cachant derrière des mots anodins ou utilisés à mauvais escient »[53].
a) Quelques morceaux choisis
illustrent ce changement
1) Ainsi, au moment des débats sur
les textes qui allaient devenir les loi du 29 août 2002 (sur la police) et du 9
septembre 2002 (sur la justice), on a pu entendre certains membres de la
nouvelle opposition, peu connus jusqu’ici pour leurs idées sécuritaires, c’est
le moins que l’on puisse dire, s’exprimer ainsi : « oui, je suis
sécuritaire »[54].
Et d’ajouter : « longtemps, les marxistes ont considéré que les
conditions de vie déterminaient le passage à la délinquance ; en clair que
si on devient délinquant, c’est la faute à la société; j’ai la prétention de
croire qu’un délinquant c’est un délinquant, choisir d’être délinquant, c’est
une responsabilité et non une fatalité ». Lorsqu’une telle affirmation
était faite, il y a vingt ans, par quelqu’un qui n’était pas classé sur la même
case de l’échiquier politique, il était immédiatement accusé d’être un
extrémiste (de droite, bien sûr !), voire un fasciste. La phrase qui vient
d’être citée, pratiquement copie conforme de la partie
« idéologique » de mon intervention au Conseil municipal de Lyon le
18 juin 1984, ne fait que confirmer une évolution nettement discernable pendant
la campagne de l’élection présidentielle, tout au moins chez certains des
dirigeants politiques, évolution qui avait commencé par l’aveu de l’un des
candidats à cette élection de sa « naïveté » en ce domaine
pendant des années. Et qui se poursuit aujourd’hui par cet autre aveu d’un
sénateur communiste, en novembre 2002 : « la lutte contre
l’insécurité, qui touche au premier plan les populations les plus démunies et
aggrave leurs difficultés de vie, est devenue une priorité qu’il convient de
prendre très au sérieux »[55].
C’est exactement ce que je disais, avec d’autres, il y a vingt ans et qui nous
valaient d’être diabolisés ! Qui songerait à diaboliser ce sénateur ?
2) D’autres vont encore plus loin
(trop peut-être) et font des déclarations impensables il y a vingt ans et il y
a quelques années encore, dans la bouche de responsables socialistes ;
c’est un ancien ministre socialiste qui s’exprime ainsi : « la
surdélinquance immigrée est une réalité française »[56].
Le père Christian Delorme, celui que l’on a appelé le « curé des
Minguettes » (quartier « chaud » de l’agglomération lyonnaise)
et qui avait organisé, il y a vingt ans (en 1983), la marche sur Paris des
jeunes issus de l’immigration dans la perspective de leur meilleure intégration
et d’un dialogue entre l’islam et la chrétienté[57],
s’exprime ainsi en décembre 2002 : « aujourd’hui, il faut savoir
reconnaître la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration. J’avoue que
pendant des années je me suis voilé la face sur le problème de la
surdélinquance car j’ai toujours tendance à porter un regard bienveillant sur
les gens. Mais aimer les gens, c’est aussi savoir porter un regard plus lucide
sur eux »[58].
En février 2003, il ajoute, dans les colonnes du Monde : « là
où l’Union des jeunes musulmans est présente on constate un durcissement des
identités religieuses que d’autres peuvent exploiter, alors que l’UJM n’a pas
un discours d’enfermement identitaire »[59].Et
le maire (socialiste) de Lyon, celui-là même qui, il y a vingt ans, se montrait
sourcilleux sur la politique de la Ville en matière de prévention de la
délinquance, sur les déclarations du jeune adjoint en charge de ces questions
et sur ce lien statistique ainsi établi entre l’immigration et la délinquance
(tout au moins à s’en tenir, avec prudence, aux seuls chiffres de la population
carcérale des prisons lyonnaises) déclare aujourd’hui : « ma
politique de promotion des Français d’origine immigrée est compromise :
les arrivants font replonger tout le monde »[60].
Il faut espérer que les hommes politiques convertis aux bienfaits d’une vraie
politique de la sécurité dans leurs villes dont ils sont les maires, ni
sécuritaires, ni laxistes ou naïfs, sauront s’arrêter de glisser sur cette pente
dangereuse des idées qui deviendraient vite exécrables par les relents de
racisme qu’elles colportent et sous-tendent, sinon chez ceux qui les
prononcent, tout au moins chez ceux qui les écoutent et les reçoivent et qui
seraient prompts à les prendre au pied de la lettre. Car chacun sait bien qu’en
matière de lien entre l’immigration et la délinquance, il faut être
prudent : les chiffres (réels et tragiquement parlant) doivent être soumis
à la critique, c’est à dire passés au crible du critère « toutes choses
sont-elles égales par ailleurs ? », quelles sont les causes de cette
situation ? Un seul exemple : les bandes de délinquants qui brûlent
les voitures dans les cités sont très souvent mixtes ; il n’y a pas de
frontières ethniques à la délinquance en bandes organisées ; tous les
policiers, tous les élus, tous les travailleurs sociaux, tous ceux qui visitent
régulièrement les prisons (et je l’ai fait pendant six ans, étant membre de la
Commission des (tristes et lugubres) prisons de Lyon) le savent.
3) Dans le journal Libération du 9 décembre 2002, un magistrat, Didier
Peyrat, qui avait été chargé d’établir un rapport sur la sécurité dans le
logement social par Madame Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d’Etat au
logement dans le gouvernement Jospin, en février 2000, écrit : « ne
pas nier les effets de l’insécurité » et insiste sur la souffrance des
populations défavorisées par rapport au phénomène de la délinquance
urbaine ; il dénonce par ailleurs le discours du Syndicat de la
magistrature de novembre 2002[61]
qui n’aurait pas changé depuis des lustres et qui traduirait une méconnaissance
totale du phénomène de l’insécurité : « il existe une réthorique
antisécuritaire, avec son prêt-à-penser, ses réflexes, ses signes de
connivence, ses postulats. Le dernier congrès du SM vient d’en rappeler les
axiomes de base… ». Et il poursuit : « le compte à
rebours a commencé : il reste quatre ans à la gauche pour se débarrasser
de la sécuriphobie, machine infernale faite pour gonfler les rangs des
sécuritaires et fabriquer ses défaites futures ». Enfin, « la
victimation des gens ordinaires, c’est le point aveugle du discours
sécuriphobe ». En fait, - et c’est ce que je dis depuis vingt ans – ce
discours sécuriphobe creuse le lit de l’extrémisme.
4) En janvier 2003, lors de la discussion du projet de loi sur la sécurité
intérieure présenté par Monsieur Nicolas Sarkozy, Ministre de l’intérieur,
« les socialistes assument un discours sécuritaire » lit-on en tête
d’un article du journal Le Monde, pour « retrouver la confiance
des Français »[62].
L’inflexion n’est pas démentie côté socialiste, si l’on en juge par quelques
unes des déclarations des députés socialistes : « la seule chose
que nous voudrions sortir de ce débat, c’est que l’on ne nous fasse pas le
procès de ne pas nous intéresser à la sécurité »[63].
Ou encore : « nous n’acceptons pas que l’on nous reconduise dix
ans en arrière, quand le discours, chez nous, était que l’insécurité ne serait
que la cause de situations exogènes, sociales. Agir pour la sécurité est une
nécessité. L’insécurité, parce qu’elle remet en cause le lien social, est
inacceptable. Punir, ordre, norme, règles, ce ne sont pas des mots
tabous »[64].
Et le même député, maire d’Evry dans l’Essonne, d’ajouter : « nous
ne pensons pas que les délinquants sont d’abord des victimes. Dire cela serait
un terrible moyen de démotiver ceux voulant s’en sortir honnêtement et
constituerait une insulte pour les véritables victimes » ; mais
le même orateur ajoute « qu’agir pour la sécurité pour répondre à la
crise sociale n’est pas suffisant ; il faut donner la priorité à
l’éducation, la rénovation de l’habitat », sans doute pour atténuer
ses propos qui traduisent tout de même un virage à 180 degrés ! Virage
confirmé par la déclaration, le 15 janvier 2003 de l’ancienne Garde des Sceaux,
Marylise Lebranchu : « nous n’avons aucune religion de la
non-sanction. Je suis de ceux qui pensent que la sanction est la seule façon
d’être reconnu digne d’une réinsertion »[65].
b) En contre-point, le ministre de
la Justice déclare en novembre 2002, devant les élus locaux de l’Association des maires
de France, qu’il veut relancer la politique des travaux d’intérêt
général : « « je suis personnellement très convaincu de
l’intérêt de la peine de travail d’intérêt général… C’est à travers les
communes qu’on peut développer ce type de peine, qui est beaucoup plus
pédagogique, qui a beaucoup plus de sens, au fond, que l’enfermement et qui
peut être extrêmement positif »[66].
Il y a fort à parier que les
opposants d’il y a vingt au projet de loi « sécurité et liberté », le
trouveraient aujourd’hui anodin ! Le changement de philosophie pénale de
certains est total. La caricature des deux grandes approches de la délinquance
(sécuritaire et libertaire) appartient peut-être à un temps révolu, même si
certains préfèrent encore utiliser les mots « réponse » ou
« sanction » plutôt que ceux de « répression » ou de
« condamnation ». C’est à peut près tout ce qu’il reste de la rupture
idéologique d’il y a vingt ans. Peut-être est-il temps aussi de rappeler les
principes directeurs de toute politique pénale et qu’énonçait ce grand juriste
milanais que fut Beccaria : certitude et rapidité de la peine dans son prononcé
et son exécution, mais respect des principes fondamentaux de la procédure,
notamment des droits de la défense. Il ne faudrait pas que le rapprochement des
deux philosophies pénales, plus exactement des deux types de réponses à la
délinquance, prévention et répression, sous la pression des événements qui se
déroulent essentiellement dans les banlieues des grandes agglomérations (mais
aussi au niveau mondial par les actions terroristes), se fasse au détriment de
la protection des libertés et droits fondamentaux, auxquels nous sommes, pour
notre part, tant attaché. Nous aurons toujours besoin de sécurité et de
liberté, mais la seconde citée doit préserver les droits de ceux qui ont
transgressé les règles de vie en société.
V – QUEL JUGE DES LIBERTÉS ? ADMINISTRATIF
OU JUDICIAIRE ?
L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle (article 66 de la Constitution)
Sens de l'article 6. Dans toutes les démocraties il
semble naturel que le juge soit un défenseur de la liberté[67]. Mais quel
juge ?
a) L’article 66 de la Constitution de 1958 énonce que
« nul ne peut être arbitrairement détenu (al. 1). L’autorité judiciaire,
gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les
conditions prévues par la loi (al. 2) ». Historiquement, l’article 66
de la Constitution procède de la volonté de Marcel Waline d’introduire une
procédure d’habeas corpus dans le Préambule de la Constitution pour protéger
les personnes contre les détentions abusives ; finalement non retenue par
le Comité consultatif de 1958, bien qu’il en adoptât le principe, l’idée
fut reprise dans le titre VIII, mais pour affirmer l’indépendance de la
magistrature judiciaire dans la protection des droits et libertés, sans
procédure d’habeas corpus[68]. Des deux principes proclamés par
l’article 66 (interdiction de toute détention arbitraire ; autorité
judiciaire, gardienne de la liberté individuelle), le second traduit bien, nous
semble-t-il, l’esprit qui devrait inspirer le législateur en matière de
procédure pénale, mais aussi ceux (les juges) qui sont chargés de la mettre en
œuvre : la liberté doit être garantie même pour les pires délinquants, non
pas qu’il s’agisse de les laisser en liberté, mais les conditions de leur
arrestation et de leur détention doivent être respectueuses des droits et
libertés fondamentaux.
b) La loi n° 2000-516 du
15 juin 2000, renforçant la protection de la présomption d’innocence et
les droits des victimes, crée un article préliminaire dans le Code de procédure
pénale, dont deux paragraphes assurent la prééminence de l’autorité
judiciaire :
– le premier
(2) concerne les victimes : « L’autorité judiciaire veille à
l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute
procédure » ;
– le second (3, al. 3) énonce que « les
mesures de contrainte dont cette personne [celle qui est suspectée ou
poursuivie] peut faire l’objet sont prises sur décision ou sous le contrôle
effectif de l’autorité judiciaire ». Malgré l’imprécision du texte, cette
intervention ne peut être que celle d’un juge, conformément à la jurisprudence
du Conseil constitutionnel (déc. 16 juill. 1996,
n° 96-377 DC, Perquisitions de nuit.
c) Le juge pénal est concerné au
premier chef par la disposition de l’article 66, même s’il ne l’est pas
exclusivement (on songe au juge civil des référés). Compétence renforcée par la
disposition de l’article 136, al. 3, CPP : « Dans les cas
visés aux deux alinéas précédents [inobservation des formalités prescrites pour
les mandats de comparution, d’amener, de dépôt et d’arrêt ; toute
violation des mesures protectrices de la liberté individuelle] et dans tous les
cas d’atteinte à la liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé
par l’autorité administrative et les tribunaux de l’ordre judiciaire sont
toujours exclusivement compétents ». En clair, le juge judiciaire est toujours
compétent que l’atteinte portée à la liberté individuelle soit le fait d’un
particulier ou d’une autorité publique. On se souvient que le Conseil
constitutionnel n’admet le pouvoir de répression d’autorités administratives
qu’en dehors des peines privatives de liberté. S’il n’est pas question ici
d’entreprendre l’étude complète de l’article 66 de la Constitution, il
convient néanmoins d’en marquer la portée au regard de la procédure pénale et
du pouvoir de répression du juge judiciaire pénal, ce dernier étant concerné au
premier chef par cette disposition[69].
Portée de
l’article 66. L’article
66 n’interdit pas toute privation de liberté et, à juste titre, le Conseil
constitutionnel considère que « la liberté individuelle ne saurait être
entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire »[70] ; a contrario, seul l’arbitraire
est proscrit. Afin de garantir l’effectivité de cette disposition, la privation
de liberté est donc encadrée par la reconnaissance d’une compétence de
l’autorité judiciaire en la matière. Mais la rédaction en deux alinéas
distincts de l’article 66 semble indiquer que c’est « en tant que »
gardienne de la liberté individuelle que l’autorité judiciaire reçoit, en 1958,
une compétence supplémentaire en matière de détention arbitraire, sans que
cette compétence soit générale et exclusive, sans qu’un autre juge (le juge
administratif) soit exclu[71] ; en d’autres termes, il n’y a pas
deux principes autonomes dans l’article 66, celui de la prohibition de toute arrestation
arbitraire et celui d’une autorité judiciaire gardienne exclusive de la liberté
individuelle au-delà des cas d’arrestation arbitraire ; cette compétence
exclusive ne vaut que pour les arrestations arbitraires. Cette place pour un
autre juge constitue la pierre angulaire du débat aujourd’hui, suite à la
jurisprudence du Conseil constitutionnel[72]. Un bref rappel historique de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel est ici nécessaire, construit à partir
de quatre applications de l’article 66 où l’autorité judiciaire a tantôt été
confortée dans son exclusivité, tantôt été écartée au profit de la compétence
du juge administratif. Par ailleurs, la jurisprudence du Tribunal des conflits
quant au contrôle par le juge judiciaire de la légalité d’un acte administratif
susceptible de porter atteinte à la liberté individuelle au sens de
l’article 66 conduit à procéder à une distinction selon qu’il s’agit du juge
civil ou du juge pénal : si la plénitude de juridiction du second est
assurée, ce n’est pas le cas pour le premier ; cet aspect dépassant le
cadre de la procédure pénale, nous ne le traiterons pas ici (V. toutefois les
deux premières éditions de ce précis, ce numéro 16).
1) À propos de la distinction entre la police administrative et la
police judiciaire, le Conseil
constitutionnel a d’abord entendu dans un sens très extensif la notion de
liberté individuelle, à tel point qu’elle a largement dépassé le cadre de la
seule protection contre les détentions arbitraires (la sûreté) et même de la
procédure pénale, pour l’étendre aux fouilles des véhicules. Dès le 12 janvier 1977 en effet, le Conseil
constitutionnel érigeait la protection de la liberté individuelle en
« principe fondamental reconnu par les lois de la République » et
affirmait que, « porte atteinte à cette liberté, la loi conférant aux OPJ
et APJ (sur ordre des premiers) le pouvoir de procéder à la fouille de tout
véhicule, dès lors qu’il suffisait que ce véhicule se trouve sur une voie
ouverte à la circulation publique, que la fouille ait lieu en présence du
propriétaire ou du conducteur, sans qu’il soit nécessaire qu’une infraction ait
été commise et qu’il y ait une menace d’atteinte à l’ordre public »[73]. La sûreté,
au sens d’absence de détention arbitraire, n’est pas ici en cause puisque
l’automobiliste qui aurait subi la fouille de son véhicule dans les conditions
de la loi censurée par le Conseil ne risquait pas un internement
arbitraire ; pour autant, il y a atteinte à sa liberté individuelle. Cette
nécessaire protection de la liberté individuelle par l’autorité judiciaire dans
le cadre des fouilles de véhicules sera confirmée vingt-deux ans plus tard dans
la décision du 18 janvier 1995[74] :
« s’agissant d’opérations qui mettent en cause la liberté individuelle
[les opérations de fouille de véhicules afin d’y découvrir et de saisir des
armes prohibées] l’autorisation d’y procéder doit être donnée par
l’autorisation judiciaire, gardienne de cette liberté en vertu de
l’article 66 de la Constitution ».
Mais, depuis sa décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999 (loi
sur la sécurité routière), le Conseil constitutionnel ne fait plus entrer
toutes les dimensions de la liberté personnelle dans celle de
« liberté individuelle » au sens de l’article 66 et a
progressivement détaché de la notion de liberté individuelle, des pans entiers
des libertés personnelles : ainsi, dans sa décision n° 2005-532 DC du
19 janvier 2006, il distingue entre la liberté individuelle « au sens
de l’article 66 de la Constitution » et les autres libertés protégées
par d’autres normes constitutionnelles (DDHC, art. 2 et 4) :
seule la première relève de la compétence exclusive du juge judiciaire, alors
que le respect des autres libertés (liberté d’aller et venir, respect de la vie
privée) peut être contrôlé tant par le juge administratif que par le juge
judiciaire. Avec cette conception étroite de la liberté individuelle, seules
les opérations de police judiciaire relèvent du champ d’application de
l’article 66, puisqu’elles seules sont exercées dans un but répressif,
pouvant conduire à la détention ou à la rétention d’un individu. En revanche,
les opérations de police administrative qui se rattachent à la protection de
l’ordre public pour faire cesser un trouble déjà né (fût-il constitutif d’infraction)
et à la prévention des infractions et non pas à leur répression, mais qui
n’impliquent ni rétention, ni détention (mais elles peuvent affecter la liberté
d’aller et venir, la vie privée) n’entrent pas dans la liberté individuelle au
sens de l’article 66 de la Constitution. Il en est de même de la procédure
de réquisition d’office des données techniques de connexion et du dispositif de
contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules, qui ne sauraient
porter atteinte « par leur nature même à la liberté individuelle au sens
de l’article 66 »[75]. Même
interprétation pour les mesures pouvant faire l’objet d’une transaction[76].
L’inviolabilité du domicile est désormais rattachée au respect de la vie privée[77]. Il s’agit d’éviter que le juge
judiciaire ne soit en permanence requis dans la conduite d’opérations
administratives.
Cette
« reconstruction » de l’article 66 par le Conseil constitutionnel a
été confirmée dans le contexte douloureux et exceptionnel de l’application de
l’état d’urgence que connaît la France depuis les attentats du 13 novembre
2015. La loi n° 2015-1501 du 20 novembre a en effet modifié la loi de 1955
relative à l’état d’urgence pour conférer aux autorités administratives de
nouveaux pouvoirs qui, en germe, portent atteinte aux libertés, dont seul le
juge administratif devient alors le gardien. Le Conseil constitutionnel n’a pas
censuré ce régime d’exception, rappelant sa jurisprudence inaugurée le 16 juin
1999 que les pouvoirs confiés à l’administration par la loi de 1955 ne
relevaient pas d’une privation de liberté susceptible de conduire à
l’application de l’article 66 de la Constitution. L’assignation à résidence
notamment, qui peut être prononcée à l’encontre de toute personne pour laquelle
« il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une
menace pour la sécurité et l'ordre publics » constitue une mesure qui
relève de la seule police administrative ; ainsi, dans la limite des douze
heures d’astreinte par jour à domicile, l’assignation à résidence n’est pas une
mesure privative de liberté et échappe, en ce sens, aux exigences de l’article
66 de la Constitution[78].
Disons-le
tout net : sous la pression des attentats qui ont frappé la France en
janvier, puis en novembre 2015, l’opinion publique, en tout cas l’idée que s’en
fait la représentation nationale, a poussé le gouvernement à proposer un autre
projet, cette fois de réforme de la procédure pénale qui confirme la tendance à
effriter la compétence du juge judiciaire au bénéfice du juge administratif,
au-delà même de l’état d’urgence décrété, y compris pour les perquisitions ou
assignations à résidence.
2) Application
au prononcé d’une peine privative de liberté. C’est la même idée que seul
le juge judiciaire protège la liberté individuelle qui est à l’origine de
la décision du 22 novembre 1978, qui réserve (implicitement, mais d’une
façon certaine) le prononcé d’une peine privative de liberté aux juridictions
judiciaires ; après avoir opéré une distinction « par nature »
entre « les décisions relatives aux modalités d’exécution des
peines » et les décisions « par lesquelles celles-ci sont prononcées »
(consid. 5), le Conseil affirme « qu’aucun principe… n’exclut que les
modalités d’exécution des peines privatives de liberté soient décidées par des
autorités autres que les juridictions », ce qui, a contrario,
assoit la compétence exclusive du juge judiciaire pour prononcer la peine
privative de liberté (consid. 6). La décision apporte une autre
contribution à la procédure pénale : en reconnaissant que la chambre
d’accusation, organe d’instruction du procès pénal, peut valablement intervenir
dans l’exécution des peines, elle laisse entendre qu’il ne peut y avoir de
confusion, en revanche, entre la fonction d’instruction et celle de
jugement (consid. 8)[79].
3) Application
à la garde à vue (D. 19 et 20 janv. 1981), seule
l’intervention d’un magistrat du siège peut autoriser sa prolongation,
« conformément aux dispositions de l’article 66 », mais
« aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n’exige que ce
magistrat ait la qualité de juge d’instruction ». On pourrait même
ajouter, sans perfidie, que le juge d’instruction n’est pas le mieux placé, au
regard de la liberté individuelle, pour accorder cette prorogation, dans la
mesure où, sa fonction le conduisant à réunir des charges contre le gardé à
vue, il n’est pas très disposé à regarder la non-prolongation comme une mesure
satisfaisante[80] !
4) Application
aux visites, perquisitions et saisies de nuit dans le cas où un crime ou un
délit est susceptible d’être qualifié d’acte de terrorisme Se rattache
également à l’article 66 de la Constitution, la décision précitée du
16 juillet 1996[81] par laquelle
le Conseil considère « qu’eu égard aux exigences de l’ordre public, le
législateur peut prévoir la possibilité d’opérer des visites, perquisitions et
saisies de nuit dans le cas où un crime ou un délit susceptible d’être qualifié
d’acte de terrorisme est en train de se commettre ou vient de se commettre, à
condition que l’autorisation de procéder auxdites opérations émane de
l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle et que le déroulement
des mesures autorisées soit assorti de garanties procédurales
appropriées » (consid. 17) ; le Conseil opère ensuite une
distinction entre les autorités judiciaires : le président du TGI ou son
délégué, magistrats du siège, constitue cette autorité compétente en offrant
les garanties de protection de la liberté individuelle, d’autant plus que la
décision d’autorisation de ces visites, perquisitions et saisies doit être
écrite, motivée, et que le contrôle de ces mesures est confié à la même autorité
qui les a autorisées, etc. (consid. 17). En revanche, le procureur de la
République pour l’enquête préliminaire, pas plus que le juge d’instruction pour
la phase de l’instruction préparatoire, ne trouvent grâce aux yeux du Conseil
pour autoriser de telles mesures : pour le premier, parce que le
déroulement et les modalités de l’enquête préliminaire sont laissés à sa
discrétion, sans que le législateur ait prévu de limitation dans le temps et de
lieu ; pour le second, et la motivation a une portée qui dépasse le cadre
de la perquisition parce que « dans l’instruction préparatoire, l’autorité
déjà investie de la charge de celle-ci se voit en outre attribuer les pouvoirs
d’autoriser, de diriger et de contrôler les opérations en cause ». Dans
les deux cas, ces considérations sont « de nature à entraîner des
atteintes excessives à la liberté individuelle » (consid. 18). On ne
saurait mieux que le Conseil dire combien l’institution du juge d’instruction
pose problème dans le principe même de son existence, question que nous
retrouverons avec l’étude de son rôle et que la loi du 15 juin 2000 a
contribué à clarifier en lui retirant le droit de placer une personne en
détention provisoire (sauf à la maintenir en pareille détention lorsqu’il rend
son ordonnance de règlement du dossier).
5) Enfin,
le Conseil constitutionnel confère un rôle important à l’autorité judiciaire
dans le cadre de l’application de la législation relative à la rétention de
sûreté[82].
VI – LE CONTENTIEUX ROUTIER, EXEMPLE
D’UNE DIFFICILE CONCILIATION ENTRE RÉPRESSION ET GESTION DES FLUX
L’impossible réforme du
contentieux routier ?
velleités de
déjudiciarisation
et enjeux d’une politique
publique de sécurité routière
Publié aux mélanges en
l'honneur de christine lazerges, 2014
La commission de réflexion et de
propositions sur la réorganisation des contentieux et d’éventuelles
déjudiciarisations, installée le 18 janvier 2008 par la Ministre de la Justice
et qui a rendu son rapport le 30 juin de la même année[83], n’avait pas comme souci principal de
réformer le contentieux routier, encore que l’objectif figurât expressément
dans la lettre de mission de la Ministre, assez attentive aux questions
pénales, dans un souci de plus grande célérité et d’évitement du juge. La
question de l’autorité habilitée à prononcer (plus exactement à constater) un
divorce par consentement mutuel que certains avaient proposé de transférer aux
notaires, celle de l’existence même des juridictions de proximité dont certains
membres de la Commission voulaient la disparition pure et simple et immédiate,
accompagnée de celle des juges du même nom, celle enfin – pour ne prendre que
des exemples peu consensuels – de l’autorité habilitée à traiter des demandes
d’injonctions de payer, étaient autrement plus importantes que celle de la
réforme du contentieux routier ! Mais comme il nous a été demandé par les
responsables scientifiques des Mélanges[84] offerts à notre camarade de concours,
collègue de terre africaine (respectivement Abidjan et Dakar) puis parisienne
(Paris 1 et Paris 2 et le Conseil national des universités), engagée comme nous
en politique, notamment sur les questions de sécurité et de prévention de la
délinquance (1983-1989[85]) et néanmoins, malgré tout cela ou à
cause de cela, amie de près de quarante ans, de traiter d’une question pouvant
donner lieu à une réforme, il nous a semblé intéressant de reprendre ici les
travaux de la Commission qui porte désormais notre nom (alors que son travail
et le rapport qui en est résulté sont collectifs) pour éclairer les difficultés
à réformer la France, notamment dans le domaine de la Justice et de la
procédure pénale.
La sécurité routière constitue un
enjeu majeur de politique publique. L’enseignant en droit des assurances que
nous avons été dès 1973, sur l’assurance automobile précisément, a très tôt
dans sa carrière été sensibilisé aux drames humains et au coût financier de ces
accidents qui sont parfois provoqués par des comportements à la limite de
l’homicide volontaire, même si, juridiquement parlant, ils relèvent de la
qualification d’homicide involontaire. Heureusement, depuis 2002, date à
laquelle la sécurité routière a été décrétée grande cause nationale par le
Président jacques Chirac, le nombre de personnes tuées a considérablement
chuté, passant de 8000 à 3970 en 2011 et, sans doute entre 3600 et 3700 pour
l’année 2012, à la date d’écriture de cette contribution. Cette baisse,
d’autant plus considérable si on la rapporte à l’évolution, à la hausse, du
nombre de kilomètres parcourus par l’ensemble des automobilistes sur les routes
de France, a son pendant dans l’augmentation exponentielle de ce contentieux
qui constitue aujourd’hui le premier contentieux pénal en terme quantitatif,
bien qu’en pourcentage du total des délits et infractions de 5ème
classe, sa part diminue depuis cinq ans, parce que la progression des autres
délits est plus forte : 43% en 2006, 41% en 2010 (255 448 sur
626 241)[86] et 39,6% en 2011 (266 397 sur
672 085)[87] ; en 2010, derniers chiffres connus
en détail, les 255 448 condamnations pour des infractions routières (hors
infractions en matière de transport) se répartissaient en 240 454 pour des
délits et 14 994 pour des contraventions de cinquième classe. C’est dire
combien la tentation de déjudiciariser ce contentieux est forte, dans l’espoir,
sans doute illusoire, que la répression serait plus sévère et que les juges
pourraient s’occuper (si j’ose écrire) à d’autres tâches, entendez réprimer les
infractions commises par les « vrais » délinquants…
Sans attendre une éventuelle
déjudiciarisation, cette prégnance des infractions routières a profondément
contribué à la mise en place de procédures pénales simplifiées adaptées à ce
contentieux, pour répondre à l’objectif de célérité. Mécanismes validés par la
Cour européenne des droits de l’homme sous l’angle du droit à un juge dans la
procédure de consignation obligatoire de l’article 529-10 du code de procédure
pénale : cette exigence de « payer pour voir le juge » n’emporte
pas, selon cette juridiction, violation du droit d’accès à un tribunal garanti
par l’article 6 de la Convention européenne[88] ; il est indéniable que la Cour a
été sensible au caractère massif de ce contentieux qui peut justifier certaines
limitations au droit à un juge. Pour autant, faut-il aller plus loin et le
déjudiciariser ? La question se pose particulièrement en ce domaine, car,
comme le relève le rapport Guinchard, les infractions routières sont pour la
plupart simples juridiquement et peu susceptibles de contestation. Mais la
Commission a rejeté cette solution de la déjudiciarisation en écartant trois
idées qui lui avaient été suggérées (I). Un autre problème a alors été
envisagé, mais qui recoupe la question de la déjudiciarisation, celui né de la
superposition des décisions administratives et judiciaires pour les suspensions
de permis de conduire, puisque le retrait de points et la suspension provisoire
peuvent être prononcés par l’autorité administrative ; comment mettre fin
à cette situation ? Là encore, la Commission a refusé toute
déjudiciarisation (II).
Pour être honnête, si la Commission
a suggéré des pistes, son président a le sentiment de l’inachevé sur ce point,
comme il l’a spontanément déclaré dès la remise du rapport[89], la Commission n’ayant pas pu dégager
des propositions spécifiques en matière routière conciliant les impératifs de
sécurité routière et de gestion d’un contentieux de masse avec la protection
des droits des justiciables par le respect des droits de la défense et le droit
à un juge. C’est pourquoi, nous avons choisi ce thème pour cette contribution,
afin de répondre à la sympathique commande « d’une idée de politique
criminelle, d’une réforme de la législation pénale. » à envisager[90].
I – l’impossible déjudiciarisation
du contentieux routier
Compte tenu de ce contexte et de ce
qui précède en termes de sécurité routière, des enjeux d’une politique publique
cohérente et pérenne en ce domaine, il est très vite apparu aux membres de la
Commission que la question d’une déjudiciarisation de ce contentieux devait
prendre en compte ces enjeux et que les mesures proposées d’une éventuelle
déjudiciarisation ne devaient en aucun cas pouvoir être interprétées comme un
signal négatif de relâchement de la lutte contre l’insécurité routière. Toutes
les personnes interrogées ont insisté sur la nécessité absolue de ne pas
laisser penser un seul instant aux automobilistes qu’ils allaient retrouver une
liberté perdue de conduire sans limites et sans respect de la vie d’autrui.
Dans ce cadre unanimement accepté,
la Commission a rejeté trois solutions qui lui avaient été suggérées : la
création d’une autorité administrative indépendante (A), l’institution d’un
Procureur national à la sécurité routière (B), la forfaitisation de certains
délits routiers (C). Le droit à un juge et les droits de la défense l’ont ici
emporté, au sein de la Commission, sous la double impulsion de son Président et
des avocats, sur les considérations d’une pure logique de gestion des flux qui
inspirait davantage les acteurs de la Direction des affaires criminelles et des
grâces.
Ce triple rejet ne constitue pas en
lui-même un échec, à la fois parce qu’il privilégie la protection des droits
fondamentaux des automobilistes devenus justiciables et parce qu’il doit se
lire dans l’ensemble des mesures proposées par ailleurs par la Commission dans
lesquelles il s’insère. En effet, il convient d’observer que d’autres
recommandations de déjudiciarisation avancées par la Commission ont un fort
impact sur le contentieux routier. L’ordonnance pénale délictuelle constitue
déjà un mode de poursuite privilégié pour le contentieux routier. En 2006, 38,7
% des condamnations prononcées dans ce domaine l’ont été par ordonnance pénale.
L’élargissement des peines pouvant être prononcées par cette voie, proposé par
la Commission, permet d’augmenter cette proportion. De la même manière la
proposition de dépénaliser même partiellement les contraventions de
stationnement payant et d’étendre la forfaitisation aux contraventions de cinquième
classe prévues par le code de la route permet une déjudiciarisation de ce
contentieux.
A) Refus de la création d’une autorité
administrative indépendante en charge du contentieux routier
Le transfert du contentieux routier
à une autorité administrative indépendante, proposé par certaines des personnes
auditionnées, constitue la barre la plus haute de la déjudiciarisation que la
Ministre de la Justice appelait de ses vœux dans sa lettre de mission. Ses
partisans mettaient en avant l’avantage (supposé) de pouvoir plus aisément
harmoniser la poursuite et la sanction des infractions au code de la route et
d’apporter ainsi une grande lisibilité à la politique répressive en cette
matière.
Le moins que l’on puisse dire, c’est
que, même dans une compétence limitée aux seules infractions sans victime, les
membres de la commission n’ont pas été séduits par cette solution et que tous
ont considéré qu’une telle solution n’était pas opportune, leur président en
tête, sans doute sensibles au droit à un juge :
- D’abord, par nature, cette
autorité ne pourrait pas prononcer de peines privatives de liberté, ce qui
limiterait fortement sa capacité de sanction.
- Ensuite, le contentieux routier,
contrairement à une opinion faussement répandue, ne présente pas un caractère
strictement technique, critère qui justifie généralement la création d’une
autorité administrative indépendante composée en partie d’experts, de personnes
qualifiées par leur formation, leur exercice professionnel à juger des
comportements que le législateur entend soumettre à leur sagacité (par exemple
dans le domaine de la concurrence) ; il ne s’agit pas d’apprécier les
aptitudes techniques des voitures, mais de juger ceux qui les conduisent !
- Enfin et surtout, une telle
création ne pouvant se faire, conformément à la jurisprudence européenne et
constitutionnelle en matière d’autorités administratives indépendantes sans
recours devant un juge pour faire appel de la décision prise par l’autorité, un
tel transfert aurait été réalisé à gain nul en termes de
déjuridictionnalisation, le juge administratif prenant ce que le juge
judiciaire aurait abandonné, sans aucun gain pour l’intérêt général.
B) Refus de l’institution d’un
procureur national à la sécurité routière
Un peu à l’instar de la proposition
avancée par Jean-François Burgelin (qui termina sa carrière comme procureur
général de la Cour de cassation) d’un procureur général de la Nation et dans le
prolongement de sa réflexion sur une uniformisation des modes de poursuite et
des sanctions prononcées en la matière, la Commission a également réfléchi à la
proposition d’un procureur national pour la sécurité routière. Elle y était
encouragée par le fait que l’organisation judiciaire espagnole connaît cette
institution : ce procureur est chargé de
coordonner l’action des parquets en matière de sécurité routière. Il doit
unifier les pratiques et assurer une application homogène de la répression
judiciaire de la délinquance routière. Pourtant, l’idée de confier à ce
procureur un véritable pouvoir de poursuite a été jugée source de difficultés
et inutile pour le prononcé des sanctions.
Quant à la poursuite tout d’abord,
en France, cette fonction est traditionnellement assurée par le Garde des
sceaux et de nombreuses circulaires relatives au contentieux routier ont été
rédigées par la Chancellerie ces dernières années. Instituer un procureur
national romprait avec la logique institutionnelle actuelle sans que cela
signifie un meilleur traitement de cette problématique.
Par ailleurs, il paraît difficilement
concevable d’attribuer à un parquet unique, même très nombreux, l’examen de
l’ensemble des procédures ayant trait à la circulation routière, a fortiori
dans le cadre d’une permanence téléphonique. Le retour à un traitement des
procédures « par courrier » ne saurait s’analyser comme un progrès.
Un parquet à compétence nationale ne pourrait assurer le suivi des affaires les
plus complexes (homicides et blessures involontaires) qui font l’objet d’une
ouverture d’information.
Enfin – et cette fois du côté du prononcé des sanctions - l’unification de
l’autorité de poursuite n’aurait qu’un impact limité sur le quantum ou la
nature des peines prononcées, le juge restant libre dans son appréciation de la
sanction.
C) Refus de la forfaitisation de
certains délits routiers
Dernière idée rejetée, celle
suggérée par certaines des personnes auditionnées, de mettre en place une
procédure calquée sur celle de l’amende forfaitaire pour certains délits
routiers tels que la conduite en état alcoolique ou la conduite sans assurance.
Dans ce système, la loi instituerait un barème pour un certains délits routiers
avec une peine forfaitaire. Pour les conduites en état alcoolique, le barème
aurait pu être, ainsi que cela se pratique dans la plupart des juridictions,
proportionné au taux d’alcoolémie. Au-delà d’un certain taux, le double du
seuil prévu par la loi par exemple, la procédure forfaitaire n’aurait pas été
applicable et la peine forfaitaire aurait été composée d’une amende et d’une
suspension du permis de conduire. En cas de commission d’un de ces délits, les
services de police ou de gendarmerie auraient contacté le procureur qui aurait
décidé ou non de recourir à cette procédure forfaitisée. Dans l’affirmative, il
aurait notifié à l’auteur du délit la sanction prévue par la loi et celui-ci
aurait bénéficié d’un certain délai pour exercer un recours en cas de
désaccord. Dans cette hypothèse le ministère public aurait pu soit renoncer à
l’exercice des poursuites, soit exercer celles-ci en utilisant le procédé de
l’ordonnance pénale, soit saisir le tribunal correctionnel.
Outre que l’instauration des barèmes
était vivement rejetée par certains des magistrats membres de la Commission
(dans d’autres secteurs de ses travaux, par exemple en matière de pensions
alimentaires), cette proposition soulève nombre de difficultés :
- Sur un plan constitutionnel
d’abord, une procédure permettant le prononcé d’une peine de suspension de
permis de conduire sans intervention d’un magistrat du siège, est apparue comme
incertaine. En effet, le Conseil constitutionnel a tracé une limite aux
possibilités de déjudiciarisation et d’extension du pouvoir de transaction du
Ministère public, dans sa décision n° 95-360 DC du 2 février 1995 par laquelle
il a déclaré contraire à la Constitution la procédure d’ « injonction
pénale ». Cette procédure avait pour objet de permettre au Ministère
public d’éteindre l’action publique après avoir adressé aux auteurs de certains
délits une injonction pénale pouvant consister en un versement d’une certaine
somme au Trésor public, en un travail non rémunéré au profit d’une personne
morale, en une mesure de réparation ou en la remise de la chose ayant servi à
commettre l’infraction. Le Conseil a censuré ces dispositions en considérant
qu’en l’absence d’intervention d’un magistrat du siège, cette procédure violait
le principe de séparation des autorités en charge de l’action publique et des
autorités de jugement. Relevant que certaines des mesures pouvant faire l’objet
d’une injonction pénale étaient de nature à porter atteinte à la liberté
individuelle et qu’elles constituaient des sanctions pénales lorsqu’elles
étaient prononcées par un tribunal, le Conseil en a conclu que leur prononcé,
s’agissant de délits de droit commun, requérait la décision d’une autorité de
jugement. Un commentateur de cette décision avait à l’époque estimé que parmi
les mesures susceptibles d’être adressées dans le cadre d’une injonction
pénale, seul le versement au Trésor d’une somme d’argent semblait de nature à
échapper à la censure du Conseil[91].
- Par ailleurs cette forfaitisation
signifiait également l’abandon des alternatives mises en place par les parquets
(stage, éthylotest anti-démarrage) louées par plusieurs intervenants tels que
la prévention routière.
II - la difficile institution
d’une autorité unique en matière de suspension du permis de conduire
Aujourd’hui, tant l’autorité
administrative que l’autorité judiciaire peuvent décider de suspendre le permis
de conduire d’un automobiliste. Cette compétence concurrente constitue pour les
justiciables (et pour les hommes politiques auditionnés, notamment les
présidents des deux Commissions des lois), une source d’incompréhension et peut
aboutir à des superpositions de suspension incohérentes. La Commission a donc
réfléchi à une éventuelle déjudiciarisation en ce domaine, comme réponse à la
question « comment éviter cette superposition ».
A) Le droit positif : dualité de compétence
en matière de suspension de permis de conduire
Lorsque la décision de suspension du
permis de conduire est décidée par le juge, elle présente le double caractère
d’une mesure de sûreté et d’une peine.
En revanche, lorsqu’elle est prise
par le préfet, c’est une mesure de sûreté destinée à éviter que l’intéressé ne
commette une nouvelle infraction sur la route pendant le temps fixé par le
préfet.
D’une manière générale, lorsqu’il
est saisi d’un procès-verbal constatant une infraction punie par le Code de la
route de la peine complémentaire de suspension de permis de conduire, le préfet
du département où l’infraction a été commise peut prononcer à titre provisoire
soit un avertissement, soit la suspension du permis de conduire ou
l’interdiction de sa délivrance lorsque le conducteur n’en est pas titulaire
(L. 224-7 du Code de la route). La suspension ne peut excéder six mois ou un an
en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne, de
conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou de délit de fuite.
Lorsqu’une mesure de rétention du
permis de conduire est prise, soit en cas de conduite sous l’empire d’un état
alcoolique, soit sous influence de stupéfiants, soit en cas d’excès de vitesse
égal ou supérieur à 40km/h, le préfet peut dans les 72 heures de la rétention
prononcer une suspension du permis pour une durée maximum de six mois (L. 224-2
du Code de la route). Depuis les propositions de la Commission, la loi n°
2011-267 du 14 mars 2011 a étendu ces mesures : elles sont également
applicables lorsque le permis a été retenu à la suite d'un accident de la
circulation ayant entraîné la mort d'une personne, en application du dernier
alinéa de l'article L. 224-1, en cas de procès-verbal constatant que le
conducteur a commis une infraction en matière de respect des vitesses maximales
autorisées ou des règles de croisement, de dépassement, d'intersection et de
priorités de passage. En outre, en cas d'accident de la circulation ayant
entraîné la mort d'une personne, la durée de la suspension du permis de
conduire peut-être portée à un an. En 2006, plus de 98 % des décisions de
suspension provisoires ont été prises à la suite d’une mesure de rétention.
L’arrêté de suspension doit être
motivé. Comme toute décision administrative faisant grief, cet arrêté peut
faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Celui-ci doit être
saisi dans les deux mois de la notification de la décision. Un référé
administratif peut également être intenté, mais le juge des référés ne peut
suspendre l’exécution de l’arrêté de suspension qu’en cas d’urgence, lorsque
l’exécution porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un
intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend
défendre.
Quelle que soit sa durée, la suspension
du permis de conduire (ou l’interdiction de sa délivrance) cesse de recevoir
effet lorsqu’est exécutoire une décision judiciaire prononçant une mesure
restrictive du droit de conduire. La mesure administrative est considérée comme
non-avenue en cas de non-lieu, de relaxe ou de décision ne prononçant pas de
mesure restrictive du droit de conduire. Sa durée s’impute, le cas échéant, sur
celle des mesures du même ordre, prononcées par le tribunal.
B) Les difficultés liées à un éventuel
transfert de compétence d’une autorité à une autre
Deux autorités étant en concurrence,
naturellement l’unification peut être réalisée de deux façons, au profit de
l’une ou de l’autre. Les deux solutions ont été envisagées par la Commission,
qui n’a été satisfaite par aucune.
a) Dans le cadre de sa réflexion
plus large sur la déjudiciarisation, la Commission a d’abord envisagé de
transférer à l’autorité administrative l’ensemble des pouvoirs de
suspension du permis de conduire, y compris ceux aujourd’hui dévolus au juge
judiciaire.
Mais un tel transfert suppose que la
suspension prononcée par l’autorité administrative n’a plus uniquement le
caractère d’une mesure de sûreté, qu’elle a aussi celui d’une sanction
administrative. Sur ce point précisément, la Commission a estimé impossible de
priver le juge du pouvoir de prononcer une peine complémentaire prévue pour un
nombre extrêmement important de contraventions et de délits, y compris hors du
contentieux routier. La suspension du permis de conduire constitue de plus une
peine particulièrement adaptée pour les infractions routières.
b) Devant cette impossibilité, il a
été envisagé, à l’inverse, un transfert à l’autorité judiciaire du pouvoir de
suspension à titre provisoire du permis de conduire.
Le procureur, magistrat garant des
libertés, aurait ainsi été récipiendaire des pouvoirs actuellement détenus par
le préfet. Dans les cas de figure où la rétention du permis de conduire est
possible, les services de police ou de gendarmerie auraient contacté dans les
72 heures le procureur afin d’obtenir une mesure de suspension judiciaire
provisoire. Celui-ci aurait pu prononcer une suspension du permis dans les
mêmes cas de figure et pour les mêmes durées que ceux prévus actuellement pour
le préfet.
Cependant, une telle solution a elle
aussi été rejetée, car elle est apparue comme difficile à mettre en œuvre et
entraînant, contrairement à la mission de la Commission, une forte
judiciarisation, ce qui aurait été un comble, vus les objectifs fixés dans la
lettre de mission ! En effet, dans une telle hypothèse, un recours
judicaire devrait nécessairement être instauré contre ces décisions de
suspension provisoire, pour respecter le droit à un juge. Un nouveau
contentieux d’importance serait ainsi imposé à la justice puisque 169 510
suspensions administratives ont été prononcées en 2006 et que le contentieux
relatif aux permis de conduire est en constante expansion, conduisant certains
avocats à se spécialiser en la matière. Le rapport d’activité du Conseil d’Etat
pour l’année 2007 souligne en effet à ce propos que « Les tribunaux
administratifs connaissent à nouveau en 2006 un accroissement des recours de
6,2 % en données nettes, contre 5,1 % en 2005, 14 et 16 % respectivement en
2003 et 2004. Cette croissance s’explique notamment par une explosion du
contentieux des permis de conduire (+ 37,4 %) ». De plus, on peut
penser que le taux de recours serait plus important devant le juge judiciaire
que devant le juge administratif.
Par ailleurs, le prononcé d’une
suspension judiciaire provisoire du permis de conduire impliquerait une charge
supplémentaire pour les greffes avec la conservation des permis de conduire et
l’éventuelle inscription de ces décisions dans le fichier des permis de
conduire. Il a été envisagé que, dans un tel cas de figure, l’ensemble de la
gestion du permis de conduire soit conservé par l’autorité administrative
compte tenu de la nature administrative de ce titre.
Pour ces raisons, la Commission a
considéré qu’un tel transfert vers le judiciaire n’était pas envisageable, car
il était susceptible, notamment, d’entraîner un accroissement de charges trop
important pour la justice judiciaire, ce qui n’était pas l’objectif recherché.
C) La solution retenue
Il convient d’abord de rappeler que
l’existence d’une dualité d’intervention n’est pas dépourvue d’une certaine
logique en matière de contentieux routier dans la mesure où l’une des deux
autorités (l’autorité administrative) intervient à titre préventif et l’autre
(l’autorité judiciaire) à titre répressif.
La véritable difficulté pour le
justiciable n’est pas, sur le plan des principes, l’existence d’un cumul, mais
l’apparente incohérence pouvant résulter des deux décisions : une personne
interpellée pour conduite en état alcoolique voit son permis suspendu immédiatement
par l’autorité préfectorale pour une durée de quatre mois ; elle comparait
devant le tribunal correctionnel cinq mois plus tard et se voit contrainte de
restituer à nouveau son permis car le juge prononce une suspension du permis de
six mois à titre de peine.
Pour autant, la Commission a
considéré que, si la dualité d’autorité ne pouvait être écartée, il était
néanmoins possible d’empêcher des contradictions de décision, en prenant deux
mesures :
a) Elle a d’abord recommandé, sans trop d’illusions
sur l’efficacité de la mesure, de mieux coordonner, à l’échelle nationale,
l’action des procureurs et celle les préfets afin d’harmoniser les décisions de
suspensions administratives et les décisions judiciaires.
b) Elle a ensuite proposé une solution spécifique pour
les délits de conduite en état alcoolique qui représentent 81 % des cas de
suspension administrative du permis de conduire :
- Elle a donc d’abord recommandé d’instituer un barème
légal pour les suspensions administratives en cas d’alcoolémie :
l’autorité préfectorale aurait ainsi été tenue, sauf circonstances
exceptionnelles, de prononcer une suspension administrative pour ces faits et
la durée de cette suspension aurait été prévue par la loi en fonction du taux
d’alcoolémie. Ce barême n’a pas été donné dans le rapport final, mais il avait
été envisagé selon les chiffres suivants, par tranches :
entre 0,4 mg/l et 0,5 mg/l : 4 mois de suspension
du PC ;
entre 0,5 mg/l et 0,6 mg/l : 5 mois de suspension
du PC ;
entre 0,6 mg/l et 0,7 mg/l : 6 mois de suspension
du PC ;
entre 0,7 mg/l et 0,8 mg/l : 7 mois de suspension
du PC ;
au-dessus de 0,8 mg/l : 8 mois de suspension du
PC.
Les juridictions administratives
auraient été compétentes pour les recours contre ces décisions.
- La Commission a ensuite recommandé qu’une décision
judiciaire intervienne nécessairement dans le délai de la suspension
provisoire. A défaut, il ne pourrait être prononcé lors du jugement une peine
de suspension de permis de conduire excédant la durée de la suspension
administrative. Cette mesure n’aurait été applicable qu’en cas d’infraction
unique de conduite en état alcoolique.
En guise de conclusion
Si le contentieux routier a fait l’objet d’une attention particulière, c’est
que la commission a clairement affiché son souci de ne pas revenir, directement
ou indirectement, sur la politique d’amélioration de la sécurité routière. Ceci
étant, il faut être honnête, elle a buté sur un obstacle : comment
concilier le respect de cette politique et son souci de défendre les droits de
la défense ? On ne peut isoler le contentieux routier au sein de notre
système répressif et dans le sens de la régression des droits de la défense, au
motif qu’il concerne une grande cause nationale ! D’où les recommandations
que nous venons de présenter et qui s’inscrivent dans le long chemin des
réflexions des juristes (mais pas seulement) pour répondre aux évolutions de
notre temps, avec prudence. Il n’est pas douteux que d’autres reprendront un
jour cette réflexion et – c’est notre souhait – trouverons peut-être les
solutions, LA solution que nous n’avons pas pu dégager de manière
totalement satisfaisante.
[1]D. Allix, Du droit d’être
jugé ou de quelques remarques sur la procédure d’amende forfaitaire, in Mél.
A. Decocq, Litec, 2004.
[2]Sur la comparaison sur ce point
entre le système américain du play bargaining et le système (rejeté) de
la transaction pénale, V. A. Guinchard : Rev. sc. crim. 1997,
p. 611. Sur les modes alternatifs de règlement des conflits en matière
pénale, M.- E. Cartier : RGDP 1998, 1.
[3]S. Guinchard, Le procès
équitable, garantie formelle ou enjeu substantiel ?, in Mél.
Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 139 ; Le procès équitable,
droit fondamental ? : AJDA juill.-août 1998, n° spécial,
p. 191.
[4]Cass. crim., 16 déc.
1997 : Dr. pén. 1998, chron. (crit.) Angevin et 1998, chron.
(approb.) Nivôse ; JCP 1998, 10074, note (mitigée)
D. Mayer ; D. 1998, note (crit.) Y. Mayaud. Contra,
Cass. crim., 21 oct. 1998 : D. 1999, 75, note
Y. Mayaud ; JCP 1998, II, 10215, note
D. Mayer ; Dr. pén. 1999, n° 5, obs. Véron.
[5]A. Vitu, Les rapports de la
procédure pénale et de la procédure civile, in Mél. A. Voirin,
1967, 812. – B. Bouloc, Procédure civile et procédure pénale, rapport
au colloque sur le XXXe anniversaire
du NCPC, Ch. nationale des avoués/IEJ de Paris XIII, Economica, 2006,
p. 369 (ss dir. J. Foyer et C. Puigelier).
– Fl. Bussy, L’attraction exercée par les principes directeurs du
procès civil sur la matière pénale : Rev. sc. crim. 2007, p. 39.
– E. Vergès, Procès civil, procès pénal : différents et pourtant
si semblables : D. 2007, 1441. – S. Amrani-Mekki [dir.], Procédure
civile, procédure pénale, unité ou diversité ? colloque de Nanterre,
oct. 2013, Bruylant, 2014, propos introductifs par S. Guinchard, p. 27.
[7]Pour la non-application de
l’article 32-1, CPC : Cass. crim., 24 août 1981 : Bull. n° 249 ;
de l’article 47, CPC : 11 oct. 1988, n° 87-84.352 ;
des articles 461 et 462, CPC : 13 déc. 2005, Bull. n° 330 ;
Rev. sc. crim. 2006, 632, obs. A. Giudicelli ; de
l’article 463, CPC : 5 nov. 1981 : Bull. n° 296 ;
de l’article 593 : 19 janv. 1982 : D. 1983, IR,
obs. Roujou de Boubée ; de l’article 700, CPC : 9 déc.
1980 : Bull. n° 340.
[8]Sur cette double attraction de
toutes les procédures par les droits fondamentaux et à la
garantie des droits, v. les œuvres d’impulsion novatrice de
S. Guinchard : Vers une démocratie procédurale :
Justices 1999, p. 91 (version abrégée) et Les métamorphoses de
la procédure à l’aube du IIIe millénaire, in Clefs pour
le siècle, ouvrage collectif Paris-II, Dalloz, mai 2000 (version
complète). – S. Guinchard et alii, Droit processuel/Droits
fondamentaux du procès, Dalloz, op. cit. – V. aussi,
C. Lazerges, Dédoublement de la procédure pénale et garantie des droits
fondamentaux, in Mél. Bouloc, Dalloz, 2006, 573.
[10]Cf. l’intitulé des Mélanges
offerts à S. Guinchard : Du légalisme procédural à l’humanisme
processuel, Dalloz, mai 2010.
[11]CEDH, 22 avr. 1993, série A,
259 : JCP 1994, I, 3742, n° 5, obs. Sudre ; RFDA 1994,
1185, note Labayle et Sudre.
[12]Pour une application de la
distinction du droit processuel et du droit procédural au fondamentalisme
religieux, V. notre contribution aux Mél. J.-Fr. Flauss,
Pedone éd., 2014, p. 365.
[13]S. Guinchard, Vers une
démocratie procédurale : Justices 1999, p. 91 (version
abrégée) et Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire,
in Clefs pour le siècle, ouvrage collectif Paris-II, Dalloz,
mai 2000 (version complète).
[14]A. Guinchard, Les enjeux du
pouvoir de répression en matière pénale – Du modèle judiciaire à
l’attraction d’un système unitaire, LGDJ, coll. « Bibl. sc.
crim. », 2003, t. 38, préf. Y. Mayaud, V° Introduction.
[15]Attraction à la matière pénale pour
des procédures et des sanctions disciplinaires militaires, CEDH, 8 juin
1976, arrêt Engel c/ Pays-Bas, série A, n° 22.
Attraction à la matière civile, pour des médecins, 23 juin 1981, Le
Compte, série A, n° 43 : Gaz. Pal. 19 juin 1982,
doctr. Flauss ; RD sanit. soc. 1982, 65, chron.
Dubouis. – 10 févr. 1983, Albert et Le Compte,
série A, n° 58 : JDI 1985, 212, chron.
P. Rolland et P. Tavernier.
[16]CE, 14 févr. 1996, Maubleu :
AJDA 1996, 403, note Stahl et Chauvaux ; JCP 1996,
II, 22669, note Lascombe et Vion ; RFDA 1996, 399 et concl.
Sanson, p. 1186.
[17]CEDH, 15 déc. 1976, Kiss
c/ Royaume-Uni : DR 1976, n° 7,
p. 64. – 28 juin 1984, Campbell et Fell c/ Royaume-Uni,
série A, n° 80.
[19] Déc. n° 2014-423 QPC du 24 oct.
2014, Dr. pénal 2015, n° 14, obs. V. Peltier ; Nouv. Cahiers C.
Const. 2015/47, 155, obs. V. Peltier.
[20]A. Guinchard, op. cit.,
nos 21 et s. « Aux
origines du critère matériel – Les données historiques ».
[21]V. le numéro spécial de l’AJDA,
20 oct. 2001, Les sanctions administratives. Justice et
cassation : Revue des avocats aux Conseils, Dalloz, n° 1, 2005.
[22]J. Farina-Cussac, La
sanction punitive dans les jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour
EDH : Rev. sc. crim. 2002-3, 517.
[23]J. Lefèbvre, Le pouvoir de
sanction, le maillage répressif, in Le désordre des autorités
administratives indépendantes (ss dir. N. Decoopman), PUF,
déc. 2002, 111. – G. Royer, L’efficience en droit pénal
économique, Étude de droit positif à la lumière de l’analyse économique du
droit, LGDJ, coll. « Dr. et économie », 2009, avant-propos
G. Canivet et préf. Fr. Stasiak (ss l’angle de la justice
économique, spéc. nos 204
à 303).
[24]N. Decoopman, La complexité
du contrôle juridictionnel, in Le désordre des autorités administratives
indépendantes (ss dir. N. Decoopman), PUF, 2002, 167.
[25]A. Guinchard, op. cit.,
nos 97 et s. « Aux
origines du critère matériel – Les données de droit fondamental ».
[29]Traduit en 1766 par l’abbé
Morellet. – Sur l’actualité de Beccaria, N. Catelan, L’influence
de Cesare Beccaria sur la matière pénale moderne, PUAM, 2004, avant-propos
S. Cimamonti et préface Ph. Bonfils. En contrepoint : J.-F.
Chassaing, Une légende : Beccaria fondateur d’un droit humaniste,
Mélanges G. Giudicelle-Delage, Dalloz, 2016, 29.
[30]J. Carbonnier, Instruction
criminelle et liberté individuelle. Étude critique de la législation pénale,
1937 et analyse par D. Terré, Jean Carbonnier et la procédure
pénale : L’Année sociologique, 2007, 57, 455-470. Sur Jean
Carbonnier pénaliste, V. Ch. Lazerges, in Mél. S. Guinchard,
Dalloz, 2010, p. 1017 et D. Salas, La justice saisie par la
littérature dans l’œuvre de Jean Carbonnier, ibid. p. 53.
[31]S. Guinchard, Les procès
hors les murs, in Mél. Cornu, PUF, 1994, 201. Et la suite, in
Mél. Calais-Auloy, Litec, 2003, p. 461 : La Justice, bien de
consommation courante.
[33]V. ce qu’écrit Pierre Rosanvallon, La
légitimité démocratique – Impartialité, réflexivité, proximité, Le
Seuil, 2008, p. 269, au vu des travaux de Tom Tyler : « selon
une grande étude menée en 1984 à Chicago auprès d’individus ayant eu
personnellement maille à partir avec la police et la justice », il résulte
que « ces individus ont un regard sur l’institution qui n’est que
faiblement corrélé avec la nature des sanctions qui leur avaient été infligées.
Si la satisfaction des individus dépendait évidemment, au premier chef, du
verdict prononcé, leur appréciation de la légitimité de l’institution
judiciaire était, elle, fondée sur un autre critère : celui de la
perception de l’équité du procès ».
[35]V. B. Le
Gendre, Comment les socialistes sont tombés dans le piège de la sécurité, Le
Monde 15 sept. 2010, p. 18, qui rappelle que « les élites
progressistes ont une fâcheuse tendance à nier la réalité de la délinquance,
qu’elles attribuent à un “fantasme sécuritaire” et que le colloque de
Villepinte, organisé en 1997 par le gouvernement Jospin a constitué une
rupture, le principe y étant posé que “la sécurité est la première des
libertés”. De fait, à trop parler du seul “sentiment d’insécurité”, on nie la réalité
de l’insécurité pour laisser croire que celle-ci se ramène à une perception
(subjective) sans fondement factuel, alors que les citoyens-électeurs vivent le
contraire dans leur vie quotidienne et votent ensuite pour des partis
extrémistes ; quand on a été un élu local en charge de ces questions et
responsable politique, on ne peut douter ni de la réalité de la délinquance, ni
de ce terreau de la montée du populisme ».
[37]Déc. 16 juill. 1996,
n° 96-377 DC, § 16, Perquisitions de nuit : D. 1997,
69, note B. Merarzot ; JCP 1996, II, 22709, note
N. Van Tuong.
[38]« Dès l’instant où l’on rompt
avec le respect des procédures, qui peuvent parfois ralentir la répression, on
déchaîne un mal souvent pire que celui qu’on veut punir », Léo Hamon,
à propos de son rôle au sein du Comité parisien de Libération, chargé de
l’épuration administrative, cité par D. Amson : Rev. Hist. Fac.
Droit 1996/17, p. 146 ; Gaz. Pal. 18 mars 1997.
[39]Déc. 2 févr. 1995,
n° 95-350 DC, Injonction pénale : D. 1995,
chron. Pradel, p. 171 et chron. Volff, p. 201 ; RFD const.
1995-22, p. 405, obs. Th. Renoux ; D. 1997, somm.
comm. p. 130, obs. Th. Renoux.
[40]Kleist, Michael Kohlaas, d’après
une ancienne chronique, traduit par G. La Flize et présenté par
Antonia Fonyi, GF-Flammarion, mars 1992. Victime d’une grave
injustice, tout en croyant à la justice de son pays (en Saxe), ce marchand va
finalement devenir son propre justicier, incendiant, pillant et ravageant sa
contrée jusqu’à ce qu’il soit arrêté, jugé et exécuté à Dresde. Porté à
l’écran, mais transposé dans les Cévennes au XVIème siècle, par d’Amaud des
Pallières, 2013.
[43] Sur cet aspect de la loi, B. Sayons
et R. Cario, AJ Pénal 2014, 461 ; D. Dassa et Le Deist, Gaz.
Pal. 21 oct. 2014, n° 292-293. G. Rabut-Bonaldi, La mesure de justice
restaurative ou les mystères d’une voie procédurale parallèle, D. 2015,
97 ; J.-H. Robert, La honte réinterprétative, moteur de la justice
restaurative, JCP 2015, 273 et in La victime de l’infraction pénale
[dir. C. Ribeyre], XXIIème congrès Ass. fr. dr. pénal, Grenoble, 15-16 oct.
2015, Dalloz 2016, collec. Thèmes et commentaires, p. 41 ; R. Cario, La
consécration législative de la justice restaurative, LPA 4 janv. 2016, n°
1-2, p. 6 et De la justice restaurative. Pour une authentique œuvre de
justice, Mélanges R. Badinter, Dalloz 2016.
[46] Et non pas « de
Francisque », comme cela aurait pu être le cas, par un mauvais jeu de
mots, le maire de Lyon de l’époque étant le sénateur Francisque Collomp.
[48] Avec, le jour de son installation,
la participation effective de Pierre Truche, alors Procureur général à Lyon et
Paul Bouchet, ancien Bâtonnier de Lyon.
[49] Je ne peux pas ne pas citer ici
Madame de La Tombelle, même si sa modestie doit en souffrir : responsable
du service des cimetières et des pompes funèbres de la ville de Lyon, elle joua
un grand rôle dans la mise en place des travaux d’intérêt général, par ses
déclarations de conviction, son action d’incitation et le suivi chrétien
qu’elle assura pour le succès de cette opération.
[51] Propos de M. Mocaer, cités par
Raoul Béteille dans le n° 161, décembre 2002, de Vigilance et action, bulletin
mensuel de liaison du Mouvement Initiative et liberté.
[53] Déclaration de Jean-Claude Barreau,
ancien prêtre, ancien éducateur de rue à Paris XVIIIème, ancien conseiller
particulier de François Mitterrand et de Charles Pasqua, Le Figaro Magazine,
11 janvier 2003, p. 41.
[57] 100 000 personnes avaient défilé à
Paris derrière la quinzaine de jeunes lyonnais qui avaient traversé la France,
à pied, pour réclamer l’égalité des droits ; depuis, ces jeunes de la
région lyonnaise sont tombés dans un islam intégriste (v. Le Monde, 12
février 2003, p. 1 et 10), pourquoi ? Deux des six lyonnais incarcérés sur
la base américaine de Guantanamo sont originaires de la région lyonnaise (plus
précisément de la cité des Minguettes dont le père Delorme était le curé) et la
kamikaze tunisien qui a fait sauter la synagogue de Djerba (21 morts) a
bénéficié de l’aide de sa famille lyonnaise. Déjà, les attentats islamistes de
1995 avaient mis en évidence la « lyonnaise connection », avec
un jeune délinquant de la banlieue lyonnaise tué dans les Monts du lyonnais et
des groupes basés dans les communes limitrophes (Vaulx-en-velin,
Chasse-sur-Rhône).
[68] D. Maus, Regard sur l’écriture
de l’article 66 : un Habeas corpus à la française ? Mélanges Flauss, Pedone
2014.
[69]Sur une étude très complète, V.
notamment Code constitutionnel commenté et annoté par Th. Renoux,
M. de Villiers et X. Magnon (ss dir.), LexisNexis, 7e éd., sept. 2015, daté 2016, ss
art. 66. – Th. Renoux, Le Conseil constitutionnel et
l’autorité judiciaire, Economica et PUAM, 1984, préf.
L. Favoreu ; L’autorité judiciaire, in L’écriture de la
Constitution, Economica et PUAM, 1992, p. 677-711.
– E. de la Lance, Le juge pénal et la protection des
libertés individuelles, Rapp. C. cass. 2001, Doc. fr., 2002,
p. 131. – D. Cohen, Le juge, gardien des
libertés ? : Pouvoirs 2009/3, n° 130, p. 113.
[71] Sur ce point, D. Maus, Habeas
corpus, liberté individuelle et contrôle du juge : quel juge ? D. 2016,
671. Ch. Tukov, L’autorité judiciaire, gardienne exclusive de la liberté
individuelle ? », AJDA 2016, 936.
[72] J.-M. Sauvé, « Quel juge pour
les libertés ? », D. 2016, 1320. Ch. Tukov, L’autorité
judiciaire gardienne exclusive de la liberté individuelle ? AJDA 2016,
936 ; Le référé administratif, élément structurant de la modification
de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction,
Procédures 2016, étude 6. Th. Renault, Du rififi chez les juges, AJDA 2016,
1677. V. Codaccioni, La place de l’autorité judiciaire dans
l’antiterrorisme : des juridictions politiques à l’avènement d’une justice
d’exception policière et administrative, Cahiers de la Justice 2016/3, 549.
G. Canivet, De la garde de la liberté individuelle, Mélanges G.
Giudicelle-Delage, Dalloz, 2016, 323.
[74]Déc. 18 janv. 1995,
n° 94-352 DC, Vidéosurveillance : JCP 1995, II,
22525, note Lafay ; RDP 1995, 575, note
F. Luchaire ; RFD const. 1995-22, 362, obs. Favoreu ; LPA 1995,
n° 48, p. 18, note Nguyen Van Tuong et n° 68,
p. 7, note B. Mathieu.
[78] Décision n° 2015-527 QPC du 22
décembre 2015. Commentaires : C. Haguenau-Moizard, D. 2016,
665 ; N. Roret, Gaz. Pal. 22 mars 2016, n°2, p. 13.
[79]Déc. 22 nov. 1978,
n° 78-98 DC, Exécution des peines : JCP 1980, II, 19309,
note Nguyen Quoc Vinh ; RDP 1979, 1686, note
L. Favoreu.
[80]Déc. 19 et 20 janv. 1981,
n° 80-127 DC, Sécurité et liberté : JCP 1981, II, 19701,
note C. Franck ; D. 1981, 101, note Pradel et 1982,
441, note A. Dekeuwer ; AJDA 1981, 275, note
Rivero ; RDP 1981, 651, note L. Philip.
[81]Déc. 16 juill. 1996,
n° 96-377 DC, Perquisitions de nuit : JCP 1996, II,
22709, note Nguyen Van Tuong ; AJDA 1996, 693, note
O. Schrameck ; ibid. 1997, 86, note C. Teitgen-Colly et
F. Julien-Laferrière ; RFD const. 1996-28, 806, obs.
Th. Renoux ; RDP 1996, 1245, note F. Luchaire ;
D. 1997, 69, note B. Mercuzot ; ibid. 1998, somm.
comm., obs. Th. Renoux.
[84] Parfaitement justifiés vue l’œuvre
de Christine Lazerges, tant du point de vue universitaire que de l’action
politique, notamment lorsqu’elle était vice-présidente de la Commission des
lois de l’Assemblée nationale.
[85] Nous nous retrouvions au Conseil
national de prévention de la délinquance, elle, élue de la ville de Montpellier
et adjointe au Maire en charge de ces questions, moi de même, mais adjoint au
Maire de Lyon, sous l’autorité, pour certaines réunions, de Mireille
Delmas-Marty.
[90] Les éléments de cette contribution
doivent beaucoup au rapport de la Commission Guinchard, dont le chapitre consacré
au contentieux routier a été rédigé sur la base du texte fourni par Samuel
Gillis, alors magistrat au bureau de la législation pénale à la Direction des
affaires criminelles et des grâces.
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