mardi 30 mai 2017

BELLES PAGES 8: LE JUSTICIABLE TEL QUE LA JUSTICE DEVRAIT LE PLACER AU CENTRE DE L'INSTITUTION

SOMMAIRE
I – L’ACCÈS À LA JUSTICE : ABSENCE D’OBSTACLES JURIDIQUES ET FINANCIERS
II – QUEL FINANCEMENT POUR L’AIDE JURIDICTIONNELLE ?
III – LE DROIT AU JUGE DE CASSATION
IV – L’ACTION DE GROUPE 1 : VISION JURIDIQUE
V - L’ACTION DE GROUPE 2 : VISION SOCIO-CULTURELLE ET ÉCONOMIQUE
VI – LE MINEUR ET LA JUSTICE
VII – LE CONTENTIEUX ROUTIER

VOIR AUSSI:


-          L’accès au juge, le point de vue du juriste, in Droit et économie du procès civil [dir. Dany Cohen], LGDJ, p. 25.
 

I – L’ACCÈS À LA JUSTICE : ABSENCE D’OBSTACLES JURIDIQUES ET FINANCIERS

L’affirmation d’une protection concrète et effective du droit d’agir en justice
(janvier 2017)

  Dès le 9 octobre 1979, dans son célèbre arrêt Airey c/ Irlande, la Cour EDH a affirmé que « la Convention a pour but de protéger des droits, non pas théoriques et illusoires, mais concrets et effectif»[1]. Il n’est donc pas suffisant qu’un État érige, dans sa législation, un droit d’agir en justice, d’accéder aux tribunaux, si ce droit n’est pas garanti aux justiciables, dans le vécu quotidien et concret de sa relation avec la justice. Par la suite, la Cour EDH a insisté sur la nécessité de tenir compte, dans l’appréciation de l’effectivité des droits de l’homme, des droits économiques et sociaux comme prolongements des droits civils et politiques[2]. L’État a donc des obligations actives, positives, pour assurer l’effectivité du droit d’accès à un tribunal. Il « ne peut se borner à demeurer passif » (arrêt Airey préc.). Il doit tout faire pour que tous les moyens appropriés soient mis en œuvre pour assurer l’accès effectif à un tribunal, dans les meilleures conditions possibles. Ce caractère effectif du droit d’accès à un tribunal doit s’apprécier au cas par cas, en tenant compte des faits de l’espèce, méthode qui laisse une grande marge de manœuvre à la Cour EDH[3].

L’effectivité du droit d’agir en justice, expression de la fraternité dans le procès
   La protection des libertés et droits fondamentaux qui inspire ce Précis (et plus particulièrement ce chapitre) trouve sa concrétisation ici dans le troisième terme de notre devise républicaine, l’idée de fraternité dont l’expression contemporaine de solidarité traduit bien la modernité[4]. On sait bien que ce principe, ajouté dans notre Constitution seulement en 1848, constitue le ciment entre liberté et égalité. Sans elle, ce couple infernal ne saurait survivre aux contradictions qu’il porte en lui, tout mesure en faveur de l’une risquant de porter atteinte à l’autre. C’est pourquoi la Cour EDH a précisé la portée de l’effectivité du droit d’agir en justice, d’accéder véritablement à un juge, en fait et pas seulement dans de belles déclarations de principe. Le droit d’agir en justice est ainsi relié aux obstacles que pourraient rencontrer les justiciables, obstacles d’ordre matériel ou juridique (Section 1) ou financier (Section 2), obstacles que l’État doit lever pour assurer l’effectivité du droit d’agir en justice, assurant ainsi la solidarité de tous les justiciables devant la justice[5].

I - L’ABSENCE D’OBSTACLES MATÉRIELS ET JURIDIQUES 

Diversité des obstacles d’ordre matériel ou juridique
 De très nombreux arrêts de la Cour EDH rendus dans les domaines les plus divers, jalonnent l’exigence de l’effectivité de l’accès à un tribunal par l’obligation pesant sur les États de lever les obstacles matériels ou juridiques à cet accès. Nous n’en donnerons ici que quelques illustrations, toutes tirées uniquement des obstacles provenant de la procédure, renvoyant à d’autres de nos ouvrages pour des exemples sortant de la technique procédurale [6].

a) Obstacle (non retenu) provenant de la mise en place par le législateur de la procédure sur question prioritaire de constitutionnalité venant se greffer sur une procédure judiciaire en cours. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention EDH, des requérants ont soutenu qu’en refusant de transmettre leur question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de cassation avait substitué son appréciation à celle du Conseil constitutionnel et que l’examen par cette même cour d’une QPC portant sur sa propre jurisprudence est contraire au droit à un juge et à l’exigence d’impartialité. La Cour EDH a rejeté ces arguments[7]. Elle rappelle sa jurisprudence de 2007 selon laquelle l’article 6 de la Convention EDH « ne garantit pas en tant que tel le droit d’accès à un tribunal pour contester la constitutionnalité d’une disposition légale, notamment lorsque le droit national prévoit que le contrôle de constitutionnalité n’est pas déclenché directement par un requérant, mais par un renvoi effectué par la juridiction devant laquelle l’inconstitutionnalité alléguée est soulevée »[8]. Elle admet toutefois, dans ce nouvel arrêt, que « lorsqu’un tel mécanisme de renvoi existe, le refus d’un juge interne de poser une question préjudicielle puisse, dans certaines circonstances, affecter l’équité de la procédure. Il en va ainsi lorsque le refus s’avère arbitraire, c’est-à-dire lorsqu’il y a refus alors que les normes applicables ne prévoient pas d’exception au principe de renvoi préjudiciel ou d’aménagement de celui-ci, lorsque le refus se fonde sur d’autres raisons que celles qui sont prévues par ces normes, et lorsqu’il n’est pas dûment motivé au regard de celles-ci ». S’agissant du dispositif français de renvoi d’une QPC, la Cour constate que « la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ne sont pas tenus, en dernier lieu, de renvoyer la question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, notamment si ces juridictions estiment que celle-ci n’est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux ». Dès lors, « le droit interne leur confère un certain pouvoir d’appréciation, visant à réguler l’accès au Conseil constitutionnel ». La Cour juge que « ce pouvoir n’est pas en contradiction avec la convention et qu’elle se doit par ailleurs d’en tenir compte dans l’exercice de son contrôle ». En l’espèce, la Cour EDH estime que « la Cour de cassation a motivé ses décisions au regard des critères de non-renvoi d’une QPC tels qu’énoncés par l’article 23-5 de la loi organique » (n° 2009-1523 du 10 décembre 2009). Elle ne relève, dès lors, « aucune apparence d’arbitraire de nature à affecter l’équité des procédures en cause » et considère en conséquence « qu’il n’y a pas eu d’atteinte injustifiée au droit d’accès au Conseil constitutionnel ».

b) Obstacles (retenus sous conditions) provenant de la mise en place par le législateur d’une procédure administrative préalable ou concomitante pour obtenir réparation forfaitaire d’un préjudice, sans action en justice. La France a été condamnée en décembre 1995 parce que la Cour de cassation avait jugé en janvier 1994[9] qu’un hémophile, déjà indemnisé par le système de la loi du no 91-1046 du 31 décembre 1991 (virus du SIDA), ne pouvait plus poursuivre une action en réparation devant les juridictions ordinaires, faute d’intérêt à agir ; la Cour EDH y a vu une méconnaissance du « droit d’accès concret et effectif » à un tribunal, droit qui suppose que le justiciable jouisse « d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses actes »[10]. De nouvelles condamnations sont intervenues en 1998, notamment, dans l’affaire F.E c/ France dans les termes mêmes de l’arrêt Bellet, mais avec des éléments qui permettent à la France d’éviter, à l’avenir, d’autres condamnations, car la Cour EDH relève qu’en l’espèce, le système français « n’était pas suffisamment clair et ne présentait pas les garanties suffisantes pour éviter un malentendu quant aux modalités d’exercice des recours offerts et aux limitations découlant de leur exercice simultanée ; le requérant pouvait donc raisonnablement croire à la possibilité de poursuivre devant les juridictions civiles une action parallèle à sa demande d’indemnisation présentée au fonds, même après acceptation de l’offre de ce dernier » (§ 47)[11]. Ce qui était donc en cause dans les deux affaires Bellet et F.E., c’était l’ambiguïté de la rédaction de la loi de 1991 quant au droit ou non d’exercer un recours devant un tribunal après avoir accepté une indemnisation du Fonds d’indemnisation ; or, depuis, la Cour de cassation a donné son interprétation dans l’arrêt Bellet du 27 janvier 1994 ; à partir de cette date, on peut considérer que les justiciables indemnisés par le Fonds ne peuvent plus prétendre ignorer cette jurisprudence, cette interprétation. En l’espèce jugée par la Cour EDH le 30 octobre 1998, le requérant avait accepté l’offre présentée par le Fonds le 21 avril 1993, soit avant l’arrêt de la Cour de cassation du 27 janvier 1994. À l’avenir, les indemnisés postérieurs au 27 janvier 1994 ne peuvent plus invoquer l’argument du flou de la loi de 1991 et de l’ignorance de l’interprétation donnée par la Cour de cassation.

c) Obstacles (retenus) provenant d’une initiative procédurale ou d’une faute d’un organe ou d’un auxiliaire de justice. Au titre d’une telle initiative, l’annulation, à la demande du procureur général roumain, d’une décision judiciaire irrévocable et exécutée, constitue un obstacle au droit d’accès effectif à un tribunal[12]. Transposée en droit français, la solution pose la question de la validité du pourvoi du procureur général de la Cour de cassation pour excès de pouvoir des juges du fond, pourvoi qu’il peut exercer sur ordre du Garde des sceaux, sans limitation de délai (art. 18 de la loi du 3 juill. 1967) et qui permet au droit de triompher nonobstant l’inertie des parties. La décision d’annulation obtenue sur ce pourvoi ayant effet à l’égard de tous, à la différence du pourvoi dans l’intérêt de la loi de l’article 17 de la même loi qui ne peut porter atteinte aux droits des parties, la possibilité de contester éternellement une décision de justice avec effet pour les parties, ne semble pas conforme à cette jurisprudence européenne.
Au titre de la faute, la Cour EDH a retenu l’erreur manifeste dans la computation d’un délai par les juges comme constituant une atteinte substantielle au droit d’accès à un juge[13]. Toujours au titre de la faute, la Cour EDH a considéré, le 11 janvier 2001, que lorsqu’un huissier de justice « organe public de l’État » commet une erreur dans la signification d’un recours, le justiciable dont le recours a été déclarée irrecevable pour tardiveté a été privée de son droit d’accès à un tribunal (en l’occurrence une cour d’appel), d’une manière disproportionnée[14]. À suivre la Cour EDH, outre que les États sont désormais responsables de l’activité de leurs auxiliaires de justice, les juridictions nationales devraient dans ce cas rouvrir le délai du recours pour permettre cet accès, alors qu’on aurait pu penser que la sanction de l’erreur se limiterait à une indemnisation pour le préjudice subi du fait de la perte d’une chance de voir sa cause jugée une deuxième fois. C’est tout le système des forclusions qui se trouvait ainsi remis en cause, ce que n’a pas manqué d’invoquer un justiciable français dans une affaire où la défaillance d’un auxiliaire de justice servait de prétexte à demander la réouverture du délai du pourvoi en cassation ; en réponse la Cour de cassation a fort astucieusement jugé, en juillet 2001, en se plaçant sur le terrain du procès équitable, que « les délais de procédure impartis par la loi à peine d’irrecevabilité… sont nécessaires au bon déroulement des procédures et contribuent au procès équitable, dès lors qu’ils assurent la sécurité juridique, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction et du délai raisonnable ; les défaillances des auxiliaires de justice chargés de délivrer les actes, si elles justifient des actions en responsabilité, ne peuvent atteindre l’efficacité des sanctions attachées à la méconnaissance de ces délais » [15]. Jurisprudence européenne confirmée le 6 décembre 2001 à propos d’une exception de nullité présentée tardivement et donc irrecevable, alors que la signification de l’acte de saisie était nulle pour défaut de diligence de l’huissier de justice dans une vente aux enchères devenue ainsi irrévocable[16]. Jurisprudence reprise par la Cour de révision monégasque qui reconnaît aux huissiers de justice la qualité d’organes de l’État[17]. Si le saisi d’une procédure de saisie immobilière n’a pas eu connaissance de la vente forcée de son bien avant qu’elle n’intervienne, en raison de nombreuses irrégularités dans la signification de cette vente, il y a violation de son droit d’accès à un juge[18]. Même solution de condamnation de la France lorsqu’un bureau d’aide juridictionnelle ayant commis une erreur dans la désignation d’un avocat au titre de cette aide, le requérant n’a pas pu exercer son appel en temps utile[19]. La Cour EDH estime encore que l’effectivité du droit d’accès à un tribunal exige que les recours, tant administratifs que juridictionnels, soient instruits avec diligence par les autorités concernées, notamment si leur décision peut avoir de graves conséquences sur l’activité professionnelle et/ou la vie privée du requérant [20] ; l’effectivité s’enracine dans le délai raisonnable et la faute de ne pas l’avoir observé.

d) Obstacle (non retenu) dans l’obligation de recourir à une tentative de conciliation ou de médiation préalablement à la saisine du juge : le Cour EDH a considéré que l’obligation de recourir à un processus de conciliation ou de médiation à peine d’irrecevabilité de la demande ne constitue pas une entrave excessive au droit d’accéder à un juge[21] ; la loi sur la Justice du XXIème siècle rend obligatoire ce préalable avant toute saisine du tribunal d’instance ou du juge de proximité, à peine d’irrecevabilité de la déclaration au greffe.

e) Obstacles (retenus sous conditions) nés du formalisme procédural[22]. Le principe posé par la Cour EDH et déjà indiqué, que « les limitations apportées au droit à un tribunal ne doivent pas restreindre l’accès ouvert aux justiciables d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même », vaut aussi pour les règles relatives aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours : « une interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé »[23]. ,  Plusieurs décisions illustrent ce principe. Ainsi, la Cour EDH juge que le droit à un procès équitable, dont le droit d’accès à un juge, s’applique également dans le domaine particulier de la signification et de la notification des actes judiciaires[24]. Ou encore que, « le fait, pour une Cour de cassation, de prononcer l’irrecevabilité d’un moyen de cassation au motif que le requérant n’avait pas précisé dans son pourvoi les circonstances de fait sur lesquelles s’est fondée la juridiction d’appel pour statuer, relève d’une approche par trop formaliste et constitue une limitation au droit d’accès à un tribunal qui n’est pas proportionnée au but consistant à garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice eu égard notamment à la simplicité de l’affaire »[25]. En revanche, l’article 979, CPC qui impose au demandeur en cassation, dans la procédure avec représentation obligatoire, de remettre au greffe, à peine d’irrecevabilité du pourvoi prononcée d’office, une copie de la décision attaquée et de ses actes de signification, ainsi qu’une copie de la décision confirmée ou infirmée par la décision attaquée, n’a pas été jugé constitutif d’une entrave au droit d’accès à un tribunal, sans doute parce que le premier devoir d’un auxiliaire de justice est de connaître les textes et de les appliquer[26].Mais, solution d’inconventionnalité, sur ce même texte, lorsque le pourvoi (incident) en cassation de l’une des parties (un père de famille confronté à l’impossibilité de faire revenir en Suisse ses deux enfants) a été déclaré irrecevable au motif que le procureur général n’a pas joint à son pourvoi, dans le délai requis, l’acte de signification de l’arrêt attaqué, formalité exigée à l’article 979, C. proc. civ. ; la Cour EDH juge que « la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme excessif en déclarant le pourvoi du père irrecevable en raison d’une négligence imputable au procureur » ; on peut y voit l’application du principe qu’on ne peut être tenu responsable des fautes d’autrui[27]. De même, la Cour EDH affirme que si un code de procédure civile prévoit la possibilité de former une demande sous forme électronique, le greffe d’un tribunal ne peut pas refuser d’enregistrer 70 000 demandes gravées sur un DVD, en arguant du défaut d’équipement pour les traiter ; il y a atteinte substantielle au droit à un juge[28]. C’est reconnaître au formalisme toute sa place dans la garantie d’un procès équitable, par le biais des obstacles matériels à lever.

f) L’obstacle (non retenu sous conditions) né de la jurisprudence sur la concentration des moyens. Le principe de concentration des moyens, posé par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 7 juillet 2006, oblige toute partie, demandeur ou défendeur, à présenter en première instance tous les moyens de droit pertinents à l’appui de ses prétentions ; en cas de non-respect de ce principe toute seconde demande fondée sur des moyens de droit qui auraient pu et dû être présentés en première instance sera déclarée irrecevable, ce qui aura pour effet de conférer l’autorité de la chose jugée à des choses non jugées au motif que la partie ne les a pas invoquées dès le premier degré de juridiction (sur ce principe (v. ss 1096). La Cour EDH a jugé que ce principe ne constitue pas une entrave substantielle à l’accès à un juge car « il tend à une bonne administration de la justice en ce qu’il vise à réduire le risque de manœuvres dilatoires et à favoriser un jugement dans un délai raisonnable »[29]. Mais dans le second arrêt (17 mars 2015), il convient de souligner deux choses : en premier lieu, si le requérant pouvait, dans la seconde instance engagée, espérer pouvoir bénéficier d’un revirement de jurisprudence intervenu postérieurement à la fin de la première instance, il avait oublié d’invoquer ce revirement lors de la seconde instance au fond ! Dès lors, la Cour EDH note que « la requête est manifestement mal fondée » sur le fondement de l’article 1er du Protocole n° 11. En second lieu, la Cour EDH précise les conditions de conformité du principe de concentration des moyens au procès équitable : elle relève (§ 29) – on vient de le souligner - que ce principe poursuit un objectif légitime d’une bonne administration de la justice ; surtout (§ 30), elle pose une limite à l’obligation de concentration des moyens : « il s’agit d’une condition impossible à remplir lorsque le fondement juridique d’une seconde demande repose sur une modification du droit positif postérieure à l’examen de la première demande, puisque, par définition, le demandeur se trouvait dans l’impossibilité de soulever ce fondement dans le cadre de sa première demande ». De quoi donner des regrets au requérant de l’affaire Barras. Par cette précision la Cour EDH rejoint la solution affirmée par la Cour de cassation dès 2007 : « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des évènements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice »[30].

g) L’obstacle peut aussi provenir de l’existence d’une procédure de filtrage d’une voie de recours
1) Ainsi, lorsque l’admissibilité d’un pourvoi en cassation dépend entièrement de l’avis de la Cour suprême devant laquelle il est porté, « sur le point de savoir si la décision attaquée présentait une importance cruciale du point de vue juridique », il y a atteinte au droit d’accès à un tribunal[31]. Deux procédures de filtrage ont été mises en place au niveau de la Cour de cassation française ; elles seront étudiées à leur place, mais on voudrait souligner ici les conditions de leur conventionnalité. On y ajoutera la régulation des flux sur la base de l’article 619, CPC (notion de moyen nouveau).
- S’agissant d’abord de la procédure de radiation des affaires du rôle par le Premier président de la cour de cassation, pour non exécution de la décision attaquée (C. pr. civ., art. 1009-1), elle n’a finalement été jugée conforme au droit effectif d’agir en justice, qu’après quelques adaptations pour répondre aux critiques initiales que ce système était trop rigoureux.
- S’agissant ensuite du système de filtrage introduit par la loi no 2001-539 du 25 juin 2001 dans l’article L. 131-6 du code de l’organisation judiciaire et que l’on trouve désormais à l’article 1014 du code de procédure civile, modifié en dernier lieu par le décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014 (avec la rédaction due à ce décret, le code ne parle plus de « non-admission », mais la technique reste la même, sa conventionnalité pouvait paraître plus problématique ; il faut savoir que, dans l’hypothèse où la décision d’appliquer l’article 1014 est retenue l’affaire est jugée par une formation restreinte composée de trois juges, qui statue après un rapport oral et peut  « après le dépôt des mémoires », décider « qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu’il n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation » (art. 1014, al. 2, CPC). L’alinéa 2 de l’article 1014, CPC ajoute que « toute formation peut aussi décider de ne pas répondre de façon spécialement motivée à un ou plusieurs moyens irrecevables ou qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». Il s’agit donc d’un mode simplifié de résolution des affaires portées en cassation, dans la mesure où la formation restreinte intervient en lieu et place d’une formation plus solennelle et qu’elle est dispensée de motiver ses décisions. Lorsque qu’une décision est rendue selon les modalités de l’article 1014 du CPC, l’itinéraire du pourvoi en cassation s’arrête ici : l’affaire ne se poursuit pas. Statuant sur la rédaction antérieure à celle introduite par le décret précité du 6 novembre 2014,  la Cour EDH a jugé que la brièveté de la motivation de la décision prise au terme de la procédure d’admission préalable n’était pas contraire à l’article 6[32] et que le fait que le requérant non représenté n’a pas pu présenter une note en délibéré en réponse aux observations de l’avocat général ne violait pas l’article 6, puisque lesdites conclusions n’étaient présentées qu’oralement et pour la première fois à l’audience publique et alors que cette note n’aurait eu aucune incidence sur l’issue du litige, dans la mesure où la solution juridique retenue ne prêtait pas à discussion ; or  - et la Cour EDH ne manque pas de le rappeler - la Convention EDH ne vise pas à protéger des droits purement théoriques ; dès lors, donner raison au requérant, serait lui reconnaître « un droit sans réelle portée ni substance »[33]. Très rapidement, un dialogue s’est instauré entre la Cour de cassation et le requérant qui est prévenu qu’une décision de « non-admission » est envisagée, afin qu’il puisse faire valoir ses observations ; c’est sans doute cette pratique qui a conduit la Cour EDH à juger que « la procédure de non-admission du pourvoi est conforme à l’article 6, § 1, dès lors que le demandeur a eu connaissance du rapport en vue de la non-admission pour absence de moyen sérieux »[34] ; ce dialogue n’a pas toujours suffi  à éviter des « dérapages »[35]. S’agissant des hypothèses d’application de l’article 1014 du CPC, l’utilisation de la procédure mise en place par la loi de juin 2001 a montré que si ce texte peut être appliqué lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu’il n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, seules les irrecevabilités classiques ou manifestes donnent lieu à une décision de « non-admission », tandis que les pourvois insusceptibles d’entraîner une cassation doivent être traditionnellement entendus comme ceux qu’à l’évidence les chambres ne pourraient que rejeter par des motivations qui n’auraient aucun intérêt normatif ou qui contestent des jurisprudences totalement et continûment constantes sans qu’aucune considération déterminante ne commande d’évolution ou de revirement ; l’expérience de cette procédure démontre que la définition du caractère non-fondé d’un pourvoi est particulièrement délicate et si l’on a pu voir en elle « un outil raisonnable de régulation des flux en permettant à la Cour de se recentrer sur l’aspect normatif de son contrôle sans pour autant méconnaître le droit des parties à un procès équitable »[36], ces incertitudes sur la notion de caractère non-fondé d’un pourvoi et cette nécessaire conciliation entre un contrôle normatif et le droit à un procès équitable, incitent à être prudent à l’égard de la réflexion en cours au sein de la Cour de cassation.
 - S’agissant enfin de la notion de « moyen nouveau » (art. 619, CPC) utilisée par la Cour de cassation pour déclarer irrecevables les moyens de cassation mélangés de fait et de droit, la Cour EDH considère qu’elle ne constitue pas, en elle-même, un obstacle juridique à l’accès au juge de cassation, dans la mesure où la Cour de cassation, « en se livrant à une appréciation effective du dossier, en visant expressément l’arrêt de la cour d’appel et les conclusions du requérant n’a pas commis une erreur manifeste d’appréciation », d’autant plus que cette notion « fait partie intégrante de la jurisprudence de la Cour, qui y a fréquemment recours » et qu’un avocat spécialisé est présent[37]. Mais la même technique sera sanctionnée si son utilisation traduit « une erreur manifeste d’appréciation »[38], notion désormais utilisée avec prudence par la Cour EDH[39].

2) Pour l’appel, la Cour EDH a jugé que « la décision de radiation du rôle de la cour d’appel fondée sur l’article 526, C. pr. civ., constitue une mesure disproportionnée au regard des buts visés, dès lors que la disproportion entre la situation matérielle du requérant et les sommes dues au titre de la décision frappée d’appel ressort à l’évidence »[40]. Sur le même texte, la Cour EDH n’a confirmé en 2013, la conventionnalité de la radiation pour défaut d’exécution en appel, que si, après vérification par la Cour dans chaque espèce, l’atteinte au droit à un second juge est proportionnée au but recherché car la radiation, laissant courir le délai de péremption, peut conduire à une perte du droit au recours, ce qui n’était pas le cas en l’espèce ; dès lors, la possible radiation pour défaut d’exécution en appel doit être plus strictement admise du fait de l’atteinte au double degré de juridiction[41]. Solution confirmée en 2014 contre la Norvège : une décision d’irrecevabilité rendue par une cour d’appel à la suite d’une procédure de filtrage, doit être suffisamment motivée pour que le requérant ait eu la possibilité d’exercer de manière effective sont droit de contester auprès de la cour suprême la procédure suivie par ladite cour d’appel[42]. Rappr. en matière d’aide juridictionnelle, v. ss 230.

I I- L’ABSENCE D’OBSTACLES FINANCIERS

Le double visage de l’absence d’obstacles financiers
   Permettre un accès effectif à un juge, favoriser le droit d’agir en justice, c’est tout à la fois réduire au maximum le coût de cet accès, pour le justiciable, voire le rendre totalement gratuit et, au cas où il subsisterait un coût résiduel, aider financièrement ceux dont les ressources seraient insuffisantes pour le supporter[43]. La réduction du coût de la justice (§ 1) se prolonge dans la mise en place d’un système de prise en charge de ce coût résiduel, appelé aide juridictionnelle (§ 2), système qui est aujourd’hui complété par une aide à l’accès au droit dont l’étude est menée dans le précis d’Institutions juridictionnelles, de même que la question du financement de ces aides et des structures qui les sous-tendent[44].

A)    Le principe de la gratuité de la justice. – Les frais et les dépens
   Traditionnellement, on exigeait des plaideurs qu’ils engagent des frais assez considérables, surtout lorsque la procédure se déroulait devant un tribunal de droit commun[45]. On avait même pu manifester une réelle inquiétude lorsqu’on apprit que la fusion des professions d’avocat, d’avoué et d’agréé se ferait au détriment du justiciable, celui-ci étant obligé d’acquitter une taxe parafiscale destinée à indemniser les titulaires de charges devenus avocats ou ayant renoncé à poursuivre leur carrière. Certes le plaideur ne devait plus s’adresser successivement à un avoué et à un avocat, mais à l’avocat nouveau il devait verser des sommes correspondant à la postulation, outre des honoraires de plaidoirie et ajouter, pour le fonds d’indemnisation, une taxe parafiscale. L’histoire se répétant, la suppression de la profession d’avoué à la cour a conduit le législateur a institué un droit destiné à alimenter le Fonds d’indemnisation des avoués. Quoi qu’il en soit, la loi no 77-1468 du 30 décembre 1977 a marqué un tournant dans l’effectivité du droit d’agir en justice en posant le principe de la gratuité des actes de la justice devant les juridictions civiles et administratives[46]. Ce principe est aujourd’hui affirmé solennellement à l’article L. 111-2, COJ, qui précise toutefois, avec prudence, que « la gratuité de la justice est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement ». Agir en justice n’est en effet pas totalement gratuit pour le justiciable car les difficultés budgétaires de l’État, crise économique ou pas, n’ont pas permis de maintenir dans toute sa généreuse pureté, le principe posé en 1977 d’un accès au juge totalement exonéré de frais et de dépens. Le Code consacre le Titre XVIII du Livre Ier aux frais et dépens (art. 695 à 725-1).

B)    La prise en charge du coût de l’accès au juge
Pour comprendre l’émergence de la notion d’aide juridictionnelle, il convient de revenir à ses sources - sources supralégislatives (a) et origines historiques en France (b).
a)      Sources supralégislatives
Valeur en droit processuel international et européen
   L’aide juridique est un bénéfice accordé aux personnes qui sont dans l’impossibilité d’exercer effectivement leurs droits en justice, en raison de l’insuffisance de leurs ressources. Elle a été substituée à l’aide judiciaire (v. ss 219, 220)[47] qui remplaçait elle-même l’assistance judiciaire ; elles poursuivent un but analogue : permettre à ces personnes de saisir toutes les juridictions sans être tenues d’avancer tout ou partie des sommes pour les frais, et avec le concours gratuit ou partiellement gratuit des officiers ministériels et des avocats[48]. À ce titre, l’aide juridique participe pleinement à rendre effectif l’accès à la Justice[49] : libre (sans entrave pécuniaire), égal (sans discrimination de fortune) et fraternel (c’est-à-dire équitable) ; elle est au cœur de l’application de notre devise républicaine au monde de la Justice[50].
Selon la Cour EDH, l’État doit mettre en place un système d’aide judiciaire pour garantir l’effectivité du droit d’accès à la Justice, du droit d’agir en justice, si par ailleurs, les chances de gagner un procès sans avocat sont pratiquement nulles. C’est le sens du fameux arrêt Airey c/ Irlande du 9 octobre 1979. Dans cette affaire, la Cour de Strasbourg a considéré que ce droit n’était pas effectif lorsqu’en matière de séparation de corps, il était certes possible d’accéder au juge sans avocat, donc sans frais, mais qu’alors les chances de succès étaient si faibles que la présence d’un avocat était nécessaire ; par conséquent, en l’absence d’un système d’aide judiciaire (en Irlande, devant la Haute Cour) on ne pouvait considérer que le droit d’agir en justice avait été effectivement reconnu à l’intéressé[51]. L’aide juridictionnelle devient ainsi un droit fondamental[52] et ce droit doit être effectif[53]. Et cette même Cour a jugé, le 20 juillet 1998, que le filtrage des demandes d’aide juridictionnelle devant la Cour de cassation belge ne devait pas, par ses conditions restrictives, porter atteinte à la substance même du droit d’accès à un tribunal[54]. Selon la même Cour, l’octroi de cette aide implique une représentation effective par avocat. L’obligation de fournir une aide financière pour permettre à chaque justiciable de saisir un tribunal n’est pas assurée, par exemple, lorsque l’aide juridictionnelle ayant été accordée dans une matière où la représentation n’est pas obligatoire, les avocats successifs se sont désistés en raison de leurs liens personnels avec l’avocat attaqué ; aucun avocat n’ayant alors représenté le requérant, la Cour EDH juge que la possibilité de défendre sa cause seul, dans une procédure l’opposant à un professionnel du droit, n’offrait pas à ce justiciable un droit d’accès effectif à un tribunal[55]. Sous ce regard, l’extension du domaine de la représentation obligatoire, qui, en elle-même, est une bonne chose pour tous ceux en tout cas qui voient dans cette technique mise à la disposition de tous, un gage d’accessibilité à une meilleure justice, une manière de concrétiser cette accessibilité au droit, pose néanmoins une question de financement, notamment de l’aide juridictionnelle. Mais quand on pense aux milliards d’euros (tous budgets confondus de l’État et des collectivités locales) mis dans la politique dite de la ville, dans la réhabilitation de nos banlieues, sans parler des indemnités de RMI/RSA, on se dit que la question du financement d’une représentation obligatoire généralisée n’est qu’une question de priorité politique, au même titre que le budget de la justice. L’effectivité des droits, au sens de la jurisprudence Airey de la Cour EDH passe par cette généralisation : que chacun puisse bénéficier d’un bon professionnel, plutôt que de se défendre, mal, seul, au nom d’une fausse égalité entre les citoyens. Cette égalité de l’être isolé face à la machine judiciaire n’existe pas. La Charte des droits fondamentaux de l’UE énonce que « une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice » (art. 47, al. 3) ; sur ce fondement, la Cour de justice de l’UE a jugé que « le droit de protection juridictionnelle effective peut comprendre le droit, y compris pour les personnes morales, d’être dispensé du paiement des frais de procédure visant à contester une décision qui constate la force exécutoire d’une décision rendue dans un autre état membre et ordonnant des saisies conservatoires »[56]. Une convention internationale a été signée sur l’accès à la justice en matière d’environnement[57]. 
Valeur en droit processuel constitutionnel
   L’aide juridique exprime l’idée de solidarité (elle-même l’équivalent de la fraternité de notre devise républicaine) ; or la solidarité, introduite pour la première fois dans notre système constitutionnel en 1848 a été reprise dans le préambule de la Constitution de 1946 ; en outre, le projet de Constitution du 19 avril 1946 contenait une déclaration des droits de l’homme dont l’article 11 affirmait que « la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice et que l’insuffisance des ressources ne saurait y faire obstacle ». Si ce projet a été rejeté, la Constitution de 1946 a repris le mot solidarité qui, appliqué à la Justice, se conjugue avec son accès. Il n’est point d’accès à la Justice sans solidarité financière[58]. Aux USA, la Cour suprême a consacré le principe de l’accès à la justice comme un droit fondamental entraînant de sa part un contrôle maximum[59]. Par comparaison, on relèvera qu’en Belgique la Constitution (de 1994) consacre « le droit à l’aide sociale, médicale et juridique » mettant ainsi sur le même plan santé et droit. Ce qui prouve qu’il n’est pas absurde d’envisager une « Sécurité sociale » de l’aide juridique[60], la question posée étant celle de son financement et non pas de son principe (sur cette question, v. le précis d’Institutions juridictionnelles).

b) Origines historiques
De l’assistance judiciaire à l’aide judiciaire (1851-1991)
   L’assistance judiciaire paraît avoir des origines très anciennes ; elle s’est développée sous l’influence des juridictions ecclésiastiques. La réglementation sommaire du droit révolutionnaire fut reprise et coordonnée dans la loi du 22 janvier 1851, remaniée en 1901, en 1907 et en 1958. On reprochait au régime de l’assistance judiciaire d’avoir une appellation évoquant une charité faite aux indigents, d’être insuffisamment efficace, d’opérer sur des critères discutables et insuffisants, d’encourager indirectement, pour éviter des abus, un examen du fond de l’affaire par les bureaux de l’assistance judiciaire. D’après des renseignements récents, il apparaissait que 6 % seulement des plaideurs en bénéficiaient. La loi du 3 janvier 1972 sur l’aide judiciaire avait consacré l’accès à la justice comme un droit en instaurant l’aide judiciaire totale pour les plus défavorisés et partielle pour ceux dont les revenus étaient insuffisants. En conséquence de la reconnaissance de ce droit, c’est l’État qui assumait la charge de l’aide, assurait l’indemnisation des auxiliaires de justice et déterminait les modalités d’admission. Ce système fut étendu aux commissions d’office par la loi du 31 décembre 1982. Il s’est vite révélé insuffisant.
De l’aide judiciaire à l’aide juridictionnelle et à l’accès au droit :
les grandes orientations de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique
   Les insuffisances, réelles ou supposées, du système de l’aide judiciaire ont conduit le Gouvernement à constituer un groupe de travail au Conseil d’État et présidé par le conseiller d’État Paul Bouchet, lui-même ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Lyon. C’est à partir du rapport élaboré par ce groupe de travail que fut construit le projet de loi soumis au Parlement et devenu la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique, entrée en vigueur le 1er janvier 1992. Deux axes caractérisent cette réforme : une extension du domaine de l’aide et la création de structures politico-administratives assez lourdes :

a) L’extension de l’aide juridique se manifeste bien sûr par un élargissement du cercle des bénéficiaires de l’aide juridictionnelle (qui se substitue à l’aide judiciaire) et par la prise en considération de l’accès au droit entendu comme « une aide à la consultation et une assistance au cours de procédures non juridictionnelles » (L. 1991, art. 1er, al. 2, réd. L. n° 2014-1654, 29 oct., art. 35-III).
• Sur le premier aspect (aide juridictionnelle), trois innovations traduisent les objectifs du Gouvernement et sa philosophie :
— L’aide juridictionnelle est généralisée à tous les contentieux (civils, pénaux et administratifs) et est accordée tant en demande (sous condition que celle-ci ne soit pas manifestement infondée ou irrecevable) qu’en défense, avec un plafond de ressources revalorisé et qui sera réévalué chaque année par la loi de finances (les bénéficiaires du RMI sont automatiquement éligibles).
— Deuxième innovation : la revalorisation affichée comme un objectif de la contribution de l’État ; les crédits budgétaires ont atteint 301 millions d’euros en 2005, tous contentieux confondus (contre 202 en 2001, soit une augmentation de 50 % en 5 ans).
— Enfin, troisième aspect, ce que l’exposé des motifs qualifie, pudiquement, de « gestion décentralisée de la rémunération des avocats » et qui risque, très rapidement d’apparaître comme une volonté de l’État d’abandonner aux barreaux la charge financière de l’aide légale, nonobstant les critères statistiques fixés à sa contribution annuelle, sous forme de « dotation » (mot révélateur car il porte en lui-même une volonté d’autolimitation, de plafond) : nombre de missions, barème par type de procédure, taux horaire (v. ss 238).
• Le second aspect (accès au droit) est plus novateur encore, plus ambitieux aussi : permettre à tous d’accéder au droit en fixant un cadre juridique d’aide à la consultation et à l’assistance au cours de procédures non juridictionnelles (conciliations, médiations…), et en favorisant le développement des initiatives locales d’accès à l’information juridique. La loi de finances n° 2015-1785 du 29 décembre parachève ce mouvement en créant une partie sur « l’aide à la médiation ». Ce bel objectif se concrétisera par la cristallisation des bonnes volontés (au demeurant un peu forcées par le législateur) au sein de technostructures, assez lourdes.

b) Le second axe de la réforme est bien en effet la mise sur pied de deux séries d’organismes :
— les conseils départementaux de l’aide juridique, constitués en groupement d’intérêt public, associant l’État, les départements, les professions intéressées, etc. ;
— le Conseil national de l’aide juridique chargé de deux missions : recueillir des informations sur le fonctionnement de l’aide juridique et de l’aide à l’accès au droit ; faire des propositions aux pouvoirs publics. Chaque année un rapport fera état de ses travaux.
Le décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 porte application de la loi du 10 juillet 1991 ; il a été modifié plusieurs fois, soit pour réévaluer les majorations des plafonds de ressources[61], soit pour modifier le mode de calcul de la part contributive de l’État, ainsi que pour fixer les modalités de l’octroi de l’aide juridictionnelle lors de l’audition de l’enfant en justice, ou pour préciser les formalités procédurales.
Les incertitudes et inquiétudes nées de la loi du 10 juillet 1991
   La loi du 10 juillet 1991 est assurément novatrice et porteuse d’amélioration de la condition des Français quant à l’accès au droit. Elle est cependant lourde d’incertitudes quant aux modalités précises du financement de cette aide, notamment de la part de l’État dans l’aide non juridictionnelle. Quelques incertitudes ont été levées par le décret d’application, mais ces considérations et un bilan mitigé ont conduit à la loi du 18 décembre 1998.
La loi no 98-1163 du 18 décembre 1998
 Cette loi poursuit plusieurs objectifs, tentant de concilier l’inconciliable : réduire les dépenses incombant à l’État (d’où la recherche de partenaires extérieurs, comme nous l’avions pressenti dès 1991), étendre le champ d’application de l’aide et le nombre de bénéficiaires.
a) Le 1er objectif concerne l’aide juridictionnelle. Il s’agit de mieux réguler les flux judiciaires en favorisant les MARC en matière civile. C’est la 1re fois qu’une loi est « relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits ». À cet effort, il est prévu de favoriser la transaction avant toute saisine de la juridiction par le bénéfice d’une aide financière dans ce cas. Accessoirement la loi accroît les pouvoirs du greffier en chef : déjà devenu vice-Président du bureau d’aide juridictionnelle par la loi 95-125, 8 février 1995, il assure la présidence du BAJ en cas d’empêchement ou d’absence du Président.
   Pour réduire les dépenses et accélérer le temps de règlement des demandes d’aide juridictionnelle, le Président du BAJ peut statuer seul sur les demandes ne présentant manifestement pas de difficulté sérieuse. Toujours pour mieux maîtriser la dépense d’aide juridictionnelle, la loi unifie les mécanismes de retrait de l’aide et de remboursement des sommes versées à ce titre.
b) Le 2e objectif concerne l’aide à l’accès au droit. Partant du constat de l’échec de la création des conseils départementaux, en raison des réticences des partenaires de l’État à participer financièrement à cette aide, le Parlement réforme les règles de financement de l’aide à l’accès au droit. Parallèlement, la loi redéfinit l’aide à l’accès au droit pour insister sur la mission d’accueil et d’orientation sur l’assistance au cours des procédures non juridictionnelles et sur le développement des MARC.

c) Le 3e objectif, commun à la justice civile et à la justice pénale, est d’ouvrir dans le ressort de chaque TGI une Maison de justice et du droit. Décret d’application n. 2000-344 du 19 avril 2000.

Évolutions postérieures
   La loi no 2007-210, 19 février 2007 sur l’assurance de protection juridique, ne contient que quelques dispositions secondaires sur l’aide juridictionnelle, dont le décret no 2007-1142 du 26 juillet 2007 fixe les conditions d’application : conditions d’admission des étrangers et des personnes détenues faisant l’objet d’une procédure d’isolement au bénéfice de l’aide, d’octroi dans les litiges transfrontaliers, de recours contre les décisions rendues ; et le décret no 2007-1151, 30 juillet 2007 ne fait que modifier le barème de rétribution des avocats dans certaines hypothèses et porter de deux à quatre mois le délai pendant lequel les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir leur rémunération au titre de l’aide juridictionnelle afin de poursuivre le recouvrement de leurs émoluments tarifés contre la partie condamnée aux dépens (art. 37, al. 1er, de la loi de 1991). La loi n° 2015-1785 du 29 décembre (art. 42-I, 5°) restaure une nouvelle 4ème partie dans la loi de 1991 intitulée « L’aide à la médiation »[62], dont l’article 64-5 dispose que « l'avocat qui assiste une partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle dans le cadre d'une médiation ordonnée par le juge a droit à une rétribution (al. 1) et que « lorsque le juge est saisi aux fins d'homologation d'un accord intervenu à l'issue d'une médiation qu'il n'a pas ordonnée, une rétribution est due à l'avocat qui a assisté une partie éligible à l'aide juridictionnelle » (al. 2). Un décret en Conseil d'Etat fixera les modalités d'application de ces dispositions et définira les conditions dans lesquelles une partie éligible à l'aide juridictionnelle peut obtenir la prise en charge d'une part de la rétribution due au médiateur. Si le principe d’une aide juridictionnelle au plus démunis n’est pas remis en cause, l’état des finances publiques ne permet pas d’envisager une extension à davantage de bénéficiaires. Cette question du financement est étudiée ci-après[63].

II – QUEL FINANCEMENT POUR L’AIDE JURIDICTIONNELLE ?
La question du financement de l'aide juridictionnelle : une histoire sans fin
(janvier 2017)
              
 Les ressources actuelles ne permettent pas à la France de répondre aux besoins de l’AJ avec un budget qui est passé de 574 millions de francs en 1991 à 354, 5 millions d'euros en 2015 (pour 901 986 bénéficiaires, chiffres quasiment stables depuis plusieurs années), contre trois milliards au Royaume Uni (en 2014 et uniquement pour l’Angleterre et le Pays de Galles), sans même que l'aide juridictionnelle puisse être accordée aux justiciables percevant le SMIC. Selon le rapport de le CEPEJ 2016 pour 2014, la France consacre 5,49 euros par habitant à l’AJ, contre 8 euros pour l’Allemagne, 38,14 pour l’Angleterre et le Pays de Galles, 33, 28 pour l’Écosse et 73, 53 pour l’Irlande du Nord et  L'État n'aura jamais les moyens d'assurer une telle prise en charge. Le système explose par manque de moyens budgétés face à une augmentation considérable du nombre potentiel de bénéficiaires, parfois par l’effet d’une extension du périmètre de l’aide juridictionnelle (par ex. son extension à la médiation, au divorce par consentement mutuel par acte d’avocat et non pas judiciaire) et suppose une réflexion d'ensemble, un « nouveau souffle »[64]. À terme, écrivions-nous dès 1991, une réflexion plus large et plus ambitieuse devra être engagée pour accorder à l'institution de l'aide juridique les moyens des objectifs qui lui sont assignés par la loi.

a) De commissions en missions
               Le point de départ est, sans doute, le protocole d'accord signé le 19 décembre 2000 par toutes les organisations représentatives de la profession d'avocat. Au lendemain de cette signature, une commission de réforme de l'aide juridictionnelle a été mise sur pied en janvier 2001, et sa présidence confiée à M. Paul Bouchet. Elle proposait essentiellement (mai 2001) : la suppression de l'aide partielle au profit d'une aide totale élargie, l'appréciation de la prestation intellectuelle de l'avocat par référence au traitement net d'un magistrat ayant 10 ans d'ancienneté, etc. Aucune réforme d'envergure n'a été adoptée suite à ce rapport, malgré un projet de février 2002[65]. La loi no 2007-210 du 19 février 2007 sur l'assurance de protection juridique contenait aussi des dispositions relatives à l'aide juridictionnelle. Surtout, elle a établi un lien entre l'aide juridictionnelle et l'assurance de protection juridique (C. assur., art. L. 127-1 à L. 127-8)[66], en ce sens notamment, que l'aide de l'État ne sera pas accordée si les frais sont pris en charge au titre d'un tel contrat d'assurance ou d'un système de protection (art. 2 L. 19 févr. 2007. Décr. application no 2008-1324, 15 déc. 2008)[67]. C'est un système « au bord de l'implosion » que révélait le rapporteur spécial de la mission « Justice » de la commission des finances du Sénat, en octobre 2007[68]. C'est dans ces conditions que la mission confiée par le président de la République à Maître Darrois sur l'avenir des professions juridiques, en juillet 2008, comprenait un volet sur l'aide juridictionnelle ; sur ce point, le rapport remis en janvier 2009 préconisait d'instaurer une taxe sur tous les actes juridiques, sur la base du chiffre d'affaires des professionnels du droit : la loi Macron n° 2015-990 du 6 août va reprendre cette idée, mais sans affecter clairement la ressource à l’AJ. Après l’articulation réalisée en 2007, on a aussi évoqué, en février 2010, le rapprochement de l'assurance protection juridique avec les fonds que l'État consacre à l'aide juridictionnelle : d'un côté environ 354,5 millions d'euros d'aide juridictionnelle pour 901 986 bénéficiaires (en 2015), de l'autre, 700 millions d'euros de cotisations pour 60 000 dossiers contentieux par an. Il est proposé de mutualiser ces fonds « dans un partenariat public-privé »[69]. L'idée a été reprise, avec prudence et des nuances, par la Garde des Sceaux en avril 2010, mais il a été fait observer que c'était une fausse piste, le solde net de la mutualisation s'élevant à 63 millions d'euros, ce qui n'est pas à la hauteur des besoins de financement[70]. Toujours en février 2010, un nouveau rapport a été remis à la Garde des Sceaux ; rédigé par un conseiller d'État (M. Ph. Belaval) et un magistrat de la Cour des comptes (M. J.-L. Arnaud), il préconise une taxe supplémentaire sur les droits d'enregistrement, voire sur les contrats de protection juridique[71]. En juin 2010, la commission des lois de l'Assemblée nationale décidait la création d'une mission d'information en vue d'améliorer l'accès au droit et à la justice, décision motivée par la situation financière catastrophique de l'aide juridictionnelle, que l'État ne peut plus renflouer (cf. discours du président de la République le 23 juin 2010)[72]. En mars 2013, le Conseil national des barreaux (re)propose la taxation des mutations et des actes juridiques, la création d'un fonds dédié géré par la profession, la généralisation de l'assurance de protection juridique, une réforme de la répétibilité des honoraires d'avocats, la mise en place de groupes de défense conventionnés. En juillet 2013, le Haut conseil des professions du droit fait connaître ses propositions[73]. En mars 2014, M. Alain Carre-Pierrat avocat général honoraire a remis son rapport à la Garde des Sceaux. Le 9 juillet 2014, la commission des lois du Sénat a rendu public un rapport d'information sur cette question, avec la préconisation de doubler le budget de cette aide pour le porter à 700 millions d'euros en la finançant par une hausse des droits d'enregistrement des actes juridiques (à hauteur de 3,5 % pour un produit de 350 millions) et une taxation supplémentaire des contrats de protection juridique ; en conséquence, le seuil d'admission serait relevé au niveau du SMIC (au lieu de 967 euros) ; des gains de « productivité » sont aussi cherchés du côté de la gestion de l'AJ. Le 9 octobre 2014 un rapport rédigé par le député J.-Y. Le Bouillonec, à la demande du Premier ministre préconise une forte implication de la profession d'avocat dans le financement et la gouvernance de l'aide juridictionnelle avec la création d'une cotisation de solidarité inter-barreaux et une taxe sur la délivrance de la copie exécutoire des jugements[74]. Mais le 16 décembre 2014 la garde des Sceaux annonce la mise en place de quatre groupes de travail sur cette question, dont les conclusions non rendues publiques[75], n’ont inspiré aucune réforme majeure. Les lois de finances pour 2015 et pour 2016 ont pris quatre mesures.

b) Les solutions des lois de finances pour 2015 (no 2014-1654 du 29 déc.)
et 2016 (n° 2015-1785 du 29 déc.)
   La première de ces deux lois, faute d'une contribution unique affectée au financement de l'aide juridictionnelle avait pris quatre mesures cumulatives à hauteur de 50 millions d'euros.
- Première mesure : fixation à 11,6 %, au lieu du taux par défaut de 9 %[76], de la taxe sur les contrats d'assurance de protection juridique des articles L. 127-1 du Code des assurances et L. 224-1 du Code de la mutualité et avait affecté la part correspondant à un taux de 2,6 %, dans la limite de 25 millions d'euros par an, au financement de l'AJ (art. 35-I-A qui créait un 5° ter et un a dans l'article 1001 CGI)[77] ; sur ce point, la loi du 29 décembre 2015 (art. 42-IV, 1°), porte à 12,5% le taux de cette taxe à compter du 1er janvier 2016 et à 13, 4% au 1er janvier 2017 (in art. 1001, 5° ter, CGI) et supprime la référence à la part correspondant à un taux de 2,6%, tout en portant le plafond de l’affectation de cette taxe au financement des missions d’aide juridictionnelle à 35 millions d’euros en 2016 et à 45 millions en 2017 (in art. 1001, a, CGI).
- Deuxième mesure : la même loi de 2014 avait revalorisé le droit fixe de procédure payé par chaque condamné sur les décisions pénales (CGI, art. 1018 A, v. ss 182) et l'avait affecté au Conseil national des Barreaux, dans la limite de 7 millions d'euros pour l'ensemble du territoire national (art. 35-I-B) ; la loi du 29 décembre 2015, certes augmente cette taxe à 14, 89 euros au 1er janvier 2017, mais supprime son affectation au CNB (art. 42-IV, 3° qui abroge l’article 1018 A, avant-dernier alinéa, CGI).
- Troisième mesure : la loi du 29 décembre 2014 avait affecté le produit de la taxe sur les actes d’huissiers de justice, à hauteur de 11 millions d’euros, au CNB, toujours pour financer les missions de l’AJ ; la loi du 29 décembre 2015 supprime cette affectation (par son article 42-IV, 2°, b qui abroge l’article 302 bis Y, § 4, CGI).
- Quatrième mesure : la loi du 29 décembre 2014 a porté de 97 à 225 euros la taxe affectée au Fonds d'indemnisation des avoués (FIDA) et prolonge sa durée jusqu'au 31 décembre 2026 (art. 97, qui modifie CGI, art. 1635 bis P) ; sur cette taxe, 7 millions sont prélevés pour le financement de l'AJ ; cette mesure n’est pas remise en cause par la loi du 29 décembre 2015. En revanche, pour compenser la suppression de l’affectation du droit fixe de procédure et de la taxe sur les actes des huissiers de justice au financement de l’AJ, la loi du 29 décembre 2015 (art. 42-V) affecte au CNB, pour le financement des missions d’AJ, le produit des amendes pénales (à l’exception de celles mentionnées à l’article 49 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre). Au final, outre une part de la taxe en provenance du Fonds d’indemnisation des avoués, les missions d’AJ sont financées, via le CNB, par deux produits visés à l’article 21-1, al. 2, L. n° 71-1130 du 31 décembre : celui de la taxe sur les contrats d’assurance de protection juridique (art. 1001, CGI) et celui provenant des amendes pénales. Sur la mise en œuvre des nouvelles missions dévolues au CNB, décret no 2015-271 du 11 mars qui, dans son chapitre III modifie le règlement type annexé au décret no 96-887 du 10 octobre 1996, afin l'adapter, d'une part, aux mesures prévues aux articles 302 bis Y, 1001 et 1018 A du Code général des impôts et, d'autre part, aux nouvelles interventions des avocats en matière pénale suite à la loi no 2014-535 du 27 mai 2014 sur le droit in l'information dans le cadre de ces procédures[78].

c) La (future) contribution pour l’accès au droit et à la justice »

La loi Macron (n° 2015-990 du 6 août) crée un « Fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice » (art. 50-I, § 1° in C. com., art. L. 444-2, al. 3 s. Décret d’application n° 2016-230 du 26 février) dont la « finalité principale » est, non pas de financer l’AJ, mais de redistribuer entre professionnels du droit les rémunérations tarifées « afin de favoriser la couverture de l'ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques [sur ce point, v. ss 1049, b-4] et l'accès du plus grand nombre au droit ». Le dernier bout de phrase permettait de créer, à compter du 1er janvier 2016, « une contribution annuelle d'accès au droit et à la justice pour assurer le financement de ce fonds », supportée par les professions soumises à un tarif  (les officiers publics ministériels et les administrateurs et mandataires judiciaires); mais l’article 50-III de la loi Macron prévoyait que son assiette et son taux seraient fixés par arrêté conjoint des ministres de la justice et du budget ;  ; le Conseil constitutionnel ayant censuré cette disposition car il revient au législateur et non pas au pouvoir règlementaire de fixer les règles concernant l’assiette de cette taxe[79], c’est finalement la loi de finances rectificative pour 2016 qui avait envisagé de créer l’article 1609 octotricies, CGI dans une section intitulée « Contribution pour l’accès au droit et à la justice » et qui prévoyait d’assoir cette contribution sur le chiffre d’affaires de ces six professions, avec un taux de 0,5% sur l’assiette entre 300 000 et 800 000 euros et de 1% au-delà, ces seuils étant, pour les personnes morales, multipliés par le nombre d’associés exerçant l’une de ces professions au sein de cette personne morale ; c’est cette dernière disposition qui a conduit le Conseil constitutionnel a invalidé l’article 113 de la loi n° 2016 -1918 du 29 décembre créant cet article 1609 octotricies, pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi[80]. La finalité attribuée à cette contribution est suffisamment large pour qu’un gouvernement puisse y puiser l’argent nécessaire au financement de l’AJ ! Ce qui éviterait d’avoir à recherche d’autres sources de financement.

d) Nos propositions de financement

L'État français n'aura pas avant longtemps les moyens d'assurer à lui tout seul, une prise en charge nettement améliorée des besoins d'aide juridictionnelle. Certes, on peut déclarer que « la solidarité nationale doit jouer », que « la justice est une priorité », mais cela ne résoudra pas le problème. À très court terme, une réflexion plus large et plus ambitieuse devra être engagée pour accorder à l'institution de l'aide juridique les moyens de financer les objectifs qui lui sont assignés par la loi (par ex. le financement du procès par un tiers, investisseur professionnel qui se rémunère à l'issue de la procédure[81]). Avec la crise que connaissent nos finances publiques, il faudra être imaginatif pour trouver des solutions adaptées à l'ampleur du problème et envisager plusieurs sources de financement[82] :
- Une sécurité sociale juridique et/ou un Fonds de soutien ou de solidarité ? En s'inspirant de la Belgique qui consacre dans sa Constitution (de 1994), « le droit à l'aide sociale, médicale et juridique » mettant ainsi sur le même plan santé et droit, il n'est pas absurde d'envisager une « Sécurité sociale » de l'aide juridique[83] ; encore faudra-t-il veiller à ce que la « socialisation » du droit qui en résulterait ne porte pas atteinte à la défense de nos libertés publiques[84]. Il faudra notamment être prudent dans la mise en place des bureaux dédiés à la défense pénale d'urgence réclamés par certains. Parler de sécurité sociale juridique présente au moins un mérite, celui de comparer l'accès à la justice à l'accès aux soins et à l'organisation de notre système de santé ; beaucoup de points communs devraient nourrir notre réflexion, à commencer par le déficit chronique, mais surtout le mode d'organisation des soins. En revanche, parler de sécurité sociale juridique ne règle pas la question des recettes puisqu'en ce domaine il n'y a pas d'employeurs et d'employés, donc de cotisations sociales, ni de contribution sociale généralisée (CSG) (encore que la « contribution pour l'aide juridique » s'en rapprochait par son nom). C'est pourquoi, l'idée d'un Fonds de soutien (rapport de la mission Gosselin-Langevin) ou de solidarité qui viendrait en appui au budget étatique laisse ouverte la question de son financement.
- Le financement par les parties à un acte juridique ? La piste a été explorée sous différentes formes. D'abord, sous celle d'une taxation des contrats d'assurance de protection juridique ; pourquoi pas, mais il faudra réfléchir à l'impact psychologique d'une telle taxation, à son effet dissuasif puisque ceux qui souscriront à de tels contrats payeront pour ceux qui ne s'assureront pas ; mais l'obstacle n'est pas insurmontable, puisque, par hypothèse, l'aide juridique est un système de solidarité financière entre les plus démunis et les autres. Ensuite, dans le prolongement de cette proposition, on pourrait envisager un financement par un recours accru à l'assurance de la protection juridique, en la rendant obligatoire, sans taxation particulière et en s'appuyant sur la technique de l'assurance de groupe : le souscripteur (et payeur) ne serait pas nécessairement le bénéficiaire, mais un organisme public ou une collectivité locale, seule la mutualisation des coûts de la justice pouvant assurer une couverture correcte de ceux-ci[85]. Une taxation accrue des mutations immobilières peut être imaginée, mais avec prudence, car l'équilibre du secteur est fragile et les mutations professionnelles et familiales qui s'accroissent, rendent les mutations immobilières plus fréquentes qu'autrefois, donc constituent une charge plus lourde pour les citoyens. Enfin, une taxation plus large dans son assiette, des actes juridiques de toute nature ; on rejoint ici la proposition de la mission Darrois.
- Le financement par le justiciable ? La question doit être posée franchement et sans polémique : faut-il que la France (avec le Luxembourg) reste l'un des deux seuls États en Europe, selon la CEPEJ (rapport d'octobre 2016 pour 2014) où l'accès à la justice est quasiment gratuit, alors que les recettes en taxes et frais payés par les parties se sont montées à 3 milliards et 600 millions d’euros en Allemagne en 2014 (ce qui lui permet de dégager un budget de 687 millions d’euros pour l’aide juridictionnelle) ? On a critiqué la France en disant que son budget était l'un des plus faibles des grands pays membres de la CEPEJ. Mais si l'on dit que l'Allemagne a plus de juges que nous, que le Royaume-Uni a un budget plus conséquent, c'est qu'on oublie d'une part, d'intégrer dans le nombre de nos juges ceux qui ne sont pas professionnels (au commerce, aux prud'hommes et ailleurs, ils sont des milliers à ne rien coûter à l'État français, donc à diminuer d'autant son budget justice) et d'autre part, que le coût de la justice est très élevé au Royaume-Uni (mais son budget d’aide juridictionnelle s’est monté à 2 milliards et 275 millions en 2014 pour l’Angleterre et le Pays de galles) et enfin que dans les deux pays, l'accès n'est pas gratuit. C'est d'ailleurs cette quasi-gratuité qui est mise en avant par la CEPEJ, au bénéfice de la France, l'autre aspect positif pour notre pays étant son système d'informatisation des juridictions.
- Le financement de cette assurance pourrait aussi être recherché dans l'affectation d'une taxe (à créer) sur les jugements rendus (des millions par an). Sur la base de 21, 8 millions de décisions rendues, toutes juridictions confondues en 2015, y compris les affaires réglées par les juridictions administratives et les amendes forfaitaires majorées (ces dernières interviennent, à elles seules, pour 13 millions dans ce total), on couvre presque le montant de l'aide juridictionnelle accordée en 2015 (dépense effective de 354 millions d'euros) si l'on perçoit 15 euros par décision (327 millions). Il faudrait tout de même y réfléchir sérieusement. C'est sur cette voie (mais en amont du jugement) que s'était engagé le Gouvernement dans la loi de finances rectificative no 2011-900 du 29 juillet 2011 qui créait un droit d'enregistrement de 35 euros sur toutes les actions en justice, aux fins de financer la réforme de la garde à vue qui suppose désormais une présence de l'avocat (et par assistance) dès les premières heures de la mesure (CGI, art. 1635 bis Q, v. ss 178, b). Contribution dite pour l’aide juridique abrogée un peu trop rapidement pour des raisons idéologiques et démagogiques, surtout lorsqu'on voit que la taxe à payer en appel par chaque partie pour abonder le Fonds d’indemnisation des avoués, a été portée de 150 à 225 euros pour financer l'AJ (soit + 75 euros, donc plus du double de 35 !). Avec notre proposition, on paierait après avoir vu le juge, pas avant.

Ces essais de solution devront sans doute être cumulatifs, mixés, étant précisé que nous ne croyons pas aux effets de masse de l'accroissement du rôle de la médiation (qui de toute façon a un coût pour l’aide juridictionnelle), ni à ceux d'une déjudiciarisation accrue, dont les travaux de la commission Guinchard sur la réorganisation des contentieux, ont montré que nous étions arrivés aux limites de ce qu'il est possible de faire sans toucher au cœur du besoin de faire appel à un juge, ce tiers indépendant et impartial, dans toutes les situations où ce besoin est ressenti. Il n'y pas de recette miracle, mais : sur le fond, il faudra être réaliste et imaginatif pour aboutir à la fois à un partenariat public-privé (il n'est pas sérieux de croire, en l'état, en un doublement du budget affecté à l'aide juridictionnelle, par un coup de baguette fiscale magique) et à ce que chaque profession, mais aussi le justiciable prenne sa part du fardeau. Il faudra sans doute viser l'assiette la plus large possible de toute taxe qui serait créée pour financer le budget de l'aide juridictionnelle, plutôt qu'un montant élevé sur une seule catégorie d'actes (par exemple les seuls actes de mutation immobilière), afin de ne pas casser l'économie d'un secteur. Sur la méthode, il faudra être participatif et consensuel, à l'image de la mission Gosselin-Langevin. Une réflexion devrait s'engager sur ce point, très rapidement, à partir d'une concertation avec tous les professionnels concernés et aboutir, car il y a urgence : tout le monde veut la gratuité, mais personne ne veut payer à la place du contribuable. Pourtant, l’économie du système n’a pas changé en 2016.

III – LE DROIT AU JUGE DE CASSATION

petit à petit, l’effectivité du droit à un juge s’effrite
(publié aux mélanges offerts à Jacques Boré, 2006)

Le droit à un juge, garantie fondamentale du procès équitable, la première en tout état de cause, puisque si elle n’existait pas, il n’y aurait pas lieu de garantir d’autres exigences de qualité de la justice, tend peu à peu à s’effriter, à être grignoté par des dispositions, tant en appel qu’en cassation qui, isolément sont anodines, mais qui, cumulativement, constituent autant d’embûches sur le parcours judiciaire d’un justiciable. Ces quelques lignes sans prétention (l’emploi du temps d’un recteur en exercice dans une académie immense par sa taille et par ses résultats et ambitions - l’académie de Rennes couvre quatre département bretons, jusqu’au bout de la France, et a été qualifiée « d’académie de toutes les réussites »[86] - ne lui permet guère de trouver de longues journées d’écriture) se veulent un hommage amical à l’humaniste qu’est Jacques Boré (à preuve son élection à l’Académie des sciences morales et politique) et la reconnaissance sincèrement admirative de son œuvre doctrinale, telle que la révèlent ses deux ouvrages majeurs sur la cassation, tant en matière civile qu’en matière pénale ; pour avoir pratiqué et pour toujours étudier l’une et l’autre de ces deux procédures, le signataire de ces lignes ne peut que s’incliner devant l’extrême science de celui que le monde du droit souhaite, à juste titre, aujourd’hui honorer.

I - La représentation obligatoire, faux obstacle à l’accès à un juge

L’accès à la Cour de cassation n’est pas libre, dit-on parfois, parce que, sauf exceptions, la représentation par un avocat aux Conseils y est obligatoire. Personnellement, ce n’est pas ce qui nous choque. Nous avons toujours « plaidé » pour rendre cette représentation obligatoire, notamment en matière prud’homale, non pas pour éliminer les salariés ou les chômeurs du quai de l’horloge, mais pour leur rendre justice à travers une égalité de traitement dans l’accès au droit[87] ; et le décret du 20 août 2004 qui rend cette représentation obligatoire en matière sociale nous paraît constituer un progrès, même si nous n’ignorons rien des critiques qui émanent des milieux syndicaux et telles qu’elles s’expriment dans les revues spécialisées dans la défense des intérêts des salariés[88]. Ce qui est en cause, ce n’est pas la qualité de la défense assurée par représentation syndicale, les mémoires présentés par des délégués aussi dévoués que désintéressés ayant souvent permis de gagner des procès que de bons juristes, dans le camp d’en face (traduisez patronal) perdaient, mais l’effectivité de l’égalité entre toutes les parties, tant au niveau des arcanes de la procédure de cassation, jamais simple, toujours pleine de chausse-trappes, que des armes utilisées. Qu’on le veuille ou non, le procès en cassation n’est pas un procès comme les autres, ni sur le plan procédural,  ni sur celui du droit substantiel ; la Cour de cassation connaît des pratiques spécifiques qui constituent un réel handicap pour tous ceux qui ne font pas métier de la représentation devant cette haute juridiction, même pour des mandataires syndicaux expérimentés et rôdés à ce type de procès, même pour les avocats de cours d’appel. Mieux vaut y être représenté par un professionnel du droit dont c’est le métier que de pratiquer ce type de procédure. Et le regard d’un tiers extérieur à ces litiges est pour le moins gêné de voir que peuvent s’opposer dans des procès sans représentation obligatoire, un plaideur qui, de toute façon, aura eu recours au meilleur des avocats aux Conseils (bien évidemment, ils le sont tous !) et un autre qui, certes bien conseillé, part tout de même avec un handicap ; un peu comme dans une course dont l’un des participants se verrait contraint de partir après les autres ou en arrière de quelques mètres !

II - L’aide juridictionnelle gagée sur la notion de moyen sérieux de cassation, véritable obstacle au droit à un juge
Ce qui nous gêne, c’est une autre disposition. Celle qui figure à l’article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ; alinéa 1 (pour toutes les juridictions) : « l’aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l’action n’apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement » ; avec, à l’alinéa 3, une restriction supplémentaire devant la Cour de cassation : « en outre, en matière de cassation, l’aide juridictionnelle est refusée au demandeur si aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé ». Cumulée avec la représentation obligatoire, cette disposition, quoi qu’en pense et qu’en dise la Cour européenne des droits de l’homme (A), peut constituer un véritable  obstacle au droit effectif à un juge, ainsi que le montrent certaines affaires (B).
A) La validation du système français par la jurisprudence européenne
Plusieurs décisions de la Cour européenne jalonnent l'obligation pour les Etats, sous l'angle de l'effectivité du droit d'accès à un tribunal, d'organiser, sous certaines conditions, un système d'aide juridictionnelle (a) et, lorsqu'il existe, qu'il ne soit pas entravé par des obstacles d'ordre juridique (b)[89]. Ce qui est gênant, c’est le cumul des obstacles.
a) L'arrêt de principe est le célèbre arrêt Airey contre l'Irlande, du 9 octobre 1979, rendu en matière civile. Tout en reconnaissant que « la Convention ne renferme aucune clause relative à l'aide juridictionnelle en matière civile », la Cour européenne a considéré que le droit d'accès à un juge n'était pas effectif lorsqu'en matière de séparation de corps, il était certes possible d'accéder au juge sans avocat, donc sans frais, mais qu'alors les chances de succès étaient si faibles, en raison de la complexité de la procédure, que la présence d'un avocat était nécessaire ; par conséquent, l'absence d'un système d'aide judiciaire (en Irlande, devant la Haute Cour), ne permet pas de considérer que le droit d'agir en justice ait été effectivement reconnu à l'intéressé, lequel a pu obtenir réparation de ce préjudice sur le fondement de l'article 50 [90]. Cet arrêt consacre donc une aide à l'accès au juge, à sa saisine en matière civile, tout au moins dans certaines circonstances. Et la Cour d'identifier, dès 1979, deux hypothèses : « soit parce que la loi prescrit la représentation par avocat, soit en raison de la complexité de la procédure ou de la cause » (§ 27).
Pour autant, ce droit à une aide pour saisir un juge ne se traduit pas nécessairement par une aide financière et si celle-ci existe, elle peut être soumise à des conditions restrictives d'admission à son bénéfice ; l'Etat a la liberté du choix des moyens pour assurer l'accès effectif au tribunal ; si l'Etat doit organiser un système offrant un réel accès au juge, il résulte clairement de l'identification par la Cour, dans l'arrêt Airey, des deux hypothèses d'instauration d'une aide, que cette aide peut prendre la forme, soit de l'assistance gratuite d'un avocat commis d'office pour les personnes ne pouvant assumer les frais de cette assistance[91], soit de la simplification des procédures, par exemple en supprimant le système de la représentation obligatoire.
- Si aide financière il y a, la Cour européenne a admis que les Etats puissent conditionner son octroi à un plafond de ressources du requérant ; les finances de l'Etat permettent de justifier une sélection des bénéficiaires : « un système d'assistance judiciaire ne peut fonctionner sans la mise en place d'un dispositif permettant de sélectionner les affaires susceptibles d'en bénéficier »[92]. Le droit français qui prévoit un tel plafond est donc conforme à la jurisprudence de la Cour européenne (article 4 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et article 1 et s. du décret du 19 décembre 1991).
- Si l’aide est « en nature », par la désignation d’office d’un avocat, l’autorité compétente doit garantir au requérant la représentation effective par un avocat, y compris dans une procédure orale où la représentation par avocat n’est pas obligatoire[93].
b) De même, certains refus d'aide juridictionnelle peuvent être justifiés par le caractère manifestement infondé, dilatoire ou fantaisiste de la plainte,mais sans que ces conditions portent atteinte à la substance même du droit à un juge. La jurisprudence de la Cour européenne semble évoluer sur ce point[94], malheureusement dans le sens défavorable au droit d’accès effectif à un juge.
1) En effet, elle a d'abord jugé qu'il ne fallait pas que des obstacles juridiques viennent contrecarrer la mise en œuvre effective du droit à un tribunal, en conditionnant, par exemple, l'octroi de l'aide juridictionnelle à un examen sommaire de la demande en justice pour la déclarer non fondée ou manifestement irrecevable. Seules des considérations relatives aux ressources financières du demandeur de l'aide pouvaient fonder un refus de l'aide. Ainsi, dans l'arrêt Aerts c/ Belgique, du 20 juillet 1998, la Cour européenne a considéré que le filtrage des demandes d'aide juridictionnelle devant la Cour de cassation belge, filtrage fondé sur l'appréciation de la justesse de la prétention, « porte atteinte à la substance même du droit à un tribunal » [95] ; seul le juge — et non pas un bureau d'aide ou d'assistance judiciaire — peut décider des chances de succès d'un recours. Or, le système français est assez proche du système belge, puisque le bureau d'aide juridictionnelle devant la Cour de cassation filtre les demandes d'aide en fonction de l'appréciation du caractère sérieux du moyen invoqué à l'appui du pourvoi (art. 7, al. 3, loi 10 juill. 1991) ; devant les juridictions du fond, le contrôle est plus réduit car le bureau peut refuser l'aide juridictionnelle si l'action paraît manifestement irrecevable ou dénuée de tout fondement. On pouvait donc penser qu'il y avait là un risque de condamnation de la France et de remise en cause de notre système d'aide juridictionnelle[96].
2) Pourtant, dans un arrêt Gnahore c/ France, du 19 septembre 2000 [97], le système français devant la Cour de cassation a été validé (lorsque la représentation par avocat n'est pas obligatoire), l'appréciation d'un défaut de moyen sérieux de cassation pour refuser l'aide juridictionnelle n'étant pas considérée par la Cour européenne comme un obstacle au droit à un juge. Il est vrai — et cette remarque atténue la portée de l'arrêt — qu'en l'espèce, le requérant agissait dans une matière (l'assistance éducative du NCPC) alors dispensée de la représentation obligatoire ; on rejoint l'une des deux hypothèses identifiées par la Cour dans son arrêt Airey pour satisfaire à la garantie d'un accès effectif à un tribunal, à savoir la simplification des procédures par un mécanisme d'accès au juge sans avocat ; dès lors — et la Cour européenne ne manque pas de le relever — le refus de l'aide juridictionnelle, pour moyen non sérieux, ne le privait pas de son pourvoi, mais simplement de la possibilité de se faire assister par un avocat : « le rejet de la demande d'aide juridictionnelle du requérant faisait donc seulement obstacle à ce qu'il bénéficiât de l'assistance gratuite d'un tel avocat [avocat aux Conseils] » (§ 39). La Cour relève ensuite que, « ce motif [de filtrer les demandes d'aide] s'inspire sans nul doute du légitime souci de n'allouer des deniers publics au titre de l'aide juridictionnelle qu'aux demandeurs dont le pourvoi a une chance raisonnable de succès » ;... « un système d'assistance judiciaire ne peut fonctionner sans la mise en place d'un dispositif permettant de sélectionner les affaires susceptibles d'en bénéficier » ;... «en outre, le système mis en place par le législateur français offre des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l'arbitraire : d'une part, le bureau d'aide juridictionnelle est présidé par un magistrat du siège de la Cour de cassation et comprend également son greffier en chef etc. » ;... « d'autre part, les décisions de rejet peuvent faire l'objet d'un recours [98] devant le premier président de la Cour de cassation » (§ 41).
Après ce satisfecit donné par la Cour au système français, la Cour européenne va s'efforcer de justifier sa décision par rapport à sa jurisprudence Aerts c/ Belgique : « s'il est vrai que dans cette affaire, la Cour a conclu à une violation de l'article 6, § 1...il n'est pas douteux que la circonstance que M. Aerts était tenu d'être représenté par un avocat » (§ 41, in fine). C'est donc bien le fait que la représentation n'étant pas obligatoire, le requérant pouvait exercer son pourvoi, qui a déterminé la Cour à juger le système du filtrage conforme à la Convention et aux exigences du procès équitable. On peut s'en étonner car la Cour introduit ainsi une distinction entre deux catégories de plaideurs ; en l'absence de représentation obligatoire et suite à un refus d'aide juridictionnelle fondé sur le défaut de moyen de cassation, on laisse agir le requérant, à sa guise, c'est-à-dire sans l'assistance d'un avocat aux Conseils, qui, professionnel averti des choses du droit, aurait peut-être trouvé dans le dossier, s'il avait été désigné pour assister le requérant, un moyen sérieux, susceptible de prospérer devant la Cour. A contrario, le système français d'octroi de l'aide juridictionnelle devant la Cour de cassation (ou le Conseil d'Etat) pouvait paraître fragilisé par cet arrêt, dès lors que la représentation par avocat est rendue obligatoire. L'évolution ultérieure devait démentir cette vue des choses.
3) En effet, par une décision d'irrecevabilité passée inaperçue de la doctrine spécialisée et des revues juridiques, rendue contre la France le 14 septembre 2000 à propos du Conseil d'Etat et dans une procédure avec représentation obligatoire [99], puis par trois importants arrêts du 26 février 2002, tous rendus à propos de la Cour de cassation française et d'une procédure (de divorce) avec représentation obligatoire [100], la Cour européenne a validé le système d'octroi de l'aide juridictionnelle devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, tel qu'il vient d'être décrit.
- Dans la décision Kroliczek c/ France du 14 septembre 2000, la Cour européenne affirme que ne viole pas l'article 6, § 1 « le refus de l'aide au motif de défaut de moyen sérieux de cassation, moyen s'inspirant du légitime souci de n'allouer des deniers publics qu'aux demandeurs dont le pourvoi a une chance raisonnable de succès ; en outre, le système mis en place offre des garanties substantielles aux individus de nature à les préserver de l'arbitraire ».
- Dans les arrêts du 26 février 2002, après avoir réaffirmé que « la Convention n'oblige pas à accorder l'aide judiciaire dans toutes les contestations en matière civile », la Cour affirme qu'il « est légitime qu'un principe de sélection des affaires susceptibles de bénéficier de l'aide juridictionnelle soit mis en place en droit interne et qu'il est important de prendre concrètement en compte la qualité du système d'assistance judiciaire dans un Etat. Or, le système mis en place par le législateur français offre des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l'arbitraire ». Et elle énumère ensuite ces garanties : présidence du Bureau d'aide juridictionnelle par un magistrat, présence du greffier en chef de cette Cour, de deux avocats aux Conseils, d'un représentant des usagers ; possibilité d'un recours devant un juge contre la décision de refus de l'aide. Enfin, la Cour ajoute « qu'au surplus, dans chacune des trois procédures, le requérant a pu faire valoir sa cause par deux juridictions successives. En conséquence, le refus du bureau d'aide juridictionnelle, motivé par l'absence de moyen sérieux, d'accorder au requérant l'aide judiciaire pour saisir la Cour de cassation n'a pas atteint dans sa substance même le droit d'accès à un tribunal du requérant ».
C'est donc une évolution complète dans le sens d'un revirement de jurisprudence par rapport à l'arrêt Aerts et d'une extension de la jurisprudence Gnahoré aux procédures avec représentation obligatoire ; il n'y a plus lieu de distinguer selon qu'il y a ou non représentation obligatoire : le système français devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation est compatible avec les exigences européennes. A fortiori, pour le système devant les juridictions du fond, puisque devant celles-ci le contrôle est encore plus réduit que devant la Cour de cassation ou le Conseil d'Etat (vérification que l'action ne soit pas manifestement pas irrecevable ou dénuée de fondement, sans examen du caractère sérieux du moyen). Il reste que cette évolution,critiquée par deux juges dissidents et une partie de la doctrine, n'a été adoptée que par une simple Chambre de la Cour européenne et que, au fond,le caractère sérieux du moyen de cassation dépend précisément, dans l'immense majorité des cas de plaideurs non avertis des choses du droit, du travail accompli par l'avocat aux Conseils dans la présentation de la requête,travail qui, précisément, ne pourra être effectué dans la demande d'aide juridictionnelle puisque l'assistance de celui-ci aura été refusée. Les exemples qui suivent montrent combien cette solution peut être injuste si le plaideur ne trouve pas un avocat acceptant de le représenter à moindre frais, ce qui n’est pas sain.
           
 B) L’iniquité du système français illustrée par des affaires où le relevé « d’aucun moyen sérieux » à l’appui d’une demande d’aide juridictionnelle a été suivi … de l’acceptation du pourvoi au fond !
Pour être exceptionnelle, l’hypothèse n’est pas rare d’un plaideur qui voit sa demande d’aide juridictionnelle rejetée, au motif « qu’aucun moyen sérieux ne peut être relevé » à l’appui de sa demande, alors qu’il remplit par ailleurs les exigences d’insuffisance de ressources financières, puis qui réussit dans son procès en cassation en fond ! Plusieurs affaires (de droit du travail) ont été jugées en ce sens, sous l’empire du droit antérieur au décret du 20 août 2004, donc à une époque où la représentation par avocat aux conseils n’était pas obligatoire. Transposées aujourd’hui, ces affaires n’auraient peut-être jamais été jugées, puisque le plaideur qui se voit ainsi refuser l’aide juridictionnelle ne peut plus agir avec une représentation syndicale (que l’on présumera gratuite). Pour autant, cette situation intolérable et injuste ne remet pas en cause, selon nous, la représentation obligatoire, mais le cumul, dans la loi sur l’aide juridictionnelle d’une exigence (légitime) de ressources et d’un examen du pourvoi au fond qui préjuge (dans des conditions de rapidité et même de superficialité) du fond qui sera examiné, si le procès arrive à son terme, dans de véritables conditions d’égalité des armes et de respect du contradictoire. Il faut supprimer ce cumul et se limiter au critère exclusivement financier.
a) La première affaire portée à notre connaissance est celle du Moulin bleu. Dans une décision du Bureau d’aide juridictionnelle du 22 mars 2000[101], la demande d’aide juridictionnelle du salarié licencié pour cause jugée réelle et sérieuse par la Cour d’appel, est rejetée, au motif « qu’aucun moyen sérieux de cassation ne peut relevé contre la décision critiquée » ; le 28 avril 2000, le recours formé contre cette décision était rejeté par le Président du Bureau. On voit donc que le Bureau et son Président se sont prononcés (comment ? au vu de quels moyens de droit et de fait ?) sur le caractère sérieux du licenciement, pour rejeter, comme le leur permet la loi, la demande d’aide. Avec quatre enfants à charge et 895 euros de revenus mensuels, le salarié dépose néanmoins un mémoire au fond, par les soins de son avocat de première instance et d’appel qui, muni d’un pouvoir spécial, accepte de le représenter sans lui demander d’honoraires. Et la Cour de cassation, le 4 juin 2002, casse l’arrêt d’appel, retenant que le licenciement intervenu était sans cause sérieuse[102]. Le 13 octobre 2003, le Président du Bureau d’aide juridictionnelle convenait qu’au regard des dispositions légales, lorsque l’aide juridictionnelle n’avait pas été accordée et que cependant le juge avait fait droit à l’action intentée par le demandeur, il était accordé à ce dernier le remboursement de ses frais, à concurrence de l’aide juridictionnelle ; au final, le 4 décembre 2003, le Bureau d’aide juridictionnelle accordait la somme de 382 euros hors taxes au demandeur (pour un débours de 1632 euros)[103].
b) Même circonstance et même solution finale dans le cas d’un bijoutier à domicile, lui aussi licencié. Mais la cassation de l’arrêt au fond intervient non pas sur la question du licenciement, mais sur la procédure suivie devant les juges du fond, en appel ; pour le Bureau d’aide juridictionnelle, il ne pouvait être sérieux de soutenir en cassation qu’une pièce avait été présentée tardivement, alors même que cette pièce, datée du jour de l’audience et déposée le même jour avait emporté la conviction du juge. On reste confondu devant la méconnaissance, par le Bureau d’aide juridictionnelle, de la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la sanction de la tardiveté du dépôt des conclusions (procédure avec mise en l’état) ou de la production des pièces. C’est pourtant un grand classique des cours et travaux dirigés des étudiants en droit, dans le cours de procédure civile et tous les manuels de la matière en parlent ! En l’espèce, la chambre sociale ne va pas manquer de rappeler cette sanction (article 135 du nouveau code de procédure civile) : « il résulte de l’article 16, NCPC que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; selon l’article 135, NCPC, le juge peut écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile ; en retenant que la tardiveté de la communication est justifiée par des circonstances de fait, sans rechercher si l’appelant avait disposé d’un délai suffisant pour présenter à l’audience ses observations sur la pièce tardivement communiquée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision »[104]. On soulignera que l’attendu de la Cour de cassation est plus que classique dans ce type d’affaire où est en cause la production tardive de pièces ; la formule est quasiment de style et connue de tous les étudiants en droit. Ce qui prouve qu’il ne faut pas maintenir le pouvoir d’évacuer des demandes d’aide juridictionnelle au regard du caractère sérieux ou non du pourvoi.
III – La restriction du droit d’accès à un juge dans l’obligation d’exécuter la décision frappée d’appel ou de pourvoi
           A) Devant la Cour de cassation     
La procédure de radiation[105] de l'article 1009-1 du nouveau code de procédure civile qui permet au Premier président de la Cour de cassation de radier du rôle le pourvoi de celui qui n'exécuterait pas la décision attaquée,sauf conséquences manifestement excessives entraînées par cette exécution (et, depuis le décret du 28 décembre 2005, si le demandeur est dans l’impossibilité d’exécuter la décision), a donné lieu à des recours devant les organes européens de Strasbourg, avec des opinions qui ont évolué dans un sens, sinon défavorable sur le principe, mais plus restrictif dans l'application de ce texte [106].
a) La Commission européenne des droits de l'homme a d'abord jugé que cette procédure était conforme aux exigences de la Convention européenne quant au droit à un procès équitable[107]. Dans son rapport du 9 janv. 1995(affaire M.M. c/ France), la Commission européenne est d'avis que la réglementation du droit d'accès à un tribunal que comporte l'art. 1009-1, NCPC, « n'est pas contraire à l'art. 6, § 1, de la CEDH ». Il faut voir dans cet avis, qui ne sanctionne pas la France, l'influence de la dérogation que le texte permet au profit du requérant qui pourrait justifier que cette exigence(l'exécution) est de nature à entraîner pour lui des conséquences manifestement excessives.
b) C'est précisément cette notion de conséquences manifestement excessives qui se trouvait réalisée dans deux autres affaires et qui a conduit la même Commission européenne des droits de l'homme à émettre un avis défavorable sur cette procédure. Les requérants invoquaient leur impossibilité à exécuter la décision frappée de pourvoi, pour des raisons financières, leurs moyens ne leur permettant pas de procéder à cette exécution ; ils ajoutaient que l'atteinte à leur droit à un juge de cassation, par la radiation du rôle de leur pourvoi, était une mesure disproportionnée par rapport au but visé et qu'il n'existait aucun rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. La Commission (avis du 8 sept.1998) [108] « considère que l'exécution de l'arrêt d'appel était de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives, à savoir la vente aux enchères de l'habitation principale des requérants » (§ 59) et « que au vu de l'ensemble des circonstances, la décision de radiation du pourvoi du requérant au rôle de la Cour de cassation et le refus de réinscription ultérieur ont constitué des mesures disproportionnées au regard du but visé et que l'accès effectif du requérant à la Cour de cassation s'en est trouvé entravé » (avis du 21 avr. 1999 [109]).
La Commission, dans ces deux affaires a donc proposé une satisfaction équitable. Dans une troisième affaire (Mortier c/ France) [110], la Commission communique à la Cour la requête fondée sur la même inexécution d'un arrêt d'appel pour conséquences manifestement excessives provoquées par la radiation du rôle et la Cour européenne, dans cette affaire, condamne la France pour mauvaise appréciation de la situation économique du requérant dont le pourvoi avait été radié du rôle car il n'avait pas restitué les sommes obtenues en vertu de l'exécution provisoire du jugement de première instance, jugement que la Cour d'appel avait infirmé [111]. La Cour de cassation, sous l'impulsion de son Premier président s'est orientée vers l'idée que, dès lors que l'auteur du pourvoi en cassation bénéficie de l'aide juridictionnelle(ou du RMI), il y a présomption que l'exécution de l'arrêt d'appel entraîne pour lui des conséquences manifestement excessives ; le pourvoi est déclaré recevable nonobstant la non-exécution de la décision attaquée ; de même, le pourvoi est réinscrit au rôle dans tous les cas où la non-réinscription restreindrait l'accès à la Cour de cassation, à un point tel que le droit s'en trouverait atteint dans sa substance même, quand bien même la décision attaquée n'aurait pas été exécutée [112].
c) C'est d'ailleurs cette considération qui a valu à la France d'être condamnée le 14 novembre 2000, la Cour européenne considérant que les requérants bénéficiant de l'aide juridictionnelle, ils auraient dû être déclarés recevables en leur pourvoi (§ 57), la sanction étant, pour eux, disproportionnée aux buts légitimes poursuivis et au droit d'accès au juge de cassation (§ 59)[113]. Mais on notera que la Cour reconnaît « légitimes » les buts poursuivis par ce texte (§ 50) ; la procédure de retrait de rôle n'est donc pas, en elle-même, contraire à l'article 6 de la Convention ; tout au contraire, si le requérant ne peut justifier d'aucune conséquence manifestement excessive pour lui d'avoir à exécuter la décision attaquée, il ne peut se plaindre de la violation de l'article 6 parce que son pourvoi a été retiré du rôle[114]. La Cour européenne a précisé les critères de recherche que les mesures de retrait de rôle constituent ou non une entrave disproportionnée au droit d’accès à la Cour de cassation, « il faut retenir la situation matérielle respective du requérant, le montant des condamnations, ainsi que l’effectivité de leur examen par le premier président dans son appréciation des possibilités d’exécution de la décision frappée de pourvoi à la suite de la présentation de la situation matérielle de l’intéressé »[115]. Le fait que la Cour européenne aille si loin dans son appréciation des conséquences manifestement excessives pose la question de l’utilité de ce système entre les mains des juges de cassation qui se trouvent ainsi contrôlés par une autre cour, dans une procédure qui relève plus du filtrage des pourvois que de l’activité juridictionnelle. Cette dernière considération n’a pas empêché le ministère de la Justice de transposer ce système devant la cour d’appel.
            B) Devant la cour d’appel
            Le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 a transposé ce système devant la cour d’appel puisque le nouvel article 526, NCPC dispose que « lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision ».
            Désormais, on est donc en présence d’un système identique devant la cour d’appel et devant la cour de cassation et, quoi qu’on en pense, il y a bien, au final, grignotage du droit effectif à un juge, puisque cela qui n’exécutera pas la décision frappée de recours ne pourra pas la faire juger par un juge du degré supérieur. Il ne faut pas se leurrer, ce dispositif n’a pas été mis en place pour tenir compte de l’amélioration de la qualité de la justice en France, comme il a été prétendu par certains, mais pour satisfaire à la seule exigence de célérité. C’est un avatar de l’ambition qui avait agité certains esprits, plus soucieux de cette célérité et d’une logique de gestion des flux que de qualité, de généraliser l’exécution de droit en première instance, alors qu’on aurait pu se contenter de rendre obligatoire le débat devant le premier juge sur cette question de l’exécution provisoire, ce qui aurait eu le mérite de valoriser le rôle du juge. Mais le voulait-on vraiment ? Derrière les beaux discours et les écrits lénifiants sur la « valorisation de la décision du premier juge », « l’effectivité de la justice », c’est en réalité l’ennemi du justiciable qui se cache, à savoir la technocratie qui ne voit dans la Justice qu’une application de la L.O.L.F (pour les non-initiés « loi organique sur les lois de finances »), c'est-à-dire des indicateurs de performance (en terme quantitatif s’entend) et des BOP (budgets opérationnels de programme). Bref, où sont passées les considérations humaines, celles que la relation avocat-justiciable incarne si bien ? Heureusement, il reste la profession d’avocat pour mettre un peu d’humain dans cette désincarnation de la Justice, pour expliquer au justiciable que l’ordre du pouvoir réglementaire « exécute ou tais toi », ne porte pas atteinte à son droit au juge ! Il va falloir déployer des trésors d’imagination….

IV – L’ACTION DE GROUPE 1 : VISION JURIDIQUE
une class action à la française ?
Publié en 2005
Lors des cérémonies de vœux aux corps constitués de janvier 2005, le Président de la République a émis l’idée de « permettre à des groupes de consommateurs et à leurs associations d’intenter des actions collectives contre les pratiques abusives observées sur certains marchés ». Un groupe de travail mixte (chancellerie/ministère des finances) a été constitué aux fins d’étudier les voies et moyens d’introduire une class action en droit français. Le texte reproduit ci-après est la transcription des propos tenus par l’auteur lors de son audition par ce groupe le 7 juin 2005. A la question posée d’indiquer les éventuels obstacles à l’introduction de ce type d’action dans notre système juridique et quelle pouvait être la voie française d’une action de groupe, les arguments suivants furent développés.
En théorie, le législateur peut tout faire, sous la réserve toutefois d’un double contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité :
- de constitutionnalité d’abord, contrôle dont il convient de noter qu’il se resserre dans la jurisprudence la plus récente du Conseil constitutionnel (décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école), puisque le Conseil motive son exigence de lois normatives et précises par la nécessité de ne pas laisser aux autorités administratives et juridictionnelles la possibilité de se substituer au législateur. On lit en effet dans le considérant n° 9 : « le principe de clarté de la loi …et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi … imposent au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi »[116]. La peur du juge intègre ainsi l’environnement constitutionnel français.
- De conventionnalité ensuite, à un double niveau : celui du juge national qui est le juge naturel du droit européen ; certes modeste en pratique, ce contrôle a toutefois permis à certains juges du fond d’écarter une loi pourtant validée par le Conseil constitutionnel (affaire dite du tableau d’amortissement)[117]. Celui du juge européen qui siège à Strasbourg ensuite ; il faut pourtant être prudent dans l’évaluation d’un risque de censure, par la Cour européenne des droits de l’homme, d’un système de class action ; tout pronostic est difficile, tant il est vrai que les arrêts de la Cour européenne sont toujours nuancés et peuvent souvent se prêter à des extrapolations dans un sens ou son contraire ! Les concepts qu’elle utilise pour fixer sa jurisprudence se prêtent à bien des interprétations du fait de leur généralité (ainsi de « la prééminence du droit », des « exigences d’une société démocratique ») ou de leur originalité (par exemple, méthodes de l’autonomie des notions, du contrôle au-delà des garanties formelles, de l’approche globale des procès)[118]. Le prisme du procès équitable est bien souvent un prisme déformant et l’une des méthodes utilisées à titre subsidiaire par la Cour européenne, à savoir celle de la marge d’appréciation laissée aux Etats, est elle-même appréciée par la Cour ! En d’autres termes, la Cour européenne détient les clefs et le code d’accès de la marge d’appréciation laissée aux Etats membres[119]. Et ce contrôle de la Cour européenne sur le droit procédural français n’est pas purement théorique, les exemples tirés des articles 979 et 1009-1 du nouveau code de procédure civile le prouvent, de même que la condamnation de la France quant à la place et au rôle du commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat ou de l’avocat général près la Cour de cassation.
En conséquence, si l’on veut introduire un système de class action en droit français, on doit nécessairement s’interroger sur sa compatibilité avec les exigences, les standards constitutionnels et européens, mais aussi, au-delà de ces standards, avec les principes généraux du droit civil et de la procédure civile. Cela suppose de se mettre d’accord sur un modèle à importer ou à construire puisqu’il en existe plusieurs en Europe, à côté des modèles américain[120] et québécois[121]. Cela suppose aussi de ne pas perdre de vue que le droit d’un Etat est le reflet de la culture d’une société ; on ne peut se contenter ici de la référence à une « demande sociale », aux contours imprécis et aux retombées incertaines, pour justifier le bouleversement de nos normes juridiques et de nos principes fondamentaux de procédure. D’autant plus que le droit français connaît déjà des actions qui répondent en partie aux besoins d’une meilleure défense des intérêts des consommateurs[122] : actions en représentation conjointe (par exemple dans les articles L. 422-1 et L. 422-3 du code de la consommation qui permettent aux associations de consommateurs reconnues représentatives au niveau national d’agir en réparation du préjudice subi individuellement par des consommateurs personnes physiques, à condition que ce préjudice soit le fait du même professionnel ; dans les articles L. 452-2 à 4 du code monétaire et financier pour la défense des investisseurs dans les sociétés cotées[123] ; dans l’article L. 252-5 du code rural au profit des associations agréées de protection de l’environnement), actions en défense regroupée (jurisprudence dite des ligues de défense), action en défense d’un intérêt collectif sur habilitation législative voire jurisprudentielle, avec l’illustration particulière des actions visées aux articles L. 421-6 et L. 421-7 du code de la consommation en matière d’agissements illicites ou de clauses abusives, etc…. A supposer que soient trouvées les conditions satisfaisantes d’introduction d’une action de groupe en droit français, il conviendra d’en délimiter le périmètre et de justifier pourquoi on entend la limiter au droit de la consommation, sans compter qu’il faudra s’entendre sur la notion de droit de la consommation et de consommateurs ; est-ce que le droit de l’environnement en est exclu ? De même que celui des marchés financiers, du contrat d’assurance, etc…
Après avoir étudié les obstacles à l’introduction en droit français d’une class action à l’américaine (I), nous envisagerons la possibilité de créer une action de groupe à la française, c'est-à-dire qui respecte les principes procéduraux classiques de notre système juridique (II).

i) les obstacles à l’introduction, en droit français, d’une class action de type américain
Il nous semble qu’il faut raisonner davantage en termes de procédure civile que de droit de la consommation, pour peser, un à un, les obstacles que soulève, en droit français, le système américain de la class action. Trois entrées de pure procédure permettent d’y voir plus clair : au stade de l’introduction de l’instance (A), puis de son déroulement (B) et de son aboutissement (C). A chaque fois il faudra se demander si un préjudice de masse légitime des atteintes aux principes fondamentaux de notre procédure.

a) les obstacles à l’introduction de l’instance
            Trois questions, à tiroir, se posent.

1°) Qui est habilité à prendre l’initiative d’une class action ?
            En pratique, aux Etats-Unis, ce sont les avocats, en fait les gros cabinets d’avocats, compte tenu du coût des procès, qui conçoivent l’action à partir de leur connaissance de l’existence supposée d’un préjudice de masse ; rien dans le droit procédural français actuel n’interdit à un cabinet d’avocats de concevoir une telle action.
Le problème est plus délicat au niveau de la mise en œuvre de l’action. Si c’est un cabinet d’avocats qui entend fédérer les membres du groupe par une publicité appropriée il faudra d’abord lever l’obstacle de l’interdiction du démarchage pour les avocats (article 161, al. 2 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 : « tout acte de démarchage ou de sollicitation est interdit à l’avocat » ) et, si on l’autorise pour un préjudice de masse en droit de la consommation, il faudra se poser la question de la légitimité du maintien de l’interdiction dans les autres cas ; à vrai dire, il sera difficile de justifier une entorse au bénéfice du seul droit de la consommation et/ou des préjudices de masse. Il faudra se résoudre à généraliser l’autorisation du démarchage et à accepter, en pratique, que seuls les cabinets les plus importants disposeront de la trésorerie suffisante pour supporter le coût de cette publicité et des actes de sollicitation. On débouche inéluctablement sur la question des honoraires d’avocats au résultat, sur le pacte de quota litis. Pour compenser la faiblesse ou l’inexistence du (pré)financement d’une telle action, ne faudra-t-il pas autoriser les avocats à percevoir des honoraires proportionnels au résultat, c'est-à-dire aux indemnités prononcées, sur la base d’une convention d’honoraires préalablement arrêtée ; y est-on prêt, alors que le principe demeure inscrit à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 « qu’est interdite toute fixation d’honoraire qui ne le serait qu’en fonction du résultat judiciaire », que la notion « d’honoraire complémentaire » n’a été introduite que tardivement en droit français (par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 qui constitue aujourd’hui le texte de l’article 10 de la loi précitée du 31 décembre 1971), après beaucoup d’hésitations, que cet honoraire ne peut représenter qu’une partie des honoraires et que la jurisprudence se montre particulièrement sévère dans l’appréciation des conditions de sa mise en oeuvre ? L’obstacle n’est pas insurmontable du point de vue de la technique juridique, mais, là encore, l’autoriser pour le cas d’une action collective fondée sur un préjudice de masse, posera la question de la légitimité du maintien de l’interdiction dans tous les autres cas ; à l’autoriser pour ce type d’action, on s’expose nécessairement à le généraliser à tout type d’action ; c’est dire la révolution culturelle que cette autorisation générerait. La protection des consommateurs dans une class action justifie-t-elle d’introduire en France ce type de rémunération des avocats ? Est-elle à ce prix ? La France n’est pas les Etats-Unis et le marché du droit n’est pas conçu avec les mêmes repères, les mêmes valeurs. La class action est une technique permettant d’aborder un marché (celui du procès) pour générer de très fortes indemnités sur lesquelles les honoraires sont calculés au pourcentage. Ce n’est pas notre culture et la légitimité que la class action tire de ce qu’elle constitue une réponse juridique à un préjudice causé dans des conditions asymétriques de pouvoir entre des individus isolés et dispersés, sans force économique et/ou procédurale et des opérateurs qui ont, par exemple, lancé un produit avec des moyens puissants sur une cible impuissante, est-elle suffisante pour la justifier selon le modèle américain?
Si c’est une association qui fédère les membres du groupe, la prohibition du démarchage ne se pose pas et la loi du 1er août 2003 a d’ailleurs autorisé les associations d’investisseurs, sous certaines conditions (autorisation de justice), à recourir à la publicité pour recueillir des mandats d’agir en représentation conjointe (article L. 452-2, al. 2, code monétaire et financier). Mais une association aura-t-elle les moyens financiers suffisants pour se lancer dans une telle opération ? Et aura-t-elle une assise assez forte pour supporter le coût éventuel d’un procès en responsabilité à son encontre (pour dénigrement) au cas où la responsabilité de l’auteur présumé du préjudice de masse ne serait pas reconnue ? Pour résoudre cette question du coût, il a été suggéré[124] de créer un fonds de préfinancement des frais de procès, un « fonds d’aide au recours collectif ». Est-ce bien réaliste, alors que l’on sait que l’aide juridictionnelle manque cruellement de ressources et que l’état des finances publiques ne permet pas d’envisager à court et même à moyen terme, un financement public ? Qui alimentera ce fonds ?

2°) Est-ce que le juge autorise l’action ?
            C’est la question de la certification de l’action. Cette certification par un juge permet de dire que les conditions de réalisation d’un préjudice de masse sont réunies pour tous ceux qui se trouvent dans la même situation. A l’extrême (aux Etats-Unis) elle entraîne une déchéance du droit d’action individuelle[125]. C’est en quelque sorte un contrôle de l’adéquation de la technique (la class action) au litige de masse. Le Québec semble aller plus loin et contrôler les chances de succès de l’action à travers une étude du sérieux des moyens. En France, on se gardera d’oublier que dans le nouveau code de procédure civile la décision favorable du juge sur la recevabilité ne vaut pas appréciation des chances de succès au fond ; la recevabilité s’apprécie au regard de l’intérêt à agir, de la prescription non encore acquise, de la chose jugée ou non, etc… Si l’on devait introduire la certification en France, deux questions se poseraient :
- le juge français devra-t-il se contenter de ce contrôle a minima mais classique et qu’il connaît bien ? Auquel cas, le demandeur en certification portera le risque de l’échec. Ou bien, pourra-t-il aller plus loin et, comme le juge américain ou québécois, certifier l’adéquation de l’action au litige invoqué et évaluer ses chances de succès ?
- La seconde question est relative à la nature juridique de la décision du juge : est-ce une décision purement administrative ou un acte juridictionnel ? L’intérêt de la question n’est pas que théorique ; la réponse quant à la qualification entraîne au moins deux catégories de conséquences pratiques : si un recours est possible contre la décision de certification, il sera administratif dans le premier cas et judiciaire dans le second. En outre, si la décision du juge est de nature juridictionnelle, ne faut-il pas alors qu’elle soit précédée d’un vrai procès ? Avec respect des règles du procès équitable ? On débouche alors sur la troisième question qui se pose au stade de l’introduction de l’instance.


3°) Qui est représenté par la class action ?
            C’est la question la plus sensible. On sait que le droit américain connaît le système de l’opt out, par opposition à l’opt in. Relevons déjà que le vocabulaire français n’a pas de traduction adéquate de ces deux expressions, ce qui confirme l’ancrage culturel du système de la class action.

a) Le système de l’opt in ne soulève pas de difficultés particulières en droit français, et c’est d’ailleurs celui que consacre la jurisprudence, quasi-centenaire, sur les ligues de défense (ou en défense regroupée) : on fait à plusieurs ce que l’on aurait pu faire seul. En effet, dans ce système, ne sont membres du groupe que ceux qui choisissent d’y entrer en manifestant expressément leur volonté en ce sens. On est membre du groupe parce qu’on le veut. L’inconvénient pratique, c’est que la pression sur l’auteur du préjudice de masse est faible, pour ne pas dire inexistante, et ne permet donc pas de rétablir l’équilibre des forces. Point n’est besoin d’une notification individuelle ; on se fait connaître de l’association ou de l’avocat, soit à la suite d’une information transmise de bouche à oreille, soit à la suite d’une information dans la presse ou par tout autre moyen. Mais seuls ceux qui se font connaître sont membres du groupe.
b) Dans le système de l’opt out les obstacles juridiques sont multiples, au moins trois (encore que s’agissant du troisième consacré au droit européen les choses semblent évoluer favorablement au principe d’un recours collectif). On sait que dans ce système sont membres du groupe et considérées comme représentées, toutes les victimes, même taisantes, à la seule exception de celles qui auront manifesté leur refus d’être membres du groupe, c'est-à-dire leur refus d’agir en justice. Les autres, en étant représentées, sont considérées comme agissant en justice, même si elles sont inconnues de ceux qui agissent et du juge. Dans le système américain de la class action, l’introduction de l’action et sa certification par le juge crée le groupe et vaut représentation de tous à l’initiative de quelques-unes des victimes : le préjudice dit de masse, légitime une dérogation au droit d’action individuel, au droit de ne pas agir.

1) Premier obstacle : la règle nul ne plaide par procureur. Ce n’est pas un obstacle totalement insurmontable, car il faut bien comprendre la règle. Elle n’interdit pas la représentation à l’action (ad agendum) ; toute personne peut donner mandat à un autre d’agir à sa place, par un contrat. Parfois, c’est la loi qui désigne le représentant, ainsi du représentant des créanciers dans le droit des procédures collectives. Parfois, c’est le juge, pour un mineur ou un majeur incapable. Mais il faut une autorisation expresse. Or, dans le système de l’opt out, cette autorisation expresse n’existe pas, et il faut, si l’on souhaite introduire ce système en droit français, que le législateur vienne dire que, par dérogation à la règle, une association (ou un avocat) pourra représenter, sans mandat, des victimes qui ne se sont pas fait connaître. On mesure le saut juridique ! Tout est possible, mais encore faut-il apprécier la portée du bouleversement de la règle. Quid des autres contentieux ? La question se posera du pourquoi de la discrimination au seul profit des consommateurs et uniquement en cas de préjudice de masse.
            La règle a une seconde face, plus formelle : le mandat doit figurer en nom dans toutes les pièces de la procédure, sans que sa personnalité soit occultée par celle du mandataire. De nombreux textes du nouveau code de procédure civile imposent le respect de la règle (articles 56 pour l’assignation et 57 pour la requête ; article 59 pour le défendeur, etc..).
            Si, techniquement, il est possible de modifier la règle, il faudra se souvenir que son fondement se trouve dans l’idée que l’on ne peut agir en justice caché derrière une autre personne ; la légitimité de la règle, c’est la transparence du procès.

2) Deuxième obstacle : la décision du Conseil constitutionnel n° 89-257 DC du 25 juillet 1989. Au regard du système de l’opt out, cette décision semble bien constituer un obstacle dirimant, sauf à espérer que la loi ne soit pas soumise au contrôle du juge constitutionnel ou que la réforme se ferait par décret (auquel cas la question se posera de savoir ce que décidera le Conseil d’Etat s’il est saisi d’un recours). Nous nous permettrons de suggérer une piste de contournement de l’obstacle, à vrai dire bien mince.

) L’obstacle d’abord.
            - Pour bien le comprendre, il faut décortiquer la décision du 25 juillet 1989. Dans son considérant 22, le Conseil constitutionnel commence par autoriser le législateur à conférer à un syndicat « des prérogatives susceptibles d’être exercées en faveur aussi bien de ses adhérents que des membres du groupe social dont il estime devoir assurer la défense ». Ce premier considérant nous renseigne sur deux points : le syndicat peut agir non seulement pour ses adhérents, mais aussi pour les membres du groupe social qu’il estime représenter. Mais – et c’est le second apport qui limite la portée du premier - ce sont les syndicats qui sont habilités, pas les associations, ni les avocats ; certes, la question de l’association n’était pas posée au Conseil, mais on se souviendra de la méfiance historique des pouvoirs publics en France depuis la Révolution ; les textes de 1789 traduisent cette profonde méfiance, à commencer par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui ne vise que les personnes physiques, car seules celles-ci ont une âme ; la liberté d’association n’avait pas été consacré par la Déclaration de 1789 au titre des droits de l’homme, sans doute parce que les constituants étaient fidèles à une conception métaphysique des droits de l’homme. Fondamentalement, la méfiance envers les personnes morales (pas seulement les associations) vient de là : les droits de l’homme et du citoyen ne se conçoivent pas, à cette époque, en dehors du cercle des êtres en chair et en os et qui possèdent une âme ![126] Certes, ces éléments ont aujourd’hui perdu de leur force ; il reste que le syndicat présente l’avantage sur l’association, même agréée, a fortiori sur un cabinet d’avocats, d’être l’interlocuteur institutionnel des pouvoirs publics : il dépose des préavis de grève, il négocie les conventions collectives, il présente des candidats aux élections professionnelles, etc… Bref, il a un statut, il est reconnu et ce que le législateur lui accorde en dérogation de certains de nos principes n’est pas automatiquement transposable aux associations.
             - Dans le considérant 23 on lit que le syndicat ne peut agir ainsi qu’à condition « de respecter la liberté personnelle du salarié qui, comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelles ». Ainsi, la liberté personnelle a la même valeur que la liberté syndicale et l’égalité de traitement signifie que l’une ne peut l’emporter sur l’autre. Quid, a fortiori, pour une association face à un individu isolé ? Et ces deux libertés ont valeur constitutionnelle ; on remarquera que c’est aussi le cas de la liberté d’association. Enfin, si le Conseil constitutionnel utilise l’expression de « liberté personnelle » et non pas de « liberté individuelle », sans doute pour mieux la distinguer de la liberté d’aller et venir, cette distinction n’a pas persévéré et n’a pas eu de suite.
            - Dans le considérant 24, « le législateur peut permettre à un syndicat représentatif d’introduire une action en justice à l’effet non seulement d’intervenir spontanément dans la défense d’un salarié, mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel une action collective », mais « c’est à la condition que l’intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause [système du opt in] et qu’il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action ». On retrouve bien ici les trois temps de l’action, son introduction, la conduite de l’instance et l’extinction de l’action.          Si l’on estime que la class action relève de ce type d’action, ces trois dernières conditions posées par le Conseil constitutionnel ne peuvent convenir à la transposition du système de l’opt out.
            - D’autant plus que le Conseil constitutionnel a ajouté deux fortes réserves d’interprétation : s’il commence par admettre (considérant 25) qu’il n’est pas nécessaire d’adhérer au syndicat pour être défendeur et que le consentement de l’intéressé peut être tacite (silence gardé pendant 15 jours sur une notification de l’action envisagée), le Conseil exige (considérant 26) que ce consentement soit suffisamment éclairé « pour pouvoir respecter la liberté du salarié vis-à-vis des organisations syndicales », ce qui implique «que soient contenues dans la lettre adressée à l’intéressé toutes précisions utiles sur la nature et l’objet de l’action exercée, sur la portée de son acceptation et sur le droit à lui reconnu de mettre un terme à tout moment à cette action ». En outre, le Conseil exige que le syndicat justifie, lors de l’introduction de l’action, que le salarié a eu personnellement connaissance de la lettre ; sinon, l’acceptation tacite du salarié ne peut être considérée comme acquise : c’est la condamnation du système de l’opt out. C’est cette jurisprudence constitutionnelle qui explique que, à peine trois ans plus tard, dans le domaine des actions en représentation conjointe des associations de consommateurs, les auteurs de la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 ont voulu que l’association ne puisse agir que si elle avait obtenu un mandat écrit à agir en leur nom, d’au moins deux consommateurs concernés.
Comment surmonter l’obstacle ?

) Peut-on surmonter l’obstacle constitutionnel ?
            A supposer que l’on souhaite autoriser le système de l’opt out dans le cadre d’une class action qui serait introduite en droit français, existe-t-il un moyen de surmonter, de contourner l’obstacle constitutionnel qui le condamne, qui plus est au détriment des syndicats, pourtant mieux traités que les associations ? Remarquons d’abord que le contexte n’est pas favorable à un revirement ; ainsi que nous l’avons déjà indiqué[127], la décision du 21 avril 2005 sur la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école marque un net recul quant aux pouvoirs du juge, traduit même une véritable peur du juge. Derrière l’interrogation du Conseil sur la normativité de cette loi, on relève le considérant n° 9 (cf. supra) qui expose que la loi doit être normative et précise pour que le juge ne puisse pas faire jouer son pouvoir d’interprétation ! Or,  dans le système de la class action, le juge a un rôle important à jouer : vérification que l’action est justifiée par un préjudice de masse (certification) et que la publicité a été correctement faite.
            Pour autant, on remarquera que dans la décision du 25 juillet 1989, le Conseil constitutionnel raisonne dans le cadre d’un litige individuel (celui du salarié) pour un salarié isolé, sans préjudice de masse. Au contraire, dans la class action, si le préjudice de chacun reste individuel, il n’est plus isolé, puisqu’il s’agit, par hypothèse, d’un préjudice de masse. On peut donc se demander si le Conseil statuerait de la même façon pour exiger une notification individuelle, alors que les circonstances de l’action ne sont pas identiques à celles du cas qui lui a été soumis en 1989. Les solutions données dans une affaire particulière ne valent que si tous ses éléments constitutifs sont égaux par ailleurs et ce n’est pas le cas ici. En droit social, si l’accord est refusé, le procès n’aura pas lieu ; n’est-ce pas parce que le Conseil a voulu protéger le salarié contre le syndicat, plutôt que de consacrer, dans l’absolu, un droit d’action purement individuel, la liberté de ne pas agir en justice ? Dans le droit de la consommation et d’un préjudice de masse, l’absence d’accord d’un ou plusieurs consommateurs n’empêchera pas le procès de se dérouler puisqu’on peut penser que d’autres victimes n’hésiteront pas à agir ; en quelque sorte, l’adhésion expresse de toutes les victimes serait accessoire à l’existence même du procès ; dès lors, faut-il accorder la même importance à la liberté individuelle du consommateur de ne pas agir en justice que dans le cas du salarié ? L’argument – reconnaissons le – est ténu, car il est d’opportunité politique : l’admettre, c’est reconnaître que l’action de groupe opt out trouverait sa légitimité d’atteinte au principe de la liberté individuelle de ne pas agir en justice dans l’atteinte collective aux droits des consommateurs ; l’individuel céderait devant le collectif ; l’action collective de tous serait, en quelque sorte, supérieure au droit individuel de chacun de ne pas agir en justice, pour la raison essentielle que ce qui compterait, c’est le droit d’accéder réellement et concrètement à un juge (et on y accède mieux à plusieurs dans un système judiciaire onéreux comme celui des Etats-Unis, sans compter la force de frappe que représente l’opt out dans un procès qui va concerner des centaines, voire des milliers de consommateurs). On arrive finalement à l’argument de l’effectivité du droit à un juge, argument que l’on va retrouver en droit européen, dans une jurisprudence récente (de 2004).

3) La class action au regard du droit européen.
            Est-ce que l’on peut trouver dans le droit européen des obstacles à la class action ? On pense immédiatement à la loi Verdeille sur les associations de chasse agréées, la Cour européenne des droits de l’homme ayant jugé, le 29 avril 1999, dans l’arrêt Chassagnou c/ France, que l’adhésion forcée à une telle association « d’opposants éthiques à la chasse », n’est pas proportionnée au but poursuivi ; c’est la condamnation de l’adhésion forcée à une association. Par ailleurs, la jurisprudence européenne ne s’est pas toujours montrée favorable aux actions des associations devant ses propres organes de contrôle : « ne peut se prétendre victime celui qui est incapable de montrer qu’il est personnellement affecté par l’application de la loi qu’il indique »[128] ; ou encore, « la Convention ne permet pas l’actio popularis, mais exige, pour l’exercice du droit de recours individuel que le requérant se prétende de manière plausible, lui-même victime directe ou indirecte d’une violation de la Convention résultant d’un acte ou d’une omission imputable à un Etat contractant »[129].
            Mais une évolution semble se dessiner à partir de 2001 et, surtout, 2004. Déjà, en 2001, la Cour estime que « des associations pouvaient être considérées comme victimes au sens de l’article 34 de la Convention, car elles avaient été parties à la procédure qu’elles avaient engagée devant les juridictions internes pour défendre les intérêts de leurs membres »[130]. Elle est encore plus nette en 2004, avec une motivation qui tient compte des déséquilibres économiques entre les parties pour garantir un droit d’accès effectif aux tribunaux : « dans les sociétés actuelles, lorsque le citoyen se voit confronter à des actes administratifs spécialement complexes, le recours à des entités collectives telles que les associations constitue l’un des moyens accessibles, parfois le seul, dont il dispose pour assurer une défense effective de ses intérêts particuliers. Cette qualité à agir des associations dans la défense des intérêts de leurs membres leur est d’ailleurs reconnue par la plupart des législations européennes… Une autre approche, par trop formaliste de la notion de victime, rendrait inefficace et illusoire la protection des droits garantis par la Convention »[131]. Il est important de souligner que ce dernier arrêt fait allusion à la législation des Etats membres et que le Portugal, le Royaume Uni et la Suède connaissent des actions de groupe qui n’ont pas été condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme. Surtout, la Cour fait allusion, dans cet arrêt, à l’effectivité de la protection des droits garantis par la Convention ; on revient à l’arrêt fondateur Airey c/ Irlande du 9 octobre 1979 et à l’argument que nous avons développé à propos de l’obstacle constitutionnel : est-ce que la class action n’est pas l’instrument de cette effectivité, fut-ce, dans le système de l’opt out, au détriment de la liberté individuelle ? Mais on prendra garde de relever que la Cour européenne ne se prononce pas sur l’exigence ou non d’un droit individuel de ne pas agir en justice ; en consacrant le droit d’action des associations en défense regroupée, elle ne dit rien d’une telle action qui serait exercée au nom de consommateurs inconnus.

b) les obstacles dans le déroulement de l’instance
            Pour l’essentiel, on peut en identifier trois.

1°) Obstacle dans la recherche des preuves
            Dans le système américain de la class action la recherche des preuves constitue l’élément clef de cette procédure, avec la technique de la discovery qui permet de pratiquer des « fishing expeditions ». Sommes-nous prêts, culturellement parlant, à introduire ce système en droit français, à supposer qu’on le juge essentiel, voire consubstantiel, à l’effectivité d’une action collective pour préjudice de masse ? De tradition, en France, c’est le Parquet et le juge d’instruction qui sont seuls autorisés, en matière pénale, à procéder ainsi. Mais en matière civile, notre système juridique est à cent lieues du système américain, malgré l’accroissement des pouvoirs du juge de la mise en état.
            Sommes-nous prêts aussi, financièrement parlant, à faire supporter le coût, énorme, de la discovery au perdant du procès ? Et quid de la surface financière des associations ?
            Pour être complet, il faut relever que la class action peut exister sans discovery, mais elle perd en efficacité ce qu’elle gagne en compatibilité avec le système français. Et si l’on introduit ce type de recherche de la preuve, il faut, là encore, s’interroger sur son cantonnement aux procès pour préjudice de masse.

2°) L’égalité des armes
            Le procès en class action, est un procès comme un autre au regard des garanties du justiciable. En particulier, il devra respecter le principe de l’égalité des armes que le droit européen, depuis 1968, place au fronton du procès équitable : « l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire »[132].
            Or, dans le système de l’opt out, les membres représentés mais inconnus ne pourront pas faire valoir leurs arguments ; on peut lever l’obstacle en remarquant que, précisément, ils sont représentés (mais sans leur accord exprès). Inversement – et l’obstacle est plus fort - le défendeur ne peut-il pas prétendre, dans ce système de l’opt out, qu’il ne connaît pas tous ses adversaires, alors que le représentant de la class connaît son adversaire ? La rupture d’égalité est inhérente au système de l’opt out. Et elle va heurter les droits de la défense.

3°) Au regard du principe de la contradiction
            La Cour européenne des droits de l’homme rappelle constamment qu’une procédure n’est pas contradictoire si « le président n’a pas entendu le requérant et ne l’a pas invité à présenter ses observations »[133]. Le défendeur à une class action ne peut-il pas légitimement prétendre qu’il n’a pas pu obtenir du demandeur inconnu qu’il présente ses observations et qu’il n’a pas pu faire valoir ses arguments contre chacun des demandeurs, notamment dans l’appréciation du préjudice de chacun (par exemple en opposant le comportement fautif de certaines victimes) ? Pour le moins, le juge devra vérifier que tous les protagonistes ont été à même de bénéficier du droit d’être entendus. Mais cette exigence ne porte-t-elle pas en elle-même la condamnation de l’opt out ? Pour contourner l’obstacle, il a été (astucieusement) proposé[134] que la class action soit, au moins dans un premier temps, limité, en droit français, aux hypothèses de contentieux objectifs (celles des stipulations contractuelles et de la sécurité des biens mis en circulation), à l’exclusion de contentieux de la responsabilité civile qui, lui, est un contentieux subjectif ; si la proposition est séduisante, elle réduit à néant ou presque (ce que son auteur reconnaît) l’intérêt d’introduire en France une class action avec le système de l’opt out, car ces actions sont d’abord faites pour obtenir des dommages-intérêts, manifestation concrète de l’indemnisation d’un préjudice de masse ; au demeurant, pour les stipulations contractuelles, le droit français connaît déjà, on l’a dit, des actions spécifiques en suppression de clauses abusives.

c) obstacles dans l’aboutissement de l’instance
           
 a) En cas d’échec de l’action, qui paye les frais de l’instance ? Au regard des principes français, le demandeur et il s’y ajoutera d’éventuels dommages-intérêts au profit du défendeur si celui-ci estime avoir subi un préjudice économique important du fait de la class action. Et ceux-ci risquent d’être élevés si le demandeur avait procédé à une large publicité sur la responsabilité supposée du défendeur avant même de lancer son action.
  
 b) En cas de réussite de la class action, deux questions se posent.
- Il y a d’abord la question de savoir à qui le jugement profite. Aux parties et aux personnes représentées certainement : par conséquent, si l’on admet le système de l’opt out, il faut absolument considérer que les victimes inconnues sont néanmoins représentées pour que l’effet relatif de la chose jugée ne leur soit pas opposable.
- Il y a aussi la question de la fixation des dommages-intérêts aux victimes du préjudice de masse et de leur paiement. Comment fixer l’indemnisation ? Avec un caractère automatique et forfaitaire, égalitaire, mais sans individualisation individuelle du préjudice subi par chacun ? On porte alors atteinte au principe que le préjudice doit être évalué individuellement, au cas par cas. Si on le fixe par l’attribution d’une somme globale au fonds créé à cet effet ou à l’association, l’indemnisation variera selon le nombre final de victimes qui se feront connaître après le jugement, ce qui n’est guère satisfaisant et pose la question de la diffusion de ce jugement ? A quel coût ? Se posera ensuite la question du mode de paiement des indemnités, question à laquelle les juristes français sont peu habitués : faudra-t-il fixer un délai à l’expiration duquel les victimes ne pourront plus se faire connaître ? Faut-il accepter l’idée d’un fonds pérenne, dans l’attente que des victimes aujourd’hui inconnues se manifestent même tardivement ? Il semblerait qu’au Québec cette question de l’attente de la distribution des fonds soit cruciale.
On constate que sur ce dernier point, comme sur bien d’autres déjà rencontrés, le système américain de la class action est inadapté aux besoins et aux contraintes français. Sans doute est-ce dû à une différence culturelle essentielle relevée par Monique Bandrac dans le Précis Dalloz de droit processuel : «une telle procédure et le rôle qu’elle suppose donné au juge, constitue, à la disposition des groupes de pression, l’instrument d’une action politique plutôt que juridictionnelle »[135]. De fait, la class action n’est pas une action adaptée à notre droit privé, car « le juge français n’est investi d’aucun pouvoir réglementaire et n’est pas un organe de l’action politique…. Seul le recours pour excès de pouvoir s’apparente aux class actions, dans la mesure où le juge administratif reconnaît qualité à tous les membres d’une catégorie abstraite pour contester la légalité d’un acte portant atteinte à l’intérêt catégoriel et obtenir ainsi un jugement quasi-réglementaire puisqu’il annule un règlement »[136]. Tout est là et il est temps d’envisager un modèle à la française, qui respecte nos principes fondamentaux de procédure, sans perdre en efficacité.

ii) la faisabilité juridique d’un modèle français de recours collectif
            La réponse à la question posée par le Président de la République n’est-elle pas dans une adaptation des règles de procédure civile française pour garantir que les préjudices de masse seront traités autrement que les préjudices isolés, tout en respectant l’essentiel de nos principes de procédure ? Après d’autres auteurs[137], mais en prenant résolument un angle procédural, nous pensons être en mesure de proposer un système de recours collectif « à la française » que nous soumettons à la sagacité des membres de la commission et de tous ceux qui liront ce texte, car nul ne détient la vérité.

a) le schéma proposé d’une action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse
            En fait, ce que nous proposons, c’est d’introduire une action déclarative en responsabilité pour préjudice de masse, avec obligation ou faculté (selon le cas) pour le juge de suspendre le procès une fois acquise cette déclaration, pour permettre aux autres victimes de se faire connaître et d’intervenir selon la technique de l’intervention volontaire.
            
 a) On peut en effet concevoir que, dans une première phase, une personne qui se prétend victime d’un préjudice de masse (ou une association agréée de consommateurs ou les deux) commence par introduire une action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse à son détriment et à celui de victimes indéterminées (mais déterminables par la nature de l’évènement ayant causé le préjudice) ; les deux demandes devront être formulées dans l’assignation pour pouvoir bénéficier des particularités de ce type d’action et prendre conscience que ce type de procès est plus long qu’un procès ordinaire. L’action aura pour objet d’établir la faute du défendeur et d’aboutir à un jugement en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. Le juge devra donc à la fois vérifier l’existence d’un préjudice de masse et identifier la faute du défendeur, la définir. Ce type de procès ne suppose aucun aménagement de nos règles de preuve ; c’est un procès normal en responsabilité, avec le respect de toutes les garanties du procès équitable mais limité à la déclaration de la faute à l’origine d’un préjudice de masse préalablement identifié ; il ne nécessite pas, a priori, de tribunaux spécialisés, sauf si le législateur souhaitait, comme il est de mode aujourd’hui, centraliser ce type de contentieux sur quelques grands tribunaux de grande instance (ou cours d’appel). Si l’on souhaite introduire, à ce stade de la procédure, une voie de recours (au demeurant assez normale s’agissant d’une déclaration de responsabilité pouvant entraîner de graves conséquences pour le défendeur), il conviendra de prévoir une procédure accélérée afin de ne pas retarder inutilement et déraisonnablement l’issue du procès.

 b) Le jugement déclaratif de cette responsabilité permettra d’entrer dans une deuxième phase judiciaire en fixant un délai de suspension de l’instance, délai qui sera mis à profit par le demandeur à une telle action pour procéder à une publicité, ordonnée par le juge (ce qui couvre la responsabilité du demandeur, puisque la faute a été reconnue par le juge), aux frais du défendeur et payable sur le montant d’une provision demandée au défendeur dont la responsabilité aura été reconnue et déclarée par un juge. Les aspects financiers d’une class action sont ainsi résolues par le jeu des mécanismes classiques du procès civil.
            Pendant cette phase, les victimes qui se reconnaîtront dans ce préjudice se feront connaître du tribunal, soit directement par la technique bien connue de l’intervention volontaire (articles 328 et s. NCPC), soit en rejoignant une association de défense regroupée qui sera déjà partie à l’instance et que l’on autorisera, pendant cette période, à s’ouvrir à d’autres adhérents qu’au début du procès, sous la condition de porter leur identité à la connaissance du tribunal.

 c) L’instance reprend à l’expiration du délai fixé, sans que la question de l’opt out se pose puisque, par hypothèse, il n’y aura, à l’instance, que des victimes connues et qui se seront manifestées. On verra plus loin comment résoudre la situation des victimes qui se feraient connaître hors du délai fixé par le juge. Au cours de cette instance, il sera procédé à l’évaluation individuelle des préjudices de chaque victime (avec, au demeurant, des situations vraisemblablement très proches), ce qui entraînera la fixation personnalisée de dommages-intérêts et dont l’attribution se fera sans passer par un fonds créé à cet effet, selon les règles classiques d’attribution de dommages-intérêts. La question des honoraires d’avocat payés sur le fonds, avec un pacte de quota litis ne se pose donc pas.
d) Reste la situation des victimes qui ne se feraient connaître que tardivement, en tout cas après l’expiration du délai fixé par le juge pour former une intervention volontaire. Elles ne seront pas dans le groupe indemnisé et ne pourront bénéficier du jugement. Mais rien ne leur interdira, sous la réserve traditionnelle que leur droit ne soit pas prescrit, d’intenter une action individuelle en responsabilité civile contre l’auteur de leur dommage, action dont le résultat sera facilité par la production, à l’appui de leur demande et à titre d’information du juge, du jugement rendu sur l’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse. On échappe ainsi à la prohibition des arrêts de règlement posée par l’article 5 du code civil et le risque de divergence de jurisprudence est écarté par le mécanisme régulateur du pourvoi en cassation.

b) le champ de l’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse
            Rien ne nous semble devoir imposer de limiter ce type d’action au droit de la consommation. C’est la notion de préjudice de masse qui en détermine l’existence et en fixe les modalités. Ainsi seront résolues les questions, toujours délicates, du contenu du droit de la consommation. Quant au préjudice de masse, on peut l’appréhender sous l’angle « de préjudices individuels multiples nés d’un même fait et concernant des victimes connues ou indéterminées, mais déterminables ».

c) le code devant accueillir l’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse
            On peut penser à introduire cette nouvelle action dans le code de la consommation. Au-delà du symbole et du « signal » fort qui serait ainsi donné aux consommateurs et à leurs associations de défense agréées, ce procédé ne nous paraît pas justifié pour deux raisons :
- l’une de fond, à savoir, comme nous venons de l’indiquer, que ce type d’action est justifié par la nature du préjudice (de masse) et non pas par le domaine dans lequel la faute se réalise. L’optique de cette action, c’est de faciliter la réparation d’un préjudice de masse, peu important le champ de l’activité du défendeur.
- l’autre de pure procédure : si le système que nous proposons ne bouleverse aucun des principes fondamentaux de notre procédure civile, il suppose néanmoins que soit bien transcrit, dans un code de procédure civile, les quelques aménagements de règles techniques qu’il suppose (par ex., la formalisation de la demande en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse ; le régime juridique du premier jugement qui tout à la fois reconnaît qu’il y a préjudice de masse, déclare la responsabilité du défendeur et suspend l’instance ; le régime juridique de la suspension de l’instance et des modalités d’intervention volontaire ; les conditions de la publicité ordonnée par le juge et son financement par une provision versée par le défendeur condamné ; la reprise de l’instance et la question des voies de recours). De plus, un livre entier du nouveau code de procédure civile attend tout naturellement la description technique de cette action, à savoir son livre III, qui contient un titre IV sur « les obligations et les contrats » ; il suffirait d’ajouter un chapitre VII avec cet intitulé : « L’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse ».
            A titre de mesure de proposition médiane, on pourrait, tout en conservant cette action, à titre principal, dans le NCPC, créer un article-renvoi dans le code de la consommation, comme c’est déjà le cas entre le NCPC et d’autres codes, par ex. le code de l’organisation judiciaire.

V - L’ACTION DE GROUPE 2 : VISION SOCIO-CULTURELLE ET ÉCONOMIQUE
Entre identité nationale et universalisme du droit :
l’idée et le processus d’introduction d’un recours collectif en droit français
(écrit en décembre 2006, publié en 2007)
          
         Cette contribution aux Mélanges offerts à notre collègue et amie Hélène Gaudemet-Tallon[138] est issue de réflexions élaborées à compter de janvier 2005, lorsque, quelque temps après la déclaration du Président de la République, le 4 janvier 2005, lors d’une cérémonie de vœux aux corps constitués, en faveur d’une amélioration de la condition des consommateurs, j’ai été contacté par la Présidence de la République pour expliquer au Président ce qu’était le droit positif en matière de recours collectif et les difficultés ou les possibilités d’introduire une class action dans notre système juridique. Les circonstances de l’époque – je résidais en Guadeloupe et y exerçais les (lourdes) fonctions de Recteur d’académie qui ne laissent guère de temps à des échappées en métropole, même pour le Président – ne m’ont pas permis de répondre favorablement à la demande, le temps d’écoute présidentiel ne correspondant pas à mes obligations de présence en Guadeloupe. Mais, bien évidemment, j’ai accepté de rencontrer l’un de ses conseillers à l’occasion d’un voyage rectoral à Paris, puis d’être auditionné, dans les mêmes conditions de présence à Paris, par la commission de réflexion mise en place par la Chancellerie et le ministère des finances au printemps 2005. Puis j’ai publié ladite intervention au recueil Dalloz[139] et ai accepté de participer à la journée organisée par la Société de législation comparée et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, le 27 janvier 2006, sur les recours collectifs en droit comparé et d’être auditionné au Sénat par des membres du groupe socialiste de la Commission des lois. Il faut dire que cette question ne m’était pas inconnue, depuis que, jeune assistant des Facultés de droit, préparant, en 1970, mon mémoire en vue de l’obtention du second diplôme d’études supérieures (en sciences criminelles), je m’étais intéressé au droit de la consommation (par une comparaison du droit de la publicité mensongère en France et en Suisse[140]), et depuis que, plus tard, en 1973-1974, je m’étais attelé à une étude de cette même protection, au Canada cette fois (par le biais d’une bourse de …. l’OTAN !) ; enfin, j’avais publié à la revue internationale de droit comparé, en 1990, un article sur l’action de groupe en droit français[141], sous l’angle procédural ; cette dernière remarque n’est pas neutre dans le contexte actuel, puisque l’éclairage consumériste m’apparaissait, déjà, insuffisant pour appréhender correctement la question. J’avais, bien évidemment, affiné ma pensée sur cette question de l’action des associations de consommateurs au fur et à mesure des rééditions du précis Dalloz de procédure civile (depuis 1980), qu’il s’agisse de l’action en représentation conjointe, des actions en défense d’une grande cause ou de la jurisprudence dite des ligues de défense ; enfin, cinq ans avant la demande présidentielle, j’avais eu l’occasion de présenter à un public étranger, les difficultés que connaît le droit français à introduire ce type d’action ; c’était lors d’un colloque organisé par l’Association internationale des sciences juridiques, à Melbourne, en Australie, en février 2000. Si je raconte tout cela, ce n’est pas pour mettre en avant ma vie, mais pour insister sur cette idée que le recours collectif, l’action de groupe, la class action, quel que soit le  nom qu’on lui donne, revient toujours à un double problème de culture (d’environnement juridique si l’on préfère) et de choix d’entrée, procédurale ou consumériste. On l’a bien vu dans les débats qui se sont déroulés depuis deux ans, soit devant la Commission de réflexion (qui n’a pas pu produire un projet unique), soit dans les différents colloques ou séminaires ou tables rondes qui ont été organisés ici ou là. La charge idéologique a été si forte, que, d’une part, les membres de la Commission officielle n’ont pu que se mettre d’accord sur leur désaccord, en présentant deux projets, et que, d’autre part, les invitations aux dits colloques ont été sélectives, selon les inflexions des organisateurs et qu’enfin, les propos parfois tenus au cours de ces sortes d’assises du droit de la consommation, tout au long des années 2005 et 2006, relevaient davantage de la terminologie de la lutte des classes, que de la science juridique. La raison en est simple : l’identité nationale est ici très forte et l’universalisme des idées bute sur les dures réalités des droits nationaux, notamment en matière procédurale. On a trop souvent tendance à oublier que la procédure est d’essence territoriale et qu’elle se plie mal aux tentatives d’harmonisation européennes (dans le cadre communautaire), comme aux projets d’unification mondiale (voir les oppositions au projet d’Unidroit) ou aux idées de transplantation de greffons venus d’un autre système juridique (voir la fiducie et la class action précisément). Le droit comparé est ici omniprésent dans ce débat sur l’introduction de recours collectif en droit français, avec, en toile de fond, l’éternel débat entre l’identité nationale et l’universalisme du droit ; c’est pourquoi, nous partirons, pour illustrer notre propos, de la Journée organisée le 27 janvier 2006, par la Société de législation comparée et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, sur les recours collectifs en droit comparé, sans oublier néanmoins qu’au final, comme nous l’avons toujours prétendu, le débat français reste essentiellement de nature procédurale et de choix d’un type de modèle, national ou d’importation.
Plusieurs expressions prononcées au cours de cette journée du 27 janvier 2006 et dans les écrits des uns et des autres m’avaient frappé d’emblée, qu’il s’agisse de la référence à la culture, au monde qui change, à un vocabulaire marxiste (« lutte des classes », « dictature du prolétariat ») ou américain (opt in ; opt out ; class action). C’est dire combien les approches, tout au long de ces deux années de débats et de discussions, furent, certes passionnantes, mais aussi passionnées. Une première idée avait attiré mon attention en entendant (le 27 janvier 2006) le rapport introductif de Madame le Professeur Véronique Magnier, confirmé par celui du Professeur Emmanuel Jeuland sur le droit français : la culture est omni-présente dans ce débat sur la class action. Et l’Honorable Martin Cauchon, ancien Ministre de la Justice du Canada, l’avait confirmé pour son pays en ajoutant « tout change ». Oui, tout change ! Et ce constat m’avait immédiatement fait penser à celui qu’avait dressé Stefan Zweig, ce merveilleux auteur autrichien de la première moitié du XXème siècle, dans son dernier livre autobiographique « Souvenirs d’un européen », écrit en 1942-1943, juste avant qu’il ne se donne la mort alors qu’il était réfugié en Amérique du sud ; tout change et c’est le titre et l’objet même de son roman dont le premier chapitre nous décrit comment l’Autriche de l’Empire austro-hongrois, est passée après la guerre de 1914-1918, d’un monde de sécurité (celui où il était de tradition que les jeunes filles trouvent un mari auxquels leur père pouvait servir une rente dont la force provenait de la stabilité de la monnaie en or !) à un monde d’insécurité.
Si tout change, en France comme ailleurs, c’est sous l’influence de l’universalisme (I). Mais alors, pourquoi n’en a-t-on pas encore tenu compte dans le sujet qui nous intéresse, celui des recours collectifs? Si rien ne change, n’est-ce pas en raison de la force de résistance de l’identité nationale ? (II). Le droit comparé présente cette vertu première de nous faire réfléchir, d’inspirer et d’impulser des réformes, mais la territorialité de la procédure s’y oppose bien souvent ; alors, il faut concilier les deux et trouver dans notre propre système juridique procédural, un modèle autonome, dans le respect de nos différences, de nos cultures respectives (III).

i – l’influence de l’universalisme : tout change …
                         
A) Et d’abord le lien entre l’économie et le droit

Lors de la Journée du 27 janvier 2006, Véronique Magnier et Emmanuel Jeuland ont, tous les deux, évoqué ce lien entre l’économie et le droit et je me suis demandé, à les entendre, si la montée en puissance de l’idée d’introduire dans notre système juridique une forme de recours collectif, n’était pas la contrepartie de la dérégulation économique, du retrait de l’Etat dans maints secteurs de notre économie. Il n’y aurait donc pas de hasard à cette poussée du concept de recours collectif depuis janvier 2005 et les vœux du Président de la République souhaitant que le Gouvernement se penche sur l’introduction d’un tel recours dans notre législation et notre pratique judiciaire. Est-ce que ce recul systématique n’est pas le signe que le moindre interventionnisme de l’Etat français, les dénationalisations massives que nous connaissons depuis vingt ans, induisent, par une sorte d’effet de vases communicants, un accroissement de la prise de conscience de la nécessité de mieux protéger les consommateurs par des actions en justice d’un type nouveau ? Et cela, bien sûr, sous l’influence de la mondialisation.
         
   B) Le lien du droit avec la culture a lui aussi été mis en exergue par nos intervenants

Et ce lien, nous dit-on, à la fois nous inciterait au changement, puisque l’économie se mondialise, et constituerait un frein à ce même changement, puisque tout est culture et qu’un système juridique ne peut pas importer sans risques une institution qui lui est totalement étrangère. Les perfusions en matière juridique provoquent souvent des décès prématurés ; des institutions qui réussissent dans certains pays, échouent souvent dans d’autres ; le rejet de la greffe est un phénomène que le monde du droit connaît aussi.
a) Par culture, j’entends d’abord ici les comportements des acteurs judiciaires, ceux du droit en action, en mouvement. Et le 27 janvier 2006, le rapport de Martin Cauchon, pour le Canada, fut, à cet égard, très instructif : nous avons ainsi appris que les avocats qui, antérieurement à l’introduction de la class action en droit canadien, agissaient avec mandat et selon les directives données par leurs clients, pouvaient désormais, dans ce type d’action, agir sans mandat et sans suivre de directives, si ce n’est celles de leur conscience ou … de leurs intérêts. Quant au juge canadien, il est devenu gardien des intérêts des groupes et non plus du seul intérêt général. Aux Etats-Unis d’Amérique aussi, Maître William Torciana nous a appris ou confirmé, ce jour-là, que la structure fédérale générait des problèmes de conflits de lois que nous ne connaissons pas en droit français, que la relation à l’argent n’est pas conçue de la même façon des deux côtés de l’Atlantique, que, plus particulièrement, la question des honoraires d’avocat est dominée par l’acceptation du pacte de quota litis, elle-même accompagnée d’un démarchage de clients que notre droit repousse, même après le nouveau code de déontologie de juillet 2005. Sommes-nous prêts à de tels changements ? La mondialisation trouve ici ses limites.
b) Par culture, j’entends aussi la question des dommages-intérêts punitifs qui n’existent pas chez nous. Or, on l’a entendu, le 27 janvier 2006, pour le droit canadien et pour le droit américain, cette possibilité n’est pas sans lien avec notre sujet de la class action. C’est une autre culture que la nôtre que celle qui permet de punir par de tels dommages-intérêts des comportements fautifs, sans recourir à la sanction étatique pénale. Je me demande d’ailleurs si le système de l’opt out ne porte pas en lui un risque de requalification par la Cour européenne des droits de l’homme en matière pénale, surtout si l’on devait aller vers des dommages-intérêts punitifs. Et l’un des intervenants au débat du 27 janvier 2006, Jacques Fourvel a très bien exprimé ses vives inquiétudes à cet égard (avec l’avantage du double regard d’un juriste passé de la magistrature au monde de l’entreprise). Pour s’en convaincre, j’invite le lecteur de ce lignes à (re)lire les romans de John Grisham, notamment L’idéaliste (paru en 1996 chez Robert Laffont) dans lequel, dans le domaine de l’assurance-vie, le héros du roman gagne son procès contre une compagnie d’assurances, la fait condamner à de très forts dommages-intérêts punitifs et, finalement, ne gagne rien du tout (sauf la gloire et une compagne pour la vie), car la compagnie se place immédiatement sous la protection de la loi sur les faillites et ne paye rien du tout !
c) Culture enfin quant à la création d’un fonds d’indemnisation et la distribution des dommages-intérêts alloués sur le fondement d’une action de groupe. Qui le finance ? L’Etat ? Avec le risque, en ces temps difficiles pour la France, budgétairement parlant, qu’il n’en ait pas les moyens ; et avec l’introduction d’une vision trop régalienne, pour ne pas dire collectiviste, du droit de la consommation. Les défendeurs à l’action de groupe? Au risque de bouleverser le principe que les sommes allouées doivent servir aux victimes, pas à alimenter le financement d’autres causes ? Au profit de qui et pour quoi faire ? Attendre un hypothétique moment où toutes les victimes potentielles se seront fait connaître ? Alimenter les caisses des associations de consommateurs, devenues ainsi des procureurs de l’intérêt collectif, avec droit de perception des dommages-intérêts au nom des victimes potentielles, mais inconnues (dans le système de l’opt out). Je reste persuadé que les associations n’ont pas vocation à être ou à devenir des procureurs privés, hors habilitation législative expresse ; c’est pourquoi, j’ai toujours critiqué la jurisprudence qui admettait les associations à agir en justice en défense d’une grande cause, par une sorte d’habilitation judiciaire qui serait un substitut à la défaillance ou à l’ignorance d’une cause par le législateur. Les associations sont là pour défendre des gens, des victimes, les aider à faire à plusieurs ce qu’elles auraient pu faire seules, pas pour défendre des causes, si honorables et grandes soient-elles.
On peut encore illustrer la prégnance culturelle par le fait qu’en Italie, dans l’un des deux projets présentés par le Professeur Andréa Giussani à la journée du 27 janvier 2006, (celui de l’opposition politique actuelle), les dommages-intérêts sont distribués selon les règles de la procédure de la faillite, ce qui n’est pas un hasard, si l’on veut bien se souvenir qu’en Italie, comme en Allemagne d’ailleurs, ce sont les processualistes qui enseignent et pratiquent le droit des procédures collectives.
On le voit, la prégnance culturelle est très forte. Pour autant, faut-il ne rien changer, au motif que notre culture ne nous y prédisposerait pas, voire nous l’interdirait de manière irréductible ? Certainement pas. Mais dans quelles voies faut-il s’engager ? On s’aperçoit alors de la force de résistance de nos habitudes, de nos schémas de pensée pour que rien ne change.

ii – … pour que rien ne change ? la force de résistance de l’identité nationale
            
 Faut-il vraiment que rien ne change ? Je ne le pense pas. Le droit est mouvement et la vie n’est pas dogme figé. Les juristes doivent savoir accompagner les nécessaires évolutions, répondre aux demandes nouvelles, s’impliquer dans la vie économique et sociale de leur pays. La mondialisation est l’occasion de nous remettre en cause. Mais nous devons le faire à l’aune de notre culture. Et notre culture, à nous Français, est double : romano-germanique (A) et révolutionnaire (B).
         
  A) Une culture romano-germanique
             
     Est-ce un hasard, là encore, si, lors de cette journée du 27 janvier 2006, Maître Christoph Maurer, pour l’Allemagne, a montré combien son pays résistait à l’introduction de tout type de recours collectif et que la class action n’y était encore qu’à l’état de projet ? A l’inverse, est-ce un hasard si l’Angleterre et le Pays de Galles, de tradition de common law, ont su adapter le système américain avec beaucoup de pragmatisme et d’aisance, comme l’a indiqué, ce même jour, Maître Fiona Walkinshaw, puisque leur système juridique est très proche, conceptuellement parlant, du droit des Etats-Unis d’Amérique ?
            C’est pourquoi, j’élimine d’emblée le système de l’opt out qui est l’un des deux systèmes dont a eu à débattre la Commission d’études Chancellerie/ Bercy. Je l’élimine, non pas par dogmatisme, par anti-américanisme primaire (on remarquera à cet égard, que les plus favorables au système américain, sont les mêmes qui, dans d’autres combats, sont les plus farouches adversaires du modèle économique et social américain, de l’american way of life !) Je ne l’élimine pas non plus par trop grande révérence envers le Conseil constitutionnel et sa décision du 25 juillet 1989 (encore que celle-ci soit remarquablement motivée, ce qui nous change de certaines décisions actuelles, qui procèdent plus par affirmations péremptoires que par véritable démonstration). Je l’élimine pour la raison que ce système me semble contraire à notre tradition processuelle que l’action en justice est d’essence individuelle, pour ne pas dire individualiste.

a) Et, sur ce point, je ne partage pas l’approche d’Emmanuel Jeuland dans son interprétation des arrêts Servair de la chambre sociale de la Cour de cassation (1er février 2000), interprétation qu’il a présentée à la même journée du 27 janvier 2006. La Cour n’a pas contré le Conseil constitutionnel, la Cour n’a pas introduit l’opt out contre la volonté du Conseil. En permettant au syndicat de n’informer le salarié de son intention d’agir en justice pour défendre son intérêt personnel, que le jour de l’introduction de l’instance (ce qui induit que la non-opposition du salarié, après le délai de réflexion que la loi lui réserve, pourra n’être connue du juge qu’en cours d’instance, mais en tout état de cause avant que l’instance ne soit close), la Chambre sociale (arrêt CGT Roissy c/Servair) est restée dans la logique d’un système d’opt in ; simplement, elle a différé dans le temps l’exigence de transparence posée par notre droit et rappelée par le Conseil constitutionnel en 1989 ; en aucun cas la chambre sociale n’a consacré contra legem (si l’on veut bien accepter l’idée que le Conseil constitutionnel participe à l’élaboration de la loi) le système de l’opt out. Que les associations de consommateurs ne fondent pas trop d’espoir sur cette interprétation, car elle ne nous semble pas correspondre à la réalité telle qu’elle résulte de la confrontation de la décision du Conseil constitutionnel et de l’arrêt de la chambre sociale. Par ailleurs, si la chambre sociale n’exige pas que le syndicat indique dans les actes de la procédure le nom et la profession du salarié en faveur duquel il agit, c’est parce qu’elle voit dans cette action syndicale « une action en substitution qui est personnelle au syndicat et non une action en représentation des salariés » (arrêt Servair c/ Lasne, 1er février 2000) ; mais l’information du salarié doit être faite et sa non-opposition à l’action portée à la connaissance du juge. La différence de cette action syndicale avec une éventuelle class action dans le droit de la consommation, c’est que dans l’opt out, on ne connaît pas toutes les victimes, peut-être même qu’on ne les connaîtra jamais, alors que dans l’affaire Servair, les salariés sont connus dès le départ ; ce qui n’est pas porté à la connaissance du juge immédiatement, dès le début de l’instance, c’est leur non-opposition.

 b) De même – et je rejoins ici Jacques Fourvel déjà cité – introduire une action de groupe avec opt out, c’est introduire la discovery, avec tout l’aspect déstructurant qu’elle comporte pour des systèmes romano-germaniques. Sorte de perquisition privée, la veut-on vraiment dans notre droit privé, alors qu’on conteste par ailleurs les perquisitions à l’initiative du juge d’instruction ? Le vocabulaire brésilien des recours collectifs, tel qu’il résulte du rapport présenté par le Professeur Mauricio Prado, le 27 janvier 2006, est significatif de cet état d’esprit, si étranger à notre culture : j’ai entendu « tutelle de l’Etat » ; est-ce cela que nous voulons, alors que nous n’avons pas le chiffre impressionnant de pauvres que connaît le Brésil et qu’a donné ce collègue et qui semble justifier, à ses yeux, que des mesures contraignantes soient imposées pour les protéger contre les producteurs et opérateurs économiques ?
           
 B) Une culture révolutionnaire
            Et c’est pourquoi, l’autre système, celui que j’ai préconisé devant la Commission d’études[142], « l’action en déclaration de responsabilité pour préjudice de masse », colle mieux avec notre tradition révolutionnaire, telle qu’elle s’exprime dans notre devise républicaine.

a) Notre tradition juridique en effet, n’est pas seulement romano-germanique, elle nous vient de la Révolution de 1789, elle-même issue du Siècle des Lumières. Elle s’inscrit dans cette tradition culturelle de rupture qu’a constitué la Révolution de 1789, dans cette culture venue de ce siècle des Lumières qui, certes, se confond avec une partie de l’histoire des Etats-Unis d’Amérique, dans les réflexions philosophiques des grands penseurs de cette époque, mais qui n’en a pas pour autant adopté la common law. C’est ce siècle qui nous a amené les idées de liberté et d’égalité ; la fraternité n’est venue que plus tard, avec la Révolution de 1848 ; et elle est venue pour mettre un peu d’ordre dans ce couple infernal que forment la liberté et l’égalité. Et il est vrai que les Français sont plus attachés au respect de l’égalité que de la liberté, à preuve, en procédure pénale, le régime de la détention provisoire bien souvent préféré à celui de la caution : on estime que le « riche », celui qui pourrait payer une très importante caution ne peut échapper à cette détention provisoire, au motif que le « pauvre » ne pourrait, lui, procéder à ce paiement.

b) Dans l’autre système évoqué par la Commission d’études Chancellerie/Bercy, celui de l’opt in, système largement inspiré par les travaux des spécialistes du droit de la consommation ou du droit du procès, dont le signataire de ces lignes, l’entrée est plus procédurale que consumériste. Pas par dogmatisme, pas parce que nous vivrions dans des sociétés de démocratie procédurale (idée que je défends néanmoins), mais par pragmatisme et réalisme : tous les obstacles sont procéduraux, mais tous peuvent être levés, car la procédure est une technique au service de la garantie des droits fondamentaux, donc du droit d’accès à un juge, d’un droit d’accès effectif. Les fondements du recours collectif sont culturels et liés à l’évolution de nos sociétés, mais la traduction technique de ce recours est d’ordre procédural, pas de droit substantiel.
            C’est pourquoi, le système que nous avons proposé répond parfaitement au schéma culturel français, tel que l’exprime notre devise républicaine :

1) Ce système respecte la liberté d’agir ; ce n’est pas un système contraint.
- Liberté d’abord, dans l’introduction de l’action : tout consommateur isolé peut agir, mais aussi toute association, agréée ou pas. Mais dans le respect des règles de l’intérêt et de la qualité à agir.
- Liberté ensuite de se joindre à l’action : l’intervention volontaire que je préconise pour élargir le cercle des demandeurs a le double mérite d’exister dans notre nouveau code de procédure civile (donc d’être largement connue et pratiquée) et de respecter la liberté de ne pas agir.

2) Ce système respecte aussi l’égalité, non seulement entre les demandeurs, mais aussi dans la relation demandeur/défendeur.
-  Egalité des armes : il est essentiel ici que le principe du contradictoire soit respecté dans toute sa plénitude ; l’égalité des armes est la composante essentielle du procès équitable et on ne peut pas évacuer cette exigence fondamentale, cette garantie d’une bonne justice, même au nom de la défense de la cause des consommateurs. Or, dans le système de l’opt out, cette égalité des armes n’est pas totalement assurée, puisque le défendeur se défendra contre des victimes inconnues et cela me choque, sans aller jusqu’à parler, avec Jacques Fourvel, de « dictature du prolétariat » (propos tenus lors de la journée du 27 janvier 2006) ! Si l’intérêt collectif doit l’emporter sur toute autre considération et justifier des atteintes graves aux principes fondamentaux de notre procédure (tel que celui de ne pas agir en justice), nous sommes bien alors, comme l’a relevé Jean Massot (toujours dans le cadre de cette journée du 27 janvier 2006), dans une interprétation marxiste du droit, en citant, à cet égard, la piste que j’avais esquissée pour essayer de cantonner la décision du Conseil constitutionnel de 1989, condamnant l’opt out, au seul droit du travail.
- Egalité nécessaire encore sous l’angle du champ de ce type d’action en déclaration de responsabilité pour préjudice collectif. Et c’est pourquoi, pour ma part, je ne limiterai pas le recours collectif au droit de la consommation. Qu’est-ce qui légitimerait une telle limitation ? On m’a fait observer, cette fois le jeudi 25 janvier 2006, au Sénat devant certains parlementaires membres de la Commission des lois de la Haute assemblée, que j’étais bien le seul à ne pas savoir ce qu’était le droit de la consommation et que les exemples que j’avais cités pour justifier l’extension du champ d’action du futur recours collectif français au-delà de ce droit aux contours incertains, relevait « à l’évidence » du droit de l’environnement ou de la santé, mais pas du droit de la consommation (il s’agissait d’un exemple inspiré de l’affaire de la pollution du Rhin par la potasse des mines d’Alsace); bref, je n’étais qu’un pauvre professeur coupé des réalités de la pratique, perdu dans ses nuages de théorie générale du droit, dans ses illusions théoriques, dans ses schémas de pure spéculation intellectuelle et je n’avais rien compris puisque la question « était politique » ! Voilà l’expression magique lâchée, celle qui justifie tout, y compris l’ignorance, qu’on oppose à l’interlocuteur d’un soir, lorsqu’on n’a pas d’argument rationnel ! Faut-il rappeler que la politique ce n’est pas n’importe quoi ? Que c’est la prise en compte des réalités de la vie en société, mais aussi des principes qui structurent notre société. J’ai trop entendu, dans une vie antérieure d’engagement public, ce type d’argument, pour ne pas savoir que c’est celui des faibles ou des démagogues les deux qualifications allant souvent ensemble. A preuve, le même interlocuteur qui m’oppose la formule magique « c’est politique », se révèle ensuite incapable, sur mon interrogation, de classer l’hypothèse d’une pollution des eaux par des produits chimiques (question relevant, à l’évidence, du droit de l’environnement) suivie d’une consommation de cette eau par des êtres humains (problème, à l’évidence aussi, de droit de la consommation) ; à travers cet exemple, on voit bien que les frontières sont floues et qu’à vouloir limiter le recours collectif à un droit de la consommation aux contours incertains, on prend le risque d’ouvrir des procès annexes sur le domaine d’application de cette nouvelle action. Là encore, dans le respect de nos principes fondamentaux, le juriste doit être pragmatique.

3) Fraternité enfin. Vous me direz, qu’est-ce que la fraternité vient faire ici ? Si vous traduisez  le mot par celui de solidarité, expression moderne de la fraternité, l’éclairage change.
- Solidarité-fraternité entre les membres du groupe, puisque les premiers qui agissent font œuvre de fraternité envers tous ceux qui se trouvent dans la même situation (le même groupe, la même « classe »), mais qui ne peuvent pas ou n’osent pas agir. La technique de l’appel à intervention volontaire pour se joindre à l’action en déclaration de responsabilité pour préjudice collectif, permet de concrétiser cette solidarité-fraternité.
- Solidarité-fraternité encore, mais financière cette fois, puisque c’est celui que le juge déclare responsable du dommage qui, par provision fixée par le juge, finance la publicité permettant de faire appel aux victimes qui seraient encore dans l’ignorance de l’existence du recours collectif.
- Quant à la distribution des dommages-intérêts, elle ne pose aucun problème puisqu’elle est fondée sur les mécanismes et principes classiques d’évaluation du préjudice et de versement des sommes allouées par le juge et n’a rien à voir avec le droit des faillites ou des dommages-intérêts punitifs.

iii- en guise de conclusion : la procédure civile au service d’une class action a la française
            A l’universalisme, affiché par la Cour européenne des droits de l’homme, de la défense des intérêts particuliers des consommateurs (A), le gouvernement, prudent dans sa démarche, à quelques mois d’une élection présidentielle, répond par un projet d’identité nationale (B), qui, sans aucun doute, ne constituera qu’une étape vers une véritable action de groupe en droit français (B).
             
a) l’universalisme : l’affirmation européenne de la défense effective des intérêts particuliers des consommateurs
Pour bien cadrer le débat au niveau comparatif de l’universalisme et de la garantie des droits, illustration d’une mondialisation du droit et des techniques juridiques, je voudrais rappeler ici l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 avril 2004, Gonaiz Lizzanagga c/ Espagne : « dans les sociétés actuelles, lorsque le citoyen se voit confronter à des actes administratifs spécialement complexes, le recours à des entités collectives telles que les associations constitue l’un des moyens accessibles, parfois le seul, dont il dispose pour assurer une défense effective de ses intérêts particuliers. Cette qualité à agir des associations dans la défense des intérêts de leurs membres leur est d’ailleurs reconnue par la plupart des législations européennes… Une autre approche, par trop formaliste de la notion de victime, rendrait inefficace et illusoire la protection des droits garantis par la Convention ». Cet arrêt fait allusion à la législation des Etats membres et à l’effectivité de la protection des droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme ; on revient ainsi à l’arrêt fondateur Airey c/ Irlande, du 9 octobre 1979. Est-ce que le recours collectif n’est pas l’instrument de cette effectivité ? Si je rappelle cet arrêt, c’est parce que l’aspect européen, singulièrement communautaire, a été singulièrement absent des débats des deux années écoulées. C’est aussi parce que cet arrêt sonne comme un rappel à l’ordre : il ne faudrait pas que tout change dans le débat d’idées et au niveau des constats de mondialisation (cf. notre première partie) pour qu’au final ne rien ne change dans la pratique, par la force de l’identité nationale! Il ne faudrait pas que, comme dans ce merveilleux roman de G. Tomasi di Lampedusa, Le Guépard (1958, mais plus connu par le film de Visconti avec Burt Lancaster, Claudia Cardinal, Alain Delon et Serge Reggiani) tout change pour que rien ne change. La sclérose nous guette au nom de nos vieilles habitudes et de nos grands principes. Ceux-ci n’ont de valeur que s’ils s’inscrivent dans un mouvement, celui des idées, mais aussi des pratiques. Je l’ai dit, d’entrée de jeu : le droit, comme la vie, est mouvement. N’ayons pas peur du changement.
            On ne peut se contenter de dire, par un habile jeu de mots, que la class action serait une action de classe manifestant « la dictature du prolétariat » (Jacques Fourvel, lors de la journée du 27 janvier 2006). Le débat d’idées n’est pas ici marxiste. Et on ne peut se satisfaire non plus de la non-indemnisation d’un préjudice, au motif qu’il est faible. C’est tout le lien social qui est ici en cause, la croyance de toutes les victimes en la Justice de leur pays, la perception chez tous les citoyens que l’injustice de leur sort n’est pas irrémédiable, que le droit porte en lui des solutions. L’effectivité des droits, c’est ici leur apporter une réponse judiciaire. Et cet exercice effectif des droits, c’est la démocratie, c’est le règne du droit, c’est sa prééminence sur le fait et la force ; sans forcer le trait, ni la comparaison, l’actualité récente de ces derniers mois dans nos banlieues (novembre 2005) est là pour nous le rappeler. Entre la faiblesse des situations individuelles et la force d’un pouvoir économique dominant, il y a le droit et le juge ; il faut croire de toutes ses forces au droit à un juge, car sans lui, il n’y a pas de vie sociale, certains diraient de Constitution ! Il faut donc favoriser cet accès au juge, sans naïveté, sans illusion.
            Bref, la technique – et la class action est une technique – n’est que la traduction de principes fondamentaux de la vie en société. L’ignorer en repoussant toute réforme, c’est prendre le risque de graves désillusions. Aller trop loin, à l’inverse, au mépris de notre enracinement culturel, serait prendre le risque d’un rejet. Entre les deux, il y a toute la sagesse du juriste raisonnable, tout l’équilibre du procès. Bref, une class action à la française doit être l’illustration de l’aequus, des deux plateaux de la balance qui symbolise notre Justice. La mondialisation des échanges et du droit nous ramène inéluctablement au modèle des sociétés démocratiques, celui du procès équitable, le seul qui vaille au final.
             
b) l’identité nationale : le projet français de class action de septembre 2006
            Dans un discours du 12 septembre 2006, la Garde des Sceaux a présenté le projet du gouvernement en partant des conclusions du groupe de travail qui avait remis son rapport le 16 décembre 2005. Ecartant la voie d’une réforme des actions collectives que les associations de consommateurs agréées peuvent exercer, ainsi que celle de la création d’une action de groupe inspirée des systèmes des Etats-Unis et du Québec, il privilégie une troisième voie, celle dans laquelle le groupe de consommateurs n’est constitué que par les personnes ayant expressément entendu se joindre à l’action. C’est en partie, mais en partie seulement (avec des ambitions plus modestes quant à la nature et au montant du litige, ainsi que quant à l’origine du préjudice), le système, d’essence procédurale, que nous avions présenté à la Commission :

a) La procédure se déroulera en deux ou trois temps selon le cas
            La nouvelle procédure sera confiée à des tribunaux de grande instance spécialement désignés.
- Dans une première phase, initiée nécessairement par une association agréée de consommateurs et représentative au niveau national (et non pas par n’importe quel consommateur), le juge se borne à se prononcer sur la responsabilité du professionnel ; pas question d’introduire ici la certification (anglo-saxonne) de l’action par le juge, d’où, en contrepartie, pour réguler l’exercice de l’action, les garanties exigées des associations. L’introduction de cette action paralyse l’action pénale et inverse ainsi à la règle « le criminel tient le civil en l’état ». La représentation par avocat sera obligatoire à ce stade de la procédure. Le juge se prononce alors sur la responsabilité du professionnel, mais sans fixer le préjudice subi par les consommateurs, qui ne sont pas parties à l’action. Si le juge déclare le professionnel responsable, la décision fait l’objet d’une publicité selon les modalités fixées par le jugement (ce que nous avions préconisé avec paiement des frais au moyen d’une provision payée par le professionnel reconnu responsable, ce que le projet ne précise pas). Le juge surseoit alors à statuer sur la liquidation des préjudices individuels subis par les consommateurs pour permettre à la deuxième phase de se dérouler : il impartit un délai aux consommateurs pour adresser au professionnel concerné une demande d’indemnisation et fixe la date à laquelle l’affaire sera rappelée devant lui.
- Dans un deuxième temps, en effet, chaque consommateur, ainsi informé, peut présenter une demande d’indemnité au professionnel qui sera tenu de faire une offre accompagnée d’un chèque ; en cas d’acceptation de l’offre, l’affaire est terminée.
- Dans un troisième temps, à l’expiration du délai de sursis à statuer, si certaines demandes d’indemnisation n’ont pas été satisfaites, le juge reprend l’affaire, mais statue selon une procédure simplifiée et sans représentation obligatoire ; il pourra décider de la comparution des parties. Aux cas où aucune offre n’aurait été faite ou bien encore si elle est jugée manifestement insuffisante, le juge pourra condamner le professionnel, au profit du consommateur, au paiement d’une pénalité égale à cinquante pour cent de l’indemnité allouée.

b) Le champ de l’action est triplement  limité
- Quant à la nature du litige : ne sont concernés que les litiges relevant du droit de la consommation ; en sont exclus ceux qui relèvent du droit du travail ou les atteintes au droit de l’environnement. On reste sceptique sur la capacité à distinguer les litiges relevant strictement du droit de la consommation !
- Quant à l’origine et la nature du préjudice : seuls les préjudices d’origine contractuelle pourront faire l’objet de cette procédure ; sont exclus, les préjudices d’origine délictuelle ou quasi-délictuelle. En outre, seuls les préjudices matériels et les troubles de jouissance des consommateurs nés d’un manquement d’un professionnel à ses obligations (contractuelles) pourront être réparés selon cette procédure. Sont exclus les préjudices corporels, ce qui, ipso facto, écarte toute possibilité de recourir à cette procédure pour les préjudices nés d’un accident d’avion.
- Enfin, quant au montant du litige, il convient de souligner que le projet cantonne la procédure aux litiges dont le montant du préjudice individuel ne dépasse pas 2000 euros.
            Tout ceci est bien modeste et donnera certainement lieu à des conflits de frontières. Puissent les débats qui ont occupé les juristes, les associations de consommateurs et les politiques pendant deux ans, nous persuader qu’il n’est de bonne Justice que celle qui s’enracine dans nos cultures, nos traditions, celles de la vieille Europe (et pour moi l’expression n’est pas péjorative), sans méconnaître les aspirations contemporaines de nos concitoyens qui doivent conduire à réfléchir puis à traduire dans le droit de nécessaires évolutions. L’identité nationale ne sera plus alors une force de résistance (insurmontable) à l’influence des idées venues d’ailleurs, à l’universalisme, mais le facteur permettant de respecter les spécificités culturelles dans la mise en œuvre de réformes jugées nécessaires aux évolutions de notre temps. A ce titre, le projet du gouvernement est largement perfectible. Les optimistes y verront une première étape sur le long chemin de la défense des intérêts des consommateurs.

VI – LE MINEUR

l’acces des mineurs au droit
ou l’illustration d’une democratie qui se cherche
(Conférence prononcée à Rennes en septembre 2006, publiée en 2007)

            Jacques Foyer est un ami de longue date, pas seulement parce que nous avons professé ensemble à Paris 2 ou que j’ai fait partie du jury d’agrégation de droit privé et sciences criminelles qu’il avait constitué pour le concours de 2000-2001 ou encore qu’il soit venu à Dakar, il y a bien longtemps, siéger dans des jurys de thèse, alors que j’étais en fonctions dans cette université. Mais aussi, parce que ses importantes responsabilités syndicales m’ont conduit à l’aider et à le soutenir dans cette tâche, ô combien ingrate et pourtant indispensable, pour que le statut des professeurs d’université soit ce qu’il est, avec le maintien des spécificités propres au corps des juristes. Le thème choisi pour honorer le récipiendaire de ces Mélanges, issu de propos conclusifs prononcés lors d’un colloque tenu à Rennes en novembre 2006[143], n’est pas sans rapport avec ce qui vient d’être écrit, bien au-delà des centres d’intérêt qui sont ceux de Jacques Foyer ; le lecteur s’en apercevra vite en parcourant certains passages sur l’enseignement du droit …. dans le secondaire.
            Le thème de l’accès des mineurs au droit est un beau sujet pour un juriste et pour un ancien recteur ! En effet, nous sommes au cœur d’un problème central pour l’Education nationale et pour notre Nation : au-delà de l’accès des mineurs au droit, c’est la place du droit dans la Nation qui est posé. Nous sommes aussi au carrefour du droit et de la justice d’un côté, de l’Education nationale et des mineurs de l’autre. C’est sans doute ce qui m’a valu d’être pressenti pour présenter le rapport de synthèse de ces journées d’étude, ma double qualité de juriste et de Recteur, même si, entre le moment de mon acceptation et celui de la présentation de ce rapport, j’ai perdu la seconde de ces qualités ! Mais je reste Professeur et cela vaut plus et mieux qu’un titre qui est attribué et retiré par la volonté discrétionnaire du pouvoir politique, sans aucune considération pour les mérites supposés de ceux qui acceptent ce type de fonctions ou les quittent ; je dis cela sans aucune amertume, car c’est la loi du genre et il ne faut pas accepter d’être nommé Recteur si l’on vit mal ensuite la fin de l’expérience ; et comme je crois plus à la République du mérite, notamment celle des concours de la haute fonction publique, qu’au Bas-Empire de l’irresponsabilité morale et politique de certains ministres, le titre de professeur des universités dans les disciplines juridiques me laisse qualifié pour être là aujourd’hui afin de conclure vos travaux.
            Ces débats, ces communications, dont je dois présenter la synthèse, m’ont permis de retrouver la famille judiciaire à laquelle je suis le plus attaché, celle des avocats, sans doute parce que j’y côtoie la liberté de ton et l’indépendance d’esprit auxquelles je tiens tant. La diversité des points de vue ne rend pas la synthèse aisée. Pourtant, il est possible de partir d’une formule de Victor Hugo, que je trouve assez juste, même si, aujourd’hui, elle mérite d’être nuancée et complétée. Selon l’illustre écrivain « l’éducation, c’est la famille qui la donne, l’instruction, c’est l’Etat qui la doit ». La première nuance à apporter, c’est que, si nul ne conteste aujourd’hui l’obligation de l’Etat à donner aux citoyens les moyens de leur instruction, en revanche, on peut douter du rôle majeur de certaines familles dans l’éducation de leurs enfants mineurs ; et le sujet de l’accès des mineurs au droit ne peut occulter que ce n’est pas aux acteurs de l’Education nationale de porter ce que les familles ne donnent plus à leurs enfants et qu’on ne peut accepter un transfert des charges éducatives vers les professeurs des écoles ou du secondaire. En revanche, et c’est une autre nuance à apporter, on ne peut plus opposer aussi nettement l’éducation et l’instruction ; je préfère parler d’un curseur qui se déplace sur la ligne « éducation-instruction », selon les familles, les mineurs, les lieux, les moments de la vie de l’élève : dans certains cas, ce sont les familles qui éduquent à 100% et les professeurs qui instruisent à 100% ; dans d’autres cas, l’éducation est à 90% familiale et à 10% professorale et la remarque vaut, en proportion inversée, pour l’instruction, avec toutes les étapes intermédiaires possibles.
Néanmoins, il reste vrai, globalement, que la différence introduite par Victor Hugo permet de mesurer la part du droit, successivement dans l’éducation des mineurs (I), puis dans leur instruction (II). Mais il faut compléter la formule par un autre aspect, celui de la part du droit dans l’accès des mineurs à la citoyenneté (III), laquelle constitue, au final, la fusion de l’éducation et de l’instruction.

i) la part du droit dans l’éducation des mineurs
Bien sûr, c’est à 80-90%, la part des familles. Elle repose à la fois sur une connaissance disciplinaire, mais aussi des choses de la vie, et sur une conscience, celle de l’importance du droit. Cet accès des mineurs au droit se décline, en matière d’éducation, au sein de la famille (A), sans pathologie et contre la famille (B), avec pathologie.
             
a) la part du droit au sein de la famille
             
             Il faudrait plutôt parler, avec Jean Carbonnier, de non-droit, tant il est vrai que l’éducation des mineurs et leur accès au droit ne reposent pas sur la pathologie des situations contentieuses. Francis Kernaleguen a rappelé dans sa communication que l’évolution des mœurs et de la société a permis de passer de la puissance paternelle à l’autorité du père et de la mère sur leurs enfants. L’image du père, tenant ses pouvoirs de Dieu et les exerçant sans contrôle sur ses enfants n’est plus ; il n’y a pas ici à le regretter ; c’est un constat qui s’impose à nous, celui d’une prise de conscience qu’un mineur est une personne comme une autre, avec, en plus, la nécessité de le protéger.
            Pour autant, l’accès des mineurs au droit au sein de leurs familles, passe davantage par l’apprentissage de leurs devoirs que par la revendication de leurs droits ! N’oublions pas les termes du code civil de 1804 qui, reprenant les préceptes des trois grandes religions monothéistes, consacrait d’abord le devoir de respect de ses parents, l’obligation de les honorer et de leur obéir. La perception du Droit par un mineur est donc d’abord celle d’une obligation, plus que d’un droit (subjectif). Et c’est sans doute parce qu’il veut s’affirmer contre ses parents qu’il dit « j’ai le droit » ; il n’a pas conscience du Droit, mais il a conscience du poids de l’autorité parentale et il veut s’approprier une part de cette autorité.
            Bref, l’accès du mineur au droit au sein de sa famille passe d’abord par l’affirmation de sa place au sein de celle-ci, par une revendication d’être traité en sujet de droit, plus que par l’expression d’une application de normes dont il n’a pas vraiment conscience. C’est plus tard, l’âge venant, que le mineur va affirmer ses droits contre sa famille, avec, cette fois, le rôle central de l’avocat.
           
 b) la part du droit contre la famille
            
 a) Cette part se développe tant au civil qu’au pénal, on l’a bien vu avec les rapports présentés au cours de nos travaux, notamment par M. Ratié, président de la chambre des mineurs de la cour d’appel de Rennes.
- au civil, c’est la montée en puissance, en jurisprudence puis en législation, des actions contre les parents pour obtenir le paiement de la poursuite des études par exemple ; l’actualité politique récente nous en fournit un exemple avec l’action de ce type prêtée par la presse à l’une des candidates à l’élection présidentielle, contre son père ;
- au pénal, ce sont les tristes affaires de violences sur enfants, d’enlèvement et de détournement de mineurs, etc…
            Dans ces deux séries d’hypothèses, l’avocat a toute sa place aux côtés du mineur, mais je n’insisterai pas plus sur leur contenu au fond, ne voulant pas reprendre ici ce qui a été si bien présenté par les rapporteurs.
            
 b) Simplement, je conclurai sur cette part dans l’éducation des mineurs par deux remarques de synthèse :
- la première est celle d’une mise en perspective historique de cette question et du rappel des principes, surtout en ces temps où ils sont bousculés. Depuis 1791, beaucoup de progrès ont  été accomplis en matière de statut et de droits des mineurs et rappelons nous que l’ordonnance du 2 février 1945 a une histoire, des racines ; elle s’enracine, au lendemain de la Libération, dans les horreurs de ceux qui avaient connu les camps de concentration et qui, pour cette raison, dans le programme du Conseil national de la Résistance, avaient tenu à faire apparaître que l’univers carcéral, par mimétisme avec l’univers concentrationnaire, ne devait pas être l’objectif premier en ce qui concerne les mineurs. Voilà pourquoi l’exposé des motifs de cette ordonnance du 2 février 1945, qui doit être ici rappelé, énonce : « il n’y a pas de problème aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants [et pourtant, nous sommes en 1945, au début du baby boom], pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ». Et c’est pourquoi aussi, l’article 122-8 du code pénal, énonce clairement et distinctement la finalité éducative du droit pénal des mineurs, avant d’en décliner, subsidiairement, la possible orientation punitive ; ses deux alinéas sont ainsi rédigés : « les mineurs reconnus coupables d’infractions pénales font l’objet de mesure de protection, de surveillance et d’éducation dans les conditions fixées par la loi » [c'est-à-dire par l’ordonnance de 1945]. Et ensuite seulement, alinéa 2 : « cette loi détermine également les conditions dans lesquelles des peines peuvent être prononcées ». Faut-il redire que ces principes sont plus que jamais d’actualité ?
- La seconde observation est celle d’un besoin de transparence : les avancées du droit ne sont plus seulement vécues comme les produits d’un progrès administrés d’en haut par le père, la mère ou le juge et relayés par les juristes dans l’ensemble du corps social ; elles sont revendiquées par les citoyens qui veulent désormais qu’elles se montrent à visage découvert dans l’espace public.
            Et cette revendication de transparence se retrouve dans l’instruction des mineurs.

ii) la part du droit dans l’instruction des mineurs
           
 On retrouve le schéma rencontré dans la part du droit dans l’éducation des mineurs : il y a un apprentissage du droit au sein de l’institution scolaire (A), situation non pathologique. Mais il y a aussi, malheureusement parfois, un exercice pratique du droit dans les institutions scolaires, notamment par le recours à la Justice disciplinaire (B). Dans les deux cas, la marge de progrès est considérable.
             
a) l’apprentissage du droit au sein de l’institution scolaire
             
Le Droit est un savoir comme un autre et si l’on s’accorde à dire que la mission de l’institution est de transmettre des savoirs (cf. le code de l’éducation, issu de la loi du 10 juillet 1989 : « l’école a pour fondement la transmission des savoirs »), on peut s’étonner qu’elle ait mis tant de temps à enseigner le droit et encore, de manière très imparfaite, car si les anciens cours d’instruction civique ont laissé la place à une éducation (en fait une modeste initiation) civique, juridique et sociale, les imperfections sont nombreuses.
             
a) La première de ces imperfections est l’absence d’un corps professoral spécialisé dans l’enseignement du droit. Il n’y a pas de CAPES de droit, pas d’agrégation du secondaire en droit, donc pas de corps de professeurs du secondaire en droit. Pourquoi ? Sans doute, la peur de certains professeurs d’université recrutés par une agrégation du supérieur, de voir apparaître une confusion entre les deux agrégations si une agrégation du secondaire venait à être créée ; l’argument m’a autrefois été présenté par quelques-uns ; en réalité, l’argument n’a que peu de valeur, car les économistes connaissent les deux agrégations et ne pâtissent pas d’une concurrence qui serait vécue comme déloyale. Il faut donc chercher ailleurs et au-delà des arguments budgétaires, la raison de cette carence. Ne serait-ce pas aussi parce la France, en tout cas ceux qui nous gouvernent, a peur du droit ? Le droit c’est pour les autres et apprendre le droit aux mineurs, en passe de devenir des majeurs, serait potentiellement dangereux, puisqu’on leur donnerait des armes pour attaquer et non pas seulement se défendre ! A une époque où le respect du droit ne vient pas d’en haut, on ne peut s’empêcher de penser que tout ceci n’est pas innocent : lorsque le Conseil d’Etat résiste, au-delà du raisonnable, à certaine jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (celle relative à la présence ou non du commissaire du gouvernement au délibéré de la Haute juridiction), lorsqu’un garde des sceaux lance « chiche » à l’opposition pour la dissuader de présenter un recours devant le Conseil constitutionnel à propos du port du bracelet électronique (mesure de sûreté ou peine ?), lorsque des faits pour lesquels certains responsables politiques sont punis, entraînent des réactions indignées de la classe politique, lorsque la sanction (sévère) tombe, comment peut-on véritablement souhaiter un enseignement du droit par un corps professoral spécialisé ? Récemment encore, au sein d’un groupe de travail sur l’enseignement juridique réuni par la Direction de l’enseignement supérieur au cours de l’année 2006, il a été fait état de réticences à ce que les professeurs d’université se préoccupent un tant soit peu des études de droit au sein de l’enseignement secondaire (séance du 6 novembre) ; pour certains collègues, c’est une question qu’il n’ont même pas à envisager. Mais, si ceux qui délivrent aux élèves du secondaire, le premier grade de l’enseignement supérieur (le baccalauréat) se désintéressent de l’enseignement du droit dans les collèges et les lycées, il faut bien faire appel à des substituts.
            Les substituts à ce corps qui n’existe pas sont généralement les professeurs d’histoire et de géographie, mais aussi, dans certaines académies, des avocats. Il faut souligner ici l’expérience conduite depuis 2002 dans l’Académie de Paris, suite à un accord entre le Rectorat de Paris et l’Ordre des avocats du Barreau de Paris ; il s’agit « d’Initiadroit », qui permet à environ 400 avocats d’intervenir dans les collèges et lycées parisiens pour rendre le droit vivant et éveiller la conscience des jeunes aux droits et obligations des citoyens qu’ils sont déjà (cf. Bulletin du Barreau de droit, numéro spécial de novembre 2006). D’autres Académies ont, sans doute, noué ce genre de relations.
Dans celle de Rennes, je sais que l’inspection académique du Morbihan est sur cette voie, mais je n’ai pas senti, globalement, côté Education nationale, un souffle fort en ce sens, une volonté réelle de développer ce type d’expérience, même en distribuant à mes plus proches collaborateurs (inspecteurs d’académie des quatre départements bretons et secrétaire général de l’Académie, la plupart se disant, plus ou moins ouvertement, de « sensibilité de gauche ») les documents ayant trait à l’expérience parisienne. Au mieux, j’étais perçu comme un utopiste, un doux rêveur inexpérimenté des choses de la vie, « droit de l’hommiste » impénitent et inconscient ; au pire, comme un dangereux pyromane qui allait mettre le feu à la maison Education nationale, en apprenant aux mineurs la nature et l’étendue de leurs droits, surtout par l’introduction des avocats dans les enceintes scolaires ; ainsi, j’ai dû me battre et user de toute mon autorité pour qu’on accorde officiellement une heure de décharge à un professeur de philosophie qui, depuis des années, avait noué des liens très forts avec le Tribunal de grande instance de sa région et permettait aux élèves de son établissement d’entrer en contact avec le monde de la Justice ; il est vrai qu’il n’appartenait pas à un syndicat majoritaire et que, responsable syndical d’une fédération jugée « à droite », il ne bénéficiait d’aucune grâce aux yeux des personnes précitées…
            En réalité, je n’étais ni l’un, ni l’autre ; j’étais simplement un juriste conscient de la place éminente du droit dans une société démocratique ; ce sont les termes mêmes des principaux arrêts fondateurs de la Cour européenne des droits de l’homme, qui parle toujours de « la place prééminente du droit dans une société démocratique », tant dans les arrêts Golder c/ Royaume Uni, qu’Airey c/ Irlande et Hornsby c/ Grèce. Bien sûr, cette sensibilité je la porte en moi, avec vous les avocats, comme une conviction intime, attaché à l’idée que je me fais de l’exercice de mes fonctions et du rôle du droit dans la cohésion sociale, en particulier au sein de la communauté scolaire. Malheureusement, le déficit démocratique est ici très fort et je ne peux qu’encourager les Barreaux à passer des accords avec les rectorats et/ou les inspections académiques, en liaison avec les magistrats bien sûr. Si vous, les Avocats, ne faîtes pas ce premier pas, qui donc le fera, puisque l’Etat est défaillant ?
            
 b) Le deuxième déficit est encore plus ahurissant, puisqu’aucun enseignement n’est organisé dans les IUFM quant aux droits et obligations des élèves et des enseignants. Deux de vos rapporteurs l’ont souligné hier après-midi (MM. André Murin et Yann Buttner), même si, ponctuellement, certains IUFM ont organisé quelques cours d’initiation au droit.
           
 c) Le troisième déficit est lié au premier : l’absence d’un corps spécifique d’enseignants du droit se prolonge par une vision réductrice de l’enseignement (partiel) du droit ; non pas que ceux qui l’assurent ne soient pas compétents, mais ils n’ont pas cette vision disciplinaire que l’on acquiert par la conceptualisation des connaissances. De plus, si les textes officiels insistent sur les droits individuels des mineurs (respect de leur intégrité physique, de leur liberté de conscience, de leurs biens et de leur liberté d’expression) comme sur leurs droits collectifs (respect de leur droit de réunion, d’expression et de publication, sans prosélytisme, sans discrimination et sans compromettre la sécurité), tout cela ne constitue pas une vision prospective du droit. Il faut mettre en perspective trois éléments :
- la place du droit dans notre société et le respect de la norme dans une société civilisée ;
- le rôle éminent de la Justice et le respect de l’institution judiciaire dans l’exercice de ses missions ;
- la place respective du juge et de l’avocat et le respect qui leur est dû dans l’exercice de leurs fonctions.
            C’est pourquoi, je souhaite, pour ma part, une ambition politique plus forte dans l’accès des mineurs au droit :
- par une implication éminente des magistrats et des avocats ;
- par une vision conceptualisée et cohérente de la place du droit dans notre société.
Il faut donner aux mineurs l’image d’une société civile apaisée par le droit, par le respect de la norme, très tôt, dès le collège, ce pivot de notre système éducatif ; tout se joue dès la sixième et la cinquième. Si demain et par malheur, le collège devait ne plus assurer sa mission d’instruction dans de bonnes conditions, alors la digue s’étant effondrée, tout serait balayé en aval, du lycée à l’université. C’est l’ancien Recteur qui vous parle sur ce point, pas le professeur de droit ; un plongeon de trois ans au cœur du système éducatif m’a convaincu de cette réalité, que nous ignorons nous, dans le supérieur.
Si nous réussissons dans cette ambition, l’exercice pratique du droit que constitue le droit disciplinaire scolaire n’apparaîtra plus comme un échec, mais comme le prolongement sanctionnateur d’un enseignement partagé par les acteurs de la vie scolaire d’un côté et ceux de la vie judiciaire de l’autre.
 b) l’exercice du droit au sein de l’institution scolaire
            Contrairement à ce qu’affirme le code de l’éducation, dans la rédaction issue de la loi du 10 juillet 1989, l’élève n’est pas « au centre » du système éducatif ; il est au cœur de ce système et ce sont les personnels qui en constituent le centre. Et ce cœur, pour battre, doit exercer le droit ; cet exercice passe par deux niveaux.
- La participation aux organes de délibération et de décision des établissements. Ce sont les délégués de classes, les membres des conseils d’administration, les délégués aux Conseils de la vie lycéenne, sans oublier leur participation à des associations diverses au sein de l’établissement.
- La participation aux conseils de discipline. L’exercice du droit, c’est ici, au-delà de la qualification des faits et des sanctions, la confrontation avec le fonctionnement d’une justice qui, pour être disciplinaire, n’en demeure pas moins soumise aux impératifs de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment à la garantie d’un procès équitable. Je me suis posé la question de savoir si je devais présider, en première instance pour les enseignants, en appel pour les élèves, les conseils de discipline les concernant, alors que j’étais autorité de poursuite. Je sais bien que la Cour européenne, en cette matière, ne condamne pas le système français de cette justice « familiale », puisque des recours sont organisés devant les juridictions administratives et que, à ce niveau au moins, toutes les garanties du procès équitable sont respectées. Néanmoins, je crois préférable de ne pas donner l’image d’une justice partiale, parce que le Recteur, autorité de poursuite, préside ensuite le conseil de discipline. J’ai donc rarement présidé les conseils de discipline pour les enseignants et jamais pour les élèves. Pour eux, en effet, il est encore plus important de les habituer à une justice impartiale ; il y va de leur aptitude à percevoir que la société dans laquelle ils vont vivre, respecte des principes essentiels de transparence, d’indépendance et d’impartialité. La fameuse théorie des apparences de la Cour européenne des droits de l’homme, si injustement décriée, prend ici toute son ampleur et développe toute sa force.
            La seconde question que pose le fonctionnement de ces conseils de discipline, c’est celle de la présence de l’avocat aux côtés de l’élève poursuivi. En droit pur, en théorie, pas de problème, sa présence est reconnue. En fait, dans la pratique, il faut dire ici que l’avocat est perçu par la communauté scolaire comme l’empêcheur de tourner en rond, comme un obstacle, un élément perturbateur. Et les élèves et leurs familles en sont si conscients que beaucoup hésitent à se faire assister d’un avocat. En tout cas, il faut dénoncer avec force ce que l’un de vos ateliers a rapporté sur une pratique d’un établissement privé qui aurait refusé l’accès au dossier, au nom de son règlement intérieur ; ceci est inadmissible : aucun règlement intérieur ne peut aller à l’encontre de ce principe essentiel que, pour se défendre équitablement, il faut avoir connaissance des griefs que l’autorité de poursuite avance contre vous ; c’est un principe consacré par la Convention européenne des droits de l’homme en matière pénale, mais il vaut pour la matière disciplinaire qui est une justice quasi répressive. Agir ainsi, c’est donner l’exemple d’une Justice imparfaite, c’est nier le rôle de l’instruction, mais aussi de l’éducation, dans l’accès des mineurs à la citoyenneté.

iii) la part du droit dans l’accès des mineurs à la citoyennete

            Au final, que valent l’éducation et l’instruction sans prise en compte de leur finalité première, à savoir amener le mineur, l’élève, à devenir un adulte, à être un citoyen ? C’est ici que l’éducation par la famille et l’instruction par le système scolaire, se rejoignent pour former un citoyen à partir de l’apprentissage et de l’exercice du droit.
            L’accès des mineurs au droit, c’est la pédagogie de la vie en société et de la démocratie, pour eux et, par contrecoup, pour nous les adultes. Pas n’importe quelle démocratie ; je n’ose dire ici une démocratie participative, car l’expression a été reprises ces temps ci par une candidate à l’élection présidentielle et je ne voudrais pas politiser le sujet qui nous préoccupe, au sens de le faire entrer dans un camp de la présidentielle. Alors, oublions cet aspect politique et retenons l’intuition de ce besoin de participation dans les démocraties modernes. De Gaulle l’avait pressenti aussi, mais le temps et le suffrage des Français, en 1969, lui auront manqué, pour le concrétiser.
            Pour ce qui me concerne – et plus modestement – j’ai développé depuis quelques années l’idée que trois principes directeurs régissaient le droit du procès, quel que soit le type de contentieux : la loyauté, le dialogue et la célérité. Et bien, ces trois principes se retrouvent dans l’accès des mineurs à la citoyenneté ; il suffit pour les faire mieux apparaître, de changer les mots, plus exactement de les compléter, de parler de confiance qui ne peut exister sans loyauté, d’écoute qui prépare le dialogue et de proximité qui permet la célérité.
             
a) la confiance par la loyauté dans les relations majeurs/mineurs
            C’est le principe de base des relations humaines. La confiance, c’est la croyance en l’Autre. C’est la mesure de l’altérité, du crédit que l’on accorde à autrui ; chacun sait bien que le banquier ne prête, n’accorde un crédit, que s’il fait confiance à celui qui veut emprunter. Mais ce qui vaut le domaine des relations patrimoniales, vaut aussi pour les relations citoyennes. Une démocratie se bâtit sur la confiance et nous avons l’ardente obligation de promouvoir cette qualité.
- Côté élèves et mineurs, la confiance qu’ils accordent aux adultes se mesure par le niveau du respect que ces adultes leur inspirent. Et ce respect ne viendra que si nous sommes nous-mêmes respectables. Pensons à l’image que nous donnons de la Justice, donc de la démocratie si nous contestons injustement des arrêts importants, ne respectons pas les garanties du procès équitable.
- Côté adultes, la confiance se prolonge dans la loyauté des contacts, des échanges et des promesses ; c’est une sorte de code d’honneur, sans promesses démagogiques.
             
b) l’ecoute dans la préparation du dialogue
            L’écoute constitue le préalable indispensable au dialogue.
            
 a) Côté adultes, c’est une obligation. Rien ne vaut le contact direct avec les élèves. Personnellement, je me suis efforcé de visiter tous les établissements scolaires de la Guadeloupe, en tant que Recteur de cette Académie. De mes visites systématiques des 80 établissements scolaires guadeloupéens, j’ai retiré l’intime conviction que d’aller à la rencontre des élèves, comme d’ailleurs des enseignants, permet de nouer le dialogue avec l’ensemble de la communauté éducative, dans des conditions qui permettent aux élèves de se former à la démocratie, à devenir des citoyens. Il faut l’avoir fait pour mesurer combien l’exercice, difficile, est important et que les élèves ont un besoin réel d’être écoutés et de dialoguer. Le temps m’aura manqué pour faire la même chose dans l’académie de Rennes ; mais j’avais commencé à le faire.
           
 b) Côté mineurs en effet, le besoin d’être écouté et de dialoguer est phénoménal. Parfois agaçant quand il s’exprime maladroitement ou avec excès. Mais au-delà de l’agacement que l’on ressent à écouter la naïveté de certains propos ou l’insolence d’autres, il y a ce besoin de pédagogie, le désir très fort d’apprendre à devenir un citoyen.
            C’est ce lien, fait d’écoute et de dialogue, qui a cruellement manqué de février à avril 2006, au moment de la crise provoquée par le projet de loi, puis la loi sur le CPE (contrat première embauche), non pas dans cette académie, mais au niveau de l’Etat, du premier ministre et de ceux qui, pyromanes inconscients, qu’ils soient ministres ou collaborateurs de cabinet, l’ont encouragé dans cette voie qui n’était, dès le départ, qu’une impasse. Il fallait méconnaître profondément les aspirations de notre jeunesse pour croire, insolemment, qu’une discrimination par l’âge et l’absence de motivation dans un licenciement pouvaient passer sans heurts ; c’est finalement une toute autre leçon de démocratie qu’il aurait fallut donner, dans ce pays où la lutte contre l’arbitraire fait partie de nos gênes depuis le Révolution de 1789, une démocratie de respect, d’écoute et, au final de dialogue, qui aura tant manqué pendant cette période.
             
c) Mais attention, l’écoute et le dialogue ne doivent pas occulter d’une part, que les élèves ont des devoirs et, d’autre part, que le lien élève-personnel éducatif reste encore, dans une large mesure, un lien d’autorité. Non pas la potestas, la puissance, mais l’auctoritas, l’autorité morale qui s’impose d’elle-même par le respect que son titulaire inspire.
C’est cette autorité/auctoritas qui a permis aux établissements scolaires de cette académie de fonctionner quasi normalement au cours de l’hiver dernier pendant les grèves anti-CPE. C’est parce que le proviseur était respecté que le code de bonnes conduites des élèves a pu jouer dans le sens du dialogue et de l’écoute et du maintien de l’ordre et de la paix publique. Ce n’est pas le recours aux CRS et autres forces de police, recours qui nous avait été demandé par le Ministre et auquel je me suis opposé, qui aurait permis de rétablir le calme.
            C’est cette auctoritas qui permet à un moment donné de dire « stop » ; le dialogue prépare la décision du juge, comme il prépare celle du titulaire de l’autorité. Il permet l’acceptation de cette décision.
             
c) la proximité pour assurer la celerite
            Dans la démocratie, la proximité est le pendant de la célérité dans le procès ; car sans proximité, pas de célérité.
- Etre proche des élèves, c’est être capable de répondre rapidement à leurs besoins.
- Etre proche des élèves, c’est aussi savoir garder ses distances, ne pas tomber dans la relation altérée du « copain/copain ». Là encore, l’auctoritas permet de tenir la balance égale entre une distanciation trop forte qui risquerait d’être perçue comme du dédain, voire du mépris et une fausse complicité qui ne serait que la caricature de la relation éducative.
xxx
En guise de conclusion, l’accès des mineurs au droit passe par la conjonction de l’éducation (à titre principal par les familles) et de l’instruction (à titre principal par les professeurs) et cet accès n’est que la voie d’accès à la citoyenneté.
Et cette voie illustre finalement la place que l’on souhaite reconnaître à la formation du citoyen. Et puisque l’image de votre affiche (un doigt levé) évoque, pour partie, le célèbre plafond de la Chapelle Sixtine à Rome (ou, pour les cinéphiles le film E.T de Steven Spielberg), je voudrais ici transposer un psaume célèbre : « Amour et vérité se rencontrent/Justice et Paix s’embrassent », ce qui donnerait « Education et instruction se rencontrent. Ecole et Droit s’embrassent ».

VII – LE CONTENTIEUX ROUTIER
L’impossible réforme du contentieux routier ?
Velléités de déjudiciarisation et enjeux d’une politique publique de sécurité routière
(rédigé en janvier 2013)

La commission de réflexion et de propositions sur la réorganisation des contentieux et d’éventuelles déjudiciarisations, installée le 18 janvier 2008 par la ministre de la Justice et qui a rendu son rapport le 30 juin de la même année[144], n’avait pas comme souci principal de réformer le contentieux routier, encore que l’objectif figurât expressément dans la lettre de mission de la ministre, assez attentive aux questions pénales, dans un souci de plus grande célérité et d’évitement du juge. La question de l’autorité habilitée à prononcer (plus exactement à constater) un divorce par consentement mutuel que certains avaient proposé de transférer aux notaires, celle de l’existence même des juridictions de proximité dont certains membres de la Commission voulaient la disparition pure et simple et immédiate, accompagnée de celle des juges du même nom, celle enfin — pour ne prendre que des exemples peu consensuels — de l’autorité habilitée à traiter des demandes d’injonctions de payer, étaient autrement plus importantes que celle de la réforme du contentieux routier ! Mais comme il nous a été demandé par les responsables scientifiques des Mélanges[145] offerts à notre camarade de concours, collègue de terre africaine (respectivement Abidjan et Dakar) puis parisienne (Paris 1 et Paris 2 et ensemble au Conseil national des universités), engagée comme nous en politique, notamment sur les questions de sécurité et de prévention de la délinquance (1983-1989[146]) et néanmoins, malgré tout cela ou à cause de cela, amie de près de quarante ans, de traiter d’une question pouvant donner lieu à une réforme, il nous a semblé intéressant de reprendre ici les travaux de la Commission qui porte désormais notre nom (alors que son travail et le rapport qui en est résulté sont collectifs) pour éclairer les difficultés à réformer la France, notamment dans le domaine de la justice et de la procédure pénale.
La sécurité routière constitue un enjeu majeur de politique publique. L’enseignant en droit des assurances que nous avons été dès 1973, sur l’assurance automobile précisément, a très tôt dans sa carrière été sensibilisé aux drames humains et au coût financier de ces accidents qui sont parfois provoqués par des comportements à la limite de l’homicide volontaire, même si, juridiquement parlant, ils relèvent de la qualification d’homicide involontaire. Heureusement, alors que le nombre de tués sur les routes dépassait les 17 000 par an dans les années soixante-dix, ce chiffre a régulièrement baissé, alors que la densité de la circulation augmentait ; depuis 2002, date à laquelle la sécurité routière a été décrétée grande cause nationale par le président Jacques Chirac, le nombre de personnes tuées est passé de 8 000 à 3 250 en 2013. Cette baisse, d’autant plus considérable si on la rapporte à l’évolution, à la hausse, du nombre de kilomètres parcourus par l’ensemble des automobilistes sur les routes de France, a son pendant dans l’augmentation exponentielle de ce contentieux qui constitue aujourd’hui le premier contentieux pénal en terme quantitatif, bien qu’en pourcentage du total des délits et infractions de 5e classe, sa part diminue depuis cinq ans, parce que la progression des autres délits est plus forte : 43 % en 2006, 41 % en 2010 (255 448 sur 626 241)[147] et 39,6 % en 2011 (266 397 sur 672 085)[148] ; en 2010, derniers chiffres connus en détail, les 255 448 condamnations pour des infractions routières (hors infractions en matière de transport) se répartissaient en 240 454 pour des délits et 14 994 pour des contraventions de cinquième classe. C’est dire combien la tentation de déjudiciariser ce contentieux est forte, dans l’espoir, sans doute illusoire, que la répression serait plus sévère et que les juges pourraient s’occuper (si j’ose écrire) à d’autres tâches, entendez réprimer les infractions commises par les « vrais » délinquants…
Sans attendre une éventuelle déjudiciarisation, cette prégnance des infractions routières a profondément contribué à la mise en place de procédures pénales simplifiées adaptées à certains aspects de ce contentieux, pour répondre à l’objectif de célérité. Mécanismes validés par la Cour européenne des droits de l’homme sous l’angle du droit à un juge dans la procédure de consignation obligatoire de l’article 529-10 du Code de procédure pénale : cette exigence de « payer pour voir le juge » n’emporte pas, selon cette juridiction, violation du droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention européenne[149] ; il est indéniable que la Cour a été sensible au caractère massif de ce contentieux qui peut justifier certaines limitations au droit à un juge. Pour autant, faut-il aller plus loin et le déjudiciariser ? La question se pose particulièrement en ce domaine, car, comme le relève le rapport Guinchard, les infractions routières sont pour la plupart simples juridiquement et peu susceptibles de contestation. Mais la Commission a rejeté cette solution de la déjudiciarisation en écartant trois idées qui lui avaient été suggérées (I). Un autre problème a alors été envisagé, mais qui recoupe la question de la déjudiciarisation, celui né de la superposition des décisions administratives et judiciaires pour les suspensions de permis de conduire, puisque le retrait de points et la suspension provisoire peuvent être prononcés par l’autorité administrative ; comment mettre fin à cette situation ? Là encore, la Commission a refusé toute déjudiciarisation (II).
Pour être honnête, si la Commission a suggéré des pistes, son président a le sentiment de l’inachevé sur ce point, comme il l’a spontanément déclaré dès la remise du rapport[150], la Commission n’ayant pas pu dégager des propositions spécifiques en matière routière conciliant les impératifs de sécurité routière et de gestion d’un contentieux de masse avec la protection des droits des justiciables par le respect des droits de la défense et le droit à un juge. C’est pourquoi, nous avons choisi ce thème pour cette contribution, afin de répondre à la sympathique commande « d’une idée de politique criminelle, d’une réforme de la législation pénale […] » à envisager[151].

I. - L’impossible déjudiciarisation du contentieux routier

Compte tenu de ce contexte et de ce qui précède en termes de sécurité routière, des enjeux d’une politique publique cohérente et pérenne en ce domaine, il est très vite apparu aux membres de la Commission que la question d’une déjudiciarisation de ce contentieux devait prendre en compte ces enjeux et que les mesures proposées d’une éventuelle déjudiciarisation ne devaient en aucun cas pouvoir être interprétées comme un signal négatif de relâchement de la lutte contre l’insécurité routière. Toutes les personnes interrogées ont insisté sur la nécessité absolue de ne pas laisser penser un seul instant aux automobilistes qu’ils allaient retrouver une liberté perdue de conduire sans limites et sans respect de la vie d’autrui.
Dans ce cadre unanimement accepté, la Commission a rejeté trois solutions qui lui avaient été suggérées : la création d’une autorité administrative indépendante (A), l’institution d’un Procureur national à la sécurité routière (B), la forfaitisation de certains délits routiers (C). Le droit à un juge et les droits de la défense l’ont ici emporté, au sein de la Commission, sous la double impulsion de son président et des avocats, sur les considérations d’une pure logique de gestion des flux qui inspirait davantage les acteurs de la Direction des affaires criminelles et des grâces.
Ce triple rejet ne constitue pas en lui-même un échec, à la fois parce qu’il privilégie la protection des droits fondamentaux des automobilistes devenus justiciables et parce qu’il doit se lire dans l’ensemble des mesures proposées par ailleurs par la Commission dans lesquelles il s’insère. En effet, il convient d’observer que d’autres recommandations de déjudiciarisation avancées par la Commission ont un fort impact sur le contentieux routier. L’ordonnance pénale délictuelle constitue déjà un mode de poursuite privilégié pour le contentieux routier. En 2006, 38,7 % des condamnations prononcées dans ce domaine l’ont été par ordonnance pénale. L’élargissement des peines pouvant être prononcées par cette voie, proposé par la Commission, permet d’augmenter cette proportion. De la même manière la proposition de dépénaliser même partiellement les contraventions de stationnement payant et d’étendre la forfaitisation aux contraventions de cinquième classe prévues par le Code de la route permet une déjudiciarisation de ce contentieux ; proposition reprise dans la loi ° 2014-58 du 27 janvier qui substitue à l’amende pénale une redevance d’occupation du domaine public qui sera versée par l’usager sanctionné. Son montant sera fixé par la collectivité territoriale concernée ; elle la percevra, en distinguant un « barème tarifaire du paiement immédiat » du « montant du forfait de post-stationnement ». Les litiges seront confiés à une juridiction spécialisée, dont le Gouvernement est habilité à la créer par ordonnance dans les 12 mois de publication de la loi (art. L. 23337-87, CGCT).
A. - Refus de la création d’une autorité administrative indépendante en charge du contentieux routier
Le transfert du contentieux routier à une autorité administrative indépendante, proposé par certaines des personnes auditionnées, constitue la barre la plus haute de la déjudiciarisation que la ministre de la Justice appelait de ses vœux dans sa lettre de mission. Ses partisans mettaient en avant l’avantage (supposé) de pouvoir plus aisément harmoniser la poursuite et la sanction des infractions au Code de la route et d’apporter ainsi une grande lisibilité à la politique répressive en cette matière.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que, même dans une compétence limitée aux seules infractions sans victime, les membres de la Commission n’ont pas été séduits par cette solution et que tous ont considéré qu’une telle solution n’était pas opportune, leur président en tête, sans doute sensibles au droit à un juge :
– D’abord, par nature, cette autorité ne pourrait pas prononcer de peines privatives de liberté, ce qui limiterait fortement sa capacité de sanction.
– Ensuite, le contentieux routier, contrairement à une opinion faussement répandue, ne présente pas un caractère strictement technique, critère qui justifie généralement la création d’une autorité administrative indépendante composée en partie d’experts, de personnes qualifiées par leur formation, leur exercice professionnel à juger des comportements que le législateur entend soumettre à leur sagacité (par exemple dans le domaine de la concurrence) ; il ne s’agit pas d’apprécier les aptitudes techniques des voitures, mais de juger ceux qui les conduisent !
– Enfin et surtout, une telle création ne pouvant se faire, conformément à la jurisprudence européenne et constitutionnelle en matière d’autorités administratives indépendantes sans recours devant un juge pour faire appel de la décision prise par l’autorité, un tel transfert aurait été réalisé à gain nul en termes de déjudiciarisation, le juge administratif prenant ce que le juge judiciaire aurait abandonné, sans aucun gain pour l’intérêt général.

B. - Refus de l’institution d’un procureur national à la sécurité routière
Un peu à l’instar de la proposition avancée par Jean-François Burgelin (qui termina sa carrière comme procureur général de la Cour de cassation) d’un procureur général de la Nation et, dans le prolongement de sa réflexion sur une uniformisation des modes de poursuite et des sanctions prononcées en la matière, la Commission a également réfléchi à la proposition d’un procureur national pour la sécurité routière. Elle y était encouragée par le fait que l’organisation judiciaire espagnole connaît cette institution : ce procureur est chargé de coordonner l’action des parquets en matière de sécurité routière. Il doit unifier les pratiques et assurer une application homogène de la répression judiciaire de la délinquance routière. Pourtant, l’idée de confier à ce procureur un véritable pouvoir de poursuite a été jugée source de difficultés et inutile pour le prononcé des sanctions.
Quant à la poursuite tout d’abord, en France, de nombreuses circulaires du garde des Sceaux relatives au contentieux routier ont été rédigées par la Chancellerie ces dernières années. Instituer un procureur national romprait avec la logique institutionnelle actuelle sans que cela signifie un meilleur traitement de cette problématique.
Par ailleurs, il paraît difficilement concevable d’attribuer à un parquet unique, même très nombreux, l’examen de l’ensemble des procédures ayant trait à la circulation routière, a fortiori dans le cadre d’une permanence téléphonique. Le retour à un traitement des procédures « par courrier » ne saurait s’analyser comme un progrès. Un parquet à compétence nationale ne pourrait assurer le suivi des affaires les plus complexes (homicides et blessures involontaires) qui font l’objet d’une ouverture d’information. La comparaison avec l’institution d’un procureur de la République financier à compétence nationale par la loi n° 2013- 1115 du 6 décembre n’est point pertinente dans la mesure où dans ce type de contentieux on est dans le grand banditisme, la bande organisée, donc loin des enjeux des délits routiers.
Enfin — et cette fois du côté du prononcé des sanctions — l’unification de l’autorité de poursuite n’aurait qu’un impact limité sur le quantum ou la nature des peines prononcées, le juge restant libre dans son appréciation de la sanction.

C. - Refus de la forfaitisation de certains délits routiers
Dernière idée rejetée, celle suggérée par certaines des personnes auditionnées, de mettre en place une procédure calquée sur celle de l’amende forfaitaire pour certains délits routiers tels que la conduite en état alcoolique ou la conduite sans assurance. Dans ce système, la loi instituerait un barème pour certains délits routiers avec une peine forfaitaire. Pour les conduites en état alcoolique, le barème aurait pu être, ainsi que cela se pratique dans la plupart des juridictions, proportionné au taux d’alcoolémie. Au-delà d’un certain taux, le double du seuil prévu par la loi par exemple, la procédure forfaitaire n’aurait pas été applicable et la peine forfaitaire aurait été composée d’une amende et d’une suspension du permis de conduire. En cas de commission d’un de ces délits, les services de police ou de gendarmerie auraient contacté le procureur qui aurait décidé ou non de recourir à cette procédure forfaitisée. Dans l’affirmative, il aurait notifié à l’auteur du délit la sanction prévue par la loi et celui-ci aurait bénéficié d’un certain délai pour exercer un recours en cas de désaccord. Dans cette hypothèse le ministère public aurait pu soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit exercer celles-ci en utilisant le procédé de l’ordonnance pénale, soit saisir le tribunal correctionnel.
Outre que l’instauration des barèmes était vivement rejetée par certains des magistrats membres de la Commission (dans d’autres secteurs de ses travaux, par exemple en matière de pensions alimentaires), cette proposition soulève nombre de difficultés :
– Sur un plan constitutionnel d’abord, une procédure permettant le prononcé d’une peine de suspension de permis de conduire sans intervention d’un magistrat du siège, est apparue comme incertaine. En effet, le Conseil constitutionnel a tracé une limite aux possibilités de déjudiciarisation et d’extension du pouvoir de transaction du ministère public, dans sa décision no 95-360 DC du 2 février 1995 par laquelle il a déclaré contraire à la Constitution la procédure d’« injonction pénale ». Cette procédure avait pour objet de permettre au ministère public d’éteindre l’action publique après avoir adressé aux auteurs de certains délits une injonction pénale pouvant consister en un versement d’une certaine somme au Trésor public, en un travail non rémunéré au profit d’une personne morale, en une mesure de réparation ou en la remise de la chose ayant servi à commettre l’infraction. Le Conseil a censuré ces dispositions en considérant qu’en l’absence d’intervention d’un magistrat du siège, cette procédure violait le principe de séparation des autorités en charge de l’action publique et des autorités de jugement. Relevant que certaines des mesures pouvant faire l’objet d’une injonction pénale étaient de nature à porter atteinte à la liberté individuelle et qu’elles constituaient des sanctions pénales lorsqu’elles étaient prononcées par un tribunal, le Conseil en a conclu que leur prononcé, s’agissant de délits de droit commun, requérait la décision d’une autorité de jugement. Un commentateur de cette décision avait à l’époque estimé que parmi les mesures susceptibles d’être adressées dans le cadre d’une injonction pénale, seul le versement au Trésor d’une somme d’argent semblait de nature à échapper à la censure du Conseil[152].
– Par ailleurs cette forfaitisation signifiait également l’abandon des alternatives mises en place par les parquets (stage, éthylotest anti-démarrage) louées par plusieurs intervenants tels que la prévention routière.

II. - La difficile institution d’une autorité unique en matière de suspension du permis de conduire
Aujourd’hui, tant l’autorité administrative que l’autorité judiciaire peuvent décider de suspendre le permis de conduire d’un automobiliste. Cette compétence concurrente constitue pour les justiciables (et pour les hommes politiques auditionnés, notamment les présidents des deux commissions des lois), une source d’incompréhension et peut aboutir à des superpositions de suspension incohérentes. La Commission a donc réfléchi à une éventuelle déjudiciarisation en ce domaine, comme réponse à la question « comment éviter cette superposition ».
A. - Le droit positif : dualité de compétence en matière de suspension de permis de conduire
Lorsque la décision de suspension du permis de conduire est décidée par le juge, elle présente le double caractère d’une mesure de sûreté et d’une peine.
En revanche, lorsqu’elle est prise par le préfet, c’est une mesure de sûreté destinée à éviter que l’intéressé ne commette une nouvelle infraction sur la route pendant le temps fixé par le préfet.
D’une manière générale, lorsqu’il est saisi d’un procès-verbal constatant une infraction punie par le Code de la route de la peine complémentaire de suspension de permis de conduire, le préfet du département où l’infraction a été commise peut prononcer à titre provisoire soit un avertissement, soit la suspension du permis de conduire ou l’interdiction de sa délivrance lorsque le conducteur n’en est pas titulaire (L. 224-7 du Code de la route). La suspension ne peut excéder six mois ou un an en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité de la personne, de conduite sous l’empire d’un état alcoolique ou de délit de fuite.
Lorsqu’une mesure de rétention du permis de conduire est prise, soit en cas de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, soit sous influence de stupéfiants, soit en cas d’excès de vitesse égal ou supérieur à 40 km/h, le préfet peut dans les 72 heures de la rétention prononcer une suspension du permis pour une durée maximum de six mois (L. 224-2 du Code de la route). Depuis les propositions de la Commission, la loi no 2011-267 du 14 mars 2011 a étendu ces mesures : elles sont également applicables lorsque le permis a été retenu à la suite d’un accident de la circulation ayant entraîné la mort d’une personne, en application du dernier alinéa de l’article L. 224-1, en cas de procès-verbal constatant que le conducteur a commis une infraction en matière de respect des vitesses maximales autorisées ou des règles de croisement, de dépassement, d’intersection et de priorités de passage. En outre, en cas d’accident de la circulation ayant entraîné la mort d’une personne, la durée de la suspension du permis de conduire peut être portée à un an. En 2006, plus de 98 % des décisions de suspension provisoires ont été prises à la suite d’une mesure de rétention.
L’arrêté de suspension doit être motivé. Comme toute décision administrative faisant grief, cet arrêté peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Celui-ci doit être saisi dans les deux mois de la notification de la décision. Un référé administratif peut également être intenté, mais le juge des référés ne peut suspendre l’exécution de l’arrêté de suspension qu’en cas d’urgence, lorsque l’exécution porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre.
Quelle que soit sa durée, la suspension du permis de conduire (ou l’interdiction de sa délivrance) cesse de recevoir effet lorsqu’est exécutoire une décision judiciaire prononçant une mesure restrictive du droit de conduire. La mesure administrative est considérée comme non-avenue en cas de non-lieu, de relaxe ou de décision ne prononçant pas de mesure restrictive du droit de conduire. Sa durée s’impute, le cas échéant, sur celle des mesures du même ordre, prononcées par le tribunal.

B. - Les difficultés liées à un éventuel transfert de compétence d’une autorité à une autre
Deux autorités étant en concurrence, naturellement l’unification peut être réalisée de deux façons, au profit de l’une ou de l’autre. Les deux solutions ont été envisagées par la Commission, qui n’a été satisfaite par aucune.

1o Dans le cadre de sa réflexion plus large sur la déjudiciarisation, la Commission a d’abord envisagé de transférer à l’autorité administrative l’ensemble des pouvoirs de suspension du permis de conduire, y compris ceux aujourd’hui dévolus au juge judiciaire.
Mais un tel transfert suppose que la suspension prononcée par l’autorité administrative n’a plus uniquement le caractère d’une mesure de sûreté, qu’elle a aussi celui d’une sanction administrative. Sur ce point précisément, la Commission a estimé impossible de priver le juge du pouvoir de prononcer une peine complémentaire prévue pour un nombre extrêmement important de contraventions et de délits, y compris hors du contentieux routier. La suspension du permis de conduire constitue de plus une peine particulièrement adaptée pour les infractions routières.

2o Devant cette impossibilité, il a été envisagé, à l’inverse, un transfert à l’autorité judiciaire du pouvoir de suspension à titre provisoire du permis de conduire.
Le procureur, magistrat garant des libertés, aurait ainsi été récipiendaire des pouvoirs actuellement détenus par le préfet. Dans les cas de figure où la rétention du permis de conduire est possible, les services de police ou de gendarmerie auraient contacté dans les 72 heures le procureur afin d’obtenir une mesure de suspension judiciaire provisoire. Celui-ci aurait pu prononcer une suspension du permis dans les mêmes cas de figure et pour les mêmes durées que ceux prévus actuellement pour le préfet.
Cependant, une telle solution a elle aussi été rejetée, car elle est apparue comme difficile à mettre en œuvre et entraînant, contrairement à la mission de la Commission, une forte judiciarisation, ce qui aurait été un comble, vu les objectifs fixés dans la lettre de mission ! En effet, dans une telle hypothèse, un recours judiciaire devrait nécessairement être instauré contre ces décisions de suspension provisoire, pour respecter le droit à un juge. Un nouveau contentieux d’importance serait ainsi imposé à la justice puisque 169 510 suspensions administratives ont été prononcées en 2006 et que le contentieux relatif aux permis de conduire est en constante expansion, conduisant certains avocats à se spécialiser en la matière. Le rapport d’activité du Conseil d’État pour l’année 2007 souligne en effet à ce propos que « Les tribunaux administratifs connaissent à nouveau en 2006 un accroissement des recours de 6,2 % en données nettes, contre 5,1 % en 2005, 14 et 16 % respectivement en 2003 et 2004. Cette croissance s’explique notamment par une explosion du contentieux des permis de conduire (+ 37,4 %) ». De plus, on peut penser que le taux de recours serait plus important devant le juge judiciaire que devant le juge administratif.
Par ailleurs, le prononcé d’une suspension judiciaire provisoire du permis de conduire impliquerait une charge supplémentaire pour les greffes avec la conservation des permis de conduire et l’éventuelle inscription de ces décisions dans le fichier des permis de conduire. Il a été envisagé que, dans un tel cas de figure, l’ensemble de la gestion du permis de conduire soit conservé par l’autorité administrative compte tenu de la nature administrative de ce titre.
Pour ces raisons, la Commission a considéré qu’un tel transfert vers le judiciaire n’était pas envisageable, car il était susceptible, notamment, d’entraîner un accroissement de charges trop important pour la justice judiciaire, ce qui n’était pas l’objectif recherché.

C. - La solution retenue
Il convient d’abord de rappeler que l’existence d’une dualité d’intervention n’est pas dépourvue d’une certaine logique en matière de contentieux routier dans la mesure où l’une des deux autorités (l’autorité administrative) intervient à titre préventif et l’autre (l’autorité judiciaire) à titre répressif.
La véritable difficulté pour le justiciable n’est pas, sur le plan des principes, l’existence d’un cumul, mais l’apparente incohérence pouvant résulter des deux décisions : une personne interpellée pour conduite en état alcoolique voit son permis suspendu immédiatement par l’autorité préfectorale pour une durée de quatre mois ; elle comparait devant le tribunal correctionnel cinq mois plus tard et se voit contrainte de restituer à nouveau son permis car le juge prononce une suspension du permis de six mois à titre de peine.
Pour autant, la Commission a considéré que, si la dualité d’autorité ne pouvait être écartée, il était néanmoins possible d’empêcher des contradictions de décision, en prenant deux mesures :

a) Elle a d’abord recommandé, sans trop d’illusions sur l’efficacité de la mesure, de mieux coordonner, à l’échelle nationale, l’action des procureurs et celle des préfets afin d’harmoniser les décisions de suspensions administratives et les décisions judiciaires.

b) Elle a ensuite proposé une solution spécifique pour les délits de conduite en état alcoolique qui représentent 81 % des cas de suspension administrative du permis de conduire :
– Elle a donc d’abord recommandé d’instituer un barème légal pour les suspensions administratives en cas d’alcoolémie : l’autorité préfectorale aurait ainsi été tenue, sauf circonstances exceptionnelles, de prononcer une suspension administrative pour ces faits et la durée de cette suspension aurait été prévue par la loi en fonction du taux d’alcoolémie. Ce barème n’a pas été donné dans le rapport final, mais il avait été envisagé selon les chiffres suivants, par tranches :
– entre 0,4 mg/l et 0,5 mg/l : 4 mois de suspension du PC ;
– entre 0,5 mg/l et 0,6 mg/l : 5 mois de suspension du PC ;
– entre 0,6 mg/l et 0,7 mg/l : 6 mois de suspension du PC ;
– entre 0,7 mg/l et 0,8 mg/l : 7 mois de suspension du PC ;
– au-dessus de 0,8 mg/l : 8 mois de suspension du PC.
Les juridictions administratives auraient été compétentes pour les recours contre ces décisions.
– La Commission a ensuite recommandé qu’une décision judiciaire intervienne nécessairement dans le délai de la suspension provisoire. À défaut, il ne pourrait être prononcé lors du jugement une peine de suspension de permis de conduire excédant la durée de la suspension administrative. Cette mesure n’aurait été applicable qu’en cas d’infraction unique de conduite en état alcoolique.
***
Si le contentieux routier a fait l’objet d’une attention particulière, c’est que la commission a clairement affiché son souci de ne pas revenir, directement ou indirectement, sur la politique d’amélioration de la sécurité routière. Ceci étant, il faut être honnête, elle a buté sur un obstacle : comment concilier le respect de cette politique et son souci de défendre les droits de la défense ? On ne peut isoler le contentieux routier au sein de notre système répressif et dans le sens de la régression des droits de la défense, au motif qu’il concerne une grande cause nationale ! D’où les recommandations que nous venons de présenter et qui s’inscrivent dans le long chemin des réflexions des juristes (mais pas seulement) pour répondre aux évolutions de notre temps, avec prudence. Il n’est pas douteux que d’autres reprendront un jour cette réflexion et — c’est notre souhait — trouveront peut-être les solutions, LA solution que nous n’avons pu dégager de manière totalement satisfaisante.


[1] CEDH 9 oct. 1979, Airey c/ Irlande, série A, no 32. V. ss 216.
[2] CEDH 14 nov. 2000, Annoni di Gussola et alii c/ France, RTD civ. 2001. 445, obs. Marguénaud ; Dr et proc. 2001. 168, obs. Hugon.
[3] CEDH 20 nov. 1995, British American Tobacco Co Limited c/ Pays-Bas, série A, no 331 ; RUDH 1996. 13, obs. Sudre. 22 nov. 1995, Bryan c/ Roy. Uni, série A, no 333-B, RUDH 1996. 13, obs. Sudre.
[4] Aujourd’hui, article 2 de la Constitution de 1958. V., M. Borgetto, La notion de fraternité en droit public français (le passé et l’avenir de la solidarité), LGDJ, 1993, préf. Ph. Ardant. Th. Renoux, op. et loc. cit., RTD civ. 1993. 36-37. J.-Cl. Colliard, Mélanges G. Braibant, Dalloz, 1996.
[5] Sur le problème plus général de l’accès à la justice, M. Cappelletti et B. Garth, Access to justice : the worldwide movement to make Rights effective, 4 vol. Accès à la justice et État-providence, sous la direction de Cappelletti, préf. R. David, Economica, 1984. S. Rials, L’accès à la justice, PUF (« Que sais-je ? »), no 2735. M. Haravon, « Quel procès civil en 2010 ? Regard comparé sur l’accès à la justice en Angleterre, USA et France », RID comp. 2010/4, 895.
[6] S. Guinchard et al., Droit processuel, droits fondamentaux du procès, Précis Dallozop. cit. ; rubrique au Répertoire de procédure civile Dalloz, Vo Procès équitable, juin 2016.
[7] CEDH 17 sept. 2010, n° 3569/12, AJDA 2015, 1719, obs. D. Poupeau.
[8] CEDH 12 avr. 2007, n° 35201/06, Previti c/ Italie.
[9] Civ. 2e, 26 janv. 1994 : JCP 1994. IV. 849.
[10] CEDH 4 déc. 1995, Bellet c/ France : D. 1996. 357, note Collin-Demumieux ; AJDA 1996. 382, obs. Flauss ; JCP 1996. I. 3910, no 21, obs. Sudre ; ibid., II, 22648, note Michèle Harichaux ; D. 1997, som. com. 205, obs. Fricero. Sur le rapport de la Commission, 19 janv. 1995 : Justices 1996-3, 229, obs. Cohen-Jonathan.
[11] CEDH 30 oct. 1998, arrêt F.E c/ France : JDI 1999. 235, obs. Tavernier ; RTD civ. 1999. 490, obs. Marguénaud ; D. 1999, somm. com. 269, obs. Fricero et Perez ; RD publ. 1999. 888, note Hugon.
[12] CEDH 28 oct. 1999, Brumarescu c/ Roumanie, JCP 2000, I, 203, no 10, obs. Sudre ; D. 2000. Somm. com. 187, obs. Fricero ; JDI 2000. 127, obs. Restencourt. 21 mai 2002, arrêts Hodos et alii c/ Roumanie, Surpaceanu c/ Roumanie et Vasiliu c/ Roumanie. 25 juill. 2002, Sovtransavto Holding c/ Ukraine, Europe, nov. 2002, no 400, obs. Kitsou-Milonas.
[13] CEDH 3 juill. 2012, Radeva c/ Bulgarie, req. no 13577/05, Dr. et proc. 2012-8, Cah. Dr. et proc. inter., no 10, p. 13, obs. Fricero.
[14] CEDH 11 janv. 2001, Plataklou c/ Grèce, JCP 2001. I. 342, no 10, obs. Sudre ; Dr et proc. juill. 2001, p. 232, obs. Marguénaud – Chron. Huglon, Dr et proc. 2002-6, 340.
[15] Civ. 2e, 12 juill. 2001, D. 2001. 2712, obs. Fricero ; Dr et proc. 2002/1-2. 34, obs. Douchy.
[16] CEDH 6 déc. 2001, Tsironis c/ Grèce, Dr et proc. mars-avr. 2002, p. 92, obs. Fricero.
[17] Cour de révision monégasque, 15 oct. 2014, n° 2013-64, JCP 2015, 155, Y. Strickler.
[18] CEDH 5 nov. 2009, Sté Thaleia Karydi Axte c/ Grèce, D. 2010. 860, note Hugon.
[19] CEDH 6 oct. 2011, no 52124/08, Staszkow c/ France, Procédures, nov. 2011, no 337, obs. Fricero ; Dr et proc. 2012/3, cahier Proc. inter., p. 2, obs. Fricero.
[20] En l’occurrence, pour des majorations d’impôts, CEDH 23 juill. 2002, Janosevic c/ Suède et Västberga Taxi Aktiebolag c/ Suède, AJDA 2002. 1280, chron. Flauss ; RFDA 2003. 939, chron. Labayle et Sudre.
[21] CEDH, 26 mars 2015, n° 11239/11, Momcilovic c/ Croatie, RTDCiv. 2015, 698, obs. Théry.
[22] V. Rétornaz, L’interdiction du formalisme excessif – étude de droit français et suisse à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH, thèse (dactyl.) Dijon et Neuchâtel, 2013, dir. Bolard et Bohnet.
[23] CEDH 13 oct. 2009, Ferré Gisbert c/ Espagne, req. no 39590/05, Dr. et proc. 2010-3, Cah. dr. et proc. intern., no 14, p. 12, obs. Fricero.
[24] CEDH 31 mai 2007, Milhopa c/ Lettonie, § 19, D. 2007. Somm. 2429, obs. N. Fricero ; Dr. et proc. 2007-5, Cah. dr. et proc. intern., p. 26, obs. Fricero. – 14 janv. 2010, n° 53451/07, Popovitsi c/ Grèce, Procédures 2010, n° 70, obs. Fricero. 8 janv. 2013, no 37576/05, Procédures 2013, no 70, obs. Fricero.
[25] CEDH 7 janv. 2010, Dimopoulos c/ Grèce, req. no 34198/07. – Et déjà CEDH 24 mai 2006, Liakopoulou c/ Grèce, req. no 20627/04.
[26] CEDH 23 oct. 1996, Levages Prestations services c/ France, Rec. V, vol. 19, 1530 ; Justices 1997, no 5, p. 197, obs. Cohen-Jonathan et Flauss ; JCP 1997. I. 4000, obs. Sudre ; D. 1997. Somm. 209, obs. Fricero ; JDI 1997. 251, obs. P. B.
[27] CEDH, 5 nov. 2015, n° 21444/11, Henrioud c/ France, JCP 2015, 1333, veille par A. Gouttenoire.
[28] CEDH 16 juin 2009, Lawyer Partner SA c/ Slovaquie, JCP 2009. 224, obs. Jehl ; Procédures 2009, no 358, obs. Fricero ; Dr. et proc. 2010-3, Cah. dr. et proc. intern., no 7, p. 10, obs. Fricero.
[29] CEDH 26 mai 2011, Legrand c/ France, req. no 23228/08, JCP 2011. Doctr. 730, obs. Picheral et 742, note Marais ; Dr. et proc. 2011. 236, obs. Fricero. – CEDH, 17 mars 2015, n° 12686/10, Barras c/ France, JCP 2015, 670, note C. Bléry ;  Procédures 2015/6, n° 192, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal. 13 juin 2015, n° 163-164, p. 15, note A. Donnier et ibid. 16 juin 2015, n° 165-167, p. 21, note L. Mayer ; Dr. et proc. 2015/5, suppl. Dr. proc. intern. p. 4, n° 12, obs. N. Fricero ; RTDCiv. 2015, 698, obs. Ph. Théry).
[30] Civ. 3ème, 25 avr. 2005, n° 06-10662, Procédures 2007, n° 158, obs. R. Perrot.
[31] CEDH 12 nov. 2002, Zvolsky c/ Rép. Tchèque et Beles et alii c/ Rép. Tchèque.
[32] CEDH 28 janv. 2003, Burg c/ France, req. no 34763/02.
[33] CEDH 15 juin 2004, Stepinska c/ France, JCP 2004. I. 161, no 6, obs. Sudre.
[34] CEDH, 25 juin 2015, n° 22037/13, Christian Cannone c/ France, Procédures 2015, n° 263, obs. Fricero.
[35] V. par ex. : Com. 8 oct. 2003, no 00-18.309, JCP 2004. II. 10096, note Descorps-Declère ; RTD civ. 2004. 778, obs. Perrot, qui déclare non admis un pourvoi, alors que le moyen avancé pour obtenir la cassation était la solution retenue par la même chambre quelques mois auparavant ! – Sur ces inconvénients, S. Guinchard, « Petit à petit, l’effectivité du droit à un juge s’effrite », Mélanges Boré, 2006, Dalloz, p. 275.
[36] V. Vigneau, « Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation », D. 2010. Chron. 102.
[37] CEDH 16 févr. 2012, no 17814/10, Tourisme d’affaires c/ France, JCP 2012, doctr. 293, obs. G. Gonzalez ; Procédures, avril 2012, no114, obs. Fricero.
[38] CEDH 21 mars 2000, Dulaurans c/ France, D. 2000. 883, note Clay ; JCP 2000. II. 10344, note Perdriau ; RTD civ. 2000. 439, obs. Marguénaud, et RTD civ. 2000. 635, obs. Perrot ; Procédures 2000, no 186, obs. Fricero ; JDI 2001. 171, obs. Barbier ; RD publ. 2001. 678, obs. Hugon.
[39] CEDH 29 août 2000, Jahnke et alii c/ France, BICC 15 janv. 2001, no 4. - 16 févr. 2012, Tourisme d’affaires c/ France, précité.
[40] CEDH 31 mars 2011, no 34658/07, Chatellier c/ France, Procédures, mai 2011, no 171, obs. Fricero ; JCP 2011, doctr. 735, note L. Milano RTD civ. 2011/2, 313, obs. Marguénaud ; Dr et proc. 2011/7, obs. Ph. Hoonakker et 2012/3, cahier proc. inter. P. 4, obs. Fricero.
[41] CEDH 10 oct. 2013, no 37640/11, Pompey c/ France, Dr. et proc. 2013/6, p. 277, obs. D. Cholet ; Procédures, déc. 2013, no 344, obs. Fricero ; JCP 2014, 436, n° 7, obs. S. Amrani-Mekki.
[42] CEDH, 2 oct. 2014, n° 15319/09, Hansen c/ Norvège, Procédures 2015/2, n° 43, obs. Fricero ; Dr. et proc. 2015/5, suppl. Dr. proc. intern. p. 6, n° 15, obs. N. Fricero Gaz. Pal. 31 janv. 2015, n° 31, p. 16, note J. Andriantsimbazovina : la cour d’appel s’était contentée de reproduire le texte du code de procédure civile pour déclarer irrecevable un appel « n’ayant aucune chance d’aboutir » ; et la Cour EDH d’ajouter qu’elle se félicite que le Parlement norvégien a imposé aux cours d’appel de motiver désormais les décisions d’irrecevabilité.
[43] R. Giraud et M. Obidzinski, « Analyse économique de l’accès au juge », in L’accès au juge [dir. V. Donnier et B. Lapérou-Scheneider, Bruylant éd., 2013, p. 379.
[44] S. Guinchard, A. Varinard et Th. Debard, op. cit.
[45] Devant les juridictions de sécurité sociale, la procédure a toujours été gratuite et sans frais (CSS, art. R. 144-6, al. 1er).
[46] Décret d’application no 78-62 du 20 janvier 1978 : F. Godé, RTD civ. 1978. 450.
[47] D. D’Ambra, « L’aide à l’accès à la Justice : l’aide juridictionnelle », in Procédure(s) et effectivité des droits, Bruylant (« Droit et Justice »), 2003, t. 49, p. 43.
Étude de législation comparée, Allemagne/Angleterre/Pays de Galles/Belgique/Espagne/ Pays-Bas/Suède/Québec, Service juridique du Sénat, www.senat.fr, oct. 2004.
[48] Mais un conseil municipal ne peut pas attribuer une indemnité à une partie à un procès pour couvrir ses frais de procès, TA Paris, 20 oct. 1988, Gaz. Pal. 31 août 1989. somm. des TA Sur le financement d’un procès par un tiers, D. Mondoloni, « Le procès peut-il être financé par un tiers investisseur ? », Mélanges Ch. Larroumet, Economica, 2010, 361.
[49] M.-A. Frison-Roche, JCP 1997. I. 4051.
[50] J. Basedow, « L’accès à la justice pour les créances modestes », Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 67.
[51] CEDH 9 oct. 1979, Airey c/Irlande, série A, no 32.
[52] J. Bougrab, AJDA 2001. 1016.
[53] Sa mise en œuvre ne doit pas constituer un obstacle à l’exercice de l’action, par suite d’une erreur de l’organe d’attribution de l’aide, CEDH 6 oct. 2011, no 52124/08, Staszkow c/ France, Procédures, nov. 2011, no 337, obs. Fricero ; Dr et proc. 2012/3, cahier Proc. inter., p. 2, obs. Fricero.
[54] CEDH 20 juill. 1998, Aerts c/Belgique. M. Puechavy, Mélanges L.-E. Pettiti, Bruylant, 1998, p. 621.
[55] CEDH 13 févr. 2003, Bertuzzi c/ France.
[56] CJUE, ord., 13 juin 2012, aff. C-156/12, Grep, Europe, 2012, no 294, obs. M. Larché; RTD eur. 2013, 681, obs. Fl. Benoît-Rohmer.
[57] Convention d’Aarhus, 25 juin 1998, loi no 2002-285, 28 févr. 2002 et décret no 2002-1187, 12 sept. 2002.
[58] E. Zoller, Droit constitutionnel, 2e éd., PUF, 1999, no 308.
[59] Ibid.
[60] S. Guinchard, « États généraux de la profession d’avocat ou la réforme de la procédure civile », Rev. jur. Île de Fr., Dalloz, oct. déc. 1997 et aussi Dalloz (« Thèmes et commentaires »), 1996.
[61] En métropole et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour les TOM, V. Décr. no 91-1369, 30 déc. 1991, mod. Décr. no 93-1266, 16 sept. 1993, art. 365 et par Décr. no 94-1124, 21 déc. 1994.
[62] Les ex-4ème, 5ème et 6ème partie deviennent respectivement les 5ème, 6ème et 7ème parties.
[63] D. d’Ambra, « Réformer l’aide juridictionnelle », Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 85. – J. Junillon, « Un fonds de garantie pour la justice civile », Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 125. A. Trannoy et Y. Douzan, « L’aide juridictionnelle : assistance ou assurance » et E. Jeuland, « L’aide juridictionnelle et l’analyse économique du droit », in Droit et économie du procès civil, LGDJ 2010, p. 41 et 55.
[64] P. Eydoux, Gaz. Pal. 21 juin 2014. D. Lecomte, Gaz. Pal. 14 juin 2014.
[65] Sur lequel, Fr. Rolin, D. 2002. 2890.
[66] Comm. : D. Krajeski, JCP 2007. Actu. 103 ; Ch. Jamin, D. 2007. 565 ; B. Cerveau, « Aide juridictionnelle et assurance de protection juridique : la mise en œuvre du principe de subsidiarité », Gaz. Pal. 4 avr. 2009.
[67] Comm. : B. Cevreau, Gaz. Pal. 5 mai 2007, Doctr.
[68] Rapport R. du Luart, Gaz. Pal. 20 oct. 2007.
[69] J. Castelain, Bâtonnier de Paris, Le Figaro 15 févr. 2010.
[70] Député Dominique Raimbourg, débat organisé le 7 mars 2012 par l’Université Panthéon-Assas et la Chambre nationale des huissiers de justice, Propos conclusifs par S. Guinchard, Gaz. Pal. 24 avr. 2012, doctr.
[71] Le Figaro 9 févr. 2010.
[72] Rapport Gosselin-Langevin, avril 2011, qui formule 30 propositions réparties en 3 axes : mieux répondre aux besoins, innover dans le domaine des modes d’accès à la justice et de résolution des modes de conflits, rationnaliser le dispositif pour pérenniser le système d’aide juridictionnelle et aider les plus démunis. La proposition phare est la création d’un Fonds de soutien alimenté par la hausse des droits d’enregistrement.
[73] Présentation par G. Drago, Dr. et proc. 2013/7, 154 et Annonces de la Seine, 11 juill. 2013, n° 44, p. 2.
[74] Aperçu par F. G’sell, JCP 2014, 1067. La taxe pose problème car le droit à l’exécution d’un jugement fait partie de la garantie d’un procès équitable (le fameux triptyque du droit à un juge, à un bon juge et à l’exécution) : l’obstacle financier ne devra pas être trop élevé.
[75] Pour aider ces groupes dans leur réflexion, G. Brunel, « Le plan Justice belge : une piste de réflexion pour la réforme de l’aide juricditionnelle », Gaz. Pal. 4 juill. 2015, n° 184-185, p. 6.
[76] Ce taux de 9% reste cependant applicable aux assurances ayant pour objet exclusif ou principal la prise en charge de la défense pénale ou le recours en réparation d’un péjudice personnel suite à un accident.
[77] Ceux qui auront donc souscrit à ces contrats paieront deux fois : pour eux en payant leur prime et pour que ceux qui n’ont rien souscrit mais sont éligibles à l’aide juridictionnelle.
[78] Commentaire : C. Laporte, JCP 2015, 355.
[79] Déc. n° 2015-715 DC du 5 août.
[80] Déc. n° 2016-743 du 28 déc. : au regard de l'objet de la loi, qui est de soumettre les professionnels en cause à une contribution correspondant à leur niveau d'activité, il n'y a pas de différence entre les redevables selon le nombre d'associés au sein de la structure.
[81] F. Pelouze, JCP 2013, entretien 164 et JCP 2014, aperçu 836 par S. Menétrey (sur le rapport du Club des juristes).
[82] Idée reprise par J.-L. Gillet, Les Cahiers de la Justice 2016/1, 131 qui propose trois parts : le justiciable, l’État et les professions juridiques. S. Guinchard, « Propos conclusifs » au colloque de l’université Paris 2 et de la Chambre nationale des huissiers de justice, Paris 7 mars 2012, Gaz. Pal. 24 avr. 2012, doctr. Dans les Mélanges Guinchard, Dalloz, 2010 : D. d’Ambra, « Réformer l’aide juridictionnelle », p. 85 ; J. Junillon, « Un Fonds de garantie pour la justice civile ? », p. 125 ; Basedow, « L’accès à la justice pour les créances modestes (le médiateur de l’assurance en Allemagne) », p. 67. A. Coignac, « Réforme de l’aide juridictionnelle : quelles perspectives ? », JCP 2010. Doctr. 594.
[83] S. Guinchard, « États généraux de la profession d’avocat ou la réforme de la procédure civile », Rev. jur. Île de Fr., Dalloz, oct.-déc. 1997 et aussi Dalloz, coll. « Thème et commentaires », 1996.
[84] J.-M. Varaut, Le droit au juge, éd. Quai Voltaire, 1991, p. 276.
[85] On a proposé une Caisse nationale de gestion de cette aide à travers l’assurance de protection juridique, Y. Doussat, Gaz. Pal. 1991. Doctr. 83. V. aussi, O. Dufour, « Les vertus de l’assurance », LPA 17 déc. 1997.
[86] Rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale, 2000.
[87] En ce sens aussi, Guy Canivet, « L’égalité d’accès à la Cour de cassation », Rapport annuel de la Cour de cassation, 2003, Doc. fr. 2004.
[88] Par exemple, dans Droit ouvrier, sur le projet de décret du 20 août 2004, v. Yves Saint-Jours, août 2004, p. 349, « Haro sur la représentation et l’assistance syndicales en matière prud’homale ». – Patrick Tillie, janvier 2005, p. 12, « Le décret du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile et ses effets sur la procédure prud’homale et l’accès à la justice ».
[89]. Jeannette Bougrab, « L'aide juridictionnelle, un droit fondamental ? » AJDA, déc. 2001, 1016.
[90]. CEDH, 9 oct. 1979, arrêt Airey c/ Irlande, série A, n° 32.
[91]. Par ex., CEDH, 12 oct. 1999, Perks et alii c/ Roy. Uni.
[92].CEDH, 10 juill. 1980, X. c/ Roy. Uni, req. n° 8158/78. 10 janv. 1991, Ange Garcia c/France, req. 14119/88.
[93] CEDH, 13 fév. 2003, Bertuzzi c/ France, Europe, mai 2003, n° 185, obs. V. Lechevallier.
[94]. Sur cette évolution, A. Perdriau, « L'aide juridictionnelle pour se pourvoir en cassation », Gaz. Pal. 25 juin 2002, Doctr.
[95]. CEDH, 20 juill. 1998, Aerts c/ Belgique, D. 1998, 35e cahier, Actualité, obs. F. Rolin ; D.1999, somm. com. 270, obs. N. Fricero (avec CEDH, 28 oct. 1998, Perez de Rado Cavanilles).
[96]. V. M. Puechavy, « L'aide juridictionnelle et la Convention européenne des droits de l'homme », Mélanges Pettiti, Bruylant, 1998, p. 621.
[97][97]. CEDH, 19 sept. 2000, Gnahore c/France : Journal des droits de l'homme, supplément aux Annonces de la Seine, 16 oct. 2000, p. 7, obs. (crit.) Bertrand Favreau ; D. 2001, 725, note (crit ;)Fr. Rolin et 1063, obs. N. Fricero ; JCP 2001, I, 291, no 19, obs. (crit.) Sudre ; RTDH 2001-48,1063, note M. Puéchavy ; RD publ. 2001-3, 682, obs. G. Gonzales ; JDI 2001, 207, obs. D.Leclerco-Delapirarre et S. Restencourt.
[98]. Article 23 de la loi du 10 juillet 1991. Il s'agit d'un recours administratif devant le président de la juridiction auprès de laquelle est installé le bureau d'aide juridictionnelle ; le président statue « sans recours », mais cette formulation n'exclut pas un recours pour excès de pouvoir conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat de 1947, Dame Lamotte.
[99].CEDH, 14 sept. 2000, Bull. inf. cass. 15 janv. 2001, no 1 ; chron. A. Perdriau Gaz. Pal.25 juin 2002.
[100]. CEDH, 26 fév. 2002, Essaadi (un arrêt) et Del Sol (deux arrêts) c/ France, Journal des droits de l'homme, supplément au n° 21 des Annonces de la Seine du 28 mars 2002 ; Bull. inf. cass.15 mai 2002, no 471 ; AJDA juin 2002, 507, obs. (crit.) Flauss ; JCP 2002, I, 157, no 9, obs (crit.)Sudre ; chron. A. Perdriau, Gaz. Pal. 25 juin 2002 ; Gaz. Pal. 5 oct. 2002, note Puechavy ; JDI 2003-2, 520, obs. Marina Eudes.
[101] Décision n° 3264/2000, Dr. ouvrier, 2004, p. 552.
[102] Soc. 4 juin 2002, Dr. ouvrier, 2003, 440, note D. Boulmier.
[103] Décision n° 9897/2003, Dr. ouvrier, 2004, p. 552.
[104] Soc. 30 mai 2000, arrêt de Percin, Dr. ouvrier, 2005, p. 16.
[105] C’est le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 qui substitue le mot « radiation » à l’expression « retrait de rôle ».
[106]. Valérie Maignan,  « Le retrait du rôle du pourvoi en cassation et la CEDH », Procédures, oct.2000, chron. 12. — Ch. Hugon, « Le contrôle par la Cour EDH du retrait des pourvois du rôle de la Cour de cassation », D. 2001, 3369.
[107]. Commission, Avis du 9 janv. 1995 : Rev. Justices 1996, n° 3, p. 240, obs. Cohen-Jonathan et Flauss ; Dans le même sens, Cass., Ord. Prem. prés., 22 févr. 1995.
[108]. Affaire Ferville c/ France, req. n° 27659/95.
[109]. Affaire Venot c/ France, req. n° 28845/95, § 49.
[110]. Req. n° 42195/98, fin 1999.
[111]. CEDH, 31 juill. 2001, Mortier c/ France, Europe, nov. 2001, no 342, obs. V. Lechevallier ; Dr. et proc. janv.-fév. 2002, p. 25, obs. Ch. Hugon ; RD publ. 2002-3, p. 695, obs. Stéphanie Soler.
[112].Guy Canivet, loc. cit. JCP 2001, I, 361, n° 10, in fine.
[113]. CEDH, 14 nov. 2000, Annoni di Gussola et Debordes et Omer c/ France, Annonces de la Seine, 18 déc. 2000, supplément no 83 ; Gaz. Pal. 25 sept. 2001, note M. Puéchavy ; D. 2001,1061, obs. N. Fricero ; Dr. et proc., mai 2001, p. 167, obs. ch. Hugon ; RTD civ. 2001, 445, obs.Marguénaud ; RD publ. 2001-3, 675, obs. Ch. Hugon et chron. D. 2001, 3369.
[114]. CEDH, 5 déc. 2000, Arvanitakis c/ France.
[115] CEDH, 25 sept. 2003, Bayle c/ France et Pages c/ France, D. 2003, 2605 et 2004, 988, obs. N. Fricero ; Europe, déc. 2003, n° 424, obs. V. Lechevallier ; JDI 2004-2, 678, obs. P. Tavernier (la Cour conclut à « une mesure disproportionnée au regard des buts visés par l’obligation d’exécution ; l’accès effectif de l’intéressé à la haute juridiction s’en est trouvé entravé »).
[116] C’est nous qui soulignons.
[117] Sur cette jurisprudence, Vincent et Guinchard, Procédure civile, Dalloz éd., 23ème éd., oct. 2003, n° 183. Serge Guinchard et alii, Droit processuel/ Droit commun et droit comparé du procès, Dalloz éd., 3ème éd. fév. 2005, n° 131 et 293.
[118] Serge Guinchard et alii, Droit processuel/ Droit commun et droit comparé du procès, op. cit., n° 71 et s.
[119] Serge Guinchard et alii, Droit processuel/ Droit commun et droit comparé du procès, op. cit., n° 80.
[120] Sur lequel, v. en dernier lieu, Fl. Laroche-Gisserot, in Les « class actions » devant le juge : rêve ou cauchemar, Petites affiches, n° 115, 10 juin 2005, p. 7 et s.
[121] Sur lequel, v. en dernier lieu, Pierre-Claude Lafond, in Les « class actions » devant le juge : rêve ou cauchemar, Petites affiches, n° 115, 10 juin 2005, p. 11.
[122] V. Vincent et Guinchard, Procédure civile, Dalloz éd., 23ème éd., 2003, n° 125 et s.
[123] V. Véronique Magnier, Les class actions d’investisseurs en produits financiers, in Les « class actions » devant le juge : rêve ou cauchemar, Petites affiches, n° 115, 10 juin 2005, p. 33.
[124] Nathalie Faussat, Vice-Présidente du TGI de Paris, Petites affiches, 25 mai 2005, p. 7).
[125] Il semble qu’aux USA, aucune certification n’ait été confirmée par un juge d’appel d’Etat ou fédéral (cf. Le Monde du 6 juin 2005).
[126] V. Vincent et Guinchard, Procédure civile, op. cit., n° 129.
[127] Supra, dans l’introduction à ces propos.
[128] Commission, 6 avr. 1995, Fédération grecque des commissionaires en douane.
[129] Commission, 4 déc. 1995, Tauira et alii c/ France.
[130] CEDH, 10 juillet 2001, Association et ligue pour la protection des acheteurs d’automobiles c/ Roumanie.
[131] CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizzarraga et alii c/ Espagne.
[132] Commission européenne, des droits de l’homme, 16 juillet 1968. Idem, CEDH, 27 oct. 1993, Dombo Beheer c/ Pays-Bas. – 23 oct. 1996, Ankerl c/ Suisse.
[133] CEDH, 9 mai 1986, Feldbrugge c/ Pays-Bas.
[134] M.A Frison-Roche, Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités, in Les « class actions » devant le juge : rêve ou cauchemar, Petites affiches, n° 115, 10 juin 2005, spéc. n° 40.
[135] Monique Bandrac, in Serge Guinchard et alii, Droit processuel/ Droit commun et droit comparé du procès, op. cit., 3ème éd., fév. 2005, n° 710, p. 1165.
[136] Ibid.
[137] En dernier lieu, Mainguy, D. 2005, p. 1283, qui expose aussi le système jadis retenu par ce grand spécialiste du droit de la consommation qu’est notre collègue Jean Calais-Auloy, système que l’on trouvera résumé par cet auteur in Les « class actions » devant le juge : rêve ou cauchemar, Petites affiches, n° 115, 10 juin 2005, p. 29 et s. – Temple, JCP 1er juin 2005, Actualités, p. 992. Voici aussi le numéro 115 des Petites affiches, 10 juin 2005 ; qui reproduit le texte des contributions au colloque organisé à Paris, le 18 novembre 2004, Les « class actions » devant le juge français : rêve ou cauchemar ?
[138] Cette contribution est une version actualisée, légèrement différente et remaniée du rapport de synthèse présenté à la journée organisée par la Société de législation comparée le 27 janvier 2006.
[139] D. 2005, p. 2180.
[140] Publié en 1971 à la LGDJ, Bibliothèque de sciences criminelles, préface Albert Chavanne.
[141] En vue d’un colloque international de droit comparé.
[142] Dalloz 2005, p. 2180.
[143] Cette contribution est issue du rapport de synthèse présenté aux VIIèmes assises nationales des avocats d’enfants, qui se sont tenues à Rennes, les 17 et 18 novembre 2006.
[144] Publié à la Documentation française en août 2008.
[145] Parfaitement justifiés vue l’œuvre de Christine Lazerges, tant du point de vue universitaire que de l’action politique, notamment lorsqu’elle était vice-présidente de la Commission des lois de l’Assemblée nationale.
[146] Nous nous retrouvions au Conseil national de prévention de la délinquance, elle, élue de la ville de Montpellier et adjointe au maire en charge de ces questions, moi de même, mais adjoint au maire de Lyon, sous l’autorité, pour certaines réunions, de Mireille Delmas-Marty.
[147] Annuaire statistique de la justice, 2005-2010.
[148] Chiffres-clefs de la justice publiés en novembre 2012.
[149] CEDH 29 avr. 2008, Thomas c/ France, RSC 2008. 697, obs. D. Roets.
[150] D. 2008. 1748.
[151] Les éléments de cette contribution doivent beaucoup au rapport de la commission Guinchard, dont le chapitre consacré au contentieux routier a été rédigé sur la base du texte fourni par Samuel Gillis, alors magistrat au bureau de la législation pénale à la Direction des affaires criminelles et des grâces.
[152] J. Volff, « Un coup pour rien ! L’injonction pénale et le Conseil constitutionnel », D. 1995. Chron. 201.

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