mardi 30 mai 2017

BELLES PAGES 24: LE JUGE D'INSTRUCTION

SOMMAIRE : LE JUGE D’INSTRUCTION
I – ÉVOLUTION HISTORIQUE DE SON RÔLE
II – RELATIONS ENTRE LES ORGANES DU PROCÈS PÉNAL
III – RELATIONS AVEC LE PARQUET
IV – MORT PROGRAMMÉE ?
V – REQUIEM JOYEUX POUR SA DISPARITION
VI – RESPONSABILITÉ DU JUGE D’INSTRUCTION

I – ÉVOLUTION HISTORIQUE DE SON RÔLE
Janvier 2017
L’historique du rôle du juge d’instruction entre procédure accusatoire et procédure inquisitoire – L’affaire d’Outreau, symbole des dysfonctionnements de l’instruction « à la française »
Pour simplement, ici, synthétiser l’aperçu historique et en extraire l’essentiel de ce qui concerne le juge d’instruction, on relèvera les mouvements de balancier, qui traduisent bien l’idée que la procédure pénale est toujours à la recherche d’un équilibre entre la sécurité et la liberté, disons ici, entre l’intérêt de la société, l’ordre public et les droits de la défense, recherche qui se manifeste dans les hésitations, puis le choix d’une procédure accusatoire ou inquisitoire ou mixte.

Que l’on en juge :

1) En 1808, vision prospective de ce que doit être la véritable séparation des fonctions au sein même d’un organe judiciaire, du rôle du juge d’instruction tel qu’il devrait être selon la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1996, Perquisitions de nuit (soit près de 200 ans après), le législateur napoléonien dissocie la fonction d’enquêteur de celle de dire le droit, de la fonction proprement et étymologiquement juridictionnelle (juris-dictio).

2) À l’inverse, c’est un régime autoritaire et fondé sur le plébiscite (ce qui n’a jamais constitué un critère de bonne démocratie) qui réalise la confusion des fonctions et des genres en 1856 ; que ceux qui plaident et militent aujourd’hui pour cette confusion se souviennent bien de la période pendant laquelle ce système a été imposé et de la nature du régime politique de l’époque ; à cet égard, il n’est pas étonnant que ce soit une association très corporatiste au sens de l’Ancien Régime, des empires et autres régimes peu démocratiques, qui défende le plus l’institution actuelle. Peut-être d’ailleurs que l’échec du projet de la commission présidée par Henri Donnedieu de Vabres qui tendait à revenir à une plus grande clarté dans l’exercice de la fonction de magistrat instructeur est-il dû davantage à cette avancée démocratique qu’il représentait sur ce point et à laquelle les esprits n’étaient pas prêts, malgré (à cause de ?) Vichy, plutôt qu’aux aspects répressifs du projet.

3) La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 réalise, enfin, cette dissociation des pouvoirs d’investigation du juge d’instruction et de ses pouvoirs de coercition, puisque c’est désormais le juge des libertés et de la détention qui décide de la mise en détention provisoire, sauf le pouvoir résiduel du juge d’instruction (jusqu’à quand ?) de maintenir en détention celui que, par son ordonnance de règlement, à la fin de son instruction, il renvoie devant une juridiction de jugement. Mais la réforme n’est pas passée sans heurts, à preuve les événements politico-judiciaires de la fin de l’année 2001 mettant en cause – et en vrac – la limitation des pouvoirs du juge d’instruction par la nouvelle loi et le contrôle de leurs actes par la nouvelle chambre de l’instruction, y compris au prix de la dénonciation publique d’un magistrat par le Premier ministre de la France, à la télévision et par ses collègues au sein du palais de justice de Paris[1] ; quelle « indécence »[2] ! Ces événements illustrent bien le mouvement de balancier que nous évoquons ici : dans un premier temps, la classe politique unanime vote la loi du 15 juin 2000 ; puis, certains découvrent qu’ils ne l’auraient pas votée (alors que leur abstention, sur certains articles seulement, s’expliquait par le fait qu’ils estimaient que le gouvernement n’allait pas assez loin dans l’amputation des pouvoirs du juge d’instruction)[3] et réclament son abrogation au motif d’une « bavure » judiciaire et de la libération par une chambre d’accusation (en décembre 2000) d’un dangereux individu, oubliant que ladite chambre avait pesé, en collégialité, le pour et le contre et avait pris en considération la faute du juge d’instruction qui n’avait pas bouclé son instruction dans le délai de deux ans, pour, certes, libérer l’individu, mais en lui imposant un sévère contrôle judiciaire ; la passion l’a emporté sur toute autre considération, le Président de l’Assemblée nationale allant même jusqu’à réclamer des poursuites disciplinaires contre le président de la chambre mise en cause, et le Premier ministre parlant, à la télévision, « d’une erreur grave d’appréciation », au mépris du respect du principe de la séparation des pouvoirs, pour essayer de justifier le retrait de l’ordre du jour du Conseil des ministres, de la nomination de l’intéressé comme procureur général ; en l’absence de connaissance du dossier, que savait-il de cette erreur, lui qui s’était engagé à ne pas intervenir dans les affaires judiciaires et dans la nomination des magistrats ? Et cinq ans plus tard, on apprend que les juges avaient eu raison de libérer le détenu en question, puisqu’il fut acquitté pour les faits qui lui étaient alors reprochés[4] ; mais quelle mesure viendra réparer le préjudice de carrière et le préjudice moral subis par le président mis en cause ? Le balancier oscille constamment : quelques jours plus tard, un ancien ministre des Finances contraint à la démission par l’annonce d’une prochaine mise en examen est relaxé ; haro cette fois sur le juge d’instruction qui l’avait renvoyé et demande de réforme de la procédure d’instruction ; il est vrai que, en l’espèce, le juge d’instruction avait, selon le jugement de relaxe, rendu une ordonnance de renvoi qui « confinait à l’absurde » ; même charge, dans le même jugement, contre le parquet du TGI de Paris ; turbulences donc. Dès lors, certains réclament la suppression du juge d’instruction[5] (qui n’instruit plus que 8 % des affaires), alors que d’autres souhaitent son maintien[6].

4) Même mouvement d’opinion et médiatique contre le juge d’instruction dans l’horrible affaire d’Outreau jugée en deux fois ; d’abord en juillet 2004 : les deux tiers des 17 accusés d’actes de pédophilie (quasiment sur le seul témoignage d’une mère de famille habile à accuser des « notables » dans l’espoir d’atténuer sa propre responsabilité) furent acquittés par la cour d’assises, l’instruction refaite à l’audience ayant démontré les errements du juge d’instruction mais aussi de ceux qui l’ont accompagné (procureur et procureur général) ou contrôlé (chambre de l’instruction) ; puis en décembre 2005, avec l’acquittement de toutes les personnes mises en cause par les parents des enfants qu’ils avaient eux-mêmes violés. Le lecteur intéressé par cette lamentable affaire qui deviendra – il faut le souhaiter – un cas d’école pour les élèves magistrats à l’École nationale de la magistrature, en trouvera une excellente analyse dans le numéro d’avril-mai 2005 de la revue Culture Droit ; voici ce qu’en écrivait (p. 53) Hubert Dalle, haut magistrat et homme de réflexion sur les choses de la justice, au jugement pertinent : « Ce procès fait apparaître une contradiction fondamentale entre les méthodes de construction de la vérité judiciaire par un dossier et celle qui résultait du procès d’assises. Y aurait-il deux vérités judiciaires ? La première écrite, professionnelle, construite en trois ans dans le secret des services de police et de gendarmerie, du parquet, d’un cabinet de juge d’instruction et d’une chambre de l’instruction. La seconde, orale, publique, devant un jury populaire, après neuf semaines de débats contradictoires, à armes égales entre accusation et défense et devant l’opinion publique. La vérité professionnelle construite par des juges pour des juges se heurte à la vérité judiciaire du procès d’assises, déconstruite par le débat public devant des non-professionnels. Outreau démontre, une nouvelle fois, que la construction de la vérité judiciaire par un juge qui instruit en principe “à charge et à décharge” ne présente pas les mêmes garanties que le débat oral, contradictoire et public entre l’accusation et la défense devant la cour d’assises. Ce procès hors norme a démontré jusqu’à l’extrême l’inadéquation du système procédural français ». Le second procès d’Outreau, en appel (déc. 2005), confirma la pertinence de ces écrits empreints de sagesse et d’expérience. À notre sens, il faut y voir, non pas une entreprise machiavélique à broyer des innocents qui aurait été mise en place par les acteurs judiciaires de cette affaire, mais la résultante de plusieurs facteurs, dont l’inexpérience du juge d’instruction, et, à l’inverse, l’habitude, trop fréquente chez certains, de s’en remettre aux conclusions de ceux dont ils doivent contrôler les actes de procédure, par manque de temps, par paresse intellectuelle, par habitude ; bref un aveuglement collectif, doublé de vices structurels de l’enquête (crimes retenus sans preuves matérielles, uniquement sur la base de témoignages contestables ; détention provisoire pervertie ; contrôles procéduraux inexistants ; trop grande proximité des acteurs judiciaires, contraire au principe de séparation des autorités de poursuite, d’instruction et de jugement, ce qui entraîna l’absence de ce double regard sur le dossier[7] ; climat de l’époque contre les pédophiles ; audiences tardives, etc.)[8]. Une double poursuite disciplinaire contre le juge d’instruction et le procureur de la République a abouti au blâme du premier (avr. 2009) et au changement d’affectation du second. Dans cette affaire, il faut distinguer d’éventuels manquements aux règles d’exercice des fonctions, le comportement personnel du juge, de ce qui relève de l’application pure et simple d’un système d’instruction qui dépasse ceux qui ont eu en charge de le mettre en œuvre dans l’affaire en question ; on ne peut tout de même pas reprocher au juge d’instruction de cette affaire d’avoir à la fois enquêté et pris des décisions juridictionnelles, d’autant plus que c’est au juge des libertés et de la détention qu’il revenait de rendre les ordonnances de mise en détention provisoire (qui ne fut pas inquiété, pas plus que tous les autres qui ont eu à connaître du dossier, à commencer par les membres du parquet du tribunal et du procureur général à la cour d’appel de Douai, supérieur hiérarchique du premier[9]). Bien au contraire, s’il n’avait pas respecté l’attribution de ses pouvoirs, s’il n’avait pas exercé ses prérogatives légales, que n’aurait-on pas dit contre lui ! Ce qui est en cause, c’est l’organisation de notre justice pénale, celle qui entretient la confusion des pouvoirs d’enquêteur et de juge[10] ; le juge d’instruction de cette affaire est un peu comme Louis XVI qui porta tragiquement le poids des erreurs passées de la royauté, à cette différence que Louis XVI avait le pouvoir de réformer, ce que le juge n’avait pas. C’est pourquoi, on ne peut qu’approuver l’Assemblée nationale d’avoir créé une commission d’enquête, non seulement pour discerner les dysfonctionnements de la justice dans cette affaire, mais aussi pour proposer des solutions, des réformes ; des auditions, souvent publiques, eurent lieu, à la fois des protagonistes de cette affaire et d’experts de la justice pénale ; la France vécut, à partir du 8 février 2006 (date de l’audition du juge d’instruction de l’affaire) dans l’attente et la frénésie de ces auditions, retransmises sur certaines chaînes de télévision et découvrit, avec horreur, les dessous cachés de la justice pénale, ce que tous les professionnels de cette justice savaient depuis longtemps, à savoir qu’elle n’est pas fiable, mais s’en contentaient au nom de l’efficacité ; bien peu s’élevaient, comme nous l’avons fait dans ce précis, dès les trois premières éditions (2000/2002/2005), contre les injustices qu’elle génère. La commission déposa son rapport à l’Assemblée nationale en juin 2006 (édité à la Documentation française et consultable sur le site de l’Assemblée) ; mais il était bien tard pour revoir l’ensemble de notre procédure pénale et la question de l’articulation des organes du procès pénal, dix mois avant l’élection présidentielle. On en trouvera néanmoins un prolongement dans deux lois : celle n° 2007-287 du 5 mars 2007 sur le recrutement, la formation et la responsabilité des magistrats et celle n° 2007-291, du même jour, qui tend à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, avec notamment le principe d’une collégialité de l’instruction[11].

5) Le Président de la République s’étant prononcé en janvier 2009 pour la suppression du juge d’instruction et la commission Léger ayant repris cette idée dans son rapport, on pouvait penser que la survie de l’institution n’était qu’une question de quelques mois, le temps de voter une loi en ce sens et, surtout, de mettre en place un système garantissant les libertés. Déjà, la loi du 9 mars 2004, dite Perben II, contourne le juge d’instruction en accroissant le champ d’investigation des procureurs de la République, qui deviennent les pivots de la procédure pénale (pouvoirs accrus dans la conduite des enquêtes, émergence d’un quasi-pouvoir de jugement à travers la mise en place d’une procédure de « plaider coupable », pouvoir de saisir le juge des libertés et de la détention sans passer par le juge d’instruction)[12] ; cette loi a conduit le Parquet de Paris à étendre ses prérogatives en créant des « bureaux des enquêtes »[13]. Mais les vicissitudes de la vie politique et la manière dont la réflexion fut conduite ont fait capoter la réforme, jusqu’à ce que la barbarie des attentats terroristes de janvier et novembre 2015 conduise le gouvernement (de gauche...) à faire voter la loi n° 2016-731 du 3 juin, qui donne aux procureurs, sous le seul contrôle des JLD, des pouvoirs jusqu’à maintenant réservés aux juges d’instruction (ou aux JLD), par exemple : pour veiller à ce que les investigations qu’il demande à des enquêteurs d’effectuer « tendent à la manifestation de la vérité et soient accomplies à charge et à décharge[14], dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée (CPP, art. 39-3, créé par art. 54) ; pour utiliser le fichier des empreintes génétiques aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe à une personne inconnue ayant laissé une trace biologique dans le cadre de l’un des crimes visés à l’article  706-55, CPP (CPP, art. 706-56-1-1, créé par art. 80) ; pour autoriser des OPJ, dans le cadre des infractions visées aux articles 706-73 et 706-72-1, CPP, comme peut le faire un JLD, à utiliser un appareil permettant d’identifier un équipement terminal ou un numéro d’abonnement de connexion, mais seulement « en cas d’urgence résultant d’un dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens » (CPP, art. 705-95-4, § III, créé par art. 23).
À plus long terme, la vraie question reste néanmoins posée, celle de la suppression ou non du juge d’instruction et par qui le remplacer, avec une enquête confiée au parquet et un juge du siège qui arbitre en cas de difficulté, oriente le dossier, prend les décisions juridictionnelles qui s’imposent et protège les libertés.

II – RELATIONS ENTRE LES ORGANES DU PROCÈS PÉNAL
Une question récurrente : les relations entre les organes du procès pénal
Janvier 2017

La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 abordait ces relations, mais à propos de problèmes particuliers, sans les replacer dans une perspective d’ensemble du modèle de procès que la France voudrait pour le troisième millénaire. Au-delà du meilleur respect de la présomption d’innocence, de l’amélioration des droits des victimes (L. 15 juin 2000° et des relations du parquet avec le garde des Sceaux (L. 9 mars 2004), reste le problème de la place et du rôle du juge d’instruction dans le procès pénal, même si, quantitativement, le nombre d’affaires soumises à une instruction préparatoire va en diminuant et n’est pas caractéristique des problèmes de traitement de la délinquance d’aujourd’hui. La vraie question, par rapport au juge d’instruction, en attendant sa disparition inscrite dans l’évolution mondiale du procès pénal ? reste celle de la confusion des pouvoirs que l’institution porte en elle depuis 1856. Ne faut-il pas introduire une nouvelle et radicale séparation des pouvoirs à l’intérieur de chaque institution ? Par exemple, le Parlement ne pourrait pas se transformer en Cour de justice de la République ou en Haute Cour parce qu’il est législateur. De la même façon, le juge d’instruction, soit devrait rester ce qu’il était en 1808, un enquêteur, sans aucun pouvoir juridictionnel, soit devrait perdre ses pouvoirs d’investigation (qui passerait entièrement au parquet) et ne conserver que ses pouvoirs juridictionnels de contrôle des enquêtes et de prendre les mesures restrictives de liberté, auquel cas sa disparition serait actée au profit du juge des libertés et de la détention. La loi du 15 juin 2000 va dans cette direction. Celle du 9 mars 2004 n’aborde pas franchement cette question, mais, indirectement, écarte le juge d’instruction de la scène judiciaire au profit du parquet (historiquement, sur le mouvement de balancier entre le parquet et le juge d’instruction et la réforme annoncée de la suppression du juge d’instruction avait redonné de l’actualité à ce sujet, avant qu’il ne fût abandonné. C’est sans doute le juge des libertés et de la détention qui devrait être l’arbitre de ce mouvement de balancier.

III – RELATIONS AVEC LE PARQUET
Janvier 2017
 Il faut dénoncer ici la pratique contraire au principe de séparation des fonctions de poursuite et d’instruction qui consiste, pour un juge d’instruction, à « sous-traiter »[15] la rédaction de ses ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel ou de mise en accusation devant la cour d’assises, en se contentant de recopier et de reprendre mot pour mot le réquisitoire du parquet, procédé détestable qui contribue à accentuer ces menaces qui pèsent sur la Justice des droits de l’homme et que l’informatisation des cabinets d’instruction rend encore plus aisé par le procédé du « copier-coller ». Une juridiction a eu l’audace et le courage d’annuler une ordonnance de renvoi de ce type : T. corr. Angoulême, sept. 2009 (sans indication de date plus précise) : Bull. Barreau Paris, 19 oct. 2009, n° 32, p. 418. Et la chambre criminelle semble amorcer une évolution dans un arrêt du 23 novembre 2016, par lequel elle censure un arrêt d’une chambre de l’instruction qui avait estimé qu’une ordonnance d’un JLD de maintien en garde à vue jusqu’au maximum du délai autorisé en matière de criminalité organisée (96 heures) était suffisamment motivée par référence aux réquisitions du ministère public qui mentionnaient « la nécessité de nouvelles auditions et d'exploitation de données techniques et scientifiques », considérant que la mesure ne devait s'apprécier qu'au regard "des seules nécessités de l’enquête » ; pour la Cour, le JLD ne pouvait se contenter de renvoyer aux motifs du procureur de la République, mais devait spécialement justifier de la nécessité de la prolongation de garde à vue pour permettre à l'intéressé d'en connaître "les raisons précises" et le prémunir d'une atteinte disproportionnée aux droits et libertés individuels protégés par la Convention EDH[16]. Même solution pour la motivation d’une ordonnance du JLD[17].

IV – MORT PROGRAMMÉE ?
La mort programmée puis déprogrammée du juge d’instruction
 Janvier 2017

a) Témoignages sur le juge d’instruction

Pour éclairer le débat sur le juge d’instruction, non pas sur les hommes qui exercent ces fonctions difficiles et qui sont bien souvent confrontés à la lie de la société, mais sur l’institution, quelques témoignages de magistrats sont révélateurs du malaise que crée l’institution au sein même de la magistrature, sans parler de la société civile.

Lors de son départ en retraite, Pierre Truche, Premier président de la Cour de cassation (et, surtout, ayant occupé les plus hautes fonctions au parquet), répondait à la question : « Le juge d’instruction va-t-il, à terme, disparaître ? », « Je l’espère bien ! Rares sont dans le monde, les pays à avoir des juges d’instruction tels que nous les connaissons. Ce n’est pas un signe de modernité… Il faudrait confier l’enquête à un procureur, dont le statut serait modifié, avec, en face, un vrai juge désigné par le CSM. Il interviendrait dès qu’un droit fondamental serait en cause (détention, perquisition chez un avocat) et fixerait des délais au procureur. Il n’est pas sain d’instruire et de juger » (Le Figaro 28 juin 1999, p. 9).

Un juge d’instruction : « Je serai plutôt partisan de la suppression du juge d’instruction. On ne peut à la fois être juge et chargé d’une fonction d’enquête, de type policier, qui s’apparente vraiment à la chasse. Il faudrait dans un premier temps prendre l’habit du chasseur et, dans un second temps, mettre une toque de juge pour être garant des droits individuels, apprécier la régularité de la procédure ? Je n’y crois pas ». Et plus loin : « C’est tout de même l’aspect recherche de la vérité qui prime chez le juge d’instruction, plutôt que celui garant des procédures ? C’est incontestable… Il faut mettre fin à la schizophrénie » (F. Guichard, in Les juges parlent, de L. Greiselmer et D. Schneidermann, Fayard, 1992, p. 184).

Vision anglaise du juge d’instruction français : « Ce fonctionnaire de l’État a pour tâche de faire avouer un suspect. Afin d’obtenir des aveux le juge peut l’emprisonner, pendant des mois, voire des années, sans procès » (D. Lawday, in New Statesman and society, Londres, rapporté par Courrier international, 7 juill. 1999, p. 13). Pour être complet et honnête, certains juristes anglais découvrent les mérites de l’instruction à la française, critiquant, dans leur pays, la procédure de recherche des preuves par la police qui a donné lieu à des excès (V. supra, n° 106, c, avec l’affaire dite des « Quatre de Guilford » citée en note). V. le livre de maître Michael Mansfield, Presumed Guilty (présumé coupable).

B) Éternelle question : faut-il maintenir un juge d’instruction ?

1) À l’étranger : L’Allemagne et l’Italie ont supprimé le juge d’instruction depuis 1975 et 1988. La Suisse le supprimera au 1er janvier 2011, la direction de l’instruction étant confiée au ministère public. Aux Pays-Bas et au Portugal, si le juge d’instruction a été maintenu, la conduite de la phase préparatoire au jugement est confiée au ministère public. En Angleterre et au pays de Galles, la police réalise l’enquête et bénéficie d’une large indépendance, et si elle collabore avec le Crown prosecution service, elle n’est pas placée sous son autorité ; depuis 2003, c’est ce service et non plus la police qui rédige l’acte d’accusation. En Espagne, l’instruction est menée par un juge, avec l’aide de la police judiciaire, le parquet étant chargé de contrôler son activité.
V. L’instruction des affaires pénales en Europe, étude de législation comparée du Sénat, n° 195, mars 2009, sur le site du Sénat. Suivi du rapport d’information sénatorial sur la réforme de l’enquête et de l’instruction, Sénat, 8 déc. 2010, n° 162.

2) En France : Au-delà des passions, personnelles ou politiciennes, la question est toujours d’actualité ; il faut la traiter sans passion précisément et sans la pression de quelques affaires d’actualité. Comment décanter un problème qui a donné lieu à tant de projets ?

a) Problématique et position doctrinale en faveur de la suppression du juge d’instruction

Une première chose est certaine, il ne faut pas exagérer l’importance quantitative des affaires soumises à la sagacité d’un juge d’instruction (environ 3 % des affaires), mais, à l’inverse, ce n’est pas parce que peu de gens sont concernés qu’il ne faut rien faire ; la liberté d’un seul serait-elle en cause qu’il faudrait agir.

Ensuite, il semble que la question du maintien ou non de l’institution passe d’abord par la réponse à la question par qui le remplacer, qui exercera ses fonctions ? Une première piste semble se dessiner et, progressivement, recueillir l’assentiment des hommes de bonne volonté, ni sécuritaires, ni laxistes, celle de la dissociation des fonctions d’enquête (de chasseur) et du pouvoir juridictionnel sur la liberté des suspects. On vient de le voir, c’est le point qui est immédiatement dénoncé par les magistrats soucieux d’une justice respectueuse de nos engagements en faveur des droits et libertés fondamentaux. C’est le sens de nombreux projets. Il faudrait d’ailleurs affiner cette présentation, car, en réalité, le juge d’instruction exerce trois fonctions, celle d’enquêteur, celle de juge, mais aussi celle de poursuite lorsqu’il étend sa saisine qui est in rem à des personnes non visées dans l’acte introductif de poursuites et/ou lorsqu’il rend une ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement ; cet aspect est trop souvent passé sous silence ou méconnu dans le débat actuel sur le transfert au parquet de toutes les enquêtes ; la Cour EDH elle-même s’est trompée dans l’arrêt Medvedyev c/ France, en voyant en lui un magistrat impartial envers les parties au sens de l’article 5, § 3 : sous ce regard des pouvoirs de poursuite du juge d’instruction, l’affirmation est inexacte.

À supposer cette dissociation acquise en droit, mais surtout en fait, dans son effectivité au sens de la jurisprudence européenne, il resterait la question de savoir s’il est encore besoin d’un juge d’instruction qui ne ferait qu’instruire au sens d’enquêter. Le Code de 1808 avait répondu par l’affirmative, mais, en réalité, en faisant de ce juge un OPJ et en le plaçant sous les ordres du parquet. Alors, pourquoi ne pas franchir le pas et confier les pouvoirs d’enquête dans l’instruction actuelle au parquet, avec un contrôle des juges du siège sur les actes coercitifs, tels que les perquisitions et saisies ? Plus n’est besoin d’un organe spécialisé et c’est sans doute parce que la dissociation des pouvoirs d’enquête et de décisions sur la liberté semblait sur le point d’aboutir en 1999-2000, que les pressions et les critiques se sont faites plus fortes contre ce projet ; derrière cette dissociation se profile la disparition, à terme, du juge d’instruction qui serait remplacé par deux organes, le parquet pour enquêter (et garderait ainsi la conduite des enquêtes de police) et un juge du siège (JLD ?) qui contrôlerait l’enquête et déciderait de toutes les mesures attentatoires aux libertés. Les juges d’instruction eux-mêmes ont programmé leur mort, lorsqu’ils ont accepté le principe des pôles financiers, qui les réunissent avec les parquetiers, dans une même structure ; de même que le symbole du rapprochement spatial, au sein des palais de justice, y compris les plus modernes, entre les bureaux des procureurs et ceux des juges d’instruction, sans parler de cette complicité entre les hommes de la poursuite et ceux de l’instruction, qui mènent de concert les enquêtes et les instructions, ce qui a pour effet de pervertir le principe de séparation des fonctions judiciaires ; à vouloir, et à accepter, par petites touches, au quotidien de l’action judiciaire, les atteintes à un grand principe d’organisation de notre justice pénale, les juges d’instruction ont brûlé leur raison d’être, c’est-à-dire leur indépendance à l’égard des autres organes de l’autorité judiciaire. L’affaire d’Outreau et le volontarisme du Président de la République ont presque achevé de tuer l’institution, mais les maladresses de la Chancellerie dans la manière de conduire ce dossier en 2009-2010 ont tué la réforme !

Resteraient alors deux organes de l’autorité judiciaire, le parquet et le juge du siège. Le premier ayant déjà des pouvoirs de rétention des personnes et de restriction à leur liberté d’aller et de venir, dans le cadre d’une enquête sur l’article 5, Conv. EDH, faut-il les maintenir ? Le Conseil constitutionnel a indiqué, dans ses décisions des 2 février 1995 (injonction pénale) et 16 juillet 1996 (perquisitions de nuit), qu’il pouvait y avoir une gradation dans l’intervention des différents acteurs de l’autorité judiciaire, en matière d’atteintes à la liberté individuelle ; la compétence respective du parquet et des juges du siège en matière de liberté individuelle serait déterminée, conformément aux décisions du Conseil, en fonction du degré de gravité de la mesure envisagée en matière de liberté individuelle : aux seconds la détention provisoire et la décision sur la garde à vue au-delà d’une durée à confirmer ou à fixer (24, 48 heures ? pas au-delà) ; aux premiers, ce qui est en deçà (sur cette théorie de la gradation des compétences constitutionnelles de l’autorité judiciaire, V. Th. Renoux, Justices, loc. cit., 1998-10, p. 75). Mais la jurisprudence européenne sur la non-indépendance du parquet français à l’égard de l’exécutif et, surtout, à l’égard des parties poursuivies, risque de remettre en question cette construction.

Dans une remarquable communication à l’Académie des sciences morales et politiques, le 3 avril 1995, M. le Doyen André Decocq invitait à méditer sur l’expérience du Code de 1808 et à relire le projet Donnedieu de Vabres, pour conclure à l’inspiration d’une nouvelle réforme : « Au ministère public reviendrait la mission d’instruire, avec le concours de la police judiciaire. À la juridiction de l’instruction [qui ne se confond pas avec la fonction d’instruction], il appartiendrait d’autoriser les investigations attentatoires à la liberté individuelle, de statuer sur les demandes d’investigations des parties, d’ordonner, le cas échéant, la détention provisoire ou le contrôle judiciaire, de régler la procédure [au sens technique du règlement en fin d’instruction, qui consiste à prendre une décision de non-lieu ou de renvoi]. Il conviendrait également d’habiliter cette juridiction à ordonner d’office les investigations, s’il lui apparaissait que l’instruction s’égare ».

b) Avant-projet de loi (février-mars 2010)

Aujourd’hui abandonné, ce projet s’orientait vers les pouvoirs respectifs du parquet-directeur d’enquête et d’un juge du siège aux pouvoirs juridictionnels plus ou moins étendus (trop, ce serait revenir au juge d’instruction, pas assez, c’est encourir le risque d’une censure du Conseil constitutionnel et de la Cour EDH). La voie était étroite, dès lors que le Président de la République avait écarté toute réforme constitutionnelle aux fins de modifier le statut du parquet ; certes, on peut craindre un retour au corporatisme de l’ancien régime si les membres du parquet sont nommés par leurs pairs ; mais ce risque est écarté si l’on veut bien se souvenir que depuis la réforme du Conseil supérieur de la magistrature en juillet 2008, les magistrats sont minoritaires au CSM ; est-ce si dangereux que cela pour la démocratie que de faire confiance à un CSM reflet de la société civile ? Et rien n’interdirait de revoir le mode de nomination des membres non-magistrats du CSM dans le sens d’une plus grande transparence et d’une plus juste neutralité (avec un contrôle du Parlement à une majorité qualifiée). Et en quoi l’indépendance du parquet serait-elle incompatible avec l’obligation de respecter la politique pénale du gouvernement ? Ne pourrait-on pas sanctionner tout refus sur le fondement des obligations statutaires du corps ? À défaut de réformer le statut du parquet, il faudra lui enlever tout pouvoir juridictionnel, pour ne pas retrouver demain, du côté du parquet ce que l’on reproche aujourd’hui au juge d’instruction, à savoir d’être à la fois un enquêteur et un juge ! Il n’y a pas d’autre alternative.
L’avant-projet de loi présenté au Conseil des ministres du 23 février 2010[18] prévoyait effectivement la suppression du juge d’instruction, la concentration de toutes les enquêtes pénales entre les mains du parquet, avec les garde-fous suivants :
– comme le statut du parquet ne serait pas revu, aurait introduit un devoir de désobéissance des parquetiers, à tous les échelons de la hiérarchie (ahurissant !!), au cas où la Chancellerie aurait donné des ordres de non-poursuite, puisque, comme c’est déjà le cas, il n’aurait pu donner que des ordres de poursuite ; ainsi, le procureur général aurait pu s’y opposer, de même que le procureur de la République aurait pu s’opposer à des instructions de son PG qui auraient été « contraires à la recherche de la vérité » ; un substitut aurait pu faire de même envers son procureur. Curieuse conception du fonctionnement de nos institutions qui reportait sur le parquet une obligation de désobéissance, alors que celui qui aurait donné l’ordre illégal (le ministre de la Justice) aurait dû être démissionné d’office, puisque par hypothèse, il aurait commis une forfaiture en contrevenant à la loi. Comprenne qui pourra !
– Les instructions de poursuite auraient été écrites et versées au dossier, comme c’est déjà le cas aujourd’hui.
– Un juge de l’enquête et des libertés (JEL) aurait été chargé du contrôle de l’enquête menée par le parquet : à cet effet, il aurait repris certaines des attributions du juge d’instruction et du juge des libertés et de la détention ; nommé par décret il lui aurait autorisé ou non les actes coercitifs de l’enquête (placement en détention, mais aussi écoutes et perquisitions). En cas de refus du parquet de procéder à des actes ou de volonté manifeste de tarder à les réaliser, il aurait pu être saisi par les parties civiles et la défense. Le JEL aurait pu obliger le parquet à réaliser ces actes, dans des délais contraignants et, en cas de conflit entre eux, les parties auraient pu saisir la chambre dite de l’enquête et des libertés (qui aurait remplacé la chambre de l’instruction). Cette dernière aurait pu évoquer certaines affaires et désigner l’un de ses membres pour réaliser certains actes. C’est sans doute pour éviter la ressemblance avec les pouvoirs actuels du juge d’instruction qu’il n’était pas prévu que ce soit le JEL qui aurait réalisé ces actes. Bien évidemment, ce changement d’échelon supposait un renforcement des pouvoirs et des moyens des futures chambres de l’enquête et des libertés.
– Enfin, pour éviter le soupçon de vouloir permettre à l’exécutif d’étouffer les affaires dites sensibles ou politico-financières, aurait été créée la « partie citoyenne », à côté de l’actuelle partie civile : cette partie aurait pu agir en invoquant un intérêt à agir même indirect ; cela visait, par exemple, le citoyen d’une commune qui aurait souhaité dénoncer des malversations d’élus.
– La personne mise en cause aurait été appelée « partie pénale ».
Une concertation avait été ouverte pour une période de deux mois, à l’issue de laquelle un projet devait être déposé au Parlement et discuté début 2011, mais le Président de la République a considéré que cette réforme n’était plus prioritaire et elle a été différée… aux calendes grecques ! Il faut bien reconnaître que si l’avant-projet avait le mérite d’exister et aurait dû être étudié loyalement, sans esprit partisan[19], il était lacunaire sur l’axe central de la réforme, celui des conditions des enquêtes entièrement entre les mains du parquet[20] et ne remettait pas en cause le statut du parquet[21] tout en accroissant ses pouvoirs, ce qui pose problème au regard des libertés publiques[22]. Il a été vivement critiqué à ces titres par le Conseil national des Barreaux, les syndicats de magistrats et la Cour de cassation (avr. 2010).

V – REQUIEM JOYEUX POUR SA DISPARITION
requiem joyeux pour l’enterrement annoncé
du juge d’instruction

publiée en 2014, ouvrage collectif de l’université paris 2 sur le bi-centEnaire du code pénale et du code d’instruction criminelle (éditions dalloz)

La remise au Président de la République, le 1er septembre 2009, du rapport du « Comité de réflexion sur la justice pénale » (dit encore rapport Léger) nous incite à revenir une nouvelle fois sur la suppression du juge d’instruction, ne serait-ce que parce que nous demandons depuis des années[23], avec beaucoup d’autres[24], la transformation complète et radicale de l’articulation des organes du procès pénal, transformation qui passe par cette suppression. C’est l’occasion ultime de se pencher sur une situation française anachronique (I), de montrer en quoi cette institution a failli et s’est elle-même condamnée par les excès de certains qui, aujourd’hui, sont parfois les plus virulents à la défendre (II), avant d’envisager des pistes de réflexion et de réformes qui doivent accompagner ce bouleversement, si tant est qu’il passe le cap de la procédure parlementaire au cours de l’année 2010 (III).

i – il était une fois en france[25] une situation anachronique

            L’anachronisme de la situation actuelle se mesure à l’aune de l’espace européen (A) et se comprend à la lumière de l’histoire de France, celle de nos institutions judiciaires pénales[26] (B).

A)    un anachronisme en europe : une france isolée au sein de l’espace européen

La situation actuelle de la France est d’autant plus anachronique – et le rapport Léger ne manque pas de le relever – que la plupart des pays européens ont abandonné ou sont sur le point d’abandonner l’institution du juge d’instruction[27].
L’Allemagne et l’Italie ont supprimé le juge d’instruction depuis 1975 et 1988.  La Suisse le supprimera au 1er janvier 2011, la direction de l’instruction étant confiée au ministère public. Aux Pays-Bas et au Portugal, si le juge d’instruction a été maintenu, la conduite de la phase préparatoire au jugement est confiée au ministère public. En Angleterre et au Pays de Galles, la police réalise l’enquête et bénéficie d’une large indépendance et si elle collabore avec le Crown prosecution service, elle n’est pas placée sous son autorité ; depuis 2003, c’est ce service et non plus la police qui rédige l’acte d’accusation. En Espagne, l’instruction est menée par un juge, avec l’aide de la police judiciaire, le parquet étant chargé de contrôler son activité. On renvoie pour plus de détails de droit comparé à l’excellente étude de législation comparée publiée par le Sénat sur son site en mars 2009. En revanche, l’éclairage historique, capital en la matière, mérite plus de développements.

B)    un anachronisme historique : une france encore modelée par le second empire

Pour mesurer l’anachronisme des missions du juge d’instruction il faut rappeler que c’est une loi du Second Empire qui a modelé le visage contemporain de cette institution.

a) A l’origine en effet, dans le Code d’instruction criminelle de 1808 (applicable au 1er janvier 1811), le juge d'instruction instruisait, c'est-à-dire enquêtait, mais ne prenait pas de décisions juridictionnelles, ni quant aux demandes de mise en liberté, ni quant au sort des personnes concernées à la fin de l'instruction ; il ne lui appartenait pas de décider seul du renvoi ou non d'une personne devant une juridiction de jugement ; les rédacteurs du Code d’instruction criminelle avaient été plus prudents sur ce point que le législateur contemporain et avaient perçu les graves dangers pour les libertés publiques à réunir sur la même tête des pouvoirs d'enquêteur et des pouvoirs juridictionnels. Par une vision prospective de ce que doit être la véritable séparation des fonctions au sein même d'un organe judiciaire, du rôle du juge d'instruction tel qu'il devrait être selon la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1996, Perquisitions de nuit (soit près de 200 ans après)[28], le législateur napoléonien avait su dissocier la fonction d'enquêteur de celle de dire le droit, de la fonction proprement et étymologiquement juridictionnelle (juris-dictio).
Pour autant, le juge d'instruction participait à la décision de renvoi ou non, puisqu'il faisait partie de la formation (la Chambre du Conseil du tribunal correctionnel) appelée à décider du renvoi et lui faisait rapport du dossier ; c'est la pratique et la faiblesse de ses collègues au sein de cette formation qui lui donnèrent un rôle prépondérant et amenèrent à réformer le système mis en place en 1808. Pour les crimes, le renvoi était décidé par une chambre de la cour d'appel, la Chambre des mises en accusation, mais l'acte d'accusation était rédigé par le parquet, postérieurement à l'arrêt de renvoi.

b) À l'inverse, c'est un régime autoritaire et fondé sur le plébiscite (ce qui n'a jamais constitué un critère de bonne démocratie) qui va réaliser la confusion des fonctions et des genres. C'est en effet sous le second Empire que fut prise la loi du 17 juillet 1856 qui va longuement – et encore aujourd’hui - influencer tout l'esprit de notre procédure pénale, en concentrant sur la tête du juge d'instruction des pouvoirs d'enquête et de pouvoirs juridictionnels ; c'est désormais lui qui, non seulement enquête, mais aussi décide des mises en liberté et du renvoi ou du non-lieu (sauf, bien sûr, en matière criminelle, où la décision appartient à la Chambre des mises en accusation). On a parfois essayé de justifier cette loi par le besoin qu'aurait eu le second Empire d'affecter davantage de juges à la formation de jugement, leur participation à la Chambre du conseil du tribunal correctionnel pour statuer sur les demandes de mise en liberté et le renvoi, leur conférant la qualité de juges ayant accompli des actes d'instruction, ce qui leur interdisait toute participation à une formation de jugement ; cela est vrai, mais il semble bien que la raison principale de cette réforme fut la tendance autoritaire du régime, car il aurait suffi pour répondre au souci de libérer des juges pour la formation de jugement de réduire à un seul juge la composition de la Chambre du conseil devant laquelle le juge d'instruction aurait continué à venir faire son rapport ; c'est d'ailleurs la solution retenue par la Belgique à laquelle le code de 1808 était applicable dès l'origine.
Que ceux qui plaident et militent aujourd'hui pour le maintien de cette confusion se souviennent bien de la période pendant laquelle ce système a été imposé et de la nature du régime politique de l'époque ; à cet égard, il n'est pas étonnant que ce soit une association très corporatiste (au sens de l'Ancien Régime, des empires et autres régimes peu démocratiques), qui défende le plus l'institution actuelle.

c) Les évolutions postérieures majeures attendirent 150 ans avant de se concrétiser

1) Certes, une commission fut instaurée à la Libération et confiée à un magistrat, Henri Donnedieu de Vabres pour réfléchir à un nouveau code de procédure pénale ; en réalité, cette commission n'élabora pas un projet de code nouveau, se contentant de reprendre, en l'actualisant, le projet de la commission présidée par Paul Matter entre 1930 et 1939. Curieusement (compte tenu des idées de l'époque à la Libération), ce projet, déposé en 1949, était plutôt d'inspiration répressive, mais néanmoins très novateur et moderne sur un point.

- Le répressif apparaissait dans trois dispositions : celle de la présence de l'avocat au côté de la personne soupçonnée qu'à partir du premier interrogatoire sur le fond ; celle du report du point de départ de la prescription de l'action publique au jour de la découverte de l'infraction ; enfin, celle qui facilitait grandement la couverture des causes de nullité de procédure.

- À l'inverse, le juge d'instruction disparaissait en tant qu'organe chargé à la fois d'instruire et de prendre des décisions juridictionnelles. Certes, il était maintenu un juge de l'instruction, mais le changement de terminologie traduisait le changement de philosophie : ce juge, magistrat du siège était en réalité un juge des libertés et du contrôle de l'instruction qu'il ne pouvait conduire lui-même ; il revenait au procureur de la République de poursuivre et d'instruire, selon les nouveaux pouvoirs que le projet concentrait sur sa tête ; en revanche, les décisions sur la mise en liberté, par exemple, relevaient de la compétence de ce nouveau juge de l'instruction. En somme, le glissement de vocabulaire traduisait le même mouvement que pour la procédure civile (mais, pour celle-ci, en sens inverse, dans le sens de l'accroissement des pouvoirs du juge) avec la création, en 1935 (décret-loi du 30 octobre), du « juge chargé de suivre la procédure », puis le passage, en 1965 (décret du 13 octobre), au « juge des mises en état » et, en 1971 (décret du 9 septembre) au « juge de la mise en état ». Le projet, très critiqué, fut enterré et entra au musée des rapports mort-nés, encore que l'influence intellectuelle de ceux-ci ne doive pas être sous-estimée ; ils leur arrivent de survivre à un abandon législatif, l'esprit l'emportant sur l'inexistence d'une mise en œuvre parlementaire ; ils constituent le terreau de nouvelles nourritures intellectuelles.
Peut-être d'ailleurs que l'échec du projet de la commission présidée par Henri Donnedieu de Vabres entre 1945 et 1949, qui tendait à revenir à une plus grande clarté dans l'exercice de la fonction de magistrat instructeur est-il dû davantage à cette avancée démocratique qu'il représentait sur ce point et à laquelle les esprits n'étaient pas prêts, malgré (à cause de ?) Vichy, plutôt qu'aux aspects répressifs du projet[29].

2) La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 réalise, enfin, cette dissociation des pouvoirs d'investigation du juge d'instruction et de ses pouvoirs de coercition, puisque c'est désormais le juge des libertés et de la détention qui décide de la mise en détention provisoire, sauf le pouvoir résiduel du juge d'instruction de maintenir en détention celui que, par son ordonnance de règlement, à la fin de son instruction, il renvoie devant une juridiction de jugement. Mais la réforme n'est pas passée sans heurts, à preuve les événements politico-judiciaires de la fin de l'année 2001 mettant en cause – et en vrac – la limitation des pouvoirs du juge d'instruction par la nouvelle loi et le contrôle de leurs actes par la nouvelle chambre de l'instruction, y compris au prix de la dénonciation publique d'un magistrat par le Premier ministre de la France, à la télévision et par ses collègues au sein du palais de justice de Paris [30] ; quelle « indécence » [31] ! Et si la loi n’est pas passée sans heurts, elle n’a pas encore suffisamment d’ancienneté pour remodeler les esprits contre l’esprit de 1856 ; on le voit bien dans les déclarations d’aujourd’hui, dès la remise du rapport Léger.

ii – seven[32] ou les sept péchés capitaux des juges d’instruction

            Une large part des critiques formulées contre le juge d’instruction s’enracine dans des pratiques de certains juges, certes emblématiques, mais loin, très loin parfois, du respect des normes démocratiques, des standards européens de la procédure pénale. Sans esprit de polémique, mais pour en finir avec les plaidoyers de ceux qui découvrent au juge d’instruction des vertus qu’il n’a pas toujours eues[33], on peut regrouper ces péchés sous sept rubriques[34], qui ont été autant de signes annonciateurs de la mort du juge d’instruction[35].

a) le péché du mépris des règles de procédure

« Trop de procédure tuerait la procédure » et il faudrait au plus vite abroger les lois récentes (essentiellement la loi du 15 juin 2000) qui ne feraient que traduire le souci du législateur de favoriser les délinquants, voire les hommes politiques dans les affaires politico-financières.
a) Ainsi s’exprime l’une des figures les plus emblématiques des juges d’instruction de ces dernières années, Madame Eva Joly, à la fois dans une interview au journal La Croix[36] et dans une autre donnée, un an plus tard, à deux journalistes spécialisés dans les questions touchant à la Justice pour un ouvrage collectif[37] ; la répétition de la critique ne peut faire douter de son caractère intentionnel et de la volonté de l’intéressée de revenir sur ce que nous considérons, pour notre part, comme des acquis d’une démocratie, surtout en matière pénale. C’est à propos de la multiplication (ce qui reste à prouver scientifiquement) des requêtes en nullité déposées par les avocats dans les affaires financières, requêtes qualifiées “ d’ardoise magiques ” par ce magistrat, que l’opinion est émise “ qu’il y a un équilibre à trouver et que trop de procédure tue la procédure ”. La charge est reprise maintes fois dans l’interview donnée un an plus tard : “ c’est la procédure qui freine, pas les juges ” (page 90) ; “ on nous ajoute des contraintes de procédure qui consomment des magistrats ” (page 94).

            b) C’est la même idée qui transparaît dans la déclaration d’une autre figure médiatique de l’instruction d’affaires politico-financières, qui voit dans la procédure “ une science qui n’est pas exacte ”, susceptible d’interprétation[38], donc dont on peut s’émanciper ! Faut-il rappeler que le propre du droit et de la procédure est d’être l’art du difficile, ce qui suppose de bons juristes connaissant parfaitement leurs règles procédurales et que l’annulation de ses procédures par les organes de contrôle de son activité ne qualifie pas particulièrement l’intéressé pour tenir de tels propos. Sous couvert d’une libre interprétation de la loi, le juge Halphen revendique l’arbitraire du juge, qui l’autoriserait à donner à la loi la signification propre à justifier sa décision. Il l’autoriserait même à violer les droits de la défense. Quand un juge convoque comme témoin une personne qu’il prétend impliquée dans l’infraction poursuivie, il ne méconnaît pas seulement l’article 105 du code de procédure pénale, qui interdit d’entendre comme témoins « les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d’avoir participé aux faits » litigieux. Il suggère aussi sa propre déloyauté, qui le conduirait à piéger une partie d’abord entendue comme témoin, sans les garanties apportées par la loi aux personnes soupçonnées. Il suggère même, par une faute qu’on ne tolérerait pas d’un étudiant, qu’il a renoncé à l’impartialité naturellement exigée du juge.

b) le péché du non-respect des droits de la défense

            a) Charge encore contre la procédure, mère de tous nos maux, mais cette fois plus ciblée sur les droits de la défense perçus comme un obstacle à la répression, en automne 2001 et hiver 2001-2002, lorsqu’il s’est agi de dénoncer les méfaits supposés de la loi du 15 juin 2000 qui visait à renforcer la protection de la présomption d’innocence, alors que le plus souvent une décision de mise en liberté ne faisait que sanctionner une erreur du juge d’instruction qui n’avait pas respecté les règles procédurales, notamment les délais de règlement des dossiers pour répondre aux exigences européennes du délai raisonnable.
Qu’un Premier ministre de la France ait pu ainsi traîner dans la boue et livrer à la vindicte publique en s’opposant publiquement, à la nomination comme procureur général, d’un président de chambre de l’instruction, honorable magistrat et homme de talent, respectueux des droits de la défense, mais aussi des droits des victimes, sans même lui donner l’occasion de se défendre, au motif qu’il aurait libéré, à tort, un délinquant auteur ensuite de plusieurs meurtres, alors que ce magistrat avait siégé en collégialité, en pesant (avec ses deux collègues) en son âme et conscience sa décision assortie d’un important contrôle judiciaire et que le dysfonctionnement provenait non pas de la décision prise mais, en amont, des fautes du juge ayant instruit l’affaire, voilà qui est révélateur d’un vent de folie sécuritaire, de panique au plus haut niveau de l’État et de mépris des règles de procédure. Dans la même affaire, le Président de l'Assemblée nationale est allé jusqu'à réclamer des poursuites disciplinaires contre le président de la chambre mise en cause ! Et cinq ans plus tard, on apprend que les juges avaient eu raison de libérer le détenu en question, puisqu'il fut acquitté pour les faits qui lui étaient alors reprochés [39] ; mais quelle mesure viendra réparer le préjudice de carrière et le préjudice moral subis par le président mis en cause ?
Ce dernier exemple prouve, si besoin était, combien le respect des droits de la défense aurait été plus que nécessaire dans cette affaire, d’abord de la part de celui qui avait mal instruit le dossier (la chambre d’accusation ne faisant que sanctionner ses fautes) ; ensuite de la part de ceux – et particulièrement le Premier ministre – qui se sont déchaînés contre ce malheureux président le poursuivant de leur vindicte, sans même lui laisser le droit de se défendre. 

b) Les voies de recours sont encore perçues comme un obstacle à l’efficacité répressive, par ceux-là mêmes qui devraient avoir à cœur de les voir s’exercer.
 1) On retrouve ici le thème démagogique de « l’appel de Genève » lancé le 1er octobre 1996 par quelques magistrats vraisemblablement en mal de publicité (et en tout cas en délicatesse avec leur déontologie statutaire) pour protester contre l’utilisation qui serait abusive des voies de recours dans les procédures de transmission internationale de pièces et pour réclamer une transmission directe, de juge à juge, au-dessus des frontières, sans respecter les règles protectrices des justiciables contre d’éventuels abus de transmission ![40] Bien peu l’ont dit[41]. Voici des juges qui, gardiens des libertés selon la Constitution (art. 66), veulent réduire les voies de recours ouvertes aux justiciables pour contester les décisions irrégulières, ou réclament la transmission internationale d’actes de procédure hors des règles courantes ! Avaient-ils oublié qu’au moins le bon sens empêche qu’un juge puisse lui-même ouvrir ou fermer les recours contre sa propre décision ? Avaient-ils oublié qu’un juge n’est pas une autorité de poursuite, mais qu’il est chargé d’apprécier la régularité des actes de l’autorité de poursuite ? Que toute procédure, sous peine d’admettre en dernière analyse même la torture, protège les libertés des justiciables ? Il appartient précisément au juge non pas d’anéantir la procédure, mais d’en assurer l’application.
Il est significatif de relever que le signataire français de cet appel est celui-là même qui, quelques années plus tard, est suspecté de s’être affranchi des droits de la défense en instruisant hors procédure, c'est-à-dire en rencontrant secrètement des protagonistes d’une affaire en cours d’instruction aux fins de se faire remettre des documents « anonymes », sans en informer ses collègues de l’instruction[42].

2) Cette critique des règles protectrices des droits de la défense dans l’exercice des voies de recours, se retrouve dans la déclaration suivante de Madame Eva Joly : “ que penser lorsqu’un mis en examen intente des recours en Suisse contre la transmission d’un certain nombre de documents et qu’il est donc lui-même responsable d’une partie du retard ? ”[43] Faut-il rappeler ici, que si l’exercice des voies de recours a mécaniquement un effet retardateur de l’issue d’une procédure, leur finalité première est de permettre un contrôle de l’activité des juges ?

 c) Être partial en n’instruisant systématiquement qu’à charge (ce que reconnaît Madame Eva Joly[44]), ne pas respecter le contradictoire ou ne le faire qu’avec réticence, aux limites de l’abus (par exemple en cotant des pièces plusieurs mois après leur entrée dans le dossier de la procédure pour ne donner aux avocats que quatre jours pour prendre connaissance de ces pièces occulter dans une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel des pièces qui viennent démontrer l’existence d’un mandat régulier qui détruit l’infraction d’abus de confiance, recopier dans cette même ordonnance le rapport de synthèse du S.R.P.J. (sur ce point v. infra, sur les relations des juges d’instruction avec le Parquet), n’est-ce pas à chaque fois, commettre une faute contre la procédure qui, outre qu’elle pourrait engager la responsabilité disciplinaire de celui qui la commet, réduit à néant les déclarations de ceux qui aujourd’hui critiquent la suppression du juge d’instruction  ? Ces juges d’instruction ne méritent plus la qualification de juges. Ils se conduisent de manière partiale, pour ne pas dire déloyale et on ne pleurera donc pas sur leur disparition.

c) le péché de privilégier des affaires financières médiatisées sur d’obscures atteintes aux personnes
            L’institution judiciaire s’est progressivement détournée de sa mission première, la sécurité des personnes, en grande partie parce que de nombreux juges d’instruction ont préféré la gloire médiatique liée à l’instruction d’affaires politico-financières à l’obscur travail de défense des valeurs premières de notre société[45].

            a) Les faits sont brutaux. En voici quatre. En décembre 2001, une femme a été empalée, en plein Paris. À son drame, quelques journaux seulement ont consacré un entrefilet de trois ou quatre lignes. Les médias étaient plus occupés par l’affaire Elf et les bottines d’un ancien ministre. Il est tout aussi vrai que de 1987 à 1999, les effectifs de police affectés à la répression du proxénétisme et de la prostitution des mineurs ont été réduits de près de moitié[46]. Ou encore, au Tribunal de Grande instance de Paris le fameux « pôle financier » occupait en 2000-2001, 60 juges d’instruction, alors que 10 étaient affectés à la section des mineurs, 7 à la lutte contre le terrorisme, et 46 – qui étaient aussi en charge des affaires financières – au « service général ». Une autre anomalie : les trois affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance et de la vache folle avaient été confiées à un seul juge d’instruction en outre chargé d’une centaine d’autres dossiers[47].

b) À force de privilégier la chasse à la corruption et de lui affecter le maximum de moyens, le risque est grand (et il est déjà réalisé) que, faute de moyens, on en arrive à négliger la recherche et l'instruction d'infractions beaucoup plus importantes au regard des valeurs qu'une société se doit de défendre ; nous pensons à la répression de l'esclavage sexuel sous toutes ses formes, prostitution, ventes d'esclaves sexuels et, on l'a appris en 2001 (mais était-ce une surprise), viols de femmes pour « produire » (excuser le mot) des enfants prêts à être vendus comme esclaves sexuels[48]. Notre société est-elle à ce point culpabilisée par l'argent et ses excès qu'elle affecte, au TGI de Paris, plus de magistrats instructeurs à la lutte (nécessaire) contre la corruption qu'à la chasse des marchands d'esclaves de toutes sortes ; est-ce parce que cette chasse est moins porteuse médiatiquement s'entend que le juste combat contre la corruption ? Il y a là matière à réflexion : les biens avant les personnes.

c) On ne saurait évidemment renoncer à poursuivre les délits financiers. Il fallait seulement leur donner leur juste place au sein de la criminalité. Il ne fallait pas y affecter des juges en si grand nombre qu’ils puissent instruire pendant des années,  au besoin sur  la place publique, pour le seul  profit des médias, des dossiers vains  -  sauf par les personnalités visées - vides ou prescrits. Surtout si, pour prix de telles poursuites, il fallait négliger les victimes bien réelles des crimes de sang, ou du proxénétisme, mafieux et violent, dirigé d’Europe de l’Est vers l’Europe de l’Ouest.
            Pour le juge, la « gloire médiatique » a été très pernicieuse. Il est sans doute plus valorisant, dans la vanité du moment, de poursuivre ou d’instruire -  publiquement, en toute illégalité – une affaire politique et financière qu’une obscure affaire de banditisme classique à laquelle les médias ne s’intéresseront pas, voire qui exige la plus grande discrétion pour débusquer un réseau bien organisé. Mais ce sont alors les médias qui fixent les priorités de l’institution judiciaire, ce sont les médias qui gouvernent l’activité du juge. Où sont ses devoirs ?

d) le péché de trop grande proximité avec le pouvoir exécutif
Ce type de proximité ne concerne pas que les seuls juges d’instruction, mais tous les magistrats qui, par exemple, acceptent de recevoir des décorations du pouvoir exécutif, alors que dans le même temps certains d’entre eux revendiquent l’instauration d’un véritable pouvoir judiciaire, aux côtés des pouvoirs législatif et exécutif. Pour un juge d’instruction le péché est plus grave encore, car comment peut-on prétendre être indépendant dans l'exercice de ses fonctions si l'on dépend du pouvoir, pour se distinguer de ses collègues ? Parmi tous les serviteurs de l'État, réservons les distinctions aux fonctionnaires d'autorité ; ils ont pour mission d'obéir au pouvoir en place, qu'ils en aient la contrepartie honorifique ![49] Cette proposition formulée dès 1996, a été reprise, en mars 2005, par un syndicat de magistrats[50]. Elle gardera son actualité avec le transfert au Parquet de la totalité des enquêtes (v. infra, III, sur les garanties à mettre en place).

e) le péché de trop grande proximité avec le pouvoir médiatique
Outre ce qui vient d’être dit au sujet des pratiques consistant, en liaison avec le pouvoir médiatique, à privilégier les affaires politico-financières sur la protection des personnes, on relèvera qu’un ancien ministre des Finances a été contraint à la démission par l'annonce d'une prochaine mise en examen puis relaxé, au motif que, selon le jugement de relaxe, le juge d’instruction avait rendu une ordonnance de renvoi qui « confinait à l'absurde ». Aurait-il été contraint à cette démission si l’instruction n’avait pas été médiatisée ?
Dans une affaire concernant M. Jean-Luc Lagardère, la Cour d’appel de Paris statuait, le 25 janvier 2002[51], par des motifs édifiants. Alors que l’instruction avait commencé début 1993, pour prendre fin en 1999, la Cour d’appel énonce que « la réalité et l’utilité des prestations fournies par la société bénéficiaire aux sociétés débitrices en exécution des conventions conclues ne sont pas discutées ». Elle ajoute qu’ « aucun élément de l’instruction ne permet d’établir l’existence d’une disproportion manifeste entre les prestations litigieuses fournies par la société bénéficiaire et le montant des redevances versées en contrepartie ». L’arrêt de la Cour de Paris a moins intéressé les médias que l’instruction, si vide qu’elle ait pu être : faut-il s’en étonner ?
Il est certain que les médias ont tout à gagner à médiatiser certaines affaires, mais les juges d’instruction qui se prêteraient à de telles pratiques sont-ils encore des juges au sens noble et plein du terme ?

f) le péché de consanguinité avec le parquet
             Entendons-nous bien, il n’est pas question de critiquer ici les relations professionnelles fonctionnelles entre les juges d’instruction et les membres du Parquet, mais d’attirer l’attention sur le risque que font peser sur les libertés, quelques liaisons dangereuses.

a) Ainsi, des pôles économiques et financiers. On sait que dans chaque ressort de cour d'appel, un ou plusieurs TGI sont compétents pour traiter de la délinquance économique et financière grâce à la spécialisation d'une formation du tribunal et à condition que l'affaire soit d'une grande complexité. Parquet et juges d'instruction sont aussi spécialisés (CPP, art. 704 et s.). L'idée a fait son chemin de réunir en un même lieu et avec des moyens humains et matériels importants et en partie communs, juges d'instruction et membres du parquet spécialisés dans ces questions, afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre ce type de délinquance, souvent liée à des réseaux internationaux et d'une grande complexité juridique, économique et financière. Une circulaire du 19 février 1999 (no 99-2/G3) en a précisé les modalités de mise en place et le premier pôle, parisien, a été installé le 1er mars 1999, dans les anciens locaux (faut-il y voir un symbole ?) d'un quotidien du soir qui s'est depuis spécialisé dans le journalisme dit d'investigation et qui, bien souvent (mais pas toujours), n'est qu'un journalisme de délation. Qu'advient-il dans ces pôles et dans les faits, dans le quotidien d leur pratique, du principe de la séparation des autorités de poursuite et d'instruction, dans la mesure où ces deux organes du procès pénal travaillent en commun, dans les mêmes lieux et, surtout, avec les mêmes moyens ? Des assistants spécialisés, créés par la loi no 98-546 du 2 juillet 1998 (in art. 706, CPP ; décret d'application n° 2004-984, 16 sept. 2004, in CPP, art. D. 47-4) leur sont affectés en commun, ce qui laisse perplexe, au nom de cette séparation des autorités de poursuite et d'instruction. Qui fait quoi dans ces pôles ? Qu'est-ce qui relève de la poursuite ? de l'instruction ? La Cour européenne des droits de l'homme s'attache beaucoup à l'apparence dans son appréciation de la garantie d'un procès équitable ; l'apparence, ici, c'est la confusion des genres et des fonctions. À terme, d'ailleurs, le juge d'instruction apparaîtra pour ce qu'il est réellement, malgré la réforme de 1856, un enquêteur, bref, un auxiliaire du parquet, en aucun cas ce juge des libertés qu'il a bien fallu créer (V. L. 15 juin 2000, qui crée le juge des libertés et de la détention). Une telle réforme, par le principe qu'elle met en cause, aurait mérité un débat au Parlement[52]. En tout cas, elle aura préparé les bouleversements annoncés par le rapport Léger.
En effet, les juges d'instruction eux-mêmes ont programmé leur mort, lorsqu'ils ont accepté le principe des pôles financiers qui les réunissent avec les parquetiers, dans une même structure ; de même que le symbole du rapprochement spatial, au sein des palais de justice, y compris les plus modernes, entre les bureaux des procureurs et ceux des juges d'instruction, sans parler de cette complicité entre les hommes de la poursuite et ceux de l'instruction, qui mènent de concert les enquêtes et les instructions, ce qui a pour effet de pervertir le principe de séparation des fonctions judiciaires ; à vouloir, et à accepter, par petites touches, au quotidien de l'action judiciaire, les atteintes à un grand principe d'organisation de notre justice pénale, les juges d'instruction ont brûlé leur raison d'être, c'est-à-dire leur indépendance à l'égard des autres organes de l'autorité judiciaire.

b) Ainsi aussi, de la pratique, contraire au principe de séparation des fonctions de poursuite et d'instruction, qui consiste, pour un juge d'instruction, à « sous-traiter » [53] la rédaction de ses ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel ou de mise en accusation devant la cour d'assises, en se contentant de recopier et de reprendre mot pour mot le réquisitoire du parquet, procédé détestable qui contribue à accentuer ces menaces qui pèsent sur la Justice des droits de l'homme et que l'informatisation des cabinets d'instruction rend encore plus aisé par le procédé du « couper-coller ».
Certains juges ont eu le courage de dénoncer cette pratique que la chambre criminelle de la Cour de cassation valide[54]. Ainsi, Claude Grelier déclare-t-il à deux journalistes qui l’interrogent[55] : « Je trouve très choquante la pratique du réquisitoire dit “définitif”. Tous les textes prévoient qu'à la fin de l'instruction, c'est le juge qui détermine quelles charges doivent être retenues. Or, ces textes ne sont absolument pas respectés et la pratique judiciaire est celle du réquisitoire dit définitif, rédigé par le parquet, avec lequel il est rarissime que le juge d'instruction ne soit pas d'accord. C'est donc en fait l'une des parties au procès qui clôt l'instruction. Et j'ai vu de très nombreux jugements de tribunaux correctionnels ou de cours d'appel qui sont la copie, parfois la photocopie du réquisitoire définitif ! On aura du mal à se débarrasser de l'emprise du parquet sur le siège ».
On ajoutera que la chambre criminelle a validé cette pratique contraire à nos engagements internationaux (où est l'égalité des armes, si le parquet détient l'arme du renvoi ?) ; que la pratique continue, à en croire la reproduction dans la presse, pour des affaires fortement médiatisées, et de l'ordonnance de renvoi et du jugement de condamnation ; que le doute des juges de jugement devrait être la règle ; que la pratique s'aggrave avec, parfois, un réquisitoire lui-même directement inspiré par le rapport de synthèse du SRPJ, ce qui fait, qu'au bout de la chaîne, la personne interrogée par la police sera condamnée par un tribunal au vu de ses déclarations à celle-ci.

c) Ainsi enfin, est tout à fait significatif de cette dangereuse proximité avec le Parquet, la réaction pathétique et quasiment désespérée du (trop) jeune juge d’instruction de l’affaire d’Outreau, lorsqu’il fut interrogé sur sa solitude au sein de sa juridiction, par la commission parlementaire d’enquête. Sans l’accabler (car d’autres magistrats ont connu de l’affaire sans être inquiétés), il répondit qu’en cas de doute, il allait voir le Procureur ou le Président de la chambre de l’instruction. Double erreur, car le premier poursuit dans le cadre du principe de séparation des fonctions judiciaires et parce que le second est censé le contrôler à la tête de sa chambre.

g) le péché d’anticipation sur le jugement au fond

            Interrogée par deux journalistes, Madame Edith Boizette s’exprime ainsi : « dans le dossier Péchiney-Triangle, j'ai demandé une caution qui était le double de la plus-value réalisée par chacun des inculpés quand je les ai placés sous contrôle judiciaire, en ayant bien conscience que c'était une présanction. La peine encourue représentait alors le quadruple de la somme détournée... J'ai donc pris un moyen terme. Je me suis demandée : si j'étais juge, quelle sanction appliquerais-je ? au moins la moitié. J'ai donc fixé la caution au double des profits réalisés, 8,8 millions de francs pour l'un et 4,4 millions pour l'autre[56] ». Voilà une provision à juge unique et prise au mépris des droits de la défense, qui s’apparente à une peine ; que dire si la provision n’est plus une caution, mais une détention provisoire, ce qui était encore possible antérieurement à la loi du 15 juin 2000 ?
            Ces pratiques et toutes celles qui viennent d’être dénoncées, portaient en elles la mort annoncée du juge d’instruction. Mais par quel système le remplacer ?

iii – il était une fois en France une révolution[57] annoncée et encore à venir

Le rapport Léger marque une étape importante sur le chemin de la transformation radicale de notre système de procédure pénale, mais c’est toute l’articulation des organes du procès pénal qui est ici en cause dans la mise en œuvre de la réforme (B), bien au-delà du souhait porté depuis longtemps par des voix autorisées de voir disparaître le juge d’instruction (A).

a) des voix autorisées pour la suppression du juge d’instruction

Pour éclairer le débat sur le juge d'instruction, non pas sur les hommes qui exercent ces fonctions difficiles et qui sont bien souvent confrontés à la lie de la société, mais sur l'institution que certains ont dévoyée, quelques témoignages de magistrats ou d’avocats sont révélateurs du malaise qu’a créée l'institution au sein même de la magistrature, sans parler de la société civile.

a) Points de vue de juristes français

1) Un Parquetier : lors de son départ en retraite, Pierre Truche, Premier président de la Cour de cassation (et, surtout, ayant occupé les plus hautes fonctions au parquet, y compris comme Procureur général de la Cour de cassation), répondait à la question « le juge d'instruction va-t-il, à terme, disparaître ? », « je l'espère bien ! Rares sont dans le monde, les pays à avoir des juges d'instruction tels que nous les connaissons. Ce n'est pas un signe de modernité... Il faudrait confier l'enquête à un procureur, dont le statut serait modifié, avec, en face, un vrai juge désigné par le CSM. Il interviendrait dès qu'un droit fondamental serait en cause (détention, perquisition chez un avocat) et fixerait des délais au procureur. Il n'est pas sain d'instruire et de juger »[58].

2) Un juge d'instruction : « je serai plutôt partisan de la suppression du juge d'instruction. On ne peut à la fois être juge et chargé d'une fonction d'enquête, de type policier, qui s'apparente vraiment à la chasse. Il faudrait dans un premier temps prendre l'habit du chasseur et, dans un second temps, mettre une toque de juge pour être garant des droits individuels, apprécier la régularité de la procédure ? Je n'y crois pas ». Et plus loin, « c'est tout de même l'aspect recherche de la vérité qui prime chez le juge d'instruction, plutôt que celui garant des procédures ? C'est incontestable... Il faut mettre fin à la schizophrénie »[59].

3) Un avocat pénaliste : « j’avance sans masque : je suis favorable à cette réforme, comme vous le savez. J’entends que les juges d’instruction seraient les garants naturels des libertés individuelles et de la sûreté des personnes, lesquelles seraient aujourd’hui en grand danger ! C’est un argument que je ne peux pas accepter. Les abus de pouvoir et les erreurs judiciaires qu’ont commis les juges d’instruction ces dernières années ne sont-ils pas au contraire les preuves visibles du danger que peut représenter un juge seul, doté de pouvoirs si puissants, sûr de sa morale et de son bon droit ? »[60].

b) Vision anglaise du juge d'instruction français : « ce fonctionnaire de l'État a pour tâche de faire avouer un suspect. Afin d'obtenir des aveux le juge peut l'emprisonner, pendant des mois, voire des années, sans procès »[61]. Pour être complet et honnête, certains juristes anglais découvrent les mérites de l'instruction à la française, critiquant, dans leur pays, la procédure de recherche des preuves par la police qui a donné lieu à des excès[62], tels l’affaire dite des « quatre de Guilford »[63] ou des « sept de Maguire ».
Il faut donc construire notre propre système, imprégné de notre propre culture.

b) comment procéder ?

Au-delà des passions, personnelles ou politiciennes, la question est plus que jamais d'actualité ; il faut la traiter sans passion précisément et sans la pression de quelques affaires contemporaines. Comment décanter un problème qui a donné lieu à tant de projets ? Une première chose est certaine, il ne faut pas exagérer l'importance quantitative des affaires soumises à la sagacité d'un juge d'instruction (5% aujourd’hui, contre 20% en 1960 et encore 8% en 1989), mais, à l'inverse, ce n'est pas parce que peu de gens sont concernés qu'il ne faut rien faire ; la liberté d'un seul serait-elle en cause qu'il faudrait agir.
Une nouvelle articulation générale des organes du procès pénal, déjà ancienne, nous voulons dire développée par certains auteurs bien avant le rapport Léger[64], permet de tracer les grands axes d’une réforme (1°). Nous ne pouvons donc que nous réjouir que ce rapport reprenne nombre de nos propositions (avec, au-delà de la suppression du juge d’instruction, l’instauration d’une obligation de loyauté, la transformation en arbitre du président de la juridiction de jugement et la motivation des arrêts d’assises).
Mais, le rapport Léger laisse subsister quelques incertitudes sur la mise en œuvre de la réforme, car il ne relevait pas de sa mission de rédiger un projet de loi complet, simplement de fixer de grandes orientations ; or, c’est dans les détails que l’on trouve le diable ! Il faut donc accompagner la proposition phare de suppression du juge d’instruction et de l’enquête confiée désormais au Parquet, d’une réflexion sur les garanties à mettre en place pour que cette suppression n’aboutisse pas, purement et simplement, à transposer les défauts du système actuel sur la tête des procureurs qui, demain, seront en charge des enquêtes aux lieu et place des juges d’instruction (2°).

1°) Une nouvelle articulation générale des organes du procès pénal

Poser le principe de la suppression du juge d’instruction, c’est répondre à la question : par qui le remplacer ; qui exercera ses fonctions ? Au-delà des sirènes anglo-saxonnes auxquelles il ne faut point céder (a), c’est un système « à la française » qu’il faut construire (b), pour tenir compte de notre propre culture judiciaire.

a)      écarter les sirènes anglo-saxonnes

1) Il ne se passe pas un jour sans que le système judiciaire répressif américain (traduisez USA) nous soit montré en modèle idéal (à la différence d'ailleurs du système pénitentiaire)[65].
– D'abord, à la télévision ou au cinéma, avec des films, généralement remarquablement bien tournés [66], qui nous montrent l'action de la police américaine, du procureur, du jury populaire, sans oublier le président du tribunal, avec la si classique désignation par l'expression « votre honneur », qu'on se demande jusqu'à quand, dans les Palais de justice français, on résistera à la tentation d'appeler le président du tribunal « votre honneur » ! Il est notable de constater que le centre d'intérêt des cinéastes américains s'est progressivement déplacé de l'action de la police (cf. les films noirs des années trente et quarante) au fonctionnement du système judiciaire[67]. L'autorisation en 1981, par la Cour suprême américaine, de retransmettre à la télévision les procès en cours, a accentué ce phénomène[68].
– Dans les esprits ensuite, avec cet oubli, que ne font pas les films, du contexte économique, social et culturel dans lequel le système américain baigne. L'attirance vers un système très accusatoire est forte, avec une égalité des armes totale entre l'accusé et le ministère public (sur le plan théorique), avec la distinction du jury d'accusation et du jury de jugement, etc. ; ce système générerait moins d'erreurs judiciaires, serait plus respectueux des droits de la défense que le nôtre. On oublie de dire, généralement, que le respect des droits de la défense a valeur constitutionnelle et que la procédure pénale américaine est d'abord une branche du droit constitutionnel.

2) Tout ceci est en partie vrai, mais en partie seulement, d'une part, parce qu'on ne peut pas juger un modèle en le détachant de son contexte économique, culturel et social, d'autre part, parce que la connaissance de ce modèle est souvent indirecte chez ceux qui le donnent en exemple ; ils ne l'ont pas vraiment étudié, n'en ont qu'une connaissance superficielle. Il faut connaître ce système[69], encourager les études comparatives, mais porter sur lui un regard lucide, sans complaisance, dresser la liste de ses avantages et de ses vertus, mais aussi de ses effets pervers (par ex., au niveau de la transaction, du plea bargaining)[70], de ce qui lui est spécifique en raison du contexte dans lequel il évolue, bref, faire la part des choses. On ne peut transposer un système complet, sans tenir compte de notre héritage socioculturel et juridico-judiciaire ; la transfusion dans le domaine des sciences sociales n'est pas acceptable sans précautions ; comme en médecine et en biologie, il y a des compatibilités à respecter, sous risque de rejet de la perfusion ou de la greffe.

3) Et nous avons un héritage qui pèse lourd dans les contraintes, les blocages de notre société :
– On n'évacue pas facilement, par exemple, des esprits des juges d'instruction français, leur tendance inquisitoriale poussée à son paroxysme, jusqu'à créer une association, non pas de défense de leurs intérêts professionnels (ce qu'un syndicat pourrait d'ailleurs faire), mais de défense du système dans lequel ils évoluent, alors que ce choix appartient au peuple souverain, donc au Parlement.
– Il faut aussi tenir compte, autre exemple, de la structure très hiérarchisée de notre société, hiérarchie qui ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur l'organisation du parquet. Qu'on le veuille ou non, en France, tout remonte, plus ou moins, par des voies directes ou indirectes, à l'État, au sommet de la pyramide de la hiérarchie ; il est vrai que les choses commencent à bouger, localement, dans les parquets, avec les politiques locales de sécurité, les initiatives de certains procureurs[71], mais le mouvement est plutôt un frémissement qu'une révolution. Nous ne voulons pas dire par là qu'il ne faut rien faire, mais qu'il faut le faire en connaissance de cause et avec prudence.
En bref, « il y a bien une culture judiciaire que nous portons en nous, qui vit en nous, palpable et mystérieuse tout à la fois, dont nous sommes les héritiers et les acteurs, dont nous sommes responsables dans tout ce petit point de temps qui représente chacune de nos vies. Et l'Europe est toujours là »[72].

b)      Construire un système « à la française »

1) Une première piste semblait se dessiner et, progressivement, recueillir l'assentiment des hommes de bonne volonté, ni sécuritaires, ni laxistes (tout au moins avant la publication du rapport Léger…), celle de la dissociation des fonctions d'enquête (de chasseur) et du pouvoir juridictionnel sur la liberté des suspects. On vient de le voir, c'est le point qui est immédiatement dénoncé par les magistrats soucieux d'une justice respectueuse de nos engagements en faveur des droits et libertés fondamentaux. C'est le sens de nombreux projets, dont le rapport Léger. Il faudrait d'ailleurs affiner cette présentation, car, en réalité, le juge d'instruction exerce trois fonctions, celle d'enquêteur, celle de juge, mais aussi celle de poursuite lorsqu'il étend sa saisine qui est in rem à des personnes non visées dans l’acte introductif des poursuites, ou lorsqu’il rend une ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement.

2) À supposer cette dissociation acquise en droit, mais surtout en fait, dans son effectivité au sens de la jurisprudence européenne, il reste la question de savoir s'il est encore besoin d'un juge d'instruction qui ne ferait qu'instruire au sens d'enquêter. Le code de 1808 avait répondu par l'affirmative, mais, en réalité, en faisant de ce juge un OPJ et en le plaçant sous les ordres du parquet. Alors, pourquoi ne pas franchir le pas et confier les pouvoirs d'enquête dans l'instruction actuelle au parquet, avec un contrôle des juges du siège sur les actes coercitifs, tels que les perquisitions et saisies ? Plus n'est besoin d'un organe spécialisé et c'est sans doute parce que la dissociation des pouvoirs d'enquête et de décisions sur la liberté semblait sur le point d'aboutir en 1999-2000, que les pressions et les critiques se sont faites plus fortes contre ce projet ; derrière cette dissociation se profile la disparition, à terme, du juge d'instruction qui serait remplacé par le parquet.
C’est la solution que nous avions préconisée il y a plus de dix ans[73] et qui est effectivement adoptée par le rapport Léger. C’était déjà la solution préconisée par de nombreux auteurs, dont M. le Doyen André Decocq qui, dans une remarquable communication à l'Académie des sciences morales et politiques, le 3 avril 1995, nous invitait à méditer sur l'expérience du code de 1808 et à relire le projet Donnedieu de Vabres, pour conclure à l'inspiration d'une nouvelle réforme : « au ministère public reviendrait la mission d'instruire, avec le concours de la police judiciaire ». À la juridiction de l'instruction [qui ne se confond pas avec la fonction d'instruction], il appartiendrait d'autoriser les investigations attentatoires à la liberté individuelle, de statuer sur les demandes d'investigations des parties, d'ordonner, le cas échéant, la détention provisoire ou le contrôle judiciaire, de régler la procédure [au sens technique du règlement en fin d'instruction, qui consiste à prendre une décision de non-lieu ou de renvoi]. Il conviendrait également d'habiliter cette juridiction à ordonner d'office les investigations, s'il lui apparaissait que l'instruction s'égare.
A ceux qui objecteraient que celui qui poursuit ne peut instruire, on répondra que nul ne peut poursuivre sans un minimum de connaissance de l’affaire, du dossier de la procédure, donc d’instruction et que, déjà aujourd’hui, lorsque le juge d’instruction renvoie un mis en examen devant une juridiction, il exerce au plus haut degré l’acte de poursuite par excellence, après avoir instruit l’affaire, au même titre que le Procureur qui cite devant une juridiction un mis en cause après une enquête qu’il aura conduite. Les schémas sont parallèles. Enquête et poursuite sont intimement liées ; ce qui ne doit pas l’être c’est d’investiguer avec des pouvoirs juridictionnels, notamment quant aux mesures restrictives de liberté.

3) Resterait alors deux organes de l'autorité judiciaire, le parquet et le juge du siège, le premier ayant déjà des pouvoirs de rétention des personnes et de restriction à leur liberté d'aller et de venir, dans le cadre d'une enquête. Faut-il les maintenir ? Le Conseil constitutionnel a indiqué, dans ses décisions des 2 février 1995 (Injonction pénale) et 16 juillet 1996 (Perquisitions de nuit), qu'il pouvait y avoir une gradation dans l'intervention des différents acteurs de l'autorité judiciaire, en matière d'atteintes à la liberté individuelle ; la compétence respective du Parquet et des juges du siège en matière de liberté individuelle serait déterminée, conformément aux décisions du Conseil, en fonction du degré de gravité de la mesure envisagée en matière de liberté individuelle : aux seconds la détention provisoire et la décision sur la garde à vue au-delà d'une durée à confirmer ou à fixer (24, 48 heures ? pas au-delà) ; aux premiers, ce qui est en deçà[74]. Mais la jurisprudence européenne sur l’indépendance du parquet français risque de remettre en question cette construction (v. infra, 2°, b). Parler de l’indépendance du Parquet, c’est poser la question des garanties à apporter quant au respect de la liberté individuelle dans un tel système. C’est sur ce point que le rapport Léger doit être complété.

2°) Les garanties nécessaires          
Ces garanties s’orientent autour des deux questions de l’indépendance du Parquet et des droits de la défense. D’ailleurs, le Conseil national des Barreaux ne s’y est point trompé, lui, qui, au lendemain de la publication du rapport Léger a clairement déclaré que les propositions contenues dans ce rapport « ne peuvent se concevoir qu’à la double et impérative condition d’être accompagnées d’un nouveau statut du Parquet et d’un renforcement véritable des droits de la défense »[75].

a) La garantie d’indépendance et d’impartialité du Parquet
On a beaucoup dit et écrit sur cette indépendance et cette impartialité, non sans arrière-pensées et quelques fantasmes. En réalité, la question se dédouble : indépendance organique, en raison du lien entre le Parquet et la Chancellerie ; c’est la question d’un statut rénové (1). Impartialité personnelle en raison des comportements individuels ; c’est la question d’une vertu retrouvée (2).

1)      La question de l’indépendance organique : un statut rénové
 Le point est délicat car il touche à la nécessité de la cohérence de la politique pénale sur tout le territoire de la République, à concilier avec la garantie qu’il n’y aura pas de favoritisme ou, à l’inverse, d’acharnement inspiré par l’exécutif contre une personne mise en cause dans une affaire pénale. Il faut ici concilier des impératifs souvent antagonistes.

α) Certains revendiquent la rupture de tout lien entre le pouvoir exécutif, donc la Chancellerie, et le Parquet. Au-delà de l’arrière-pensée de certains de créer un véritable pouvoir judiciaire totalement indépendant des deux autres, c’est la question de la légitimité de ce pouvoir qui est posée. Nul ne conteste, en revanche, la nécessité qu’une autorité unique doive diriger la politique pénale sur l’ensemble du territoire national ; deux exemples suffiraient d’ailleurs à convaincre les réfractaires à cette idée : lorsqu’en 1974 fut votée la loi sur l’interruption volontaire de grossesse qui décriminalisait l’avortement, il fut fort utile que le Garde des Sceaux de l’époque puisse enjoindre à tous les Parquets de France de ne plus poursuivre de ce chef pendant la durée des travaux parlementaires. Lorsque des évènements graves se produisent, avec la nécessité vitale pour le pays, de se réconcilier, il est encore fort utile qu’une seule autorité puisse enjoindre aux Parquets de ne poursuivre que sous certaines conditions bien précises. Seul un pouvoir politique issu de l’élection qui lui confère sa légitimité, est habilité à être cette autorité unique. Toute proposition d’un « Procureur général de la Nation » qui incarnerait cette autorité hiérarchique est vouée à l’échec par manque de légitimité. Et la remarque vaut, au-delà de nos deux exemples, pour toute la politique pénale, pour le choix des priorités dans la conduite de l’action publique. On pourrait d’ailleurs améliorer la transparence sur ce sujet en imposant un débat annuel au Parlement sur les objectifs poursuivis par le Gouvernement et en nourrissant ce débat d’éléments statistiques et qualitatifs d’évaluation des politiques menées.
Si l’on accepte ce schéma, il reste à garantir que, au quotidien, l’exécutif n’interviendra pas dans les affaires individuelles, plus exactement ne fera pas valoir des intérêts partisans. Il ne faut pas en effet se leurrer : toute interdiction généralisée d’instructions particulières engendrera la suspicion d’instructions secrètes, verbales bien sûr ; de plus, dans quelques (rares) affaires, il est sain que la Chancellerie puisse exprimer son point de vue ; mais cela doit être public, pas pour enterrer clandestinement un dossier ou poursuivre de sa vindicte partisane tel ou tel mis en cause. À ce niveau, la publicité des instructions est la première des garanties données aux justiciables. Mais il en est une autre, qui pose la question du statut du Parquet dans les conditions de la nomination et la promotion de ses membres, ainsi que leur régime disciplinaire.

β) La portée de la jurisprudence européenne quant à l’indépendance du Parquet dans l’application de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Dans les conditions actuelles du droit français en matière de promotion et de régime disciplinaire, on ne s’étonnera pas que la Cour EDH considère, au regard de l’article 5, § 3 de la Convention (impartialité exigée du magistrat chargé du contrôle d’une arrestation ou d’une détention) que les membres du Parquet n’ont pas la qualité de membre de l’autorité judiciaire, en raison de leur manque d’indépendance à l’égard de l’exécutif. La Cour EDH a défini l'impartialité du magistrat par rapport à un critère apprécié in abstracto et non pas in concreto, en ce sens que peu importe que, en l'espèce soumise à la Cour, le magistrat du parquet n'ait pas exercé les fonctions d'un organe de poursuite ; dès lors qu'il y avait une chance pour qu'il les exerce contre la personne traduite devant lui dans le cadre d'une arrestation, « son impartialité peut paraître sujette à caution » [76]. La simple possibilité crée la partialité, jette un doute sur l'impartialité du magistrat. Il en est ainsi, par exemple, pour un procureur polonais qui, lorsqu'il se prononce sur la détention provisoire d'un prévenu, n'est pas un magistrat indépendant des parties puisqu'il est susceptible d'intervenir dans la procédure ultérieure à titre de représentant de l'autorité de poursuite[77]. Les enseignements à tirer de cette jurisprudence pour le parquet français sont clairs, même si la chambre criminelle les ignore délibérément [78]  : les magistrats du parquet ne sont pas, en France, des magistrats habilités à se prononcer sur une arrestation ou une détention puisqu'ils ont la possibilité d'être organe de poursuite à l'égard de cette personne ; c'est d'ailleurs ce qu'avait envisagé la Commission EDH dans une affaire mettant en cause la qualité de magistrat de l'avocat général devant l'ex-Cour de sûreté de l'État [79]. Et c’est ce que vient de décider la Cour EDH, mais appel a été formé devant la grande chambre qui ne devrait rendre sa décision qu’à la fin de l’année 2009[80]. Si l’arrêt a été rendu au regard de l’article 5 de la Convention EDH, sa portée dépasse celle de cette disposition, car il est rédigé en termes très généraux ; la lecture du nouvel article 65 de la Constitution ne peut que renforcer la Cour EDH dans sa conviction : quel est ce « magistrat », nommé par l’exécutif après avis simple du CSM et dont les sanctions disciplinaires sont prises par l’exécutif, dans les mêmes conditions d’avis simple ? Où est son indépendance ?
Mais l’obstacle n’est pas insurmontable, car, d’une part, l’arrêt condamne d’abord et essentiellement le cumul de la fonction de poursuite avec celle de contrôleur d’une arrestation ou d’une détention et d’autre part, parce qu’il est possible de corriger la dépendance du Parquet dans ses conditions de nomination et de promotion, ainsi que dans son régime disciplinaire sans pour autant remettre en cause le lien nécessaire de subordination à l’autorité qui détermine la politique pénale de la Nation, tout en échappant aussi à la condamnation de la Cour EDH.
Dès lors que, dans le système que nous préconisons, le Parquet enquête et poursuit mais ne contrôlerait plus les arrestations et détentions au sens de l’article 5 de la Convention EDH (cette fonction reviendrait au seul juge de l’enquête et des libertés), la critique de la Cour EDH, ainsi que la condamnation de la France, tombent.

γ) Les quelques ajustements de statut qui pourraient aisément gommer la critique d’une dépendance si étroite avec le pouvoir exécutif que l’impartialité du Parquet dans sa conduite des instructions en serait altérée, pourraient être les suivants : il suffirait de soumettre les nominations, promotions et sanctions disciplinaires à un organe (le CSM) contrôlé et dominé non pas par les juges ou par le pouvoir exécutif, mais par la Nation, avec des représentants issus de la société civile majoritaires au sein de cet organisme. Après tout, la théorie de la séparation des pouvoirs ne signifie nullement que chacun des trois pouvoirs fait ce qu’il veut de son côté, s’autogère sans le contrôle d’une autre autorité. Ainsi, l’activité législative du Parlement (donc des projets de lois présentés par le Gouvernement) est soumise à la censure du Conseil constitutionnel (dans des conditions élargies par la réforme constitutionnelle de juillet 2008). De même, le législatif et l’exécutif se contrôlent-ils l’un l’autre, par tous les rouages de l’articulation des pouvoirs publics (droit de dissolution, motion de censure, etc…). En quoi serait-il attentatoire aux libertés individuelles que le CSM soit cet organe, en majorité extérieur au monde judiciaire, qui, tout à la fois nomme (ce qui supposerait un avis conforme et non pas un avis simple, pour l’ensemble des membres du Parquet[81]), promeut et, le cas échéant, sanctionne ? La magistrature ne peut qu’y gagner en légitimité en éliminant le soupçon du corporatisme (ce que postule tout système dans lequel les juges sont majoritaires) et celui du favoritisme (en ne remettant pas les nominations, promotions et sanctions entre les mains de l’exécutif). Encore faudrait-il s’entendre sur un système impartial de désignation des membres « civils » de ce CSM, avec un équilibre à trouver entre toutes les sensibilités qui peuvent s’exprimer dans notre pays. Cela ne doit pas être impossible ! Nous n’ignorons pas que la procédure sera assez lourde puisqu’elle suppose, sur le point du statut du Parquet une modification de la Constitution ; mais le jeu n’en vaut-il pas la peine ? Ce serait passer à côté d’une grande réforme, à l’égale de celle conduite par Napoléon à l’époque des grands codes ou par Jean Carbonnier à l’époque des grandes réformes de notre droit civil à partir des années soixante. Mais quelle trace laissera dans l’histoire de notre pays, celui qui aura la volonté de la conduire à son terme !
La vraie question est plutôt de savoir si les membres du Parquet y sont prêts. On peut en douter pour certains d’entre eux, les traditionnels habitués des couloirs du pouvoir, mais il est permis de penser que cette minorité désertera vite ces mêmes allées du pouvoir lorsqu’elle se rendra compte qu’elle ne peut y trouver ni nomination, ni promotion, ni indulgence disciplinaire. Cette réforme suppose aussi que certains comportements personnels changent.

2)      L’impartialité personnelle dans les comportements individuels : une vertu retrouvée
1) La jurisprudence française affirme que le parquet n'est tenu à aucune obligation d'impartialité ; ce qui vaut pour l'impartialité fonctionnelle, liée soit à la séparation des fonctions, soit à l'exercice des fonctions de poursuite, vaudrait aussi pour l'impartialité personnelle, liée aux considérations propres à celui qui représente le ministère public ce jour-là. Les exemples qui suivent permettent de douter de la pertinence de ce point de vue.

- Ainsi, la chambre criminelle ne craint-elle pas d'affirmer qu'il n'y a aucune atteinte à l'impartialité du tribunal dans le cas d'un avocat général qui serait parrain du fils du principal prévenu[82]. Il est vrai que, littéralement, le parquet étant une partie il ne compose pas le « tribunal » au sens de l'article 6, § 1, mais il est évident que la position de la chambre criminelle fait peu de cas de la jurisprudence européenne qui s'attache à l'image que la justice donne d'elle-même. Quelle confiance le justiciable peut-il avoir dans une justice où le parquet est représenté par un avocat général parrain du fils du prévenu ? À une époque où les membres du parquet revendiquent le statut de magistrats que leur contestent les premiers présidents de cour d'appel, il serait sain que la chambre criminelle leur applique les mêmes obligations qu'aux juges du siège, lorsqu'ils ne se les sont pas imposées à eux-mêmes (en se déportant).

- Même position dans une affaire où il était invoqué l'attitude prétendument déloyale du parquet dans une première affaire (il aurait dissimulé une pièce du dossier pour écarter le privilège de juridiction dont bénéficiaient les élus jusqu'en 1993, pièce enregistrée au parquet, mais dont le procureur niait l'existence jusqu'à la délivrance du bordereau informatique en faisant état), pour obtenir la délocalisation d'une seconde procédure sur le fondement de l'article 662, CPP (requête en suspicion légitime) ; pour la chambre criminelle, la suspicion d'une attitude partiale du parquet ne peut être retenue que si elle concerne le même procès, la même affaire [83].

- Dans une curieuse affaire, il avait été prétendu par une personne placée en détention provisoire, que l'entretien entre le représentant du parquet et le juge des libertés et de la détention avant la tenue de l'audience à l'issue de laquelle la détention provisoire fut prolongée de six mois, avait vu naître un doute quant au respect du principe du contradictoire ; cet entretien ayant lieu hors la présence de la défense, « il était à craindre que le juge ait pu orienter le réquisitoire du procureur ». Pour la chambre criminelle, « le seul fait » de cet entretien ne pouvait accréditer « un doute objectivement justifié quant au respect du contradictoire ». [84] En réalité on était davantage dans le domaine de l'impartialité que dans celui du contradictoire, mais il était plus diplomatique sans doute d'invoquer le non respect du contradictoire que l'impartialité du juge !
Pourtant, ne faut-il pas exiger plus qu'une obligation de loyauté du parquet, une obligation d'impartialité personnelle, au niveau de l'enclenchement des poursuites, mais aussi de son exercice ? Il est clair, à cet égard, que l'existence d'un lien de parenté, d'alliance ou simplement affectif (entre parrain et filleul) entre le représentant du parquet et le prévenu (ou sa famille) peut troubler l'image de la justice quant à l'objectivité de l'action du parquet. De même que les conditions d'exercice de l'action dans l'affaire précitée de la dissimulation d'une pièce et du silence gardé sur son enregistrement informatique, la circonstance que la déloyauté avait eu lieu dans une autre affaire n'ôte pas à l'acte déloyal son caractère partial. Là encore, quelle image de la justice est-elle donnée aux justiciables ?

2) Le Conseil supérieur de la magistrature ne s'y est pas trompé, lui, lorsqu'il a jugé le 21 décembre 1994, en formation disciplinaire, « qu'en prenant des décisions de poursuite et de classement dans des procédures mettant en cause des personnes avec lesquelles il était en relation d'affaires, le membre du parquet a pu légitimement faire douter de l'impartialité du parquet ».
Jurisprudence dont un procureur aurait bien fait de s’inspirer, alors que, selon la presse (non démentie à ce jour), il réunit à sa table (pour un dîner à son domicile) le policier chargé d’une enquête, le patron d’un groupe concerné par cette enquête, l’avocat de ce patron et sa propre épouse qui travaille pour la fondation de ce groupe ! Les apparences ne sont guère trompeuses, puisque les deux juges d’instruction chargés d’affaires en relation avec cette enquête ont déchargé ce policier de celle-ci[85]. Où va-t-on avec de tels comportements qui suscitent la suspicion sur la loyauté du parquet ? 
Sous ce regard et celui de sa déontologie, comment qualifier le comportement du même Procureur de la République qui, choisit de se faire remettre les insignes d’une décoration par le chef de l’exécutif en personne ?[86] Comment peut-on oser demander (et en tout cas accepter) qu’une telle remise ait lieu dans ces conditions, alors qu’on est tenu à un devoir de réserve dans la Cité ?

3) Au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme tous ces comportements sont condamnables et devraient, à l’avenir, pourvoir être sanctionnés sur le plan disciplinaire s’entend – ne serait-ce que par un simple blâme – par l’organe de sanction à majorité civile que nous appelons de nos vœux. Après tout, lorsqu’on représente l’intérêt public, ceux de la Nation, dans l’exercice, au quotidien, de ses fonctions de poursuite (et, demain, d’enquête généralisée), il n’est pas anormal que l’on soit placé sous le regard vigilant de ceux au nom de qui cet intérêt est défendu.

b) L’extension des droits de la défense

1) La garantie d’un débat public impartial
A propos de l'horrible affaire d'Outreau jugée en deux fois, d'abord en juillet 2004, puis en décembre 2005, avec l'acquittement de toutes les personnes mises en cause par les parents des enfants qu'ils avaient eux-mêmes violés voici ce qu'en écrivait Hubert Dalle, haut magistrat et homme de réflexion sur les choses de la justice, au jugement pertinent : « ce procès fait apparaître une contradiction fondamentale entre les méthodes de construction de la vérité judiciaire par un dossier et celle qui résultait du procès d'assises. Y aurait-il deux vérités judiciaires ? La première écrite, professionnelle, construite en trois ans dans le secret des services de police et de gendarmerie, du Parquet, d'un cabinet de juge d'instruction et d'une chambre de l'instruction. La seconde, orale, publique, devant un jury populaire, après neuf semaines de débats contradictoires, à armes égales entre accusation et défense et devant l'opinion publique. La vérité professionnelle construite par des juges pour des juges se heurte à la vérité judiciaire du procès d'assises, déconstruite par le débat public devant des non-professionnels. Outreau démontre, une nouvelle fois, que la construction de la vérité judiciaire par un juge qui instruit en principe “à charge et à décharge” ne présente pas les mêmes garanties que le débat oral, contradictoire et public entre l'accusation et la défense devant la cour d'assises. Ce procès hors norme a démontré jusqu'à l'extrême l'inadéquation du système procédural français »[87].
            C’est dire que l’une des premières garanties à renforcer en matière de droits de la défense, c’est d’instaurer le maximum de publicité tout au long de l’instruction, pour assurer la transparence des enquêtes et de réformer ensuite, au niveau de la phase de jugement, le rôle du président de la juridiction. Le rapport Léger l’envisage expressément pour tout président de juridiction de jugement qui doit devenir un arbitre impartial (ce que certains sont déjà, heureusement, comme dans la triste affaire Roman pour le meurtre de la petite Céline). Il devient intolérable de voir des présidents se transformer en accusateur et montrer ostensiblement que, dès l’ouverture des débats, leur conviction est acquise.

2) La garantie de réels pouvoirs de contrôle de l’activité du Parquet
            - Cela concerne d’abord le futur juge des enquêtes et des libertés qui, indirectement, participe à l’affermissement des droits de la défense. Si l’on ne veut pas qu’il soit, de fait, extérieur à l’enquête, il faut lui donner les moyens juridiques et matériels de son contrôle du travail du Parquet. Il ne faut pas que, demain, ce nouveau juge soit dans la situation de nombreux juges des libertés et de la détention qui n’ont pas les moyens de leurs missions (cf. l’affaire d’Outreau qui a révélé que le JLD était très extérieur au dossier, sans avoir pu infléchir l’enquête). Il est donc nécessaire qu’un même juge des enquêtes et des libertés n’ait pas trop d’affaires à traiter en même temps. Surtout, il doit être hiérarchiquement situé à un grade élevé, afin de lui donner le poids nécessaire dans le corps pour asseoir son autorité sur le Parquet. Ne peut-on envisager aussi qu’il puisse contester le choix opéré par le Parquet entre tel ou tel type d’enquête, voire saisir la chambre de l’instruction pour le dessaisir s’il estime qu’une cause grave le justifie ?[88]
            - Cela concerne aussi les avocats des parties mises en cause qui doivent pouvoir s’adresser à ce juge pour lui demander qu’il ordonne les actes d’investigation que les enquêteurs auraient refusé d’accomplir, le tout sous le contrôle de la chambre de l’instruction. Une stricte égalité des armes passe aussi par le droit pour ces parties de contester la validité des actes accomplis par le Parquet, d’exercer l’appel à stricte égalité avec ce qu’il est permis au Parquet de faire. Le débat sur l’aide juridictionnelle ne pourra pas non plus être occulté.
            - Cela concerne enfin la victime qui doit pouvoir demander au Parquet l’ouverture d’une enquête et, en cas de refus (motivé), exercer un recours devant le juge des enquêtes, sous le même contrôle de la chambre de l’instruction.
                        C’est un vaste chantier qui s’ouvre et le travail de rédaction d’un avant-projet de loi ne sera sans doute pas simple, non seulement parce que les opposants à cette transformation radicale de notre procédure pénale ne manqueront pas de faire valoir leurs arguments, mais aussi parce que ceux qui sont favorables à cette réforme ne sont pas tous d’accord sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. La question du statut du Parquet sera cruciale.

VI – RESPONSABILITÉ DU JUGE D’INSTRUCTION
de l’irresponsabilité des juges d’instruction :
pour combien de temps encore ?

publié aux mélanges offerts à jean pradel, 2005

                Le titre de cette contribution, un peu provocateur, s’adresse, en amical hommage, à celui qui, avant d’être agrégé des facultés de droit et de siéger avec moi, de longues années, au sein du Conseil national des universités, fut juge d’instruction, ce qu’il ne manque pas de rappeler, avec une légitime fierté, en signature de nombre de ses écrits. Jean, toi qui fut un juge d’instruction pleinement responsable de ses actes, tu ne m’en voudras pas de plaider ici (le mot n’est pas innocent) pour que cesse une certaine forme d’irresponsabilité de tes anciens confrères.
            Les affaires judiciaires médiatisées sont toujours l’occasion d’approfondir la réflexion sur la Justice, au-delà des passions et des réactions qu’elles provoquent. Au printemps 2004, c’est l’affaire dite d’Outreau ou de la cour d’assises de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais (du nom de la juridiction qui en connut au stade du jugement), liée à des faits de pédophilie, qui déclencha une violente attaque contre l’institution judiciaire en général, contre le juge d’instruction et la chambre de l’instruction qui instruisirent cette affaire en particulier ; une mini-réflexion s’ensuivit, des propositions de réformes furent émises, notamment par des hommes politiques[89] et un groupe de travail devrait proposer des mesures nouvelles au garde des Sceaux[90]. On a pu parler, à juste titre, de « cataclysme judiciaire », de « catastrophe nationale de l’instruction », de « scandale judiciaire », « d’horreur judiciaire »[91]. Qu’on en juge : treize des accusés, qui avaient d’ailleurs toujours nié les faits qui leur étaient reprochés, furent finalement innocentés à l’audience, par la principale accusatrice (et mise en cause) qui déclara avoir menti pendant plus de trois ans ; pour saisir le choc de cette affaire, « cet immense gâchis judiciaire »[92], il faut savoir que huit des treize accusés comparaissaient détenus, certains depuis trois ans, que d’autres ont perdu la garde de leurs enfants, leur travail, parfois leur maison qu’ils ont dû vendre ; ces « vies ruinées par le mensonge » de la mère des enfants victimes des actes de pédophilie (et elle-même mise en cause dans le dossier), ces « destins fracassés » ne le sont pas que par ce mensonge ; ils le sont aussi par la défaillance de l’institution judiciaire qui n’a pas fait jouer ses garde-fous, par le refus des juges « de faire marche arrière » (notamment au stade de la chambre de l’instruction)[93], de ne pas s’en tenir aux déclarations des victimes (des enfants au témoignage fragile), de procéder à une confrontation des victimes (les enfants) et des mis en cause (les persécuteurs), de s’interroger sur les conditions dans lesquelles ont été recueillies les déclarations des enfants ; les psychiatres et psychologues n’ont rien trouvé à redire à ces témoignages d’enfants, les trouvant « crédibles » (il paraîtrait que c’est un mot technique qui ne signifie pas qu’ils disent la vérité…). De fait, la machine judiciaire semble s’être emballée pour ne retenir, accusation commode, que l’idée d’un vaste réseau international de pédophilie, de notables venant s’approvisionner en chair fraîche, alors que rien ne venait corroborer les accusations ; n’ont échappé à ce cauchemar que ceux des mis en cause qui, de toute évidence, par certaines caractéristiques de leur morphologie ne pouvaient pas être impliqués comme le prétendaient les accusateurs, par exemple, cette femme enceinte de plusieurs mois et dont la grossesse ne fut pas relevée par ses accusateurs ; ceux-là sont venus témoigner à l’audience et n’en reviennent pas d’avoir été écartés du renvoi devant la cour d’assises ; sentiment d’un jeu de roulette, la boule s’arrêtant sur celui-ci, pas sur celui-là.  De ce que l’on peut connaître du dossier par la presse[94] – et donc avec toute la prudence nécessaire - chaque maillon de la chaîne judiciaire joua son rôle néfaste dans l’aveuglement de tous : du juge d’instruction novice, frais émoulu de l’École nationale de la magistrature à qui l’institution confia cette lourde responsabilité de juger de la liberté et de l’honneur de ses concitoyens, aux expertises psychologiques dont il a déjà été fait état, en passant par « les hésitations du procureur » (qui reconnaît dans son réquisitoire de décembre 2002 que certains propos « outranciers » des enfants et de leur mère « s’avèrent sans aucun doute incompatibles avec la vérité ») et « l’intransigeance de la cour d’appel de Douai » qui a systématiquement rejeté les innombrables demandes de remise en liberté (à deux exceptions près). L’affaire fut amplifiée par le maintien en détention, pour quelques jours, de sept des huit accusés détenus et « innocentés » par la déclaration de rétractation de la principale accusatrice.
Il reviendra à la Justice d’indemniser les victimes de ce dysfonctionnement judiciaire, sachant qu’elles ont demandé que l’État reconnaisse officiellement la faute lourde, place Vendôme[95], donc au ministère de la Justice et non pas dans une enceinte judiciaire, sans doute par transaction. Il n’est pas dans notre intention de dresser ici le tableau des fautes des uns et des autres et de prononcer des condamnations qui, à l’instar de celles que profèrent les médias seraient hâtives, sans fondement juridique et, pour tout dire, aussi injustes que l’ont été les mises en détention provisoire et le renvoi aux assises de treize innocents ; d’autres s’en sont déjà chargés[96]. On remarquera simplement que les jeunes magistrats sont plutôt bien formés, que les procédures sont bonnes, à quelques nuances près, mais qu’elles ne sont pas respectées ; ainsi, le double regard, que postule le principe de séparation des autorités judiciaires, est quotidiennement bafoué par la pratique de la sous-traitance au Parquet de la rédaction de l’ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises, comme l’est celle de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel[97]. Si ces principes étaient respectés, il n’y aurait pas tous ces dysfonctionnements et si ceux-ci existent, c’est qu’il y a faute quelque part. L’affaire d’Outreau illustre combien l’irresponsabilité des juges, spécialement des juges d’instruction, devient intolérable à l’opinion publique.
            Cette nécessaire réflexion sur la Justice et les responsabilités encourues du fait de ses dysfonctionnements fut bien vite caricaturée dans la cristallisation de la pensée en deux camps irréductibles : d’un côté, « l’opinion » des accusés devenus victimes relayée par celle des journalistes, fustigeant le système qui avait permis à un (jeune) juge d’instruction de les maintenir en détention provisoire pendant trois ans ; de l’autre, le chœur unanime des magistrats défendant leur collègue « injustement attaqué »[98], argumentant pour ce faire autour de l’idée d’une chaîne de décideurs, de contrôles, tous aussi performants les uns que les autres (mais alors pourquoi ce cataclysme ?), sans jamais remettre en cause un maillon de cette chaîne ! Et pourtant, rechercher la responsabilité d’un juge d’instruction, n’est-ce pas identifier sa faute, caractériser le préjudice et établir le lien de causalité entre les deux ? Si les deux derniers ne font aucun doute dans les affaires de détention provisoire, encore faut-il que la faute soit clairement identifiée ; et quand bien même elle le serait, la question doit être posée de la légitimité d’une mise en cause personnelle du juge. Traditionnellement on affirme que l’activité juridictionnelle d’un juge ne peut être soumise à faute ; affirmation péremptoire, sans autre justification que l’argument d’autorité (pourquoi pas le même raisonnement pour les chirurgiens ?). Si la responsabilité de l’Etat peut, en théorie pure, être engagée pour faute du juge dans son activité juridictionnelle, celle-ci, quelque peu sacralisée, apparaît, de fait, à l’abri de toute action de ce type. Malgré une évolution qui semble se dessiner, devant la Cour de cassation et devant les juridictions du fond, quant à l'appréciation d'une faute (lourde) dans l'activité juridictionnelle des juges, spécialement des juges d'instruction (18% des requêtes visent l’activité des juges d’instruction en 2001), la tendance dominante reste le refus d’engager cette responsabilité dans une telle hypothèse. Mais un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 30 septembre 2003 conduit à revoir totalement la question. Il faut donc confronter l’affirmation traditionnelle de l’irresponsabilité du juge (notamment d’instruction) à l’évolution contemporaine de la jurisprudence, tant interne (I) qu’européenne (II), avant d’émettre quelques propositions (III).

i) l’évolution de la jurisprudence interne

La jurisprudence manifeste un frémissement qui ne va pas toutefois jusqu’à la reconnaissance d’un principe général de responsabilité des juges d’instruction du fait de leur activité, sans doute parce que le système de l’article L. 781-1 du code de l’organisation judiciaire enserre cette responsabilité dans un carcan d’irresponsabilité personnelle absolue, parallèlement à de récentes évolutions jurisprudentielles sur le fondement de la responsabilité de l’Etat[99]. Plusieurs arrêts balisent une nette évolution vers la prise en considération de l'intérêt du justiciable, pour retenir soit la faute lourde dans l'activité juridictionnelle du juge d’instruction (A), soit le déni de justice (B). 

a) vers la reconnaissance de la faute lourde du juge d’instruction
           
   a) On rappellera d’abord que dans un premier temps, la jurisprudence entendait la faute lourde d'une manière très extensive, mais la rattachait à la notion d'erreur grossière du juge ou à son intention de nuire. En effet, jusqu'à un important arrêt du 23 février 2001 de son assemblée plénière, la Cour de cassation définissait la faute lourde comme celle « qui a été commise sous l'influence d'une erreur tellement grossière qu'un magistrat ou un fonctionnaire de justice, normalement soucieux de ses devoirs, n'y eût pas été entraîné »[100]. Dans un second temps, par un important arrêt de son assemblée plénière, rendu le 23 février 2001, la Cour de cassation a nettement infléchi, dans un sens libéral, sa notion de la faute lourde ; sans aller jusqu'à retenir une faute simple (ce que seul le législateur pourrait faire), elle retient une notion assez voisine de celle que nous avions préconisée à propos du déni de justice envisagé comme le manquement de l'État à son devoir de protection juridictionnelle des citoyens (V. infra, B). En effet, selon cet arrêt, « constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi »[101].

b) Antérieurement à l’arrêt du 23 février 2001, la Cour de cassation avait validé l’analyse de la cour d’appel d’Aix-en-Provence selon laquelle « un acte juridictionnel, même définitif, peut donner lieu à une mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat »[102] et la cour d'appel de Paris, dans la même affaire, a ébauché une tentative en ce sens : « les énonciations de l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire n'excluent d'aucune manière du champ d'application de ce texte les actes juridictionnels proprement dits »[103].
Appliquant ce principe dégagé en 1989, la même cour de Paris, sept ans plus tard, retient la responsabilité de l'État pour une mise en détention provisoire non justifiée en ses éléments, sans s'arrêter au fait qu'il existe, en droit français, un régime d'indemnisation spécifique pour détention injustifiée[104] ; la même activité du juge d'instruction, ou plutôt son inactivité, peut d’ailleurs constituer un déni de justice entraînant la responsabilité de l'État[105]. Il y a là, à n'en pas douter, même si la Cour de cassation y est encore largement hostile[106], un champ, encore largement inexploré par les justiciables, de contrôle de l'activité pour le moins contestable de certains juges d'instruction lorsqu'ils pouvaient utiliser l'arme de la mise en détention comme mode de pression sur les personnes mises en examen, avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence qui limite ce pouvoir et cette pratique par l'intervention du juge des libertés et de la détention (V. par ex. l'ordonnance du 21 décembre 2000 du président de la chambre d'accusation de Paris qui relève qu'une ordonnance de placement en détention provisoire est « fondée pour partie sur un motif entaché d'inexactitude et ne répond pas aux exigences légales »[107]).
Allons plus loin : lorsqu'une personne est relaxée pour inexistence de l'infraction dans ses éléments juridiques constitutifs, et non pas seulement pour absence de toute preuve de la réalité matérielle des faits, n'y a-t-il pas une faute de la part de celui qui a renvoyé indûment cette personne devant le tribunal correctionnel (V., sur ce point et sur le déni de justice de certains juges d'instruction, infra, B) ?
Dans un autre arrêt du 29 janvier 1997, la cour de Paris retient le principe même de sa compétence sur l'article L. 781-1 du code l'organisation judiciaire pour statuer sur l'inculpation, tout en rejetant, au fond, la responsabilité de l'État, parce que le juge d'instruction l'avait spécialement motivée en ses éléments, sans recourir à une motivation générale[108].
Même solution lorsque l'inculpation est parfaitement justifiée : l'inculpé n'ayant jamais contesté que les faits reprochés lui étaient imputables, la responsabilité sera rejetée[109].
En dehors de l'activité des juges d'instruction, la cour de Paris a admis que le texte ne distingue pas selon que le fonctionnement défectueux est intervenu dans l'acte juridictionnel ou non ; il convient donc d'examiner si les juges d'appel ont commis, dans leur décision, une ou plusieurs « fautes lourdes »[110].

c) Postérieurement au revirement du 23 février 2001, la cour de Paris a reconnu expressément, dans un arrêt du 25 janvier 2002[111], en matière de poursuite pour abus de biens sociaux, « qu'aucun élément de l'instruction ne permet d'établir l'existence d'une disproportion manifeste entre les prestations litigieuses fournies par la société bénéficiaire et le montant des redevances versées en contrepartie par les sociétés débitrices » ; elle ajoute que « la réalité et l'utilité des prestations fournies par la société bénéficiaire aux sociétés débitrices en exécution des conventions conclues et passées en assemblée générale de la société ne sont pas discutées ».
            Dans un arrêt du 28 avril 2003, à propos de l’affaire liée au décès de la princesse Diana, la cour d’appel de Paris a estimé que « les faits relèvent un manquement de l’autorité judiciaire à l’obligation de veiller à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale, ainsi qu’une violation du droit d’accès réel et effectif à un tribunal et du droit de voir sa cause examinée dans un délai raisonnable qui sont garantis à tout justiciable ; si la procédure a pu se poursuivre, cela n’enlève pas aux manquements relevés leur caractère, dès lors que ce n’est qu’après l’introduction de l’instance en responsabilité de l’Etat et la décision de la chambre d’accusation, saisie par la partie civile à la suite du refus du magistrat instructeur d’accomplir les actes qui lui étaient demandés, que l’information a été effectivement suivie, de sorte que celle-ci est fondée à croire que si elle n’avait pas pris ces initiatives procédurales, l’inaction des juges, pourtant régulièrement saisis, aurait perduré »[112].
En revanche, la faute lourde n’a pas été retenue dans le cas où le juge d’instruction avait provoqué l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une société, décision infirmée quatre ans plus tard, mais alors que les graves anomalies constatées justifiaient la teneur des deux lettres adressées au parquet par le magistrat instructeur dont l’intention de nuire n’était pas établie[113].
En raison des fautes accumulées au cours de l’instruction de l’affaire dite du petit Grégory, assassiné en 1984 dans les Vosges, la responsabilité de l'État a finalement (et heureusement) été retenue en appel[114], alors que le TGI l’avait écartée au motif que le magistrat instructeur n'est pas tenu d'une obligation de résultat dans sa recherche de la vérité[115]. La cour retient que la justice est responsable d’avoir laissé ce crime impuni en raison des erreurs du juge d’instruction et des gendarmes durant l’enquête (35 000 euros ont été accordés à chacun des parents).
On rapprochera de ces affaires ayant donné lieu à reconnaissance officielle de la responsabilité de l'État pour faute d'un juge dans son activité juridictionnelle des décisions, révélées par la grande presse, qui n'étaient pas saisies de ce type de demande, mais qui, dans leurs attendus, révèlent de graves dysfonctionnements pouvant aller jusqu'à l'erreur de droit. Ainsi le président d'une chambre d'accusation a reconnu, dans une ordonnance du 21 décembre 2002, que « l'ordonnance de placement en détention provisoire fondée, pour partie, sur un motif entaché d'inexactitude, ne répond pas aux exigences légales »[116]. Ainsi encore, le tribunal correctionnel de Paris, en prononçant la relaxe d'un ancien ministre, a porté des appréciations sévères sur l'instruction menée par des juges qui avaient contraint ce ministre à la démission et l'avaient renvoyé devant la formation de jugement : « il eût été préférable, avant que d'engager le débat judiciaire public, de s'interroger sur les limites de l'application de la règle de droit »[117].

b) l’affirmation d’un déni de justice du juge d’instruction

La notion de déni de justice est en pleine expansion, ce qui devrait permettre d'échapper à la difficile preuve d'une faute lourde dans bien des cas. Ce fondement est donc appelé à se substituer au précédent, avec le mérite d'objectiver la responsabilité, sans qu'il soit besoin de parler d'une faute qui, même si elle ne vise pas nommément un juge, laisse persister un malaise à cet égard et dissuade certains usagers d'agir en réparation du préjudice causé. Le déni de justice constitue par ailleurs un délit pénal (C. pén., art. 434-7-1 et 434-44).

a) Sens premier du déni de justice 

Dans un sens premier, le déni de justice s'entend (des termes mêmes utilisés dans l'art. 505 de l'anc. C. pr. civ.) du refus de répondre aux requêtes ou du fait de négliger de juger les affaires en l'état de l'être. C'est la paresse du juge qui est ici sanctionnée, la seule visée par l'ancien code. Ainsi commet un déni de justice la juridiction qui retient « qu'il n'est pas possible de choisir l'une des sociétés pour créancière »[118]. Le déni de justice est notamment le cas où le juge (d'instruction) refuse de répondre aux requêtes ou ne procède à aucune diligence pour instruire ou faire juger les affaires en temps utile, le maintien en détention étant manifestement injustifié, et le juge d'instruction ayant agi avec une légèreté qu'un juge normalement avisé et conscient de ses responsabilités n'aurait pas eue ; ce comportement déficient engage la responsabilité de l'État[119].

b) Sens second du déni de justice 
Dans un second sens, totalement exponentiel, on va le constater, le déni de justice, c'est le manquement de l'État à son devoir de protection juridictionnelle. L'idée et l'expression sont de Louis FAVOREU ; la phrase, reprise par de nombreux jugements, est tirée de la thèse de cet auteur, publiée en 1964[120]. Bel exemple d'anticipation sur les évolutions essentielles à la protection des garanties fondamentales. Ce manquement, c'est par exemple un délai anormal d'audiencement. Il faut voir dans cette jurisprudence le symbole d'une justice qui souhaite des réformes par la voie législative et réglementaire, mais qui, si elle ne les obtient pas, peut donner à l'État un signal fort de l'attente des justiciables et le contraindre ainsi à quelques efforts budgétaires. Ne nous y trompons pas : en effet, derrière la satisfaction immédiate donnée au justiciable à l'origine du procès, c'est toute la communauté judiciaire qui est concernée, car condamner l'État pour déni de justice dans le non-respect d'un délai raisonnable dans le prononcé d'un jugement, c'est créer un appel d'air vers d'autres procès de ce type, compte tenu de la longueur des procédures aujourd'hui ; appel d'air qui, s'il devait être suivi d'effet, provoquerait un accroissement de ce type de contentieux, ce qui ne ferait qu'augmenter les charges des tribunaux ! Il y a donc un aspect provocateur dans ce type de jugement, en tout cas le souci de signifier à ceux qui nous gouvernent un « stop », on ne joue plus à évacuer des rôles, alors que, de tous côtés, on est assailli de contentieux et que la justice doit se contenter de bonnes paroles. Le rapprochement doit être fait ici avec le refus du procureur général près la Cour de cassation de prononcer le traditionnel discours de rentrée en 1996, pour les mêmes raisons d'indifférence.
L'autre apport de ces jugements, c'est la conception qu'ils introduisent de la relation du citoyen avec la justice ; la notion de devoir de protection juridictionnelle de l'État, pour n'être pas entièrement nouvelle dans une décision de justice, est ici affirmée avec éclat. La protection juridictionnelle a un bel avenir devant elle, car le concept pourrait être appliqué à d'autres situations, même s'il est vrai que l'infléchissement de la notion de faute lourde par la Cour de cassation le 23 février 2001 (V. supra, A) risque de conduire les justiciables davantage vers cette cause de responsabilité que vers le déni de justice ; on peut aussi penser que deux voies sont largement ouvertes.
L'État ne manque-t-il pas encore à son devoir de protection juridictionnelle lorsqu'il laisse en activité, au moins dans les mêmes fonctions, un magistrat qui a démontré son incompétence dans un type d'activité ?
- Par exemple, devant la commission d'indemnisation pour détention provisoire injustifiée, le procureur général avait relevé à l'encontre d'un juge d'instruction « un manque de diligence dans la conduite de l'information, des insuffisances graves dans la recherche de la vérité, insuffisances qui avaient contraint la chambre d'accusation à ordonner un supplément d'information qui était indispensable, mais qui aurait pu être évité si ce juge d'instruction n'avait pas négligé la piste ouverte par les incohérences des récits de X et les contradictions de ses déclarations ; qu'il apparaît donc qu'il a existé en l'espèce un dysfonctionnement dans le déroulement de l'information, source d'un préjudice indemnisable »[121]. Certes il n'appartenait pas au procureur général près la Cour de cassation, pas plus qu'à la commission d'indemnisation, de statuer sur le sort de ce magistrat ; mais un tel constat de carence et de défaillance n'aurait-il pas dû être communiqué à la Chancellerie pour qu'elle en tire toutes les conséquences sur le plan disciplinaire, au moins sur le maintien de ce juge dans les fonctions de l'instruction, pour protéger les justiciables de son activité jugée déficiente ? En le maintenant « sur le marché » de l'instruction, l'État ne faisait-il pas courir un risque à d'autres justiciables, en les laissant entre les mains d'un juge d'instruction qui avait démontré ses faiblesses à ce poste ? Supposons ensuite que, postérieurement à ce maintien en fonction, ce même juge d'instruction continue à instruire avec autant d'incompétence manifeste ; les justiciables concernés ne seraient-ils pas en droit de reprocher à l'État son manque de protection juridictionnelle ? Sans aller jusqu'à ce que ce même juge maintienne injustement en détention provisoire une autre personne (on peut supposer que le rapport du procureur général lui aura causé quelques troubles et remords !), le fait, par exemple, qu'il renvoie des mis en examen devant le tribunal correctionnel et que ce dernier relaxe ceux-ci au motif de l'inexistence juridique de l'infraction, n'est-il pas, en soi, constitutif d'une faute qui, si elle n'est pas lourde, prouve en tout cas que l'État a manqué à son devoir de protection juridictionnelle, en maintenant l'intéressé en fonction alors qu'il ne connaissait pas assez le droit pénal spécial pour n'avoir pas discerné que l'un des éléments constitutifs de l'infraction n'existait pas (l'accord exprès des sociétaires, en fait l'ordre donné par eux régulièrement réunis en assemblée générale, accord constaté par procès-verbaux non contestés par le juge, mais qui les occulta ; volonté de l'association qui excluait tout abus de confiance à l'égard de l'association, dont l'objet était déterminé par les statuts et par ce vote) ? Ce manquement de l'État à son devoir de protection juridictionnelle concernant ce même juge n'est-il pas encore confirmé et aggravé quand, quelques années plus tard, le temps s'étant écoulé sans changement dans le comportement de ce juge, on apprend qu'une plainte pour faux en écritures publiques a été déposée contre lui et qu'elle a été déclarée recevable[122], même si la Cour de cassation a eu l’occasion de mettre un terme à l’accusation ? Au-delà de ce cas particulier, c'est le problème de la passerelle entre l'instance civile en réparation (ici sur C. proc. pén., art. 149) et les autorités disciplinaires qui est posé (V. infra, III).
- En tout cas, une évolution semble se faire jour avec le jugement du TGI de Paris qui retient le déni de justice (mais uniquement pour le préjudice moral) dans le cas d’un juge d’instruction qui n’avait pas encore vérifié l’alibi du principal accusé, plus de trois ans après les faits ; le tribunal prend soin de relever que « le service public de la justice s’entend d’un ensemble d’actes accomplis dans le cadre de ce service, dont les actes juridictionnels, qui comprennent les actes liés à l’instruction » ; en revanche, « le requérant ne peut obtenir sur ce fondement de l’article L. 781-1, COJ, réparation des infractions pénales, même si les auteurs restent inconnus[123].
- Dans l’affaire de la princesse Diana, la cour de Paris a retenu, non seulement la faute lourde (v. supra, A), mais aussi le déni de justice : «caractérise le déni de justice, l’inaction injustifiée des juges pendant près de trois ans qui a entraîné un retard dans l’instruction de l’affaire, la reprise de la procédure n’étant, au surplus, due qu’aux initiatives du demandeur, et qui a eu pour conséquence de retarder l’examen de l’affaire par le tribunal, lequel n’interviendra que plus de six ans après le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, ce qui ne constitue pas, en l’espèce, un délai raisonnable »[124]
            Toute cette jurisprudence devrait fortement évoluer sous l’influence de la jurisprudence européenne venue, une fois n’est pas coutume, non pas de Strasbourg, mais de Luxembourg.

ii) le cataclysme de la jurisprudence européenne

                        a) le séisme de l’arrêt köbler du 30 septembre 2003 engageant la responsabilité de l’état pour violation du droit communautaire par une juridiction suprême

La Cour de justice des Communautés européennes a eu l’occasion de préciser que la violation manifeste du droit communautaire par une juridiction nationale statuant en dernier ressort est de nature à obliger l’Etat membre à réparer les dommages causés aux particuliers : « il convient de répondre aux première et deuxième questions que le principe selon lequel les Etats membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est également applicable lorsque la violation en cause découle d’une décision statuant en dernier ressort, dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité directe entre cette violation et le préjudice subi par les personnes lésées. Afin de déterminer si la violation est suffisamment caractérisée lorsque la violation en cause découle d’une telle décision, le juge national compétent doit, en tenant compte de la spécificité de la fonction juridictionnelle, rechercher si cette violation présente un caractère manifeste. C’est à l’ordre juridique de chaque Etat membre qu’il appartient de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges relatifs à ladite réparation » ; en l’espèce, il fut jugé que la juridiction administrative suprême d’Autriche avait violé le droit communautaire (point 119 de l’arrêt), mais que cette violation (la lecture erronée d’un arrêt de la CJCE, point 123) n’était pas manifeste (point 124)[125]. Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence bien établie de la Cour de justice, qui admet le principe de la responsabilité de l’Etat membre en cas de violation du droit communautaire[126], mais avec l’apport considérable de poser que le principe ne cède pas devant celui de l’autorité de la chose jugée par une juridiction nationale. Cette jurisprudence, audacieuse au regard du droit positif français, devrait concerner le cas où la juridiction du dernier ressort méconnaît purement et simplement l’existence et le contenu d’une norme communautaire, parce que le juge national est, ne l’oublions pas, juge du droit communautaire[127]. Faut-il aller plus loin et assimiler à cette hypothèse celle de la méconnaissance d’une jurisprudence constante de la Cour de justice ? On se gardera d’aller aussi loin, car ce serait empêcher toute évolution jurisprudentielle et transformer la Cour de justice en « caporal » de l’application du droit communautaire : à tout le moins, il faudrait exiger dans ce cas que la jurisprudence de la CJCE soit stable et confirmée depuis longtemps et moduler la solution en distinguant selon que la jurisprudence concerne une règle de procédure (exigence de respect plus forte, par exemple pour les droits de la défense) ou une règle de droit substantiel. La Cour de justice, sentant le risque d’une conception trop large de la responsabilité de l’Etat, a balisé l’appréciation de la violation manifeste du droit communautaire en posant comme critères de violation caractérisée de ce droit, « le degré de clarté et de précision de la règle violée, le caractère délibéré de la violation, le caractère inexcusable ou inexcusable de l’erreur de droit » (§ 55). En tout cas, c’est bien un véritable séisme que provoque l’arrêt du 30 septembre 2003 ; il oblige à revoir la question de la responsabilité de l’Etat français pour l’activité juridictionnelle de ses juges.

b) le paysage revisité de la responsabilité de l’état français pour faute dans l’activité juridictionnelle de ses juges
 
L’arrêt Köbler du 30 septembre 2003 oblige à reconsidérer la question dans la mesure où l’Etat français, qui n’était pas directement concerné par l’affaire Köbler, était intervenu à l’instance en développant l’argument que reconnaître la responsabilité de l’Etat pour violation du droit communautaire par un acte juridictionnel conduisait à remettre en cause l’autorité de la chose jugée des décisions de justice. La Cour de justice ne s’est pas arrêtée à cet argument, qu’elle balaye ainsi : « une procédure visant à engager la responsabilité de l’Etat n’a pas le même objet et n’implique pas nécessairement les mêmes parties que la procédure ayant donné lieu à la décision ayant acquis l’autorité de la chose définitivement jugée. En effet, le requérant dans l’action en responsabilité contre l’Etat obtient, en cas de succès, la condamnation de celui-ci à réparer le dommage subi, mais pas nécessairement la remise en cause de l’autorité de la chose définitivement jugée de la décision juridictionnelle ayant causé le dommage. En tout état de cause le principe de la responsabilité de l’Etat inhérent à l’ordre juridique communautaire exige une telle réparation, mais non la révision de la décision juridictionnelle ayant causé le dommage » (point 39) ; la Cour de justice condamne, de fait, la jurisprudence administrative Darmont et se rallie ici à une conception orthodoxe de l’autorité de la chose jugée, alors que pour apprécier l’autorité de ses propres arrêts, elle s’échappe aisément du cadre de l’identité d’objet, de cause et de parties….[128] ; vérité dans un cas, erreur dans un autre !
            La France soutenait aussi que la solution finalement retenue par la Cour de justice, pouvait remettre en cause l’indépendance de la justice ; la Cour répond que « le principe de responsabilité visé concerne non la responsabilité personnelle du juge, mais celle de l’Etat. Or, il n’apparaît pas que la possibilité de voir engagée, sous certaines conditions, la responsabilité personnelle de l’Etat pour des décisions juridictionnelles contraires au droit communautaire comporte des risques particuliers de remise en cause de l’indépendance d’une juridiction statuant en dernier ressort » (point 42) ; la réponse est un peu légère, car une fois engagée et retenue la responsabilité de l’Etat, ce dernier a la possibilité (toute théorique il est vrai) d’exercer une action récursoire contre le juge, voire une procédure disciplinaire ; mais il est non moins vrai que le fait que les deux types de responsabilité soient liés ne porte pas pour autant atteinte à l’indépendance de la justice, puisque ce sont d’autres juges qui statueront sur le principe de cette responsabilité et qu’à retenir l’argument de la France sur ce terrain, aucune action en responsabilité ne serait possible ![129] 
            Il n’en demeure pas moins, qu’avec l’arrêt Köbler, ce sont désormais les conditions classiques de la responsabilité qui prévaudront pour apprécier la responsabilité de l’Etat et non pas celles, beaucoup plus restrictives, du droit national français qui répugnait, malgré quelques décisions contraires que nous venons d’indiquer, de retenir la faute (lourde) dans l’activité juridictionnelle. Et comment expliquer au justiciable agissant en France contre l’Etat français qu’il est soumis à deux régimes de responsabilité selon la violation invoquée, alors même que le droit communautaire est intégré au droit national ? belle illustration de « la métamorphose des pouvoirs du juge national par le droit processuel européen »[130]. La seule porte de sortie permettant de concilier le droit français issu de l’article L. 781-1, COJ avec la jurisprudence européenne est de tenir compte de l’exigence européenne d’une violation « suffisamment caractérisée » du droit communautaire et de l’affirmation de la Cour de justice qu’il y a lieu de tenir compte « de la spécificité de la fonction juridictionnelle, ainsi que des exigences légitime de sécurité juridique », la responsabilité de l’Etat ne pouvant être engagée « que dans le cas exceptionnel où le juge a méconnu de manière manifeste le droit applicable » (point 53). Il n’empêche qu’on voit mal comment le juge français pourrait désormais ne pas tenir compte de cette jurisprudence pour apprécier la responsabilité de l’Etat pour violation, par un juge, du droit national, d’autant plus que la Cour de justice a posé des critères d’appréciation du caractère manifeste de la violation du droit communautaire qui sont tout à fait transposables à la violation du droit national (v. numéro précédent) ; à l’inverse, la nouvelle définition de la faute lourde introduite par l’arrêt Bollé-Laroche du 23 février 2001, ne rejoint-elle pas la notion de « violation suffisamment caractérisée du droit communautaire » de l’arrêt Köbler du 30 septembre 2003 ? Les décisions à venir des juridictions nationales devraient nous éclairer sur le degré de pénétration du droit communautaire et des concepts qu’il véhicule, en droit national. Affaire à suivre donc.

iii) propositions

a) critique du système actuel

Ainsi exposé, ce régime dualiste de responsabilité à l'égard des usagers laisse perplexe[131], car il ne répond plus aux évolutions de notre société où ce qui est exigé des uns (les justiciables potentiels que nous sommes tous) ne l'est pas des autres (les juges)[132]. Certes la jurisprudence interprète largement la notion de faute lourde ou de déni de justice, et la menace d'une condamnation de la France par la Cour européenne de Strasbourg peut jouer un rôle révélateur de nos déficiences, non négligeables ; mais cette jurisprudence est limitée à des cas où aucun magistrat n'était clairement identifié : la conception extensive de la faute lourde ou du déni de justice ne vaut vraiment que lorsque c'est le service en lui-même qui est concerné (exemples du retard dans la délivrance des copies, de la transmission d'un document à la presse, etc.) ; à chaque fois que l'on touche à un juge identifié, on constate un raidissement, surtout si c'est son activité juridictionnelle qui est en cause, en clair son incompétence. Et c'est là que la nouvelle jurisprudence de Strasbourg du 31 janvier 1996 (affaire Fouquet) doit nous faire réfléchir : la faute en question n'était pas purement matérielle, la Cour de cassation elle-même avait commis une erreur dans l'examen du moyen soulevé par le justiciable, certes une erreur de fait, mais une erreur tout de même ! Qui nous dit que demain, pour une juridiction inférieure, la Cour européenne n'acceptera pas de condamner, pour une erreur de droit cette fois ? Déjà la France a été condamnée (dans l'affaire Higgings) pour défaut de motivation d'un arrêt de la Cour de cassation.
Et la question doit être franchement posée, sans acrimonie, sans exagération, mais avec lucidité : est-il encore normal de considérer que les juges sont intouchables dans leur activité juridictionnelle? On ne peut se contenter de répondre que les voies de recours suffisent à réparer les erreurs des juges et que la sacralité de la fonction exercée justifie ce régime d'immunité[133]. D'abord, parce qu'il est des préjudices que l'exercice d'une voie de recours ne réparera jamais (exemples des affaires soumises à la Cour européenne) ; ensuite, parce qu'admettre une certaine forme, une certaine dose de responsabilité personnelle dans l'activité juridictionnelle des juges, c'est aussi faire du préventif, c'est attirer l'attention de tous sur le fait que l'éminence des fonctions exercées débouche sur une vigilance plus grande à l'égard des décisions rendues, de l'examen attentif et objectif des faits sans occultation à une motivation sérieuse, en passant par le respect de toutes les règles de procédure et de fond. On ne peut non plus se contenter de relever de ce que chacun s’accorderait « selon un assez large consensus » « à estimer que l’intérêt général, la sérénité de la justice nécessaire à la sécurité juridique et à la paix sociale justifiaient les conditions restrictives visant à rendre moins fréquentes les actions en responsabilité » (G. Canivet, La responsabilité des juges en France, revue Commentaire, n° 103, automne 203, spéc. p. 641) ; face à des attitudes, à des négligences, telles que nous venons de les décrire, peut-on encore se contenter d’affirmer que « le régime de responsabilité du fait du service public de la justice ne peut être qu’un régime spécifique » (G. CANIVET, ibid.) ? Non, car régime spécifique (dont nous reconnaissons volontiers la légitimité) ne signifie pas irresponsabilité, alors que d’autres professionnels, de la santé par exemple (et singulièrement les chirurgiens), voient leur responsabilité mise en cause et les actions des victimes favorablement accueillies par les tribunaux, sans que l’intérêt général soit moindre (celui de garantir un réel accès aux soins et aux opérations chirurgicales, accès qui ne sera plus garanti si l’on décourage les chirurgiens), sans que la sérénité de l’activité des hôpitaux soit moins importante que celle de l’activité des juges (il est plus courant d’avoir besoin d’un médecin et d’un chirurgien que d’un juge), sans que la paix sociale ne soit pas, là aussi, menacée (quelle paix dans un pays où les chirurgiens refuseraient de pratiquer certaines opérations ?). Déjà des voix autorisées s'élèvent pour poser la question de savoir qui nous protégera de ceux qui nous protègent[134], sous l'angle d'une responsabilité accrue, car « il n'est pas souhaitable que la paresse obstinée d'un juge, son incapacité professionnelle, ses fautes grossières demeurent sans effet, et que le magistrat compétent, sérieux et qui travaille sans relâche, ce que beaucoup font, poursuive la même carrière qu'un autre qui ne fait rien ou qui accumule les manquements aux obligations de son statut, de la loi, de la déontologie »[135]. Déjà la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ouvre une brèche considérable dans la responsabilité du fait de l’activité juridictionnelle des juges pour violation du droit communautaire par une cour suprême (v. supra, II).

b) prospective

En fonction de ces critiques, plusieurs pistes peuvent être explorées, l'une dans la coordination de l'action en indemnisation de la victime et de l'action disciplinaire (a), l'autre dans l'extension de l'indemnisation des victimes à la faute du juge dans son activité juridictionnelle (b). La seconde sera d'autant plus aisément admise que l'indemnisation de la victime sera détachée de toute idée d'exercer une action récursoire sur le juge fautif.

a) Meilleure articulation des régimes de responsabilité, civile et disciplinaire
Le système actuel, il faut bien le dire, n'est pas satisfaisant, même si la jurisprudence en a atténué les inconvénients les plus manifestes par une appréciation bienveillante de la notion de faute lourde ; il semble bien que la notion de faute lourde n'ait pas, en jurisprudence, la même portée selon qu'on peut l'imputer ou non à une personne clairement identifiée ; en ce sens, la jurisprudence tend à rectifier, dans son appréciation de la faute lourde, une mauvaise appréhension du problème par le législateur. En effet, en exigeant une faute lourde pour mettre en jeu la responsabilité de l'État et une faute personnelle du juge pour ouvrir contre lui l'action récursoire de l'État, le législateur entretient la confusion entre la réparation légitimement due à toute victime d'un dommage, y compris d'un préjudice né de l'activité du service de la justice, et la sanction, pécuniaire ou disciplinaire, de l'auteur de ce dommage, ici un juge. Il faut arriver à dissocier les deux fonctions de la responsabilité, une fonction d'indemnisation et une fonction de moralisation[136].

1) Au titre de la réparation, on devrait admettre, au profit des usagers de la justice, une réparation pour rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, de la même façon qu'elle existe aujourd'hui pour les collaborateurs de ce service et pour les tiers. Point n'est besoin de recourir ici à l'exigence d'une faute lourde. La réparation ne saurait s'accommoder de ce type d'exigence qui, en revanche, doit protéger le juge fautif à titre personnel. L'État devrait répondre, en dehors de toute faute lourde, des dommages causés par le service de la justice si ces dommages excèdent, par leur gravité, les charges que supportent normalement les particuliers[137] ; ainsi, on appliquerait ici le principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. C'était le sens d'un projet de loi en discussion au Parlement au printemps 2000.

2) En revanche, au titre de la sanction personnelle de la faute du juge, de la moralisation de l'activité des juges, il faut abandonner l'hypocrisie du système actuel fondé sur l'exercice d'une action récursoire de l'État pour faute personnelle du juge, alors que celle-ci n'est jamais exercée ! Il ne sert à rien de dire que la faute personnelle du juge engage sa responsabilité personnelle si ce n'est jamais le cas en fait. Mieux vaut chercher une autre forme de responsabilité, du côté du disciplinaire. Il faut en effet coordonner les deux types de responsabilité, pour canaliser la vindicte de la victime d'une faute d'un juge. On pourrait déjà admettre largement la passerelle entre les dossiers ayant donné lieu à une condamnation de l'État (soit sur L. 781-1 du code l'organisation judiciaire pour dysfonctionnement du service de la justice, soit sur l'article 149 du C. pr. pén., pour détention provisoire injustifiée) et la procédure disciplinaire par transmission du dossier au Conseil supérieur de la magistrature en vue, éventuellement, d'une poursuite disciplinaire contre le magistrat fautif.
Ainsi, il n'est pas normal que le juge d'instruction à l'encontre duquel il est relevé (cas réel) « un manque de diligence dans la conduite de l'information, des insuffisances graves dans la recherche de la vérité, insuffisances qui avaient contraint la chambre d'accusation à ordonner un supplément d'information qui était indispensable mais qui aurait pu être évité si ce juge d'instruction n'avait pas négligé la piste ouverte par les incohérences des récits de X... et les contradictions de ces déclarations » (révélé par l'hebdomadaire VSD du 27 oct. 1994, non démenti par l'intéressé, supra, I, B), ne soit pas sanctionné disciplinairement. Son maintien en fonction d'instruction est une provocation à l'égard de celui qui a subi vingt-deux mois de détention injustifiée, pour ne percevoir, au final, que quelques milliers de francs. En outre, le maintien ou le renouvellement en fonction n'est-il pas constitutif d'une faute lourde de la part de l'État, pour l'avenir, puisqu'il prend le risque d'un renouvellement de telles défaillances, de la part d'un juge qui a montré son incapacité à instruire correctement et loyalement ? Est-ce que l'État ne manque pas ainsi à son devoir de protection juridictionnelle qu'il doit aux citoyens ? La technique de la passerelle, proposée par un groupe de travail réuni à l'ENM en 1998-1999[138], aurait permis, dans ce cas, d'éclairer les organes compétents sur l'activité de ce juge : « les membres de l'atelier se sont accordés sur la nécessité d'instaurer une passerelle entre responsabilité civile et responsabilité disciplinaire ». Cette pratique aurait été institutionnalisée au sein du tribunal de grande instance de Paris[139].
Il faudrait sans doute ouvrir plus largement la possibilité de déclencher cette forme de responsabilité, au-delà de la mise en détention provisoire injustifiée, chaque fois que l'État est condamné sur le fondement de l'article L. 781-1 du code l'organisation judiciaire, tout en filtrant les demandes pour en éviter les excès, soit par un organisme ad hoc, soit par le Conseil supérieur de la magistrature lui-même. Il ne faut ni déstabiliser les juges par le libre champ donné à une vindicte excessive ni laisser la grogne des victimes monter à un point tel que, demain, des mesures plus draconiennes soient prises contre les juges fautifs ; un juste milieu doit être trouvé entre ces deux exigences, et l'on ne perdra pas de vue que la sanction disciplinaire a, directement ou indirectement, des incidences financières sur la situation patrimoniale du juge fautif ; la suppression de l'action récursoire ne serait donc pas sans conséquences patrimoniales pour lui, mais ces sanctions seraient prises sans la pression d'indemniser la victime qui le serait par l'État.

b) Indemnisation de la victime par l'État pour faute du juge dans son activité juridictionnelle
Il ne s'agit pas de permettre la remise en cause, par une action en indemnisation, de l'autorité de la chose déjà jugée, mais d'accorder aux victimes d'une faute du juge, dans le processus juridictionnel, une juste indemnisation. Plusieurs remarques s'imposent ici :
La première, c'est que l'ancienne prise à partie, celle antérieure à la loi de 1933, constituait à la fois une voie de recours et une demande d'indemnisation ; l'argument, parfois avancé aujourd'hui, qu'il ne faut pas remettre en cause l'autorité de la chose jugée n'est donc pas pertinent. Et la Cour de cassation avait admis la prise à partie pour déni de justice, nonobstant la collégialité, retenant une responsabilité solidaire, le jugement étant réputé être l'œuvre collective des juges qui composent la juridiction[140]. Et quelle autorité reconnaître à une décision reposant sur une faute lourde ?
La deuxième, c'est que la chose jugée, comme l'acte médical ou chirurgical, n'est que l'aboutissement d'un processus qui comporte plusieurs étapes et dont chacune peut être envisagée isolément pour discerner la faute du juge. Comme le cheminement d'une opération chirurgicale ou d'un acte médical, l'acte de juger peut être décomposé en plusieurs phases. Ainsi, serait-il anormal d'indemniser la victime d'une violation, par le juge, du principe du contradictoire ? Ce juge n'a-t-il pas l'obligation procédurale et déontologique de respecter ce principe ? La sanction de la violation de la règle de procédure sera à la fois la remise en cause (éventuellement) de la décision, l'indemnisation de la victime (pour préjudice prouvé) et l'instruction disciplinaire du dossier du juge fautif, dans le cas notamment où ce juge violerait systématiquement le contradictoire, ou, pour sortir de cet exemple, les règles essentielles de procédure (par exemple, le fait de ne pas établir de double d'un dossier d'instruction, contrairement aux prescriptions légales, cas non fantaisiste[141]). La violation d'une norme procédurale établie pourrait, à l'avenir, fonder une action en indemnisation et, éventuellement, dans les cas les plus graves, une action disciplinaire. De la même façon, lorsqu'un médecin commet une erreur de diagnostic et prescrit une mauvaise ordonnance, il engage sa responsabilité ; le juge qui commet une erreur de raisonnement juridique (l'équivalent du diagnostic) et rédige un mauvais jugement (l'équivalent de l'ordonnance) est dans la même situation et la protection liée à la nature juridictionnelle de son activité n'a plus de raison d'être.
La troisième, c'est que la nouvelle définition de la faute lourde donnée par la Cour de cassation le 23 février 2001, en visant la « mission » du service de juge, ne distingue pas selon que cette mission est juridictionnelle ou non.
La quatrième, c'est qu'il faudrait exclure cette responsabilité lorsque, la loi étant obscure ou complexe, le juge est obligé de l'interpréter ; l'interprétation serait exclusive de toute faute dans l'activité juridictionnelle, de la même façon que la dénaturation d'une convention ne peut exister, pour la Cour de cassation, que si la clause interprétée par le juge du fond était claire et précise ; l'ambiguïté est exclusive de toute dénaturation ; elle pourrait l'être de toute faute du juge.


[1]V. La pétition des juges d’instruction de Paris contre « Annulator » : Le Monde 28-29 oct. 2001 ; Le Figaro 29 oct. 2001.
[2]« Indécence », titre de l’éditorial du bâtonnier Teitgen, Bull. Barreau Paris 30 oct. 2001.
[3]Ch. Lazerges, L’inconstance du Parlement, in Mél. D. Lochak, LGDJ, coll. « Dr. et société », 2007, vol. 14, p. 187.
[4]Libération 24-25 déc. 2005, p. 15.
[5]D. Soulez-Larivière : Le Monde 1er déc. 2001 ; Libération 16 janv. 2002. – Le syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale : Le Figaro 8 et 9 déc. 2001.
[6]É. Jaudel : Le Monde 1er déc. 2001. – Ph. Coirre, Le Figaro 22 mai 2002.
[7]Les auditions, telles que rapportées par la presse, sont éloquentes sur ce point de la collusion parquet/juge d’instruction : Libération 22 févr. 2006, p. 15 (F. Aubenas, Les vues convergentes du juge et du regard « extérieur »). – 2 mars 2006 (F. Aubenas, Un juge passe un savon au Parquet : devant la commission d’Outreau : la présidente de la cour d’assises a dénoncé la collusion entre parquet et siège). Dès le 9 février 2006, au lendemain de la première audition du juge par la commission d’enquête parlementaire, le Conseil national des Barreaux dénonçait « la principale faiblesse de l’instruction française : les interlocuteurs valables du juge d’instruction sont ses partenaires de l’accusation ; les avocats, dont les demandes ont été quasi systématiquement rejetées, ne sont tenus que pour quantité négligeable ».
[8]On aura une idée de ces dysfonctionnements en lisant le rapport de la commission d’enquête parlementaire et les comptes rendus établis par la presse, notamment : Le Point 2 févr. 2006, n° 1742, p. 36 (qui relève, chez le juge d’instruction, l’absence d’expérience judiciaire et de la vie, la formation type « sciences po », un passage au parquet qui révèlerait un manque d’indépendance, une détermination « froide et technique » ; mais aussi l’absence de réel contrôle par la chambre de l’instruction). Libération 9 févr. 2006, p. 4, qui relève une pratique systématique de la détention provisoire, une instruction exclusivement à charge, un cadre préétabli dès le premier jour et dont le juge n’aurait pas varié, des techniques d’intimidation, etc. Libération 17 févr. 2006, p. 15, qui relève une obéissance aveugle (E. Poncet : Un cadre obéissant).
[9]Ledit procureur général, Jean-Amédée Lathoud, deviendra procureur général de Versailles, puis directeur de l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice. Il ne sera jamais inquiété en tant que PG de Douai (cf. Le Point 17 févr. 2011, n° 2005, p. 12).
[10]Maintes fois dénoncée. Et encore, dans l’affaire d’Outreau, par le bâtonnier de Paris en exercice Y. Repiquet, Peut-on à la fois être juge et enquêteur ? : Le Figaro magazine 4 févr. 2006, p. 38.
[11]Sur cette affaire, parmi d’innombrables articles, points de vue et livres : A. Garapon et D. Salas, Les nouvelles sorcières de Salem – Leçons d’Outreau, Le Seuil, 2006. – F. Aubenas, La méprise – L’affaire d’Outreau, Le Seuil, 2005. – Dossier de la revue Actualité juridique Pénal, Dalloz, sept. 2006. – Y. Strickler, Après la crise de l’affaire d’Outreau : l’émotion et la procédure pénale : LPA 14 déc. 2006, n° 249, p. 7.
[12]E. Mathias, La marginalisation du juge d’instruction : vers un renouveau du modèle inquisitoire ? : LPA 18 août 2005, p. 3. – J.-P. Jean, Le ministère public entre modèle jacobin et modèle européen : Rev. sc. crim. 2005, 670.
[13]Le Monde 3 févr. 2006.
[14] On notera la similitude des mots utilisés avec ceux qui encadrent la mission des juges d’instruction.
[15] L’expression est de J. Danet, Le procès pénal après la réforme : Rev. sc. crim. 2003, 289 et s., spéc. p. 297.
[16] Cass. crim. 23 nov. 2016, n° 16-81.904.
[17] Cass. crim. 23 nov. 2016, n° 15-83649.
[18]Présentation par la garde des Sceaux : Gaz. Pal. 9 mars 2010.
[19]En ce sens, Y. Mayaud : D. 2010, 773 et in La Croix 31 mars 2010.
[20]Sur cet aspect, M. L. Rassat : JCP 2010, act. 369, qui se livre à un véritable réquisitoire parfaitement motivé contre le projet. – Ph. Conte : D. 2010, 774.
[21]J. Pradel et D. Guérin : D. 2010, 660.
[22]M. Delmas-Marty : Le Monde 6 avr. 2010.
[23] S. Guinchard in Institutions juridictionnelles, Précis Dalloz, 10ème éd. août 2009, n° 126, b-2, p. 184-185 et in S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Lexisnexis/Litec éd., dès la 1ère édition, 2000 et 5ème édition, septembre 2009, n° 86, p. 92, 143, p. 151 et 1593, p. 834. Menaces sur la justice des droits de l’homme et les droits fondamentaux de procédure, Mélanges J. Normand, Dalloz éd., 2003. De l’irresponsabilité des juges d’instruction, pour combien de temps encore ? Mélanges J. Pradel, Cujas éd., 2006, 349.
[24] Par exemple, les célèbres et précurseurs travaux (à maints égards) de la commission « Justice pénale et droits de l’homme » en 1989-1990, publiés à la Documentation française sous le titre La mise en état des affaires pénales, 1991. Mais aussi, moins connu la communication du Doyen André Decocq à l'Académie des sciences morales et politiques, le 3 avril 1995. R. Van Ruymbeck, Il faut supprimer le juge d’instruction, Le Monde, 20 janv. 2006, p. 3.
[25] Le lecteur y verra une allusion cinématograhique au film de Sergio Leone (1968) Once upon a time in the west (il était une fois dans l’ouest).
[26] Sur cette longue histoire, voy., en dernier lieu, C. Duparc, Le rôle du juge d’instruction (1808-2008) Actualité et prospective, in J. Hautebert et S. Soleil [dir.], Modèles français, enjeux politiques et élaboration des grands textes de procédure en Europe, t. 2, actes du colloque d’Angers, 18-19 oct. 2007, EJT, éd., 2008, p. 119.
[27] V. L’instruction des affaires pénales en Europe, étude de législation comparée du Sénat, n° 195, mars 2009, sur le site du Sénat.
[28] Décision n° 96-377 DC, 16 juillet 1996, Perquisitions de nuit : JCP 1996, II, 22709, note Nguyen Van Tuong ; AJDA 1996, 693, note O. Schrameck ; ibid. 1997, 86, note C. Teitgen-Colly et F. Julien-Laferrière ; RFD const. 1996-28, 806, obs. Th. Renoux ; RD publ. 1996, 1245, note F. Luchaire ; D. 1997, 69, note B. Mercuzot ; ibid. 1998, somm. comm., obs. Th. Renoux.
[29] On peut consulter le rapport du président et le texte du projet à la Rev. sc. crim., 1949, p. 433, 617 et 796. – Les discussions sur ce projet devant le Mouvement national judiciaire se trouvent à la Rev. sc. crim. 1949, p. 499 et 1950, p. 98. – Le projet a été commenté par Caleb : Rev. sc. crim. 1952, 19 et dans une thèse de doctorat, Paris, 1952, de Mme Arnal-Donnedieux de Vabres. Enfin, un parallèle très intéressant a été dressé entre ce projet et celui de la commission « Justice et droits de l'homme » par P. Couvrat, in Archives de philosophie du droit, t. 13, Sirey, 1991, p. 67.
[30] V. La pétition des juges d'instruction de Paris contre « Annulator » : Le Monde, 28-29 oct. 2001 ; Le Figaro, 29 oct. 2001.
[31] « Indécence », titre de l'éditorial du Bâtonnier Teitgen, Bulletin du Barreau de Paris, 30 oct. 2001.
[32] Autre clin d’œil cinématographique au film Seven de David Fincher, avec Brad Pitt et Morgan Freeman (1995).
[33] V. par exemple, Eva Joly qui interpelle le Président de la République  au lendemain de son discours du 7 janvier 2009 à la Cour de cassation, par lequel il annonce son souhait de supprimer le juge d’instruction, Monsieur le Président, Le Monde, 16 janvier 2009, p. 19.
[34] En contrepoint, J. Pradel, Tous les péchés du juge d’instruction méritent-ils sa mise à mort ? D. 2009, 438.
[35] La publicité du film Seven, sur la jaquette du DVD, nous dit que ces sept péchés capitaux sont aussi « sept façons de mourir »… L’affirmation est ici transposable.
[36] La Croix, 19 janvier 2001.
[37] Où vont les juges ? de Laurent Greilsamer et Daniel Schneidermann, Fayard éd. janvier 2002.
[38] éric Halphen, L’Est républicain, 7 mars 2002.
[39] Libération, 24-25 déc. 2005, p. 15.
[40] Cf. Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale, Litec, op. cit., n° 100.
[41] Cf. cependant Gilbert Azibert in Où vont les juges, op. cit., qui déclare, page 218, qu’il n’aurait pas signé ce texte.
[42] Le juge Renaud Van Ruymbeke, affaire Clearsteam, Le Figaro, 26 oct. 2007.
[43] Où vont les juges ? op. cit., page 95.
[44] Où vont les juges ? op. cit., p. 101-102.
[45] V. G. Bolard et S. Guinchard, Le juge dans la cité, JCP 2002, I, 137. Il est vrai que, depuis 2002, la tendance s’est un peu inversée, avec de moins en moins d’affaires confiées au pôle financier de Paris : 88 en 2007, 21 nouvelles en 2008, cf. l’enquête de Nathalie Guibert et Alain salles, Le Monde, 24-25 mai 2009, p. 8.
[46] De 182 à 105 personnes, selon M. Badinter, Le Monde 21 janvier 2002.
[47] M.O. Bertella-Geoffroy, in Où vont les juges ? par Greisalmer et Schneiderman, op.cit., p. 23.
[48] V. l'enquête du journal Le Monde, 14 déc. 2001.
[49] Témoignage de P. Lyon-Caen : « La décoration comme l'un des moyens de tenir le magistrat. Et donc sur l'intérêt qu'il y aurait à rendre incompatible l'état de magistrat et l'état de décoré, sauf circonstances très exceptionnelles : acte de courage, actions héroïques à la guerre. J'ai demandé à plusieurs reprises que le magistrat ne puisse recevoir de décorations dans l'exercice de ses fonctions et que cette incompatibilité légale soit inscrite dans le statut de la magistrature », in L. Greisalmer et D. Schneidermann, Les juges parlent, Fayard, 1992, p. 321-322. Note de l’auteur : quelques lignes plus loin, l'intéressé reconnaît avoir accepté la Légion d'honneur, sans l'avoir demandée.
[50] L'Union syndicale des magistrats a préparé une proposition de loi en ce sens, qu'elle a envoyée aux parlementaires, en soulignant que les parlementaires ne peuvent pas bénéficier de décorations pendant l'exercice de leur mandat (ord. 18 nov. 1958), Le Figaro, 25 mars 2005, p. 8 ; Le Monde, 25 mars 2005, p. 10 ; Les Annonces de la Seine, 7 avr. 2005, p. 6.
[51]Gaz. Pal. 26 fév. 2002, obs. Monnet
[52] Sur cette question, notamment l’activité des assistants spécialisés au service du parquet et des juges d’instruction, A. Gallois, Le traitement des affaires procédurales de grande complexité, thèse (dacty.) Paris 1, mai 2008, spéc. n° 662 s.
[53] L'expression est de J. Danet, Le procès pénal après la réforme : Rev. sc. crim. 2003, 289 et s., spéc. p. 297.
[54] Crim. 26 janv. 2000, Bull. n° 41.
[55] Les juges parlent, de L. Greilsamer et D. Schneidermann, Fayard 1992, p. 171-172.
[56] Laurent Greilsamer et Daniel Schneidermann, Les juges parlent, Fayard 1992, p. 57.
[57] Dernier clin d’œil à un autre film de Sergio Leone, 1972 (« explosif et mythique », selon la jaquette du DVD, ce qui est particulièrement adapté à la situation exposée au texte).
[58] Le Figaro, 28 juin 1999, p. 9.
[59] François Guichard, in Les juges parlent, de L. Greiselmer et D. Schneidermann, Fayard, 1992, p. 184.
[60] François Saint-Pierre, Entretien à la Gazette du Palais, 19 mars 2009.
[61] D. Lawday, in New Statesman and society, Londres, rapporté par Courrier international, 7 juillet 1999, p. 13.
[62] V. le livre de maître Michael Mansfield, Presumed Guilty (présumé coupable).
[63] Sur cette affaire, v. le film irlandais de Jim Sheridan, Au nom du père, avec Daniel Day-Lewis, Emma Thompson, John Lynch et Mark Shepard (1993, 128 minutes).
[64] Notamment, S. Guinchard in Précis d’institutions juridictionnelles, op. cit., n° 126, b-2, p. 184 et in Procédure pénale, op. cit., n° 143-b, p. 152-153.
[65] V. entretien avec S. Bonifassi et M. Delhomme, Le phénomène d'attraction du droit américain : Gaz. Pal. 9 déc. 2003. – J. Fr. Kriegk, L'américanisation de la justice, prisme d'un nouvel ordre symbolique en matière pénale ? : Gaz. Pal. 9 avr. 2005, doctr., p. 2.
[66] Par ex. sans prétendre à l'exhaustivité, le feuilleton The law of Los Angeles et les films, Douze hommes en colère de Sidney Lumet (sur le délibéré du jury américain), Music Box (avec la question de l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et la preuve des faits), Le mystère Von Bülow (avec le rôle des professeurs de droit dans la conduite d'un procès), Erin Brockovich (sur la défense des intérêts des particuliers contre une multinationale), Absence of negligence (sur le problème de la preuve), Class action (sur les actions collectives dans un contexte de fraude pénale), Des hommes d'honneur (pour la justice militaire), La firme (pour la déontologie des avocats, ou plutôt, l'absence de déontologie de certains d'entre eux), L'idéaliste (pour l'importance des questions financières dans les procès américains), Peur primale (1995, pour la conduite de la cross examination), Chicago (pour la preuve), Michael Clayton (2007, pour la fonction des cabinets d'avocats auprès des multinationales) etc. Même les réalisateurs français préfèrent parfois filmer des histoires judiciaires américaines plutôt que des histoires françaises, par ex. le documentaire « Soupçons » de Jean-Xavier Lestrade (six épisodes en octobre 2004 sur Canal +). Sur ce phénomène, B. Villez, Séries télé : visions de la justice, PUF, 2005, qui montre l'évolution des séries américaines vers la faillibilité des hommes dans le fonctionnement des institutions, mais sans remise en cause de leur autorité.
[67] C. Guéry, Justice à l'écran : pourquoi l'Amérique ? : Revue Culture Droit, juin-août 2005, p. 74.
[68] Par ex., le célèbre procès du joueur de football américain, O.J. Simpson.
[69] Par ex., A. Garapon et I. Papadopoulos, Juger en Amérique et en France, Odile Jacob, 2003. – V. Magnier, in Droit processuel, Droit commun et droit comparé du procès équitable, Dalloz, janv. 2009 spéc. n° 117 quater sur les spécificités de cette procédure. Sur le système anglais, C. et I. Delicostopoulos, ibid., n° 117 ter.
[70] V. Audrey Guinchard : Rev. sc. crim. 1997, 611. – J. Pradel, Le plaider-coupable des droits américain, italien et français : RID comp. 2005, 473.
[71] H. Dalle, Juges et procureurs : une évolution divergente : Justices 1999-1, nouvelle série, p. 55. Et, en réponse et en critique, L. Cadiet, intervention au colloque sur l'américanisation du droit, juin 2000, Archives de philosophie du droit, 2001.
[72] J. Hilaire, présentation du colloque, organisé à l'automne 1993, par le Centre d'études d'histoire juridique de l'IHEJ, sur Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, LGDJ, coll. Dr. et Soc., 1996.
[73] S. Guinchard in Précis d’institutions juridictionnelles, Dalloz, op. cit., n° 126, b-2, p. 184 et in Procédure pénale, op. cit., n° 143-b, p. 152-153.
[74] Sur cette théorie de la gradation des compétences constitutionnelles de l'autorité judiciaire, V. Th. Renoux, Justices, loc. cit. 1998-10, p. 75.
[75] Communiqué du 2 septembre 2009. Et déjà, François Saint-Pierre, Entretien à la Gazette du Palais, 19 mars 2009.
[76] CEDH, 22 mai 1984, trois arrêts (à propos d'un auditeur militaire en Hollande) : De Jong, Baljet et Van Den Brink c/ Pays-Bas, série A, no 77 ; Van Der Sluijs, Zuiderveld et Kloppe, série A, no 78 ; Duinhof et Duijf, série A, no 79 ; Rev. sc. crim. 1985, 141, obs. L.E. Pettiti ; JDI 1986, 1056, obs. Rolland et Tavernier. – 26 mai 1988, Pauwels c/ Belgique, série A, no 135 (auditeur militaire). – 23 oct. 1990, Huber c/ Suisse, série A, no 188 § 42 et s. (procureur de district). – 26 nov. 1992, Brincat c/ Italie, série A, no 249-A (solution d'autant plus nette que le gouvernement italien avait plaidé le cumul effectif de fonctions comme critère de partialité).
[77] CEDH, 4 juill. 2000, Niebdela c/ Pologne : JCP 2000, I, 291, no 13, obs. Fr. Sudre. Même solution pour la Roumanie, CEDH, 3 juin 2003, Pantea c/ Roumanie, D. 2003, 2268.
[78] Cass. crim., 10 mars 1992 : Bull. 105 (« possède la qualité de magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires le procureur de la République, magistrat de l'ordre judiciaire dont la mission est de veiller à l'application de la loi ; l'article 5, CEDH n'interdit pas à ce magistrat d'ordonner, dans les limites que la loi autorise, la prolongation du maintien de la personne entendue à la disposition des enquêteurs »). – Et, déjà, Cass. crim., 28 janv. 1992 : Bull. 32 (« les dispositions de l'article 77, CPP [sur la garde à vue] ne sont pas incompatibles avec la Convention EDH »).
[79] Commission, avis du 6 déc. 1984, Dobbertin c/ France : DR 39, p. 93.
[80] CEDH, 10 juill. 2008, Medvedyev et alii c/ France, Gaz. Pal. 28 oct. 2008, note G. Poissonnier ;  Procédures, déc. 2008, n° 343, obs. Buisson ; D. 2008, 3055, note P. Hennion-Jacquet (sous l’angle du délai raisonnable pour être présenté à un juge) ; D. 2009, 600, note Renucci ; JCP 2009, Actualités, 200, M.-L. Rassat ; Rev. sc. crim. 2009/1, 176, obs. Marguénaud ; JDI 2009-3, 1003, obs. P. von Muhlendahl.
[81] V. en ce sens la déclaration de M. le Président Degrandi, lors de la rentrée solennelle du TGI de Paris, en janvier 2009, Les Annonces de la Seine, 15 janv. 2009, n° 3, p. 5, spéc. p. 7.
[82] Cass. crim., 6 janv. 1998 : Bull. no 1 ; RGDP 1998, 461, obs. D. Rebut ; Procédures avr. 1998, no 96, obs. Buisson ; D. 1999, 246, note G. Yildrim.
[83] Cass. crim., 20 mars 1996 : Bull. 124 (aff. M. Noir).
[84] Cass. crim., 9 juill. 2003, D. 2004, 22, note D. Mayer.
[85] Le Monde, 3-4 mai 2009, p. 10 et 17-18 mai 2009, p. 15.
[86] Ibid.
[87] Culture Droit, avril-mai 2005, p. 53.
[88] V. en ce sens les déclarations pertinentes de M. le Président Degrandi, lors de la rentrée solennelle du TGI de Paris, en janvier 2009, Les Annonces de la Seine, 15 janv. 2009, n° 3, p. 5, spéc. p. 6, ainsi que les très intéressantes propositions de Madame Mireille Delmas-Marty lors de sa communication devant l’Académie des sciences morales et politiques, le 25 mai 2009, Le Monde, 26 mai 2009, p. 18 et Annonces de la Seine, 4 juin 2009, n° 34, p.2.
[89] Robert Badinter, Le Nouvel Observateur, 27 mai-2 juin 2004, p. 90, qui observe que le Code de procédure pénale permettait de confier l’instruction (délicate) de cette affaire à plusieurs juges d’instruction, qu’il aurait suffi de respecter les principes de notre procédure pénale, tels que ceux de la présomption d’innocence et de la mise en détention exception par rapport au principe de la liberté. Edouard Balladur, Le Monde, 13 juillet 2004, qui propose une décision collégiale de mise en détention (trois magistrats décidant à l’unanimité) et une indemnisation fixée par une « commission nationale indépendante composée de représentants de magistrats, d’avocats, d’universitaires, de parlementaires, de personnalités qualifiées venant d’horizons variés » ; ses décisions pourraient faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
[90] Le Monde, 11-12 juillet 2004, p. 22. Le Point, 8 juillet 2004.
[91] Le Monde, 19 mai 2004.
[92] Le Monde, 20 mai 2004, p. 12.
[93] Le Monde, 25 mai 2004, p. 17.
[94] Le Monde, 21 mai 2004, article d’Alexandre Garcia et Acacio Pereira, p. 9.
[95] Le Monde, 4 septembre 2004, p. 12.
[96] V. Le Figaro, 20 mai 2004, « fiasco de l’instruction ou justice en échec » ; 22 mai 2004, « … un juge en accusation » ; 9 juin 2004, « une instruction uniquement à charge » ; 5 juillet 2004, « le juge voulait instruire seul ». Le Monde, articles précités des 20, 21 et 25 mai 2004, mais aussi du 11 juin. Le Point, 27 mai 2004, p. 62. France-Soir, 16 juillet 2004, « des magistrats à révoquer ».
[97] Sur la dénonciation de cette pratique, Guinchard et Buisson, Procédure pénale, Litec, 2ème éd., 2003, n° 269-1 et 1212. Jean Danet, Le procès pénal après la réforme, Rev. sc. crim. 2003, 289, spéc. p. 297. 
[98] Le Figaro, 27 mai 2004, « les syndicats de magistrats font bloc ».
[99] Sur ce système et ces évolutions, v. Serge Guinchard, Responsabilités du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice, répertoire de procédure civile, 2005.
[100] Cass. 1re civ. 13 oct. 1953, Bull. civ. I, no 224 ; 20 févr. 1996, JCP 1996. I. 3938, no 1, obs. Cadiet, Gaz. Pal. 8 juill. 1997, qui ne retient pas la faute d'un greffe du TGI qui enrôle inconsidérément une assignation délivrée devant le tribunal de commerce, ni du TGI qui statue sans vérifier sa saisine ; CA Paris, 6 sept. 1996, Lebrun c/ Agent judiciaire du Trésor, inédit ; TGI Rennes, 27 nov. 2000, Le Monde, 29 nov. 2000.
[101] Cass. ass. plén. 23 févr. 2001, affaire Bolle-Laroche, Bull. inf. C. cass., 1er avr. 2001, concl. R. de Gouttes et note Mme Collomp ; ibid. Gaz. Pal. 28 juill. 2001, D. 2001. 1752, note Ch. Debbasch, JCP 2001. I. 26, obs. G. Viney ; JCP 2001. II. 10583, note J.-J. Menuret ; AJDA 2001. 788, note S. Petit.
[102] Cass. Civ. 1ère, 20 janvier 1989, Bull. I, n° 13, affaire Saint-Aubin.
[103] CA Paris, 21 juin 1989, affaire Saint-Aubin, Gaz. Pal. 1989. 944, concl. Lupi : la responsabilité ne fut pas retenue en l'espèce, à propos d'une ordonnance de non-lieu et de l'arrêt le confirmant.
[104] CA Paris, 14 juin 1996, Gaz. Pal. 8 oct. 1996, et note.
[105] CA Paris, 6 sept. 1996 ; infra, B.
[106] Cass. 1re civ. 7 janv. 1992, Bull. civ. I, no 5.
[107] Le Monde, 20-21 janvier 2001.
[108] CA Paris 1re ch. A, 29 janv. 1997, Gaz. Pal. 15 mai 1997, et note.
[109] Ibid. ; V. aussi TGI Évry, 24 mai 1993, cité par Wiederkehr, Justices 1997, no 5, p. 13.
[110] CA Paris 1re ch. B, 23 oct. 1998, inédit, RG 1997/07392.
[111] Gaz. Pal. 26 févr. 2002, affaire Jean-Luc Lagardère, note Y. Monnet.
[112] Paris, 28 avril 2003, Annonces de la Seine, 29 mai 2003, p. 20 ; Gaz. Pal. 24 juin 2003, p. 17 ; la cour retient aussi le déni de justice, v. infra, B.
[113] Cass. Civ. 1ère, 17 sept. 2003, Annonces de la Seine, 17 mai 2004, p. 11.
[114] Paris, 28 juin 2004, Le Figaro, 7 juillet 2004 ; Gaz. Pal. 26 août 2004, p.6.
[115] TGI Paris, 20 nov. 2002, aff. Villemin, Annonces de la Seine, 19 déc. 2002, p. 8, et note Serge Petit, p. 16 ; Gaz. Pal. 11 janv. 2003, note J.G.M.
[116] Le Monde, 20-21 janv. 2001.
[117] TGI Paris, 7 nov. 2001, Le Monde, 9 nov. 2001, p. 9.
[118] Cass. com. 11 mai 1999, Gaz. Pal. 21 déc. 1999, somm., obs. Perdriau.
[119] CA Paris, 1re ch. B, 6 sept. 1996, Gaz. Pal. 8 oct. 1996.
[120] Du déni de justice en droit public français, LGDJ, p. 534.
[121] Rapporté par l'hebdomadaire VSD le 27 oct. 1994 et non démenti ensuite par l'intéressé qui n'a pas poursuivi le journaliste en diffamation.
[122] Le Monde, 16 nov. 2002, p. 11.
[123] TGI Paris, 22 janvier 2003, Gaz. Pal. 10 mai 2003, p. 8.
[124] Paris, 28 avril 2003, Annonces de la Seine, 29 mai 2003, p. 20 ; Gaz. Pal. 24 juin 2003, p. 17.
[125] CJCE, 30 sept. 2003, Köbler c/ République d’Autriche, aff. C-224/01, § 59, JCP 2003, éd. Adm. et collectivités territoriales, p. 1943, note O. Dubos ; Procédures, nov. 2003, n° 240, obs. C. Nourissat ; Europe, nov. 2003, chron. D. Simon, p. 3 ; AJDA 2003, 2146, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; ibid. 2004, étude J. COURTIAL, p. 423, spéc. 427 et s. ; Gaz. Pal. 4 mars 2004, chron. I. Pingel ; V. aussi les conclusions Ph. Léger sur l’arrêt, Procédures 2003, n° 170.
[126] Arrêt Francovich, 19 nov. 1991, aff. C-6/90 et 9/90, Rec. p. I-5405 ; AJDA 1992, 143, note P. Le Mire. – Arrêt Brasserie du Pêcheur et alii, 5 mars 1996, aff. C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029 ; chron. Chavrier, Honorat et de Bergues, AJDA, 1997, 342 ; D. Simon, AJDA 1996, 489.
[127] V. Ioannis Delicostopoulos, Le procès civil à l’épreuve du droit processuel européen, LGDJ, 2003, préface, Serge Guinchard, n° 305 et s.
[128] V. Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, L’autorité des décisions de justice constitutionnelle et européennes sur le juge administratif français, LGDJ, 1998.
[129] Sur le rapport entre la fonction juridictionnelle et l’autorité, l’indépendance et la responsabilité, v. D. SABOURAULT, in Justice et responsabilité de l’Etat, sous la direction de M. Deguergue, op. cit., PUF, 2003, p. 172.
[130] Ioannis Delicostopoulos, Le procès civil à l’épreuve du droit processuel européen, LGDJ, 2003, préface Serge Guinchard, p. 241 et s.
[131] D. LUDET, Pouvoirs, 1995, no 74, p. 119.
[132] V. par ex. Cass. crim. 11 oct. 1995, qui n'accepte pas que l'erreur de droit d'un avoué exonère de sa responsabilité pénale le client, au titre de l'erreur de droit de l'art. 122-3 du C. pén.
[133] P. DRAI, Discours de rentrée, audience solennelle de la Cour de cassation, 12 janv. 1996, in La Documentation française, p. 16, Le Figaro, 2 mai 1996, p. 10.
[134] M. CAPPELETTI, in Le pouvoir de juger, 1990, Economica, p. 115), pour demander un réexamen de cette question (J. LAMARQUE, Le procès du procès, in Mélanges Auby, 1992, Dalloz, p. 178 ; J.-D. BREDIN, Qu'est-ce que l'indépendance du juge ?, Justices 1996-3. 161, spéc. p. 165-166 ; V. aussi D. SOULEZ-LARIVIÈRE, De l'impunité des juges, Libération, 26 janv. 1994.
[135] J.-D. BREDIN, loc. cit.
[136] Sur cette distinction, V. notre rapport au XXe colloque des IEJ, Justices 1997, no 5, p. 109.
[137] V. en ce sens aussi, CORNU et FOYER, Procédure civile, PUF, 3e éd. 1996, p. 106.
[138] Rapport de synthèse de Mme Commaret, p. 23.
[139] V. Discours de rentrée solennelle de J. Cl. MAGENDIE, 15 janvier 2003, Gaz. Pal. 21 janv. 2003, spéc., p. 34.
[140] Cass. civ. 13 janv. 1914, D. 1916. 1. 94.
[141] TGI Paris, 5 janv. 2000, D. 2000, IR 45.

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