mardi 30 mai 2017

BELLES PAGES 9: LES PROFESSIONNELS DE LA JUSTICE, VUE PROSPECTIVE

SOMMAIRE
I – L’AVENIR DES PROFESSIONNELS DE LA JUSTICE
II – LE RÔLE DES AUXILIAIRES DE JUSTICE DANS UN ÉTAT DE DROIT
III – QUEL HUISSIER DE JUSTICE POUR L’EUROPE
IV – L’HUISSIER DE JUSTICE, UN PASSEUR DE DROIT
V – LE GREFFIER JURIDICTIONNEL
VI – LES REGLES DEONTOLOGIQUES DES PROFESSIONNELS DU DROIT

I – L’AVENIR DES PROFESSIONNELS DE LA JUSTICE
La question de la réforme des professions réglementées
Janvier 2017

a) De la fusion à la pluri-professionnalité élargie par la loi Macron. C'est en 2009 que la fusion des avocats avec les autres professions du droit n'a plus été acquise, au moins pour ce qui concerne l'absorption des notaires par les avocats[1]. En effet, une commission réunie à l'instigation du président de la République en juillet 2008 et présidée par Maître Darrois a rendu son rapport le 8 avril 2009 : il y était plus question d'inter-professionnalité dans des structures communes avec d'autres professions, que de fusion. Le maintien de la profession notariale était préconisé ; ses propositions seront indiquées chemin faisant pour chaque profession concernée[2], en observant ici qu'il ne reste que deux autres professions, strictement judiciaires, éventuellement concernées par une fusion avec les avocats, celle des avocats aux Conseils et celle des huissiers de justice, ce qui, pour ces derniers au moins, n'est pas de même nature qu'avec les avoués ou les conseils juridiques ; leur activité dans le domaine de l'exécution n'a pas grand-chose à voir avec l'activité de conseil ou la conduite d'une instance ; lorsque les professions dont le rapprochement est envisagé exercent des métiers totalement différents, l'échec est plus probable que la réussite, on l'a bien vu avec la fusion avortée avec les conseils en propriété industrielle, que préconisait pourtant la commission Darrois.
C'est sur cette ligne d'une pluri-professionnalité très large que s'est positionnée la loi Macron, dont l'article 65 (validé par le Conseil constitutionnel[3]) autorise le Gouvernement à faciliter, par ordonnance la création de sociétés d'exercice en commun de plusieurs professions du droit, du conseil en propriété industrielle et d'expert-comptable[4] ; la loi intègre les experts-comptables dans ce type de sociétés (ce sont les grands gagnants de la pluri-professionnalité et… du droit[5]), leur permettant d’exercer en commun avec les avocats, les avocats aux conseils, les commissaires-priseurs judiciaires, les huissier de justice, les notaires, les administrateurs judiciaires et les conseils en propriété industrielle ; les commissaires aux comptes en sont exclus, ce qui implique, pour les experts-comptables qui sont aussi commissaires aux comptes, d’exercer cette dernière activité dans une structure dédiée, séparée de la société interprofessionnelle d’exercice (SPE) qu’ils intègreront. L’ordonnance n° 2016-394 du 31 mars fixe les modalités de ces structures[6] ; pour l’essentiel : toutes les formes sociales sont autorisées, à l’exception de celles qui confèrent la qualité de commerçants à leurs associés ; l’objet social pourra inclure l’exercice de toute activité commerciale, à la double condition qu’il le soit à titre accessoire et ne soit pas interdit à l’une des professions exercées (pour l’heure, seuls les experts-comptables peuvent pratiquer une activité commerciale, ce qui limite singulièrement la portée de la réforme ; la participation au capital est encadrée, le capital et les droits de vote sont détenus, directement ou pas, par des personnes exerçant l’une des professions exercées en commun au sein de la société ou légalement établies dans un État membre de l’UE. Tous les professionnels de la structure devront s’informer mutuellement des liens d’intérêts susceptibles d’affecter leur exercice, mais l’indépendance de l’exercice professionnel et la préservation de la déontologie de chacun sont renvoyées…  aux statuts !

b) Les points sensibles de l'avenir des professions judiciaires et juridiques réglementées.

1) Les problèmes qui se posent aux professions juridiques et judiciaires réglementées[7], sont tout à la fois de relever le défi de la mondialisation, mais surtout celui, qui n'en est qu'une variante, de la concurrence avec les professionnels européens du droit[8] ; de gérer, avec toutes les professions judiciaires et les universitaires, la place du droit romano-germanique dans cette mondialisation, notamment par rapport aux rapports annuels de la Banque mondiale, Doing business ; de maintenir la possibilité pour les plus démunis (et cela vise les classes moyennes) d'accéder au droit et à un juge dans des conditions d'égalité des armes avec l'adversaire (par ex., le problème de la TVA non récupérable par les particuliers) ; de ne pas apparaître comme des privilégiés arc-boutés sur leurs tarifs, ni comme des repères d'activités illégales, tout en préservant le sanctuaire de la confiance absolue avec les clients (problème de la réponse à donner quant à la directive européenne sur le blanchiment d'argent pour les avocats et pour les autres professions) ; d'étendre ou non le périmètre du droit aux juristes d'entreprise[9] ; de maintenir une qualité de prestations ; de s’investir dans le numérique pour leurs relations avec leurs clients, etc.[10] Sans parler de la question d'un numerus clausus ou non à l'entrée dans la profession d'avocat.

2) Les intérêts à concilier sont considérables : d'un côté, assurer la sécurité juridique des actes et maintenir un accès au droit et à la justice sans obstacles financiers ou juridiques insurmontables, ce que l'actuelle organisation de ces professions est censée assurer grâce à leur diversité et à la délégation de mission de service public que l'état accorde à la plupart d'entre elles[11] ; de l'autre, tenir compte des directives services et qualification professionnelle de l'UE pour attraire ou non toutes ces professions au droit des libertés économiques de l'UE (libre circulation et droit d'établissement) et au droit de la concurrence[12] ; le droit de l'UE est ici prégnant et la Commission européenne exerce une pression constante[13] : il est significatif de constater que c'est une directive de l'UE qui donne une définition des professions réglementées, la seule que nous ayons trouvée : « activité ou ensemble d'activités dont l'accès, l'exercice ou une des modalités d'exercice est subordonné directement ou indirectement, en vertu des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées ; l'utilisation d'un titre professionnel limitée par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, aux détenteurs d'une qualification professionnelle donnée constitue notamment une modalité d'exercice »[14].

3) L'aspect économique. C'est sous cet angle économique, d'un moindre coût pour l'usager et d'une contribution de ces professions au développement économique (notamment par la création d'emplois) que plusieurs institutions ont été saisies de ces questions, en amont ou concomitamment ou en aval de l’examen du projet de loi du ministre des Finances, M. Macron :
- Ce fut d'abord l'épisode du rapport de l'Inspection générale des finances de l'été 2014, tenu secret, puis rendu public le 23 septembre 2014[15], sans doute pour préparer les esprits aux profondes évolutions envisagées par Bercy !
- Ce fut ensuite la saisine de l'Autorité de la concurrence par Bercy le 18 juin 2014, pour qu'elle donne son avis sur 2 questions : quelle ligne de partage entre les activités qui relèvent de missions de service public et celles qui participent d'une logique économique ? Quels objectifs et quelles méthodes pour fixer et réviser les tarifs de ces professions ? Mais poser de telles questions à cette Autorité, n'était-ce pas déjà prendre parti sur la qualification des activités de ces professions ? N'était-ce pas considérer que les usagers du droit et du service public de la Justice sont d'abord des clients de ces professions, qu'il faut donc les ouvrir largement à la concurrence ? L'avis a été rendu le 9 janvier 2015[16] : concernant la tarification, l'Autorité est favorable aux dispositions du projet de loi « croissance et activité » qui prévoient de nouvelles modalités de détermination des tarifs des officiers publics ministériels, des administrateurs et des mandataires judiciaires, de sorte que « soit mieux pris en compte le coût des prestations des professionnels et que soit mieux assurée la transparence nécessaire des modalités de fixation des tarifs ». Elle recommande une « liberté d'installation régulée » pour les notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires, de permettre aux professionnels exerçant la profession constituant l'objet social de la SEL en dehors de celle-ci ou une autre profession juridique et judiciaire de détenir l'intégralité du capital et des droits de vote de la SEL et de permettre aux experts-comptables de détenir jusqu'à 49 % du capital et des droits de vote de la SEL, et moins d'un tiers des droits de vote.
- Ce fut enfin le projet du ministre des Finances (M. Macron), « croissance et activité »[17], projet qui a immédiatement provoqué l'opposition plus ou moins violente de la plupart des professions concernées[18], les plus extrêmes réserves de la ministre de la Justice et un débat parlementaire houleux avec l’utilisation du « 49-3’ de la constitution, mais qui est tout de même devenu la loi n° 2015-990 du 6 août[19], dont la plupart des dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel[20] et qui a été suivie de très nombreux décrets d’application, ainsi qu’il sera dit en chemin.
- En parallèle, une mission d'information de l'Assemblée nationale a été mise en place à l'automne 2014 et a rendu son rapport en décembre[21], éclairée par le rapport du député Richard Ferrand remis à la garde des Sceaux le 4 novembre 2014.

4) Les principales mesures adoptées. Sont définitivement actés dans la loi Macron précitée :
- pour l'ensemble des professions, l'ouverture, plus ou moins large, des capitaux des sociétés d'exercice libéral à d'autres professionnels, la mise en œuvre se faisant par ordonnances (art. 65, disposition validée par le Conseil constitutionnel).
- Pour sept professions (administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers de tribunaux de commerce, huissiers de justice, notaires et avocats pour leurs émoluments tarifés), les tarifs réglementés applicables à leurs prestations (art. 50-I, in C. com., art. L. 444-1 à L. 444-7 et modifications d'articles de ce code, disposition validée par le Conseil constitutionnel), seront revus par l'Autorité de la concurrence selon un principe de correspondance avec les coûts, et arrêtés par les ministres de la Justice et de l'Économie. Le dispositif du « corridor tarifaire » qui avait été introduit aux termes des travaux d'une commission spéciale de l'Assemble nationale a été abandonné et remplacé par un système d'encadrement des remises. Les tarifs proportionnels des transactions de moyenne importance pourront donner lieu à des remises. Ces tarifs seront déterminés précisément par voie réglementaire. Ils seront révisés au moins tous les cinq ans par arrêté conjoint des ministres de la justice et de l'économie. Selon le ministre de l'économie, deux effets sur les prix sont escomptés de cette réforme : une révision générale qui conduira à des baisses et des remises possibles. Enfin, un fonds de péréquation entre professions sera créé afin de favoriser une solidarité interne aux professions et entre les professions du droit. Ce fonds pourra également participer au financement de l'accès au droit et à la justice (sur cet aspect. Les modalités d'applications de ces dispositions seront prises par décret, après avis de l'Autorité de la concurrence (C. com., nouvel art. L. 444-7, créé par l’article 50-I, § 1° de la loi Macron). Décret d’application n° 2016-230 du 26 février[22] et arrêtés propres à chaque profession dans le chapitre qui leur est consacré.
- Pour trois professions (commissaires-priseurs judiciaires, huissiers de justice et notaires), article 52 de la loi Macron, la quasi-suppression des charges sans indemnisation automatique des actuels titulaires, en instaurant une liberté régulée d'installation des nouveaux arrivants (disposition validée par le Conseil, à l’exception du § IV, ce qui remet en cause le droit de présentation d'un successeur.
- Pour deux professions (huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires), la fusion en une nouvelle profession de « commissaire de justice » est actée (art. 61-III) ; celle avec les mandataires judiciaires est abandonnée, mais les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires pourront exercer cette profession à titre habituel, sous certaines conditions.
- Pour les avocats, l'extension de la territorialité de la postulation au niveau de la cour d'appel et la suppression du tarif de la postulation, sauf exception ; une convention d'honoraires obligatoire en toutes matières (disposition validée par le Conseil) ; l'ouverture (légèrement) facilitée de bureaux secondaires ; le statut d'avocat salarié en entreprise, un temps envisagé, a été supprimé.

II – LE RÔLE DES AUXILIAIRES DE JUSTICE DANS UN ÉTAT DE DROIT
le rôle des auxiliaires de justice au service des citoyens dans un etat de droit -
expériences francophones comparées en zone asie-pacifique et en france
d’Ho Chi Minh Ville, le 18 novembre 1999
à
 Phnom Penh le 7 octobre 2011

Ce texte (publié en 2013 dans les mélanges offerts à Camille Jauffret-Spinosi) est la mise en forme contractée de deux rapports de synthèse que j’ai eu l’honneur de présenter à Ho Chi Minh Ville le 18 novembre 1999 et à Phnom Penh le 7 octobre 2011, sur le même thème du rôle des auxiliaires de justice au service des citoyens dans un Etat de droit, à l’occasion de deux colloques organisés par la Maison du droit vietnamo-française et l’Organisation internationale de la francophonie. La zone couverte est celle de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique, avec le Cambodge, le Laos, la Thaïlande, le Vietnam et le Vanuatu, le tout comparé à la France. Au-delà de l’intérêt comparatif du thème, la mise en perspective, à douze ans d’intervalle, des évolutions dans chacun des pays étudiés, est significative d’un mouvement vers une sortie progressive (mais très rapide pour le Vietnam) du tout étatique pour une dose de professionnels libéraux, parfois officiers ministériels. On y verra l’effet de la mondialisation, mais aussi de l’influence passée et présente de la France dans ce qui fut l’Indochine française. On y verra aussi et surtout le progrès des idées de protection des droits fondamentaux des citoyens par l’effectivité de leur accès à la justice et au droit et par la garantie de prestations de qualité fournies par les professionnels libéraux, dans le respect de l’état de développement économique et social de chacun des pays étudiés.

                Voici venu le temps de la synthèse de nos travaux, le temps du rapporteur général. C’est toujours un exercice difficile que celui qui consiste à transcrire fidèlement les idées exprimées en plusieurs jours de travail, intense, fructueux, à synthétiser la diversité et la richesse des contributions présentées. Difficulté accrue aujourd’hui par la juxtaposition de plusieurs continents, Asie du Sud-Est, Europe et Pacifique (avec le Vanuatu), voire de systèmes juridiques aux fondements et aux finalités différents.
Aussi, commencerai-je ce rapport de synthèse par trois remarques d’impression générale :
La première impression générale de votre rapporteur c’est que ce choix d’expériences francophones dans les zones Asie du Sud-Est, Pacifique et France a été heureux. Il ne m’appartient pas de dire ici quelles conclusions il faudra en tirer pour l’avenir ; d’autres que moi le feront sans doute, juste après mon intervention, je pense notamment au discours conclusif de son Excellence Sidhra Prom, Secrétaire d’Etat à la justice du Cambodge. Mais je peux affirmer que la méthode des présentations générales suivies par des présentations plus spécifiques à certaines professions a permis de confronter la théorie, les développements conceptuels aux dures réalités de la pratique quotidienne du droit. Le temps a manqué pour tenir des ateliers comme cela avait été fait en 1999 à Ho Chi Minh Ville, mais cela n’a pas obéré l’excellence de nos travaux, car nous avons pu entrer dans le détail des réglementations nationales et c’est par la technique juridique de base que se forgent les concepts. Il me revient précisément de dégager de cette base technique les grandes idées forces du thème traité.
A cet égard, ma deuxième impression générale, au vu des rapports nationaux dont j’ai pu avoir connaissance préalablement à la tenue de ce colloque ou hier dans une présentation verbale, est que des évolutions majeures se sont produites depuis celui tenu sur le même thème à Ho Chi Minh Ville en novembre 1999, sous l’égide, notamment, de la Maison du droit vietnamo-française et pour lequel j’étais (déjà) rapporteur de synthèse: ainsi (par ordre alphabétique), le Cambodge connaît désormais, depuis 2001, le notariat à titre de profession libérale (et 3 notaires ont été nommés) ; la France a supprimé les avoués d’appel avec effet au 1er janvier 2012 par absorption de cette profession dans celle d’avocat et des menaces ont pesé sur d’autres professions dans le rapport de Jacques Attali au Président de la République et dans les conditions d’installation de la Commission Darrois dont j’ai parlé hier dans mon rapport introductif ; le Laos a séparé les fonctions d’agent d’exécution de celles de greffiers depuis une loi du 15 mai 2004, même si toutes les professions judiciaires de cet pays relèvent encore d’un statut étatique ; le Vietnam est sans doute le pays qui a le plus évolué depuis 1999, « dans un objectif de libéralisation de l’activité judiciaire » et « pour répondre aux exigences de l’intégration économique mondiale » nous a-t-on dit : ainsi, les avocats sont en progression quantitative constante, une ordonnance de 2001 (aujourd’hui abrogée) a accru leur champ d’intervention qui n’est plus limité aujourd’hui au contentieux, une loi sur les avocats a été adoptée le 29 juin 2006 pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2007 et la Ligue des avocats vietnamiens est née en mai 2009 ; le notariat est devenu une profession libérale par une loi du 29 novembre 2006 et si les agents d’exécution demeurent massivement des fonctionnaires, une expérimentation d’huissiers de justice libéraux est menée à Ho Chi Minh ville (avec cinq huissiers libéraux en fonction à la date d’octobre 2011). J’y reviendrai au cours de ce rapport de synthèse.
Ma troisième impression générale c’est que, en raison de la richesse des communications nationales présentées, de la diversité des systèmes juridiques étudiés, de la pertinence des questions posées par les participants à ce colloque, il m’est apparu nécessaire, en fin de colloque, de conceptualiser le foisonnement des idées exprimées pour en dégager la substance essentielle, bref de revenir aux notions essentielles distillées dans chacune des contributions nationales et que, peut-être, la forêt très dense de nos travaux, cachait.
C’est sans doute pour cette raison que les organisateurs de ce colloque ont souhaité confier la responsabilité du rapport introductif et de la synthèse à un universitaire rompu au droit comparé, par ses travaux bien sûr, mais surtout pour avoir vécu, enseigné ou participé à l’œuvre législative, en France, au Vietnam et dans un pays africain (le Sénégal de 1975 à 1980). Je vois dans ce choix un double symbole :
- celui de la comparaison loyale et transparente de systèmes juridiques certes différents, mais qui peuvent avoir en commun bien des traits ;
- le symbole du retour permanent à l’Université, au-delà de la diversité des professions juridiques et judiciaires.
Revenir aux concepts essentiels.
Après avoir souligné, dans le rapport introductif, les mouvements de fond qui affectent les différentes professions d’auxiliaires de justice, sous la pression des contraintes économiques et sociales et de la mondialisation (cf. le rapport de la Banque mondiale Doing business), je voudrais marquer les convergences et divergences de nos systèmes juridiques, souligner les difficultés rencontrées de part et d’autre.
Vous voudrez bien m’excuser si les nuances de vos propos, les subtilités de vos interventions ne sont pas toujours fidèlement rendues ; la synthèse dans un temps très court a parfois un effet réducteur.
Le thème traité porte en lui-même deux questions :
- La première question est celle de la notion d’auxiliaire de justice. Cette question ayant été traitée dans le rapport introductif, je n’y reviendrai pas maintenant, sauf à noter qu’au niveau des chiffres, les disparités sont sensibles.
Pour les avocats par exemple et par ordre croissant d’avocats rapportés au nombre d’habitants :
- 1 avocat pour environ 40 000 habitants au Laos (contre 170 000 en 1999) ;
- 1 pour environ 23 000 au Cambodge (contre 77 000 en 1999) ;
- 1 pour 7 000 au Vietnam (si l’on compte les stagiaires à la date de septembre 2011, contre 1 pour 80 000 en 1999, évolution spectaculaire) ;
- 1 pour 1300 en France ;
- et 1 pour 1200 en Thaïlande (contre 1800 en 1999).
De même, 103 notaires au Laos et 418 offices ou études notariales au Vietnam (134 offices publics et 274 études libérales), avec 700 notaires nommés en 4 ans contre 9100 en France (7 500 en 1999).
- La seconde question posée par le thème choisi porte sur le lien entre les auxiliaires de justice et les citoyens, plus exactement sur la nature des services qu’ils sont censés leur apporter.  C’est toute la question de leur rôle. C’est tout le sujet de ce colloque.
Mais derrière la notion de services rendus aux citoyens, se profile la notion d’organisation et de fonctionnement démocratique du service de la justice, voire la notion d’Etat de droit, notions plus porteuses d’idéologie que celle de services rendus.
- A première vue, ce n’est que de manière subsidiaire que les auxiliaires de justice concourent au service de la justice par les services qu’ils rendent aux citoyens, en complément de l’activité des juges. En effet, il revient aux juges, aux membres de l’autorité judiciaire stricto sensu, de garantir l’accès à la justice, de participer à la construction d’un Etat de droit. Et il est vrai qu’on conçoit mal un véritable service de la justice, indépendant et impartial, pour tout dire un Etat de droit, sans autorité judiciaire, sans juges présentant eux-mêmes ces deux qualités.
- A y regarder de plus près, cette première approche n’exclut pas pour autant un rôle plus direct des auxiliaires de justice dans l’organisation et le fonctionnement démocratique du service de la justice, donc dans la construction d’un Etat de droit. Raisonnons par l’absurde : peut-on concevoir un service de la justice sans eux, quel que soit leur statut, fonctionnaire ou professionnel libéral ? Imagine-t-on que nous aurions pu parler pendant un jour et demi du rôle des auxiliaires de justice au service des citoyens, si ces professionnels du droit n’étaient pas indispensables à l’organisation et au fonctionnement du service de la justice ? Les auxiliaires de justice sont indispensables au service de la justice, à son édification. Reste la double question : pourquoi et comment ?
Pourquoi les auxiliaires de justice sont-ils indispensables à l’édification du service de la justice dans un Etat de droit ? La réponse, je crois, peut être trouvée dans l’idée que les auxiliaires de justice sont les garants de l’effectivité des droits des citoyens. Ce sont eux qui, au-delà des garanties formelles reconnues par l’Etat aux citoyens, rendent réels, effectifs, les droits de ces mêmes citoyens. Rien ne sert d’avoir des droits théoriques, même garantis par la Constitution, si l’effectivité n’en est pas assurée. Et le rôle premier des auxiliaires de justice est d’assurer cette effectivité. Leur présence ici en est l’illustration.
Comment les auxiliaires de justice deviennent-ils indispensables à l’édification du service de la justice dans un Etat de droit ? C’est le second aspect du thème. La réponse doit être recherchée dans les garanties qu’offrent les auxiliaires de justice, qu’ils doivent offrir aux citoyens : ils doivent leur offrir des prestations de qualité, grâce à leur compétence et à leur indépendance.
Et c’est pourquoi, j’aborderai successivement :
- dans une première partie, la garantie, par les auxiliaires de justice, de l’effectivité des droits des citoyens ;
- dans une seconde partie, la garantie, par les auxiliaires de justice, de prestations de qualité.

i. la garantie, par les auxiliaires de justice, de l’effectivité des droits des citoyens
C’est une vision plus moderne que celle de Montesquieu dans L’esprit des Lois qu’il faut aujourd’hui adopter et développer : l’Etat de droit ne peut exister si l’effectivité des droits des citoyens n’est pas assurée. Il ne suffit pas, pour qu’un Etat de droit existe, que les droits des citoyens soient garantis formellement par la Constitution, par les textes de lois. Encore faut-il que l’Etat fasse tout ce qui est son pouvoir pour assurer cette effectivité.
Et dans la réalisation de cette effectivité, les auxiliaires de justice ont un rôle essentiel à jouer, chacun selon sa mission qui trouve ici sa légitimité. Tous ont une mission spécifique ; certaines se recoupent, mais comme les pièces d’un puzzle, elles se rassemblent, s’ordonnent autour de deux axes :
- en premier lieu, une mission traditionnelle d’accès à la Justice ; le rôle des auxiliaires de justice est de garantir l’effectivité de l’accès à la Justice (A) ;
- en second lieu, une mission plus récente, plus moderne, d’accès au droit (B). Là encore, les auxiliaires de justice ont un rôle essentiel à jouer dans la garantie de l’effectivité de ce droit.
a) la garantie de l’effectivité de l’accès à la justice
Toutes les professions envisagées lors de ce colloque, ne sont pas concernées, à titre principal, par ce rôle de garant de l’effectivité de droit, pour chaque citoyen, d’accéder à la Justice. On y trouve, naturellement et en première ligne, les avocats et les huissiers de justice, puis les experts et les administrateurs judiciaires et mandataires liquidateurs, même si ceux-ci n’ont pas fait l’objet, à Phnom Penh, de rapports spécifiques (ce qui ne fut pas le cas à Ho Chi Minh Ville en 1999, ces deux activités ou professions étant alors représentées et ayant fait l’objet de tables rondes et de rapports spécifiques). Mais il n’y a pas de hiérarchie entre eux. Chacun va intervenir, à sa place, à sa manière, selon sa mission traditionnelle dans l’un ou l’autre des trois aspects du droit d’accès à la Justice. En effet, selon les évolutions conceptuelles les plus récentes, le droit d’accès à la Justice est un triptyque qui englobe désormais trois aspects : le droit à un juge ; le droit à un bon juge ; le droit à l’exécution de la décision du juge. Pour chacun de ces trois aspects, un ou plusieurs auxiliaires de justice vont intervenir pour en garantir l’effectivité.
a) Le droit effectif à un juge d’abord
Rendre effectif le droit à un juge c’est, pour l’Etat, grâce à l’intervention des auxiliaires de justice qu’il doit protéger et promouvoir, lever tous les obstacles à l’accès des citoyens à la justice. Obstacles matériels, tels que l’excès de formalisme, mais aussi obstacles financiers résultant de l’insuffisance des ressources des parties.
Obstacles matériels.
A ce stade, c’est l’avocat qui joue le rôle le plus important. Et on retrouve toutes ses missions. Par son rôle d’assistance et parfois de représentation, il va rendre effectif l’accès à un juge en levant, pour son client, tous les obstacles matériels d’accès à la Justice. Il accomplira les formalités exigées par la loi pour introduire l’action, pour présenter une défense, etc.. Il plaidera de manière convaincante. Il accédera au dossier ; il l’expliquera à son client. Parfois, il le lui communiquera en entier ou en extraits. La représentation par un auxiliaire de justice doit être obligatoire, car chaque citoyen doit pouvoir bénéficier de l’aide d’un professionnel du droit ; c’est en fait une question financière.
Obstacles financiers.
C’est le système de l’aide juridique et, au pénal, de la commission d’office. L’avocat a ici un rôle essentiel à jouer. Sur ce point, la différence de développement économique entre les Etats étudiés est importante, de même que la différence de statut. Si l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire payé par l’Etat, le coût de sa participation est directement pris en charge par le budget de l’Etat ; si c’est un professionnel libéral, il faut organiser un système d’aide juridique. Il est significatif à cet égard que dans son rapport sur la profession d’avocat au Vietnam, M. Nguyen Van Chien, Vice-Bâtonnier du Barreau de Hanoï, ait insisté, au titre du champ d’activité professionnelle de l’avocat, sur l’implication des avocats dans l’aide juridictionnelle aux plus pauvres, à côté de leur activité contentieuse et de consultation juridique.
b) Le droit effectif à une bonne justice ensuite
Le rôle de l’auxiliaire de justice est ici non moins essentiel. Au fil des ans, la notion de droit à une bonne justice s’est affinée ; elle recouvre plusieurs aspects : la publicité de la justice, l’indépendance et l’impartialité du juge, le délai raisonnable de la procédure engagée. Sur tous ces points, les trois auxiliaires de justice cités ont un rôle actif dans l’effectivité de ce droit.
Les auxiliaires de justice doivent éclairer le juge. L’avocat en assistant et/ou en représentant les parties, en présentant au juge les faits, mais aussi le droit, contribue à une bonne justice. Plus sa compétence est grande, plus son professionnalisme est affirmé, mieux il éclaire le juge. Le bon professionnel du droit, le bon avocat, fait le bon juge et le bon procès. L’expert éclaire le juge en fait, jamais en droit. Il peut s’entourer de l’avis d’un autre technicien ; il recueille les observations des parties.
Les auxiliaires de justice ont aussi un rôle à jouer dans l’accélération ou non des procès. Selon la célérité ou non des diligences de l’avocat ou de l’expert par exemple, le procès avancera plus ou moins vite vers son issue. Le juge leur enjoint des délais. Ils devront les respecter. C’est dans la collaboration des acteurs de la justice que se réalise l’effectivité du droit à un bon juge.
c) Le droit à l’exécution effective de la décision du juge enfin
Chaque justiciable a droit à ce que l’Etat mette tout en œuvre pour assurer l’effectivité de l’exécution des décisions de justice.
- En France, les huissiers de justice ont un rôle essentiel à jouer. Par leur compétence, par leur longue tradition historique, par leur expérience professionnelle acquise sur le terrain, par leur indépendance, par leur délégation de puissance publique, les huissiers de justice assurent, en France, une grande part de l’effectivité de l’exécution des décisions de justice. J’ai cru comprendre que le Vietnam s’orientait vers la reconnaissance du rôle éminent des huissiers de justice libéraux, changement notable depuis 1999. L’autre part est accomplie par le droit des voies d’exécution et la possibilité de recourir à la force publique pour aider l’huissier de justice dans sa mission d’exécution. A défaut de prêter le concours de la force publique, l’Etat doit indemniser le justiciable.
- Dans les autres Etats participants au colloque, ceux qui ne connaissent pas la profession d’huissier de justice mais des agents de l’Etat, le problème est d’assurer la même garantie d’effectivité de l’exécution des décisions de justice, sans cette expérience que je viens de souligner. Et sans la rémunération directe de l’agent d’exécution par l’une des parties, mais par l’Etat.
En conclusion, on constate, par ce tableau rapide du droit traditionnel d’accès à la Justice, que les auxiliaires de justice, qu’ils soient auxiliaires des parties ou auxiliaires du juge, ont un rôle essentiel à jouer pour assurer l’effectivité de cet accès. Ce sont eux qui constituent l’interface entre le citoyen et le juge. Sans eux, l’effectivité du droit d’accéder à un juge ne peut pas être assurée et cela quel que soit le niveau de développement économique atteint dans nos Etats respectifs. Mais au delà de la diversité de ces niveaux de développement, on aperçoit une évolution commune vers une nouvelle mission des auxiliaires de justice dans l’accès au droit et non plus seulement à la justice. Là encore, les auxiliaires de justice ont un rôle à jouer pour garantir l’effectivité de ce droit d’accéder au droit.
b) la garantie d’un accès effectif au droit
Cette garantie est non moins essentielle aux citoyens. Elle se développe dans deux directions, l’une classique, l’autre plus moderne.
a) La garantie traditionnelle
Elle est assurée traditionnellement, dans le domaine du contrat, par les notaires et, parfois, lorsqu’il en existe encore (au Vanuatu par exemple), par les conseils juridiques. Mais les avocats sont aussi des rédacteurs d’actes. Et les huissiers de justice sont concernés par la sécurité de l’information qu’ils doivent délivrer. Ce sont donc quatre professions qui sont ici intéressées, qui ont un rôle à jouer dans l’effectivité de l’accès au droit.
1) Pour la rédaction des actes, les quatre professions interviennent, à des titres divers et à des degrés différents selon nos pays. La présence de l’auxiliaire de justice aux côtés des parties est essentielle.
- S’agissant des notaires, on insistera sur leur rôle éminent dans la vente d’immeuble, notamment avec prêt hypothécaire, même si celle-ci est aujourd’hui, en France, très réglementée, trop complexe et que l’enchevêtrement des réglementations n’est pas le meilleur aspect du modèle français.
- S’agissant des avocats, l’évolution de la France et du Vietnam semble désormais convergente : en France, pour renforcer le rôle des avocats dans la rédaction des actes après l’absorption des conseils juridiques par la loi du 31 décembre 1990, la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 a créé l’acte sous signature d’avocat, c'est-à-dire contresigné par l’avocat de chacune des parties, avocats qui attestent avoir éclairé pleinement leurs clients sur les conséquences juridiques de l’acte ; et si cet acte, n’a pas la valeur d’un acte authentique au regard de la date certaine et de la force exécutoire, il fait pleine foi de l’écriture et de la signature des parties, tant à leur égard qu’envers leurs héritiers ou ayants-cause (art. 66-3-1 à 66-3-3 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971). Le Vietnam, de son côté, a élargi le champ d’activité des avocats dans le domaine des affaires, des investissements et du commerce pour leur permettre de se spécialiser dans l’assistance aux entreprises lors des négociations en vue de signer des contrats ; cette extension nouvelle, à effet au 1er janvier 2007, tranche avec la situation qui prévalait en 1999, lorsque le Vietnam réservait aux conseils juridiques, spécialement créés à cet effet, le droit des contrats et des sociétés ; ceux-ci ont disparu et il ne pouvait guère en aller autrement : comment en effet, accepter, comme c’était le cas jusqu’aux réformes de 2001 et 2006, que les avocats vietnamiens soient exclus de cette activité de conseil, mais que des avocats étrangers puissent assistés les conseils juridiques vietnamiens dans la négociation et la rédaction de ces contrats internationaux ? Situation intenable et qui n’a pas résisté aux coups de boutoir de la mondialisation.
2) Pour la signification des actes. La garantie de l’effectivité de l’accès au droit est assurée par les huissiers de justice en France, les agents d’exécution partout ailleurs, sauf à mentionner la mise en place, à titre expérimental, d’huissiers de justice libéraux au Vietnam, dans la ville d’Ho Chi Minh Ville (cinq à la date d’octobre 2011). C’est ici un fort besoin de sécurité juridique dans l’information qui est ressenti : l’information sécurisée participe de l’effectivité de l’accès au droit. Que serait cette effectivité sans la présence d’un auxiliaire de justice qu’il soit huissier de justice ou agent d’exécution ?
b) La garantie plus moderne de l’accès au droit
L’accès au droit c’est aussi une mission nouvelle que nos Etats entendent confier aux auxiliaires de justice dont le rôle en sort renforcé.
- Pour le Vietnam, parmi les quatre missions assignées aux auxiliaires de justice par l’Etat, deux au moins les situent en marge de la justice, à côté en tout cas. Il s’agit « de la participation des auxiliaires de justice à la réduction des infractions à la loi et des contentieux » et « à l’allégement des charges des juridictions ». J’ai cru retrouver dans ces deux objectifs, notamment le second, le mouvement qui se développe aujourd’hui en France en faveur des modes alternatifs de règlement des conflits (les MARC en français, les ADR pour Alternative dispute resolution en anglais). Le temps de la médiation et de la conciliation est à la mode aujourd’hui en France. Il rejoint les préoccupations vietnamiennes. Au-delà, cette recherche de la conciliation n’est elle pas le retour à une société plus humaine, plus fraternelle ? La convergence est frappante entre ces deux pays.
Ce retour à plus de conciliation et de fraternité dans les relations humaines ne peut se faire sans la présence des auxiliaires de justice. Le retour à la conciliation et le recours aux MARC, ne doit pas constituer une régression du Droit : le Droit suppose, même dans une procédure de médiation/conciliation, que les droits des parties soient garantis, que l’effectivité de leur accès au Droit soit assurée. A cet égard, seule la présence des auxiliaires de justice peut garantir cette effectivité ; c’est sans doute pour cette raison que les huissiers de justice viennent de se voir reconnaître la possibilité d’être médiateurs par un décret n° 2011- 1173 du 23 septembre 2011. Toute évolution vers des modes de résolution des conflits sans la présence des auxiliaires de justice serait une régression. Avec le Doyen Carbonnier, je crois profondément que l’accès au Droit n’est pas seulement « un baiser de paix » ; c’est aussi savoir peser les arguments de chacun dans la balance de la Justice. A ce titre, il apparaît très vite que les MARC ne sont pas, ne doivent pas devenir un substitut à la présence des auxiliaires de justice. La raison en est simple : seuls les auxiliaires de justice offrent aux parties les garanties de prestations de qualité.
ii. la garantie, par les auxiliaires de justice, de prestations de qualité
La présence des auxiliaires de justice aux côtés des parties ne doit pas être illusoire. Pour garantir l’effectivité du double accès à la Justice et au Droit, les auxiliaires de justice doivent présenter des garanties de compétence (A) et d’indépendance (B). C’est par cette double qualité que les auxiliaires de justice peuvent jouer leur rôle dans l’organisation et le fonctionnement démocratique du service de la justice digne d’un Etat de droit. C’est ici que les conceptions différentes des Etats, profession libérale d’un côté, fonctionnaires de l’autre, système mixte parfois, les distinguent le plus, sans pour autant, nous le verrons, s’opposer. Après tout, s’agissant des greffiers, la France connaît les deux systèmes et qui dirait ici que les uns sont plus compétents ou indépendants que les autres ?
a) la garantie de compétence
Elle doit être offerte à trois niveaux.
a) Garantie de compétence dans le recrutement
Un point commun dans le recrutement, au-delà de quelques nuances d’adaptation aux exigences de chaque Etat, concerne la triple exigence de diplôme, de stage et de qualités morales. Et cela, quel que soit le statut de l’auxiliaire de justice, professionnel libéral ou fonctionnaire. Il est vrai que, parfois, le diplôme ne sera pas toujours juridique ; on le comprend pour les experts qui ne sont pas choisis pour leurs qualités juridiques mais leurs qualités de technique professionnelle dans leur secteur d’activité de référence. On le comprend moins pour d’autres professions où l’expérience professionnelle peut remplacer le diplôme. Ce n’est peut-être, à mon sens, qu’une période provisoire, de transition. L’évolution vers des exigences accrues en matière de recrutement des professionnels du droit que sont les auxiliaires de justice, ne peut qu’aller vers un renforcement de l’Etat de droit. Toute l’évolution que chacun de vous a retracée pour le droit de son pays et pour chaque profession étudiée va en ce sens. Ainsi, au Cambodge, depuis une loi de 2008, l’Académie royale des professions judiciaires, école unique pour toutes ces professions, regroupe cinq départements : l’un pour les magistrats (55 élèves en 2011), un autre pour les greffiers, fonctionnaires d’Etat (81 élèves pour la première promotion en 2011), un troisième pour les avocats (46 élèves en 2011), un quatrième pour les huissiers de justice, ici appelés « bailiffs », à consonance anglophone forte (200 élèves inscrits en 2011), enfin un cinquième et dernier pour les notaires, mais non encore ouvert à la date d’octobre 2011.
b) Garantie de compétence dans la formation permanente
L’exigence vaut pour tous les auxiliaires de justice, qu’ils soient fonctionnaires ou professionnels libéraux. La différence de statut n’a pas ici d’impact. La tendance contemporaine commune est au développement de cette exigence de formation continue.
A titre personnel d’ailleurs, mon opinion est qu’il ne faut pas allonger à l’excès la durée de la formation initiale, parce que la formation continue tout au long de la vie professionnelle est et doit être organisée et rendue obligatoire. C’est l’orientation qu’a prise la France avec son extension à toutes les professions judiciaires et juridiques qui ne la connaissaient pas encore, par le décret n° 2011- 1230 du 3 octobre 2011.
c) Sanction de la compétence dans la mise en œuvre de la responsabilité de l’auxiliaire de justice
A cet égard, la différence de statut est fondamentale.
- Si l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire, c’est l’Etat qui assumera les conséquences de ses fautes, de ses manquements aux règles de sa fonction. Avec ou sans action récursoire. Avec ou sans chance de succès.
- Si l’auxiliaire de justice est un professionnel libéral, sa responsabilité civile sera recherchée en justice sur le fondement classique de la faute, du préjudice et du lien de causalité. L’appréciation de la faute s’aggrave en France pour tous les professionnels libéraux, y compris pour les auxiliaires de justice. En réalité, dans le système économique de marché, derrière la responsabilité individuelle, il y a une « socialisation », au sens d’une mutualisation du risque par la technique de l’assurance et par les Caisses de garantie.
Au final, la différence dans la responsabilité civile de l’auxiliaire de justice n’est pas si forte qu’on pourrait le penser, sauf que l’Etat n’a pas à payer pour les fautes des auxiliaires de justice libéraux.
b) la garantie d’indépendance
            Si l’impartialité est une vertu, l’indépendance est un statut.
A priori, on pourrait donc penser que l’indépendance est moins assurée dans le cadre du fonctionnariat que dans celui de l’exercice libéral d’une profession. Il faut se garder d’une vision trop simpliste des choses. Les magistrats et les professeurs d’Université sont des fonctionnaires en France ; qui oserait prétendre qu’ils ne sont pas indépendants ? Tout dépend des garanties statutaires dont ils peuvent bénéficier et des organes de contrôle mis en place.
En réalité, c’est ailleurs que dans le seul statut qu’il faut rechercher les garanties d’indépendance des auxiliaires de justice. C’est à la fois dans les exigences déontologiques individuelles et dans les garanties collectives de structure, organiques.
a) Les exigences déontologiques
Ces exigences individuelles doivent être fortes, portées au plus haut niveau. Nous avons pu entendre que c’était le cas dans nos pays respectifs avec l’interdiction du cumul d’activité, qu’on soit auxiliaire de justice professionnel libéral ou fonctionnaire. Certes, il y a des exceptions, mais le principe doit rester la règle du non-cumul ; on l’a bien entendu hier avec le débat très vif, qui s’est engagé, pour le Cambodge, avec un avocat-notaire. La raison en est, notamment, d’éviter les conflits d’intérêts.
C’est aussi, toujours à titre individuel, la réglementation des conflits d’intérêts. L’auxiliaire de justice ne peut s’occuper, en même temps, et parfois successivement dans le temps, des intérêts opposés de deux clients.
C’est encore la règle du libre choix par les parties de leur auxiliaire de justice.
C’est enfin, la liberté de parole de l’auxiliaire de justice et le respect de son secret professionnel par les tiers.
Pour toutes ces garanties individuelles, le rôle des codes de déontologie est essentiel. Ces codes et règlements seront bien souvent l’œuvre des organes collectifs de la profession concernée, ce qui implique, une garantie collective de leur indépendance. Et j’ai relevé que lorsque ces codes n’existaient pas encore pour une profession, l’Etat concerné s’engageait dans la voie de leur élaboration ; ainsi pour la toute jeune profession notariale libérale au Vietnam, un code de déontologie est en cours d’élaboration. Il en est de même en France pour la profession d’huissiers de justice.
b) La garantie collective d’indépendance
Cette garantie ne peut pas être la même selon le statut de l’auxiliaire de justice. C’est ici que s’opposent le plus fortement le statut libéral et celui de fonctionnaire. Les premiers ont créé des ordres, des chambres, des compagnies (France), voire des Ligues (Vietnam). Peu importe le nom, l’essentiel c’est qu’ils s’auto-gèrent. Ils sont à la fois le glaive et le bouclier des auxiliaires de justice :
- le glaive lorsqu’ils sanctionnent leurs membres pour leurs manquements aux exigences déontologiques de leur profession ;
- le bouclier lorsqu’ils protègent leurs membres contre les velléités d’intervention, de pression des tiers sur l’exercice des missions qui leur sont confiées au bénéfice de leurs clients.
            L’auxiliaire de justice professionnel libéral, parce qu’il participe au service public de la justice, parce qu’il apporte des prestations de qualité, parce que le client lui fait confiance, doit être protégé collectivement par son ordre, son Barreau, etc.., dans l’exercice individuel de sa profession. C’est une exigence forte de l’Etat de droit.
Cette exigence se retrouve lorsque l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire, mais elle prendra d’autres formes : conseil de discipline pour les manquements aux règles du statut ; protection de l’autorité hiérarchique pour les atteintes à son indépendance. Et, au final, protection par l’autorité politique, par le ministre de tutelle.
Tout est question d’esprit, plus que de lois, même s’il est vrai qu’un statut peut favoriser davantage l’indépendance qu’un autre, par la responsabilité professionnelle qu’il exige de celui qui exerce cette fonction.
Xxx
En guise de conclusion,
je dirai que les auxiliaires de justice sont les garants de l’organisation et du fonctionnement démocratique du service de la justice dans un Etat de droit.
Au-delà de ce postulat, tout est question de tradition, d’histoire, de culture, de développement économique et d’organisation sociale. Il n’y a pas de recettes miracles, de solutions prêtes à être importées. Il n’y a que des solutions que chaque pays doit bâtir, lui-même, en s’instruisant des exemples des autres mais en conservant ses racines. L’intérêt d’une étude comparative n’est jamais d’imposer une solution. Il est toujours de s’instruire puis de faire ses choix.
Le droit comparé c’est d’abord le respect de l’autre. A chacun ses choix, ses préférences ; tout est évolutif et nul ne détient la vérité dans les modalités d’application. Il n’y a qu’un principe qui s’impose : la Justice est une valeur universelle, commune à la communauté des Etats et les auxiliaires de justice sont au service de leurs concitoyens, de cette Justice.
En ce sens, l’organisation et le fonctionnement démocratique du service de la justice dans un Etat de droit, ne constituent jamais un acquis définitif. Ils restent un objectif, un idéal à atteindre.
Je pense qu’au cours de nos travaux vous avez tous contribué à le faire progresser et pour cela, ne serait-ce que pour cela, je vous en remercie et vous donne rendez-vous dans 10 ans pour un autre bilan des évolutions qui ne manqueront pas de se produire dans nos pays respectifs. Je suis certain que la vitalité de la Maison du droit vietnamo-française et l’aide de l’Organisation internationale de la Francophonie sauront encore faire merveille et permettront de nous retrouver, avec d’autres, pour constater les progrès accomplis et réfléchir sur le chemin qu’il restera alors à parcourir.

III – QUEL HUISSIER DE JUSTICE POUR L’EUROPE
Rapport de synthèse au colloque international
de l’Union internationale des Huissiers de Justice et officiers judiciaires

Zagreb, 8 et 9 mars 2007

            Nous voilà au terme de nos travaux. Travaux riches et pertinents, parfois animés, toujours empreints de grande curiosité intellectuelle, de cette curiosité qui a permis à l’Europe de se construire, de se retrouver, en attendant d’autres retrouvailles, lorsque l’Union européenne sera encore étendue à d’autres Etats de la zone dite balkanique. Et c’est cette communauté de culture et de destins, malgré les aléas de l’Histoire et les vicissitudes de nos vies, qui fait notre richesse, à nous européens. J’ai eu le sentiment, pendant ces deux jours passés ensemble à travailler sur un sujet de grand intérêt pratique pour les justiciables, que notre diversité nous apportait beaucoup, que nos approches, pas toujours concordantes, favorisaient la compréhension de l’autre, la connaissance des systèmes juridiques qui, pour être tous de droit romano-germanique ou presque, divergent parfois sur la mise en œuvre des grands principes auxquels ils adhèrent.
            La présence de Hautes autorités prouvent, si besoin en était, combien le thème qui a retenu notre attention est important. Permettez-moi ici, en votre nom, de les remercier toutes et tous :
Merci à Madame Ana Lovrin, Ministre de la Justice de Croatie, à Monsieur Branko Hrvatin, Président de la Cour suprême de Croatie et à Monsieur François Saint-Paul, Ambassadeur de France en Croatie, de nous avoir manifesté leur intérêt et leur soutien, en participant à l’ouverture de nos travaux.
Merci à Jacques Isnard, Président de l’Union internationale des Huissiers de Justice et Officiers judiciaires, à Léo Netten, Premier vice-président, aux vice-présidents Roger Dujardin et Adrian Stoïca, pour avoir eu l’idée de ce colloque et l’avoir bâti autour de thèmes forts et pertinents.
            Merci à Mathieu Chardon, Premier Secrétaire de la même Union internationale, à Bernard Menut, Secrétaire de cet organisme, à ses deux membres questeurs, Marc Schmitz et Jos Uitdehaag, pour avoir mis en œuvre le thème retenu.
            Merci spécialement à tous ceux qui ont accepté d’être modérateur ou intervenants et d’assurer ainsi le succès de cette réunion :  les Présidents Hans Eckhart Gallo (Allemagne), Francis Guépin (France), Tatjana Krivec (Slovénie), Juraj Podkonicky (République tchèque) et Levente Zoltan (Hongrie) ; le Professeur Alan Uzelac (Croatie) ; les Professionnels du droit et experts que sont Madame Françoise Andrieux (France), Anton Lojowski (Autriche), Lorenço Christain Ruiz Martinez (Espagne) et Stephan Mross (Allemagne).
           
            Sept thèmes, sans compter les perspectives d’avenir tracées par Roger Dujardin, ont retenu notre attention, ont formé la colonne vertébrale de notre colloque : « la nécessité d’un huissier de justice européen », « une diversité de statuts pour l’émergence de standards communs », « la formation de l’huissier de justice », « l’évolution de la profession d’huissier de justice en Europe », « la profession d’huissier de justice dans la zone balkanique », « le juge dans les procédures d’exécution » et « l’huissier de justice, élément essentiel de l’Etat de droit ». Et il me revient d’essayer de synthétiser tous ces thèmes, toutes ces approches, pour en tirer la quintessence,
           
Comme toujours dans ce genre de situations, le vertige vous prend, la peur, sans doute, de vous trahir, de ne pas exprimer ici la richesse de votre pensée et les nuances de vos opinions. Mais c’est la loi du genre, et je m’y soumets bien volontiers puisque je ne suis pas venu à Zagreb contraint et forcé, mais avec le réel plaisir intellectuel de découvrir, d’apprendre et de vous faire part de mes conclusions et de quelques certitudes. Après tout, le thème du colloque était posé sous la forme interrogative : « quel huissier de justice pour l’Europe ? »
Comment répondre à cette question ? Je vais vous donner tout de suite, sans entretenir un suspens de mauvais aloi, la clef d’entrée dans ma réponse, dans ma synthèse : en raison de la richesse des communications nationales présentées, de la diversité des systèmes juridiques étudiés (onze Etats : Allemagne, Autriche, Belgique Croatie, Espagne, France, Hongrie, Pays-Bas, République tchèque, Roumanie, Slovénie), de la pertinence des questions posées par les intervenants au cours de nos tables rondes, il m’est apparu nécessaire, en fin de colloque, de conceptualiser le foisonnement des idées exprimées pour en dégager la substance essentielle, bref de revenir aux notions fondamentales distillées dans chacune des contributions nationales et que, peut-être, la forêt très dense de nos travaux, cachait. Vous voudrez bien m’excuser si les nuances de vos propos, les subtilités de vos interventions, notamment dans les tables rondes, ne sont pas toujours fidèlement rendues ; la synthèse dans un temps très court a parfois un effet réducteur. Mais il m’a paru essentiel – et c’est la clef que j’évoquais – de revenir aux concepts essentiels.
Revenir aux concepts essentiels. Je m’efforcerai, non pas de marquer les divergences de nos systèmes juridiques, mais de souligner au contraire les exigences communes. En effet, tous les Etats représentés ici appartiennent à la même Europe, celle de la prééminence du droit et de la promotion de la démocratie, celle aussi de l’effectivité des droits des citoyens et, en premier lieu, de l’effectivité dans l’exécution des décisions de justice. Mais une effectivité entourée de garanties, de respect de l’Etat de droit.
C’est sans doute pour cette raison que les organisateurs de ce colloque ont souhaité confier la responsabilité de la synthèse à un Professeur d’Université ! Pour ma part, je vois dans ce choix un double symbole :
- celui de la comparaison loyale et transparente de systèmes juridiques certes différents, mais qui peuvent avoir en commun bien des traits ; aucun Etat ne peut prétendre à la supériorité absolue de son système juridique sur ceux des autres ;
- le symbole du retour permanent à l’Université, au-delà de la diversité des professions juridiques et judiciaires, car ce retour est le gage de l’impartialité du rapporteur de synthèse ; il est la garantie, votre garantie à vous Autorités professionnelles qui aurez à choisir un mode d’exercice de la profession d’agent d’exécution des décisions de justice et autres titres exécutoires, que le choix est éclairé et conforme aux standards européens.
            Nous y voilà ! Standards européens, c’est cela qui doit guider notre réflexion. Qu’attend-on d’un agent d’exécution, de celui qui notifie et exécute les décisions de justice ? C’est à cette question qu’il faut répondre si l’on veut faire le bon choix.
           
Je le dis tout net : pour moi, le  bon agent d’exécution pour l’Europe ne peut être qu’un huissier de justice qui, tout à la fois, est le garant de l’Etat de droit (I) et offre des prestations de qualité par la garantie de sa compétence et de son indépendance (II).

I – un huissier de justice qui est le garant de l’etat de droit

            Qu’est-ce qu’un Etat de droit ?
Question délicate on en conviendra volontiers. Plusieurs approches sont possibles, en fonction de l’histoire de nos pays, de l’organisation économique et sociale de nos sociétés, de la structure de nos Etats respectifs. Ce n’est pas ce point de vue qui m’intéresse ici, car comment comparer l’état d’avancement des pouvoirs dans des sociétés qui n’ont pas toutes atteint le même niveau de développement économique ?
Dans l’optique de ce colloque et par rapport au thème choisi, celui de savoir quel type d’huissier de justice il faut retenir en Europe, l’Etat de droit sera celui qui met tout en œuvre, tout en place, pour favoriser l’accès des citoyens à la Justice, à une bonne Justice et à l’exécution des décisions de justice. C’est l’Etat dans lequel la garantie des droits des citoyens est assurée, avec notamment le droit d’accès à un juge et, au delà, le droit d’accéder au Droit en lui assurant une véritable et bonne exécution des décisions de justice.
            Mais, me direz-vous, quel lien entre l’Etat de droit et l’huissier de justice ? Outre que Bernard Menut a, par avance, répondu à cette question, je voudrais insister sur le lien entre cet auxiliaire de justice et l’Etat de droit. C’est toute la question de son rôle.
- A première vue, les huissiers de justice ne participent qu’indirectement à l’édification de l’Etat de droit. Il revient aux juges, aux membres de l’autorité judiciaire de garantir l’accès à la justice, de participer à la construction d’un Etat de droit. Et il est vrai qu’on conçoit mal un Etat de droit sans autorité judiciaire, sans juges.
- Mais cela n’exclut pas pour autant un rôle plus direct des auxiliaires de justice dans la construction d’un Etat de droit, notamment de l’huissier de justice. Raisonnons par l’absurde : peut-on concevoir un Etat de droit sans eux ? Imagine-t-on que nous aurions pu parler pendant deux jours du rôle des huissiers de justice dans l’exécution effective des décisions de justice et titres exécutoires, si ces professionnels du droit n’étaient pas indispensables à la construction d’un Etat de droit ? Reste la double question : pourquoi et comment ?
Pourquoi les huissiers de justice sont-ils indispensables à l’édification d’un Etat de droit ? La réponse, je crois, peut être trouvée dans l’idée que les huissiers de justice, plus que d’autres auxiliaires de justice, sont les garants de l’effectivité des droits des citoyens. Ce sont eux qui, au-delà des garanties formelles reconnues par l’Etat aux citoyens, rendent réels, effectifs, les droits de ces mêmes citoyens. Rien ne sert d’avoir des droits théoriques, même garantis par la Constitution, si l’effectivité n’en est pas assurée. Et le rôle premier des huissiers de justice est d’assurer cette effectivité en permettant l’exécution de la décision du juge.
Comment les huissiers de justice deviennent-ils indispensables à l’édification d’un Etat de droit ? C’est le second aspect du thème. La réponse doit être recherchée dans les garanties qu’offrent les huissiers de justice, qu’ils doivent offrir aux citoyens : ils doivent leur offrir des prestations de qualité, grâce à leur compétence et à leur indépendance.

ii - un huissier de justice qui offre des prestations de qualité par sa compétence et son indépendance

            La présence des huissiers de justice aux côtés des parties ne doit pas être illusoire. Pour garantir l’effectivité de l’exécution des titres exécutoires, donc l’accès effectif à la Justice et au Droit, les huissiers de justice présentent, plus que tout autre type d’agent d’exécution, des garanties certaines de compétence et d’indépendance. C’est par cette double qualité qu’ils peuvent jouer leur rôle dans un Etat de droit. C’est ici que les conceptions différentes des Etats, profession libérale d’un côté, fonctionnaires de l’autre, les distinguent le plus. Le choix ne peut être, au-delà des traditions historiques des uns et des autres, que guidé par la réponse à la seule question qui vaille : lequel est capable, de par son statut, d’assurer la garantie de l’Etat de droit ? Et cette réponse doit être recherchée à la fois sur le terrain de la compétence (A) et sur celui de l’indépendance (B).  

A) la garantie de compétence

Elle doit être offerte à trois niveaux

a) Garantie de compétence dans le recrutement et la formation initiale

Un point commun dans le recrutement, au-delà de quelques nuances d’adaptation aux exigences de chaque Etat, concerne la triple exigence de diplôme, de stage(s) et de qualités morales. Et cela, quel que soit le statut de l’huissier de justice, professionnel libéral ou fonctionnaire. L’évolution vers des exigences accrues en matière de recrutement des professionnels du droit que sont les huissiers de justice, ne peut qu’aller vers un renforcement de l’Etat de droit. A cet égard, l’exigence d’un diplôme universitaire correspondant a quatre année d’études supérieures peut être un bon seuil.
Et je suis certain que les Ecoles de procédure qui forment des huissiers de justice libéraux sont prêtes à accueillir vos délégations pour vous montrer le chemin de leurs formations initiales. Elles présentent l’avantage pour l’Etat de ne pas engager les deniers des contribuables, d’être autofinancées par la profession. De plus, elles reposent sur le paritarisme, ce qui est le gage d’une meilleure adéquation de la formation aux besoins exprimés par les professionnels.
Mais la formation initiale doit se compléter par une exigence, je dis bien une exigence de formation permanente.

b) Garantie de compétence dans la formation permanente

Il faut insister sur le rôle essentiel de la formation permanente pour accroître le professionnalisme des huissiers de justice. Si l’exigence vaut pour tous les huissiers de justice, qu’ils soient fonctionnaires ou professionnels libéraux, la différence de statut n’est pas neutre : au-delà de la prise en charge financière par les professionnels eux-mêmes de leur formation permanente et non pas par l’Etat, on peut remarquer que les professionnels libéraux sont plus aptes à déterminer le contenu
Cette exigence a été soulignée pour les notaires au Vietnam, au cours de nos débats. Elle vaut pour tous les auxiliaires de justice dans les cinq Etats concernés.

c) Sanction de la compétence dans la mise en œuvre de la responsabilité de l’auxiliaire de justice

A cet égard, la différence de statut est fondamentale. Si l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire, c’est l’Etat qui assumera les conséquences de ses fautes, de ses manquements aux règles de sa fonction. Avec ou sans action récursoire. Avec ou sans chance de succès.
Si l’auxiliaire de justice est un professionnel libéral, sa responsabilité civile sera recherchée en justice sur le fondement classique de la faute, du préjudice et du lien de causalité. L’appréciation de la faute s’aggrave en France pour tous les professionnels libéraux, y compris pour les auxiliaires de justice. En réalité, dans le système économique de marché, derrière la responsabilité individuelle, il y a une « socialisation », au sens d’une mutualisation du risque par la technique de l’assurance et par les Caisses de garantie.
Au final, la différence dans la responsabilité civile de l’auxiliaire de justice n’est pas si forte qu’on pourrait le penser, sauf que l’Etat n’a pas à payer pour les fautes des auxiliaires de justice libéraux.

B) La garantie d’indépendance

A priori, on pourrait penser que l’indépendance est moins assurée dans le cadre du fonctionnariat que dans celui de l’exercice libéral d’une profession. Il faut se garder d’une vision trop simpliste des choses. Les magistrats et les professeurs d’Université sont des fonctionnaires en France ; qui oserait prétendre qu’ils ne sont pas indépendants ?
En réalité, c’est ailleurs que dans le seul statut qu’il faut rechercher les garanties d’indépendance des auxiliaires de justice. C’est à la fois dans les exigences déontologiques individuelles et dans les garanties collectives de structure, organiques.

a) Les exigences déontologiques

Ces exigences individuelles doivent être fortes, portées au plus haut niveau. Nous avons pu entendre que c’était le cas dans nos pays respectifs avec l’interdiction du cumul d’activité, qu’on soit auxiliaire de justice professionnel libéral ou fonctionnaire. Certes, il y a des exceptions, mais le principe doit rester la règle du non-cumul.
C’est aussi, toujours à titre individuel, la réglementation des conflits d’intérêts. L’auxiliaire de justice ne peut s’occuper, en même temps, et parfois successivement dans le temps, des intérêts opposés de deux clients.
C’est encore la règle du libre choix par les parties de leur auxiliaire de justice.
C’est enfin, la liberté de parole de l’auxiliaire de justice et le respect de son secret professionnel par les tiers.
Pour toutes ces garanties individuelles, le rôle des codes de déontologie est essentiel. Ces codes et règlements seront bien souvent l’œuvre des organes collectifs de la profession concernée, ce qui implique, une garantie collective de leur indépendance.

b) La garantie collective d’indépendance

Cette garantie ne peut pas être la même selon le statut de l’auxiliaire de justice. C’est ici que s’opposent le plus fortement le statut libéral et celui de fonctionnaire. Les premiers ont créé des ordres, des chambres, des compagnies. Peu importe le nom, l’essentiel c’est qu’ils s’auto-gèrent. Ils sont à la fois le glaive et le bouclier des auxiliaires de justice :
- le glaive lorsqu’ils sanctionnent leurs membres pour leurs manquements aux exigences déontologiques de leur profession ;
- le bouclier lorsqu’ils protègent leurs membres contre les velléités d’intervention, de pression des tiers sur l’exercice des missions qui leur sont confiées au bénéfice de leurs clients. L’auxiliaire de justice professionnel libéral, parce qu’il participe au service public de la justice, parce qu’il apporte des prestations de qualité, parce que le client lui fait confiance, doit être protégé collectivement par son ordre, son Barreau, etc.., dans l’exercice individuel de sa profession. C’est une exigence forte de l’Etat de droit.

Cette exigence se retrouve lorsque l’auxiliaire de justice est un fonctionnaire, mais elle prendra d’autres formes : conseil de discipline pour les manquements aux règles du statut ; protection de l’autorité hiérarchique pour les atteintes à son indépendance. Et, au final, protection par l’autorité politique, par le ministre de tutelle.
Tout est question d’esprit, plus que de lois, même s’il est vrai qu’un statut peut favoriser davantage l’indépendance qu’un autre, par la responsabilité professionnelle qu’il exige de celui qui exerce cette fonction.


IV – L’HUISSIER DE JUSTICE, UN PASSEUR DE DROIT

L’huissier de justice : un passeur de droit
Entre droit de propriété et droit du logement : faire face aux logiques contradictoires
Propos conclusifs au colloque de l’université de Paris-Créteil,
le 26 novembre 2013
Comme dans de nombreux autres domaines de l’exercice de ses missions, l’huissier de justice « marche sur des œufs » en matière d’expulsion d’un logement et subit souvent de plein fouet le choc des mécontentements et des mécontents, alors qu’il n’est l’exécutant (pas l’exécuteur !), le bras armé du juge pour l’exécution d’une décision de justice et, ainsi, garantir l’état de droit. À ce titre, il est bien un « passeur de droit » comme l’exprime l’intitulé de ce colloque. D’où l’intérêt de mettre en avant, ce matin, en amont de l’expulsion, la phase de prévention, pour mieux comprendre les enjeux patrimoniaux et personnels du logement.
Ces propos conclusifs ont été construits au fil des interventions, in situ, sans le secours de la lecture préalable des rapports présentés. Le lecteur voudra donc bien nous excuser de leur caractère oral, avec une transcription fidèle dans ce texte publié.
De toutes les interventions, je retiendrai deux axes qui me semblent résumer l’essentiel des propos tenus :
- un encadrement rigoureux à respecter dans toutes les phases de l’expulsion ;
             - un équilibre permanent à rechercher et à maintenir entre des intérêts et des logiques contradictoires.
i – un encadrement rigoureux à respecter
            On a vu cet encadrement de développer, se mettre en œuvre, tout au long de notre journée de travail, au carrefour du droit de propriété et du droit du logement (et non pas du droit au logement). Cette rigueur dans l’encadrement de l’expulsion s’est exprimée à trois niveaux.
A)    encadrement rigoureux par le jeu des qualifications
Plusieurs intervenants ont souligné l’importance du jeu des qualifications :
- qualification des biens, dans la notion de logement, avec les différentes catégories de logement présentées par le Professeur Louis Perreau-Saussine et son importance capitale pour pouvoir bénéficier des dispositions juridiques et fiscales de l’investissement locatif dont Nicolas Damas nous a entretenus ;
- qualification des personnes : qu’est-ce qu’un locataire ? Avec une catégorie « normale » et des catégories spécifiques, choisies par le législateur en fonction des enjeux de leur plus ou moins grande protection (les étudiants par exemple) ;
- qualification des actes : qu’est-ce qu’une remise nous a questionné une auditrice et intervenante (maître Odile Dunaud), alors que le projet de loi ALUR l’introduit comme troisième mode de notification d’un congé pour vendre.
b)  encadrement rigoureux par l’importance du formalisme
            Véritable fil conducteur de la quasi-totalité des interventions, cette sœur jumelle de la liberté est apparue notamment dans les congés donnés pour vendre (cf. Louis Perreau-Saussine), dans les garanties sollicitées et singulièrement le cautionnement (cf. Stéphane Piédelièvre) ou encore le déroulement de la procédure d’expulsion.
            Chacun a pu constater que le formalisme, souvent injustement décrié, est la garantie pour le justiciable de l’effectivité de ses droits.
c) encadrement rigoureux par la procéduralisation du droit du logement
            Deux interventions ont mis en valeur cette rigueur de l’encadrement procédural :
- d’une part, celle d’Anne Levade qui a utilisé trois termes, effectivité, opposabilité et justiciabilité pour mieux cerner les évolutions européennes de ce droit qui n’est pas reconnu comme un droit fondamental ;
- d’autre part, l’intervention de Gabriele Mecarelli qui, en dressant le tableau des missions fixées pour l’huissier de justice dans une expulsion a insisté sur la rigueur de cet encadrement législatif.
ii - un équilibre permament  à rechercher et à maintenir entre des intérêts et des logiques contradictoires
            Comment parvenir à cet équilibre et le maintenir ? Cette double recherche s’articule autour de trois axes.
A)    l’équilibre dans les relations bailleur-locataire
Sur ces relations, l’idée centrale est celle d’une confiance à retrouver ; je dis bien à retrouver, car en ces temps sombres pour l’économie française, le projet ALUR ne prend pas le chemin du rétablissement de la confiance. Loi idéologique et dogmatique, loi d’ignorance totale des réalités du marché de la location, loi de déséquilibre au seul profit – à court terme – des locataires, c’est une loi de perte de confiance dans l’investissement locatif qu’elle inaugure.
a) On l’a bien vu ce matin avec les deux interventions sur les enjeux personnels du logement :
1) C’est d’abord Louis Perreau-Saussine qui nous a montré que la seule garantie aujourd’hui recherchée par les bailleurs, à savoir le cautionnement, est précisément celle que le législateur dans le sinistre projet ALUR envisage de supprimer en l’interdisant au motif (au prétexte ?) qu’il y aura une garantie universelle des loyers, par ailleurs non financée ! Le seul fait qu’un projet de loi sur les rapports locatifs porte une telle disposition prouve que la confiance n’est plus un objectif de politique publique, de faveur pour l’investissement locatif et l’aveu que le déséquilibre structurel de la loi est sciemment voulu.
2) C’est ensuite l’intervention d’Anne Levade qui a nous bien fait comprendre, à l’écouter et à l’entendre, que l’équilibre se trouvait tout entier contenu dans une formule en deux temps : « le droit au logement n’est pas (encore ?) reconnu comme un droit fondamental, mais c’est un droit protégé », de plus en plus protégé.
b) Ces deux interventions rejoignent ainsi celle de Nicolas Damas sur l’investissement locatif et, plus précisément, le domaine respectif de l’investisseur privé et de l’investisseur public, avec cette remarque que le second nommé, loin de favoriser le premier cité pour qu’il pallie sa carence dans la construction de logements sociaux, met en place un système dissuasif pour l’investisseur qui souhaiterait investir dans le logement locatif. La confiance est ici rompue et il y a de fortes chances pour que les capitaux fuient l’immobilier pour se réfugier vers les meubles … sous d’autres cieux !
B)    l’équilibre dans le recours aux autorités publiques
a) le juge d’abord, notamment le juge de l’exécution, avec son rôle dans l’octroi de délai, dans les procédures de surendettement et de rétablissement personnel. M. Jérôme Hayem nous a remarquablement exposé sa pratique humaniste de ces questions lorsqu’il était JEX au TGI de Bobigny et qu’il modulait sa décision d’octroyer ou non un délai au locataire-débiteur, en fonction (pas seulement) des revenus globaux et locatifs du bailleur. Pour notre part, il nous semble que ce critère a un effet pervers en ce qu’il fait varier la force du droit de propriété selon la « richesse » de son titulaire. 
b) L’autorité préfectorale ensuite lorsqu’il est fait appel à la force publique. Placées sous le double regard d’un devoir de l’état et de sa responsabilité, les interventions de maître Rémi Simhon et de M. le préfet Bouchier, sous-préfet de l’arrondissement de l’Hay-les-Roses, sont l’illustration parfaite de cette recherche de l’équilibre dont je soulignais à l’instant l’importance. L’un et l’autre, en partant de l’ancienne jurisprudence Couiteas, arrivent par des voies parallèles aux temps modernes d’une vision sociale du droit de l’exécution, bien loin de la stricte notion de « troubles à l’ordre public », seule à même, en droit, de légitimer le refus du concours de la force publique. On rejoint ici la pratique du juge Hayem que je viens de relever et cela renforce le sentiment que le droit de propriété constitutionnellement garanti, n’est plus ce droit sacré qu’on présente parfois. C’est d’ailleurs à ce moment précis de l’expulsion, au besoin avec le concours de la force publique, que se pose la douloureuse question de la restitution des meubles du logement dont le locataire a été expulsé ; maître Jean Pierre Donsimeoni nous a, lui aussi, développé une pratique humaniste, un traitement humain de cette question pour respecter la dignité de l’expulsé. Et madame Marion Renaud, au nom de l’association d’information sur ces problèmes, a elle aussi montré combien il était nécessaire, non seulement d’informer bailleurs et locataires, mais aussi d’aider les locataires à accomplir certaines formalités, à monter un dossier.
C)    l’équilibre entre les mains de l’huissier de justice, passeur de droit
L’huissier de justice apparaît au final de ce ces propos, comme l’acteur central et majeur de la procédure d’expulsion.
a) Acteur facultatif mais utile dans la prévention de l’expulsion avec, sans doute, un rôle accru si le projet de loi ALUR est voté en l’état, puisque les pièges seront tels pour le bailleur que ce dernier aura tout intérêt à recourir à un huissier de justice, par exemple pour la signification du congé pour vendre, plutôt que de recourir à la fausse et illusoire facilité de la remise en mains propres de ce congé.
b) Acteur obligatoire et indispensable dans la procédure d’expulsion elle-même, avec un équilibre à trouver entre d’un côté les droits du propriétaire et, de l’autre, la dignité du locataire-débiteur
1) Droit de propriété, dont maître Rey nous a parlé d’une manière très précise et complète en nous décrivant la mission de l’huissier de justice sous le regard des droits du bailleur, notamment le devoir de l’huissier de justice d’informer le bailleur des risques qu’il encourt en se lançant dans une procédure d’expulsion. « Droit exigible », mais « droit exigeant », sont les deux formules de maître Rey qui illustrent bien ce souci de la recherche d’un équilibre entre des logiques contradictoires.
2) Dignité du débiteur, dont maître Odile Dunaud nous a montré que l’huissier de justice devait en être le garant, notamment dans le cas de l’expulsion du conjoint violent. Le retour aux valeurs européennes est ici prégnant. 
            J’ai voulu terminer ces propos par le rôle de l’huissier de justice car il est la pièce maîtresse du dispositif et sa pratique rigoureuse mais humaniste de la procédure d’expulsion et de tout ce qui la précède en termes de prévention, nous éloigne de la vision caricaturale qui nous est souvent présentée de cet auxiliaire de justice, passeur de droit et non pas exécuteur de locataires défaillants dans le paiement de leur loyer.

V – LE GREFFIER JURIDICTIONNEL
Le greffier/rechtspfleger européen,
un organe incontournable pour la justice en europe
le point de vue de la commission guinchard
sur la réorganisation des contentieux (janvier-juin 2008)
Communication présentée au congrès
de l’Union internationale des greffier de justice,
le 9 octobre 2009, La Grande-Motte

Vous m’avez demandé, Monsieur le Secrétaire général, d’intervenir lors de votre assemblée générale, sur le thème du greffier européen, en raison des propositions formulées à ce sujet, au titre du droit français, par la commission que j’ai présidée entre janvier et juin 2008 et qui, par commodité de langage et non pas par volonté délibérée porteuse de sotte vantardise, porte mon nom.
Je suis conscient de l’honneur qui m’est ainsi fait d’exposer les évolutions souhaitées par les membres de cette commission, non sans préciser d’emblée que votre Livre vert pour un greffier européen constitue une excellente base de réflexion et montre bien que les choses sont en train de bouger en Europe, de manière concordante, au moins au niveau de la réflexion, en attendant la phase de mise en œuvre de réformes que beaucoup appellent de leurs vœux.
N’est-ce pas d’ailleurs ce à quoi nous invite la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle reconnait dans un arrêt X c/ la France du 26 juillet 2007 (requête n° 35787/03) que « le greffier devant les juridictions de l’ordre judiciaire est un auxiliaire de justice garant de la procédure et participant de la bonne administration de la justice » (§ 35) ?
J’évoquerai successivement devant vous le contexte des travaux de la commission (I), et la nature de ses propositions quant à l’instauration en France d’un greffier juridictionnel, tant au niveau de son statut (II) que de ses misions (III).
I - Le contexte des travaux de la commission
La commission est installée par la Garde des Sceaux le 18 janvier 2008 ; le rapport a été remis dans le délai imparti, le 30 juin 2008.
A)    Le contexte national des économies budgétaires

En décembre 2007, un évènement fort intervient, au moment même où la Ministre de la Justice m’adresse la lettre de mission : le Ministre du budget déclare, dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques, que le divorce par consentement mutuel pourrait être transféré aux notaires, sans intervention d’un juge. Le tollé soulevé par cette déclaration a fortement perturbé le monde judiciaire, mais je dois dire que, très vite, les membres de la commission ont surmonté cette difficulté et ne se sont pas sentis liés par cette proposition. Sans doute, parce que j’ai souhaité que cette question soit débattue à la fin de nos travaux, pas avant le mois d’avril, ce qui a permis à chacun de connaître l’autre, de se juger et de se jauger et de se faire mutuellement confiance. Finalement, de cette provocation ministérielle est née une sorte d’alchimie consensuelle. Mais il en restera une scorie au moment de l’examen de cette question du divorce, non sans lien avec le sujet d’aujourd’hui, à savoir la proposition d’un syndicat de magistrats que ce type de divorce soit transféré au futur greffier juridictionnel dont, par ailleurs, la commission préconise l’instauration. Je ne suis pas certain que la proposition aurait été faite sans ce contexte de sortir le divorce par consentement mutuel de l’institution judiciaire.
B)    Le contexte, voulu par la Ministre et la commission, d’un juge remis au cœur de son activité juridictionnelle
Le contexte c’est aussi le contenu de la lettre de mission qui éclaire bien les débats sur le greffier juridictionnel.
a) Trois axes sont développés par la Ministre de la Justice dans la lettre qu’elle m’adresse le 20 décembre 2007 : réorganisation des contentieux, spécialisation des juridictions et déjudiciarisation de certains contentieux, sans que le mot « déjudiciarisation » soit retenu dans un sens technique précis, englobant aussi bien des transferts de missions au sein de l’institution judiciaire (simple déjuridictionnalisation), qu’en dehors, à des acteurs extérieurs au monde judiciaire (déjudiciarisation proprement dite).
b) C’est donc bien dans ce cadre plus large, assigné à la commission comme l’un des objectifs majeurs de ses travaux, que se situe le débat sur le greffier juridictionnel : il s’agit d’aider le juge à se recentrer sur ses missions traditionnelles, de nature juridictionnelle (dire le droit), de le valoriser comme « décideur judiciaire » :
1) Nombre des personnes auditionnées en effet, ont fait observer que le juge ne doit pas être un juge isolé, même s’il siège à juge unique. Il a besoin d’une équipe autour de lui, qu’il anime et dirige, qui le conseille et l’aide dans ses travaux, notamment de recherche, voire de contact avec les parties, en amont du procès pour essayer de trouver une solution amiable, par la conciliation ou la médiation ou encore la procédure participative que la commission propose de mettre en place.
2) Nombreuses aussi ont été les personnes auditionnées, qui ont recommandé en outre, la création de nouvelles fonctions, destinées à aider les magistrats. Afin de recentrer le juge sur son office et de renforcer sa position de « décideur judiciaire », le juge devra s’appuyer sur un certain nombre d’auxiliaires. Pour étoffer et renforcer cette équipe destinée à aider le magistrat, les membres de la commission ont travaillé à la définition d’un nouvel acteur judiciaire qui serait de nature à épauler le juge, voire à s’y substituer dans certains cas clairement définis, à savoir le greffier juridictionnel. Il s’agirait en effet, conformément au modèle développé avec profit depuis plusieurs dizaines d’années déjà en Allemagne et en Autriche, de prendre acte de la formation de facto de plus en plus longue et approfondie suivie par de nombreux greffiers en chef en France aujourd’hui, pour donner accès aux plus compétents d’entre eux à un nouveau statut, qui s’accompagnerait de fonctions revalorisées, de nature juridictionnelle notamment.
La commission s’est ainsi intéressée à la fois à la création d’un statut de greffier juridictionnel (II) et aux missions qui seront les siennes (III).
II- le statut du greffier juridictionnel  
Afin d’affiner ses réflexions sur la création d’un éventuel greffier juridictionnel, la commission s’est tournée vers le droit comparé, en particulier les droits allemand et autrichien, qui connaissent des fonctions de greffier revalorisé. C’est en s’inspirant de ces modèles (A) qu’elle a pu proposer un modèle français du greffier juridictionnel (B).
A)    Les sources d’inspiration allemande et autrichienne
L’attention des membres de la commission s’est portée sur la spécificité des droits allemand et autrichien, qui ont créé une profession particulière, celle de Rechtspfleger, dans le but de décharger le magistrat d’un certain nombre d’attributions non juridictionnelles mais parfois aussi juridictionnelles. Si la profession de Rechtspfleger est née de la pénurie de magistrats à l’issue de la première guerre mondiale (dans les années 1920), elle n’a pas été supprimée par la suite car elle a donné satisfaction en permettant au juge de se concentrer sur ses missions essentielles. Ce fonctionnaire peut être considéré comme un « super-greffier » ou comme un auxiliaire du juge, celui qui l’aide dans ses missions juridictionnelles.
a) En droit allemand, la loi du 5 novembre 1969 relative au Rechtspfleger énonce qu’il assume les tâches de la justice qui lui sont attribuées par la loi (§ 1). Il dispose d’une indépendance matérielle et n’est tenu que par la loi et le droit (§ 9). Cette formule n’est pas sans rappeler celle que la loi allemande énonce à l’égard des magistrats du siège (Richter). D’ailleurs, le Rechtspfleger peut être récusé dans les mêmes conditions que le juge (le juge du siège statue alors sur la demande de récusation, § 10). Les conditions d’accès à la profession sont précisément définies par la loi. Trois conditions sont requises : il faut être fonctionnaire du service de la justice, avoir suivi une formation préparatoire de 3 ans, et avoir obtenu l’examen de Rechtspfleger.
b) En Autriche, où l’institution du Rechtspfleger est ancrée dans la Constitution autrichienne depuis 1962 et où une loi spécifique concerne ces fonctionnaires de la justice, les conditions d’accès à la profession sont assez semblables à celles du droit allemand.
En vertu de la nouvelle loi de 1985 relative au Rechtspfleger, le statut juridique de cet important organe de la justice a été étendu, ainsi que ses compétences. Peuvent être autorisés à suivre le cycle de formation pour devenir Rechtspfleger les fonctionnaires du tribunal qui remplissent les conditions pour être nommés à un poste dit de catégorie B (fonction publique supérieure), sont de nationalité autrichienne et ont réussi, tant l’examen professionnel pour le service du greffe que l’examen professionnel spécialisé. Le président de la cour d’appel décide quels candidats remplissant ces conditions peuvent suivre le cycle de formation de Rechtspfleger. Le certificat de Rechtspfleger n’est délivré qu'à la fin des trois ans de formation professionnelle et atteste l’aptitude à exercer la profession de Rechtspfleger. Ce certificat habilite le fonctionnaire de justice concerné à régler les affaires juridictionnelles appartenant à son champ d'action. Le président du tribunal régional supérieur (= cour d’appel) détermine alors auprès de quel tribunal le fonctionnaire concerné sera employé en tant que Rechtspfleger. Le président du tribunal auprès duquel le Rechtspfleger exercera ses fonctions affecte celui-ci à un service placé sous la direction d’un juge (ou le cas échéant à plusieurs services). A l'intérieur du service où le Rechtspfleger a été affecté, c'est au juge qu'il appartient de procéder à la répartition des affaires.
B) La proposition d’un greffier juridictionnel à la française
Il convient ici d’exposer d’abord ce qu’a souhaité la commission, sans aucune opposition de l’un de ses membres (a), avant d’insister sur un débat qui n’apparaît pas dans le rapport officiel, mais qui n’en est pas moins important (b).

a)      L’idée d’une revalorisation du corps des greffiers en chef
La commission a pensé que l’institution du Rechtspfleger pouvait servir de source d’inspiration pour repenser, en droit français, dans un premier temps, un statut de greffier en chef revalorisé dans la fonction de greffier juridictionnel, fonction qui, progressivement, pourrait être ouverte aux greffiers.
1) Cette formulation d’une évolution progressive, en deux temps, est le fruit d’un compromis. En effet, sur ce point, une divergence forte est apparue entre les représentants des greffiers en chef et ceux des greffiers, sans même parler ici de la position des représentants des magistrats : les premiers souhaitaient réserver à leur seul corps ce statut de greffier juridictionnel, les seconds, naturellement, souhaitaient avoir la possibilité de l’intégrer dès sa création. C’est votre conférencier d’aujourd’hui qui, dans un esprit de compromis, a souhaité ne pas exclure les greffiers de ce statut en devenir. Ma position s’explique non seulement par un tempérament plus porté au consensus qu’à l’affrontement, mais aussi et surtout par la connaissance approfondie de la fonction publique française, tant par mes expérience de gestion de l’université ou d’une académie, que par mon expérience d’ancien élu d’une grande collectivité locale, à savoir la ville de Lyon et sa communauté urbaine composée de 57 communes, pendant 12 ans (entre 1983 et 1995). A cette double occasion de ma vie, j’ai appris et acquis la conviction qu’on ne pouvait pas cantonner les hommes dans des corps figés depuis la Libération, les laisser dans un carcan sans aucune perspective d’évolution, au risque, sinon, de désespérer non pas Billancourt, mais tous ceux qui, jour après jour, se passionnent pour leur métier et souhaitent qu’un coin de ciel s’ouvre sur un horizon perçu comme celui d’une promotion. La reconnaissance de l’excellence des fonctions exercées est la clef de la motivation et cette reconnaissance passe nécessairement par la prise en compte des qualités de chacun pour évoluer au plus haut niveau des corps de la fonction publique. Il faut toujours prévoir une possibilité d’accès à ce plus haut niveau, car la vie ne peut pas figer, une fois pour toutes, les emplois et les fonctions. 
En tout état de cause, pour acter cette évolution vers un statut de greffier juridictionnel, une loi sera nécessaire en ce sens, afin de conférer à ces nouveaux greffiers les conditions de l’indépendance nécessaire à l’exercice des fonctions juridictionnelles nouvelles qui leur incomberont. La représentation nationale aura donc à débattre des personnes habilitées à accéder à cette fonction.
2) Cette revalorisation statutaire se justifie dès lors que de nombreux greffiers en chef ont, en pratique, une formation de plus en plus longue et approfondie et que les compétences juridiques des greffiers en chef sont unanimement reconnues comme étant de haut niveau.
Il est suggéré, dans cette perspective, de mettre en œuvre un statut d’emploi, qui permettrait aux greffiers en chef l’accès à des emplois de catégorie « A+ » comportant un échelonnement indiciaire allant jusqu’à l’échelle B.
Clairement, il faut dire ici que, pour des raisons d’efficacité, la création d’un nouveau corps a été rejetée par la commission. Elle est partie de l’idée qu’à une époque d’une réflexion sur la restriction du nombre des corps dans la fonction publique, pour en favoriser la mobilité il n’était pas réaliste de suggérer d’en créer un nouveau. Pour autant, la revalorisation du statut, si elle était adoptée, pourrait n’être qu’une étape vers cette création, mais à très longue échéance.
b)      La question de l’autonomie du greffier juridictionnel par rapport au juge
Ce débat qu’a eu la commission, n’apparaît pas expressément dans le rapport officiel, mais il transparaît à travers certaines de ses propositions, comme celle sur le transfert à ce greffier de la première phase de la procédure d’injonction de payer. La question a été posée en effet, de savoir si ce greffier juridictionnel aurait des compétences propres, indépendamment de toute délégation du juge, ou s’il pourrait n’agir que sur délégation expresse du juge. Sans trahir un secret, je dois dire que la commission, majoritairement souhaitait distinguer les fonctions non juridictionnelles de celles qui le sont : pour les premières, elle n’a vu aucun inconvénient à ce que la loi fixe les tâches confiées au greffier juridictionnel, sans délégation du juge. En revanche, pour les secondes, sa majorité, pour ne pas dire son unanimité moins les représentants des greffiers, a souhaité qu’elles ne lui soient confiées que par délégation du juge. Sur ce point, la commission est plus proche du système autrichien que du système allemand. Sans doute une question de culture et de confiance à bâtir en commun !
Cette opposition éclaire la question du contenu des missions du greffier juridictionnel.
iii – les missions du greffier juridictionnel
a)    là encore, les sources d’inspiration ont été l’allemagne et l’autriche
En Allemagne comme en Autriche, le Rechtspfleger se voit attribuer des missions nombreuses, non juridictionnelles, mais aussi juridictionnelles.
a) En Allemagne
La loi de 1969 définit les grands domaines de compétence du Rechtspfleger, puis précise, au sein de ces domaines, quelles sont les missions de ce fonctionnaire.
De façon générale, on retiendra que le Rechtspfleger allemand, pleinement compétent dans plusieurs matières, peut effectuer, dans d’autres domaines, de très nombreux actes, limitativement énumérés et correspondant aux décisions les moins graves ou les moins complexes. Il dispose ainsi d’attributions en matière de procédure de faillite, de droit de la tutelle, d’ordonnances de payer, ou encore de saisie-arrêt. Le juge peut en outre lui déléguer d’autres actes, ou s’en réserver la connaissance, en fonction de la complexité individuelle de chaque cas.
De façon plus précise, le § 3 de la loi de 1969 contient une liste de deux pages énumérant les tâches relevant de la mission de ce fonctionnaire de justice : par exemple, les affaires du droit associatif, les procédures de déclaration sur l’honneur, la tenue du registre des régimes matrimoniaux, la réception de certaines déclarations, les affaires d’absence, une partie de la saisie immobilière et de l’administration forcée des immeubles, ou encore les procédures de répartition à réaliser en dehors de l’exécution forcée, un certain nombre de mesures en matière de tutelle et de régime allégé de protection des majeurs incapables, certaines questions en matière de successions et de partage ainsi que la conservation des testaments et des contrats successoraux, certaines affaires de partenariat, des procédures dans le cadre de la loi sur l’insolvabilité, etc. 
Toutefois, un certain nombre de décisions dans ces domaines sont expressément réservées au juge.
On notera que le Rechtspfleger allemand est également compétent en matière d’injonction de payer, durant la phase non contradictoire, ainsi que pour fixer le délai d’opposition, de même que pour transmettre la procédure contentieuse à la juridiction compétente. La phase contentieuse de la procédure demeure l’apanage du juge, mais une loi de 2003 a permis aux États fédérés de déléguer cette compétence au greffier de la juridiction et plusieurs États fédérés ont fait usage de cette possibilité.
Les §§ 20 à 24 de la loi de 1969 recensent également les actes spécifiques confiés au Rechtspfleger allemand en matière de procédure civile, de protection locative, d’aide juridictionnelle, de fixation des frais et dépens, de contrôle de l’exécution de certaines condamnations pénales (amendes…), de consignation. Le Rechtspfleger allemand délivre en outre un certain nombre de copies exécutoires. La procédure devant lui est dispensée de représentation obligatoire par avocat.
Dans les domaines où compétence lui est attribuée, le Rechtspfleger prend toutes les mesures nécessaires à l’accomplissement de sa mission.
En principe, les décisions du Rechtspfleger et les actes qu’il prend peuvent faire l’objet du recours prévu par les règles générales de procédure. Si celles ci ne prévoient aucun recours, la décision ou l’acte du Rechtspfleger peut néanmoins donner lieu à un recours spécifique dénommé Erinnerung. Ce recours est d’abord porté devant le Rechtspfleger lui-même (sorte de recours en rétractation), mais s’il n’y fait pas droit, il doit le soumettre au magistrat du siège.
Dans diverses situations, la loi du 5 novembre 1969 prévoit que le Rechtspfleger doit en référer au juge. Ainsi, s’il juge utile d’ordonner une mesure qu’il n’est pas habilité à prendre, le Rechtspfleger en réfère au juge qui décidera alors de la mesure. De même, le Rechtspfleger doit soumettre ses actes au magistrat du siège lorsqu’il apparaît lors du traitement de l’affaire qu’il convient de solliciter une décision de la Cour constitutionnelle fédérale ou de la Cour constitutionnelle du Land, ou encore lorsque le lien entre un acte à prendre par le juge et celui que doit prendre le Rechtspfleger est tellement étroit qu’un traitement séparé des deux questions n’est pas souhaitable. De même, le Rechtspfleger peut transmettre au juge une affaire nécessitant l’application d’un droit étranger. Dans toutes ces hypothèses, le juge peut refuser le renvoi et retourner l’affaire au Rechtspfleger s’il estime que celui-ci peut agir seul. Et s’il existe une incertitude pour savoir qui, du juge ou du Rechtspfleger, est compétent pour un acte spécifique, le juge décide de la compétence par décision insusceptible de recours (§ 7 de la loi du 5 nov. 1969).
b) En Autriche
Les missions confiées au Rechtspfleger autrichien sont, comme en Allemagne, relativement étendues. De fait, il existe environ 700 Rechtspfleger en Autriche, qui rendent plus des trois quarts des décisions judiciaires. Comme son homologue allemand, le Rechtspfleger autrichien est un fonctionnaire de la justice auquel est transféré, en sa qualité d’organe de la Fédération, un certain nombre d’actes. Il prend des mesures et décisions et remplit ses fonctions sous sa propre responsabilité. Dans l’exercice de ses fonctions, il n’est tenu que par les instructions que lui délivre le magistrat compétent au sein du tribunal d’après la répartition interne des compétences.
En théorie, donc, le Rechtspfleger autrichien semble avoir un lien fort avec le juge. Toutefois, ce droit de donner des instructions, que la loi sur le Rechtspfleger reconnaît au juge, ne joue guère de rôle en pratique ; le Rechtspfleger accomplit ses tâches essentiellement de façon autonome. Le Rechtspfleger est compétent dans les domaines suivants : affaires de procédure civile, exécution forcée, insolvabilité, juridiction gracieuse (notamment affaires de tutelle), affaires relatives au droit du livre foncier et au registre des navires, et affaires relatives au registre des entreprises. Chacun de ces domaines d'activité requiert une formation spéciale et une nomination spéciale à la charge de Rechtspfleger pour la spécialité correspondante. Toutefois, tous les Rechtspfleger autrichiens sont compétents de façon générale en matière d'injonction de payer.
B)    les propositions de la commission quant aux missions du greffier juridictionnel
Les missions du greffier juridictionnel ainsi créé pourraient englober le champ d'activité actuel du greffier en chef, et le dépasser. Pour la commission en effet, les greffiers en chef, n’ont plus seulement vocation à exercer des fonctions de direction, d’administration et de gestion, sous l’autorité des chefs de cours ou des chefs de juridictions, mais également des fonctions juridiques spécifiques.
a) De fait, depuis 1985, certaines attributions non juridictionnelles jusqu’alors exercées par les magistrats ont été dévolues aux greffiers en chef, à l’image de la délivrance des procurations de vote ou de la certification de certains frais de justice (décret du 6 mai 1988).
1) Ce mouvement s’est amplifié à la faveur d’autres transferts de compétence, issus de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, puisque les greffiers en chef connaissent notamment, aujourd’hui, de la procédure de changement de nom et de déclaration conjointe de l’autorité parentale,  et qu’ils assurent la vice-présidence des bureaux d’aide juridictionnelle. Encore récemment, la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs a encore renforcé leur mission.
2) Le greffier en chef du tribunal d’instance est également compétent pour la délivrance des certificats de nationalité française. A cet égard, et même sans évolution du statut vers un greffier juridictionnel, la commission avait préconisé que la compétence du greffier en chef en matière de certificat de nationalité soit étendue à la réception et l’enregistrement des déclarations de nationalité, qui restent attribués au juge d’instance, alors que la compétence des greffiers en chef dans la délivrance des certificats de nationalité française les qualifie de toute évidence pour connaître des déclarations, pour lesquels ils sont déjà en charge de la constitution du dossier. La loi du 12 mai 2009 a tenu compte de ces propositions.
b) Le greffier juridictionnel pourrait en outre se voir confier de nouvelles missions. Sans aller jusqu’à dresser une liste exhaustive de ces fonctions, qui resterait à établir au regard du nouveau statut ainsi créé, la commission s’est attachée à développer plus particulièrement l’une d’entre elles, le traitement de la procédure d’injonction de payer.
L’interrogation qui a guidé la commission dans ce domaine pourrait être résumée en ces termes : le caractère allégé de l’intervention du juge, dans la première phase de la procédure pourrait justifier, de confier cette mission à un autre acteur de la vie judiciaire. Une telle évolution serait en effet de nature à permettre au juge de recentrer son office sur les contentieux les plus complexes, dans lesquels la fonction juridictionnelle est sollicitée dans sa plénitude. Au préalable, la commission a toutefois voulu étendre sa réflexion à l’ensemble des améliorations susceptibles d’être apportées à cette procédure, telle qu’elle existe aujourd’hui. Et c’est pourquoi, elle a proposé, outre une amélioration de l’information du débiteur, que le juge puisse déléguer la délivrance des ordonnances d’injonction de payer non seulement au futur greffier juridictionnel, mais aussi aux juges de proximité dont elle propose le maintien, parallèlement à la suppression de la juridiction de proximité elle-même.
Ainsi, apparaît bien l’idée que le statut et les missions du futur greffier juridictionnel s’insère dans une vision plus globale de la création et de la consolidation d’une équipe autour du juge. Décideur judiciaire, ce dernier doit pouvoir s’appuyer sur des acteurs compétents.
VI – LES REGLES DEONTOLOGIQUES DES PROFESSIONNELS DU DROIT
Les règles déontologiques au service des usagers du droit
Colloque du Haut Conseil des professions du droit
3 novembre 2011
Grand’ Chambre de la Cour de cassation
Rapport introductif
            En choisissant pour thème de son premier colloque, celui des « règles déontologiques au service des usagers du droit », le Haut Conseil des professions du droit a mis en évidence un identifiant fort et commun à ces professions ; il a sans doute aussi souhaité les ancrer, par ce marqueur de leur identité propre, dans le respect et la construction de l’Etat de droit. Le thème est significatif en tout cas de la place qu’occupe désormais cette question de la déontologie dans notre société, notamment pour les professionnels libéraux que sont les membres des professions juridiques et judiciaires.
Mais il n’aura échappé à personne que le Haut Conseil a en même temps orienté l’approche de ces règles déontologiques vers une soumission – que je considère pour ma part comme légitime - « au service des citoyens » - ce qui est tout un symbole : les règles déontologiques ne sont pas réservées aux relations confraternelles, qu’elles soient fraternelles précisément ou, tout au contraire, conflictuelles ; elles sont d’abord et avant tout au service d’une cause : celle des usagers du droit. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’Organisation internationale de la francophonie et la Maison du droit vietnamo-française viennent de tenir un colloque, à Phnom Penh, le 7 octobre dernier, sur le rôle des auxiliaires de justice au service des citoyens dans un Etat de droit dans la zone francophone Asie-Pacifique et en France.
On voit bien, à la seule lecture des intitulés des 2ème et 4ème tables rondes que les usagers du droit sont directement concernés par ce thème : la communication et le démarchage d’une part, la discipline professionnelle comme facteur de protection des consommateurs d’autre part, ont pour cible, si j’ose m’exprimer ainsi, les usagers du droit. Mais il serait superficiel et trompeur de s’en tenir à ces deux seuls aspects, à ces deux tables rondes. L’indépendance du professionnel du droit (1ère table ronde) et le respect de son secret professionnel (3ème table ronde) sont aussi des garanties pour ces usagers. Tout se tient, chaque table ronde n’a pas d’existence autonome, indépendante de celle des trois autres.
Chargé de tisser les liens qui réunissent les thèmes de ces quatre tables rondes, de fixer les grandes orientations de nos débats, il me revient, en guise de propos introductifs, de me demander pourquoi et comment les règles déontologiques peuvent et doivent répondre aux préoccupations et aux besoins des usagers du droit.
Pour le savoir, je développerai ce propos introductif en trois points :
- D’abord, il faut revenir aux notions premières d’éthique et de déontologie, approcher leur contenu et en définir les contours ; bref, savoir de quoi on parle exactement, entre exigences morales et règles juridiques, entre standards de bonne conduite personnelle et code de vie professionnelle.
- Ensuite, il me paraît nécessaire de mieux cerner les fonctions de ces règles déontologiques dont le thème qui nous réunit aujourd’hui nous dit qu’elles sont « au service des citoyens ». La première fonction de ces règles est, à mon sens, de garantir l’indépendance des professionnels du droit ; il faut y voir un socle commun à tous les professionnels du droit, celui qui permet de mesurer la nature de cette exigence.
- Enfin, et on touche là à une autre fonction des règles déontologiques, elles doivent garantir la compétence des professionnels du droit. Cette fois, l’exigence déontologique épouse davantage les contours propres à chaque profession, pour mieux mesurer l’ampleur de cette exigence.
Indépendance et compétence sont les deux garanties qu’apporte une exigence déontologique forte.
I - Revenons d’abord aux notions premières d’éthique et de déontologie
Malgré la perception que chacun peut avoir en ce domaine, la notion de déontologie est mal maîtrisée, à la fois dans sa nature et dans son périmètre, notamment par rapport à la notion d’éthique.
Dans la pureté étymologique de notre langue française, la déontologie c’est la science (logos) des devoirs, de ce qui convient (deon), alors que l’éthique est l’art de diriger la conduite, la science de la morale (ethos = mœurs).
Pour ma part, je considère qu’en réalité éthique et déontologie des professionnels du droit ne sont que les deux facettes d’une même exigence, à savoir qu’elles ont en commun de fixer des règles de comportement aux fins de faire respecter la fonction confiée à chaque profession. Et – autre point commun - ni l’une ni l’autre ne sont toutes entières contenues dans le droit, car elles sont à la fois le support et le reflet d’une culture judiciaire articulée autour des finalités de l’acte de juger, dans le contexte social de l’intervention du professionnel du droit pour préparer cet acte de juger ou l’accompagner dans son élaboration, puis son exécution[23].
Et c’est parce que, comme le juge, les professionnels du droit vivent dans la Cité[24], parce qu’ils sont soumis à des contraintes économiques et sociales plus fortes qu’autrefois, voire à des pressions, notamment de la part des médias avides d’informer à tout prix au nom de la liberté d’expression qu’ils ne sauraient concevoir avec des limites, parce qu’ils sont recrutés relativement jeunes (mais cette observation – j’y reviendrai – est de moins en moins vraie) et parce qu’ils ne sont pas toujours armés pour résister à la tentation de se faire connaître à tout prix, voire de jouer au héros purificateur, c’est pour tout cela que ces professionnels du droit ont besoin d’une éthique[25] forte, d’une morale du comportement qui se traduira, en termes déontologiques, par des devoirs juridiques, par des règles juridiques du comportement.
Or, jusqu’à une date récente, les études manquaient en France sur ce sujet[26], à la différence de la Belgique[27] ou du Canada :
- Pour les juges par exemple, après un effort de réflexion au xixe siècle sur l’éthique des juges d’instruction (sept manuels furent publiés entre 1808 et 1862 à leur intention), la matière a connu un déclin conduisant à un déficit déontologique, au moins au niveau des études, dont notre pays souffre encore. Exceptées quelques règles issues de l’ordonnance du 22 décembre 1958, d’articles du Code pénal et de celui de procédure pénale ou de la jurisprudence, c’est dans une circulaire du président Vincent Auriol, signée le 29 décembre 1952, ès qualités de président du Conseil supérieur de la magistrature, que l’on trouvait exposée une doctrine officielle du devoir de réserve du juge. Et le Recueil des règles déontologiques élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature ne date que de 2010.
- Pour les professionnels du droit autres que les juges, ce n’est que récemment que ce sont enclenchés à la fois un mouvement doctrinal d’étude de leur déontologie[28] et une réflexion professionnelle en faveur de l’élaboration de codes de déontologie propres à chaque profession. Ce colloque illustre bien ce double mouvement, doctrinal et professionnel et il faut s’en réjouir car l’émergence de préoccupations déontologiques est toujours le signe du renouveau d’une profession.
La raison de ce renouveau est double, ce qui va me permettre maintenant de mieux cerner les deux fonctions que garantissent ces règles déontologiques, l’indépendance et la compétence des professionnels concernés.
II - Socle commun à tous les professionnels du droit, l’exigence d’une déontologie forte, constitue d’abord la garantie de leur indépendance.
            Nous verrons, tout au long de cette journée, que l’approche pluridisciplinaire et multi-professionnelle des règles déontologiques des diverses professions du droit permet de déterminer un socle commun à toutes, tant dans les traits caractéristiques de leurs sources (a) que dans l’expression de l’idée d’indépendance que ces règles ont précisément pour objectif de garantir (b).
a)      Socle commun d’abord, dans l’élaboration des sources des règles déontologiques
1) Certes, il n’y a pas de code unique des règles déontologiques des professions du droit, mais au-delà de la diversité des sources, on relève trois constantes qui contribuent à leur assurer une assise forte :
- la première, c’est que ces règles découlent désormais le plus souvent de la loi (pour les avocats par exemple, loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971) ou du règlement (par exemple pour les avocats aux Conseils, avec l’ordonnance du 10 septembre 1817 et le décret du 11 janvier 2002) ;
- la deuxième, c’est qu’au-delà de la loi et du règlement, elles sont le plus souvent écrites et non plus seulement tirées d’usages ancestraux, mais verbaux ; ces nouveaux écrits, ce sont, par exemple, le Règlement intérieur national des avocats de 2005, le Règlement de déontologie adopté par les notaires ou par les avocats aux Conseils ; on peut aussi citer les discussions en cours pour les huissiers de justice afin de transcender les règlements intérieurs départementaux ou pour les commissaires-priseurs.
- la troisième constante, c’est que ces règles écrites sont complétées par une importante jurisprudence des organes disciplinaires propres à ces professions, mais aussi par les juridictions étatiques en tant qu’instance d’appel ou de cassation de leurs décisions.
Ces trois premières constantes contribuent à l’accessibilité, à la lisibilité et à la diffusion des sources des règles déontologiques ; à cet égard, elles sont donc bien au service des usagers du droit, comme l’indique le thème de notre colloque.
On a parfois souhaité le rapprochement de ces règles dans un code unique des professions du droit[29]. Je doute personnellement de la pertinence de cette proposition : est-il bien nécessaire de vouloir tout unifier, au risque de nier la spécificité propre à chaque profession du droit ? Je ne le pense pas pour au moins deux raisons :
- d’une part, les différences qui subsistent entre les professions ne sont pas très importantes et relèvent le plus souvent d’une question de degré plus que de nature ; par exemple, la règle du conflit d’intérêts existe dans toutes ces professions, mais se doit d’être plus forte lorsque le professionnel représente un usager, un client ; il faut ici une part de variabilité au-delà du principe commun ;
- d’autre part, les règles déontologiques des différentes professions du droit sont suffisamment encadrées par les principes généraux du droit et par les règles venues notamment de Strasbourg, que s’engager dans la voie d’une unification des corpus déontologiques me paraît inutile et du temps perdu. 
2) En revanche, une quatrième constante serait susceptible, selon certains en tout cas[30], d’affaiblir l’assise des règles déontologiques : on a fait observer que si les professionnels du droit participent fortement à l’élaboration des règles déontologiques qui les gouvernent par un dialogue avec l’Etat, les usagers ne participent nullement à cette élaboration, alors que ces règles ont aussi pour finalité de les protéger. Et la proposition a été faite, par le Laboratoire de droit international et européen de l’université de Toulouse, d’associer les usagers à l’élaboration de ces règles déontologiques.
A cette proposition, sans doute inspirée par l’idée de renforcer la portée de ces règles, je ferai d’abord observer que cette particularité, commune à toutes les professions du droit, est sans doute liée à l’histoire : la déontologie fut d’abord l’affaire des professionnels concernés pour encadrer leurs comportements, avant de se diffuser vers les usagers de ces professions.
J’objecterai ensuite, qu’à l’heure où l’on parle d’introduire dans le procès disciplinaire les victimes d’agissements contraires à la déontologie d’une profession, la question mérite certes d’être posée, mais que la réponse, à mon sens, ne doit pas être positive, sauf à introduire la confusion entre la matière disciplinaire et la matière pénale au sens de la jurisprudence européenne. A trop vouloir promouvoir l’usager du droit victime d’un comportement contraire aux règles déontologiques, à la fois dans le procès disciplinaire et dans l’élaboration de ces règles, on entretient la confusion entre ce qui relève d’un côté du champ, du cercle si l’on préfère, purement professionnel et qui est délégué par la puissance publique aux organes représentatifs de chaque profession, et de l’autre de ce qui relève de la qualification pénale, la justice étant alors retenue par la puissance publique pour l’exercer au-delà des seuls intérêts d’une profession, au nom de l’intérêt général et du bien commun. Là encore, la jurisprudence européenne s’est toute entière construite, progressivement, sur une différence de nature et d’exigences entre matière disciplinaire et matière pénale. La confusion des genres conduirait à des requalifications du disciplinaire en règles répressives de droit commun. Il n’est pas certain que l’usager du droit et le professionnel seront les gagnants de cette confusion qui conduirait à terme à la fusion des deux approches, donc à la suppression des juridictions disciplinaires.
b)      Mais le socle commun des règles déontologiques, garant de l’indépendance des professionnels du droit, se manifeste aussi dans le contenu de cette indépendance.
A cet égard, quatre aspects doivent retenir notre attention, mais seuls les deux derniers feront l’objet d’une table ronde spécifique, parce qu’il n’était pas possible de tout envisager en une seule journée :

1) L’indépendance est d’abord liée à l’existence de structures professionnelles qui constituent à la fois le glaive de chaque profession du droit et le bouclier de chaque professionnel. L’ordre, la compagnie, l’organe professionnel, quel que soit son nom, tout à la fois protège les professionnels contre des attaques injustes et sanctionne les professionnels défaillants.
2) Mais il n’y a pas que les aspects disciplinaires. La déontologie comporte aussi un volet financier, à travers les garanties que doit offrir une profession pour pallier les défaillances de certains de ses membres. C’est là le prix de l’indépendance de chaque profession du droit. Qui paye est maître et laisser à d’autres qu’aux membres de la profession concernée le soin de garantir financièrement ces défaillances, serait abdiquer son indépendance, mettre en péril la survie de la profession.
3) Le troisième contenu de cette exigence d’une déontologie forte, garante de l’indépendance des professionnels du droit, c’est la question que nous allons aborder en premier ce matin, celle du conflit d’intérêts.
Que n’a-t-on pas dit sur cette question depuis plusieurs mois, qu’il s’agisse des hommes politiques qui deviennent avocats, des professeurs de droit qui pratiquent l’arbitrage sans toujours révéler les liens qui les rattachent ou les attachent devrait-on dire, à l’une des parties, de certains magistrats qui semblent ignorer, par exemple, le paragraphe a4 du Recueil des obligations déontologiques que j’évoquais à l’instant et qui dispose que « les magistrats préservent leur indépendance vis-vis des pouvoirs exécutif et législatif en s’abstenant de toute relation inappropriée avec leurs représentants et en se défendant de toute influence indue de leur part » ?
La vie publique et la vie des affaires confondues, la vie personnelle qui interfère avec la vie professionnelle, sont des fléaux qui ne sont propres à aucune profession, parce qu’ils touchent chacun d’entre nous dans l’éthique qu’il a de l’exercice de sa profession, donc dans la déontologie que lui impose les instances professionnelles et que sanctionnent les organes disciplinaires, en tant que de besoin. N’est-il pas significatif d’une dégradation de la perception de cette exigence d’éviter tout conflit d’intérêts, que le Président de la République ait été obligé de confier une mission sur cette question au Vice-Président du Conseil d’Etat ? Certes, la mission confiée à cette Haute personnalité vise l’action des personnes dépositaires de l’autorité publique, ministres, hauts fonctionnaires et responsables d’entreprises ou d’établissements publics, mais la définition proposée du conflit d’intérêts a une portée plus large que le cercle de ces activités : « situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concoure à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ». Il suffit de remplacer la « mission de service public » par la notion d’exercice professionnel pour appliquer telle quelle cette définition aux professionnels du droit.
Pourtant, la question n’est pas nouvelle et je suis certain que nous apprendrons beaucoup au cours des débats que la première table ronde ne manquera pas de susciter. Mais il faut ici souligner qu’il est nécessaire de sanctionner le conflit d’intérêts dans toutes les professions, car il faut préserver la confiance de l’usager du droit, tout en assurant l’indépendance du professionnel : ces deux exigences de confiance et d’indépendance se rejoignent dans ce socle commun d’une déontologie forte.
C’est le principe de loyauté qui émerge ici, concept dont je conviens volontiers qu’il peut paraître flou à certains, trop moral a-t-on dit, pour mieux le balayer d’un revers de main, mais qui s’impose progressivement non seulement comme un principe directeur du procès, mais aussi du comportement des professionnels du droit, qui se doivent d’être irréprochables, quelle que soit la profession à laquelle ils appartiennent.
Cette vigilance est d’autant plus nécessaire que la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 sur la modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, en ouvrant ces professions à l’inter-professionnalité, crée de nouveaux risques de conflits d’intérêts entre les professionnels du droit et ceux du chiffre ou entre professionnels du droit appartenant à des professions différentes.
4) Le quatrième aspect de cette indépendance garantie par une exigence déontologique forte, c’est celui du secret professionnel qui sera abordé en début d’après-midi, lors de la troisième table ronde.
Là encore, l’intérêt du client, de l’usager rejoint celui du professionnel. Le secret professionnel est tout à la fois ce qui protège l’usager et assure l’indépendance du professionnel à l’égard de toute forme de pouvoir. Ce n’est pas un hasard si ce secret est commun à toutes les professions dans la sanction qu’en donne l’article 226-13 du code pénal. On sort de la matière déontologique, disciplinaire pour entrer dans le champ pénal. Tous les professionnels du droit sont tenus pas cette exigence déontologique forte, mais là encore la loi du 28 mars 2011 apporte quelques inquiétudes par le fait de l’inter-professionnalité. Dans le cadre de ces futures structures interprofessionnelles, comment va s’organiser le respect de ce secret ? Le secret est-il lié à l’ensemble de la structure, tous ses membres y étant alors tenus, quel que soit celui des professionnels qui aura reçu le client ? Ou est-ce qu’on doit considérer que chaque professionnel étant tenu au secret de par la loi, ils sont tous, au sein de cette structure, tenus à l’égard du client, sous la forme d’un secret « partagé » ? Je suppose que cette question sera abordée cet après-midi.
On le voit, et on pourra le vérifier au cours de nos travaux, le secret professionnel et le conflit d’intérêts sont au cœur de ce socle commun d’une exigence déontologique forte pour garantir l’indépendance des professions du droit. Mais il y a bien d’autres aspects qui, pour être communs à toutes les professions, ne s’imposent pas avec la même force dans chacune d’entre elles.
III - Et c’est le troisième point de ces propos introductifs : variable propre à chaque profession du droit, l’exigence déontologique doit aussi être évolutive pour garantir, au cas par cas, la compétence des professionnels du droit.
            a) Parler de compétence, c’est évoquer la question de la formation des professionnels du droit
Pour autant, je ne parlerai pas ici de la formation, qu’elle soit initiale ou continue, sauf à souligner que l’exigence de la seconde désormais acquise dans toutes les professions du droit, devrait conduire à nous interroger sur la pertinence d’une formation initiale exagérément longue et que certains souhaitent encore allonger en instaurant une pyramide d’années d’études après la formation universitaire.
A-t-on vraiment besoin d’un tronc commun complémentaire après cinq années d’études supérieures ? Je suis intimement persuadé que la spécificité de chaque profession doit ici l’emporter sans qu’il soit besoin de regrouper les élèves dans une grande école du droit commune à toutes les professions, usine à gaz au déficit budgétaire assuré, dans laquelle chaque profession perdra sa spécificité, pour ne pas dire son âme. Méfions-nous des fausses bonnes idées, parfois davantage inspirées par la volonté déguisée de fusionner par la formation ce qu’on n’a pas réussi à fusionner par l’absorption des professions voisines, que par l’amélioration supposée de la compétence des futurs professionnels de toutes les professions juridiques et judiciaires. Je crois plus à l’interactivité des liens entre les différents centres ou écoles de formation propre à chaque profession qu’à l’illusion d’une école unique.
            b) Mais l’essentiel n’est pas là. La compétence que garantissent les règles déontologiques, est aussi dans les thèmes qui retiendront notre attention dans les deux autres tables rondes.
1) Le premier de ces thèmes est celui de la communication et du démarchage.
Vous aurez noté que les organisateurs de ce colloque n’ont pas utilisé le mot « publicité », mais celui de « communication ». Ce n’est pas un hasard : alors que la publicité est strictement encadrée en droit français pour les professionnels du droit, notamment pour les avocats, le besoin de communiquer, notamment par internet est de plus en plus pressant. Naguère, on parlait de publicité informative, ce qui en soi est trompeur, car toute publicité porte en elle une information. C’est pourquoi, il me paraît nécessaire de revoir les règles déontologiques sur la publicité des professionnels du droit, sans doute profession par profession et non pas par un texte de portée générale pour l’ensemble  de ces professions. Cela me paraît d’autant plus urgent que d’une part, ce n’est un secret pour personne que les règles actuelles sont fréquemment violées sans que ces violations soient sanctionnées, ce qui affaiblit l’effectivité de la règle ; et que, d’autre part, la concurrence internationale, notamment anglo-saxonne, nous confronte, à l’extérieur de nos frontières, à des règles plus permissives ; il est urgent de donner à nos cabinets qui œuvrent à l’international les moyens de communiquer de manière plus directe et plus attractive qu’aujourd’hui et d’adapter notre règlementation aux exigences du droit de l’Union européenne. Nous y serons sans doute contraints par ce qui vient d’être jugé, à Luxembourg, en matière de démarchage et dont nous parlera Georges Decocq.
Reste en effet, dans ce thème, la limite que constitue le démarchage et je suis bien certain que ce matin, au cours de la deuxième table ronde, l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 5 avril 2011[31] retiendra toute notre attention. Certes, il ne concerne pas un professionnel du droit, tout au moins une profession qui exercerait le droit à titre principal, puisqu’il s’agit des experts-comptables, mais le fait que la Cour juge contraire à la directive services n° 2006/123/CE la réglementation française concernant cette profession, pour la raison qu’elle constitue une restriction à la libre prestation de services transfrontaliers, et la circonstance que la Cour statue en des termes généraux qui visent les membres d’une profession réglementée, nous obligent à nous interroger sur les conséquences induites par cet arrêt sur la déontologie des professionnels du droit. L’apport du droit de l’Union européenne et du droit comparé est essentiel.
2) Le second thème qui intéresse à des degrés différents chaque profession est celui de la discipline, dans la perspective de la protection du consommateur
Pour ce qui me concerne, je placerais volontiers le thème de notre dernière table ronde sous l’éclairage du thème général de notre colloque ; les professionnels du droit étant au service des usagers du droit, il est naturel que la protection des consommateurs de droit passe par la question de leur discipline.
Là aussi, au-delà de règles de principe communes à toutes les professions, il convient de laisser à chaque profession le soin de gérer les modalités de sa discipline.
XXX
Vous le voyez, sur ce thème des règles déontologiques au service des usagers du droit, il convient à la fois d’être ferme et exigeant sur le socle commun de ces règles qui garantissent l’indépendance de ces professionnels et d’admettre une dose de variabilité, profession par profession, pour tout ce qui concerne leur compétence. Le déroulement de nos travaux confirmera, je l’espère, cette approche. En tout cas, il nous permettra de progresser sur un terrain qui ne peut être qu’en perpétuel mouvement, puisqu’à partir du socle des règles communes, l’exigence déontologique se construit au jour le jour et évolue avec les besoins de notre temps.
Passion universelle parce que commune à toutes les professions du droit, la déontologie doit rester une exigence en permanence évolutive pour pouvoir répondre aux grandes évolutions sociales, économiques et technologiques du monde contemporain.



[1] Sur la question de l’unité des professions juridiques, Les professions juridiques, dossier de la Revue de droit Henri Capitant, n° 4, 2012 : B. Renaud « Profession unique ou profession unies ? », p. 121 et Ch. Féral-Schul, « La grande profession du droit : rêve ou nécessité ? », p. 125.
[2] Rapport sur le site du ministère de la justice et publié à la Doc. fr., 2009.
[3] Déc. n° 2015-715 DC du 5 août.
[4] Commentaire : L. Jariel, JCP 2015, 1078, n° 2 ; Th. Wickers, D. 2016, 101.
[5] La loi Macron leur donne la possibilité d’exercer le conseil juridique à titre accessoire, mais exclut les prestations juridiques à titre principal de manière qui se veut plus claire qu’autrefois, puisque les prestations délivrées een matière fiscale ou sociale y sont explicitement adjointes ; ils peuvent continuer à proposer à leurs clients des activités d’assistance dans leurs démarches déclaratives à finalité fiscale, sociale et addministrative (par ex. établir un bulletin de paye, une déclaration fiscale).
[6] Commentaires : F. G’sell, JCP 2016, 488 ; L. Jariel, JCP 2016, doctr. 670, n° 3.
[7] Administrateurs judiciaires, avocats, avocats aux Conseils, commissaires-priseurs judiciaires, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, mandataires de justice, notaires ; 5 sont titulaires de charges, les autres (avocats, administrateurs et mandataires judiciaires) échappant, sous ce regard, au bénéfice d’un droit de présentation et à la notion de mission de service public par délégation permanente de l’état.
[8] M. Bénichou, « L’Europe, les avocats et la concurrence », Gaz. Pal. 7 fév. 2015, n° 38, p. 9
[9] Un groupe de travail a été réuni à la Chancellerie en 2005 pour réfléchir aux évolutions concernant ce rapprochement ; le rapport a été remis au Garde des Sceaux le 27 janvier 2007, après consultation des professionnels concernés (sur le site du ministère de la Justice), v. « Rapprochement entre les professions d’avocat et de juriste d’entreprise, Réflexions et propositions », JCP 2006, Actu. 55.
[10] R. Martin, « Le devenir de la profession d’avocat », JCP 2005. I. 178.
[11] Colloque Université Paris 2, 14 janv. 2015, « Les professions juridiques : service public et déréglementation ? » Les Annonces de la Seine, 12 mars 2015, p. 18, spéc. Y. Gaudemet, p. 22, rapport de synthèse sur « Les réformes de ces professions et la Constitution ».
[12] G. Decocq, « Avis de tempête sur les professions juridiques et judiciaires », Contrats-concurrence-consommation 2014, repère 9.
[13] V. sa communication sur « évaluer les réglementations nationales en matière d’accès aux professions » (COM2013/676 final, 2 oct. 2013) ; C. Nourissat, « Accès aux professions réglementées : objectif 2015 », Procédures 2013, repère 11.
[14] Directive 2005/36/CE, 7 sept. 2005.
[15] D. Lecomte, Gaz. Pal. 30 nov. 2014.
[16] http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/synthese_avis_prof_regl_jan15.pdf
[17] Exposé des motfis : « La réforme des professions réglementées du droit introduit la liberté d’installation, tout en confirmant l’exclusivité de leurs missions. Elle renforce le maillage territorial de ces professions. Elle ouvre en outre entre professionnels du droit et de l’expertise comptable l’accès au capital pour encourager l’investissement, rendre l’activité plus efficace et permettre l’interprofessionnalité. Elle rénove le mode de fixation des tarifs, afin qu’ils reflètent davantage les coûts réels. La loi prévoit également le regroupement des professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire et de commissaire-priseur judiciaire dans une profession unique de commissaire de justice, qui offrira plus de débouchés et de mobilité entre ces professions voisines ».
[18] À. l’exception de Th. Wickers qui souligne que la plupart des dispositions du projet sont la mise en oeuvre des directives services et n° 2005/36/CE du 7 sept. 2005 sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, D. 2015, 38.
[19] Commentaires : F. G’sell, JCP 2015, supplément au n° 44, p. 15. Sur la conformité avec le droit européen, E. de Lamaze, Gaz. Pal. 26 sept. 2015, n° 269, p. 7 ; G. Decocq, Contrats-conc. consom. 2016, Repère 8. Sur les notaires et les avocats, M.-L. Dussart, AJDA 2015, 2188. T. Wickers, D. 2016, 101. Sur les relations avocats-experts-comptables, E. de Lamaze et A. Bricard, Gaz. Pal. 27 sept. 2016, n° 33, p. 14.
[20] Déc. n° 2015-715 DC du 5 août 2015.
[21] Rapport d’information n° 2475, Documents d’information de l’Assemblée nationale, déc. 2014.
[22] Présentation rapide : D. Piau, Gaz. Pal. 8 mars 2016, n° 10, p. 11.
[23]  , J.-F. Kriegk, « La culture judiciaire : une contribution au débat démocratique », D. 2005. 1592.
[24]  G. Bolard et S. Guinchard, « Le juge dans la cité », JCP 2002. I. 137.
[25]  L’éthique des gens de justice, Entretiens d’Aguesseau, Limoges, 19-20 oct. 2000, PU Limoges, nov. 2001. N. Fricero (dir.), Éthique et professions judiciaires, Actes du colloque de la revue Droit et procédures, Nice, 16-17 avr. 2004, coll. « Dr. et proc. », EJT éd. 2004. Conférence de consensus sur l’éthique judiciaire, Réunion des Premiers présidents de cour d’appel, 28 juin 2005, BICC 15 oct. 2005.
[26]  V. cependant, pour les professions juridiques et judiciaires, H. Croze et E. Joly-Sibuet, Quelle déontologie pour 1993 ? Rapport pour le Commissariat général au Plan, 1993. Pour les juges, le Rapport de la Commission de réflexion sur l’éthique de la magistrature, présidée par le Prés. J. Cabannes, 2003.
[27]  P. Martens, « Sur les loyautés démocratiques du juge », in Mélanges E. Cerexhe, Larcier éd., 1997, p. 249.
[28] Joël Moret-Bailly et Didier Truchet, Déontologie des juristes, PUF 2010. Rapport du Laboratoire de droit international et européen de l’université de Toulouse 1, Etude sur l’évolution des règles professionnelles et déontologiques des professions juridiques et judiciaires, recherche financée par la Mission Droit et Justice, mars 2011.
[29] Etude précitée du Laboratoire de droit international et européen de l’université de Toulouse.
[30] Etude précitée du Laboratoire de droit international et européen de l’université de Toulouse.
[31] CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/9, Société fiduciaire nationale d’expertise comptable c/ Ministère du budget.

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