mardi 30 mai 2017

BELLES PAGES 7: LE JUGE 2, MÉTHODES DE TRAVAIL ET POUVOIRS

SOMMAIRE
I – Le travail en équipe
II – Le raisonnement du juge
III – Le pouvoir du juge européen
IV - Le pouvoir du juge national d’écarter une loi
V – La spécialisation des juges
VI – Le juge à l’écoute du monde
VII- L’avenir du juge

I – Le travail en équipe
Janvier 2017
La multiplication des auxiliaires du juge : une équipe autour du juge
   À côté des personnels permanents et titulaires du ministère de la Justice (greffiers) ou d'un autre ministère (personnels de la police judiciaire), toute une série de personnages apparaissent dans le monde contemporain de la justice, plus au moins bénévoles, plus au moins permanents : les conciliateurs et médiateurs ; les techniciens et experts et, depuis peu, les assistants de justice ou encore les juristes assistants, les assistants spécialisés, notamment en matière financière, qui vont aider les juges d'instruction et les procureurs, les délégués et médiateurs du procureur dans les maisons de justice. C'est un paysage nouveau qui se dessine : beaucoup de « supplétifs » autour de magistrats professionnels. C'est cette évolution que la commission Guinchard prend en compte en proposant de faire du juge le véritable animateur d'une équipe au sein de sa juridiction[1] ; en application de cette idée, le décret du 1er octobre 2010 sur la conciliation et les procédures orales renforce le rôle des conciliateurs de justice autour du juge ; on voit se dessiner un autre paysage de la justice. Idée reprise par la ministre de la Justice en octobre 2012, dans une mission confiée à l'Institut des Hautes études sur la Justice pour une redéfinition de l'office du juge (rapport rendu en juin 2013[2]). Idée reprise aussi par le rapport Delmas-Goyon sur les juges du xxie siècle (décembre 2013) dont les propositions 39 à 44 s'insèrent dans un chapitre « organiser le travail du magistrat en favorisant cohérence, lisibilité et travail en groupe » et les propositions 45 à 59 sont regroupées sous l'intitulé « répartir les rôles au sein de l'équipe juridictionnelle et créer un greffier juridictionnel ». Le décret n° 2016-514 du 26 avril contient plusieurs dispositions qui visent à favoriser ce travail en équipe, à inciter les magistrats à échanger sur leurs pratiques : magistrats coordonnateurs des tribunaux d’instance d’un même ressort et des activités juridictionnelles dans le ressort d’une même cour d’appel. La loi organique n° 2016-990 du 8 août revoit le statut des juges « supplétifs » des magistrats de carrière en créant, avec les magistrats honoraires pouvant n’exercer que des fonctions administratives ou d’aide à la décision au profit d’un magistrat, une équipe autour du président de la juridiction.  La loi n° 2016-1547 du 18 novembre crée les juristes assistants dont il va être question à l’instant.
Assistants de justice, juristes assistants, assistants spécialisés et agents de justice
Ces quatres catégories de personnel, apparues à la fin des années 1990 ne doivent pas être confondues, certains étant des fonctionnaires, d'autres des vacataires à titre précaire.
a) Les assistants de justice
1) La loi no 85-125 du 8 février 1995 a créé la fonction d'assistant de justice (art. 20), sorte d'auxiliaire du juge, mais qui ne constitue pas réellement une profession, puisque les assistants de justice ne peuvent être nommés que pour 2 ans renouvelables deux fois (art. 20, al. 2), parmi les titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation juridique de 4 ans après le baccalauréat au moins, et que « leur compétence qualifie particulièrement pour exercer ces fonctions ». Ils peuvent être installés auprès de toutes les juridictions d'instance, de grande instance, des cours d'appel et de la Cour de cassation (art. 20, al. 1) et même auprès de l'ENM. Décret d'application no 96-513, 7 juin 1996 et arrêté du même jour sur la rémunération.
La loi, pas plus que le décret, ne définit leurs tâches avec précision, puisqu'il est simplement dit « qu'ils apportent leurs concours aux travaux préparatoires réalisés pour l'exercice de leurs attributions par les magistrats » (art. 1er décr. 1996). Cela peut aller des recherches documentaires à la rédaction d'un projet de jugement ! D'où l'obligation qui leur est faite de prêter serment (s'il est placé en juridiction bien sûr ; formule in art. 7, Décr.) et de respecter le secret professionnel (art. 20, al. 2, L.). Il faut les rapprocher, pour mieux les distinguer et prévoir l'évolution de leur statut des « attachés de justice » qui avaient été créés par le décret no 59-84 du 7 janvier 1959 ; ces derniers constituaient un véritable corps semi-administratif, avec possibilité d'accès à la magistrature après 15 ans d'exercice des fonctions ; leurs missions étaient définies avec plus de précision : exercer sous le contrôle des chefs de juridiction « toutes attributions non juridictionnelles impliquant soit un travail de gestion, soit un travail de rédaction à caractère juridique, soit un travail de recherche jurisprudentielle ou doctrinale ».
Les assistants de justice ont une situation précaire (rémunération au SMIC et sur 10 mois seulement) ; ils n'ont, en principe, aucune vocation à devenir un corps autonome, avec intégration à terme dans la magistrature, sauf à ce qu'ils remplissent les conditions d'accès aux concours dits « complémentaires » de la loi organique du 25 juin 2001 (v. ss 833). En outre, la qualité d'assistant de justice peut constituer un « plus » dans un dossier d'admission sur titre d'un candidat docteur en droit ou ayant exercé des fonctions d'enseignement (v. ss 834). Si, de fait, les assistants de justice sont essentiellement des étudiants en droit, doctorants ou docteurs, en attente d'une intégration dans l'enseignement supérieur, les textes n'interdisent pas de recruter des membres de professions libérales juridiques ou judiciaires ou des personnes employées à leur service qui, avec l'accord du chef de cour (ou du directeur de l'ENM, selon le cas), pourront cumuler leur activité professionnelle avec celle d'assistant de justice.
À terme, si un corps était créé, avec un véritable statut et un recrutement massif[3], c'est à un véritable bouleversement qu'on assisterait dans la manière de travailler des magistrats et, à plus long terme, dans la relation de ce corps avec celui des assistants de justice ; le magistrat travaillerait en équipe et non plus en artisan, mais la revendication des assistants de justice serait alors, sans doute, d'intégrer, à terme, le corps des magistrats. On peut les rapprocher des « law clerks » qui entourent, à raison de quatre par juge, les membres de la Cour suprême des États-Unis d'Amérique et dont un auteur averti nous dit qu'ils participent à l'amélioration du travail de ces juges, notamment par le temps qu'ils permettent aux juges de dégager pour rédiger les arrêts et leurs opinions dissidentes[4].
2) La loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 a étendu aux juridictions administratives (y compris la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes) la possibilité de recruter des assistants de justice (art. L. 122-2 pour le Conseil d'État et R. 227-1 pour les juridictions du fond) avec la même obligation de respecter le secret professionnel et la même durée de fonctions (six ans au maximum). Décret d'application no 2002-1472 du 20 décembre 2002.

b) Les juristes assistants de la loi du 18 novembre 2016. Cette loi crée dans l’article L. 123-4, COJ, non pas un corps, mais une fonction réservée aux docteurs en droit et aux titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation juridique d’au moins cinq ans après le baccalauréat avec deux années d’expérience professionnelle dans leur domaine juridique[5] qui pourront être nommés en cette qualité dans toutes les juridictions, hors les juridictions composées de juges non professionnels, si leur compétence les qualifie particulièrement pour exercer ces fonctions. Ils seront nommés, à temps complet ou partiel, pour 3 ans, renouvelables une fois. Tenus au secret professionnel, ils auront accès aux dossiers de procédure pour l’exercice des tâches qui leur seront confiées. Un décret est attendu. Surtout, ils pourront bénéficier des dispositions de l’article 18-1, Ord. 1958, car la loi organique n° 2016-1090 du 8 août les autorise à entrer dans la magistrature par la voie de l’auditorat à l’ENM, sur titre (et non pas sur concours).

c) Les assistants spécialisés ont été créés par la loi no 98-546 du 2 juillet 1998 (art. 91, in art. 706, C. pr. pén.). Ils sont chargés d'assister, dans le déroulement de la procédure, les magistrats sous la direction desquels ils sont placés sans pouvoir procéder par eux-mêmes à aucun acte ; ils ont accès aux dossiers des procédures pour l'exercice des tâches qui leur sont confiées et donc tenus au secret professionnel. Ce sont des fonctionnaires de catégorie A ou B, ou des personnes titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation économique, financière, juridique ou sociale d'une durée au moins égale à 4 ans d'études postérieurement au baccalauréat, qui remplissent les conditions d'accès à la fonction publique et qui justifient d'au moins 4 ans d'expérience professionnelle. En clair, il s'agit de placer auprès des magistrats, essentiellement des juges d'instruction et des pôles économiques et financiers, des personnes compétentes pour les aider dans les dossiers à haute technicité économique et financière, grâce au concours permanent de collaborateurs issus de corps spécialisés (inspecteurs des impôts, des douanes, etc.). Décret d'application no 99-75 du 5 février 1999.

c)  Les agents de justice, créés par la loi no 99-515 du 23 juin 1999 (art. 29 »), sont des contractuels de droit public âgés de 18 à 26 ans, recrutés pour 5 ans au maximum pour « développer des activités répondant à des besoins non satisfaits auprès des magistrats et fonctionnaires du ministère de la Justice », en vue d'assurer des activités d'accueil et d'assistance auprès des justiciables et du public dans les juridictions et les maisons de justice et du droit, et de contribuer à la prise en charge et au suivi éducatif des mineurs et jeunes majeurs délinquants dans les services de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse. Décret d'application no 99-916, 27 oct. 1999.

Les magistrats honoraires et la réserve judiciaire de greffiers
   Une autre philosophie avait inspiré la création de la réserve judiciaire : pallier, par le recours à des retraités, les conséquences du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite. La loi de finances pour 2011, no 2010-1657, 29 décembre 2010, avait créé, à l'article 164, deux réserves judiciaires composées de volontaires en retraite et rémunérés (à la vacation) pour les tâches qu'ils accompliront. Décret no  2011-946, 10 août 2011 et arrêtés (deux) du 6 sept. 2011.
a) La première réserve étaitt composée de magistrats volontaires en retraite et âgés de 75 ans au plus, affectés, en fonction des besoins, qu'à des tâches non juridictionnelles. Cette réserve est supprimée par l’article 40-II de la loi organique n° 2016-1090 du 8 août qui abroge l’article 164-I de la loi de finances précitée du 29 décembre 2010. De fait, la possibilité offerte à des magistrats honoraires d’exercer des fonctions non juridictionnelles d’aide à la décision auprès d’un magistrat rendait inutile le maintien de cette réserve.
b) En revanche, la seconde réserve qui concerne, à l'identique, les greffiers des services judiciaires subsiste : issus du corps des greffiers en chef et de celui des greffiers, âgés au plus de 75 ans, retraités et volontaires, ils pourront eux aussi être affectés, en fonction des besoins, par les mêmes autorités à des missions d'assistance, de formation des personnels et d'études pour l'accomplissement d'activités non juridictionnelles.

II – Le raisonnement du juge
Janvier 2017

L’avenir du droit et du justiciable à la Cour de cassation
Depuis 2015 et tout au long de l’année 2016, des débats ont eu lieu à la Cour de cassation, sous l’égide de son premier Président, pour revoir ses fonctions juridictionnelles sous l’angle de l’introduction du contrôle de proportionnalité[6], du filtrage accru des pourvois et d’une nouvelle motivation de ses arrêts ; on a déjà dit qu’en réalité ces débats cachent une volonté de prise de pouvoir par le judiciaire, ce qui remet en cause l’équilibre actuel de nos institutions ; mais la version finale de la loi de modernisation de la Justice du XXIème siècle, si elle n’a pas retenu le pire des amendements de filtrage, a mis en place des instruments techniques qui permettront à la cour d’assurer un contrôle de proportionnalité sociétal, éclairée par son procureur général et, si nécessaire, par un amicus curiae [7].
a) Sur le plan des principes et du contrôle de proportionnalité, disons-le d’emblée : nous avons toujours été favorable à cette technique, pratiquée par certains juges du fond, allant même jusqu’à écrire qu’au niveau de la cour de cassation, le pourvoi était un vecteur particulièrement adapté à ce type de contrôle[8], et nous avons été l’un des premiers, dans notre Précis de droit processuel, dès sa 1ère édition en janvier 2001, qui synthétisait des articles antérieurs de la fin des années quatre-vingt-dix[9], à faire observer que ce contrôle conférait au juge national « un énorme pouvoir » puisque ce dernier peut juger les lois, voire la jurisprudence d’une cour suprême étrangère, au nom de ce principe[10]. Ce contrôle traduit bien l’évolution de la question de la légitimité du droit : l’École de la hiérarchie des normes illustrée par la fameuse pyramide de Kelsen a été concurrencée par celle de la hiérarchie des valeurs avec, d’abord, l’École du droit naturel, puis avec la notion anglo-saxonne d’État de droit (le fameux rule of law et la doctrine des droits fondamentaux[11]. C’est cette dernière École qui fonde le contrôle de proportionnalité, le juge devenant le gardien des idéaux démocratiques et le censeur éventuel des deux autres pouvoirs s’ils transgressent ces valeurs ; le juge s'affirme par rapport aux autres pouvoirs, parce qu’avec le contrôle de proportionnalité, il évalue la fidélité aux valeurs démocratiques de base des finalités concrètes de l'action sociale qui appartiennent aux pouvoirs législatif et exécutif. Le droit ne fonde pas le droit ; il est heuristique en ce qu’il transmet des valeurs et que le juriste défend une cause. Mais si le droit n’est pas neutre, c’est parce qu’il s’appuye sur des droits dits fondamentaux que nous avons théorisés, pour le droit du procès, dans le Précis de droit processuel[12]. On revient ainsi au vieux précepte d’Ulpien (jus est ars aequi et boni = le droit est l’art de l’équité et du bien) et on rejoint Jürgen Habermas qui hésite moins que les juristes à écrire que « les principes moraux qui proviennent du droit naturel sont aujourd’hui des éléments du droit positif »[13].
Cela n’interdit pas d’en montrer les limites et les possibles dérives d’aborder les affaires sous l’angle exclusivement sociétal (rappr. la nouvelle mission reconnue au procureur général de la cour, et la légalisation de la pratique de l’amicus curiae, et de remettre en cause les arbitrages opérés par la souveraineté nationale, à savoir le Parlement, au motif que les conséquences de ces arbitrages seraient in casu excessives ; cette dernière dérive est le ver dans le fruit d’un contrôle de proportionnalité mal maîtrisé, chaque juge se livrant à un pur contrôle d’opportunité, écartant une règle dans un cas, l’appliquant dans un autre, au nom d’une équité dont il serait le seul juge ! Il est donc nécessaire d’encadrer cette technique, voire de « recadrer » les juges du fond qui se laisseraient aller à un contrôle de pure opportunité[14]. Ainsi, la nullité d’un mariage incestueux au regard de la loi parce que l’homme épouse la femme de son fils dont ce dernier avait divorcé, est écartée lorsque l’homme épouse la fille que sa femme (dont il avait divorcé bien sûr) avait eue d’un premier lit. Or, dans les deux cas, le texte est clair et précis ; pour autant, il est mis en balance avec le principe de non-ingérence dans la vie privée, ingérence justifiée ou pas selon l’espèce. Ne faudrait-il pas écarter la balance des intérêts lorsque le texte est clair et précis, à l’instar de la technique de la dénaturation : la Cour de cassation sanctionne toute interprétation par les juges du fond d’une convention claire et précise et écarte toute censure de l’arrêt lorsque la convention ne présentait pas ces caractères ; ne devrait-elle pas s’appliquer à elle-même cette théorie de la dénaturation lorsque le texte légal à appliquer ne laisse place à aucune interprétation ?
 Pour construire un contrôle de proportionnalité sans excès, sans dérive[15], il n’est pas inutile d’aller regarder ce qui se passe outre-Manche ou outre Rhin. Sous ce regard anglais, on peut faire observer, ce qu’un autre auteur a justement relevé, à savoir, qu’au Royaume Uni, depuis l’intégration de la Convention EDH dans son ordre juridique par l’Human rights act de 1998 (section 4(2), lorsqu’une cour constate qu’une loi est incompatible avec la Convention EDH, elle formule une déclaration d’incompatibilité qui n’invalide pas la loi, mais remet aux pouvoirs exécutif et législatif le soin de se saisir de la question inconventionnelle pour rectifier le texte litigieux[16]. On observera qu’en droit français, le référé législatif a existé et qu’aujourd’hui rien n’interdit au Gouvernement et/ou Parlement de s’auto-saisir de la question faisant débat, comme ils l’ont fait dans la question du tableau d’amortissement, qui avait donné lieu à une jurisprudence contestée sur les lois de validation. Ce système porte en lui-même sa limite : il ne vaut que pour les lois non-conventionnelles, pas pour la balance des intérêts sur une disposition valide. Sur ce point, le Protocole n° 16 de la Convention EDH met en place une procédure d’avis qui, lorsqu’elle sera en vigueur, permettra aux juridictions suprêmes nationales de demander à la Cour EDH son avis sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés de la Convention ; c’est ouvrir la possibilité aux juges suprêmes français d’ouvrir un dialogue sur la portée de certaines exigences conventionnelles. Si le débat est si vif, c’est que les intérêts en balance portent sur des droits substantiels et non plus seulement sur des droits de procédure. On a l’a bien vu lors du débat sur l’annulation ou pas d’un mariage pour inceste dans le cas où l’inceste résultait d’un mariage entre alliés et non pas entre parents par le sang : alors que l’article 161 du code civil prohibe ce type de mariage, la cour de cassation a successivement écarté l’annulation d’un mariage (déjà dissous par décès) entre un homme et sa bru[17] puis approuvé les juges du fond d’avoir annulé un mariage entre un homme et la fille de son ex-épouse, tout en procédant eux-mêmes au contrôle de proportionnalité[18]. Il faudra bien que les juristes qui s’intéressent aux droits substantiels mais pas au droit du procès, s’habituent à intégrer dans leur point de vue la manière dont la question a été abordée et résolue pour les droits de procédure, notamment quant aux applications dites autonomes de l’équité.
 b) Sur le plan plus technique de l’accès au juge de cassation, on se contentera ici d’indiquer qu’une tentative d’introduire un filtrage accru des pourvois, par voie d’amendement parlementaire au projet de loi sur la modernisation de la Justice du XXIème siècle, déposé le 30 avril 2016, a lamentablement échoué le 4 mai devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, en avril- mai 2016, le ministre de la Justice étant alors mis en minorité et annonçant le retrait de ces amendements, dont peu ensuite n’ont eu le courage de revendiquer la paternité[19]. Ces projets portent en eux de graves dangers pour le justiciable qui ne verrait plus garanti son droit d’accès au juge de cassation[20]. Selon F. Ferrand, « on ne peut que s'étonner de la méthode de l'amendement subreptice emportant métamorphose du modèle de la cassation »[21].

III – Le pouvoir du juge européen
Janvier 2017
Problématique de l’effet immédiat des arrêts européens
et de l’autorité de la chose interprétée
   Lorsque la Cour EDH a constaté une violation d’une garantie par un État, les autorités de cet État ont-elles l’obligation de se conformer, pour l’avenir et pour des cas semblables, aux prescriptions de la Cour EDH ? La question est particulièrement d’actualité en matière processuelle où les violations constatées sur le fondement de l’article 6, § 1 de la Convention EDH, ont souvent comme origine, soit un texte que le législateur peut donc abroger ou rectifier, soit une pratique que les tribunaux peuvent modifier. Poser la question, c’est s’interroger sur la portée exacte des arrêts de la Cour EDH au-delà du cas qui lui a été soumis, pour des situations similaires, le problème se prolongeant d’ailleurs, au-delà de l’autorité d’un arrêt pour l’État qui y a été partie, sur le cas des autres États : doivent-ils tenir compte eux aussi des arrêts déclaratoires rendus dans un litige auquel ils n’étaient pas partie [22] ?
La Cour EDH affirme, dans plusieurs arrêts, la vocation de sa jurisprudence « non seulement à trancher les cas dont elle [la Cour] est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes » [23]. Les méthodes elles-mêmes d’interprétation que nous avons étudiées (v. ss 71 s.) sont au service de cette politique (v. aussi, ss 130). On distinguera selon qu’il s’agit des autorités législatives ou des autorités judiciaires, en concentrant nos développements et nos exemples sur le droit processuel.
Autorité, sur le législateur national, de la chose interprétée par la Cour EDH
dans ses arrêts déclaratoires
a) En opportunité, on peut faire remarquer que les États n’aiment pas être condamnés à Strasbourg, ce qui devrait, en théorie, les inciter à exécuter les arrêts de la Cour EDH et à mettre leur droit en conformité, pour l’avenir avec les exigences posées par la Cour ; ce genre de décisions en effet, est souvent perçu comme une atteinte à leur honorabilité, un peu, toutes proportions gardées, comme les dénonciations, par Amnisty International, de la violation des droits de l’homme dans un pays ; on n’est d’ailleurs pas loin de ce type de dénonciation quand la France est condamnée à Strasbourg pour torture pendant une période de garde à vue [24]. Embarras encore, mais d’un autre ordre, celui du symbolique, lorsque la France est condamnée, par trois fois, pour des dysfonctionnements de sa justice tenant à sa plus haute juridiction, la Cour de cassation (affaires Fouquet pour erreur de fait dans la lecture d’un dossier [25] ; Higgins, pour défaut de motivation [26] ; Dulaurans, pour erreur manifeste d’appréciation [27] ; ces affaires seront étudiées dans la Deuxième partie, Titre 1). En outre, les États parties à la Convention et, surtout, les juristes de ces États, notamment les avocats, ne peuvent ignorer les solutions acquises dans une espèce, y compris contre ou au bénéfice d’un autre État ; le droit comparé de ces solutions donne aux arrêts de la Cour une portée plus large que les textes strictement interprétés le laissent penser. Mais l’opportunité ne crée pas le droit.
b) Qu’en est-il réellement, en droit positif, de l’autorité des arrêts déclaratoires de la Cour EDH sur le législateur national, au-delà du cas d’espèce pour lequel la Cour EDH a relevé une violation ? [28] Il faut être très net, la Cour n’a pas les moyens d’assurer le suivi de l’exécution de ses arrêts, même si elle s’efforce de surveiller cette exécution (v. ss 121, b). D’ailleurs, cette tâche incombe au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (art. 46, § 2 de la Convention) aidé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (v. ss 124-1). Ce suivi ne concerne pas seulement les mesures individuelles prises, au profit du requérant, par l’État condamné, pour effacer, autant que faire se peut, les conséquences de la violation constatée ; il s’étend aux mesures générales prises par l’État, à titre préventif, pour éviter que la même violation ne se reproduise. Le Comité des ministres, aidé en cela par la Direction des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, reçoit les informations des États sur l’exécution des arrêts, prend des Résolutions à leur égard et exerce sur eux, depuis quelques années, une pression qui, bien sûr, ne peut être que politique et diplomatique, même si un État qui refuserait de se soumettre à une décision pourrait, en droit, être suspendu de sa représentation au Comité des Ministres et être exclu du Conseil de l’Europe [29].

c) De fait – et c’est là, d’un point de vue général, la plus grande utilité des arrêts de la Cour EDH – l’État condamné choisit, pour ne pas risquer des mises en cause répétées, de s’attaquer aux causes de la violation qui lui a été reprochée. Se manifeste alors la portée réelle de la Convention EDH sur le législateur national [30]. L’État peut donc modifier spontanément et ponctuellement, sa législation contraire à l’interprétation qu’en donne la Cour EDH ; il en existe de multiples exemples ; ainsi en est-il, pour s’en tenir au droit processuel français et s’en prétendre à l’exhaustivité[31] : de la modification de la législation sur les écoutes téléphoniques suite aux arrêts Kruslin c/ France et Huwig c/ France du 24 avril 1990 ; de l’abrogation, par l’article 121 de la loi no 2000-516 du 15 juin 2000, des articles 583 et 583-1 du Code de procédure pénale, qui prévoyaient l’obligation pour l’auteur, en liberté, d’un pourvoi en cassation de se mettre en état, c’est-à-dire de se constituer prisonnier, la veille de l’examen de son pourvoi, afin de tenir compte de la jurisprudence Poitrimol, Omar et Guérin ; fait encore plus significatif, le Procureur général de la Cour de cassation avait anticipé cette loi en décidant de ne plus exiger la mise en état, fin décembre 1999. V. aussi, ss 125 la création d’un pourvoi dans l’intérêt des droits de l’homme, par la même loi du 15 juin 2000, qui participe, sinon d’une conséquence directe d’une jurisprudence européenne, en tout cas d’une prise en compte de la nécessité d’assurer l’effectivité des droits résultant d’une décision européenne, en matière pénale. Pour les autres États membres on consultera le site Internet de la Cour, à la rubrique Incidences des arrêts, (liste des principales mesures prises par les États parties à la Convention pour tenir compte des arrêts les plus importants de la Cour).

d) Surtout, la Cour EDH s’est largement affranchie de la lettre de l’article 46 § 1 de la Convention, qui confère à son arrêt une stricte autorité relative de la chose jugée, en se reconnaissant la faculté, hors la procédure de l’arrêt pilote, de prescrire à l’État l’adoption de mesures de portée générale en exécution de son arrêt de condamnation. Ainsi, dans l’arrêt Ataykaya c/Turquie[32], la Cour EDH constate que la mort du fils du requérant tué par une grenade lacrymogène tirée par les forces de l’ordre emporte violation de l’article 2 dans ses volets matériel et procédural, puis prescrit à la Turquie d’adopter un dispositif législatif ou réglementaire détaillé renforçant les garanties d’une bonne utilisation des grenades lacrymogènes par les forces de l’ordre lors de manifestations (§ 73). De même dans l’arrêt Vasilescu c/Belgique[33] elle constate que les conditions matérielles de détention dans deux prisons belges constituent un traitement inhumain et dégradant en violation de l’article 3 et accompagne ce constat de la « recommandation » faite à l’État d’adopter deux types de mesures générales, afin, d’une part, de garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l’article 3 et, d’autre part, de leur offrir un recours leur permettant de mettre fin à ces conditions de détention ou d’obtenir une amélioration de celles-ci (§ 67).
On mesure mieux le pouvoir considérable que détient la Cour EDH, et son rôle essentiel dans les sources du droit processuel, puisqu’elle peut imposer, indirectement, mais efficacement, sa volonté aux États membres ; elle peut modeler un type universel de procès tout au moins à l’échelon de l’Europe, mais celle-ci s’étend tout de même du Groenland à l’extrême orient sibérien et à Vladivostok, sans parler des confettis d’empire des anciennes puissances coloniales ; on précisera plus tard les principes et les règles de ce modèle universel (v. ss 223 s.). Ainsi, en interprétant la Convention EDH, la Cour EDH crée le droit en incitant le législateur national à modifier sa législation. Elle devient, de fait, un législateur, ce qui provoque souvent un rejet de l’acceptabilité de ses décisions par les opinions nationales[34].
Autorité, sur les juridictions nationales, de la chose interprétée par la Cour EDH
Les juridictions nationales peuvent adapter spontanément leurs pratiques processuelles suite à un arrêt de la Cour EDH constatant une violation de la garantie d’un procès équitable [35]. Mais en ont-elles l’obligation ?
a) Pour la Cour EDH, la réponse est affirmative. Curieusement, alors que la Cour EDH ne s’estime jamais tenue par l’un de ses arrêts au titre d’un précédent qui l’engagerait (« la cour ne se trouve pas liée par ses décisions antérieures ; l’article 51 § 1 de son règlement le confirme d’ailleurs » ; et d’ajouter, en atténuation à cette formule : « la Cour a toujours coutume d’en suivre et appliquer les enseignements dans l’intérêt de la sécurité juridique et du développement cohérent de la jurisprudence relative à la Convention » [36]), elle considère que ses arrêts rendus dans un cas donné s’imposent au juge national pour toutes les affaires soulevant une question similaire au regard de la Convention EDH, à condition que la solution dégagée par la Cour EDH soit précise et complète [37]. C’est la jurisprudence Vermeire c/ Belgique du 29 novembre 1991, jurisprudence dite de l’effet immédiat des arrêts de la Cour ou encore, de l’autorité de la chose interprétée. Dans cette affaire, le gouvernement belge prétendait que les juges belges n’avaient aucune obligation d’appliquer à une situation similaire à celle déjà jugée par la Cour EDH, la solution que cette Cour avait donnée, quelques années auparavant, en condamnant la Belgique, quant au statut des enfants nés hors mariages (arrêt Marckx) ; il prétendait que l’obligation de tirer les conséquences de l’arrêt antérieur de la Cour EDH incombait exclusivement au législateur belge, le juge national belge devant continuer à appliquer les dispositions jugées contraires à la Convention EDH par la Cour. La Cour EDH juge au contraire :
« on ne discerne pas ce qui pouvait empêcher la Cour d’appel de Bruxelles, puis la Cour de cassation de se conformer aux conclusions de l’arrêt Marckx à l’instar du tribunal de première instance : n’était ni imprécise, ni incomplète la règle qui interdisait d’opérer une discrimination fondée sur le caractère naturel du lien de parenté unissant le requérant au de cujus ».
L’arrêt est donc auto-exécutoire, le juge national devant considérer qu’un droit interne déclaré non conforme à la Convention EDH est inapplicable, tout au moins si la constatation de la violation était précise et complète [38]. Et la Cour d’ajouter :
« la liberté de choix reconnue à l’État quant aux moyens de se soumettre à la force obligatoire de ses arrêts [ceux de la Cour EDH] ne saurait lui permettre de suspendre l’application de la Convention en attendant l’aboutissement d’une réforme législative ».
Même jurisprudence à l’encontre de la France, dans le même type d’affaire de non-discrimination envers les enfants adultérins posée dans l’arrêt Mazurek le 1er février 2000 ; la France est condamnée parce que ses juridictions nationales n’ont pas suivi cette jurisprudence[39].
On a déjà souligné que cette politique du suivi du devenir, devant les juridictions nationales, des principes qu’elle pose, constitue, pour la Cour EDH, un moyen de s’arroger le pouvoir de contrôler l’exécution de ses arrêts (v. ss 121, b).
b) Cette doctrine de l’autorité de la chose interprétée a été développée par le Doyen Boulouis à propos des arrêts de l’ex-Cour de justice des Communautés européennes dans le cadre du renvoi préjudiciel en interprétation [40]. Transposée aux arrêts de la Cour EDH, cette doctrine a été définie par un auteur comme « l’autorité propre de la jurisprudence de la Cour en tant que celle-ci interprète les dispositions de la Convention » [41]. Un auteur est même allé plus loin que la théorie de l’autorité de la chose interprétée en préconisant que :
« le fait, pour une juridiction interne, de ne pas tenir compte d’une décision de la Cour de Strasbourg, constitue une violation en soi de la Convention, malgré l’absence de subordination hiérarchique des juridictions, car la décision se heurte à l’autorité du précédent des arrêts de la Cour européenne ; cette autorité du précédent a une application générale en ceci qu’elle joue aussi bien à l’égard des parties dans un litige déterminé (État partie au litige et requérant individuel) qu’à l’égard des États non parties au litige » [42].
La doctrine de l’autorité de la chose interprétée accorde donc aux arrêts de la Cour de Strasbourg une autorité qui dépasse les limites du cas d’espèce. Mais dans quelle mesure cette doctrine européenne et doctrinale est-elle reçue en droit national par les juridictions elles-mêmes ?

 c) Le paysage de la réception de la théorie de l’autorité de la chose interprétée et de l’effet immédiat des arrêts de la Cour EDH, est contrasté.

1) Ainsi, en Belgique, suite aux arrêts Borgers et Vermeulen (sur lesquels, v. ss 462), la Cour de cassation belge a autorisé les parties à répondre à l’avis de l’avocat général qui, par ailleurs, ne participe plus au délibéré. La Cour de cassation française a fait de même pour la participation de l’avocat général au délibéré. En Espagne, le tribunal constitutionnel a admis l’effet direct des arrêts de la Cour européenne, considérant, suite aux arrêts Barbera, Messegué et Jabardo, que le constat de violation établi par la Cour européenne sur le fondement de l’article 6 liait tous les organes de l’État.

2) Au niveau de la Cour de cassation française, alors que les chambres civiles de la Cour de cassation manifestaient parfois un « esprit frondeur » [43], pour résister à l’autorité de la chose interprétée par le juge européen, une évolution s’est progressivement dessinée : le premier arrêt à avoir reconnu l’autorité interprétative des arrêts de la Cour EDH date de 1984 [44], de plus en plus d’arrêts ont tenu compte des solutions préconisées par Strasbourg en droit processuel [45], en s’inspirant des principes d’interprétation européens (souci d’interprétation extensive de la Convention et prise en compte de la théorie des obligations positives) [46]. Pour la première fois en 2007, un arrêt vise, dans ses visas, un arrêt de condamnation de la France [47]. Pour finir, l’Assemblée plénière a reconnu l’autorité interprétative des arrêts de la Cour EDH en ces termes :
« les États adhérents à la Convention EDH sont tenus de respecter les décisions de la Cour EDH sans attendre d’être attaqués devant elle, ni d’avoir modifié leur législation »[48].

3) Le Conseil d’État français émet la plus grande réserve envers cette doctrine et, pour dire les choses nettement, n’a pas adhéré à cette thèse [49]. Selon l’un des siens les plus éminents, « les décisions de la Cour européenne ne sont en rien revêtues de l’autorité de la chose interprétée » [50]. D’ailleurs, selon trois autres Hauts (et éminents) magistrats de cette juridiction [51], cette théorie se heurterait à des objections « très sérieuses », « très fortes » : le silence et l’insuffisance du texte de la Convention EDH elle-même militerait en faveur d’une autorité relative de l’interprétation de la chose jugée par la Cour, l’article 46, § 1 (ex-art. 53) de la Convention ne parlant que de l’effet inter partes de l’autorité de la chose jugée par la Cour ; la Cour serait ainsi cantonnée, par la Convention, à un rôle de déclaration de la violation ou non de la Convention par un État, sous réserve de l’application de l’article 41 (ex-art. 50) sur la satisfaction équitable ; en fait, le Conseil d’État refuse de transposer à la jurisprudence de la Cour EDH ce qu’il accepte pour les arrêts de la Cour de justice des Communautés, au motif que la première ne connaît pas le mécanisme du renvoi préjudiciel. Tout ceci paraît bien artificiel et d’un juridisme dépassé, à une époque où la Cour EDH utilise elle-même des méthodes d’interprétation très larges pour affirmer son pouvoir (v. ss 75 s.), et où les arrêts rendus influencent directement le législateur national, comme on va le constater bientôt. C’est un peu un combat d’arrière-garde qu’a longtemps mené le Conseil d’État, dans la mesure où il refusait d’appliquer une jurisprudence qui était ensuite consacrée par le législateur et que d’autres juridictions, en France ou à l’étranger recevaient sans complexe. C’était un combat suranné qui traduisait une conception frileuse des relations de la Haute juridiction avec les instances nationales ; lorsqu’une Cour qui vous est supérieure rend des arrêts intéressant la France et la juridiction administrative, n’y a-t-il pas quelque candeur et manque d’esprit visionnaire à refuser d’en tenir compte au titre de la chose interprétée ? Le droit, notamment européen est dynamique, pas statique [52]. Cette frilosité semble disparaître, depuis le printemps 2007, avec l’impulsion donnée à la Haute juridiction administrative par son nouveau Président, M. J. Marc Sauvé, qui, par des réformes structurelles de fonctionnement du Conseil d’État (on pense au décret du 6 mars 2008 dont il sera question plus loin à propos du cumul des fonctions consultatives et juridictionnelles) et par des déclarations en faveur d’une prise en compte de la jurisprudence européenne [53], a su donner une autre image du Conseil d’État, que celle d’une forteresse assiégée, d’un camp retranché sur des principes généraux nationaux, comme si l’article 6 n’existait pas [54]. Des arrêts récents (2007) en témoignent (par ex. v. ss 92, pour le contentieux disciplinaire). La doctrine administrativiste s’en fait l’écho [55]. Des contacts sont noués au plus haut niveau entre le Conseil d’État et la Cour EDH, par exemple lors de la rentrée solennelle de la Cour en janvier 2009, pour laquelle le Vice-Président du Conseil d’État était l’invité d’honneur [56].
4) Les juridictions du fond tiennent de plus en plus compte des arrêts de la Cour EDH sans doute parce que ces arrêts accroissent leurs pouvoirs ; on en veut pour preuve les arrêts de la Cour de Limoges des 13 et 20 mars 2000 qui, cinq mois après l’arrêt Zielinski et alii c/ France, rendu à propos d’une loi de validation, le cite à l’appui de leur démonstration juridique pour écarter une autre loi de validation (v. ss 131 s.). Il n’est pas rare qu’une juridiction fasse prévaloir la solution consacrée par un arrêt européen sur celle retenue par le législateur national [57].

IV - Le pouvoir du juge national
d’écarter une loi

Le pouvoir du juge national dans l’articulation du droit national avec la Convention EDH
La Convention EDH est un formidable instrument de pouvoir entre les mains du juge français puisqu’elle est d’application directe en droit français et qu’en vertu de l’article 55 de la Constitution elle a une autorité supérieure à celle des lois ordinaires [58]. Avant de donner quelques exemples de cette application directe de la Convention, en matière processuelle, par le juge français (b), on dira quelques mots de la position de la Cour EDH sur ce point (a). On conclura par une interrogation sur le rôle du juge dans l’équilibre des trois pouvoirs (c).
a) La Cour EDH n’a pas encore déduit des textes de la Convention, notamment de l’article 13 sur le droit à l’octroi d’un recours effectif, l’effet direct de celle-ci dans le droit interne des États contractants ; elle s’est contentée de quelques allusions à cet effet direct [59].

b) S’agissant de l’application directe de la Convention EDH par le juge français, on ne peut pas dire que le juge judiciaire en ait abusé [60], mais les exemples d’utilisation de la Convention comme un instrument de pouvoir sont de plus en plus fréquents et tournent autour de deux idées : tantôt, la Convention est utilisée pour écarter l’application d’une loi nationale, ce qui revient à l’abroger en fait (1) ; tantôt, la Convention est utilisée, en conjonction avec l’ancienne Convention de Bruxelles (devenue Règlement), pour refuser l’exequatur à une décision judiciaire étrangère, en fait pour porter un jugement sur l’activité du service de la justice d’un autre pays (2). Ce mouvement jurisprudentiel est approuvé par certains [61], alors que d’autres le contestent [62] ou s’interrogent[63].

1) Un juge qui écarte les lois et juge le législateur, au nom
de la Convention EDH
Pour comprendre l’articulation de la Convention EDH avec le droit national, il faut se souvenir que le peuple souverain a fait le choix du monisme juridique dans ses deux Constitutions de 1946 et 1958, à la différence du Royaume Uni, de l’Italie ou de l’Allemagne aux régimes dualistes. Les juges ont donc le pouvoir et le devoir de contrôler le respect des conditions constitutionnelles d’introduction d’un traité dans l’ordre juridique interne (acte de ratification ou d’approbation, compétence de l’autorité qui l’édicte et notamment l’obligation d’une autorisation législative).
α) Sur le fondement de l’article 55 de la Constitution et les règles de conflit de normes que ce texte édicte, la Cour de cassation depuis 1975 (jurisprudence Cafés Jacques Vabre [64]) et le Conseil d’État depuis 1989 (jurisprudence Nicolo[65]) admettent la suprématie des engagements internationaux de la France sur la loi interne, même si le texte français est postérieur au texte conventionnel, c’est-à-dire a été pris en connaissance de cause de ce dernier. L’article 55 de la Constitution constitue une habilitation constitutionnelle du juge à exercer un contrôle de conventionnalité des lois ordinaires. Cette jurisprudence est de plus en plus appliquée par la Cour de cassation, s’agissant du contrôle de la conformité des lois à la Convention EDH.
- On peut citer des arrêts de sa Chambre criminelle : ceux des 6 et 21 mai 1997 qui ont écarté de notre système juridique le dernier alinéa de l’article 546 C. pr. pén., qui accordait au procureur général un droit d’appel général contre les jugements des tribunaux de police, alors que ce droit était limité à certaines hypothèses, énumérées à l’alinéa 1er, pour le prévenu et la personne civilement responsable et le procureur de la République [66] ; la loi no 99-515 du 23 juin 1999 a mis le droit français en conformité avec cette jurisprudence. Ou encore, l’arrêt du 16 janvier 2001 qui écarte l’article 2 de la loi du 2 juill. 1931 interdisant toute publication d’information relative à une constitution de partie civile [67] ; l’arrêt du 20 févr. 2001 qui écarte l’article 38, al. 3 de la loi du 29 juillet 1881 dans la mesure où ce texte, qui interdit de relater les circonstances de certains crimes et délits, n’est pas assez clair [68] ; l’arrêt du 4 sept. 2001 qui écarte les articles 11 et 12 de la loi du 13 juillet 1977 sur l’interdiction de publier certains sondages politiques quelques jours avant une élection [69]. On assiste donc à une accélération du mouvement d’emprise du juge sur le législateur.
- Les chambres civiles elles-mêmes ne sont pas en reste : on l’a vu avec la jurisprudence sur le transsexuel ; on le voit encore avec un arrêt du 29 janv. 2002, par lequel la première chambre civile étend aux enfants naturels nés d’une précédente liaison, la protection des enfants légitimes nés d’un précédent mariage, au visa de la Convention EDH. Ou encore, les arrêts de la première chambre civile du 24 janvier 2006 qui, tirant les conséquences d’un arrêt de la Cour EDH du 6 octobre 2005 [70], écartent la loi anti-Perruche (qui refuse l’indemnisation du préjudice de naître handicapé), mais uniquement dans son application rétroactive aux litiges en cours [71] (v. ss 89, a). Le point d’orgue de ce mouvement peut être trouvé dans un arrêt de l’Assemblée plénière en date du 7 avril 2006 qui écarte les textes (lois et décrets) qui organisent, sans l’intervention du juge, la suspension automatique (et sans durée déterminée) des poursuites contre les rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, au motif que ces dispositions portent atteinte dans leur substance même, aux droits des créanciers privés de tout recours, alors que le débiteur dispose de recours suspensifs devant les juridictions administratives. Ou encore, l’arrêt du 4 décembre 2013 qui, sur le fondement de l’article 8 de la Convention écarte 161 du code civil pour valider le mariage (prohibé par ce texte) entre un beau-père et sa bru[72]
- Les juridictions du fond agissent de même, ainsi du TGI de Paris qui écarte l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 qui réprime l’offense à un chef d’État étranger [73] ; la Cour EDH a d’ailleurs confirmé le bien-fondé de cette dernière jurisprudence en condamnant la France de ce chef parce que le texte ne permettait pas à l’accusé de bénéficier de l’exception de vérité [74].
Deux techniques améliorent cette prise en compte de la Convention EDH :
- d’une part, les juges du fond ne peuvent pas se défausser de leur pouvoir en ce domaine, donc de leur responsabilité, en demandant à la Cour de cassation, par la procédure de saisine pour avis, de trancher la question de la conventionnalité d’une loi ; il appartient aux juges du fond de le faire [75] ;
- d’autre part, la Cour de cassation admet la recevabilité d’un moyen nouveau tiré de son application comme étant de pur droit[76].
Quant au Conseil d’État, il est longtemps resté très timide, pour ne pas dire réfractaire à l’application des principes issus de la Convention EDH et des solutions imposées par la Cour EDH. On relèvera encore en ce sens, son souci de citer systématiquement le texte national, plutôt que l’article 6 de la Convention et la tendance à ne pas citer les arrêts de la Cour EDH, malgré « l’action pédagogique » [77] de certains conseillers d’État auprès de leurs collègues. Et il faut saluer « le changement de méthodes dans l’appréhension de la jurisprudence de Strasbourg, qui ne pouvait indéfiniment être tenue comme l’émanation d’un aréopage académique, apatride et irresponsable » [78]. On peut dire qu’aujourd’hui, même si le mot reste modeste, « un certain nombre de modifications sont intervenues dans la jurisprudence du Conseil d’État sous la poussée de la Convention EDH » [79]. Ainsi, dans l’affaire qui vient d’être citée de la loi anti-Perruche (refus d’indemniser le préjudice né d’être handicapé), le Conseil d’État s’est soumis à la jurisprudence européenne en considérant que cette loi ne pouvait s’appliquer, rétroactivement, aux instances en cours [80]. L’année 2007 aura été marquée par des évolutions sensibles vers une plus grande prise en compte des solutions de la Cour EDH pour le contentieux disciplinaire, volet civile). Un souffle nouveau se répand sur l’institution et redonne au Conseil d’État ce grand rôle qu’il avait autrefois tenu dans la protection des libertés et des droits fondamentaux [81].

β) Mais la primauté des traités dans l’ordre interne s’arrête à la porte de la Constitution, car une jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation limite le contrôle de la conventionnalité des lois aux normes qui ne sont pas de valeur constitutionnelle :
– C’est ce qu’a décidé le Conseil d’État dans l’arrêt Sarran et Levacher du 30 octobre 1998 [82] : « la suprématie conférée par l’article 55 de la Constitution aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ; ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué en ce qu’il méconnaîtrait les stipulations d’engagements internationaux régulièrement introduits dans l’ordre interne serait contraire à l’article 55 de la Constitution, ne peut lui aussi qu’être écarté » (considérant no 12). Les lois constitutionnelles échappent donc au champ d’application de l’article 55 de la Constitution, le juge administratif n’étant pas autorisé à écarter l’application d’une disposition à caractère constitutionnel au nom de la primauté des traités internationaux, faute d’un quelconque titre à faire prévaloir sa propre interprétation sur celle du pouvoir constituant [83].
– La Cour de cassation, dans un arrêt (Fraisse) de son Assemblée plénière du 2 juin 2000, refuse de même aux juges du fond de l’ordre judiciaire (et à elle-même) le droit d’apprécier les dispositions du droit national de valeur constitutionnelle au regard du droit international conventionnel et du droit de l’Union européenne. Elle estime en effet, que « la suprématie conférée aux engagements internationaux [de la France] ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle » (en l’occurrence une loi organique sur le statut de la Nouvelle-Calédonie) [84] ; en conséquence,
« le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 188 de la loi organique seraient contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention EDH doit être écarté ».
- Enfin, le Conseil constitutionnel estime que lorsque les engagements internationaux « contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, l’autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle »[85].
En d’autres termes, la souveraineté nationale constitue un fait politique qui fonde l’organisation de la société internationale et malgré la suprématie des traités ceux-ci ne peuvent aller à l’encontre d’une norme constitutionnelle.
À l’inverse, la Cour EDH contrôle la conformité des dispositions à valeur constitutionnelle d’une loi organique aux dispositions de la Convention EDH [86].

γ) En matière de loi de validation, ce sont les juges du fond qui ont donné le signe de la « révolte » en rendant des décisions caractéristiques d’un mouvement de résistance à la loi, de contestation du crédit de la loi, de son influence, de la légitimité du pouvoir législatif. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation et le Conseil d’État ont affiné cette jurisprudence [87], suivant en cela la jurisprudence de la Cour EDH et du Conseil constitutionnel. Précisons encore que les lois de validation sont rétroactives, mais que des lois rétroactives peuvent ne pas être des lois de validation, ainsi des lois interprétatives ou « simplement » rétroactives. Pour mieux les distinguer, on dira que les lois de validation ne sont pas seulement rétroactives : leur rétroactivité vise à rompre l’égalité des armes, en dénouant des litiges en cours au profit direct ou indirect de l’État (ou en prévenant de nouveaux litiges), par la technique consistant à redonner la vie juridique à des actes qui ne l’avaient plus ou qui allaient la perdre ; les lois « simplement » rétroactives visent seulement « la recherche d’un compromis entre la vérité qui se révèle et la résistance au temps » [88] ; les lois interprétatives tendent à fixer le sens ambigu ou obscur d’une loi antérieure et font corps avec celle-ci, d’où leur légitimité.
• Dans une première série d’affaires (dites du tableau d’amortissement de la L. 12 avr. 1996), des juridictions du fond avaient écarté une loi de validation[89] au motif qu’ayant été prise « sous la pression du lobby bancaire », elle n’était pas conforme à la Convention EDH en contraignant le juge à adopter une solution favorable aux banques dans des instances nouvelles, alors que la jurisprudence l’avait antérieurement condamnée dans d’autres affaires similaires[90]. Mais la Cour de cassation a systématiquement cassé les décisions qui avaient refusé d’appliquer cette loi de validation[91]. Cette position a été condamnée par la Cour EDH qui a jugé que la loi de validation intervenue dans cette affaire du tableau d’amortissement méconnaît le droit au respect des biens[92]ou le respect de l’égalité des armes[93], sans être justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général, peu importe que l’État qui l’avait fait voter ne soit pas partie au procès en question. D’autres décisions de juges (judiciaires) du fond sont intervenues sur une autre loi de validation (art. 34, L. no 96-1160, 27 déc. 1996 relative au financement de la sécurité sociale, loi déclarée conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel), soit pour écarter la loi[94], soit pour rejeter la demande[95]. La Cour de cassation a finalement tranché en faveur de la non-conformité de la loi à l’article 6, § 1 de la Convention EDH[96]. La chambre sociale a confirmé cette jurisprudence le 24 avril 2001, à propos de l’article 29 de la loi de validation no 2000-37 du 19 janvier 2000 (loi Aubry II)[97]. C’est donc la notion d’intérêt général qui est au cœur de la conventionnalité des lois de validation, notion qui peut être envisagée plus ou moins rigoureusement et qui a permis à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation d’infirmer l’arrêt de la chambre sociale, l’affaire étant revenue à la Cour de cassation par résistance de la cour de renvoi : « obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général l’intervention du législateur destinée à aménager les effets d’une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du service public de la santé et de la protection sociale auquel participent les établissements pour personnes inadaptées et handicapées »[98]. La chambre sociale s’était finalement inclinée[99], avant que la Cour EDH ne condamne la France[100], ce qui l’obligea à un nouveau revirement pour revenir à sa solution (prémonitoire) de 2001[101]. La deuxième chambre civile a aussi jugé, à propos de la loi no 2003-1199 du 18 décembre 2003 (art. 73-I) validant des mises en demeure effectuées irrégulièrement par des agents de l’Urssaf de Paris (ils n’étaient pas agréés à cet effet, contrairement aux exigences légales), que « la sauvegarde du régime général de Sécurité sociale constitue un impérieux motif d’intérêt général » et que « le développement de ce contentieux était de nature à mettre en péril le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et, par suite, la pérennité du système de protection sociale »[102] ; solution que la Cour EDH a désavouée en estimant que l’intervention rétroactive du législateur le 18 décembre 2003 « ne reposait pas sur d’impérieux motifs d’intérêt général »[103].
• Le Conseil d’État a d’abord estimé, le même jour, par un avis et par un arrêt en Assemblée du contentieux, qu’il appartient au juge administratif de contrôler la compatibilité d’une loi de validation avec les dispositions de l’article 6 de la Convention EDH sur le procès équitable [104] ; puis, le 28 juillet 2000, il a jugé que
« l’État ne peut, sans méconnaître les stipulations de l’article 6 § 1 CEDH, porter atteinte au droit de toute personne à un procès équitable en prenant, au cours d’un procès, des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la validation de la disposition réglementaire objet du procès, sauf lorsque l’intervention de ces mesures est justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants » [105].
C’était certes se placer clairement sur le terrain du droit européen et de la garantie d’un procès équitable, mais avec une exigence moindre, l’intérêt général n’étant pas assorti de « motifs impérieux ». Et dans un avis du 16 février 2001, le Conseil d’État avait admis la validation, dès lors qu’elle respecte les décisions passées en force de chose jugée et poursuit un but d’intérêt général [106]. Jurisprudence identique des juridictions administratives du fond [107]. Mais par un arrêt du 23 juin 2004 [108], suivi d’un avis du 27 mai 2005 [109] et, surtout, par son arrêt du 8 février 2007 [110], le Conseil d’État a adopté la notion « d’impérieux motifs d’intérêt général », se conformant ainsi à la jurisprudence européenne. Jurisprudence confirmée depuis cette date [111]. Cependant, les arrêts les plus récents du Conseil d’État reviennent à la simple notion de « motifs d’intérêt général », sans exiger qu’ils soient « impérieux » [112]. En revanche, en novembre 2010[113], il considère que la compatibilité avec la Convention EDH de dispositions législatives rétroactives doit être appréciée au regard de l’atteinte portée par ces textes au procès en cours et non seulement au regard du motif d’intérêt général, Les juridictions administratives du fond suivent cette jurisprudence[114] et la notion d’intérêt général leur laisse une large marge d’appréciation[115].
On est donc loin du juge « bouche de la loi » et respectueux du pouvoir législatif. À défaut de contrôle, par les tribunaux, de la constitutionnalité des lois, la Convention européenne fournit aux juges un argument commode de remise en cause du pouvoir législatif par le pouvoir judiciaire et de bouleversement de la hiérarchie des sources du droit. Il n’est plus possible aujourd’hui d’enseigner que la loi a une autorité supérieure à la décision du juge.

2) Un juge qui juge une juridiction étrangère
C’est au nom de la Convention EDH (et de la Convention de Bruxelles) que la Cour de cassation elle-même a tiré argument d’un obstacle financier à l’accès à un tribunal pour censurer une Cour d’appel qui avait accordé l’exequatur à deux décisions de la High Court of justice (britannique). La première décision anglaise avait débouté un plaideur de sa demande en diffamation, tout en le condamnant à payer les frais des défendeurs ; la seconde avait fixé ces frais à 20 078 livres hors TVA, avec un taux d’intérêts fixé à 15 %, à compter du 15 janvier 1988. La Cour de cassation française relève que « l’importance des frais ainsi mis à la charge de ce plaideur, dont la demande n’avait même pas été examinée, avait été de nature à faire objectivement obstacle à son libre accès à la justice ». La Cour se fonde sur l’article 27-1o de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et, surtout, sur l’article 6 § 1 de la Convention EDH pour casser sans renvoi, en affirmant que « le droit de chacun d’accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention, consacré par le second de ces textes, relève de l’ordre public international, au sens du premier » [116]. On remarquera tout de même que la Cour de cassation porte un jugement défavorable sur le système judiciaire anglais, ce qui est une manière d’utiliser l’arme de la Convention pour remettre en cause l’équilibre des pouvoirs entre la France et ses partenaires au sein du Conseil de l’Europe (mais un arrêt du même jour accorde l’exequatur).

c) Vers un nouvel équilibre des pouvoirs ?
L’aperçu qu’on vient de donner de cette jurisprudence est ainsi l’occasion de s’interroger sur la place du juge européen, mais aussi du juge national, dans notre démocratie, sur leur rôle ; en effet, à l’aide d’une notion aussi élastique que le procès équitable, ils peuvent beaucoup s’ils veulent redessiner la place du droit dans notre démocratie. Et apparemment, c’est ce qu’ils font depuis longtemps, même si le débat a été relance récemment.

1) Le juge semble ainsi se placer comme gardien des valeurs de liberté et d’égalité, à l’encontre des autres pouvoirs, y compris les législateurs nationaux. Par sa jurisprudence audacieuse, toujours en expansion, sans frontières, le juge européen et, dans une moindre mesure, le juge national, s’affirme par rapport aux autres pouvoirs comme l’organe qui peut évaluer la fidélité aux valeurs démocratiques de base des finalités concrètes de l’action sociale qui appartiennent, elles, aux pouvoirs législatif et exécutif. L’État national n’est plus le maître de son droit.

2) Ce faisant le juge traduit une évolution de notre organisation sociale [117] :
– à la fin du xviiie siècle serait apparue une période d’affirmation du pouvoir législatif fondé sur le concept démocratique de volonté générale ;
– à la fin du xixe siècle se serait affirmée une période de valorisation du pouvoir exécutif en vue d’une meilleure prise en compte des exigences de l’égalité ;
– et nous vivrions une troisième période qu’illustre parfaitement les nouvelles armes du juge ; celle d’un pouvoir judiciaire qui s’affirme par rapport aux deux autres, ce qui suppose une meilleure conception du rapport du juge à la règle, un instrument, en l’occurrence la Convention, avec sa supériorité normative et ses concepts élastiques, dont celui de procès équitable. Ainsi, se concrétiserait l’opinion d’Adrien Duport, l’un des rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment de son article 8, qui affirmait en 1789, que « la justice, l’humanité et la politique ne sont qu’une même chose [118] ».

3) Une telle évolution n’est pas sans danger, car alors il faut s’interroger sur les limites à l’immixtion du juge dans le contrôle du respect des valeurs démocratiques de base aux finalités concrètes de l’action sociale. Le danger d’un véritable gouvernement des juges n’est pas seulement national ; il est aussi européen. Il est dans le maniement inconsidéré de concepts flous, qui constituent des instruments politiques de prise du pouvoir. Et, surtout, dans le fait qu’il n’y a personne pour contrôler la Cour EDH, alors qu’elle s’est auto-attribuée des moyens très puissants pour soumettre le droit national à sa conception des libertés et des droits fondamentaux.

4) Le débat ouvert à la Cour de cassation en 2015, sur le contrôle de proportionnalité et la fameuse balance des intérêts contre le syllogisme judiciaire, illustre ce propos[119]. En contrepoint des critiques[120], un auteur a justement fait observer qu’au Royaume Uni, depuis l’intégration de la Convention EDH dans son ordre juridique par l’Human rights act de 1998 (section 4(2), lorsqu’une cour constate qu’une loi est incompatible avec la Convention EDH, elle formule une déclaration d’incompatibilité qui n’invalide pas la loi, mais remet aux pouvoirs exécutif et législatif le soin de se saisir de la question inconventionnelle pour rectifier le texte litigieux[121]. On observera qu’en droit français, le référé législatif a existé et qu’aujourd’hui rien n’interdit au Gouvernement et/ou Parlement de s’auto-saisir de la question faisant débat, comme ils l’ont fait dans la question du tableau d’amortissement, qui avait donné lieu à une jurisprudence contestée. Ce système porte en lui-même sa limite : il ne vaut que pour les lois non-conventionnelles, pas pour la balance des intérêts sur une disposition valide. Sur ce point, le Protocole n° 16 de la Convention EDH met en place une procédure d’avis qui, lorsqu’elle sera en vigueur, permettra aux juridictions suprêmes nationales de demander à la Cour EDH son avis sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés de la Convention ; c’est ouvrir la possibilité aux juges suprêmes français d’ouvrir un dialogue sur la portée de certaines exigences conventionnelles. Si le débat est si vif, c’est que les intérêts en balance portent sur des droits substantiels et non plus seulement sur des droits de procédure. Il faudra bien que les juristes qui s’intéressent aux droits substantiels et non pas au droit du procès, s’habituent à intégrer dans leur point de vue la manière dont la question a été abordée et résolue pour les droits de procédure, notamment quant aux applications dites autonomes de l’équité.

V – La spécialisation des juges
Colloque à Toulouse, 22 et 23 novembre 2010
Rapport de synthèse

Vaste sujet ! C’est en général de cette façon que débutent les rapporteurs de synthèse pour mieux souligner la difficulté de leur tâche ! Vous m’accorderez que deux journées entières consacrées à des travaux sérieux et à des débats :
- portant sur une palette de sujets immense, couvrant tout le champ de la justice, civile et pénale,
- avec un aperçu de la spécialisation en contentieux administratif et dans le cadre des autorités de régulation,
- sans oublier les importants rapports de droit comparé en droits allemand et anglo-saxons, y compris le particularisme du droit d’Alsace-Moselle,
- sans méconnaître les deux rapports introductifs, l’un historique, l’autre de clarification de la notion,
- sans faire abstraction de la formation des juges, des modes alternatifs de règlement des litiges et de l’influence de la spécialisation sur la jurisprudence,
voilà qui constitue un cocktail explosif et qui rend l’exercice de la synthèse quelque peu difficile.
Alors, vous vous demandez, sans doute, « comment va-t-il s’en sortir ? ». Bien évidemment, je me suis posé la même question en recevant, il y a une semaine environ, 14 rapports ou résumés des interventions sur les 24 contributions affichées au programme. Et je me suis maudit d’avoir cédé à la demande pressante de mon ami le Doyen Bernard Beignier, que je remercie au passage d’avoir eu l’idée, non seulement d’organiser ce colloque, mais encore de l’avoir fait sous l’autorité scientifique de Catherine Ginestet et en association avec les partenaires naturels de toute Faculté de droit digne de ce nom (et Dieu sait si Toulouse en est une) que sont le Barreau, l’ENM et l’Association nationale des docteurs en droit, sans oublier ses partenaires interne à l’institution universitaire, IEJ et Master 2 en contentieux et arbitrage.
Il n’est nullement question ici de reprendre dans le détail chacun des thèmes excellemment exposés par vous tous, mais d’essayer de tirer les ficelles d’une pelote qui se dévide sans fin, pour en souligner les convergences et les divergences, pour restituer à vous, public attentif, l’essentiel de ce thème de la spécialisation des juridictions et des juges, quand bien même l’intitulé officiel ne porte que sur celle des juges.
Une première chose m’a frappé : est-ce que la diversité des thèmes abordés ne cache pas finalement une ambition trop forte ? Est-ce que la somme des questions mises à l’ordre du jour de ces deux journées n’aboutit pas à traiter de tout et de rien, de sujets qui n’ont pas toujours un lien évident entre eux, pas plus qu’avec le thème central de la spécialisation ? Sauf à considérer que les organisateurs sont de doux amateurs, ce que je ne pense pas, il faut bien rechercher une explication à cette apparence de désordre conceptuel.
L’explication de ce foisonnement, c’est le droit comparé qui nous en donne les clefs : Mesdames Frédérique Ferrand et Wanda Mastor nous a montré que la spécialisation peut provenir du pragmatisme anglais ou américain, tout comme de la force de la loi dans les systèmes de droits continentaux. Comment s’étonner alors de ce foisonnement, puisque légalisme et pragmatisme s’additionnent ou s’entrecroisent pour aboutir au final à cet éparpillement de notre thème de réflexion qui, dès lors, part dans de nombreuses directions. Le seul sens à ce foisonnement c’est une politique d’aménagement du territoire judiciaire, ce que n’a pas manqué de relever Bernard Beignier en ouverture de ce colloque, en le rapprochant de la réforme des collectivités territoriales et des universités avec les PRES.
Car, après tout, où est la spécialisation dans le régime des modes alternatifs ? La réponse nous a été donnée par notre collègue Jean-Jacques Barbiéri : parce qu’ils sont une alternative à une trop grande judiciarisation spécialisée de notre société.
De même, est-ce que le thème de la « spécialisation des professionnels » n’est pas trop éloigné du sujet, en ce sens qu’on peut être spécialisé comme professionnel du droit, sans que l’organisation judiciaire connaisse une spécialisation de ses juridictions. C’est la nature du contentieux qui détermine la spécialisation, qu’il y ait ou non une juridiction spécifique pour en connaître. Ce thème méritait d’être envisagé puisque l’existence de juridictions spécialisées induira davantage de spécialisation des professionnels, la rendra même obligatoire pour les magistrats. De même, pour l’influence de la spécialisation des juges sur la jurisprudence dont nous a parlé Bernard Beignier : elle doit être reliée à notre sujet par l’idée d’améliorer sa prévisibilité.
            Au-delà de ces aspects ponctuels, le sujet est d’abord dans le choix politique d’une spécialisation ou non de nos juridictions et dans le degré de spécialisation que l’on souhaite retenir. Il y a à la fois une question de principe, de périmètre, et une question d’intensité de la spécialisation retenue. Le sujet est donc éminemment politique ; plusieurs de nos rapporteurs l’ont souligné : Corinne Bléry, expressément, en utilisant ce mot dans son rapport (elle parle de « volonté politique ») ; Natalie Fricero à propos de la création éventuelle d’un TPI et Nicolas Bonnal pour le droit de la presse qui, après avoir dit que la chambre parisienne spécialisée en ce domaine pourrait préfigurer une juridiction nationale unique, poursuit par l’idée qu’un tel regroupement serait contraire aux implications locales de ce contentieux. Raisonner ainsi, c’est faire de la politique d’aménagement judiciaire.
            Voilà pourquoi, au-delà de la synthèse nécessaire des diverses opinions émises ici, je voudrais vous présenter ma vision personnelle d’une justice à la fois :
-  proche des justiciables, parce que la lisibilité de son accès aura été amélioré par une spécialisation organique maîtrisée de ses juridictions ;
- mais en même temps, une justice de grande qualité, aux solutions prévisibles, par la spécialisation fonctionnelle renforcée de ses juges et de ses juridictions.
Sous cette distinction on retrouve l’idée anglo-saxonne de la proximité, première dette de l’Etat envers les justiciables, mais aussi l’idée plus continentale d’une spécialisation par matière.
Si je vous présente ma vision personnelle de la spécialisation, c’est que depuis 2 ans et demi je ne me suis pas exprimé officiellement sur le rapport remis à Madame la Garde des Sceaux le 30 juin 2008 par la Commission qui porte mon nom[122], en-dehors de quelques explications de texte orales devant les Barreaux qui ont souhaité me les demander. Je crois que le moment est venu de le faire, alors que 14 textes, lois ou décrets, voire circulaire, ont traduit en droit positif 24 de nos propositions, les plus significatives, et qu’une bonne vingtaine d’autres propositions attendent dans les antichambres du Sénat ou de l’Assemblée nationale que la proposition et le projet de lois qui les portent terminent leur parcours parlementaire.
Sous le regard de ce qui précède, ma vision personnelle de la spécialisation des juges et des juridictions s’exprime en deux propositions. Je pense qu’il faut :
- limiter la spécialisation organique des juridictions à ce qui est strictement nécessaire pour améliorer la lisibilité de notre accès à la justice (I),
- et au contraire, favoriser la spécialisation fonctionnelle des juridictions et des juges pour renforcer la prévisibilité de la jurisprudence (II).

I – limiter la spécialisation organique

Limiter la spécialisation organique des juridictions à ce qui est strictement nécessaire à l’amélioration de la lisibilité de l’accès à la justice peut paraître une affirmation bien péremptoire ! Mais je crois profondément qu’elle constitue le premier objectif de toute spécialisation bien conçue ! En effet, la justice répond à de multiples besoins et demandes ; elle épouse les grandes distinctions du droit. Elle ne saurait donc être uniforme. Et elle ne l’est pas, en droit français, ce qui, on va le constater, peut poser problème au regard des normes processuelles européennes.
Au regard de cette compatibilité avec les normes européennes, le problème se dédouble :
- d’un côté la question, bien française, du dualisme juridictionnel, à raison de l’existence de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif ; c’est le poids de l’histoire et lui seul qui conditionne le maintien de ce dualisme, première forme de spécialisation organique de nos juridictions, aujourd’hui menacée par les contraintes du droit processuel fondamental (A) ;
- de l’autre, le principe, plus largement admis, de l’unité des juridictions civiles et répressives, au sein desquelles on trouve une certaine forme de spécialisation organique, mais encadrée, elle aussi, par les exigences du droit processuel fondamental (B).

Ale dualisme juridictionnel menacé par les données du droit processuel fondamental

a) Dans la doctrine libérale, la réflexion sur la place de la fonction juridictionnelle dans les institutions publiques a été conduite dans le cadre conceptuel de la séparation des pouvoirs.
1) Afin de limiter l’absolutisme royal, les penseurs politiques des XVIIe et XVIIIe siècles ont entrepris de démontrer que toutes les fonctions de l’État ne doivent pas être concentrées auprès d’un seul organe (le roi), mais être réparties entre des organes séparés. C’est pourquoi, après Montesquieu et son Esprit des Lois (1748), toute la tradition constitutionnelle française, née de la Révolution de 1789, va conforter l’idée et la théorie de l’existence d’un pouvoir judiciaire, plus exactement d’un pouvoir juridictionnel.
Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 29 juillet 1998[123] fonde la séparation du pouvoir juridictionnel et du pouvoir exécutif sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
2) Mais, dans cette tradition, pouvoir judiciaire ne signifie pas pouvoir unique de juger dans la généralité des procès. Le pouvoir judiciaire va être scindé en deux catégories d’organes indépendants : la séparation des pouvoirs va déboucher, ce qui n’était nullement inéluctable, sur la séparation des ordres ayant le pouvoir de juger, sur le dualisme juridictionnel. C’est l’interprétation française de la séparation des pouvoirs qui a entraîné, après une longue évolution (près d’un siècle) et sans que cela fût prémédité au départ, l’apparition de deux pyramides, nettement distinctes, de juridictions[124].
Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle au principe de dualité des ordres de juridiction. Mais il ne l’a pas fondé sur le principe de séparation des pouvoirs. Dans sa décision du 23 janvier 1987, il le rattache à la catégorie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[125].
Pour autant, ce dualisme français est-il conforme aux exigences processuelles internationales et européennes ?

b) Les exigences processuelles internationales et européennes pourraient à terme remettre en cause cette spécialisation organique première.
En effet, aucune disposition du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni de la Convention EDH, ne consacre le dualisme juridictionnel, pas plus d’ailleurs qu’elle ne l’interdit. Cette question est indifférente aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme. Il faut donc rechercher dans la jurisprudence des organes de contrôle si le dualisme juridictionnel est conforme aux exigences des instruments internationaux en matière de conduite des procès et de déroulement des procédures, sous l’angle des garanties d’une bonne justice.
Trois remarques s’imposent.
1) La première c’est que le principe même de deux ordres est loin d’être condamné par la Cour EDH, si l’on veut bien se souvenir qu’elle accepte, pour des raisons d’efficacité, que les États confient, sous certaines conditions, la résolution de certains litiges à des instances disciplinaires ou administratives, tant en matière civile qu’en matière pénale ; le dualisme, qui n’est pas alors juridictionnel, est admis au profit d’instances administratives ; a fortiori, il n’est pas illégitime qu’il existe un dualisme de juridictions, au sens exact du terme, c’est-à-dire disposant chacune du pouvoir de juger en pleine juridiction.
2) La deuxième remarque concerne les effets induits par le dualisme juridictionnel sur la qualité de la justice rendue. En d’autres termes, le dualisme juridictionnel n’est-il pas un obstacle à la mise en œuvre de ces garanties d’une bonne justice que résume à elle seule l’expression « procès équitable » ? Plus précisément et pour faire court, la complexité processuelle liée à la dualité des ordres de juridiction peut conduire à une durée des procès excédant le délai raisonnable visé à l’article 6, § 1 de la Convention EDH. D’ailleurs, à l’occasion de requêtes portant sur la violation de la condition du délai raisonnable, la Cour européenne a émis certaines critiques sur les excès de complication du dualisme juridictionnel, critiques qui portaient à la fois sur les effets procéduraux néfastes du dualisme et sur les risques de contrariété de solutions au fond[126].
3) La troisième remarque est plus prospective. Dans la mesure où les instruments internationaux de protection des droits de l’homme ne connaissent que deux matières, civile et pénale, y a-t-il place pour une troisième, distincte des deux autres ? De plus, le raisonnement des organes de contrôle porte sur la matière, jamais sur la nature des juridictions ; la distinction de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif est inconnue sous cet angle et le dualisme des organes juridictionnels est transcendé par le dualisme matériel du champ d’application des articles 14 du Pacte international et 6 de la Convention EDH.
Le débat est loin d’être tranché [127] et un club de réflexion a proposé la suppression du dualisme juridictionnel[128], mais qui peut sérieusement envisager aujourd’hui, en France, la disparition de la juridiction administrative, alors qu’elle a su, de tout temps, protéger les libertés et que le seul inconvénient réel du dualisme juridictionnel est celui d’éventuels conflits de compétence qui allonge la durée d’un procès ?
            Ce sont les mêmes exigences européennes qui limitent et encadrent la spécialisation organique des juridictions de l’ordre judiciaire.

b) Les garanties du droit processuel fondamental dans la spécialisation organique des juridictions de l’ordre judiciaire
            Toute spécialisation organique des juridictions de l’ordre judiciaire, aussi souhaitée par certains et souhaitable pour d’autres soit-elle, ne peut valablement exister que si elle répond aux standards européens d’une bonne justice. Ces standards tournent autour de l’idée que le justiciable doit rester au centre du système judiciaire : c’est à lui qu’il faut d’abord penser en termes d’organisation judiciaire. Cette justice doit être lisible pour lui en faciliter l’accès. Deux garanties traduisent bien cette exigence :
- d’une part, respecter un délai raisonnable de jugement des procès en évitant le plus possible les conflits de compétence (a) ;
- d’autre part, maintenir un accès égal pour tous aux juridictions judiciaires sur l’ensemble du territoire (b).

a) Eviter les conflits de compétence pour assurer aux procès un délai de jugement raisonnable, c’est nécessairement s’interroger sur la légitimité de la création de juridictions spécialisées
            Plus on multiplie, organiquement parlant, les structures judiciaires à compétence propre, plus on multiplie les risques de conflits de compétence et on favorise le recours aux procédures de règlement de ces incidents, donc on accroît la durée globale du procès avant d’arriver au jugement sur le fond. Cette considération ne peut pas être négligée dans la problématique de création de juridictions spécialisées autonomes.
            Certes, on peut toujours essayer d’améliorer le règlement de ces conflits et la procédure civile connaît la procédure accélérée et simplifiée du contredit ; il reste, que si une potentialité de conflit existe, une potentialité d’exploitation de cette faille à des fins dilatoires par l’une des parties est probable.
            C’est pourquoi, il vaut mieux prévenir que guérir et la Commission que j’ai eue l’honneur de présider a été très prudente en ne proposant que deux fusions organiques :
- la fusion des juridictions de proximité avec les tribunaux d’instance, plus exactement, l’absorption des premières par les secondes, sans que les juges de proximité eux-mêmes disparaissent (propositions n° 1 et 22) ;
- le regroupement organique des tribunaux de police avec tribunaux correctionnels, par la disparition des premiers qui deviendraient une chambre spécialisée des seconds (proposition n° 3).
            Les difficultés à aboutir sur ces deux points, somme toute mineurs, sont considérables et témoignent des blocages de la société française :
- la première de ces deux fusions figure dans le projet de loi déposé le 3 mars 2010, mais n’a pas encore été examinée. Le sera-t-elle, alors que le nouveau Gouvernement a une feuille de route très lourde en matière de procédure pénale ? Peut-être, si cela peut servir le projet présidentiel d’introduire des assesseurs civils dans nos juridictions correctionnelles.
- En revanche, la seconde n’a pas franchi le cap de la remise du rapport et je me souviens de l’opposition personnelle, sur ce point, du Président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale (M. Warsmann), lorsqu’il m’avait reçu : pour des raisons liées au traumatisme de la réforme de la carte judiciaire menée à marche accélérée en 2007, il ne voulait pas entendre parler de cette proposition pour ne pas voir disparaître « son » tribunal de police de « sa » circonscription !
            On mesure combien notre « vieux pays » est difficile à réformer ! D’autant plus qu’il faut tenir compte de la seconde contrainte issue des données du droit processuel fondamental, à savoir une répartition égale des juridictions sur tout le territoire.

b) Une autre contrainte forte de toute réforme de l’organisation judiciaire fondée sur de nouvelles spécialisations des juridictions, provient de l’obligation de maintenir un accès égal pour tous aux juridictions sur l’ensemble du territoire.
La recherche d’un critère pertinent de la spécialisation de certaines juridictions est souvent abordée mais jamais résolue. La Commission Guinchard a donc essayé de trouver un critère pertinent de la spécialisation permettant de regrouper certains contentieux au sein de juridictions en nombre plus limité. A côté de contentieux dont la technicité relève de la nature de la matière substantielle qui sert de support à l’action en justice (exemple du contentieux des brevets d’invention), la technicité ne provient, bien souvent, pour reprendre une expression connue du contentieux pénal, que « de la complexité de l’affaire ». Les deux critères sont donc bien ceux de la technicité et de la complexité.
Mais comment déterminer ce qui est technique et ce qui est complexe ?
- Au titre de la technicité, un contentieux peut l’être pour un juriste novice en la matière, mais pas pour un autre. La notion est toute relative et toute branche du droit est un ensemble de règles techniques, pas seulement un corpus de principes généraux.
- Au titre de la complexité, ce ne sont pas les spécialisations existantes en matière économique et financière avec la distinction des affaires de « grande complexité » et celles de « très grande complexité » qui nous aident beaucoup, ainsi que l’a souligné Catherine Ginestet[129]. 
Il me semble que la clef de réussite en la matière consiste à identifier, cas par cas, l’intérêt général supérieur qui peut justifier une certaine forme de spécialisation organique, puisque ce type de création, non seulement va susciter des conflits de compétence, mais aussi va induire un éloignement du justiciable de la juridiction spécialisée.
Il faut donc rechercher un juste équilibre entre des exigences contradictoires : une certaine rationalisation, mais pas d’atteinte trop forte au principe d’égal accès de chacun à la justice. Seule la recherche d’un intérêt supérieur qui légitime la création de juridictions spécialisées nouvelles, doit guider l’action des réformateurs.
Cet intérêt peut être d’intensité variable ; j’en distinguerai trois, selon que l’échelon de regroupement spécialisé est national, régional ou local :
1) Dans certaines matières, pour créer une juridiction nationale unique, on perçoit aisément l’intérêt général supérieur qui légitime cette hyperspécialisation.
- Tel est le cas, incontestablement en matière de terrorisme, avec la compétence des juridictions parisiennes. Certes, celles-ci n’ont qu’une compétence concurrente de celle des juridictions de droit commun, au cas par cas, mais en pratique on voit mal comment ne pas concentrer ce type de contentieux sur Paris[130].
- Ou encore en matière de brevets d’invention et d’obtention végétales, si l’on veut bien se souvenir d’une part, que ce contentieux est concentré aux 8/10èmes dans le ressort de la cour d’appel de Paris et que le reste est réparti, à parts égales, entre Lyon et le reste de la France, d’autre part, que la France est candidate au siège, à Paris, de la Cour européenne des brevets et, enfin, qu’on ne peut nier qu’il s’agit d’un contentieux très spécialisé du monde des affaires qui peut donc se déplacer aisément sur Paris. C’est le sens de notre proposition de création, en cette matière, d’une juridiction unique, à Paris (proposition n° 10). Cette proposition s’est en partie concrétisée dans le décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009 qui retient la compétence exclusive du TGI de Paris (donc de sa cour d’appel) pour connaître les actions relatives aux brevets d’invention, aux certificats d’utilité, aux certificats complémentaires de protection topographiques de produits semi-conducteurs ; en revanche, les obtentions végétales sont restées sur le bord du chemin de la réforme, en raison, semble-t-il d’une opposition de l’INPI.
- Ou encore, en matière de pratiques restrictives de concurrence, le gouvernement est allé plus loin que notre rapport qui ne visait pas ces pratiques : le décret n° 2009-1384, 11 novembre 2009 donne compétence à la seule cour de Paris pour connaître des recours contre les décisions prises en la matière par les 8 TGI et tribunaux de commerce compétents (art. D. 442-3, C. com.), ce qui a permis à un auteur d’écrire que l’on estimait sans doute que les conseillers à la cour de Lyon était « trop bêtes » pour en connaître[131].
- Ainsi enfin, en matière de crimes contre l’humanité et de crimes et délits de guerre, nous avons proposé (proposition n° 18) que Paris soit le siège unique d’une juridiction compétente en cette double matière. Non pas que nous puissions craindre que notre pays soit impliqué dans de telles abominations, mais parce que nos engagements internationaux nous font obligation de juger en France certains criminels de cette nature et parce que Paris, malheureusement a déjà un début d’expérience en la matière. Des dossiers en provenance notamment du Rwanda nécessitent une décision rapide. La proposition est inscrite dans le projet de loi de mars 2010.
            Sauf à vouloir tout centraliser sur Paris, il est difficile d’aller plus loin.
2) L’intérêt général supérieur aux intérêts particuliers peut aussi légitimer la création de juridictions à un échelon régional.
  Aujourd’hui, on connaît les JIRS dont nous ont parlé Catherine Ginestet et Sami Ben Hadj Yahia. Il faut bien reconnaître que, pour le néophyte, la complexité est d’abord dans l’enchevêtrement de ces juridictions interrégionales. Sans reprendre ici l’ensemble de l’historique de leur création, révélateur de leur complexité[132], on relèvera :
-  qu’au départ, dans la loi n° 75-701 du 6 août 1975 qui marque le début de ce mouvement de spécialisation[133], le législateur, prenant acte de la complexité croissante de certaines activités économiques et financières et de la nécessité de leur apporter une réponse judiciaire appropriée lorsqu’elles deviennent délictuelles, a spécialisé en cette matière certains TGI, par l’extension de leur compétence territoriale au ressort de plusieurs TGI, lorsque l’affaire est « d’une grande complexité » [134]. Mais aucun moyen supplémentaire n’était accordé, aucune procédure de désignation de magistrat spécialisé n’était instituée, aucune procédure dérogatoire d’enquête, d’instruction et de jugement n’était instaurée.
- A l’arrivée, 35 ans plus tard, il existe huit JIRS, tant pour les TGI que pour les cours d’assises, qui se caractérisent par cinq critères :  une compétence territoriale étendue au ressort d’une (juridiction intrarégionale) ou plusieurs cours d’appel (juridiction interrégionale) ; une compétence concurrente de celle des autres juridictions de droit commun, pour la poursuite, l’enquête, l’instruction et le jugement ; une compétence matérielle déterminée soit par « la grande complexité de l’affaire » (JIRS en matière de criminalité organisée), soit par sa « très grande complexité » (JIRS en matière de délinquance économique et financière) ; des règles spécifiques de désignation des juges et procureurs composant ces JIRS (procédure des art. 704 et 706-75-1, CPP) ; la participation des assistants spécialisés de l’article 706, CPP (ceux de la loi du 2 juillet 1998) aux procédures, avec la possibilité de bénéficier de délégations de signature pour certaines réquisitions.
Au final, pour reprendre l’une des expressions du législateur du 9 mars 2004, une « très grande complexité »… d’organisation judiciaire, avec des critères de juridiction spécialisée qui se croisent et, parfois, se cumulent.
La spécialisation a généré des monstres de complexité. Nous avons été plus modestes.

 Suite à nos propositions, ont été ainsi successivement créées les juridictions suivantes :
- un seul tribunal des pensions militaires par ressort de cour d’appel[135] ;
- un seul TGI par ressort de cour d’appel en matière d’adoption internationale[136] ;
- neuf TGI en matière de propriété intellectuelle (dessins et modèles, marques et indications géographiques)[137] ;
- huit TGI et tribunaux de commerce en matière de pratiques restrictives de concurrence[138] ;
- de nombreux TGI (mais pas tous, ni une dizaine comme nous le préconisions) en matière de contestations de nationalité[139].
            Le trait commun de ces regroupements est la nature spécifique et technique du contentieux, qui suppose une connaissance très spécialisée, pointue, de la part des juges qui en connaissent. Malgré certains lobbyings et craintes réelles de voir des régions entières ne plus connaître ce type de contentieux, ces regroupements nous paraissent raisonnables.

 La Commission a aussi beaucoup réfléchi à la constitution de pôles pour le contentieux pénal lié aux catastrophes en matière de transport et a proposé de retenir une compétence régionale avec une juridiction spécialisée par Cour d’appel. Elle y a ajouté les catastrophes nées d’un risque technologique. Cette juridiction pourrait être dotée de manière pérenne d’une salle d’audience de taille importante dans laquelle se dérouleraient les procès liés aux catastrophes avec un nombre important de victimes. C’est le cas de Toulouse qui nous a conduit à ne pas calquer cette juridiction sur l’implantation des JIRS : en effet, Toulouse n’a pas de JIRS et on voit mal comment cette ville aurait pu ne pas connaître du procès AZF.
En revanche, à l’image des critères édictés pour la saisine des JIRS, la juridiction spécialisée de la cour d’appel pourrait être saisie en cas d’homicide ou de blessure involontaire lorsque les faits apparaissent d’une grande complexité, cette complexité pouvant être matérielle et découler par exemple de l’existence d’un grand nombre de victimes. Et sa compétence serait concurrente de celle des juridictions de droit commun. Certaines personnes auditionnées avaient suggéré que l’affaire soit déclarée complexe et enclenche automatiquement la saisine d’une juridiction spécialisée, de préférence à Roissy (à cause des catastrophes aériennes et du savoir-faire acquis par les gendarmes et le pôle d’instruction de Bobigny) dès que deux corps ne pouvaient pas être identifiés. Nous avons écarté ce critère morbide et peu acceptable pour les familles des victimes.
Cette spécialisation devrait permettre d’assurer une justice plus rapide et mieux rendue. Il s’agit là d’un point important pour les victimes, mais également pour la société en général dans la mesure où l’analyse des accidents doit être menée le plus rapidement possible afin d’en tirer des enseignements pour l’avenir.
Le projet de loi déposé en mars 2010 s’inspire de cette proposition.

3) Reste le dernier niveau, l’échelon local.
Où faut-il le fixer ? Par hypothèse, il ne peut qu’être que généraliste, puisque les contentieux spécialisés ont été regroupés au niveau national ou régional. La détermination de cet échelon pose deux questions :
- celle de la carte judiciaire et c’est un autre débat, plus politique encore : pas de politique judiciaire, mais de politique d’aménagement du territoire. Il ne revenait pas à notre Commission d’en débattre et d’ailleurs cela ne figurait pas dans la lettre de mission. Il revient au Gouvernement et au Parlement d’en débattre et de décider, sachant qu’en ce domaine chacun veut conserver son tribunal d’instance ou son TGI, voire les deux. La réforme de 2007 est ce qu’elle est, imparfaite sans doute, incompréhensible parfois sur certaines décisions (je pense à la Bretagne), mais elle le mérite d’exister et je doute qu’on y revienne avant longtemps.
-La seconde question que soulève la détermination de l’échelon local adéquat est celui de la création ou non d’un tribunal départemental unique en première instance, le fameux TPI. Natalie Fricero nous a très bien indiqué les obstacles juridiques que nous avons rencontrés et je n’y reviendrai pas. Je crois sincèrement que c’est une fausse bonne idée. A preuve, elle est reprise dans tous les rapports sur la question, sauf le nôtre, accompagnée de la remarque que les difficultés de mise en œuvre seront considérables et j’ai fait le constat que le rapport est immédiatement enterré sur ce point. Je revendique haut et fort le droit au réalisme législatif : à supposer que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat avalisent ce type de création, je doute de sa concrétisation, le précédent de Nouméa et des îles de le Loyauté montrant que le TPI de Nouvelle-Calédonie n’est pas directement transposable en métropole en raison de l’avis rendu par le Conseil d’Etat en la matière, avis qui exige que les chambres détachées du TPI – et on ne conçoit pas un TPI sans la création de telles chambres – doivent connaître d’un contentieux qui est la totalité ou une partie de celui donné au siège du TPI, en aucun cas un contentieux de retranchement comme c’est aujourd’hui le cas dans la répartition des compétences entre TGI et TI. Qui décidera de la nature du contentieux confié aux chambres détachées et qui décidera de leur implantation ? On conviendra aisément que ce ne peut être le chef du TPI, que la décision relève de l’aménagement du territoire, donc de la Chancellerie en concertation avec les pouvoirs locaux. Ce qui veut dire, très concrètement, que le principal avantage supposé du TPI en termes de répartition des affaires par son Président entre son siège central et les chambres détachées, disparaît. Et pour ce qui concerne son pouvoir de gestion au quotidien, dans l’affectation des juges, le système que nous connaissons avec des juges nommés au TGI et détachés dans l’instance y supplée largement ! En d’autres termes, pour parodier Shakespeare, ce serait « beaucoup de bruit pour rien ».
            Et il reste que le territoire français est durablement marqué par la coexistence de deux juridictions civiles de première instance : le TGI et le TI. Il y a une traçabilité historique qui est le fruit de l’histoire, de notre culture, de la même façon, si je peux me permettre cette comparaison, qu’il y a une traçabilité historique des grandes voies de circulation ; ce n’est sans doute pas un hasard si la ligne 1 du métro parisien se superpose à la voie royale qui allait de Vincennes à Saint-Germain-en-Laye, en passant par le Louvre.
XXX
            Vous me trouverez sans doute bien restrictif quant au phénomène de spécialisation des juridictions et des juges. En réalité, il ne faut point perdre de vue que je n’envisageais jusqu’à présent que la spécialisation organique, celle qui se traduit par la création de juridictions autonomes, dont qui génère des conflits de compétence et qui risque de porter atteinte à l’égal accès de tous à son juge naturel.
            En revanche, lorsque la spécialisation n’est plus que fonctionnelle, elle n’encourt pas les mêmes réserves, car ses inconvénients sont moindres. Loin de la brider, il faut tout au contraire la favoriser.

ii – favoriser une spécialisation fonctionnelle

Favoriser la spécialisation fonctionnelle, tel est l’objectif que l’on doit poursuivre pour améliorer la prévisibilité de la justice. Au sein de l’institution judiciaire, il y a des juridictions et des juges. Les unes et les autres peuvent être spécialisés, mais si la spécialisation organique des premières conduit nécessairement à spécialiser les juges, l’inverse n’est pas vrai. On peut être juge spécialisé dans une juridiction généraliste. Et la notion de spécialisation concerne aussi les auxiliaires de justice.

A)    la spécialisation fonctionnelle des juridictions
Elle répond à des exigences diverses, qui ont en commun de ne pas créer de nouveaux conflits de compétence. Anciennement connue, le mouvement en sa faveur s’est accéléré ces dernières années.
a)      Il y a d’abord la spécialisation en vue d’assurer une jurisprudence pérenne et prévisible 
C’est la forme la plus anciennement connue, avec la spécialisation en chambres au sein d’une même juridiction.
1) Pour la Cour de cassation, Daniel Tricot nous en a parlé en plaçant son propos – c’est significatif des enjeux – sous le signe « des impératifs de spécialisation et de cohérence en vue d’une meilleure sécurité juridique et une utile prévisibilité ». C’est en quelque sorte une spécialisation aux fins de sécurisation du droit et des justiciables : on peut penser qu’en connaissant pendant un temps assez long des affaires se rattachant toutes au même type de contentieux, le conseiller à cette Cour saura mieux les juger par sa maîtrise plus fine des questions juridiques qui s’y rapportent.
Encore qu’on puisse y voir une intensité différente, selon qu’on siège à la chambre criminelle ou dans l’une des cinq chambres civiles et, au sein de celles-ci, dans une chambre au contentieux très technique (le droit de la construction par exemple) ou non.
La division en section au sein des chambres accentue ce phénomène de spécialisation, ce qui ne va pas sans certains risques de divergence de jurisprudence. L’excès de spécialisation porte en lui un risque d’insécurité juridique.
C’est sans doute pour cette raison que, progressivement, ce sont mis en place des mécanismes de cohérence entre les chambres, afin de limiter les inconvénients qui pourraient naître de divergences de jurisprudence dues à un cloisonnement trop fort entre les magistrats des chambres spécialisés. Et Daniel Tricot a insisté à la fois sur les « méthodes officielles » et sur « les méthodes officieuses ». Personnellement, j’ai tendance à y voir les limites d’une spécialisation trop poussée : l’excès de spécialisation nuit à l’exigence de sécurité juridique.
Le même constat pourrait être fait pour les chambres spécialisées en cour d’appel ou au sein des TGI, mais avec des enjeux différents, puisque ces juridictions ne sont pas en charge de l’unité de la jurisprudence.
2) Faut-il aller plus loin et créer, par exemple des chambres spécialisées pour chaque type de contentieux ?
            Je ne le pense pas :
- d’abord, parce que la spécialisation remet en cause, quoi qu’on puisse en penser, le cœur du métier de magistrat, qui est certes un juriste (ou devrait toujours l’être), mais qui est aussi un acteur social, placé au cœur des problèmes de son temps. Et, à cet égard, seule une vision généraliste des dossiers peut lui donner cette hauteur de vue qui fait toute la différence entre un technicien du droit et un humaniste. Cette remarque a été faite à la Commission Guinchard lorsqu’elle a été reçue à la Cour de cassation le 15 février 2008 ; nombre de hauts magistrats de cette juridiction ont fait observer « qu’une spécialisation trop poussée pouvait conduire à la déshumanisation de la justice, liée à une trop grande technicité de ceux qui seraient enfermés dans le même type de contentieux, plusieurs années durant »[140].
- ensuite, parce que l’exemple des chambres spécialisées en droit de la presse, que je ne remets pas en cause dans leur principe, montre que ceux qui y siègent sont portés à penser qu’elles devraient se transformer en juridictions autonomes, bref que la spécialisation fonctionnelle trouverait une issue inéluctable dans une spécialisation organique. La Commission Guinchard a rejeté clairement cette spécialisation de type organique, notamment s’il était accompagnée d’une implantation nationale à Paris. Notre proposition n° 12 s’est contentée, abstraction faite d’une dépénalisation de la diffamation, de suggérer de supprimer la compétence résiduelle du tribunal d’instance en la matière, par transfert au TGI, ce que la loi n° 2009-526, 12 mai 2009 a réalisé. Mais si nous avons repoussé toute création d’une juridiction spécialisée en droit de la presse, régionale ou nationale, c’est parce qu’il nous a semblé que chacun pouvait être victime de ce type d’infraction et qu’il était souvent utile que le procès se déroule au plus près de son centre d’intérêts, afin que la presse locale puisse en parler.

b) Il y a ensuite la spécialisation qui vise à faire bénéficier le justiciable d’un double voire d’un triple regard

1) La plus connue est bien sûr la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement au sein des juridictions pénales et qui a été progressivement étendue, non sans difficultés, au sein des autorités administratives indépendantes.
Pour les juridictions répressives, on remarquera simplement, tant le principe est connu[141], que l’article préliminaire du Code de procédure pénale, énonce dans son paragraphe I, al. 2 que la procédure pénale « doit garantir la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement », sans viser les fonctions d’instruction. Etait-ce pour ménager l’avenir et les confier, pour leur aspect enquête et investigation au Parquet et, pour leur aspect juridictionnel à un juge du siège ? On peut douter que telle était l’intention des rédacteurs de la loi du 15 juin 2000, mais l’actualité politique récente redonne un certain intérêt à la question ainsi posée !
Cette distinction transcende la procédure pénale stricto sensu, pour s’appliquer à tous les organes qui connaissent de la matière pénale, qu’ils soient disciplinaires ou administratifs. La Cour EDH ne manque pas de rappeler que le principe de séparation s’applique aux organes disciplinaires, par exemple à ceux qui prononcent des sanctions pénitentiaires[142].
C’est ici l’occasion de dire que, sans remettre en cause le principe de l’existence des autorités de régulation, ceux qui ont cru, en les instituant, qu’on pouvait se passer des garanties du procès équitable, à commencer par celle de l’indépendance et de l’impartialité de leurs membres, se sont lourdement trompés. Progressivement, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont sanctionné, chacun pour ce qui le concerne, les manquements à la règle de séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. La spécialisation n’est pas ici institué pour assurer la sécurité juridique d’une jurisprudence pérenne et prévisible, mais pour garantir à tout accusé qu’un double, voire un triple regard sera porté sur son dossier.

2) C’est parce qu’on ne retrouve pas cette exigence que je suis très réservé à pousser trop loin la spécialisation des juges qui mettent en état les affaires civiles.
            Je préfère d’ailleurs cette expression de magistrat de la mise en état, quelle que soit la juridiction, mais bien sûr essentiellement devant les TGI et les cours d’appel, à celle de juge de l’instruction civile que je trouve trop forte et, pour tout dire, erronée.
- Il faut voir dans cette expression d’instruction civile, l’abus de la transposition du vocabulaire répressif à la matière civile ; parler d’instruction civile n’a pas la même portée que de parler de mise en état [143] et, progressivement, d’un glissement de vocabulaire, d’un mot à un autre, on glisse à une confusion des notions, des concepts et des principes qui régissent la matière civile.
- Il faut y voir aussi, l’oubli que ces contentieux civils ne connaissent pas d’une manière aussi tranchée et affirmée qu’en matière pénale, le principe de la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. Il faut donc être prudent dans l’appréciation du cumul de fonctions différentes au sein d’une juridiction civile ; ce cumul ne signifie pas systématiquement partialité, car la finalité de ces fonctions n’est pas la même qu’en matière pénale ; il ne s’agit pas s’assurer d’un double ou d’un triple regard objectif sur un dossier, comme le permet le cloisonnement des poursuites, de l’instruction et du jugement, mais de permettre à l’un des juges du tribunal d’acquérir une connaissance approfondie du dossier. Au fond, ce n’est pas la même chose que de bénéficier d’un regard neuf à chaque étape d’un procès pénal, où chaque décision des trois organes engage la personne d’abord mise en cause, puis suspectée, puis poursuivie, puis mise en examen, puis renvoyée devant le tribunal, dans un processus de conviction progressive d’une forme de culpabilité, et de voir son dossier civil étudié par le même juge, tout long d’un processus d’élaboration de sa conviction où il ne s’agit pas de déclarer une personne coupable ou innocente des faits qui lui sont reprochés (et qu’elle n’a pas contribués à apporter), mais de donner une solution juridique à un problème de droit, sur la base de faits apportés librement par les parties, en se forgeant progressivement sa conviction, d’une manière de plus en plus approfondie, selon un processus intellectuel continu[144].
            Ces considérations ne sont pas seulement d’ordre théorique et n’intéressent pas que la question de la partialité du juge[145]. Elles interfèrent avec la notion de juridiction, que seule la loi pourrait créer. En effet, si le Conseil d’Etat a validé, dès 1968, l’intervention du juge dans le déroulement de la procédure, en posant qu’aucun principe général ne s’y oppose[146], un accroissement trop important des pouvoirs du juge de la mise en état pourrait induire une requalification en juridiction spécialisée distincte, ce qui obligerait de passer par la voie législative pour en poser le principe et fixer les contours de sa compétence. On remarquera d’ailleurs que c’est une loi qui a créé le JEX, le JAF, etc.

c) La spécialisation vise enfin à concentrer un contentieux dans un pôle spécialisé mais sans création d’une juridiction nouvelle
Le mot pôle est ambigu : il peut désigner une juridiction autonome nouvelle à compétence régionale ou nationale, comme on l’a vu en première partie, mais il peut aussi désigner un regroupement de contentieux au sein de juridictions existantes à l’échelon local. La Commission a préconisé les deux, mais a souhaité privilégier les pôles sans création de juridictions nouvelles.
S’agissant des simples regroupements fonctionnels au sein de juridictions existantes, cinq pôles ont été préconisés :
- Deux ont déjà été réalisés par la loi du 12 mai 2009 :
le pôle diffamation dont il a déjà été question, concentré au TGI ;
le pôle famille autour du JAF, dont la compétence a été renforcée par le transfert de la tutelle des mineurs et de la liquidation et du partage de toutes les indivisions conjugales. Parallèlement, la Commission n’a pas retenu l’idée d’un tribunal de la famille qui aurait à lui seul absorbé tout le contentieux de certains TGI  et qui aurait rigidifié la compétence en matière familiale. C’est cette volonté de dérigidifier qui a inspiré la Commission Guinchard : ne pas créer une nouvelle juridiction en ne revenant pas à une nomination comprenant dans le décret de nomination une affectation à des fonctions précises.
- Deux autres pôles sont repris dans la proposition de loi Béteille :
un pôle de l’exécution mobilière rattaché à chaque tribunal d’instance avec compétence pour connaître de tout le contentieux de l’exécution mobilière aujourd’hui encore dispersé, notamment la saisie des rémunérations et le paiement direct des pensions alimentaires ;
un pôle de l’exécution immobilière dans tous les TGI avec concentration sur ce juge des contentieux de la saisie des navires, aéronefs et bateaux de 20 tonnes ou plus ;
Enfin, un pôle pénal qui a été écarté par le Gouvernement, mais qui aurait transféré le contentieux de police au sein d’une chambre spécialisée du tribunal correctionnel, comme il a déjà été indiqué ;

B)    la spécialisation des juges et des auxiliaires de justice

Les enjeux sont ici différents, car il n’est point question de créer des juridictions nouvelles ou de rigidifier l’accès à la justice. Les juges et auxiliaires de justice peuvent se spécialiser sans pour autant que les juridictions le soient.
Je me limiterai à trois réflexions, dans la ligne de ce qui vient d’être dit sur la déshumanisation de la justice, par une spécialisation excessive des juges :
- la première est que la spécialisation c’est le rôle de la formation continue dont chacun sait bien ici qu’elle a été portée à un haut niveau par l’ENM. En tout cas, l’offre est abondante, tant au niveau national qu’au niveau des cours d’appel. La spécialisation c’est aussi un greffon sur une solide base généraliste. Je rejoins tout à fait M. Laurent Zuchowicz. Pour le lien avec le choix des politiques publiques, je vous renvoie au rapport de M. le Président Bruno Steinmann.
- Et cette remarque vaut aussi pour les auxiliaires de justice, notamment les avocats qui connaissent d’ailleurs d’un régime de mentions de spécialisation, dont nous a parlé Maître Bedry, avec le projet de réforme en cours d’examen, suite à l’échec de l’idée de lancer des « domaines d’activité » et des « champs de compétence ».
- La troisième réflexion, c’est que je ne crois pas à la fusion de toutes les écoles de formation en une seule. Véritable usine à gaz au bénéfice nul ; à un moment donné de sa vie, on devient magistrat ou avocat ou notaire ou huissier de justice ; et déjà les étudiants qui se destinent à ces professions passent 4 à 6 ans ensemble en formation commune sur les bancs de l’université.


XXX
            En guise de réflexions finales, je voudrais faire 2 remarques :
- l’une qui relève du domaine de l’utopie et dont Corinne Bléry nous a rappelé qu’elle avait été présentée par Jacques Héron en son temps. En effet, à vouloir trop spécialiser, non seulement on risque de déshumaniser la justice, mais aussi on peut donner l’idée à certains d’aller, en raisonnant par l’absurde, jusqu’à imaginer une seule juridiction nationale pour tous les contentieux, en tout cas une seule par degré de juridiction, les juges travaillant chez eux par courrier électronique, les audiences étant supprimées en matière civile. Utopie bien sûr, mais elle a cela de bon qu’elle nous fait réfléchir sur les dangers du dogmatisme. La réponse au besoin de spécialisation doit être trouvé dans la raisonnable, c'est-à-dire la proportionnalité entre la concentration des contentieux et les intérêts sacrifiés. Et ce qui est utopie aujourd’hui, sera peut-être la réalité de demain.
- La seconde remarque est que je vous invite à relire Fernand Braudel qui, dans l’identité de la France, ne voyait que deux régions susceptibles de générer une capitale pour la France, en raison de son bassin de population et de sa configuration géographique : l’île de France, la capitale pouvant être aussi bien à Paris qu’à Melun. Et Toulouse avec son bassin qui va du Massif central aux Pyrénées. Pour ceux qui regrettent que Paris soit le siège de juridictions à compétence nationale, se consolent en pensant que ce pourrait être Toulouse.

VI – Le juge à l’écoute du monde
Le juge à l’écoute du monde : un nouvel office pour le juge au XXIème siècle
Propos conclusifs
Paris le 21 mars 2013
N’ayez pas peur !
Résumé :       
Le défi d’un juge à l’écoute du monde revêt une acuité particulière au TGI de Paris par la nature des contentieux confiés à cette juridiction. Pour autant, les juges de ce tribunal ne doivent pas avoir peur de cette technicité nouvelle et de cette internationalisation des règles de droit substantiel comme de droit processuel. Comme les hommes politiques, ils doivent agir en visionnaire, au cœur de notre devise républicaine pour en actionner toutes les composantes (I). Ils doivent aussi être des meneurs d’hommes, c’est-à-dire des décideurs, au cœur de la création de la norme (II) ; mais, à la différence de l’homme politique, le juge, parce qu’il répond à une attente précise dans un dossier à lui soumis, selon une certaine procédure, doit, pour articuler ces deux offices, être l’acteur d’un nouveau modèle procédural, lui-même fondement d’une nouvelle démocratie (III).

TEXTE PRONONCÉ
À vous lire d’abord, dans les actes préparatoires à ce colloque, à vous écouter ensuite au cours de cette journée de restitution et de discussions, mon premier sentiment est que vous avez vous-même construit les réponses aux questions que vous vous posiez lorsque Madame la Présidente Chantal Arens vous a demandé de réfléchir à un nouvel office du juge en ce début de XXIème siècle, dans la perspective, au-delà du dialogue de gestion avec le Ministère, de trouver les moyens vous permettant de répondre au défi de la mondialisation dans votre activité quotidienne de juge.
                        Sans faire injure aux autres juridictions, il faut bien reconnaître qu’à Paris vous êtes en première ligne à l’écoute du monde, à la fois par l’importance quantitative des effectifs de votre tribunal, par la connaissance qualitative que vous avez de contentieux internationaux que la province ne connaît pas ou peu – ne serait-ce que l’arbitrage international – et par la compétence exclusive que le législateur contemporain aime bien vous confier dans certains types de contentieux, en dernier lieu le pôle des brevets d’invention et celui des crimes contre l’humanité et crimes de guerre, deux compétences pour lesquelles, je l’avoue, je me sens une certaine responsabilité ![147] En matière civile, vos 15 chambres et vos 42 sections, votre activité particulièrement importante en matière de référés et de requêtes, font de votre juridiction le phare de l’activité judiciaire de la France. Le taux de complexité de vos affaires civiles, 33 à 73 % selon les chiffres donnés par votre Présidente lors de son discours de rentrée solennelle en janvier 2013, les dossiers hors normes qui vous sont soumis en matière pénale, contribuent à faire de votre juridiction une juridiction exceptionnelle.
                        À vous lire et à vous entendre, mon impression générale est qu’il se dégage de vos interrogations, de vos doutes, comme un sentiment de peur, en tout cas le sentiment que vous ressentez un vertige devant d’une part, les difficultés nées de la mondialisation et, d’autre part, la nécessité accrue de vous tenir informés des évolutions des droits étrangers et des jurisprudences européennes, qu’il s’agisse de Luxembourg ou de Strasbourg. Face à un tel sentiment, j’ai envie de vous répondre comme Jean-Paul II « n’ayez pas peur », mais comme les crucifix ont disparu des salles d’audience et que la Justice se doit d’être laïque, je m’en tiendrai à un discours républicain, mais un discours plus politique que juridique.
                        En effet, j’ai considéré que la question posée étant celle d’un nouvel office du juge au XXIème siècle, sous le regard d’un juge à l’écoute du monde, d’un juge face au défi de la mondialisation, d’un juge qui subit plus qu’il ne consent aux changements parce que ceux-ci sont continus et globaux et qu’il les prend de plein fouet, la réponse ne pouvait être que d’ordre politique et non pas seulement d’ordre juridique. 
                        Sous ce regard, cette réponse se détriple car, comme tout homme politique en charge du législatif ou d’un exécutif :
Le juge doit être d’abord et avant tout un visionnaire au cœur de notre devise républicaine pour en actionner toutes les composantes (I),
Il doit aussi être un meneur d’hommes, c’est-à-dire un décideur, au cœur de la création de la norme (II) ;
Mais, à la différence de l’homme politique, le juge, parce qu’il répond à une attente précise dans un dossier à lui soumis, selon une certaine procédure, doit, pour articuler ces deux offices, être l’acteur d’un nouveau modèle procédural, lui-même fondement d’une nouvelle démocratie (III).
i – un juge visionnaire, au cœur de notre devise républicaine
Dans l’exercice de sa mission juridictionnelle, ce qui dans mon esprit inclut à la fois le contentieux et le gracieux, le juge est au cœur de notre devise républicaine. Il est le garant des droits, de leur équilibre entre les parties, le bastion avancé de la garantie de nos libertés, de la défense de nos idéaux démocratiques. Il est la garantie de la garantie des droits.
Votre groupe de travail n° 1 a posé la question de savoir ce qu’il fallait penser « de cet office du juge qui, manifestement, sort de sa conception traditionnelle en jugeant la loi ». La question a été posée avec prudence, avec une sorte de crainte révérencielle, comme si vous hésitiez devant tant de pouvoirs. Je dis non, n’ayez pas peur de ce pouvoir car il s’inscrit dans une perspective historique plus vaste que l’aube du XXIème siècle, objet de vos préoccupations[148]. Pour faire bref, nous avons connu successivement trois étapes :
- à la fin du XVIIIème siècle, nous avons eu une période d’affirmation du pouvoir législatif, fondé sur le concept démocratique de volonté générale ;
- à la fin du XIXème siècle, nous avons vécu une période de valorisation du pouvoir exécutif en vue d’une meilleure prise en compte des exigences de l’égalité ;
- à la fin du XXème siècle et à l’aube du XXIème enfin, nous vivons une troisième période qu’illustrent parfaitement les nouvelles armes du juge ; celle d’un pouvoir judiciaire qui s’affirme par rapport aux deux autres, ce qui suppose une meilleure conception du rapport du juge à la règle, un instrument, en l’occurrence la Convention, avec sa supériorité normative et ses concepts élastiques, dont celui de procès équitable. Ainsi, se concrétise l’opinion d’Adrien Duport, l’un des rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment de son article 8, qui affirmait en 1789, que « la justice, l’humanité et la politique ne sont qu’une même chose [149] ». Le juge s’est affirmé comme le gardien[150], à l’encontre des deux autres pouvoirs, des valeurs de liberté et d’égalité, au point de devenir parfois celui qui entend contrôler la fidélité aux valeurs démocratiques de base, des finalités concrètes de l’action sociale de l’exécutif et du législatif[151].
Cette troisième étape est « l’indice d’un mouvement qui s’amorce et qui constitue un moment privilégié pour redessiner le rôle du droit dans une démocratie »[152]. La référence à un patrimoine démocratique commun apparaît à la lecture de nombre de vos jugements et des cas d’espèces dont vous nous avez parlé aujourd’hui, puisque la propagation des droits fondamentaux sous l’impulsion décisive de la Convention EDH a considérablement modifié votre travail : la règle que le juge national est le premier à contrôler la conformité des situations juridiques qui lui sont soumises aux principes énoncés par la Convention EDH a bouleversé la hiérarchie des normes, puisque le juge national peut écarter une loi pour non-conformité à cette Convention. Et comme les juges des autres états membres du Conseil de l’Europe ont aussi ce pouvoir, vous construisez ensemble un socle commun. Vous êtes avec eux les bâtisseurs de ce que j’ai appelé dans le précis de Droit processuel, dès janvier 2001, un « droit commun et un droit comparé du procès » et qui va bien au-delà des règles procédurales pour atteindre le droit substantiel que vous êtes conduit à connaître et à appliquer.
Je suis de ceux qui ne craignent pas cette évolution qui nous entraîne très loin de la conception révolutionnaire du juge simple bouche de la loi, même si je ne suis pas naïf et si je pense qu’une réflexion doit être engagée sur les limites à l’immixtion du juge dans le contrôle du respect des valeurs démocratiques de base par ceux (pouvoirs législatif et exécutif) qui déterminent les finalités concrètes de l’action sociale. Une affaire récente relative au mandat européen appliqué à une Française extradée vers l’Espagne, a illustré le choc des cultures en ce domaine sensible, le politique ayant perdu son pouvoir de contrôler les extraditions fondées sur cette nouvelle institution.
Je ne crains pas cette évolution pour une autre raison : je crois, avec Pierre Rosanvallon, que le contrôle de l’action des autres pouvoirs par l’autorité judiciaire, leur redonne, singulièrement au pouvoir exécutif, une « légitimité démocratique »[153] qu’ils ont parfois perdue. Tout pouvoir ne peut être  « considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression majoritaire »[154].
Ainsi mis en perspective, l’office du juge se dessine mieux. Il est au cœur de notre devise républicaine :
-          Liberté, parce qu’il assure la police des libertés fondamentales : et c’est le juge Jupiter de l’état gendarme dégagé par François Ost[155] ;
-          Égalité, parce qu’il assure la promotion de l’égalité entre tous les justiciables : et c’est le juge Hercule de l’état providence, dégagé par le même auteur ;
-          et fraternité, ce mot ancien pour désigner la solidarité de la Révolution de 1848, parce que le juge peut jouer le rôle de conciliateur, de modérateur et donner au combat mortel entre la liberté et l’égalité l’apaisement dont toute société a besoin. C’est le juge Hermès de l’état solidaire. Sous ce regard, je rejoins Horatia Muir Watt qui nous a montré ce matin la place nouvelle de la dignité (article 8 de la Convention EDH) ; de l’altérité, du respect de l’autre dans l’office du juge ; j’y vois le prolongement de la solidarité de 1848, de la fraternité de notre devise républicaine.
Et ce n’est pas un hasard, si la Cour européenne des droits de l’homme voit dans la prééminence du droit le fondement d’une société démocratique, un élément de l’ordre public européen dont le respect est confié aux juges. Dès le 6 septembre 1978, la Cour relevait que « la prééminence du droit implique, entre autres, qu’une ingérence de l’exécutif dans les droits d’un individu soit soumise à un contrôle efficace que doit normalement assurer, au moins en dernier ressort, le pouvoir judiciaire, car il offre les meilleures garanties d’indépendance, d’impartialité et de procédure régulière ».
            Face à cet objectif d’une justice porteuse de sens, d’un office du juge renouvelé dans son principe, le service de la Justice ne peut être modernisé et vivre que dans le respect de valeurs et de principes qui fondent l’état de droit, tels que l’égalité devant la loi et l’accès effectif à un juge, y compris et surtout pour les plus démunis. C’est alors dans la gestion quotidienne de votre activité que votre office doit aussi se renouveler.

ii – un juge decideur, au cœur de la création de la norme
            Il ne s’agit pas ici de la vision d’un juge manager, gestionnaire de flux contentieux pour l’ensemble de la juridiction, au sens de la préoccupation commune à tous les chefs de juridiction, qui s’inquiètent, légitimement, de l’écoulement rapide des contentieux qui vous sont soumis, mais de la manière dont vous allez pouvoir remplir votre office de contrôle du respect des valeurs démocratiques de base par les autres pouvoirs.
            Cette vision s’articule autour de deux aspects : pour créer la norme, le juge doit penser globalement, mais agir localement (A) ; il doit aussi s’appuyer sur une équipe (B).

A) un juge qui pense globalement et qui agit localement
            a) En termes de radiodiffusion, vous êtes d’abord récepteur de normes.  Normes nationales, mais surtout – pour ce qui vous inquiète - normes internationales, voire de droits étrangers, lorsque vous êtes conduits à appliquer un autre système juridique. Sous ce regard, vous êtes vous-même le monde dans la réception de ces normes !  
            Mais être récepteur de normes ne signifie nullement subir les influences étrangères et européennes sans marge de manœuvre, sans possibilité de les interpréter, voire de les contester. Ne soyez pas passifs dans cette réception ; là encore n’ayez pas peur, ne la subissez pas, prenez-la à votre compte, interprétez-la, contestez-la s’il le faut, comparez-la avec les interprétations des juges des autres pays, spécialement avec ceux des autres états membres de l’Union européenne.
            L’idée de solidarité réapparaît ici, mais cette fois dans vos échanges avec les juges de votre tribunal et avec ceux des autres états : la mutualisation des compétences me semble essentielle dans ce nouvel office du juge ; elle favorise la réflexion, la prise de décision et la transmission des savoirs à ceux qui vous rejoignent au sein de du TGI de Paris. Votre action s’inscrit dans un système de « coproduction organisé en réseaux » pour reprendre l’expression d’Horatia Muir Watt, et non plus seulement dans un système de coopération.
            À cet égard, la création d’espaces dématérialisés d’échanges entre juges des différentes chambres civiles, pour mettre en commun la jurisprudence, les outils d’aide à la décision et les articles de doctrine, est une initiative qu’il faut saluer et développer.   
            Et dans cette activité, vous devez d’abord « pensez global », comme nous y invitait Jacques Ellul dans la première partie d’une phrase qui fut reprise, quelques années plus tard par l’association ATTAC pour en faire son slogan.
            b) À ce titre, vous deviendrez aussi émetteur de normes, acteur de la mondialisation, car vous avez un dossier personnalisé à régler. Il vous faudra alors « agir localement », pour reprendre la seconde partie de la phrase de Jacques Ellul et du slogan d’Attac. Vous êtes alors créateur de droit, émetteur de normes et vous n’avez pas de complexe d’infériorité à avoir. Vous en avez tous ici la capacité, par la force de vos convictions, par votre compétence, par la nature des contentieux qui vous sont attribués, par la mission qui vous est confiée dans une vision renouvelée de votre office. Certes, la tâche sera difficile, mais qu’il s’agisse du droit européen des brevets ou des instruments internationaux de protection des droits de l’homme, pour ne prendre que ces deux exemples qui semblent à l’opposé dans l’exercice de vos fonctions, vous avez un rôle à jouer, d’émetteur de droit, à partir de votre écoute du monde ; parce qu’il est global ce droit doit être le fruit de votre réflexion et de vos décisions : il n’est plus imposé par le haut.
- Dans le premier cas, celui des brevets, vous êtes devenu un juge transnational au carrefour des règles européennes et de leur application par vos collègues étrangers traitant des mêmes questions ; votre fonction régulatrice prend une dimension transfrontière pour reprendre la terminologie des directives européennes ; ce n’est pas un hasard si la Commission qui porte mon nom a voulu donner au TGI de Paris et, par voie de conséquence à sa cour d’appel, l’exclusivité de ce contentieux ; c’est qu’en arrière-pensée, au-delà de l’idée que ce contentieux est suffisamment technique pour justifier une compétence unique, nous voulions faire du TGI de Paris, le phare susceptible d’attirer la Cour européenne des brevets, ce qui a été le cas et permettez-moi d’en être fier.
- Dans le second cas, celui des instruments internationaux de protection des droits de l’homme dont vous êtes le garant, votre pouvoir créateur n’est pas moindre. On l’a bien vu à propos de la garde à vue, à partir de la jurisprudence européenne, constitutionnelle et de la chambre criminelle, vous avez construit, en tout cas aidé à construire, un système plus conforme à l’idée qu’on se fait aujourd’hui de la place respective du juge des libertés et du Parquet dans cette phase cruciale du procès pénal ; et cette construction, sur ce point précis, n’est pas terminée. Ce pouvoir créateur se prolonge dans la possibilité offerte aujourd’hui d’interroger le Conseil constitutionnel, ce que vous ne manquez pas de faire, selon les exemples que vous avez cités. C’est votre fonction protectrice et constitutionnelle.
 Là encore, vous êtes vous-même créateur de normes, vous êtes le monde.
            Un TGI proche du votre, celui de Nanterre, vient d’en donner un exemple éloquent, le 14 novembre 2012. C’est un cas très particulier qu’a eu à connaître cette juridiction dans une hypothèse où, du fait du choix fait par le Parquet de diligenter une enquête préliminaire au lieu d’ouvrir une instruction, puis, après quatre ans d’enquête, de citer directement devant le tribunal les personnes visées par l’enquête, celles-ci se plaignaient d’avoir été privées des droits de la défense dont elles auraient pu bénéficier si une instruction avait été ouverte ; selon elles, il y avait rupture de l’égalité des armes. La chambre criminelle de la cour de cassation jugeant de manière constante que le choix du Parquet est discrétionnaire, le tribunal se garde bien de critiquer frontalement ce choix, mais affirme, au visa des principes directeurs de l’article préliminaire, CPP et de l’article 6, Convention EDH, qu’il ne saurait y avoir, pour une même personne dans une même situation, ni dissymétrie de traitement, ni de droits de la défense à géométrie variable, selon le cadre procédural choisi et annule toute la procédure, après avoir précisé que le Parquet n’avait pas assuré de manière effective la protection du droit des dites personnes à bénéficier d’un procès équitable dans la phase de jugement (accès au dossier et droit de citer des témoins)[156].
            Je suis bien certain que vous saurez être aussi audacieux que les juges de cette juridiction, comme l’avaient été ceux de Limoges dans les premières affaires où furent écartées des lois de validation pour non-conformité à la Convention EDH[157].

B) un juge qui décide au sein d’une équipe
L’œuvre du juge, tout individuelle qu’elle puisse être dans les choix qu’il opère, ne peut plus être une œuvre solitaire ; elle est l’aboutissement d’un processus d’élaboration de la décision mené en partenariat étroit avec les auxiliaires de justice et les greffiers. Chacun doit être prêt à s’inscrire dans une démarche d’évolution de ses missions, de son rôle et de ses pratiques.
a) Je voudrais souligner ici, spécialement pour ceux qui n’ont vu dans le rapport de la commission qui porte mon nom, qu’un énoncé de mesures de déjudiciarisation et de barêmes, alors qu’au contraire on a cherché à en limiter le domaine et à en restreindre la portée sans recevoir d’ordres ni même « d’amicales » consignes de la Chancellerie ou de Matignon ou de l’élysée, que les deux premiers aspects que je viens d’indiquer, les deux offices du juge, forment l’ossature du rapport, le fil conducteur qu’une lecture attentive permet de découvrir à la fois dans l’introduction dont je revendique la paternité et dans le Titre 3 de la première partie, entièrement consacré au juge décideur au cœur d’une équipe et dont l’esprit revient largement à Madame Simone Gaboriau, à la fois à titre personnel et au nom du Syndicat de la magistrature. Ce n’est donc pas une pensée néo-libérale qui l’a inspiré[158], mais l’idée qu’il fallait donner du sens à l’intervention du juge en mettant le justiciable au centre et les juges au cœur de la Justice, rejoignant ainsi Jean Rivero qui, dans son célèbre article « Le Huron au Palais-Royal »[159], écrivait, il y a cinquante et un an : « nous autres, bons sauvages, nous sommes des esprits simples, nous pensons que la justice est faite pour le justiciable et que sa valeur se mesure en termes de vie quotidienne. Ce n’est pas le développement du droit qui nous intéresse, c’est la protection efficace qu’en tire le particulier ». Même si je ne partage pas cette dernière affirmation, car « la protection efficace » du particulier est compatible avec le « développement du droit », il reste que la place du citoyen est d’être au centre de l’activité du juge et que la place du juge est d’être au cœur de l’activité judiciaire.
Nombre des personnes auditionnées en 2008 par la commission Guinchard ont fait observer que le juge ne doit pas être un juge isolé, même s’il siège à juge unique. Il a besoin d’une équipe autour de lui, qu’il anime et dirige, qui le conseille et l’aide dans ses travaux, notamment de recherche, voire de contact avec les parties, en amont du procès pour essayer de trouver une solution amiable, par la conciliation ou la médiation ou encore la procédure participative que la commission avait proposé de mettre en place. C’est le lien qui réunit entre elles plusieurs propositions disparates : les juges de proximité rattachés au président du TGI, dans son équipe en quelque sorte, avec une redéfinition de leurs fonctions en matière civile ; le pôle pénal en faisant des tribunaux de police des chambres des tribunaux correctionnels ; la création d’équipes de médiateurs au sein de la juridiction avec des listes de médiateurs agréés et l’obligation de la médiation en matière familiale, au moins pour les actions post-divorces ou séparations ; le recrutement, comme magistrats associés et au niveau des cours d’appel, des professeurs et maîtres de conférences en droit, selon un statut à définir, mais dans des conditions symétriques et dans l’esprit du recrutement des magistrats comme professeurs ou maîtres de conférences associés dans les Facultés de droit. L’idée a été reprise par le Barreau de Paris, mais au profit des avocats qui deviendraient « magistrats associés ».
b) Il est possible d’aller plus loin. En vous écoutant souligner vos difficultés à connaître la loi étrangère, voire les dernières évolutions des jurisprudences européennes, j’en viens à penser qu’il est temps d’envisager la création de l’équivalent allemand des Max Planck Institute. La tâche, immense, est à la hauteur des difficultés que vous rencontrez et cet Institut français devrait sans doute être unique pour tout le territoire national, voire être commun aux pays francophones, je pense à la Belgique, au Luxembourg et à la Suisse. Il pourrait aussi être le moteur d’une coproduction du droit par le juge.

Par votre vision du monde, par votre rôle créateur de normes, vous exercez une fonction politique ; encore faut-il réussir à articuler correctement vos deux offices de visionnaire et de décideur, car, dans l’exercice de vos fonctions, vous répondez à une attente précise dans un dossier à vous soumis, selon une certaine procédure. À ce titre, il faut être l’acteur d’un nouveau modèle procédural, lui-même fondement d’une nouvelle démocratie

iii – un juge, acteur de la construction d’un nouveau modèle procédural et d’une nouvelle démocratie
                        Ce qui m’a frappé dans les mots et les concepts qui émergent dans les rapports de vos quatre groupes de travail, c’est de retrouver ceux que j’utilise depuis 15 ans maintenant pour faire émerger la notion de principes structurants de l’instance (A) et la notion de démocratie procédurale (B) : ce sont ceux d’écoute, de dialogue, de loyauté, de proximité et de célérité, le groupe n° 2 allant même jusqu’à utiliser les cinq dans le même rapport, ce qui n’est pas surprenant puisqu’il s’est plus particulièrement intéressé aux procédures elles-mêmes, qu’elles soient civiles ou pénales. Ce concept de démocratie procédurale que nous défendons depuis 1999 trouve un écho dans celui de légitimité démocratique que l’on trouve développé dans un ouvrage de Pierre Rosanvallon édité en 2008[160] (C).

A)    l’émergence de principes structurants de l’instance
       Ce n’est sans doute pas un hasard si ces notions rejoignent les trois principes structurants qui se profilent derrière les principes directeurs actuellement retenus dans chaque type de contentieux, principes qui correspondent à des besoins nouveaux, tels que les expriment les justiciables et les citoyens :
– un besoin de confiance dans l’institution Justice et de respect de l’Autre, d’où un principe (structurant) de loyauté, notamment dans la recherche de la preuve ;
– un besoin d’écoute de l’Autre, qu’il s’agisse des parties ou du juge, voire de tiers, d’où un principe (structurant) de dialogue entre les parties et entre celles-ci et le juge ; votre groupe 2 l’a particulièrement mis en exergue dans la conduite de l’instruction des affaires et même dans l’élaboration du jugement.
– un besoin de proximité enfin, mais pas forcément dans l’espace, le temps mis à parcourir une distance se substituant à la proximité géographique, d’où un principe, lui aussi structurant, de célérité.
Ce sont les principes directeurs de demain, des principes émergents, ce qui signifie qu’ils ne sont pas encore acceptés par tous. Ils structurent l’ensemble des contentieux[161] et il faut les « inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de justice[162] ». Ils traduisent l’avènement d’une démocratie procédurale[163].

B)    l’émergence d’une démocratie procédurale
Avec l’émergence de ces trois principes structurants, je discerne la confirmation de l’opinion émise dès 1999[164] : nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de pure technique, non point parce que celles-ci seraient devenues inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la mondialisation (qui induit une attraction de la procédure à la garantie des droits fondamentaux) et à la lumière d’une modélisation du droit du procès.
De simple technique d’organisation du procès (comme la société anonyme est une technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres), ainsi que nous l’avions souligné dans le Précis de Procédure civile, dès 1991[165], la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la démocratie dans notre pays[166], mesure que la Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[167]. Et plus les exigences de gestion des flux, plus les garanties s’étoffent et prennent de l’importance.
La procédure réintègre ainsi pleinement le champ du service public de la Justice et une certaine doctrine n’ignore plus ce phénomène, même si une autre continue de se perdre dans les marécages des approches de pure technique juridique et de la comparaison des trois grands types de procédure, administrative, civile et pénale, alors que tout autour de nous le monde bouge et vous pousse à réfléchir sur votre office au XXIème siècle. On est loin de la stricte application par le juge du formalisme procédural et de son annotation par la doctrine, alors que la communication électronique bouleverse nos habitudes et que le rôle de la doctrine est de dégager des principes qui transcendent ces aspects purement formels. La doctrine et vous juges du TGI de Paris, participez désormais à l’avènement de la garantie des droits, à l’instauration d’une démocratie procédurale. Il vous reste à vous juges, à la fois inspirateur et collaborateur de cette doctrine, à la conforter dans sa vision, autrefois prémonitoire, aujourd’hui communément admise ou presque, d’un droit processuel humaniste.

c) démocratie procédurale et « légitimité démocratique » de pierre rosanvallon
a) Dans le deuxième volet de son enquête sur les mutations de la démocratie au XXIème siècle, La légitimité démocratique – Impartialité, réflexivité, proximité,  Pierre Rosanvallon propose une histoire et une théorie de cette « révolution de la légitimité »[168]. L’idée est ainsi exposée dans la présentation de l’ouvrage : « l’élection ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. Le verdict des urnes ne peut donc être le seul étalon de la légitimité. Les citoyens en ont de plus en plus fortement conscience. Une appréhension élargie de l’idée de volonté générale s’est ainsi imposée. Un pouvoir n’est désormais considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression majoritaire ».
b) Comparée à l’idée de démocratie procédurale, on voit aisément ce qui rapproche les deux théories. De la même façon que la démocratie procédurale repose sur le triptyque des trois principes structurants du droit processuel que sont la confiance (d’où la loyauté), le dialogue (d’où la contradiction) et la proximité (d’où la célérité), un pouvoir démocratique « doit se plier à un triple impératif de mise à distance des positions partisanes et des intérêts particuliers (légitimité d’impartialité), de prise en compte des expressions plurielles du bien commun (légitimité de réflexivité) et de reconnaissance de toutes les singularités (légitimité de proximité) ». Quelques rapprochements s’imposent, à ces trois niveaux de l’analyse pour souligner la place que prend le droit processuel (au sens où nous l’entendons) dans la recherche de la légitimité d’un pouvoir démocratique.
1) S’agissant de la « légitimité d’impartialité », l’exigence est éminemment processuelle dans son affirmation et procédurale dans sa mise en œuvre. Pierre Rosanvallon reprend la distinction, classique chez les juristes, de l’indépendance qui est un statut et de l’impartialité qui est, pour lui « une qualité » (p. 150-151), pour nous « une vertu »[169]. Et ce sont les autorités administratives indépendantes qui sont l’objet de la démonstration du savant auteur (p. 139 et s.) à la recherche de ce qui caractérise leur légitimité, puisque, par hypothèse, elles ne sont pas élues. Le choix de cet exemple est particulièrement révélateur puisque ce sont ces autorités qui ont posé le plus de problèmes en jurisprudence quant à leur impartialité[170] ! Notre rapprochement trouve ici toute sa justification.
2) S’agissant de la « légitimité de réflexivité », le rapprochement est moins évident au premier abord, puisque nous insistons sur le dialogue et Pierre Rosanvallon sur « la prise en compte des expressions plurielles du bien commun ». Pourtant, on ne peut manquer d’être frappé par l’exigence de dialogue avec le législateur que sous-tend l’analyse à laquelle procède Pierre Rosanvallon, de l’intervention des cours constitutionnelles dans l’élaboration de la loi (cf. p. 217 et s.) ; or, ce dialogue est particulièrement mis en évidence aujourd’hui en France avec l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité et Guillaume Drago l’avait déjà relevé dans sa thèse[171] en parlant d’une coproduction de la loi par le Parlement et le Conseil constitutionnel dans le contrôle de constitutionnalité a priori.
3) Enfin, en ce qui concerne la « légitimité de proximité », il est très intéressant de rapprocher cette exigence dans la démocratie procédurale telle que nous la voyons, de ce qu’écrit Pierre Rosanvallon (pages 265 et s.) à propos de la légitimité d’un pouvoir démocratique. Ainsi, page 269 et s., l’auteur montre que selon les travaux de Tom Tyler la légitimité des agents publics est fonction des qualités de « justice procédurale » attachées à leur comportement. En d’autres termes et selon une « grande étude menée en 1984 à Chicago auprès d’individus ayant eu personnellement maille à partir avec la police et la justice », il résulte que « ces individus ont un regard sur l’institution qui n’est que faiblement corrélé avec la nature des sanctions qui leur avaient été infligées. Si la satisfaction des individus dépendait évidemment, au premier chef,  du verdict prononcé, leur appréciation de la légitimité de l’institution judiciaire était, elle, fondée sur un autre critère : celui de la perception de l’équité du procès ». L’équité de la procédure légitime le fond d’une sentence.
Ainsi, dans toutes ses composantes, la justice procédurale est au service de la démocratie et le droit processuel européen, voire universel, est le marqueur qui, tout à la fois, structure la démocratie procédurale et légitime le pouvoir démocratique.
En guise de conclusion
Vous êtes, par l’exercice de vos trois fonctions régaliennes, des régulateurs de flux, c’est-à-dire des gestionnaires de contentieux, mais aussi les protecteurs de ceux qui actionnent le devoir de protection juridictionnelle que l’état doit à chaque citoyen et les gardiens des libertés fondamentales.
Devenez dès à présent, des visionnaires du monde de demain que vous construisez, à « l’écoute de ce monde » qui fut le thème central de vos travaux et dont vous ne devez pas avoir peur.
Soyez les acteurs d’une nouvelle démocratie, à base de procédure parce que celle-ci porte en elle les idées de confiance qui fonde la loyauté, d’écoute de l’Autre qui implique le dialogue contradictoire et la proximité dans la célérité de vos jugements.

VII- L’avenir du juge
Article publié en 2001
(mélanges offerts à Pierre Catala)
             
       L’avenir du juge ? Quel avenir et quel juge ? Cette contribution constitue en réalité le troisième volet d’un triptyque commencé avec l’avenir du droit à la Cour de cassation[172] et poursuivi avec l’avenir de la procédure à l’aube du troisième millénaire[173]. Les deux composantes du procès ayant été dégagées, en substance et en procédure, il restait à en étudier le point commun, le rôle de celui qui en constitue le lien, c’est à dire le juge. Etude placée sous l’angle de son avenir, puisque c’est quasiment une obligation en ce début de siècle et de millénaire, de s’interroger sur cet avenir. A cet égard nous orienterons nos observations autour de trois propositions : l’avenir du juge passe par un juge qui connaît le droit (I), parce que sa fonction essentielle est de le dire (II) et, parfois, de le dépasser (III).

i. un juge qui connaît le droit
Il peut paraître évident et banal que d’affirmer cette exigence d’une bonne connaissance du droit, chez nos juges. C’est sans doute une ardente obligation, pour reprendre ici la célèbre expression sur le rôle du plan dans l’économie française. Et pourtant ! Il a fallu que le Conseil constitutionnel s’en préoccupe pour que cette exigence devienne une réalité, sorte de l’ombre pour parvenir à une lumineuse obligation, tant dans le recrutement des juges (A) que dans leur formation permanente (B).
         
 a) La connaissance initiale du droit
            C’est tout le problème du recrutement, tant par la voie des concours exceptionnels (a) que par celle du concours étudiant (b).
a) L’exigence constitutionnelle de la connaissance du droit dans le recrutement par concours exceptionnel
La loi organique n° 98-105 du 24 février 1998 a autorisé le gouvernement à ouvrir des concours de recrutement, à hauteur de deux fois cent magistrats, avec une répartition quantifiée selon le niveau d’intégration directe dans le corps. Après une très courte période de formation à l’ENM, dont l’issue ne remet pas en cause leur intégration directe dans le corps, dès leur réussite au concours, ces personnes sont nommées magistrats. C’est la première fois que cette possibilité est offerte au niveau des cours d’appel, d’où sans doute un regard particulier du Conseil constitutionnel sur ce mode de recrutement[174].
            Le Conseil a d’abord précisé les conditions générales de ces recrutements latéraux en considérant que ces recrutements devaient respecter l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ce qui suppose : « en premier lieu, qu’il ne soit tenu compte que des capacités, des vertus et des talents ; en second lieu, que les capacités, vertus et talents ainsi pris en compte, soient en relation avec les fonctions des magistrats et garantissent l’égalité des citoyens devant la justice ».
            Surtout, pour ce qui nous intéresse ici, les capacités et vertus vont se traduire par une exigence particulière de connaissance du droit. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa grande sagesse, a émis des réserves d’interprétation, en constatant que la loi à lui déférée ne permet pas de s’assurer de la qualification juridique des candidats. Il exige donc que « les mesures d’application de la loi prévoient des épreuves de concours de nature à permettre de vérifier les connaissances juridiques des intéressés ». On ne peut qu’être satisfait de voir le droit et la connaissance reconnus comme critère fondamental de la base d’un recrutement d’un magistrat.
            Enfin, pour le recrutement direct des conseillers de Cours d’appel, le Conseil constitutionnel demande au pouvoir réglementaire « sous le contrôle du juge administratif » de « veiller, outre le contrôle de la compétence juridique des intéressés... à ce que soient strictement appréciées leur aptitude à juger, ce, afin de garantir, au second degré de juridiction, la qualité des décisions rendues, l’égalité devant la justice et le bon fonctionnement du service public de la justice ». La qualité des recrutés est ainsi clairement reliée à la qualité du service rendu et attendu des juges.

b) L’insuffisante exigence de la connaissance du droit dans le concours étudiant
            Curieusement, la connaissance du droit n’est pas vraiment une condition essentielle des candidats au concours étudiant, un peu comme si l’on recrutait des médecins d’origine juridique, sans s’assurer de leurs connaissances médicales. C’est le système de l’abaissement de la double barrière qui pose problème. En effet, d’une part aucune maîtrise juridique n’est exigée pour passer le concours étudiant, puisqu’il suffit de justifier d’une maîtrise tout court, sociologie par exemple. D’autre part, et c’est ce qui pose problème, les étudiants sont tous soumis à quatre épreuves écrites qui se divisent en deux catégories : deux ne sont pas spécialement juridiques puisqu’il s’agit de l’épreuve dite de culture générale et de l’épreuve dite de note de synthèse ; les deux autres sont au contraire très juridiques, mais le coefficient affecté à chaque épreuve conduit à ce résultat que les deux groupes de matières s’équilibrent à un coefficient de huit de part et d’autre. En d’autres termes on peut être admissibles en étant un piètre juriste, mais un bon esprit littéraire. Loin de nous l’idée que les esprits littéraires ne sont pas de bons esprits, mais il faut bien admettre qu’ils ne deviennent pas, par la grâce d’un concours ne comportant que deux écrits juridiques, de bons juges. Il faudrait maintenir la possibilité de recruter les juges parmi des non juristes de formation initiale, car la justice a besoin d’ouverture (c’est sans doute, au final, ce qui lui manque le plus), mais alors imposer des épreuves juridiques dont le total des coefficients serait supérieur, ne serait-ce que d’un point au total des épreuves juridiques. En somme, sans bouleverser l’économie actuelle du concours, ni la nature des épreuves, en changeant simplement l’équilibre des coefficients, on pourrait améliorer nettement la qualité de juristes de nos juges. La question est traditionnellement posée par les directeurs d’IEJ, dans leur réunion annuelle, sans succès.
           
b) la connaissance permanente du droit
            Elle donne plus de satisfactions que la formation initiale, plus exactement que les pré-requis et cela pour deux raisons :
- la première provient de la création d’un département de formation continue au sein même de l’Ecole nationale de la magistrature. Parfaitement organisé, ce département met sur pied des formations de premier ordre, de grande qualité et couvrant les domaines les plus divers. Le lien avec le Barreau (notamment celui de Paris, via son Institut de formation continue) et avec l’Université entretient un réseau d’échanges et d’informations croisées fort utile en ces temps de dispersion intellectuelle et, malheureusement, de cloisonnement des grandes institutions. Il faut encourager ce type d’actions.
- La seconde raison tient à l’existence d’une formation continue décentralisée au niveau des cours d’appel qui, avec des bonheurs divers, mais toujours avec le souci de la qualité, organise des sessions de formation permanente qui permettent de créer des contacts entre les partenaires du monde de la justice.
            Peut-on se permettre un souhait ? Que les juges soient dotés d’un crédit de formation permanente, comme devraient l’être aussi les professeurs d’université et les maîtres de conférences. Est-il normal que les fonctionnaires que sont les magistrats et les professeurs du supérieur soient obligés de prendre sur leurs deniers personnels pour s’acheter livres, CD-Rom et s’abonner aux revues juridiques ? La qualité du service passe aussi par l’accès de chacun à une documentation sur crédits (forfaitaires par an) affectés à chacun.

ii. un juge qui dit le droit
Cet aspect de la question englobe à la fois la question du statut du Parquet (A) et celle des fonctions non juridictionnelles des juges du siège, avec le cas particulier du juge d’instruction (B).
           
 a) le parquet hors le juridictionnel
            On s’interroge beaucoup sur le statut du Parquet, dans ou hors le corps des magistrats, avec ou sans les juges du siège, fonctionnaire ou magistrat. Il faut d’emblée remarquer que le représentant du Parquet n’a pas d’activité juridictionnelle, alors que celle-ci est le cœur de l’activité du juge ; c’est donc de la fonction exercée qu’il faut partir pour arriver au statut. Le Parquet propose une solution juridictionnelle, mais le dernier mot revient aux juges du siège qui seul est habilité à trancher et à dire le droit. De plus, le Parquet est soumis au garde des Sceaux, même si cet aspect s’estompe à l’époque contemporaine, alors que le juge n’est soumis qu’à sa seule conscience.
            L’esprit de l’exercice des fonctions de membre du Parquet et celui des fonctions de juge du siège ne sont pas les mêmes. Ce n’est pas le même métier. Pourquoi faut-il donc maintenir cette fiction de l’unité d’un corps ? Comment un esprit habitué à obéir à sa hiérarchie et au pouvoir dans l’exercice de l’action publique (et cela n’a rien de péjoratif dans l’exercice des fonctions de parquetier) pourrait-il ensuite passer, sans hésitation, sans état d’âme, à une fonction dont l’exercice requiert tous les jours un esprit d’indépendance à l’égard de tous et de tous les pouvoirs ? Certes, nous n’ignorons pas qu’une telle approche rencontre un obstacle constitutionnel dans la mesure où le Conseil constitutionnel a jugé que « l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle, comprend à la fois les magistrats du siège et du Parquet »[175], mais « cette décision ne signifie pas que les magistrats du siège et que leur intervention serait considérée comme équivalente du point de vue des garanties apportées à la liberté individuelle »[176]. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel lui-même a précisé la portée de cette assimilation qui ne concerne que la qualité de gardien de la liberté individuelle, pour en marquer les limites à propos de l’injonction pénale, dans sa décision du 2 février 1995 et dans celle du 22 avril 1997[177]. A propos de l’injonction pénale, le Conseil a souligné que certaines des mesures susceptibles de faire l’objet d’une injonction pénale, étant de nature à porter atteinte à la liberté individuelle, ne peuvent intervenir à la seule diligence d’une autorité charge de l’action publique, mais requièrent la décision d’une autorité de jugement. Dans la décision de 1997, le Conseil constitutionnel relève que c’est un magistrat du siège qui décide du caractère suspensif de l’appel d’un étranger en situation irrégulière et non pas le procureur. Au surplus, rien n’interdirait de procéder, sur ce point, à une révision de notre Constitution, l’habitude en ayant été prise depuis les réformes des années 1990.
            
 b) le recentrage de l’activité des juges du siège sur le juridictionnel
a) Le juridictionnel, rien que le juridictionnel
            C’est un thème récurrent que celui de la dispersion des tâches de nos juges et de l’exercice de fonctions administratives, voire juridictionnelles mais non contentieuses. Des efforts ont déjà été accomplis pour soulager les juges du siège de tâches indues : du systèmes d’amendes forfaitaires en matière de contraventions au code de la route, au règlement entre compagnies d’assurances des questions de responsabilité liées à des accidents aux conséquences purement matérielles, en passant par la dépénalisation des émissions de chèques sans provision. La loi du 8 février 1995 a accéléré le mouvement, non pas par déjuridictionnalisation de certaines affaires, mais par transfert de compétences du juge aux affaires familiales au greffier du TGI. La légitimité du juge ne peut que gagner à un recentrage sur ses activités purement juridictionnelles, sans doute parce que la banalisation du recours au juge pour des activités très éloignées de ses fonctions de juge le décrédibilise, sans compter que dans le domaine familial et du droit des personnes, l’intrusion du juge dans la vie privée des Français, en l’absence de tout contentieux, peut irriter ceux qui y sont soumis et leur donner une mauvaise image du juge et de la justice.
            On pourrait aller plus loin et, par exemple, transférer la juridiction gracieuse à d’autres qu’aux tribunaux puisque, dans ce cas, l’organe chargé de dire le droit, le fait en l’absence de litige, selon la définition du code de procédure civile. Le législateur a d’ailleurs commencé à réaliser ce transfert, en l’occurrence vers les notaires, en disposant qu’ils peuvent recevoir, en concurrence avec le président du TGI la déclaration des époux ou concubins qui veulent recourir à une procréation médicalement assistée, avec intervention d’un tiers donneur (article 115-7-2, nouveau code de procédure civile, rédaction du décret n° 95-223 du 24 février 1995). Ce transfert de compétence pourrait être généralisé, la justice retrouvant ainsi des « magistrats ».
b) Le problème particulier du juge d’instruction
            Le dualisme de fonctions d’investigation et juridictionnelles sur la tête du même juge a toujours posé problème. L’exercice quotidien de ses fonctions rapproche le juge d’instruction davantage du policier que du juge du siège, alors qu’il appartient à ce corps. C’est un chasseur muni d’une arme redoutable, le juridictionnel !
Une évolution semble se produire avec la loi du 15 juin 2000, en positif et en creux par un non-dit :
- en positif, le juge d’instruction se voit désormais privé de son pouvoir de mettre en détention provisoire les mis en examen, pouvoir qui passe à un nouveau juge des libertés et de la détention, juge qui aura nécessairement le grade de président de TGI ou de vice-président. Le juge d’instruction ne peut plus que maintenir en détention celui qu’il renvoie devant la formation de jugement. Pour combien de temps encore ? C’est toute l’architecture du procès pénal qui est modifiée, avec, progressivement, un juge d’instruction réduit à ses fonctions d’investigation, de policier, d’OPJ (ce qu’il était jusqu’à la loi de 1856). Il ne restera pus, étape ultime, qu’à le replacer sous l’autorité du parquet, comme avant la loi de 1856.
- En creux, le lecteur averti de la loi du 15 juin 2000 aura remarqué que le nouvel article préliminaire du code de procédure pénale (article 1er de la loi) ne vise, en tant que principe directeur du procès pénal, que la séparation des fonctions de poursuite et de jugement ; les autorités d’instruction ne sont pas citées. Oubli involontaire ou souci de ménager des évolutions futures, en faisant passer la fonction d’investigation entre les mains du Parquet et la totalité de la fonction juridictionnelle entre celles du juge des libertés et de la détention, juge qui est déjà bien plus que cela, puisqu’il a des compétences en cas d’incidents au cours d’une perquisition d’un cabinet d’avocat, par exemple.
Quant à ceux qui croient, notamment parmi les juges d’instruction, qu’une alternance politique pourrait permettre un retour au droit antérieur, ils se trompent lourdement et n’ont pas suivi attentivement les débats parlementaires ; en effet, si les parlementaires de droite se sont abstenus sur le vote de la loi, c’est parce qu’ils estimaient qu’elle n’allait pas assez loin dans l’amputation des pouvoirs du juge d’instruction !

iii. un juge qui dépasse le droit
            L’avenir du juge passe aussi par un rôle accru dans le dialogue (A) et la protection des libertés fondamentales (B).
             
a) un juge qui dialogue
            Il ne s’agit pas seulement ici des procédures de conciliation et de médiation dans le cadre de l’enceinte judiciaire, mais essentiellement de ce nouveau principe directeur que constitue le dialogue entre le juge et les parties, comme entre les parties et que nous avons dégagé dans d’autres écrits[178].
            Sans doute s’orientera-t-on un jour vers un renforcement de ce dialogue, au moins au niveau des Cours suprêmes et en matière de représentation obligatoire, par la transmission du projet d’arrêt aux parties, en tout cas à leurs avocats.
           
 B) Un juge qui protège
            Fonction traditionnelle du juge, inscrite dans nos Tables de la loi que constitue notre Constitution (cf. l’article 66), la protection des justiciables devrait s’accentuer sous l’influence d’un triple phénomène :
- en premier l’attraction de la procédure, donc de la fonction du juge, à la sphère des droits fondamentaux ; la garantie des droits et libertés fondamentaux prend une importance considérable et le juge en est le gardien.
- En deuxième lieu, l’apparition de l’idée que l’Etat a un devoir de protection juridictionnelle envers les citoyens et que le juge en est l’instrument actif. A preuve, l’élargissement de la notion de déni de justice au non-respect d’un délai raisonnable pour juger une affaire[179].
- En troisième lieu, la garantie des droits fondamentaux va se trouver renforcée par la loi du 30 juin 2000 qui crée un juge administratif des référés.
            Ce rôle accru supposera que l’on réforme l’examen d’entrée en introduisant une épreuve écrite obligatoire (à la place de l’option droit pénal/droit administratif-droit européen) portant, comme au grand oral de l’examen d’entrée dans un Centre régional de formation professionnelle d’avocats, sur la protection des droits et libertés fondamentaux, à laquelle on pourrait ajouter la procédure pénale. Il n’est pas normal que des candidats qui vont, s’ils réussissent, passer plus de la moitié de leur vie en activité juridictionnelle répressive, ne soient pas testés sur leur connaissance de cet aspect du droit. On rejoint le début de cette modeste contribution, quant à la formation des juges et leur connaissance du droit.


[1] L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Doc. fr., 2008, p. 153 s.
[2] La prudence et l’autorité – Juges et procureurs du XXIème siècle.
[3] Ce que revendiquaient certains, Revue de l’APM janv.-févr. 2001, no 20, « le jeu justice ».
[4] E. Zoller, « La pratique de l’opinion dissidente aux États-Unis », in Mélanges Avril, Montchrestien, 2001, 609 s., spéc. p. 614.
[5] La rédaction du texte semble n’imposer les 2 ans d’expérience professionnelle qu’à la seconde catégorie, en complément de leur diplôme, pas aux docteurs.
[6] Sur cette problématique au niveau de la cour de cassation : S. Guinchard, F. Ferrand et T. Moussa, « Une chance pour la France et le droit continental : la technique de cassation, vecteur particulièrement approprié au contrôle de proportionnalité », D. 2015, 278, en réponse à Jestaz, Marguénaud et Jamin, « Révolution tranquille à la Cour de cassation », D. 2014, 2061.
Sur les premiers pas de cette jurisprudence de la Cour de cassation : F. Chenedé, « Des dangers de l’équité au nom des droits de l’homme », D. 2014, 179 et « Contre-révolution tranquille à la Cour de cassation ? », D. 2016, 796. A. Bénabent, « Un culte de la proportionnalité … un brin disproportionné », D. 2016, 137 et, en réponse, J.-P. Chazal, « Raisonnement juridique (suite) : sortir de la liturgie doctrinale », D. 2016, 417. C. Fattaccini, « L’intensité du contrôle de cassation (le contrôle de proportionnalité par la Cour de cassation », D. 2015, 1734. H. Fulchiron, note ss Civ. 1ère, 10 juin 2015, n° 14-20790, D. 2015, 2365. P.-Y. Gautier, « Contrôle de proportionnalité subjectif, profitant aux situations illicites : l’anti-Daguesseau », JCP 2016, 189. P. Puig, « L’excès de proportionnalité », RTDCiv. 2016, 70. Interventions de V. Mazeaud et de P.-Y. Gautier à un colloque de l’université de Caen, 11 mars 2016 (« 40 ans après, une nouvelle ère pour la procédure civile ? »), le premier sur le renouvellement des fonctions de la Cour et le second sur « La substitution, par présupposé, de la balance des intérêts au syllogisme judiciaire », Dalloz éd., collec Thèmes et commentaires, 2016.
[7] E. Dreyer, « La main invisible de la cour de cassation », D. 2016, 2473. F. Ferrand, JCP 2016, 1407.
[8] S. Guinchard, F. Ferrand et T. Moussa, article précité au D. 2015, 278.
[9] S. Guinchard, « Vers une démocratie procédurale », Justices 1999. 1 (nouvelle série), Dalloz éd. ; « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire », in Clefs pour le siècle, Paris 2, Dalloz, 2000.
[10] S. Guinchard, Droit processuel, op. cit., 9ème éd. 2017, n° 131, ss l’intitulé « la convention EDH, instrument de pouvoir du juge national », avec 2 branches (« un juge qui écarte les lois et juge le législateur » et « un juge qui juge une juridiction étrangère ») et une question, posée dès 2001 « vers un nouvel équilibre des pouvoirs ? ».
[11] B. Beignier, « Hiérarchie des normes et hiérarchie des valeurs – Les principes généraux du droit et de la procédure civile », Mélanges Catala, Litec 2001, 153.
[12] S. Guinchard, op. cit. Dalloz, janv. 2017, n° 6 et s.
[13] J. Habermas, Droit et morale, p. 133.
[14] H. Fulchiron, note ss Civ. 1ère, 5 oct. 2016, n° 15-25507, « Grandeurs et servitudes du contrôle de proportionnalité », D. 2016, 2496.
[15] Sur la nécessité d’encadrer ce contrôle, V. Vigneau, « Libres propos d’un juge sur le contrôle de proportionnalité », D. 2017, 123.
[16] X. Dupré de Boulois, « Regard extérieur sur une jurisprudence en procès », JCP 2016, 562, spéc. n° 13. V. aussi, P. Ducoulombier « L’application délicate de la jurisprudence de la Cour EDH : le cas britannique », RDPublic 2016, 223.
[17] Au motif d'une « ingérence » de la loi dans « le droit au respect de la vie privée et familiale » :  Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066, D. 2014. 179 note F. Chénedé, 153, point de vue H. Fulchiron et 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ Fam. 2014. 124, obs. S. Thouret, et 2013. 663, point de vue F. Chénedé ; RTD civ. 2014. 88, obs. J. Hauser, et 307, obs. J.-P. Marguénaud).
[18] Civ. 1ère, 8 déc. 2016, n° 15-27201.
[19] AN, amendement n° CL166, 28 juin 2016. Il était prévu, pour la matière civile de rédiger ainsi l’article L. 411-2-1, COJ : « Le pourvoi en cassation n’est ouvert à l’encontre des arrêts et des jugements rendus en dernier ressort, en matière civile, que dans l’un des cas suivants : « 1° Si le pourvoi soulève une question de principe ; « 2° S’il présente un intérêt pour l’évolution du droit ; « 3° S’il présente un intérêt pour l’unification de la jurisprudence ». En dehors de ces trois cas, le pourvoi aurait pu être formé : « lorsque la décision attaquée encourt un grief disciplinaire défini par décret en Conseil d'État », la cour, en formation restreinte, après avis du procureur général, pouvant alors casser la décision et renvoyer l'affaire devant les juges du fond. En bref, il s'agissait de donner à la Cour de cassation la liberté de choisir les pourvois dignes d'intérêt et de refuser d'examiner les autres, sauf grief disciplinaire prévu par décret. Clairement, il s'agissat de « permettre à la Cour de cassation de mieux assurer son rôle de cour suprême de l'ordre judiciaire »en l'autorisant à « ne traiter que les affaires relevant véritablement de son office de juge du seul droit aux fins de développement et d'unification de la jurisprudence, dans les affaires posant une question de droit nouvelle ou particulièrement délicate » (amdt précité).
Pour la matière pénale, nouvel article L. 567-1-2 : « Le pourvoi en cassation peut être formé contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de l’ordre judiciaire en matière criminelle, correctionnelle et de police si l’affaire soulève une question de principe, si l’évolution du droit le justifie, si l’unification de la jurisprudence est nécessaire ou en cas de violation de la loi. L’admission est refusée par une décision juridictionnelle si aucune des conditions mentionnées au premier alinéa n’est remplie. Si l’une de ces conditions est remplie, le pourvoi est jugé conformément aux dispositions du présent titre ».
[20] Pour la matière pénale, v. E. Dreyer, « Le filtrage des pourvois ou la tentation pour la Cour de cassation d’agir en cour suprême », Gaz. Pal. 13 juin 2015, no 163-164, p. 6.
[21] JCP 2016, 1407.
[22]. J. P. Marguénaud, « L'effectivité des arrêts de la CEDH en France », in Le procès équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, Bruylant éd., 2001, 137.
[23]. CEDH 18 janv. 1978, Irlande c/ Royaume Uni, spéc. § 158.
[24]. CEDH 28 juill. 1999, Selmouni c/ France, JCP 1999, II, 10193, note Fr. Sudre ; RSC 1999. 891, obs. Fl. Massias ; D. 2000, som. com. 31, obs. Y. Mayaud ; RTD civ. 1999. 911, obs. Marguénaud.
[25].CEDH 31 janv. 1996.
[26].CEDH 19 févr. 1998.
[27].CEDH 21 mars 2000, RTD civ. 2000. 439, obs. Marguénaud ; D. 2000. 883, note Th. Clay.
[28].  G. Cohen-Jonathan, « Quelques considérations sur l’autorité des arrêts de la Cour EDH », in Liber Amicorum Marc-André Eissen, Bruylant 1995, p. 39. Cl. Deffigies, H. Pauliat, V. Saint James et A. Sauviat, « Autorité interprétative des arrêts de la Cour EDH », in J.P. Marguénaud (dir.), Convention EDH et droit privé, L'influence de la jurisprudence de la Cour EDH sur le droit privé français, Doc. fr. 2001, p. 11-73. N. Fricero, « L’autorité de la chose jugée des décisions de la CEDH », Procédures 2007, étude no 21. 
[29]. Sur tous ces points qui dépassent le cadre de ce Précis, G. Cohen-Jonathan, in Mélanges P. Lambert, Bruylant, 2000, spéc. p. 129-137.
[30].  « Le relais législatif », in J.P. Marguénaud (dir.), Convention EDH et droit privé, L'influence de la jurisprudence de la Cour EDH sur le droit privé français, Doc. fr. 2001, p. 171-229.
[31] Fr. Lazaud, L’exécution par la France des arrêts de la Cour EDH, PUAM 2006, avant-propos G. Cohen-Jonathan, préf. J. Fr. Flauss ; compte rendu Marguénaud RTD civ. 2007. 214.
[32] CEDH, 22 juil. 2014, n° 50275/08, RDP 2015/3, p. 829, obs. F. Sudre.
[33] 25 nov. 2014, n° 64682/12, RDP 2015/3, p. 829, obs. F. Sudre.
[34] V. J.-L. Sauron, « Le bilan d’activité de la CEDH pour 2015 : si la bataille des chiffres est gagnée, l’acceptabilité de ses arrêts demeure fragile », Gaz. Pal. 8 mars 2016, n° 10, p. 14.   
[35]. Sur l’influence de la Convention et de la Cour EDH sur la justice française, Colloque Institut des droits de l’homme du Barreau de Paris, 5 févr. 2007, Gaz. Pal. 12 juin 2007, Doctr. J.-Cl. Soyer, « Justice nationale : d’une légitimité conquise à la souveraineté perdue », Mélanges Jacques Foyer, Economica, 2007, 943. J. P. Marguénaud, « La jurisprudence de la Cour EDH constitue-t-elle une source nouvelle de régulation de l'éthique des magistrats ? » PU Limoges, 2001, 121. Ph. Manin, « Les effets des juridictions européennes sur les juridictions françaises », Pouvoirs 2001/96, p. 51.
[36].CEDH 27 sept. 1990, Cossey, série A, no 184, § 35.
[37]. CEDH 29 nov. 1991, Vermeire c/ Belgique, § 25 ; RTDH 1994. 241, note P. Lambert. 22 févr. 1994, Vallée c/ France, § 47. Fr. Sudre, « L'office du juge national au regard de la CEDH », Mélanges P. Lambert, Bruylant éd., p. 821, spéc. p. 825.
[38]. V. E. Lambert, Les effets des arrêts de la Cour EDH-Contribution à une approche pluraliste du droit européen des droits de l'homme, thèse, Bruylant éd., 1999, spéc. p. 1999 s.
[39] CEDH 7 févr. 2013, n° 16574/08, Fabris c/ France, AJDA 2013/31, 1794, chron. L. Burgogne-Larsen.
[40]. J. Boulouis, « À propos de la fonction normative de la jurisprudence, remarques sur l'œuvre jurisprudentielle de la CJCE », in Mélanges Waline, LGDJ, 1974, t. 1, p. 149.
[41]. J. Velu, « Les effets des arrêts de la CEDH », in Introduire un recours à Strasbourg, Nemesis éd., Bruxelles, 1986, p. 153 s., spéc. no 37, p. 186. V. aussi, A. Drzemezwski, « Quelques réflexions sur l’autorité de la chose interprétée par la Cour de Strasbourg », Mélanges J.-P. Costa, Dalloz, 2011, 243.
[42]. I. Delicostopoulos, « Un pouvoir de « pleine juridiction » pour la Cour EDH », Harvard Jean Monnet Working Paper, série 8/1998, spéc. p. 9 et 10 ; Rev. hellénique des droits de l’homme 2004/23, p. 851.
[43]. J. P. Marguénaud, « Le juge judiciaire et l'interprétation européenne », in L'interprétation de la Convention EDH, Nemesis et Bruylant éd., 1988, spéc. p. 234.
[44]. Civ. 1re, 10 janv. 1984, Renneman, JCP 1984, II, 20210 (à propos de la procédure disciplinaire des avocats, l'arrêt se réfère expressément à la jurisprudence Le Compte et alli c/ Belgique du 23 juin 1981).
[45].Ibid., p. 237-243.
[46].Ibid., p. 244-249.
[47].Soc. 13 juin 2007, RTD civ. 2007/3, 536, obs. P. Deumier, sur lequel v. ss 131, b-1, γ (mais deux autres arrêts du même jour, no 05-43225 et 06-43095, ne visent l’arrêt que dans les motifs).
[48] Cass. ass. plén. 15 avr. 2011, n° 10-17049 (à propos du régime de la garde à vue), RTD civ. 2011/4, 725, obs. Marguénaud.
[49]. L. Potvin-Solis, L'effet des jurisprudences européennes sur la jurisprudence du Conseil d'État français, LGDJ, 1999, préface R. Abraham ; compte-rendu in RTDH, 2000/43, p. 620.
[50]. Arrighi de Casanova, conclusions sur avis de la section du 31 mars 1995, SARL Auto-indiustrie Méric, RJF 1996. 326.
[51]. D. Labetoulle, conclusions sur CE 27 oct. 1978, Debout, Rec. p. 395., spéc. p. 403. B. Genevois, conclusions sur CE 11 juill. 1984, Subrini, Rec. p. 259 ; D. 1985. 150. G. Bachelier, conclusions sur CE 24 nov. 1997, Ministre de l'Economie et des finances c/ Soc. Amibe Inc., Dr. fisc. 1998, no 8, comm. 128, p. 277-280, conclusions G. Bachelier ; D. 1998. 159, note G. Tixier et A.G. Hamonic-Gaux ; RFDA 1998. 978, chron. J. Andriantsimbazovina.
[52]. Pour une thèse favorable à l'autorité de la chose interprétée devant le Conseil d'État, V. J. Andriantsimbazovina, L’autorité des décisions de justice constitutionnelles et europénnes sur le juge administratif français, LGDJ, 1998, spéc. p. 987-989.
[53]. « Dans un monde qui change, le CE ne peut rester lui-même qu’en étant en mouvement », JCP 2006, éd. A, 1242 (Et maintenant que faire ?) ; Interview AJDA 2007. 556.
[54]. Sur un message optimiste et d’espoir, V. les déclarations de J.P. Costa, Président de la Cour EDH, AJDA 2007. 60 « Le Conseil d’Etat a presque complètement intégré la jurisprudence de la Cour EDH ». L’évolution postérieure lui a donné raison.
[55]. P. Cassia, AJDA 2007, Tribune, p. 497. L. Sermet et J. Andriantsimbazovina, RFDA 2007/5, p. 1049.
[56]. Les Annonces de la Seine, 15 févr. 2010.
[57]. TGI Montpellier, 2 mai 2000, RTD civ. 2000. 930, obs. Marguénaud ; Dr. fam. 2000, no 99, obs. A. Gouttenoire-Cornut. – TGI Brive, 30 juin 2000, D. 2000. IR. 13 ; RTD civ. 2000. 815, obs. (réservées) Hauser ; 930, obs. Marguénaud (à propos des droits de l'enfant adultérin).
[58]. V. On trouve de nombreuses monographies sur l'influence de la CEDH : – Sur le juge judiciaire français : Burgel et Lalardrie, « L'application de la CEDH par le juge judiciaire français », Mélanges Pettiti, Bruylant, 1998, 145. – C. Delicostopoulos, L’encadrement processuel des autorités de marché en droits français et communautaire, LGDJ, 2002, coll. Biblio. dr. privé, t. 364, préface S. Guinchard. – I. Delicostopoulos, Le procès civil à l'épreuve du droit processuel européen, LGDJ, coll. Biblio. dr. privé, t. 401, 2003, (préface S. Guinchard). – F. Ferrand, « La CEDH et la Cour de cassation française », RIDComp., 1995, 691. – A. Gouron Mazel, « La Cour de cassation et la CEDH », JCP 1998, I, 3937. – R. de Gouttes, « La Convention EDH et le juge français », RID Comp. 1999, 7. – S. Guinchard, communication préc. au colloque du Sénat, 3 mai 1999, Rev. Europe, oct. 1999, no HS, p. 15 ; V. aussi les trois articles précités, AJDA, no spécial, juill./août 1998, p. 191 ; Mélanges Farjat, 1999, p. 139 et Mélanges Terré, 1999, p. 761. – Fr. Lebur, « L'application de l'article 6, § 1, par le juge français », in Le procès équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, colloque Bordeaux, 29-30 sept. 2000, Bruylant éd. 2001, 131. – V. Lamanda, « Le juge judiciaire, juge naturel de la Convention EDH », Mélanges J.-P. Costa, Dalloz, 2011, 363. - J.P. Marguénaud, « Le juge judiciaire et l'interprétation européenne », in L'interprétation de la CEDH, Nemesis et Bruylant éd. 1998, p. 231. – G. Rouhette, in Le NCPC, vingt ans après, Doc. fr. 1998, 285 – Fr. Sudre, « L'office du juge national au regard de la CEDH », Mélanges P. Lambert, Bruylant éd. 2000, 821. – Sur le juge pénal : par ordre chronologique, R. Merle, « La CEDH et la justice pénale française », D. 1981. Chron. 227 – Doucet, « La CEDH et la jurisprudence pénale française », RTDH 1991. 177. – R. Koering-Joulin, in Mélanges Levasseur, Gaz. Pal. Litec éd., 1992, p. 205 et in Les nouveaux développements du procès équitable, Doc. fr 1998 préc. – D. Mayer, « Évolution de l'attitude de la Chambre criminelle à l'égard de la Convention EDH », Mélanges Levasseur, Gaz. Pal./Litec éd., 1992, 239. – B. Boulan, « La conformité de la procédure pénale française avec la CEDH », Mélanges Larguier, PUG, 1993, 21. – D. Karsenty, « La garantie d'un procès équitable dans la jurisprudence récente de la chambre criminelle », in Rapport de la Cour de cassation pour 1995, Doc. fr. 1996, 121. – J. Pralus-Dupuy, « L'art. 6 », RSC 1996. 723. – D. Allix, « Le droit à un procès équitable », Justices, 1998/10, p. 19. – J.P. Marguénaud, « La dérive de la procédure pénale française au regard des exigences européennes », D. 2000. Chron. 249. – S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, LexisNexis, op. cit…Sur le juge administratif, L. Sermet, thèse (dacty.) Aix III, 1994. – B. Pacteau, « Le juge administratif français et l'interprétation européenne », in L'interprétation de la CEDH Colloque de Montpellier, 13 et 14 mars 1998, Nemisis et Bruylant éd., 1998, p. 251. J. Andriantsimbazovina, L’autorité des décisions de justice constitutionnelles et europénnes sur le juge administratif français, LGDJ, 1998. J. Andriantsimbazovina et L. Sermet, Chronique « Jurisprudence administrative et CEDH », RFDA.
[59]. CEDH 18 janv. 1978, Irlande c/ Roy. Uni, série A, no 25, § 239. 2 mars 1987, Mathieu-Mohin et Clerfayt, série A, no 113 ; § 48.
[60]. V. J. Normand qui parle de la subsidiarité de la Convention EDH devant la Cour de cassation, Mélanges Buffet, LPA/LGDJ éd., 2004, 359.
[61]. D. Mayer, D. 2001. Chron. 1643.
[62]. G. Timsit, « Contre la nouvelle vulgate », Mélanges Conac, Economica, 2001, 31, en réaction contre « l'idéologie dominante » selon laquelle « la loi n'a d'autre existence que dans et par la signification que lui confère celui qui, habilité à le faire, procède à son interprétation ». Y. Lequette, « Des juges littéralement irresponsables », Mélanges J. Héron, LGDJ, 2009, 309.
[63] M. Andenas et E. Bjorge, « l’application de la Convention EDH : quel rôle pour le juge interne ? », RID comp. 2012/2, 383.
[64]. Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, concl. A. Touffait, D. 1975. 497, JCP 1975, II, 18180 bis et Gaz. Pal. 1975. 2, 470. Rev. crit. DIP 1975. 347, note Jacques Foyer et D. Holleaux ; JDI 1975. 801, note Ruzié.
[65]. CE, 20 oct. 1989, Rec. p. 190, concl. P. Frydman ; AJDA 1989. 756, chron. Honorat et Baptiste ; 788, note D. Simon ; 824, note B. Genevois ; JCP 1989, II, 21371, concl. Frydman ; RFDA 1989. 1000, note L. Dubouis ; RTD eur. 1989. 787, obs. G. Isaac ; D. 1990. 57, chron. Kovar et 135, note Sabourin ; Rev. crit. DIP 1990, concl. Frydman et note P. Lagarde.
[66]. Crim. 6 mai 1997 : Bull. no 170 ; RGDP 1998. 106, obs. Rebut. – 21 mai 1997 : Bull. no 191 ; JCP 1998, II, 10056, note Lassalle ; RGDP 1998. 106, obs. Rebut.
[67].Crim. 16 janv. 2001, Bull. no 10 ; D. 2001. 677.
[68].Crim. 20 févr. 2001, D. 2001. 3001, note P. Wachsmann ; JCP 2002, II, 10114, note C. Ruet.
[69].Crim. 4 sept. 2001, Bull. no 170 ; JCP 2001, II, 10623, note A. Lepage ; D. 2001. 2723. Sur les effets de cette décision d’inconventionnalité quant à l’existence de la loi, Paris, 23 mai 2002, D. 2003. 174, obs. B. De Lamy.
[70]. CEDH 6 oct. 2005, Draon et Maurice c/ France, JCP 2006. 10061, note A. Zollinger ; JDI 2006-3, 1165, obs. Isabelle Moulier.
[71]. Civ. 1re, 24 janv. 2006, trois arrêts, JCP 2006. 10062, note A. Gouttenoire et St. Porchy-Simon (avec CE 24 févr. 2006, qui adopte la même position).
[72] Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26066, D. 2014. 153, chron. Fulchiron et 179, note Chénedé.
[73]. TGI Paris, 25 avr. 2001, JDI 2001. 331, note I. Pingel-Lenuzza.
[74]. CEDH 25 juin 2002, D. 2002. 2171 ; JCP 2002. 1338.
[75]. A. Bugada, chron. Dr. et proc. mai-juin 2004, p. 137.
[76] Civ. 1re, 9 avr. 2013, n° 11-27071, Gaz. Pal. 11 juin 2013, note N. Régis.
[77]. G. Cohen-Jonathan, « Le droit au juge », Mélanges Jean Waline, Dalloz, 2002, 474.
[78].J. Fr. Flauss, Europe, oct. 1999, no HS, p. 25.
[79]. G. Cohen-Jonathan, loc. cit., Mélanges Jean Waline, op. cit., 475.
[80]. CE 24 févr. 2006, préc.
[81]. J. M. Sauvé, « Le juge administratif et la protection des libertés et droits fondamentaux », Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, 545.
[82]. CE 30 oct. 1998, Sarran et Levacher, RFDA 1998. 1094, chron. D. Alland et p. 1081, arrêt et concl. C. Maugüe ; AJDA 1998. 1039, concl. C. Maugüe et note F. Raynaud et P. Fombeur ; Europe, 1999, chron. no 3, Denys Simon ; RTD civ. 1999. 232, obs. N. Molfessis ; RD publ. 1999. 919, note J. Fr. Flauss ; LPA 23 juill. 1999, note E. Aubin.
[83]. J.-Cl. Colliard, « Le contrôle constitutionnel et les normes internationales », BICC 15 mars 2003. J.M. Delarue, « Le Conseil d’État et la norme internationale », BICC 15 mars 2003.
[84]. Ass. plén., 2 juin 2000, Fraisse : Europe, 2000, no 19 et ibid., 2000, chron. no 8, par A. Rigaux et D. Simon ; RTD civ. 2000. 672, obs. R. Libchaber ; D. 2001. 1636, chron. Beignier et Mouton.
[85] Déc. n° 2007-560 DC, 19 nov. 2007, § 9 sur le traité de Lisbonne.
[86]. CEDH 11 janv. 2005, Py c/ France, JCP 2005, I, 159, chron. Sudre ; JCP 2005, I, 145, chron. Boiteau ; AJDA 2005. 118, note M.C. de Monteclerc et 541, chron. Flauss ; RFDA 2006/1, 139, chron. A. Roblot-Troizier et J.G. Sorbara.
[87]. C. Sandras, « Les lois de validation, le procès en cours et l’article 6, § 1, CEDH », RTDH 2002-3, 629.
[88]. P. Hébraud, cité par F. Pollaud-Dullian, « À propos de la sécurité juridique », RTD civ. 2001. 487, note 36.
[89] L. 12 avr. 1996, art. 87-I (RTD civ. 1996. 725), pourtant reconnue conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, Déc. n° 96-375 DC, 9 avr. 1996.
[90] TGI Saintes 21 févr. 1997. : Gaz. Pal. 1997. 1482, note M. Peisse ; RTD civ. 1998. 521, obs. Marguénaud ; D. 1999. Somm. 23, obs. M. L. Niboyet. Limoges 19 nov. 1998 : Gaz. Pal. 11 mars 1999 et doctr. (contraire) M. Besserve. Lyon 11 sept. 1997, inédit. Dijon 28 mai 1998 : D. affaires 1998. 1436 (arrêt cassé par Civ. 1re 20 juin 2000). Contra : TGI Créteil 3 juin 1997, inédit. TGI Bordeaux 28 mai 1998, inédit. Orléans 14 mai 1998, inédit. Montpellier 27 janv. 1999 : Gaz. Pal. 11 mars 1999, som. Cours et Tribunaux, V. Contrats et obligations. Sur l’ensemble de la question N. Molfessis : RTD civ. 1999. 236.
[91] Civ. 1re 20 juin 2000, arrêt Épx Lecarpentier c. SA Royal (sur Paris 25e ch. A 27 juin 1997) et arrêts Crédit Lyonnais c. Épx Saint Adam (sur Dijon 28 mai 1998), Bull. I, no 191 ; D. affaires 2000. 699, note M.-L. Niboyet ; RTD civ. 2000. 670, obs. N. Molfessis, 676, obs. Rémi Libchaber et 933, obs. Marguénaud ; RFDA 2000. 1189, concl. J. Sainte Rose et 1201, chron. (crit.) B. Mathieu. 29 avr. 2003, Sté Entenial c. Epx Chrétien, Bull. I, no 100. Civ. 1re 9 juill. 2003, JCP 2004. II. 10016, note X. Prétot.
[92] CEDH 14 févr. 2006, Lecarpentier c. France, LPA 3 mai 2006, no 88, p. 12, note É. Garaud ; JCP 2006. I. 164, no 4, obs. Sudre et JCP 2006. II. 10171, note M. Thioye ; RTD civ. 2006. 261, obs. Marguénaud.
[93] CEDH 11 avr. 2006, Cabourdin c. France, JCP 2006. I. 164, no 4, obs. Sudre. 18 avr. 2006, Vezon c. France.
[94] Limoges, 13 et 20 mars 2000, RTD civ. 2000. 436, obs. Marguénaud ; D. 2000. IR 127 et RTD civ. 2000. 629, obs. Perrot. Nancy a invoqué, de surcroît, l’article 2, § 3, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, article qui consacre le droit à un recours juridictionnel, 15 févr. 2000, RTD civ. 2000. 436, obs. Marguénaud.
[95] Montpellier 4 mars 1999, Douai 28 mai 1999, cités par Marguénaud, RTD civ. 2000. 436.
[96] Soc. 8 juin 2000, deux arrêts, D. 2000. IR 212.
[97] Soc. 24 avr. 2001, D. 2001. 2445, note J. Kibalo Adam et somm. 3012, obs. P. Fadeuilhe ; Dr. Soc. 2001. 589, concl. Stalislas Kehrig ; RFDA 2001. 1055 (daté par erreur du 25) note J.Y. Frouin et B. Mathieu.
[98] Ass. plén. 24 janv. 2003, Anger c. ADPEP Loiret (à ne pas confondre avec l’arrêt du 23 janv. 2004 de la même formation plénière, Le Bas Noyer c. Castorama, rendu en matière fiscale à propos d’une loi rétroactive qui n’était pas de validation, mais plutôt interprétative, V. supra, ce numéro, b), BICC 1er avr. 2003, avis Burgelin et rapport J. Merlin ; D. 2003. 1648, note S. Paricard-Pioux ; RFDA 2003. 470, obs. B. Mathieu ; Dr. soc. 2003. 373, rapport J. Merlin et 470, note X. Prétot. V. aussi Civ. 1re 29 avr. 2003, D. 2003. AJ 1435, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2003. 554, obs. D. Legeais.
[99] Soc. 18 mars 2003.
[100] CEDH 9 janv. 2007, Arnolin c. France, D. 2007. 580, obs. Cortot.
[101] Soc. 13 juin 2007, no 05-45694, RTD civ. 2007. 537, obs. P. Deumier.
[102] Civ. 2e 8 nov. 2006, trois arrêts, Bull. II, no 302 ; D. 2007. 877, étude M. Voxeur et Thibault Ngo Ky ; Gaz. Pal. 13 mars 2007, chron. O. Barrat.
[103] CEDH 25 nov. 2010, Lilly c. France no 2, no 20429/07.
[104].CE 5 déc. 1997, AJDA 1998, chron. Girardot et F. Raynaud, p. 97, arrêt p. 149 (avec les conclusions Bergéal) et p. 167 (avis) ; RGDP 1998. 242, obs. Flauss ; LPA, 15 juin 1998, note Le Gras.
[105]. CE 28 juillet 2000, AJDA 2000, 854, chron. Guyomar et Collin, p. 796. Il résulte de cette position que le juge administratif, qui ne peut exercer de contrôle de constitutionnalité de la loi, mais seulement un contrôle de conventionnalité, ne pourrait écarter les effets d’une loi de validation que dans la mesure où elle rentre dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention EDH ; dans une même affaire, il peut ainsi être conduit à admettre la recevabilité du moyen pour une partie seulement du recours, par ex. in CE 12 févr. 2004, AGE-UNEF Sc. Po et M. Slama, AJDA 2004. 679.
[106]. Intérêt qui peut être budgétaire, CE avis, 16 févr. 2001, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, AJDA 2002. 341, note D. Sabourault. V. aussi, CE 11 juill. 2001, M. Préaud, AJDA 2001. 841, chron. Guyomar et Collin ; RFDA 2001. 1047, concl. Bergéal. 12 févr. 2004, préc.
[107]. CAA Lyon, 14 mars 2002, Procédures, 2002, obs. S. Deygas.
[108]. CE 23 juin 2004, Soc. Laboratoire Génévrier, Lebon 265 ; RFDA 2005. 995, obs. J. Andriantsimbazovina et L. Sermet.
[109]. CE 27 mai 2005, avis d’Assemblée, Provin, chron. Ph. Collière, LPA, 18 nov. 2006, no 230, p. 8.
[110]. CE ass., 8 févr. 2007, Gardedieu, JCP 2007, II, 10045, note M. Ch. Rouault ; Europe, 2007, étude no 3, D. Simon, p. 5 ; AJDA 2007. 585, chron. Fr. Lenica et J. Boucher ; Procédures, 2007, no 98, obs. S. Deygas ; D. 2007. 1214, chron. G. Clamour. Le même arrêt retient la responsabilité de l’État pour réparer le préjudice né de l’application d’une loi contraire à la Convention EDH.
[111]. CE 25 avr. 2007, Ministère des transports, no 296 661. 3 sept. 2008, LPA 30 sept. 2009, no 195, p. 3, chron. F. Perrotin. 18 nov. 2009, Procédures, 2010, no 23, obs. S. Deygas. 19 et 26 janv. 2011, Nouveaux cahiers du Conseil consitutionnel 2011, 202, obs. G. Drago.
[112] CE, 21 oct. 2011, n° 314767, AJDA 2011, 2521, note Y. Depigny. 9 mai 2012 (ass. Plénière), n° 308996, Gaz. Pal. 27 sept. 2012, note O. Roumélian.
[113] CE 10 nov. 2010, no 314449 et 314580, Commune de Palavas-les-Flots et Commune de Lattes.
[114] CAA Nantes 30 déc. 1999, AJDA 2000. 646, concl. E. Coënt-Bochard.
[115] CAA Nancy 5 déc. 2000, CRAM Metz, Dr. adm. 2001. 70 ; AJDA 2001. 278, note P. Rouselle ; Gaz. Pal. 2 déc. 2001 (absence de motifs d’intérêt général). CAA Lyon 14 mars 2002, Procédures 2002, no 80, obs. S. Deygas (motif suffisant dans la validation d’un POS pour effacer un simple vice de procédure).
[116]. Civ. 1re, 16 mars 1999, RTD civ. 1999. 469, obs. Perrot ; RGDP 1999. 748, note H. Muir Watt ; JDI 1999. 773, note A. Huet ; Gaz. Pal. 2 mars 2000, note M.L. Niboyet ; Rev. crit. DIP 2000. 181, chron. Droz ; RTD civ. 2000. 944, obs. J. Raynard. Et déjà, dans la même affaire, Civ. 1re, 5 mai 1993, Bull. I, no 154.
[117]. V. Lenoble, in La crise du juge, LGDJ et Story scientia éd. 1990.
[118]. Cité par Pierrette Poncela, « Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne », Droits, 1993, no 17.
[119] V. notamment, parmi une littérature abondante, les interventions de Vincent Mazeaud et de P.-Y. Gautier à un colloque de l’université de Caen, 11 mars 2016 (« 40 ans après, une nouvelle ère pour la procédure civile ? »), le premier sur le renouvellement des fonctions de la Cour et le second sur « La substitution, par présupposé, de la balance des intérêts au syllogisme judiciaire », Dalloz éd., collec Thèmes et commentaires, 2016).
[120] Sur lesquelles, v. A. Bénabent, « Un culte de la proportionnalité … un brin disproportionné », D. 2015, 137. P.-Y. Gautier, « Contrôle de proportionnalité subjectif, profitant aux situations illicites : l’anti-Daguesseau », JCP 2016, 189. Et déjà, F. Chenedé, « Des dangers de l’équité au nom des droits de l’homme », D. 2014, 179.
[121] X. Dupré de Boulois, « Regard extérieur sur une jurisprudence en procès », JCP 2016, 562, spéc. n° 13. V. aussi, P. Ducoulombier « L’application délicate de la jurisprudence de la Cour EDH : le cas britannique », RDPublic 2016, 223.
[122] L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, Doc. fr. août 2008.
[123]. Déc. 98-404 DC, 29 juill. 1998, Lutte contre l’exclusion, RD publ. 1999, p. 79-80, chron. D. Rousseau ; JCP 1999, I, 141, no 12, obs. B. Mathieu et M. Verpeaux.
[124]. Sur cette évolution, v. S. Guinchard,  A. Varinard et Th. Debard, Institutions juridictionnelles, Dalloz, 10ème édition, 2009, no 78 à 84.
[125]. Déc. 86-224 DC, 23 janv. 1987, Cons. conc., AJDA, 1987, 315, note J. Chevalier ; RFDA, 1987, 287, note B. Genevois et 708, note L. Favoreu et L. Philip. – Déc. confirmée par décision 89-261 DC, 28 juill. 1989, Condition d’entrée et de séjour des étrangers en France, dite loi Joxe.
[126]. CEDH, 21 févr. 1997, Guillemin c/ France, AJDA, 1997, 399, note R. Hostiou et 985, obs. J. Fr. Flauss. 2 août 2000, Santonnet c/ France.
[127]. V. le débat dans AJDA 2005, p. 1760 s. – Y. Aguila, « La justice administrative, un modèle majoritaire en Europe », AJDA 2007, 290. – M. Jorat, « Supprimer le juridiction administrative ? Deux siècles de débat », RFDA 2008/3, p. 456.
[128] Institut Montaigne, Pour la Justice, sept. 2004, p. 11.
[129] A. Gallois, Le traitement des affaires procédurales de très grande complexité, thèse (dacty.), Paris 1, mai 2008.
[130] S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 6ème éd., Litec 2010, n° 178.
[131] C. Nourissat, Procédures, fév. 2010, Alertes/Focus, n° 6.
[132] Sur laquelle, V. S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, Litec, 6ème éd., 2010, n° 176.
[133] Sur cette évolution en matière économique, V. G. Royer, L’efficience en droit pénal économique, Étude de droit positif à la lumière de l’analyse économique du droit, LGDJ, coll. Dr. et économie, 2009, avant-propos G. Canivet et préface Fr. Stasiak, spéc. n° 247 s.
[134] Sur ce critère, A. Gallois, Le traitement des affaires procédurales de grande complexité, thèse (dactyl.), Paris I, mai 2008.
[135] Proposition n° 17 : L. n° 2009-526, 12 mai 2009, art. 79, 80 et alii du code des pensions.
[136] Proposition n° 13 ; L. n° 2009-526, 12 mai 2009 (in art. L. 211-3, COJ) et D. n° 2009-1221, 12 oct. In art. D. 211-11, COJ.
[137] Proposition n° 11. D. n° 2009-1204, 9 oct. 2009.
[138] Pas de proposition de la Commission Guinchard en ce sens. D. n° 2009-1384, 11 novembre 2009.
[139] Proposition n° 16 qui allait plus loin que le décret en préconisant une dizaine de TGI compétents en la matière. D. n° 2009-1384, 11 nov. 2009.
[140] L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, op. cit. , p. 263.
[141]. V. notamment, S. Guinchard, A. Varinard et Th. Debard, op. cit., no 524-526.
[142].CEDH, 12 avr. 2005, Whitfield c. Roy. Uni, JCP 2005, I, 159, no 10, obs. Sudre (les gardiens et directeurs de prison, subordonnés au ministre de l’intérieur, et qui ont successivement enquêté et engagé les poursuites ne peuvent ensuite statuer sur la culpabilité et la peine à infliger, en raison d’absence de toute « indépendance structurelle »).
[143]. V. par ex. Fr. Sarda, « Pour un juge d’instruction civil », Mélanges A. Decocq, Litec, 2004, p. 545.
[144] En ce sens aussi, G. Maugain, La modélisation du procès civil – Emergence d’un schéma procédural en droit interne, thèse Dijon, nov. 2010 [dir. M. Douchy-Oudot], n° 159.
[145] Sur ce point, v. S. Guinchard et alii, Droit processuel – Droits fondamentaux du procès, 6ème éd., Dalloz, janv. 2011 n° 380 s.
[146] CE, 21 fév. 1968, D. 1968, 222.
[147] Cf. les propositions 10 et 18 de la Commission Guinchard en juin 2008, rapport publié à La documentation française, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée.
[148] Sur laquelle, v. S. Guinchard et alii, Droit processuel/Droits fondamentaux du procès, 7ème éd., 2013, n° 141.
[149]. Cité par Pierrette Poncela, « Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne », Droits, 1993, no 17.
[150] En ce sens il est « le gardien des promesses », pour reprendre le titre du livre d’Antoine Garapon. Les citoyens attendent de lui qu’il veille à l’application effective des grands principes qui fondent la République et notre vie commune.
[151] J. Lenoble, in La crise du juge, ouvrage collectif, Story Scientia et LGDJ, 1991, p. 154. S. Guinchard, in Mélanges Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 139, spéc. III.
[152] A. Garapon, « La démocratie à l’épreuve de la justice », Revue Justices 1999-1, nouvelle série, 40.
[153] P. Rosanvallon, La légitimité démocratique, Seuil, 2008.
[154] Interview P. Rosanvallon, Nouvel observateur 4-10 sept. 2008, p. 90.
[155] François Ost, « Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles du juge », in P. Bouretz [dir.], La force du droit – Panorama des débats contemporains, Esprit éd., 1991, p. 241 s.
[156] Trib. correc. Nanterre, 14 nov. 2012, JCP 2013, doctr. 323, B. Quentin.
[157] S. Guinchard et alii, Droit processuel/Droits fondamentaux du procès, 7ème éd., 2013, n° 141.
[158] Contra : A. Garapon, La raison du moindre Etat – Le néolibéralisme et la justice, Odile Jacob éd., 2010. Contrairement à ce qui est écrit pages 57-58, le rapport ne propose pas « de réguler les honoraires par la mise en place d’une véritable concurrence entre avocats », mais, tout au contraire, de contraindre les avocats - et uniquement pour le divorce par consentement mutuel - à publier des barêmes indicatifs et à remettre au client une convention d’honoraires ; la libre concurrence, ce n’est pas la commission qui la demande, puisqu’elle a toujours existé et que ce sont les auditions sur la question du divorce qui ont montré que le vrai problème n’était pas celui de son transfert ou pas aux notaires, mais celui de son coût (excessif) pour le justiciable. Et c’est précisément cet encadrement (la proposition n° 25 parle « d’un divorce allégé et au coût régulé ou tarifé »), devenu loi, qui est aujourd’hui remis en cause par les avocats.
[159] D. 1962, chron. 37.
[160] Seuil éditeur, collec. Les livres du nouveau monde.
[161] S. Guinchard, « Vers une démocratie procédurale », Justices, nouvelle série, 1999/1, p. 91, repris in « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire », in Clés pour le siècle, Paris II-Dalloz, mai 2000, pp. 1135-1211. Et aussi, « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? » in Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant, 2004, qui reprend et développe l’idée émise dès la première édition de ce précis (janv. 2001). S. Guinchard et alii, Droit processuel/Droits fondamentaux du procès, Dalloz, 7ème éd., 2013.
[162] Selon l’heureuse formule de J.-C. Magendie, in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, 329 : « Loyauté, dialogue, célérité, trois principes à inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de justice ».
[163] Pour une illustration dans l’arrêt Kress, 7 juin 2001, à propos de la place du commissaire du gouvernement au Conseil d’État, S. Guinchard, « Ô Kress, où est ta victoire, ou la difficile réception en France d’une (demie) leçon de démocratie procédurale », Mélanges G. Cohen-Jonathan, Bruylant éd. 2004.
[164] Dans la défunte revue Justices, 1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges de l’université Paris II publiés à l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire, Dalloz, 2000 ; v. aussi, notre contribution précitée aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? »
[165] V. aujourd’hui la 31e édition, op. cit. 2012, n° 66.
[166] La procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une technique de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. S. Guinchard, « Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique ou européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant-LGDJ, 2004.
[167] V. notre contribution aux Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Buylant, 2004, à propos de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une (demie) leçon de démocratie procédurale.
[168] Editions du Seuil, 2008, collection Les livres du nouveau monde, dirigée par l’auteur. Premier volet : La Contre-démocratie, 2006.
[169] S. Guinchard et alii, Droit processuel, op. cit., n° 340 et s. d’une part, n° 363 et s. d’autre part.
[170] S. Guinchard et alii, Droit processuel, op. cit., n° 366 et 375 et s.
[171] L’exécution des décisions du Conseil constitutionnel.
[172] Mélanges Fr. Terré, Dalloz/Ed.techniques/PUF, 1999.
[173] Vers une démocratie procédurale, Justices, 1999, n° 1, nouvelle série. Les métamorphoses à l’aube du IIIème millénaire, in Clefs pour le siècle, Paris 2, Dalloz éd., mai 2000.
[174] Décision 98-396 DC, 19 fév. 1998, AJDA 1998, 305, obs. Schoettl ; JCP 1998, II, 10104, note A. Quint ; RTDCiv., 1998, 506, obs. Jamin ; RDP 1999, 78-79, obs. D. Rousseau.
[175] Décision 11 août 1993, RSC 1994, 675, chron. L. Favoreu ; AJDA, 1997, 819, obs. P. Wachsmann.
[176] Paul Wachsmann, AJDA, 1993, 819.
[177] Décision 97-389 DC, 22 avr. 1997, Certificats d’hébergement.
[178] Vers une démocratie procédurale ; Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIème millénaire, loc. cit.
[179] V. notre commentaire de l’article L.781-1, COJ, in Mégacode comment de procédure civile, Dalloz, mai 1999, 2ème éd., mai 2001.

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