mardi 30 mai 2017

BELLES PAGES 19: LES HEURES SOMBRES DE LA JUSTICE PÉNALE

SOMMAIRE

I – LES SECTIONS SPÉCIALES
II – LES TRIBUNAUX ALLEMANDS EN FRANCE
III – L’ÉPURATION

I – LES SECTIONS SPÉCIALES

Nuit juridique et brouillard judiciaire dans le régime de Vichy
         Période peu glorieuse pour notre pays et sa magistrature[1] (un seul magistrat, Paul Didier, refusa de prêter serment au maréchal Pétain ; certains acceptèrent de siéger cagoulés dans les sections spéciales),

        Loi du 14 août 1941 crée les sections spéciales compétentes pour juger les auteurs de toute infraction « commise dans une intention d’activité communiste ou anarchiste » (instruction en huit jours, ni appel, ni pourvoi) ; cette loi a permis de rejuger, pour les condamner rétroactivement à mort, six personnes déjà condamnées, afin de satisfaire la demande des autorités allemandes qui menaçaient d’exécuter 150 otages suite à l’assassinat, le 21 août 1941, d’un soldat allemand au métro Barbès.

         La loi du 7 septembre 1941 crée le « Tribunal d’État », qui siégeait en deux sections, l’une à Paris, l’autre à Lyon pour les faits « de nature à troubler l’ordre ou, d’une manière générale, à nuire au peuple français » ; application rétroactive à des accusés déjà condamnés et qui furent condamnés à mort. Décret du 20 janvier 1944 qui crée les Cours martiales de la milice à la discrétion de Joseph Darland qui en désignait les membres et compétentes pour les attentats terroristes : c’est la police qui arrêtait, poursuivait et renvoyait devant la cour martiale ; le Code d’instruction criminelle était suspendu et les condamnés immédiatement passés par les armes.

Le droit et la justice avaient abandonné la France[2]. La nuit et le brouillard recouvraient notre pays, son droit et sa justice. Certains, cependant, surent résister[3].


     En parallèle de cette « justice », on signalera simplement la multiplication des juridictions d’exception[4], y compris pour des infractions de droit commun (procédure sommaire, sanctions lourdes) et l’acte dit loi du 25 novembre 1941 qui réduit le nombre des jurés d’assises de douze à six et, mouvement inverse de celui de la loi du 5 mars 1932, fait participer les magistrats professionnels au verdict sur les faits.





II – LES TRIBUNAUX ALLEMANDS EN FRANCE


Une page d’histoire occultée ou oubliée



On évoquera, phénomène souvent occulté, la présence, sur le territoire français, de tribunaux militaires allemands chargés de juger les résistants, le plus souvent pour des actes de sabotage contre les troupes d’occupation ; dépendant de la Feldkommandatur, ces tribunaux siégeaient à Angers, Bordeaux, Nancy, Nantes, Rennes, par exemple, et à Paris 7e, Maison de la Chimie, 28, rue Saint-Dominique, du 7 au 14 avril 1942[5].



III – L’ÉPURATION


   Pour comprendre ce que la Justice de la Libération peut avoir de surprenant aujourd’hui au regard des garanties du procès équitable[6], il faut citer le Général de Gaulle : 
« avec le concours de bon nombre d’officiels et d’une masse de délateurs, excités et applaudis par un ramas de folliculaires, 60 000 personnes avaient été exécutées, plus de 200 000 déportées dont à peine 50 000 survivraient. En outre, 35 000 hommes et femmes s’étaient vus condamnés par les tribunaux de Vichy ; 70 000 suspects, internés ; 35 000 fonctionnaires, révoqués ; 15 000 militaires, dégradés sous l’inculpation d’être des résistants. Maintenant, les fureurs débordaient… sans doute le gouvernement avait-il le devoir de garder la tête froide. Mais passer l’éponge sur tant de crimes et d’abus c’eût été laisser un monstrueux abcès infecter pour toujours le pays. Il fallait que la justice passe. Elle passa »[7].


  Sur le châtiment des collaborateurs, on comparera cette opinion avec celle de l’historien anglo-américain Tony Judt, in Après-Guerre – Une histoire de l’Europe après 1945, A. Fayard éd., coll. « Pluriel », 2007, rééd. 2010, p. 66. Sur l’épuration des magistrats des sections spéciales à la Libération, A. Bancaud et J.-P. Jean, Les Cahiers de la Justice 2011/4, 125.







[1]V. La justice des années sombres, 1940-1944, actes du colloque de Lyon, Doc. fr., 2001, préf. P. Truche. La tentative de relativisation de l’attitude des magistrats citée au texte (communication de Jean-Paul Jean) ne nous semble pas les exonérer de leur responsabilité ; il suffit, pour s’en convaincre, de lire les communications sur le fonctionnement des sections spéciales.

[2]M. Bourguet, L’anéantissement des droits de la défense sous Vichy, p. 237, in Regards sur la défense pénale, Liber amicorum Vincent Durtette, Mare et Martin éd., coll. « Droit et sc. politique », 2009. – C. Millon, Occupation allemande et justice française : les droits de la puissance occupante sur la justice judiciaire, 1940-1944, Dalloz, coll. « Nouvelle bibl. de thèse », préf. M. Stolleis, 2011.

[3]L. Israël, Robes noires, années sombres, Avocats et magistrats en résistance pendant la Seconde guerre mondiale, Fayard, 2005 (ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’ENS Cachan en oct. 2003). Assoc. fr. pour l’histoire de la justice, La Résistance dans la pratique judiciaire, 1940-1944, Doc. fr., 2012, préf. P. Truche.

[4]J.-G. Moore, La Section spéciale, ou le procès de la docilité, in Les grands procès de D. et Ch. Amson et J.-G. Moore, PUF, 2007, préf. J. Verges, p. 381. V. Sansico, La Justice du pire, Payot, 2002.

[5]V. P. Le Rolland, Les Français devant la justice allemande, in Jusqu’au bout de la Résistance, par la FNDIR, l’UNADIF et B. Fillaire, Stock 1997, p. 408. – V. aussi les mémoires du président du tribunal militaire allemand de Paris, Ernst Roskothen, tribunal qui jugea Honoré d’Estienne d’Orves en juillet 1941 et le réseau du Musée de l’homme, Groosparis, Place de la Concorde 1941-1944. On trouve aussi quelques pages sur cette justice allemande en France dans le livre d’un auteur américain sur Le réseau du Musée de l’homme, Le Seuil, 1977.

[6]D. et Ch. Amson et J.-G. Moore, Les grands procès, PUF, préf. J. Vergès, 2007, p. 299 et s., « Les procès de la guerre ».


[7]Mémoires de guerre, t. V, éd. Rencontres, sans date, p. 117.

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