mardi 30 mai 2017

BELLES PAGES 1: LA DOCTRINE SUR LA JUSTICE

SOMMAIRE

I – Préface à la 24ème édition du précis Dalloz de procédure civile, 1996 : "J’avais un Maître et un ami"
II – Avertissement pour la 28ème édition du précis Dalloz de procédure civile, 2006
III – Avant-propos à la 30ème édition du précis Dalloz de procédure civile : 1909/1911-2010, Le fabuleux destin du Précis de procédure civile aux éditions Dalloz
IV – Avant-propos pour la 33ème édition du précis Dalloz de procédure civile, 2016, « Une page se tourne »
V – La part de la doctrine en procédure civile - Publié à la Revue de droit d’Assas – 2011, n° 3, p. 73.
VI – VISIOZ, un rénovateur en quête du droit processuel, préface à la réédition en 2011 aux éditions Dalloz des Études de procédure civile publiées en 1956 en l’honneur d’Henry Visioz.
VII - Jacques HÉRON et "son" Droit judiciaire privé
VIII - Le temps en procédure civile - XVème colloque des Instituts d'études judiciaires, Clermont-Ferrand, 13-15 octobre 1983, Annales de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand/LGDJ éditeur, 1983, Fascicule 20, pages 21 à 63. 


I - PRÉFACE à la 24e édition
du précis de procédure civile, 1996

J'avais un maître et un ami

 Jean VINCENT s'est éteint le 10 mars 1996, dans la Paix du Seigneur, rejoignant son Sauveur, Celui qui était au centre de son existence. Pour ceux qui le connaissaient bien, ces quelques mots suffisent, sans doute, à exprimer ce que fut sa vie, habitée par la Foi et remplie de sérénité. Pour les autres, qu'il soit permis au signataire de ces lignes, à celui qui fut son élève pendant cinq ans, puis son collaborateur pendant plus de vingt-cinq ans, de lui rendre hommage, en prélude à cette vingt-quatrième édition, en leur faisant découvrir quelques caractéristiques moins connues de sa personnalité, au-delà du savant juriste qu'il était, à travers le bref récit de certains aspects de notre collaboration à ce précis de procédure civile.
Du Lexique de termes juridiques aux deux précis (La justice et ses institutions ; Procédure civile), toujours chez Dalloz (la fidélité était l'une de ses nombreuses qualités), sans oublier la création du Guide juridique, j'ai eu l'immense honneur et le grand bonheur d'être associé, très tôt et pleinement, à son œuvre doctrinale. Pour s'en tenir au précis de Procédure civile, le lecteur doit savoir que, malgré la maladie qui le frappait, Jean VINCENT avait approuvé les substantielles modifications du plan et de l'exposé du droit procédural dans une triple perspective, internationale, européenne et constitutionnelle, modifications qui nous conduisirent à présenter, en 1994, une vingt-troisième édition entièrement refondue. Homme de science et de conscience, il voyait dans ces importantes évolutions de la matière, dans cette conceptualisation de la procédure civile que je lui avais soumise, sous l'angle de la protection de nos libertés et droits fondamentaux, une richesse supplémentaire pour une discipline à laquelle il s'était progressivement et profondément attaché et dont il avait toujours pensé qu'elle méritait mieux que sa (mauvaise et injuste) réputation d'aridité et de technicité stériles. Même si, avec la progression de la maladie, il ne pouvait plus s'investir autant qu'il l'aurait souhaité, je peux témoigner qu'il a été jusqu'au bout, un coauteur actif et pertinent. Rien n'échappait à sa sagacité, de la forme au fond en passant par le souci — exigence permanente de qualité et de respect du lecteur — d'une parfaite typographie. Sa plume élégante et juste, onctueuse pourrait-on écrire, savait corriger, en tant que de besoin, les angles, parfois un peu abrupts, de l'expression de la pensée de son disciple. Mais ma liberté fut totale, du premier jour de 1979 (pour la vingtième édition) à la refonte de la vingt-troisième édition en 1994 ; ce n'est pas l'éloignement géographique (j'étais à l'époque en poste à Dakar) qui avait justifié cette liberté, mais sa conception de la libre recherche scientifique. Il ne concevait pas qu'une collaboration naissante puisse être bridée par les développements antérieurs de sa pensée. Je me souviendrai toujours de nos échanges sur les grandes théories de la procédure civile, sur les évolutions que je souhaitais intégrer quant à la notion d'action en justice ou d'acte juridictionnel, pour ne m'en tenir qu'à ces deux exemples les plus significatifs. C'était sa manière à lui de passer le relais aux jeunes générations que de s'effacer devant l'expression d'une théorie juridique qui n'était pas tout à fait la sienne mais dont il acceptait la pertinence et endossait la paternité, conscient qu'il était de la relativité des certitudes de la science du droit. Empreint d'humanisme et homme de grande culture, la technique procédurale n'était pour lui qu'un instrument au service des justiciables ; elle ne devait jamais être un obstacle à la réalisation de leurs droits, elle devait s'effacer dès lors qu'elle devenait inutile, sa seule justification étant la protection de nos libertés. Ces dernières devenant le socle conceptuel et fondateur de la procédure, les évolutions récentes évoquées ci-dessus s'intégraient tout naturellement dans le cadre de sa pensée. Sans doute, se souvenait-il aussi qu'elles sont facilement menacées, lui qui avait préparé sa thèse dans l'Allemagne de 1932-1933 et qui avait conservé, dans une boîte d'allumettes, des morceaux calcinés de livres que le régime nazi brûlait, en autodafé, dans les rues de Berlin. Il me les avait montrés un jour, non sans émotion partagée, au cours d'une promenade sur l'un de ces chemins et de ces routes qui mènent de Saint-Gervais à Megève, ceux-là mêmes que fréquentait Fernand Braudel, mon illustre et mitoyen voisin de vacances, et que ce savant auteur décrit si justement dans L'identité de la France.
Nous allions ainsi l'un vers l'autre, au sens propre mais aussi figuré d'un cheminement intellectuel, d'une découverte de la personnalité de l'autre, pendant les étés hauts savoyards, pour discuter du fond ou, plus humblement, échanger les épreuves pour le report des corrections. L'amitié partagée, dans la chaleur estivale du climat alpin et dans la beauté des paysages de haute montagne, lorsque le couchant colore d'ocre les aiguilles granitiques et de rose les glaciers et les neiges éternelles, faisait oublier le caractère fastidieux de ce travail de correction et la lassitude des relectures du manuscrit. L'affection qu'il me portait m'encourageait à persévérer, à refondre, toujours refondre, un ouvrage aux constantes mutations. Il savait aménager nos rendez-vous estivaux pour ménager mes loisirs et mes heures de liberté en pleine nature ; lui qui savait ce qu'une course en montagne, par une belle journée ensoleillée, représente de joie intense proposait toujours de nous retrouver le soir ou... les jours de pluie, à ma convenance. Quelle délicatesse, quelle élégance ! Il possédait au plus haut niveau d'accomplissement, cette aristocratie des gestes et des mots, cette élégance intellectuelle qui distingue l'humaniste des autres hommes. Ce furent des moments de réel bonheur, en famille, avec nos épouses, dans ce chalet des Météores dont le nom évoquait les mystères de l'univers et sur lesquels il ne cessait de réfléchir avec ses certitudes religieuses.
Homme de Foi et de convictions, Jean VINCENT était tolérant et n'imposait jamais ses croyances ; bien que baptisés tous les deux dans la même religion, il savait que je ne la pratiquais pas avec la même ferveur que lui, mais il savait aussi que ma culture laïque et profondément républicaine et ma religion catholique s'enrichissaient mutuellement. Lorsque le malheur frappait, la perte d'un être cher par exemple ou la maladie implacable qui pouvait atteindre un enfant, il savait trouver les mots de réconfort. Lorsque l'injustice passait, il savait redonner confiance, sans doute parce que lui-même issu d'une famille judiciaire, il n'imaginait pas un seul instant que la Justice, celle-là même sur laquelle il dissertait, puisse persévérer dans une erreur et devenir, de ce fait, injuste et partiale. Processualiste de conviction, il croyait à l'efficacité du processus judiciaire et des voies de recours pour que l'institution elle-même répare, par la sagesse des uns ou leur meilleure connaissance du droit, les erreurs des autres ; homme d'expérience, il ne doutait pas, au final, même si le parcours était long, de l'immense sagesse de l'institution judiciaire. Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, il était très affecté par les procès médiatiques dont notre pays est malheureusement le théâtre, car il y voyait, au-delà des violations répétées du secret de l'instruction, des atteintes à la présomption d'innocence, le signe d'un abaissement de notre Justice.
Pour Jean VINCENT, la Justice était d'abord une Vertu, encore une Vertu, toujours une Vertu et rien d'autre. Elle devait trouver sa réalisation suprême, son aboutissement, dans la notion d'équité et, parce qu'il croyait en Dieu et qu'il pratiquait sa religion, il avait tenu à témoigner de sa Foi dès la première édition du Lexique de termes juridiques, le signant en quelque sorte, pour quelques initiés, au mot équité précisément, en citant le psaume 84-II, qui résume, à lui seul, tout le sens de sa vie, toute la richesse de sa personnalité : « amour et vérité se rencontrent ; justice et paix s'embrassent ». Maintenant qu'il nous a quittés, nous lui dédions, ce psaume qu'il affectionnait tant, au point qu'il fut lu au cours de la cérémonie religieuse de ses obsèques, in memoriam.
Serge GUINCHARD
Lyon, les 11 mars et 10 mai 1996
 

II- AVERTISSEMENT pour la 28ème édition
du précis de procédure civile, 2006


Cette édition est dédiée à Jean BUFFET
et à Giuseppe TARZIA

Ce précis de Procédure civile a d’abord été l’œuvre exclusive de Paul CUCHE, avec une première édition, publiée chez un autre éditeur, il y aura bientôt cent ans, en 1909 (sous le titre de Précis de procédure civile et commerciale ; cette première édition s'apparentait à un polycopié d'aujourd'hui). Paul CUCHE s’est ensuite associé à Jean VINCENT qui l’a repris, seul, après la seconde guerre mondiale, jusqu’en 1977, avant de me demander de le rejoindre en 1979, en vue de la vingtième édition, qui fut publiée, il y a un quart de siècle, en janvier 1981. Pendant presque quinze ans, nous avons travaillé ensemble, dans l’esprit d’une véritable collaboration, même si, au fil des ans, libre de ma plume et de mes choix, mon empreinte s’est accentuée, notamment par le choix d’une forte conceptualisation du plan sur le fondement de notre devise républicaine et par la volonté de marquer systématiquement l’ancrage de la procédure civile dans le champ d’attraction à la garantie des droits fondamentaux. C’est dans le même esprit que j’ai poursuivi seul cette œuvre après le décès de Jean VINCENT, survenu le 10 mars 1996. Bien évidemment, conceptuellement et techniquement parlant, l’ouvrage d’aujourd’hui ne doit plus beaucoup à ceux qui m’ont précédé, ne serait-ce qu’en raison des évolutions législatives, réglementaires et jurisprudentielles qui ont bouleversé la matière et de l’emprise croissante du droit européen. Précisément, pour tenir compte de l’importance du droit communautaire dans les relations procédurales transfrontalières – mais aussi pour préparer la relève qui viendra – j’ai demandé au Professeur Frédérique Ferrand, qui fut mon (excellente) élève, avant de devenir notre éminente collègue, de bien vouloir accepter de prendre en charge ces aspects sans lesquels la procédure civile ne peut plus être étudiée dans toutes ses dimensions. Le droit issu de la Convention européenne des droits de l’homme étant, depuis fort longtemps, systématiquement intégré dans l’ouvrage, les deux volets de l’Europe sont ainsi couverts. C’est pourquoi, m’inspirant de ce que Jean VINCENT avait fait en son temps, il m’a semblé plus honnête, tout à la fois, de marquer la continuité de l’œuvre par le millésime de l’édition et d’assumer pleinement la responsabilité de la nouvelle rédaction par l’indication du seul nom des auteurs ayant rédigé cette nouvelle édition. Le temps passe, mais le respect des Maîtres, la reconnaissance de ce qu’on leur doit et l’affection demeurent. Cet avertissement se veut donc aussi hommage.

Serge GUINCHARD
Rennes et Paris,
le 1er mai 2006


 III – Avant-propos à la 30ème édition du précis de procédure civile, 2010

1909/1911-2010 : le fabuleux destin
du précis de procédure civile aux éditions Dalloz

Il n’est pas d’usage qu’un seul des auteurs d’un Précis en signe l’avant-propos, a fortiori lorsque ses deux collègues ont déjà collaboré aux éditions précédentes ! Si je déroge à cet usage aujourd’hui, ce n’est pas parce que j’ai participé à un tiers de la vie (centenaire) du Précis de procédure civile, mais parce que la tâche de retracer son fabuleux destin ne pouvait guère revenir à celles dont je vais ci-après souligner les immenses mérites, porteurs de renouveau, dans une brève mise en perspective dont je fus l’acteur avant même leur naissance ou leur entrée au collège. Entièrement refondue sous l’impulsion de Cécile Chainais, cette nouvelle édition, sans rompre avec l’esprit qui inspire l’ouvrage depuis les refontes de 1991 et 2006, toutes deux marquées du sceau du droit européen, ouvre, par le nouveau regard qu’elle permet de porter sur la procédure civile contemporaine, une période qui, je l’espère, conduira un jour nos lointains successeurs à signer un nouvel avant-propos en… 2110, pour célébrer le bicentenaire du Précis !
1909-1981. La naissance d’un précis et la mémoire de nos pères. L’ouvrage a d'abord été l'œuvre exclusive de Paul Cuche, professeur à la Faculté de droit de Grenoble, avec une première édition, publiée en 1909 (sous le titre de Manuel de procédure civile et commerciale, chez un autre éditeur, Albert FONTEMOING). Cette première édition s'apparentait à un polycopié d'aujourd'hui ; elle fut rééditée telle quelle, en 1911, chez Dalloz, avec pour seule mise à jour un simple addendum, de quelques pages, sous l’intitulé Petit traité de procédure civile et commerciale). Il traversa l’ouragan de la première guerre mondiale et les sombres années de la seconde (avec huit éditions en trente ans, la dernière en 1939, complétée d’une mise à jour datée du 15 septembre 1942), pour renaître dans une 9ème édition qui parut, en 1946, sous la seule plume de Jean Vincent, professeur à la Faculté de droit de Lyon, même si les deux noms restèrent associés sur la couverture jusqu’en 1970 (14ème édition). De 1971 à 1978, Jean Vincent assura seul la mise à jour de l’ouvrage (15ème à 19ème édition) ; en 1979, il me demanda de participer à la rédaction de la 20ème édition, qui parut en janvier 1981. La matière était alors fortement marquée par la territorialité de ses règles.
1981-2010. Le deuxième souffle : la garantie des libertés et droits fondamentaux. Dès 1981, l’esprit fut celui d'une véritable collaboration avec Jean Vincent, même si, au fil des ans, entièrement libre de ma plume et de mes choix, mon empreinte s’accentua, notamment par l’idée de structurer l’ouvrage autour de notre devise républicaine pour ancrer systématiquement la procédure civile dans le champ d'attraction de la garantie des droits fondamentaux, ce qui fut fait lors de la refonte intervenue en 1991 (22ème édition, d’où la qualification de « souffle républicain » que lui donna le Doyen Jean Carbonnier). Après le décès de Jean Vincent, survenu le 10 mars 1996, l’œuvre a été poursuivie dans le même esprit, animée par la volonté de rendre compte des grandes évolutions qui ont bouleversé la matière, notamment l'emprise croissante du droit européen des droits de l’Homme sur les solutions du droit positif. Mais si ce droit était ainsi systématiquement intégré dans l'ouvrage (concrétisé dans l’index par une entrée « droit processuel européen »), il manquait le volet de ce qui s’appelait alors le droit communautaire ; ce vide fut comblé en 2006, par l’arrivée de Frédérique Ferrand, qui a su donner à la 28ème édition une nouvelle impulsion, en intégrant les règles issues de ce droit. En 2008, avec l’entrée de Cécile Chainais, normalienne et jeune agrégée de droit privé, la 29ème édition fut l’occasion de renouveler cette étroite coopération intellectuelle, autour de ces valeurs européennes communes aux trois auteurs. Cécile Chainais a alors apporté un regard neuf, par exemple dans les développements consacrés aux théories de l’action en justice et de l’acte juridictionnel.
2010-2110 ? Les promesses de l’aube et les horizons lointains. A l’occasion du centenaire du Précis de procédure civile, qui marque aussi la trentième édition de l’ouvrage, l’idée d’une refonte générale de l’ouvrage s’est imposée. Confiée à Cécile Chainais, validée par les deux autres auteurs, elle était particulièrement nécessaire, à l’heure où s’accentue la pression exercée sur le droit du procès et singulièrement sur la procédure civile, par une vision technocratique des contentieux, davantage inspirée par l’obsession de réguler les flux et le seul impératif de célérité que par les idées de dialogue et de loyauté, trois principes dont l’équilibre subtil compose la partition d’une démocratie procédurale et que l’on devrait « inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de justice » (J.-Cl.  Magendie, « Loyauté, dialogue, célérité : trois principes à inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de justice », Mélanges Serge Guinchard, Dalloz, 2010, 329). Trois principes qui nous imposent de revenir aux sources de la matière pour les retrouver tels que les concevaient les auteurs du Code de procédure civile de 1976 et non tels qu’ils sont aujourd’hui interprétés par une certaine jurisprudence, plus soucieuse d’évacuer à marche forcée le rôle des juridictions que de garantir aux justiciables que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » et que n’a autorité que la chose réellement jugée par lui.
La refonte a ainsi été animée par une double ambition : conserver à cet ouvrage la précision technique et la volonté de hauteur théorique qui sont les siens depuis toujours et en constituent en quelque sorte la marque de fabrique et, dans le même temps, prendre en compte les évolutions les plus récentes de la procédure civile, sans ignorer les mouvements qui l’affectent en profondeur. Cette trentième édition marque un tournant dans la chronologie de celles qui se sont succédé depuis 1909.
Sur un plan entièrement revu à l’initiative de Cécile Chainais, la procédure civile exposée dans ce précis n’a plus besoin de marteler, dans l’intitulé de ses parties, son ancrage dans la garantie des droits fondamentaux, tant cet aspect est inhérent à l’ouvrage, à jamais. On a ainsi été amené à abandonner, non sans nostalgie, le plan articulé, depuis la 22ème édition de 1991, autour de la devise « liberté, égalité, fraternité ». Loin de vouloir renier la pertinence de l’adage pour éclairer la procédure civile(Les lecteurs diligents décèleront du reste un hommage discret au plan de l’ancienne édition dans le fait que la maxime ait été maintenue dans la présentation du titre sur l’action en justice), il est apparu nécessaire de souligner et promouvoir une autre lecture de la procédure civile, visant à explorer et mettre en valeur toute la richesse du Code de procédure civile entré en vigueur en 1976 et à revenir ainsi à la source de la procédure civile française, tout en prenant la pleine mesure des enjeux qui la traversent aujourd’hui.
Sous ce regard, la première partie de l’ouvrage révèle la construction d’un véritable modèle du procès civil, dont les grandes lignes sont tracées à la fois par les principes directeurs de l’instance qui apparaissent au seuil du Code, et par les dispositions du Code communes à toutes les juridictions, gouvernant l’action, l’instance et la juridiction. Afin d’explorer ce modèle, on a pris le parti de ne jamais scinder principes et technique, la seconde étant toujours appréhendée comme l’illustration et la mise en œuvre des premiers : pour ne prendre que deux exemples, l’aide juridictionnelle est ainsi revisitée à l’aune du principe d’effectivité de l’action en justice, et les incidents d’instance sont appréhendés à la lumière du principe d’initiative. Une haute ambition théorique et un souci pédagogique renforcé ont commandé de tels choix et contribueront, dans la continuité de la tradition de cet ouvrage, à apporter une réponse à l’argument rebattu de l’austérité, voire de l’inaccessibilité, de la procédure civile.
La seconde partie explore les capacités immenses d’adaptation de ce modèle à la diversité des contentieux, au service d’un impératif grandissant de protection renforcée du justiciable. On ne s’étonnera pas, dès lors, que le choix ait été fait de ne traiter des règles de compétence et de procédure propres aux différentes juridictions qu’en seconde partie : car ces dernières doivent d’abord être comprises comme la volonté affichée par les auteurs du Code d’adapter le modèle général d’un procès respectueux des grandes valeurs de notre culture processuelle, à la particularité des contentieux, au moment où ceux-ci se diversifient et se spécialisent. On s’est également attaché à dégager, en fin d’ouvrage, des théories générales du droit spécial de la procédure civile. On pense à la matière gracieuse, dont l’intérêt ne décroît pas aujourd’hui et qu’il était bon de revisiter à l’aune de son inscription dans les dispositions liminaires du Code – où elle est présentée comme une matière spéciale dérogeant aux principes directeurs – pour en proposer une présentation homogène, soulignant la cohérence de son régime. On pense, aussi, au développement d’une justice du provisoire, qui se donne aujourd’hui à voir, par-delà sa dispersion partielle dans les dispositions du Code spéciales aux différentes juridictions, sous l’angle d’un ensemble autonome animé par une logique processuelle propre.
Le lecteur, qu’il soit à la recherche d’éléments théoriques ou pratiques, trouvera ainsi plus immédiatement les éléments qu’il recherche. Dans cette même perspective, la mise en forme de l’ouvrage a été particulièrement soignée grâce aux soins attentifs de Bruno Degoul, que nous tenons à remercier ; l’index a été entièrement refondu et enrichi, afin de permettre à chacun, au-delà d’une présentation générale de la discipline, de se déplacer à sa guise dans l’ouvrage, en quête d’informations précises. En restant fidèle à l’inspiration du Code de procédure civile et à son organisation, tout en intégrant les évolutions contemporaines résultant de l’européanisation de la procédure mais aussi de facteurs économiques et sociologiques nouveaux, on espère ainsi renouer avec la tradition de ces processualistes allemands et italiens[2] des premières années du vingtième siècle jadis loués par Jean Carbonnier[3], et offrir une vision d’ensemble de la procédure civile dont chaque lecteur pourra retirer, à sa guise, la substantifique moelle.
Serge guinchard
Chamonix, le 1er août 2010

IV - Avant-propos de la 33e édition, 2016
Une page se tourne

Il m’est agréable de présenter ici la 33e édition du Précis de Procédure civile, qui en offre une version enrichie et remaniée, suivant ainsi au plus près les grandes évolutions du droit du procès.
Elle est substantiellement l’œuvre de Cécile Chainais, qui parachève ainsi la vaste entreprise de refonte de l’ouvrage mise en œuvre en 2010 pour son centenaire (voir la préface du soussigné à l’édition de 2010 (reproduite dans les éditions de 2012 et 2014), « 1909/1911-2010. Le fabuleux destin du Précis de Procédure civile aux éditions Dalloz »). L’édition bénéficie de la contribution précieuse de Frédérique Ferrand, qui – dans la continuité du renouvellement apporté à l’ouvrage pour sa 26e édition (l’édition de 2006 avait été marquée par l’entrée dans l’ouvrage de Frédérique Ferrand et par l’insertion systématique du droit processuel de l’Union européenne dans l’ouvrage, par ses soins) – a su donner au droit de l’Union européenne une place nouvelle, plus en adéquation avec l’idée que, dans un contexte d’internationalisation renforcée, le modèle traditionnel du procès s’adapte à des particularismes issus de la résolution des litiges transfrontaliers.
Si l’introduction, entièrement réécrite par Cécile Chainais, s’inscrit dans la filiation des précédentes éditions, elle met l’accent sur l’émergence « d’un droit du procès civil » (expression qui donne désormais son sous-titre à l’ouvrage), envisagé comme une discipline à part entière, qui s’est progressivement émancipée de son statut classique (archaïque ?) de matière auxiliaire, purement technique et formelle, pour accéder au rang d’une science. Celle-ci est présentée, en s’inspirant de la manière dont Descartes concevait la philosophie, sous la forme d’un arbre de la science : un arbre qui prend ses racines dans le terreau du droit processuel conçu comme un « droit commun du procès » (S. Guinchard et al., Droit processuel/Droits fondamentaux du procès, Précis Dalloz, 9e édition, 2017), se développe selon le tronc commun du procès civil contentieux et connaît de multiples adaptations qui constituent autant de branches de l’arbre de la science du droit du procès civil.
Cette métaphore fertile est mise à profit pour permettre au lecteur (qu’il soit étudiant ou praticien) une découverte progressive de cette discipline, au fil des pages : la première partie offre une exploration de l'ensemble du modèle traditionnel du procès, ce tronc commun essentiellement axé sur les trois grandes théories du procès (action, instance, juridiction) et, plus particulièrement, sur les principes directeurs de l'instance. Ces fondations étant posées, la seconde partie s'attache à montrer comment ce modèle est adapté, travaillé au gré des particularités propres aux différents types de conflits.
Cette 33e édition renouvelle, à la lumière des apports du droit comparé et de l’histoire du droit, l’approche antérieurement proposée pour certaines notions fondamentales du procès civil (notamment le principe dispositif, renommé en conséquence principe de la libre disposition, et l’autorité de la chose jugée). Elle s’attache particulièrement à développer la seconde partie de l’ouvrage, consacrée à la diversité vivante du procès civil. Cette seconde partie s’enrichit ainsi d’un nouveau titre qui vise à mettre en lumière les inflexions que connaît le modèle classique du procès civil face aux grandes évolutions contemporaines du règlement des conflits, liées à l’internationalisation des différends et à la montée en puissance des enjeux économiques. Au sein de ce titre, le lecteur trouvera notamment une présentation synthétique et unifiée des règles procédurales spécifiques applicables aux litiges transfrontaliers de l'Union européenne, désormais réunies au sein d'un unique sous-titre et un autre sous-titre entièrement nouveau, qui propose une vue d’ensemble des modes amiables de résolution des différends, auxquels le code de procédure civile consacre, depuis 2012, un cinquième et dernier livre.
Cette édition du Précis de procédure civile demeure ainsi animée par la volonté toujours renouvelée de présenter le droit du procès civil contemporain de manière claire et complète, avec une haute ambition théorique, en prenant en compte le double mouvement qui affecte en profondeur le procès civil contemporain, à savoir une attraction de la procédure par les droits fondamentaux et, conjointement, l’inexorable essor des enjeux économiques et internationaux dans la justice civile contemporaine.
Une page se tourne donc, non seulement celle des 105 ans de l’ouvrage, mais aussi celle des 35 ans de l’entrée du signataire de ces lignes dans un Précis qu’il avait d’abord souhaité ancrer au socle des droits fondamentaux par la référence, pour chacune des parties de l’ouvrage, aux trois termes de notre devise républicaine et qu’il avait ensuite confié à de jeunes mains avec comme seule directive, celle d’une totale liberté de conception et de rédaction. C’est en se renouvelant qu’une œuvre de l’esprit garde sa jeunesse (celle de l’enthousiasme), sa fraîcheur (celle du style), sa profondeur d’analyse et de synthèse (celle du raisonnement) et assure sa pérennité. Je suis heureux, au soir de ma participation à cet ouvrage, de savoir que demain, avec ou sans moi, selon ce que le destin décidera, le Précis de procédure civile poursuivra sa route au gré des évolutions à venir, dans l’esprit qui a toujours été le sien, celui de l’ouverture d’esprit, de débats contradictoires, de respect de la pensée d’autrui, bref de tout ce qui fait l’âme et l’honneur de l’Université et de ceux qui lui consacrent leur vie. Celles qui ont été mes élèves incarnent l’une et l’autre cet état d’esprit et je les remercie d’avoir accepté le redoutable défi de poursuivre, en la renouvelant, une œuvre plus que centenaire.

À Chamonix-Mont-Blanc, le 18 juillet 2016
Serge Guinchard


V – LA PART DE LA DOCTRINE EN PROCÉDURE CIVILE
Publié à la Revue de droit d’Assas – 2011, n° 3, p. 73

Décliner en quelques pages la part de la doctrine en procédure civile relève de la gageure, tant le sujet est vaste. Encore faut-il savoir de quoi on parle.
Quelle doctrine ? Au sens retenu dans cette contribution et pour faire bref, nous entendons par doctrine « la pensée des auteurs qui écrivent[4] » en cette matière. La pensée peut être plus ou moins dense, technique et/ou prospective, mais elle provient de tous ceux qui écrivent, pas seulement les universitaires ; il faut englober dans « les auteurs », les opinions des magistrats (notamment ceux de la Cour de cassation) qu’ils expriment dans leurs rapports ou avis, les notes et commentaires d’arrêts, quelle que soit la qualité du signataire.
La procédure civile, est-il besoin de la définir ici ? Pour faire simple, on y verra « la procédure de la société civile[5] », celle des citoyens dans leurs litiges de droit privé (de droit civil, social, commercial, rural), à l’exclusion du champ pénal, voire militaire, mais aussi du droit administratif.
Quelle part ? On a coutume de présenter la procédure civile comme un droit servant (elle sert le droit substantiel auquel elle se rattache par la nature du contentieux qu’elle régit[6]) et la doctrine comme un droit savant. Comment, dès lors, les deux peuvent-elles se rencontrer ? Tout simplement, parce que la procédure civile, droit du Palais par excellence, a toujours suscité l’intérêt des juristes, qu’ils soient de l’Université, du Palais ou d’ailleurs. C’est donc aussi un droit de Faculté.
Dans une approche volontariste du sujet, cette contribution est l’expression d’une doctrine engagée, je veux dire par là d’une doctrine qui ne cache pas son ambition pour la procédure civile ; un engagement sous le regard du droit processuel fondamental, au prisme des libertés et droits fondamentaux. Je distinguerai trois tiers, trois parts, complémentaires, de la doctrine dans la procédure civile :
– la part, historiquement première, d’une doctrine traditionnellement de pure technique juridique, c’est la doctrine que je qualifie de procédurière, sans que ce mot soit péjoratif, cantonnée sur le seul droit privé, avec parfois quelques (stériles) rapprochements avec les contentieux administratif et pénal ; une doctrine ancrée sur le légalisme procédural, qui est parfois une doctrine d’influence et qui ne compose pas un bloc unique (I) ;
– la part, plus exceptionnelle, de participation à l’élaboration de la norme qui régit la procédure civile : c’est la doctrine « jurislateur », qui associe ses membres les plus éminents (on pense à Gérard Cornu, Jean Foyer et Henri Motulsky) aux travaux de conception et de rédaction des textes, sous la haute autorité de la Chancellerie (II) ;
– enfin, la part, plus contemporaine, d’une doctrine de réflexion et d’impulsion, plus proche des grandes théories du droit public ; une doctrine de vastes synthèses, de rassemblement de concepts épars, d’explication de la procédure civile à la lumière des grands mouvements qui embrasent la société civile d’aujourd’hui et qui se résument en trois mots : mondialisation, modélisation et attraction (à la garantie des droits fondamentaux) ; c’est la part prospective et exponentielle d’une doctrine processualiste humaniste (III).
En d’autres termes, la première et la troisième parts correspondent aux observations du Doyen Visioz sur l’étude de la procédure civile, dès 1927 (cf. infra, II) et à la distinction du Doyen Carbonnier : « dans les premières années du XXe siècle, les procéduriers français travaillaient encore principalement par exégèse du code de procédure civile, cependant qu’en Allemagne et en Italie, les processualistes se livraient à d’importantes recherches théoriques marquées souvent par l’influence du droit public[7] ». Elles encadrent la doctrine qui élabore la norme, mais aucune de ces parts n’exclut les deux autres.


I. La part technique et traditionnelle d’une doctrine procédurière d’influence

Cette part traditionnelle est centrée sur les questions de pure technique juridique procédurale ; il est vrai que la matière ne se prête pas toujours à de grandes envolées lyriques comme en droit civil de la famille par exemple, avec la question de l’homoparentalité. Encore que ce soit par le biais de la notion procédurale « d’intérêt légitime juridiquement protégé », que la Cour de cassation a longtemps refoulé l’action de la concubine en réparation du préjudice causé par la mort de son concubin[8] ; que c’est par la notion de partie à une instance que la question du droit d’appel des candidats à la reprise d’une entreprise en état de « faillite » a été résolue[9] ; et que la technique du pourvoi dans le seul intérêt de la loi a permis à la Cour de cassation de connaître de la question des « mères porteuses », sans avoir à remettre en cause la solution donnée dans l’affaire qui servit de fondement à cette action[10].
L’influence de cette doctrine est encore forte, ce qui prouve son utilité (on en donnera quelques exemples à la fin de cette partie), mais elle a changé de visage : d’une doctrine analytique qui annote le formalisme procédural (A), on va passer à une doctrine qui synthétise mais reste centrée sur ce formalisme (B), puis à une doctrine qui conceptualise et aborde enfin les problèmes de fond de la discipline en dégageant trois grandes théories (C). Avec cette troisième période, la procédure civile est prête à prendre son envol, en quittant le légalisme procédural pour l’humanisme processuel. Le mouvement est linéaire, mais, bien évidemment, les dates indiquées ne correspondent pas à des couperets abrupts ; les transitions s’effectuent progressivement.


A. Une doctrine analytique qui annote le formalisme procédural (1806-1908)

De tout temps, les auteurs ont analysé, commenté, annoté les lois et règlements, les décisions rendues par les juridictions, pas seulement en procédure civile. Mais la manière de le faire a évolué. La période couvre un peu plus d’un siècle de 1806 (promulgation du code de procédure civile) à 1908 (deuxième édition du Précis théorique et pratique de procédure civile de Glasson, qui porte le nom d’Albert Tissier, mais dont la marque de fabrique est encore celle de Glasson (v. infra, B). C’est une doctrine proche de la lettre des textes et de leur commentaire exégétique, attentive aux formes et aux délais dont la procédure civile regorge et qui font le bonheur de nombreux plaideurs.

1) Au lendemain du code de procédure civile de 1806, la doctrine s’est attachée essentiellement à l’étude du formalisme judiciaire ; pour cela, elle s’est livrée au commentaire exégétique de la loi, souvent en suivant l’ordre analytique des articles du code de 1806 (v. J.-B. Sirey, Code de procédure civile annoté), au mieux celui de l’accomplissement des formalités qui rythment un procès. Cette méthode ne s’est pas manifestée seulement dans le domaine de la procédure civile, mais la matière s’y prêtait plus que d’autres, en raison de l’importance du formalisme. Cette doctrine exégétique manque singulièrement d’envergure, de hauteur de vues, de grandes et larges perspectives ; elle se concentre sur des points de détail et en arrive à occulter les réalités économiques et sociales qui se cachent derrière la pure technique juridique. On rattachera à ce courant, par ordre chronologique : Pigeau, La procédure civile des tribunaux de France (1811), « maître à penser » (si l’on peut oser l’expression…) de la doctrine du XIXe siècle, mais qui avait déjà publié en 1787 La procédure civile du Châtelet de Paris ; Berriat-Saint-Prix (professeur à Grenoble), Cours de procédure civile (première édition en 1811) ; Thomines-Desmazures, et son Commentaire sur le code de procédure civile (1832) ; Rauter, dont le Cours de procédure civile (1834) présente la particularité de suivre la méthode du Traité de droit civil d’Aubry et Rau ; Boncenne, Théorie de la procédure civile, deuxième édition en 1837 ; Bonnier, Eléments d’organisation judiciaire et de procédure civile, 1853 ; Boitard, dont les Leçons de procédure civile sont un commentaire littéral du code qui connaîtra le succès avec douze éditions.

2) Plus tard, à partir de la IIIe République, la méthode ne change pas. Ainsi s’exprimait Boitard en 1876 : « déterminer selon la nature de chaque cause, les principes de compétence qui la régissent ; dire comment se forme une demande, comment présenter une défense, comment se rendent, se réforment et se s’exécutent les jugements…, non ce n’est pas là nous condamner à une tâche ingrate et rebutante ; c’est encore parler de droit[11] ».
En 1880-1888, Carré et Chauveau publieront, dans le même esprit, la cinquième édition de leurs Lois de procédure civile et commerciale[12]. Garsonnet, en 1882-1897, publie un Traité théorique et pratique de la procédure[13], qui n’a de traité que le titre. Glasson publie en 1902 la première édition de son Précis théorique et pratique de procédure civile, en deux volumes ; la deuxième édition, publiée en 1908, appartient encore à cette doctrine de l’exégèse, de l’analyse littérale des textes, bien que le nom de Tissier y soit associé (v. infra, B).
Parallèlement, à côté des manuels et autres « traités », la fin du XIXe siècle et le début du XXe verront éclore des monographies doctrinales dont Albert Tissier en 1911 soulignait « l’indigence[14] ». Dans le même temps ou presque, en 1927, Visioz relevait lui aussi que la revue spécialement consacrée à la procédure (Le recueil de procédure civile, commerciale et administrative) « s’est campée sur le pur terrain formaliste et s’est assigné un but rigoureusement pratique. Les rares articles qu’elle insère, sous la rubrique Doctrine et qui d’ordinaire ne se distinguent ni pas leur profondeur, ni par leur originalité, procèdent du même esprit[15] ». Allant plus loin dans la critique acerbe, il n’hésite pas à écrire que « les commentaires resteront toujours, au regard de la science juridique, un produit de qualité inférieure[16] ». Mais déjà apparaît une autre forme de doctrine, plus synthétique. Ce sera l’époque des grands traités, tous postérieurs à la guerre de 1914-1918.


B. Une doctrine synthétique mais qui reste centrée sur le formalisme procédural (1909-1926)

La période s’ouvre en 1909 avec la première édition du Précis de procédure civile et commerciale de Cuche, dont il sera question plus loin et se termine en 1926 à la veille de la publication d’un article au vitriol de Visioz sur l’étude de la procédure civile[17]. Elle marque un progrès par rapport à celle qui la précède, en ce sens que les auteurs s’affranchissent de la méthode exégétique et s’efforcent de dégager des principes généraux, qu’ils exposent de manière synthétique, en regroupant les questions dans l’ordre, non plus des articles du code, mais selon l’enchaînement naturel d’un procès : quelles sont les juridictions qui existent, leur compétence, comment introduit-on une instance, comment se déroule celle-ci, etc. Bref, un effort de rassemblement, de synthèse, mais le gros reproche que l’on peut formuler à son encontre, c’est de rester très attachée au formalisme. Selon Visioz, cette doctrine est « exclusivement ou presque orientée vers le formalisme et c’est à édifier un système des formes qu’aboutit son effort[18] ».

1) Se rattachent à cette période deux grandes écoles, l’une à Toulouse, l’autre à Paris, les deux villes dont Fernand Braudel, dans l’identité de la France, nous dit qu’elles avaient vocation, toutes les deux, à être la capitale de notre pays, en raison du bassin de population au centre duquel elles se trouvent. L’histoire et les rois de France ont choisi Paris.
– l’école de Toulouse, c’est Cézar-Bru, qui publie une troisième édition du Garsonnet, en huit volumes de 1912 à 1925, traité truffé de références historiques et dont la précision de l’information apportée aux lecteurs est l’une des qualités ; deux résumés à l’usage des étudiants seront tirés de cet ouvrage : le Précis de procédure civile des deux auteurs[19] et le Précis élémentaire du seul Cézar-Bru[20].
– L’autre école est à Paris, avec Albert Tissier, professeur à la faculté de droit de la capitale, puis conseiller à la Cour de cassation et qui reprendra en 1908 la deuxième édition du Précis théorique et pratique de procédure civile du doyen Glasson, sous l’intitulé d’un Traité théorique et pratique d’organisation judiciaire, de compétence et de procédure civile, mais dont l’apport ne sera réellement novateur qu’à compter de la troisième édition, publiée à partir de 1925 (tomes 1 et 2) et dont Morel poursuivra l’œuvre jusqu’en 1936 (tomes 3, 4 et 5, au total cinq volumes) ; entre la première et la deuxième édition, aucune différence de plan, de conception de l’ouvrage, de méthode ; c’est dans la troisième édition que Tissier, par ailleurs brillant arrêtiste, imprimera son empreinte.

2) Entre ces deux écoles, pas grand-chose il faut bien l’écrire ; de même que les articles de procédure publiés dans les revues ne sont souvent que d’honnêtes commentaires des arrêts, les précis et autres manuels font peu de place aux théories fondamentales de la procédure civile, sauf pour la théorie de l’action à laquelle les auteurs consacrent quelques pages : Cuche dans son Précis de procédure civile et commerciale[21] et dont l’actuel Précis Dalloz de procédure civile est, dans sa trentième édition, le lointain successeur, cent ans après[22]. Citons toutefois Crémieu, avec son Précis théorique et pratique de procédure civile[23], dont une ultime édition sortira encore en 1956.
Malgré tout le respect que l’on doit à cette doctrine qui s’échappe de l’école de l’exégèse, elle reste une doctrine de transition, en attendant Visioz et Morel.


C. Une doctrine conceptuelle qui développe les trois grandes théories de la procédure civile (1927-2010)

On distinguera deux rénovateurs qui ont marqué l’entre-deux guerres et l’immédiat après guerre, avant de dire quelques mots de la doctrine contemporaine, mais sans citer de noms de vivants (à de rares exceptions près) pour ne vexer personne, de peur d’en oublier !

1) Les rénovateurs : Visioz et Morel

a) C’est Henry Visioz qui ouvre la période contemporaine, en 1927, par son article fondateur, déjà cité, « Observations sur l’étude de la procédure civile[24] ». Savoyard, mais professeur à la faculté de droit de Bordeaux (dont il fut le doyen actif, ce qui prouve que l’on peut être, dans le même temps, un grand chercheur et un grand administrateur), il meurt tragiquement le 31 juillet 1948 après avoir décollé de Fort-de-France où il était allé en mission pour transformer l’école de droit en un Institut d’études juridiques et économiques. C’est lui qui, dans cet article, insiste sur le fait que la procédure civile n’est pas qu’un formalisme, même agrémenté de quelques considérations générales sur la marche de l’instance et l’instruction des affaires : « il y a dans la procédure autre chose que des problèmes de forme ; il existe aussi des problèmes de fond[25] ». Et de souligner que les actes successifs de l’instance sont accomplis « avec l’intention de produire un effet de droit : ce sont des actes juridiques […]. Il faudra se préoccuper, non seulement des conditions de forme, mais aussi des conditions de fond que doivent remplir ces actes[26] ». En s’appuyant sur les doctrines allemande (K. Hellwig, J. Kohler, P. Oertmann, FStein) et italienne (Giuseppe Chiovenda, Carlo Lessona, Lodovico Mortara, Carnelutti), qu’il a lues dans le texte et qu’il décortique pour ses lecteurs, en s’inspirant des théories publicistes, il indique les trois grandes théories qui, à ses yeux, devraient être la base de tout traité ou manuel de procédure civile : celles de l’action, de la juridiction (l’acte juridictionnel) et de l’instance[27]. Et il va reprendre cette trilogie pour étudier chacune de ces théories à la lumière de la doctrine française de droit public, ce qui donnera lieu au second article fondateur de sa pensée, « Les notions fondamentales de la procédure civile et la doctrine française de droit public[28] », qui s’étend sur plus de cent-dix pages. Il faut bien reconnaître que la doctrine actuelle s’inspire encore largement de cette distinction, sans toujours la dépasser (cf. infra III). La puissance de la pensée de Visioz dans ces deux études est phénoménale, notamment dans la première publiée et citée ; tout y est : la critique acerbe des besogneux (cf. p. 49, comment il analyse le plan du précis de Crémieux pour mieux le critiquer, le « démolir » serait plus approprié), la critique plus élégante de ceux qui, comme Cuche ont vu les problèmes, mais ne les ont pas traités (note 1, p. 40 sur la notion d’acte juridictionnel et la distinction des jugements), la critique méprisante de ceux qui n’ont rien vu passer (Garsonnet et Cézar-Bru, note 1, p. 38, à propos de la théorie de la juridiction). Dans le second article, il va, là encore, dénoncer les insuffisances des processualistes français qui ont « négligé » ou « superficiellement » étudié les trois théories qui composent le droit du procès (p. 53 des Études) ; il est le premier par exemple à aborder la notion de partie (p. 157 des Études), dont on a vu que, cinquante-sept ans plus tard, elle faisait l’objet d’approfondissement à l’occasion du droit d’appel ou non des candidats évincés de la reprise d’une entreprise en difficultés (Com. 22 mars 1988, précité).
Cornu et Foyer dans leur précis de Procédure civile regrettent que Visioz n’ait pas eu le temps de donner à la procédure civile le traité scientifique qu’il avait conçu et notent que « le talent de plume le dispute à la pénétration d’esprit[29] ». Pour notre part, on regrettera simplement que, comme tant d’autres, la plume de Visioz, par ailleurs si acerbe, ne soit pas allée jusqu’à critiquer le statut vichyste des juifs, à l’occasion de son commentaire, technique, purement technique, de jugements sur des actions déclaratoires « de la race juive[30] », dont l’expression à elle seule, fait froid dans le dos ; triste illustration de la doctrine grise des années noires de la France. Il est certain que l’éclairage actuel du droit processuel humaniste (sur lequel v. infra, III) ne laisserait pas passer cette froide vision du droit d’accès à un juge.

b) René Morel, Professeur à la faculté de droit de Nancy, puis de Paris et qui avait repris le Glasson et Tissier, à partir du tome 3, publia aussi un Traité élémentaire de procédure civile, qui constitue un grand classique de la matière[31], dont la lecture est toujours instructive pour la permanence et la pertinence de ses analyses et synthèses. Selon Jean Foyer et Gérard Cornu, il « laisse une œuvre achevée, constructive, d’une solidité inégalée. Il a profondément renouvelé l’étude de la procédure civile. Il a la clarté de Pothier et sa sûreté de jugement[32] ». Il ancre la matière dans le droit public, voyant en elle des règles de droit public, avec cette conséquence qu’il ne faut pas laisser aux plaideurs la marche et l’instruction des procès[33], car la justice c’est d’abord un service public. Il insiste sur son « rôle social et économique[34] ». Il propose l’expression « droit judiciaire civil », pour désigner à la fois l’organisation judiciaire, la procédure civile et la théorie des actions en justice[35]. Il ouvre son traité par un numéro consacré à « la fonction juridictionnelle de l’Etat », pour mieux souligner l’ancrage de la procédure dans la théorie des pouvoirs. Trois théories générales rythment le livre : celles de l’action en justice, de l’instance et des actes et délais de procédure. Un maître de la procédure, dont la nouveauté et la modernité annoncent les grandes mutations de la discipline sous l’influence de la doctrine. Il participera à la Commission de réforme du code en 1944-1954 (v. infra).

c) À côté de Visioz et de Morel, les auteurs de leur époque apparaissent insignifiants, des besogneux encore imprégnés d’une conception purement formaliste de la procédure civile : Japiot, professeur à Dijon, avec son Traité élémentaire de procédure civile et commerciale (troisième édition en 1935), Cuche, Crémieu, déjà cités, sont plus proches du XIXe siècle que de Visioz et de Morel.

2) L’ère post-Visioz-Morel

a) Il faudra attendre 1958 (mais la préface reproduite dans l’édition de 1996 est datée d’août 1957, alors qu’elle ne l’était pas dans l’édition originale) et la première édition du manuel de Procédure civile de Gérard Cornu et Jean Foyer, pour que la doctrine moderne de ces deux grands civilistes renouvelle la matière. Comme si le renouveau ne pouvait venir que de ceux qui avaient aussi étudié le droit substantiel (mais Jean Foyer avait consacré sa thèse de doctorat à l’autorité de la chose jugée) et exercé d’importantes responsabilités administratives (Cornu fut doyen de la faculté de droit de Poitiers) ou politiques (Foyer fut notamment Garde des Sceaux du général de Gaulle et président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale), comme si la matière ne trouvait à s’épanouir que chez ceux qui sont capables d’embrasser plusieurs types d’activités à la fois, qui ont connu la vraie vie, celle des autres en les administrant (on pense aussi à Jacques Héron, dont il sera question plus loin et qui fut doyen à Caen). Les problèmes de fond sont systématiquement abordés et les trois grandes théories approfondies. Après la disparition de ces deux grands de la procédure civile, leur manuel reste un ouvrage de référence incontournable, source d’inspiration de beaucoup (pas toujours cité…), jamais égalé.
b) Il faudra attendre trois ans de plus pour que paraisse sous la plume d’Henry Solus, professeur à la faculté de droit de Paris, un véritable traité de Droit judiciaire privé (en collaboration avec Roger Perrot, t. 1 en 1961, t. 2 en 1973 et t. 3 en 1991).
c) Le maître incontesté de la procédure civile restera, au moins pour les deux derniers siècles, Henri Motulsky, dont le nom est attaché, éternellement, à la notion de droit processuel (sur ce point voir la troisième partie), aux principes directeurs du code de procédure civile, au respect du contradictoire, à la notion de cause, à l’arbitrage et, surtout, à l’élaboration du nouveau code de procédure civile (cf. infra, II).
d) Jacques Héron, prématurément disparu, professeur et doyen de la faculté de droit de Caen (il confirme notre observation sur le caractère fructueux du cumul des fonctions administratives, d’enseignement et de recherche), publia très rapidement après son agrégation (major du concours en décembre 1984, l’ouvrage sort en 1991[36]) un ouvrage de Droit judiciaire privé, qui fera date par l’originalité de sa pensée, le plan, la connaissance très fine de la matière. C’est une œuvre personnelle très forte, que nous avons déjà eu l’occasion de présenter[37]. Nous avons eu l’honneur de « l’agréger » et nous pouvons dire qu’il domina tous les autres : il survola le concours.
e) Pour s’en tenir aux vivants, on ne citera personne, sauf Jacques Normand, « le meilleur d’entre nous », le maître de la note d’arrêt à la revue trimestrielle de droit civil, l’élégance de la plume et de la courtoisie envers ses collègues, le souci de les citer dans leurs œuvres doctrinales, sans flagornerie ni omission (laquelle est un véritable péché contre l’esprit de l’université, lorsqu’elle conduit certains à occulter des pans entiers de la doctrine contemporaine ou à ne se positionner qu’en s’opposant, sans se poser vraiment), la précision de ses citations, la profondeur de sa pensée, bref, la perfection d’une doctrine qui apporte chaque fois qu’elle prend la plume et qui ne se contente pas d’annoter bêtement le formalisme procédural.

3) Pour terminer ce panorama d’une doctrine procédurière d’influence, on indiquera qu’aujourd’hui elle se manifeste dans de multiples genres et que sa qualité n’a plus rien à voir avec l’indigence relevée par Tissier et Visioz pour les auteurs du XIXe siècle et du début du XXe : les encyclopédies, les précis et manuels (pas moins de dix-sept au 1er octobre 2010[38]), les traités pratiques (avec les deux Dalloz action de procédure civile et de voies d’exécution, sous notre direction), les traditionnelles notes d’arrêts, les observations et autres sommaires annotés ou commentés ; les articles dans les revues, les contributions à des mélanges offerts à des professeurs ou à des magistrats, voire à des avocats ; les thèses et monographies diverses ; les rapports des conseillers à la Cour de cassation sur des arrêts et avis des avocats généraux.

Quelle influence réelle ? Il est difficile de la mesurer. Qui dira en quoi elle inspire les hauts magistrats qui la lisent et qui ensuite rédigent les arrêts ? À la différence de la L.O.L.F. (loi organique sur les lois de finances), la doctrine n’a pas d’indicateurs de son impact. Un exemple récent permet pourtant de mesurer l’influence de la doctrine sur la jurisprudence de la Cour de cassation. La question s’était posée de savoir, en matière de cautionnement, laquelle des deux voies procédurales de la défense au fond ou de la demande reconventionnelle, doit emprunter la caution qui demande à être déchargée de son obligation. Dans la rigueur des principes, si le défendeur, en se défendant, présente une « demande » qui, si elle acceptée, n’ajoute rien au rejet de la prétention adversaire, il y a défense au fond ; le seul débouté du demandeur est le signe manifeste qu’il y a défense au fond, quelle que soit par ailleurs, la manière dont le défendeur présente sa défense. Pour qu’il y ait demande reconventionnelle, il faut que la demande présentée ajoute un « avantage » au simple rejet de la demande initiale. Quatre mois après la publication d’un article volontairement provocateur du signataire de ces lignes[39], la chambre commerciale opérait un revirement et distinguait deux cas : si la caution demandait seulement à être déchargée de son obligation sans prétendre obtenir un avantage autre que le simple rejet, total ou partiel, de la prétention de son adversaire, elle pouvait procéder par voie de défense au fond ; si elle demandait à être déchargée indirectement en sollicitant des dommages-intérêts, puis la compensation entre le montant de sa dette et celui de ces dommages-intérêts, elle devait agir par voie de demande reconventionnelle[40]. Selon la jolie formule de Philippe Simler, « jamais doctrine n’avait été suivie si rapidement d’autant d’effet[41] ».
Au-delà de cet exemple, la meilleure façon de mesurer l’influence de la doctrine est de regarder du côté de ceux qui ont eu la chance de participer à l’œuvre normative. Ils sont peu nombreux et ils forment en ce sens une doctrine d’exception.


ii. La part normative et exceptionnelle d’une doctrine « jurislateur »

Cette doctrine qui participe à l’élaboration de la norme procédurale, le plus souvent d’origine réglementaire est exceptionnelle dans les deux sens du terme : les occasions sont rares et la participation est toujours de haute qualité, venant de la doctrine la plus éminente. On en trouve un précédent dans l’élaboration du code de 1806 (A), surtout dans celui de 1976 (B) et, enfin, dans les réformes récentes de procédure civile (C).


A. La part marginale de la doctrine procédurière dans l’élaboration du code de 1806

Alors que dès les 16 et 24 août 1790, un décret avait affirmé que « le code de la procédure civile sera incessamment réformé de manière à ce qu’elle soit rendue plus simple, plus expéditive et moins coûteuse », une commission est nommée par le Consulat le 3 germinal de l’an X pour préparer un projet de procédure civile. Sur six membres, on compte un seul professeur de droit à Paris, Pigeau, ancien avocat au Châtelet, mais il donna son nom à ce code d’un autre âge[42] ; les cinq autres sont quatre magistrats et un greffier. Le projet, publié en l’an XII, sera soumis à la Cour de cassation (qui remplit l’office de la doctrine en faisant des observations remarquables) et aux cours d’appel, avant d’être discuté par le Conseil d’État et le Tribunat (an XIII, mars 1806). L’exposé des motifs du code, publié en six lois du 14 avril au 9 mai 1806, fut rédigé par le haut magistrat Treilhard, président du tribunal d’appel de Paris, ancien avocat au Parlement et ancien membre de la Constituante.
Malgré l’affirmation de ses rédacteurs qu’ils avaient « voulu rendre à l’institution, la procédure civile, toute sa pureté », en supprimant « toute vaine formalité », l’avis général est plutôt que c’était essentiellement un code de formalités, s’intéressant presque exclusivement au déroulement du procès dont le plan traduisait bien l’esprit du moment : décrire les formalités du procès, sans se préoccuper des questions de fond. Bref, un code à l’image de la doctrine procédurière dominante au XIXe siècle qui, on l’a vu, annote le formalisme procédural, sans développer de grandes théories sur l’action en justice, la fonction juridictionnelle ou l’instance. Même le pourvoi en cassation qui avait fait l’objet d’un règlement du chancelier d’Aguesseau en 1738, était à peine cité. Les parties étaient libres de ne rien faire dans la progression de l’instance, sans que le juge n’y pût rien[43]. On peut d’ailleurs se demander si Napoléon n’a pas volontairement voulu stabiliser la procédure civile pour ne pas perturber l’application des nouvelles règles de fond.
Est-ce dû à la faible, très faible participation de la doctrine à son élaboration ? Toujours est-il que la doctrine ne l’accueillit pas avec bienveillance, d’autant plus que la commission des rédacteurs avaient donné des verges pour se faire fouetter en écrivant dans ses « observations » : « nous avons beaucoup conservé », entendez par là de l’ordonnance de 1667 (le fameux code « Louis », sous-entendez Louis XIV) ! Bref, un code de praticiens sans envergure, comme le code de commerce fut un code de boutiquiers. Garsonnet et Cézar-Bru le qualifièrent de « copie trop servile » et Glasson et Tissier de « déjà vieux en naissant ».
Malgré ses défauts, ce code est resté en vigueur pendant plus d’un siècle, sans être sérieusement retouché et a influencé la législation de plusieurs États[44], à commencer par ceux qui étaient alors sous la domination napoléonienne[45]. Il est aujourd’hui entièrement abrogé (loi n° 2007-1787, 20 déc. 2007, art. 26-II). Seules avaient été rajeunies, en 1841 et en 1858, les procédures d’ordre et de saisie des immeubles[46]. De nombreuses commissions furent réunies à partir de 1868, aboutissant notamment à un projet de code en 1954. Dans la commission instituée à cet effet par arrêté du Garde des sceaux du 17 novembre 1944, un seul universitaire, René Morel, est présent sur neuf membres (Edgar Faure, avocat, n’est pas encore agrégé d’histoire du droit). Tout autre sera le Nouveau code de procédure civile de 1976.


B. La part éminente de la doctrine conceptuelle dans le code de procédure civile de 1976

La part la plus belle que la doctrine ait jamais prise dans l’élaboration d’un code est celle qui est due au travail qui a réuni à la Chancellerie, à partir de 1969, trois grands universitaires ; par ordre alphabétique, tant leurs mérites furent grands : Gérard Cornu, Jean Foyer et Henri Motulsky (décédé en décembre 1971, mais dont l’ombre portée plane sur les principes directeurs du procès civil). À leur côté, il ne faut pas les oublier, d’éminents magistrats : PFrancon, président de chambre honoraire à la Cour de cassation, directeur-adjoint des affaires civiles, C. Parodi, premier président de la Cour d’appel d’Amiens et Jean Buffet, alors en poste à la Chancellerie. La Commission de réforme du Code de procédure civile présidée par notre collègue M. le Ministre Jean Foyer a travaillé sans relâche jusqu’à sa dissolution, en 1980. Ses propositions ont inspiré quatre décrets : n° 71-740 du 9 septembre 1971, n° 72-684 du 20 juillet 1972, n° 72-788 du 28 août 1972, n° 73-1122 du 17 décembre 1973. C’est leur contenu qui a pris place, avec quelques variantes, dans le nouveau Code de procédure civile entré en vigueur le 1er janvier 1976, par l’effet d’un décret de codification (qui rassemble l’ensemble des quatre décrets) le 5 décembre 1975 (n° 75-1123).
Disons-le tout net : le NCPC est l’exemple d’une codification réussie avec une unité de pensée et de plume, celle du Doyen G. Cornu, qui a beaucoup contribué à faire passer un souffle nouveau sur la procédure civile[47], à forger une « force doctrinale[48] », au service de la pratique et de ses problèmes quotidiens. Voici ce qu’écrivait en 1997, Jean Foyer : « ce code a été ou presque intégralement rédigé par la plume du Doyen G. Cornu si bien qu’on pourrait l’appeler, en toute justice, le Code Cornu[49] ». C’est le plus bel hommage que l’on puisse rendre à la doctrine.
Les principes directeurs qui forment le premier chapitre du code de 1976 (articles 1 à 24) en expriment la quintessence. S’il est vrai que cette idée de formuler des principes directeurs ne revient pas, selon la source la plus autorisée, à Henri Motulsky, mais à MM. Jean Foyer et G. Cornu qui, dans leur manuel de 1958 avaient déjà utilisé cette terminologie et dont la dénomination figure chez Vizioz[50], il n’en demeure pas moins que les travaux antérieurs de Motulsky sur le rôle respectif du juge et des parties dans l’allégation des faits, sur les droits de la défense, sur la délimitation de la chose jugée, sur la notion de cause (au sens des faits sur lesquels la prétention est fondée) les avaient largement inspirés, comme d’ailleurs les Romanistes médiévaux[51]. La rédaction de ces principes « révèle la plume du doyen Cornu » et la « pars nova », celle qui ne vient pas de ces Romanistes médiévaux, est celle de Motulsky[52].


C. La part significative de la doctrine contemporaine postérieurement au code de 1976

Magistrats et universitaires se sont relayés depuis les années 1980 pour inspirer des réformes de procédure civile et, dans un sens plus large, de la justice civile. Dérogeant à notre règle de ne pas citer d’auteurs vivants, nous ne pouvons faire autrement que de citer ceux qui, à des titres divers, ont impulsé ces réformes et dont les noms scandent les réformes des années 1990-2010. Le point commun qui les réunit est que cette doctrine qui a réussi à faire passer ses idées, n’a réussi précisément que parce qu’elle n’a jamais travaillé seule, isolée, dans le secret d’un cabinet de travail, fut-il installé à la Chancellerie ; tous ceux qui ont présidé aux destinées des ces groupes de travail et autres commissions, l’ont fait avec le souci d’abord de s’entourer de personnalités compétentes mais de sensibilités diverses, ensuite d’auditionner des personnes de tous horizons, sans sectarisme, ni exclusive, à la différence de ceux qui, de près ou de loin, ont parfois profité d’une amitié partisane pour essayer d’influer sur certaines réformes (on pense aux réformes avortées des tribunaux de commerce, de la procédure prud’homale, de l’exécution provisoire). Les présidents de ces commissions ont su, par leur sens de l’humain, leur capacité de grande et patiente écoute, leur qualité à « manager » des commissions pouvant comprendre cinquante personnes, bien plus que par leur unique compétence technique, cristalliser autour d’eux un agrégat de personnalités aussi riches que diverses, pour élaborer un consensus mûrement réfléchi. Ils ont donné une belle leçon d’efficacité, mais aussi d’humilité : on ne réussit dans ce type de fonctions que parce qu’on n’exclut pas, parce qu’on écoute l’Autre, dans toutes ses différences et sensibilités. Est-ce parce que tous ou presque ont exercé par ailleurs et souvent cumulativement d’importantes responsabilités administratives ? Peut-être, on l’a déjà relevé pour l’influence de Visioz, Cornu et Foyer, mais cela n’explique pas tout. Je crois que cela correspond surtout à leur conception de l’université, faite d’universel et à leur vécu qui va de la composition des jurys de thèse qu’ils dirigent (sans jamais pratiquer l’exclusion de ceux qui ne pensent pas comme eux) à l’invitation à participer à des colloques qu’ils organisent sans exclusive. Bref, leur réussite à impulser des réformes n’est que le reflet de leur personnalité et leur personnalité est le gage de réformes acceptées et durables. On ne grave bien dans les tables de la loi ou du règlement que ce qui est le fruit d’une pensée enrichie de l’apport des autres. La doctrine « jurislateur » n’est pas un juge : elle n’a pas à trancher autoritairement entre deux thèses ; elle doit décider dans le sens de l’intérêt général, lequel se construit pas à pas, peu à peu, au fil des auditions et des échanges.
Le rôle de cette doctrine « jurislateur » s’illustre tant en procédure civile proprement dite (1) que dans l’organisation judiciaire (2) et les voies d’exécution (3).

1) L’impulsion doctrinale des réformes récentes de procédure civile

a) Le rapport Coulon et le décret du 28 décembre 1998
Après les très nombreux décrets qui l’ont complété ou modifié, le [nouveau] Code aurait dû faire l’objet d’un très important réaménagement (pour ne pas dire réécriture) suite à la mission confiée par le garde des Sceaux, en 1995, à M. Jean-Marie Coulon, alors président du TGI de Nanterre. Le rapport, très complet et qui traduisait une très bonne perception de la justice civile à la fin du XXsiècle, remis au Ministre en janvier 1997[53] contenait trente-six propositions dont certaines bouleversaient la structure, les fondements du [N]CPC. Finalement – et plus modestement – le projet de décret préparé par la Chancellerie à la suite de ce rapport et soumis à la consultation des professionnels concernés[54] fut ramené à la promulgation d’un décret de procédure civile le 28 décembre 1998 (n° 98-1231)[55] et d’un autre limité à la procédure suivie devant la Cour de cassation (pour en rendre plus difficile l’accès) le 26 février 1999 (n° 99-131)[56].

b) Les conclusions de la Commission Bolard/Guinchard et les décrets des 20 août et 23 décembre 2004
Une autre commission de réforme, installée le 28 novembre 2002, sous la présidence des professeurs Bolard (Dijon) et Guinchard (Paris II) devait conduire aux décrets n° 836 du 20 août et n° 1420 du 23 décembre 2004 et, pour partie seulement, à celui n° 1678 du 28 décembre 2005. Parallèlement, un groupe de travail réuni sous la présidence de Serge Guinchard, préparait les textes sur la formation des juges de proximité et de ceux des tribunaux de commerce qui ont conduit à donner à ces deux catégories de juges non professionnels, une formation minimale nécessaire à l’exercice de leurs fonctions.

c) Les conclusions des commissions Magendie 1 et 2 et les décrets des 28 décembre 2005 et 9 décembre 2009
La justice française a certes su évoluer pour répondre à la nécessité de respecter les garanties du procès équitable, mais elle se trouve confrontée à une autre pression, une autre logique, celle du « new public mangement », qui met l’accent sur le rendement, le productivisme et l’efficacité de l’exercice de la fonction juridictionnelle. Les travaux de ces deux commissions en sont l’exacte traduction.
Ainsi, le décret précité du 28 décembre 2005 a subi l’influence des travaux du groupe de travail « qualité et célérité de la justice » (Magendie 1) réuni sous l’autorité de M. Magendie, premier président de la Cour d’appel de Paris[57].
Le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 qui réforme (au 1er janvier 2011) la procédure d’appel, traduit la même obsession de « management » de la justice[58]. Il traduit, pour partie, les conclusions de la commission dite Magendie 2 sur la célérité et la qualité de la justice en appel.

2) L’impulsion des travaux de la commission Guinchard sur la réorganisation des contentieux

Instituée en décembre 2008 par la Ministre de la Justice pour proposer des réformes d’organisation judiciaire et d’éventuelles déjudiciarisations (avec notamment la question du transfert aux notaires du divorce par consentement mutuel), la Commission Guinchard (du nom de son président, signataire de ces lignes) a remis ses conclusions le 3 juin 2008 sous la forme d’un rapport, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, qui contient soixante-cinq propositions de réforme (justices civile et pénale)[59]. Composée de magistrats et de représentants des professions judiciaires, elle comprenait quatre universitaires : outre son Président, professeur (émérite) à Paris II, Natalie Fricero (Nice), Frédérique Ferrand (Lyon 3) et Xavier Lagarde (Nanterre). Vingt-six de ses cinquante propositions civiles ont déjà reçu une traduction complète dans quinze textes divers (lois et décrets). Un texte très substantiel a été déposé à l’Assemblée nationale le 3 mars 2010, par le Gouvernement et reprend notamment les propositions concernant le divorce par consentement mutuel, la suppression des juridictions de proximité (avec le maintien des juges de proximité) et maintes suggestions de compétence et de procédure pénale.

3) L’aboutissement des travaux des groupes de travail Perrot et Guinchard dans les réformes des procédures d’exécution

La doctrine contemporaine a pris une part prépondérante dans la réforme des procédures d’exécution : d’abord par le groupe de travail réuni autour du professeur Perrot (Paris II) pour réfléchir à la réforme des voies d’exécution mobilières et dont les conclusions se retrouvent dans la loi du 9 juillet 1991 (n° 91-650). Ensuite, par le groupe de travail réuni à la Chancellerie de juin 1996 à juin 1997, autour de Serge Guinchard (alors professeur à Paris II) pour concevoir une réforme de la procédure de saisie immobilière, projet qui devait devenir, dix ans plus tard, l’ordonnance du 21 avril 2006 (n° 2006-461).


III. La part exponentielle et prospective d’une doctrine processualiste humaniste

Progressivement, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, mais le mouvement s’est accéléré avec la publication du précis Dalloz de droit processuel en 2001[60], la procédure civile a changé de visage. Elle n’est plus le droit des procéduriers qui réfléchissent à leur discipline en scrutant leurs aspects de pure technique procédurale, voire en étudiant les trois théories de l’action, de la juridiction et de l’instance, mais le droit de ceux qui s’intéressent aux sources communes d’inspiration de tous les contentieux, à leurs fondements, aux principes de droit naturel qui s’imposent dans la conduite de tous les procès. En effet, le droit processuel d’aujourd’hui dépasse la simple comparaison des contentieux administratif, civil et pénal et se trouve irrigué par des standards communs à tous les procès, nationaux ou internationaux, peu important qu’ils relèvent de la matière civile ou de la matière pénale, standards provenant de sources internationales, pour l’essentiel européennes, mais aussi de sources constitutionnelles. Le droit processuel étant devenu le droit commun du procès, de tous les procès, la procédure civile n’a pas échappé à ce mouvement et a bénéficié de cet apport, de ce renouvellement de la pensée processualiste, en provenance notamment de la jurisprudence de la Cour EDH.
De cette évolution, la doctrine qui l’épouse et la crée tire sa force et sa légitimité qui s’imposent progressivement parce qu’elles s’enracinent dans la protection des droits et libertés fondamentaux. Cette doctrine, que nous qualifions de « processualiste humaniste », prend une part croissante dans la construction, au quotidien, de la garantie des droits (A). Elle contribue à faire émerger des principes structurants (B) qui dessinent les contours de la démocratie procédurale de demain (C).
Cette doctrine est exponentielle, car, avec le développement du concept de procès équitable, elle ne connaît pratiquement pas de limites. Elle est prospective, car elle fonde une vision futuriste de la démocratie procédurale.


A. La part de la doctrine processualiste humaniste dans la construction de la garantie des droits

1) Par doctrine humaniste processuelle, nous n’entendons pas la doctrine processualiste classique qui voyait dans le droit processuel une « œuvre doctrinale [qui] s’élève à un degré supérieur de généralité par la comparaison des divers types de procès[61] », celle sur laquelle plane l’ombre majestueuse et l’empreinte magistrale d’Henri Motulsky, ce maître incontesté du droit du procès, jamais égalé, jamais remplacé. Cette vision n’est pas périmée, mais dépassée, car en plus de quatre-vingts ans (de Visioz en 1927, à aujourd’hui), elle n’a conduit à rien, si ce n’est à disserter au mieux sur le droit d’action comparé du ministère public et des groupements en contentieux administratif, civil et pénal, au pire à se demander pourquoi les délais n’étaient pas les mêmes pour agir dans chacun de ces trois contentieux. Surtout, elle ne conduit pas à s’interroger sur les fondements de la procédure civile eu égard aux besoins ressentis par les citoyens dans toutes les formes de démocratie moderne (besoins d’écoute, de confiance et de proximité) et aux légitimes aspirations des justiciables (aspirations au dialogue, à la loyauté du débat judiciaire et à la célérité de la justice). C’est en ce sens que la seule comparaison des trois grands contentieux est dépassée, « ringardisée » : que peut-elle apporter aux justiciables qui aspirent à l’effectivité de leurs droits et non pas à une construction intellectuelle, aussi réussie soit-elle, d’une théorie générale du procès ? Loin de nous l’idée de renier l’apport de cette réflexion à la doctrine juridique ; mais force est de constater qu’elle n’apporte rien au droit de la procédure civile, au sens du droit des justiciables à voir le législateur et les juridictions assurer l’effectivité de leurs droits, par des mesures concrètes et pas seulement par de belles envolées lyriques sur les trois grandes théories de l’action, de la juridiction et de l’instance.

2) C’est ce volet « protection des droits fondamentaux » qui a aujourd’hui considérablement transformé la technique procédurale civile. Progressivement, tout un droit commun du procès se construit sous nos yeux, par l’impulsion que donnent à tous les contentieux, au-delà de leurs divergences congénitales, les sources supra-législatives de ce droit. Le droit processuel, en tant que droit commun du procès équitable est devenu le droit qui garantit la garantie des libertés et droits fondamentaux. On assiste actuellement, sous l’influence conjuguée des normes supra-nationales, mais aussi des auteurs tant français qu’étrangers qui s’intéressent à ce mouvement d’internationalisation et de constitutionnalisation des procédures et qui le conceptualisent, à la création progressive, mais inéluctable, d’une science de la procédure, d’un nouveau droit processuel envisagé comme un droit commun à tous les types de contentieux.

a) L’apport de la doctrine contemporaine est essentiel dans cette reconstruction du droit processuel ; elle va soutenir ce mouvement, parfois le précéder, par ses enseignements et ses écrits, en dégageant trois aspects du droit à un procès équitable, quel que soit le type de contentieux, donc y compris celui qui est régi par la procédure civile :
le droit à un juge (et l’effectivité de ce droit par la levée de tous les obstacles d’ordre financier et juridique) ;
le droit à un bon juge, par des garanties d’ordre institutionnel (unité ou dualisme des juridictions ; unité ou collégialité des juridictions ; indépendance et impartialité du juge ; laïcité des juridictions ; une langue comprise des justiciables) et d’ordre procédural, avec une procédure publique, rapide et équitable, au sens de l’exigence d’un jugement motivé, du respect des principes d’égalité des armes et de principe de la contradiction ;
le droit à l’exécution de la décision du juge.
C’est le fameux triptyque que la Cour européenne des droits de l’homme a progressivement dégagé de l’article 6, § 1 de la Convention du même nom et dont les deux arrêts phares sont Golder contre Royaume-Uni et Hornsby contre Grèce. Il n’a plus grand-chose à voir avec la conception classique du droit processuel.

b) Il serait erroné de croire que ce droit processuel humaniste ne concerne pas la procédure civile. Les arrêts de la Cour EDH ont démontré le contraire : qui eût cru que des articles du code de procédure civile allaient donner lieu à des arrêts de condamnation de la France sur le fondement du droit à un procès équitable ? On pense notamment aux articles 619 sur les moyens nouveaux[62], 979[63], 1009-1[64], du code de procédure civile, au principe d’être jugé dans un délai raisonnable avec l’examen, sur ce terrain, de l’usage que fait le juge de la mise en état des pouvoirs que le code lui confère[65].


B. La part de la doctrine processualiste humaniste dans l’émergence de nouveaux principes structurants

Si, en partant des grandes évolutions de notre société, des attentes nouvelles des justiciables, on recherche un dénominateur commun à tous les contentieux, dans une perspective prospective, quels sont les principes directeurs susceptibles de se dégager en ce début de siècle ? Avec le risque d’en oublier ou, plus exactement de minimiser certaines évolutions, nous avons avancé l’idée, dès 1999, que trois principes structurants se profilent derrière les principes directeurs actuellement retenus dans chaque type de contentieux, principes qui correspondent à des besoins nouveaux, tels que les expriment les justiciables et les citoyens :
un besoin de confiance dans l’institution justice et de respect de l’Autre, d’où un principe (structurant) de loyauté, notamment dans la recherche de la preuve ;
un besoin d’écoute de l’Autre, qu’il s’agisse des parties ou du juge, voire de tiers, d’où un principe (structurant) de dialogue entre les parties et entre celles-ci et le juge ;
un besoin de proximité enfin, mais pas forcément dans l’espace, le temps mis à parcourir une distance se substituant à la proximité géographique, d’où un principe, lui aussi structurant, de célérité.
Le lecteur intéressé par ces nouveaux principes et cette doctrine qui les porte en trouvera un exposé détaillé dans le précis Dalloz de droit processuel déjà cité[66].
Ce sont les principes directeurs de demain, des principes émergents, ce qui signifie qu’ils ne sont pas encore acceptés par tous. Ils structurent l’ensemble des contentieux[67] et il faut les « inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de justice[68] ». Ils traduisent l’avènement d’une démocratie procédurale[69].
C. La part de la doctrine processualiste humaniste dans l’avènement d’une démocratie procédurale

Avec l’émergence de ces trois principes structurants, nous croyons pouvoir discerner la confirmation de l’opinion que nous avions émise dès 1999[70] : nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de pure technique procédurale, non point parce que celles-ci seraient devenues inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la mondialisation (qui induit une attraction de la procédure civile à la garantie des droits fondamentaux) et à la lumière d’une modélisation du droit du procès. De simple technique d’organisation du procès civil (comme la société est une technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres, ainsi que nous l’avions souligné dans le Précis de Procédure civile, dès 1991[71]), la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la démocratie dans notre pays[72], mesure que la Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[73]. Sous ce regard, les juristes d’aujourd’hui, en tout cas ceux qui s’intéressent à la garantie des droits fondamentaux ne commenteraient certainement pas de la même façon des jugements tels que ceux commentés par Visioz sur les actions déclaratoires visant des juifs (cf. supra, I, B). Ce qui vaut pour le champ du procès, vaut aussi, à un moindre degré, pour le champ du service public de la Justice, tant il est vrai que, dans ce cas, les résistances régaliennes sont plus fortes.
La procédure civile réintègre ainsi pleinement le champ du service public de la justice et la doctrine ne peut ignorer ce phénomène. On est loin de l’annotation du formalisme procédural. La doctrine participe désormais à l’avènement de la garantie des droits, à l’instauration d’une démocratie procédurale.


VI -visioz, un rÉnovateur en quÊte du droit processuel
 Préface à la réédition en 2011 aux éditions Dalloz
des « Études de procédure » publiées en l’honneur d’Henry Visioz en 1956


C’est une heureuse initiative prise par les éditions Dalloz que de rééditer les Etudes de procédure[74] qui avaient été publiées en 1956 aux éditions Bière à la mémoire d’Henry Visioz, tragiquement disparu en mer, à l’âge de 62 ans, le 31 juillet 1948, dans l’accident du Latécoère 631, au large des Antilles où il s’était rendu en mission pour transformer l’école de droit en un Institut d’études juridiques et économiques. C’est l’occasion de revenir sur l’œuvre de cet universitaire pleinement engagé dans la vie de sa Faculté, à Bordeaux, dont il fut le doyen dès 1934.
Savoyard, Visioz suivit les deux premières années de la licence en droit à Grenoble, mais partit à Bordeaux terminer ses études de licence (en trois ans) et soutenir deux thèses, la première en 1912 sur la Notion de quasi-contrat, la seconde sur Le fideicommis en Prusse en 1914, institution qu’il avait étudiée sur place. Il devra attendre la fin de la première guerre mondiale pour reprendre la préparation du concours d’agrégation, qu’il réussit en 1920. Cette guerre, il la passa d’abord au front, à Charleroi, sur la Marne et sur l’Yser, avant d’être fait prisonnier, années de captivité qu’il occupa à étudier la théologie (il avait créé à Bordeaux l’Association catholique des étudiants, le Secrétariat social et le Cercle Léon XIII) et à instruire ses camarades. Le lecteur intéressé par sa carrière et sa personnalité lira avec profit l’hommage (reproduit en tête de l’ouvrage), que lui a rendu son collègue Laborde-Lacoste, le 7 février 1950, à la Faculté de droit de Bordeaux.
Les Etudes de procédure se présentent sous la forme d’un ouvrage en deux parties dans l’objectif de mettre en évidence la pensée de Visioz, à partir de ses propres écrits. L’hommage n’est donc pas celui de ses disciples ou collègues à un Maître, qui écrivent en son honneur, comme on le fait aujourd’hui dans des Mélanges, mais d’une Faculté et d’une profession qui entendent que sa pensée exprimée essentiellement dans des articles de fond qu’il affectionnait particulièrement et dans ses commentaires d’arrêts, soit présentée comme il n’aurait pas manqué de le faire si son projet de rédiger un Traité de procédure aux éditions Dalloz avait abouti comme il en avait l’intention. Les Etudes de procédure comprennent donc deux parties, l’une, générale, qui rassemble quatre contributions d’intérêt inégal ; l’autre, spéciale, qui réunit, pour l’essentiel, ses observations à la Revue trimestrielle de droit civil, des articles et des préfaces, le tout selon le plan de son cours, ce qui en accroît l’intérêt. On relèvera que certains des articles ou notes d’arrêt publiés dans cette seconde partie, l’ont été au recueil Penant sur des sujets intéressant l’Indochine ou Madagascar (notamment son dernier commentaire d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 mars 1948, publié post-mortem), ou dans le Bulletin de l’Ecole française du Caire en 1934, ce qui confirme l’intérêt que Visioz portait à l’influence de la France hors de ses frontières et à la France d’Outre-mer, intérêt qui l’a porté a accepté cette mission fatale en Martinique.
Les écrits réunis dans ces deux parties révèlent :
- une quête inlassable mais inachevée d’un droit processuel qui donne de Visioz l’image d’un homme de convictions (III) ;
- la vision d’un droit processuel dont les bases conceptuelles sont construites (sur deux piliers) par un homme d’ouverture (II),
- le tout à partir d’une véritable entreprise de démolition de la doctrine du XIXème siècle et du début du XXème siècle, au service de la forte ambition qu’il forme pour la discipline qu’il affectionne (I).

I – Une entreprise de démolition : un homme de forte ambition pour la procédure civile
a) La base de la pensée de Visioz en matière de procédure civile est incontestablement son article fondateur publié en 1927 (moins de 10 ans après son retour de captivité et alors qu’il a déjà enseigné à Lausanne, sept ans après son succès au concours d’agrégation des facultés de droit) à la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, « Observations sur l’étude de la procédure civile », que le lecteur trouvera en ouverture de cet ouvrage. En cinquante pages, Visioz dénonce une doctrine trop attachée au formalisme, trop exégétique, sans aucun esprit scientifique. Entendons-nous bien, ce n’est pas la discipline que Visioz réfute, mais la doctrine qui n’a pas su l’aborder de manière scientifique, comme cela fut fait dans les autres disciplines juridiques. Les critiques en apparaissent d’autant plus vives.
1) Certes, Visioz prend quelques précautions liminaires en écrivant (p. 6), à propos de la conception (qu’il abjecte) de la procédure envisagée « comme une initiation à l’art de conduire un procès ..., à acquérir la connaissance des textes qui régissent la matière, du sens exact des formules et de leur emploi judicieux, à se familiariser avec la rédaction des actes et le calcul des délais, à apprendre les tours de mains et les usages du Palais » : « il faut dire à l’honneur de la doctrine française du XIXème siècle qu’elle n’a jamais admis cette conception empirique ». Mais c’est pour aussitôt, dans la phrase qui suit, relever qu’il est arrivé aux auteurs de cette même doctrine « qui ont entendu élever la procédure au rang de science[75] …, de n’avoir pas su s’affranchir de ce legs du passé et, dans l’exécution, de trahir leur dessein ». En d’autres termes, le dessein était noble, mais ils l’ont trahi, sans doute – la suite le démontre – parce qu’ils n’ont pas su adopter une méthode autre qu’exégétique ; en quelque sorte, une insuffisance par défaut de compétence scientifique. Cruel constat.
2) La suite de l’entreprise de démolition se développe autours de deux autres conceptions de la procédure civile que Visioz dénonce : « d’après une première conception, la tâche essentielle reste le commentaire détaillé de la loi », selon une méthode « résolument analytique », qui suit « pas à pas le plan tracé par le législateur lui-même, de manière à suivre fidèlement sa pensée ». Et comme les lois de procédure sont essentiellement des lois de forme, qui régissent la succession des actes accomplis au cours d’une instance, « l’étude de la procédure se ramènera donc à l’étude du formalisme judiciaire ». Boitard en aurait été, à la fin du XIXème siècle, le représentant[76]. Certes, Visioz concède volontiers que cette méthode exégétique était « inévitable » à la suite de « toute œuvre législative » et qu’elle « répond à un besoin », au demeurant répandu dans les autres branches du droit, mais c’est pour mieux souligner, dans le même paragraphe (p. 8) « qu’elle offre des perspectives très limitées et aboutit assez vite à concentrer tout l’effort des interprètes sur des points de détail, à épuiser leur vigueur dans des controverses stériles » ; « appliquée à la procédure civile, elle enferme la doctrine dans le cercle étroit du pur formalisme, dont elle finit par donner le goût, sinon la superstition »[77] ! Cette conception ne peut donc avoir « qu’une valeur provisoire » et ces « commentaires resteront toujours, au regard de la science juridique, un produit de qualité inférieure ». Le coup est rude.
Cette critique est d’autant plus sévère que Visioz a connu à Bordeaux celui auquel il a succédé dans la chaire de procédure civile, Le Coq de Kerland, dont Laborde-Lacoste dans son hommage à Visioz nous dit qu’il était « un maître bien connu et aimé à Bordeaux », mais aussi que pour ce maître « qui a laissé à des générations d’étudiants le plus doux et le plus reconnaissant souvenir », la procédure civile « c’était avant tout le code de procédure civile, c'est-à-dire les formes et les délais de l’instance civile, sans considération des questions de fond », même si ce maître faisait[78] de la méthode exégétique « l’essentiel de son procédé d’enseignement ». Le rapprochement de ces propos tenus en février 1950 et de la critique de Visioz écrite en 1927, souligne combien Visioz ne s’embarrassait pas de toute considération favorable à l’art oratoire de Le Coq de Kerland, dès lors que, pour lui, l’essentiel était en cause, à savoir la manière d’aborder l’étude de la procédure civile pour la propulser au plus haut niveau de la science juridique, pour qu’elle rivalise avec la doctrine civiliste. A viser haut, très haut, Visioz ne supporte pas la médiocrité et il l’écrit.
3) Visioz ne s’arrête pas en si bon chemin. Il va aussi critiquer, vertement, une seconde conception de la doctrine en procédure civile, représentée par Glasson[79] au début du XXème siècle (1902), celle qui, tout en abandonnant la méthode analytique pour lui substituer un exposé synthétique, reste cantonnée à l’étude du formalisme : « elle reste imprégnée des idées, de l’esprit qui ont présidé à sa rédaction ; c’est à édifier un système des formes qu’aboutit son effort » et, à ce titre, elle réduit le juriste « à suivre les pistes battues, à répéter la leçon d’autrui » (p. 9 et 10).  Après les traitres, voici les répétiteurs des enseignements d’autrui !
            b) Dix-sept ans plus tard, en 1944, dans sa préface au manuel de procédure civile de Germain Bruillard[80], publié en troisième morceau choisi de la partie générale de l’ouvrage que nous présentons aux lecteurs, Visioz parlera encore de cette France dans laquelle « on piétinait », mais avec une nuance favorable à Berriat-Saint-Prix[81] et à Rauter[82] (lequel avait suivi dans son Cours de procédure civile la méthode d’Aubry et Rau), que l’on ne trouvait pas dans l’article de 1927.
            Visioz ne se contente pas de critiquer ceux qui l’ont précédé dans l’étude de la procédure civile. Il va reconstruire, en indiquant dès 1927 les bases de sa refondation. Ces bases font partie de la pensée la plus originale de Visioz ; elles préparent et permettent de mieux comprendre sa conception de l’étude de la procédure civile, puis de sa quête inlassable du droit processuel.

II – Les deux piliers de la reconstruction : un homme d’ouverture
            Visioz est un homme d’ouverture avant même d’avoir étudié la procédure civile. Toute sa vie, toutes ses démarchent intellectuelles le prouvent. On a déjà signalé qu’il avait rédigé, en Prusse, une seconde thèse sur Le fidéicommis en cet Etat (1914), qu’il avait enseigné quelques mois à Lausanne, après sa captivité au cours de la première guerre mondiale et avant de préparer l’agrégation de droit. Son ouverture d’esprit va se manifester dans deux directions : les droits étrangers, plus précisément l’étude de la doctrine étrangère, puis l’étude des grands auteurs du droit public français, tout au moins ceux qui ont écrit en matière procédurale. Ses recherches constitueront les prolégomènes, les deux piliers de sa reconstruction.

a) L’ouverture à la doctrine étrangère
Dans son article fondateur de 1927, toute une partie (la deuxième, ci-après pages 16 à 24) est consacrée à « la doctrine étrangère ». Il faut en apprécier l’aspect novateur à l’aune de l’année de la publication : nous sommes en 1927, neuf ans après la fin d’un conflit qui a vu les nationalismes exacerbés conduire les pays européens à se livrer à une guerre civile dont les morts et les blessés se comptent par millions. Loin de prolonger ce conflit par un repli identitaire sur le franco-français, lui qui connaît l’Allemagne, lit et pratique la langue de Goethe, va révéler aux juristes français spécialisés en procédure civile, toute la richesse de la pensée des auteurs allemands, sans doute pour mieux souligner les insuffisances de ses compatriotes. Il fera de même, à un degré d’admiration au-dessus, avec la doctrine italienne (il voit en elle l’expression aboutie du « génie latin », alors qu’il reproche aux Allemands leur goût excessif pour l’abstraction).
1) La doctrine allemande est présentée comme celle de « processualistes » [pas des procéduriers] qui se sont ralliés à la conception d’une procédure civile qui « ne doit pas se limiter aux problèmes de technique juridique », la technique n’étant « en définitive qu’un moyen d’atteindre certaines fins d’ordre politique et social ». Le juriste « fera appel à l’histoire, au droit comparé, à la jurisprudence » (p. 15). Visioz découvre les premières traces de cette doctrine allemande dans « les discussions qui s’élevèrent vers 1856 entre Pandectistes au sujet de la nature de l’action en justice en droit romain » (p. 16) et d’énumérer les auteurs qui ont marqué ce courant de pensée, qu’il qualifie d’Ecole : Degenkolb (1877), Wach (1885), Kohler (1899), Langheineken (1899), Hellewig (1900), Kisch (1903), Stein (1903) et, plus proches de lui en date de leurs écrits, Binder (1927), Rosenberg, Goldschmidt (1925), auxquels il ajoute l’Autrichien Sperl (1925). Il souligne combien « les théories de l’action, de la juridiction et du jugement, du procès, ont été l’objet de recherches approfondies, consignées dans un nombre imposant de monographies, assurément de mérite inégal, mais qui témoignent dans leur ensemble d’une grande pénétration » (p. 16) ; bref, en creux, tout ce que la doctrine française de l’époque n’est pas. Même si cette doctrine pêche souvent par « un penchant immodéré pour l’abstraction », elle a apporté « une contribution précieuse non seulement à la science de la procédure, mais à la science juridique tout court » (p. 17 et 18), ce qui, pour Visioz, est capital ; il a le souci permanent, comme une obsession, de tirer la procédure civile vers le haut, entendez par là le niveau auquel les autres branches du droit sont arrivées sous l’influence d’une doctrine de qualité.
2) Pour autant, à lire Visioz, on ne peut qu’être frappé par la préférence qu’il apporte à la doctrine italienne et cela de deux façons :
- d’abord en la présentant certes comme celle qui a « exploité le résultat de ces travaux [allemands] et suivi la direction qu’ils avaient imprimée aux études procédure », mais surtout en reconnaissant que « les juristes italiens ont appliqué la marque du génie latin et le fruit de leur propre expérience scientifique. D’élèves, ils sont devenus des maîtres » (p. 18)[83]. L’éloge est total, enthousiaste et tranche avec les mots très durs qu’il a eus pour quelques auteurs français.
- Ensuite, en accordant une place particulière à Giuseppe Chiovenda, qu’il cite dès le début de son article de 1927, dans l’introduction (p. 5), dont il expose les apports de sa pensée tels qu’il les découvre dans les Principes de droit processuel[84] et dont il loue la méthode d’exposition de la discipline qui « a trouvé son expression la plus parfaite » (p. 21). Et auquel il va consacrer une notice nécrologique en 1938[85], dans laquelle il le qualifie de « l’un des plus illustres processualistes contemporains », celui qui, « en renouvelant l’étude de la procédure civile, lui a procuré une faveur qui, depuis, ne s’est pas ralentie et a gagné d’autres pays » (p. 169). Visioz est impressionné par la capacité de Chiovenda à ramener le procès à deux grandes « notions maîtresses de son système » : celles de l’action et de rapport processuel. Même si Visioz ne partage pas toutes les analyses et les synthèses de Chiovenda, il voit dans ses Principii « une construction solidement charpentée, dont toutes les parties se relient harmonieusement, d’une magnifique synthèse doctrinale de la procédure civile », « l’un des monuments les plus remarquables de la science procédurale à notre époque » (p. 24). Toujours cette allusion au niveau scientifique atteint par les auteurs qu’il étudie.

b) L’ouverture à la doctrine publiciste française
Avant de construire sa vision renouvelée de la procédure civile et d’introduire la notion de droit processuel, Visioz a besoin d’un second pilier conceptuel comme base de sa future construction. Ses recherches vont le conduire à étudier les auteurs publicistes, dans la mesure où ils sont des pionniers en la matière, et à publier, en 1931, soit seulement quatre ans après sa contribution à l’étude de la procédure civile, un second article fondateur de sa pensée, « Les notions fondamentales de la procédure civile et la doctrine française de droit public »[86], article qui s’étend sur plus de 110 pages. Rien dans l’article de 1927 ne laissait présager cet intérêt pour la doctrine publiciste. Il faut sans doute y voir l’influence de la doctrine italienne et l’injonction paternelle, rapportée par Laborde-Lacoste dans son hommage, que Léon Duguit lui aurait donné de sauver la procédure civile de sa médiocrité ; alors que Visioz était porté, au moment de son retour à Bordeaux comme jeune agrégé (1920), vers des enseignements et des recherches de droit civil ou de droit commercial, Duguit l’aurait persuadé qu’une tâche, « immédiate et nécessaire, s’imposait à lui pour le renom du droit français : rénover l’enseignement de la procédure. Il y avait là un devoir social à accomplir. Visioz n’hésita pas et fit le sacrifice de ses préférences » (p. IX). Ce fut un sacrifice réussi !
Ces notions fondamentales, toujours d’actualité pour qui s’intéresse à la matière, « dominent toute espèce de procès » (p. 53). Quatre noms se dégagent : Carré de Marlberg, Duguit, Hauriou et Jèze. Visioz va décortiquer leurs écrits comme quelqu’un qui se délecte en dégustant du miel ! Il va concentrer sa pensée sur trois théories :
- la théorie de la juridiction, avec l’exposé : des opinions de Carré de Marlberg (p. 59 à 70), suivi de ses propres observations (p. 70 à 73) ; des conceptions, sur le même sujet de Jèze et de Duguit (p. 73 à 88), complétées, là encore, par ses propres critiques (p. 77 à 81 sur la théorie de Jèze et p. 88 à 92 sur celle de Duguit) et par une synthèse finale sur les « conclusions à tirer de Jèze et Duguit sur la juridiction » (p. 92 à 98) ; la conception d’Hauriou sur le même sujet boucle cette première partie, selon la même méthode, exposé de la thèse d’Hauriou (p. 98 à 107 et 123 à 126), puis ses critiques (p. 108 à 123) ;
- la théorie de l’action en justice (p. 127 à 161) : exposé des thèses (Hauriou, p. 129 à 132, Duguit, p. 132 à 147, Jèze, p. 147 à p. 150), puis critique par Visioz ;
- la théorie de l’instance (p. 150 à 160) et pour laquelle Visioz relève que les auteurs publicistes se sont moins intéressés à cette notion, avec néanmoins une controverse entre Jèze et Duguit sur le caractère de la demande en justice. Le passage le plus prémonitoire et le plus actuel est celui sur la « notion de partie » (p. 157 à 160), auquel la Cour de cassation donnera, cinquante-sept ans plus tard, en 1988, une résonnance particulière à l’occasion du droit d’appel ou non des candidats évincés de la reprise d’une entreprise en difficultés[87].
L’article se termine par une sorte de conclusion récapitulative (le lecteur proche des choses de la procédure civile verra peut-être dans l’utilisation spontanée de cette dernière expression le réflexe pavlovien du décret du 28 décembre 1998 !) qui permet à Visioz d’apprécier « la contribution fournie à la science de la procédure par la doctrine française du droit public » (p. 161 à 164).
  Les deux piliers de la reconstruction sont dressés, la doctrine étrangère d’un côté, la doctrine française publiciste de l’autre. Nous sommes en 1931. Encore faut-il conforter la construction. Visioz n’aura pas le temps de mener l’œuvre entrevue à son terme.

III – La symphonie inachevée : un homme de convictions
La puissance de la pensée de Visioz dans ses deux études de 1927 et 1931 est phénoménale, notamment dans la première publiée et citée ; elle ne sera égalée, de 26 à 44 ans plus tard (de 1953 à 1971) que par Motulsky[88]. Visioz avait l’ambition d’une théorie générale du droit du procès ; il l’amorcera, mais laissera une symphonie (a) inachevée (b).

a) Une symphonie en trois mouvements
Dès son article de 1927 et encore plus en 1931, Visioz va reprendre la trilogie dégagée par les auteurs allemands et italiens (les théories de l’action, de la juridiction et de l’instance) et qu’il a lui-même approfondie dans sa magistrale étude des doctrines publicistes en la matière, pour construire un droit nouveau qu’il qualifie de processuel. Il est le premier en tout, en tout cas à trois points de vue :
- Il est  le premier, sans doute, dans son article de 1927, à insister sur le fait que la procédure civile n’est pas qu’un formalisme, même agrémenté de quelques considérations générales sur la marche de l’instance et l’instruction des affaires : « il y a dans la procédure autre chose que des problèmes de forme ; il existe aussi des problèmes de fond » (p. 11). Et de souligner que les actes successifs de l’instance sont accomplis « avec l’intention de produire un effet de droit : ce sont des actes juridiques…Il faudra se préoccuper, non seulement des conditions de forme, mais aussi des conditions de fond que doivent remplir ces actes ».
- Il est le premier en France et chez les privatistes, en s’appuyant sur les doctrines allemande et italienne, qu’il a lues dans le texte et qu’il décortique pour ses lecteurs et en s’inspirant des théories publicistes, à postuler et à formuler l’existence de trois grandes théories qui, à ses yeux, devraient être la base de tout traité ou manuel de procédure civile : celles de l’action, de la juridiction (l’acte juridictionnel) et de l’instance (pages 27 à 52). Il faut bien reconnaître que la doctrine actuelle s’inspire encore largement de cette distinction : on la retrouve en filigrane dans de nombreux plans de cours et de manuels, qui déclinent, voire « détricotent » cette approche, sans jamais la dépasser.
- Il est le premier enfin à réfléchir à la terminologie de la discipline qui, en s’échappant de la procédure civile et en côtoyant le contentieux administratif et la procédure pénale, pourrait former une nouvelle branche du droit, le droit processuel. Dans son article sur l’étude de la procédure civile (1927), il avance l’expression « droit processuel », mais avec prudence : « nous maintenons l’expression de <droit de la procédure>, tout en convenant que celle de <droit processuel> serait peut-être préférable. Mais elle n’est pas encore reçue en France et elle aura sans doute de la peine à s’y acclimater » (note 2, p. 13). Il souligne néanmoins que cette expression a la faveur de Chiovenda et que les Allemands l’utilisent aussi. « En même temps que de droit processuel, on parlerait de rapports processuels, de situations processuelles, et de processualistes pour désigner les auteurs qui s’adonnent à l’étude de cette branche du droit, de même qu’on a accoutumé de parler des civilistes, des commercialistes, des économistes, etc… Notre langue ne connaît que le terme de <procédurier> qui est pris en mauvaise part. On hésite à introduire <procéduralistes> qui est par trop, disgracieux. Il faut choisir entre processualistes et procéduristes. Nous inclinons pour processualistes qui est d’un usage assez répandu à l’étranger » (suite de la note 2, p.14).
Ces efforts terminologiques et conceptuels resteront à l’état d’ébauche, mais il faut lire cet ouvrage, car ils contiennent en germe une grande part de la doctrine processualiste actuelle, en tout cas celle qui voit dans l’expression « droit processuel » l’étude de la comparaison des trois grands contentieux à travers les trois théories de l’action, de la juridiction et de l’instance.

b) Une symphonie inachevée
Cornu et Foyer ont regretté, dans leur précis de Procédure civile, que Visioz n’ait pas eu le temps de donner à la procédure civile le traité scientifique qu’il avait conçu et ont noté que « le talent de plume le dispute à la pénétration d’esprit »[89]. La symphonie est inachevée à un double point de vue.
1) Inachèvement matériel d’abord, dans la mesure où Visioz n’a pas eu le temps (bien qu’il ait vécu jusqu’à 62 ans) de rédiger le Traité que les éditions Dalloz avaient accepté de publier. Sans doute en raison de l’exercice de plusieurs fonctions, administratives, d’enseignement et de recherche, de la deuxième guerre mondiale aussi.
2) Inachèvement conceptuel ensuite. Ce traité n’aurait pas été un véritable ouvrage de droit processuel, si l’on en juge par son intitulé (Traité de procédure civile) et par le plan du cours de Visioz en cette matière, plan que le lecteur trouvera dans la seconde partie de l’ouvrage, puisque c’est sur ce plan que ceux qui ont rendu hommage à Visioz en 1956 ont rassemblé les notes, articles ou préfaces que Visioz avaient publiés jusqu’à sa mort. Or, ce plan n’est pas celui d’un ouvrage de droit processuel, mais celui d’un ouvrage de pure procédure civile. Certes, les trois premières parties reprennent dans leurs intitulés les trois théories (en sous-titre des deux premiers livres pour la théorie de l’action et celle de la juridiction ; en intitulé principal pour la théorie de l’instance). Mais les développements substantiels ne concernent que la procédure civile. C’est Motulsky qui apportera à la science juridique le premier ouvrage de droit processuel (au sens de la comparaison des trois contentieux) par la publication post-mortem de ses notes de cours[90]. La belle idée de Visioz, en 1927-1931, ne sera suivie d’aucune réalisation concrète : son droit processuel est en réalité une théorie générale du procès axée sur les théories de l’action, de la juridiction et de l’instance, mais aucun élément des deux autres contentieux ne vient conforter sa pensée, ni dans les deux études de 1927 et 1931, ni dans les notes et observations publiées jusqu’à son décès.
3) Cet inachèvement conceptuel se prolonge aujourd’hui – mais cela Visioz, sauf à être un devin, ne pouvait pas l’envisager -  dans une toute autre conception du droit processuel, à base de garantie des droits fondamentaux. Progressivement en effet, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, mais le mouvement s’est accéléré avec la publication du précis Dalloz de Droit processuel – Droits fondamentaux du procès, en 2001[91]. Le droit processuel n’est plus seulement celui des processualistes qui, ainsi que Visioz les y invitait, étudient les trois théories de l’action, de la juridiction et de l’instance en comparant les trois grands contentieux ; il est devenu le droit de ceux qui s’intéressent aux sources communes d’inspiration de tous les contentieux, à leurs fondements, aux principes de droit naturel qui s’imposent dans la conduite de tous les procès. En effet, le droit processuel d’aujourd’hui dépasse la simple comparaison des contentieux administratif, civil et pénal et se trouve irrigué par des standards communs à tous les procès, nationaux ou internationaux, peu important qu’ils relèvent de la matière civile ou de la matière pénale, standards provenant de sources internationales, pour l’essentiel européennes, mais aussi de sources constitutionnelles. De cette évolution, la doctrine qui l’épouse et la crée tire sa force et sa légitimité qui s’imposent progressivement parce qu’elles s’enracinent dans la protection des droits et libertés fondamentaux. Cette doctrine, que nous qualifions de « processualiste humaniste », prend une part croissante dans la construction, au quotidien, de la garantie de la garantie des droits. Elle contribue à faire émerger des principes structurants (la loyauté qui fonde la confiance, le dialogue qui réalise l’écoute de l’Autre et la célérité qui est la forme moderne de la proximité), qui dessinent les contours de la démocratie procédurale de demain.
            Avec l’émergence de ces trois principes structurants, nous croyons pouvoir discerner la confirmation de l’opinion que nous avions émise dès 1999[92] : nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle du dépassement des questions de pure technique procédurale, non point parce que celles-ci seraient devenues inutiles, mais parce qu’elles doivent être revisitées à l’aune de la mondialisation (qui induit une attraction de la procédure civile à la garantie des droits fondamentaux) et à la lumière d’une modélisation du droit du procès. De simple technique d’organisation du procès civil (comme la société est une technique d’organisation de l’entreprise, parmi d’autres, ainsi que nous l’avions souligné dans le Précis de Procédure civile, dès 1991)[93], la procédure est devenue un instrument de mesure de l’effectivité de la démocratie dans notre pays[94], mesure que la Cour européenne des droits de l’homme surveille de près[95].
Sous ce regard, les juristes d’aujourd’hui, en tout cas ceux qui s’intéressent à la garantie des droits fondamentaux ne commenteraient certainement pas de la même façon des jugements tels que ceux commentés par Visioz sur les actions déclaratoires visant des juifs (p. 197-200)[96]. Sur ce point, on regrettera simplement que la plume de Visioz, par ailleurs si acerbe, ne soit pas allée jusqu’à critiquer le statut vichyste des juifs, à l’occasion de son commentaire, technique, purement technique, de jugements sur des actions déclaratoires « de la race juive », dont l’expression à elle seule, fait froid dans le dos. Il est certain que l’éclairage actuel du droit processuel humaniste ne laisserait pas passer cette froide vision du droit d’accès à un juge. On peut être d’autant plus étonné que Visioz se soit contenté de commenter les jugements rendus sur la base de cette législation, sans laisser percer la moindre émotion, sans émettre la moindre critique, que c’est lui qui, dès 1927 écrivait que le juriste devait « s’informer des rapports permanents qui existent entre le droit de la procédure et un état politique et social donné » (p. 16) et qui ajoutait, en conclusion de sa brillante étude de 1927 qu’il ne fallait pas négliger « le côté politico-social de la procédure » (p. 51), critiquant Glasson de s’être montré d’une discrétion excessive à ce sujet, alors que « le point de vue politico-social est certainement le plus propre à captiver l’attention des étudiants, à développer en eux l’esprit juridique au sens le plus élevé, à les faire méditer sur la fonction sociale du droit » (en note 1, page 52). Etonnant silence, mais Visioz le rénovateur de la procédure civile est, sur ce point, à l’image de beaucoup d’autres, d’une froide technicité ; c’est la part obscure d’une doctrine grise (ni approbatrice, ni critique) de la France des années noires : de la technique juridique, d’abord de la technique, toujours de la technique, pas d’interrogations sur la légitimité de cette législation. On est dans le légalisme procédural, pas dans l’humanisme processuel, pour reprendre le titre d’un livre de Mélanges qui viennent d’être offerts à celui qui signe la préface de cette nouvelle édition[97], de la même façon que le Général de Gaulle ne confondait pas la légalité avec la légitimité.

 
 VII - Jacques Héron et son « droit judiciaire prive »
Article publié dans les mélanges offerts
 in memoriam de Jacques Héron, LGDJ, 2009, p. 247

            Cette contribution aux Mélanges publiés en l’honneur de Jacques Héron, se veut non seulement hommage posthume, mais aussi réparation, non pas d’un oubli, mais du fait que, lorsque Jacques Héron publia son « Droit judiciaire privé », en septembre 1991, je n’avais pas eu le temps d’en faire un compte-rendu dans l’une de nos revues juridiques ; cette année là en effet, je cumulais beaucoup d’activités : adjoint aux finances, à la programmation des investissements et aux travaux de la ville de Lyon, vice-président de la Communauté urbaine de la même ville, en charge pour le compte de 52 commune, des investissements, de la négociation des grands contrats structurants de l’agglomération (voirie, assainissement, eau, etc..), président d’une société d’économie mixte, Lyon Parc auto, engagée dans la construction en cinq ans de 8000 places de parking, toutes en centre ville, sans oublier, la direction de l’Institut d’études judiciaires de Paris 2, véritable Faculté ayant le statut d’UFR et, enfin, la direction de l’Ecole du Barreau de Paris qui devait relever le défi de l’intégration des anciens conseils juridiques et la mise sur pied d’une nouvelle pédagogie.
Et pourtant, Jacques Héron méritait pleinement que l’un de ses collègues, commente son premier manuel publié depuis l’agrégation qu’il passa en 1984. D’autant plus que j’étais dans le jury qui le proclama major, rang acquis sans aucune contestation possible, tant il avait survolé ce concours par sa science et surclassé tous ses concurrents par sa technique de la leçon, sa maîtrise de la pédagogie, l’aisance de sa parole, l’élégance (quasi aristocratique) de ses gestes, sa voix bien posée, son ton mesuré et bien d’autres qualités encore. Il avait su, sans prétention, d’abord convaincre ses rapporteurs qui, sans dévoiler un secret, le portèrent au plus haut de la notation sur ses travaux, puis convaincre les autres membres du jury, présidé par cet admirable arbitre impartial que fut Gérard Lyon-Caen (ah, ce souci que le contradictoire s’exerce avec force au sein du jury par la communication des rapports préalablement aux réunions plénières, que l’on ne juge pas les candidats sur des appartenances supposées à des écoles de pensée, mais sur leur capacité à présenter des thèses originales, faisant œuvre de doctrine). En toutes circonstances, pendant tout le déroulement du concours, il avait « la simplicité des grands hommes et la grandeur des gens simples »[98].
Et puis arriva son manuel. Une somme. Une œuvre originale, perfectible sans doute, comme toute première publication d’un précis dans une discipline aride et rébarbative. Mais tellement révélatrice de sa foi dans la science juridique, de son enthousiasme dans la présentation de la matière et de sa clarté dans l’exposition des notions les plus difficiles, que 16 ans plus tard, Jacques n’étant plus là, mais l’amitié restant, il ne nous a pas paru incongru d’écrire quelques lignes à ce sujet. Précisons que si Jacques Héron n’avait pas opté, au concours d’agrégation pour cette discipline en leçon de spécialité (étant « DIPiste », il avait naturellement choisi le droit international privé[99]), il a toujours publié dans le domaine du Droit judiciaire privé, notes d’arrêts, articles de doctrine, tenue d’une rubrique dans la revue Justices, puis dans la Revue générale des procédures, sans même évoquer ici sa collaboration à Audijuris. Un seul genre ne lui plaisait pas, celui des contributions aux encyclopédies, parce que, m’avait-il dit, leur publication n’était pas pérenne !
Nous aborderons successivement la conception générale de la procédure civile chez Jacques Héron, à partir du plan de son ouvrage (I), puis ses positions doctrinales quant aux grandes théories de la procédure civile (II).
 

I – Jacques Héron et sa conception générale de la procédure civile


            C’est par le plan que se révèle, chez un auteur, la conception générale qu’il se fait de la discipline qu’il étudie. Le plan du manuel de Jacques Héron est (relativement) classique. Après une brève introduction d’une vingtaine de pages, l’auteur va d’abord présenter « les notions essentielles du droit judiciaire privé » (1ère partie), avant d’envisager successivement « la procédure civile devant les juridictions du premier degré » (2ème partie), « les voies de recours » (3ème partie) et « les incidents » (4ème partie). Si le classicisme du plan apparaît nettement dans l’existence d’une partie « notionnelle » en préalable aux développements plus axés sur la pratique de la procédure (dans la mesure où nombre d’auteurs en procédure civile ont eu recours et ont encore recours à cette manière de faire), puis dans les deux parties centrales consacrées aux juridictions du premier degré et aux voies de recours (qui se succèdent ainsi selon la chronologie classique du processus processif), ce classicisme n’est que relatif à maints égards.
a) D’abord, par le rejet en quatrième et dernière partie des incidents qui n’occuperont « que » 150 pages environ sur un total de 738 (si l’on ne compte ni l’index, ni les tables), sans doute parce que Jacques Héron voulait attirer l’attention de ses lecteurs, au premier rang desquels ses étudiants, sur les trois parties qui précédaient celle-ci. On peut aussi y voir le souci très pédagogique (et cette fois très classique) pour tous ceux qui enseignent cette matière, de faire comme si la procédure civile se déroulait sans incidents, afin de mieux dégager les axes forts de la discipline, indépendamment des incidents précisément. Même si chaque professeur sait bien que dans la pratique il n’en est rien. On observera que la démarche d’une partie « notionnelle » est parfois prise en défaut : ainsi, lorsque l’auteur nous dit (n° 25) qu’il va étudier l’action en justice de deux façons, d’abord de manière théorique (« dans sa théorie »), puis « sur un plan plus concret », c’est à dire dans sa mise en œuvre ; et il est vrai que la séparation de la théorie et de la pratique de la procédure civile (à laquelle nous nous étions nous-mêmes essayés pour tout ce qui concerne l’instance, lorsque nous avons repris le précis Dalloz de procédure civile) montre rapidement ses limites ; avec l’étude des actes et des délais de la procédure, on n’est plus dans la théorie (ce que Jacques Héron concède bien volontiers aux numéros 25 et 127) ; on est sorti du cadre notionnel pour entrer dans la pure technique juridique. Même remarque pour le titre deux de cette première partie consacré aux « notions essentielles concernant le procès » : ainsi, l’étude du rôle respectif des parties et du juge, du principe de la contradiction ne peut pas être menée dans une perspective exclusivement théorique ; à preuve, les développements forts pratiques que leur consacre Jacques Héron dans l’entier sous-titre qui leur est réservé. La remarque vaut enfin pour le recours au juge, avec des développements très « notionnels » (la notion de matière gracieuse et celle d’acte juridictionnel, pour reprendre l’ordre de Jacques Héron ; ou encore la distinction des effets substantiels du jugement et de ses effets processuels ; ou, enfin, la nature juridique de l’ordonnance sur requête) et d’autres très concrets (par exemple, les dispositions communes aux référés, le droit positif des ordonnances sur requête et le contentieux du possessoire). En réalité, cette première partie, toute axée sur les notions procédurales, sans pour autant négliger les approches plus pratiques, est l’occasion rêvée pour l’auteur de faire passer ses idées, sa conception de la procédure civile et, pour ce grand théoricien que fut Jacques Héron, de laisser son empreinte doctrinale quant aux grandes théories de la discipline. Cette partie « notionnelle » est une succession de leçons théoriques, du niveau doctorat, entrecoupées de respirations pratiques, par des plongées dans quelques aspects moins abstraits de la procédure civile. Dans les deux cent cinquante premières pages de l’ouvrage, toutes les grandes théories de la procédure civile ont été vues, à l’exception de la notion de voie de recours. 
b) Relativité du classicisme ensuite, par le plan interne à chaque partie.
- Ainsi, dans la première partie, si l’on retrouve classiquement « les notions essentielles concernant l’action » (titre un), le titre deux, sur « les notions essentielles concernant le procès », regroupe et « les principes directeurs du procès » et « le recours au juge » ; ce dernier sous-titre est en réalité l’occasion de traiter non seulement de l’acte juridictionnel, mais aussi de la diversité des contentieux, y compris les actions possessoires, que l’on a plutôt l’habitude d’aborder avec l’action en justice et les demandes. Plus étonnant encore est le choix de traiter d’abord des principes directeurs du procès, puis seulement après du recours au juge, comme si les premiers étaient si importants qu’il fallait absolument les envisager avant même que l’accès au juge ait été étudié.
- La deuxième partie appelle moins d’observations de cet ordre, sauf à remarquer que le jugement étant envisagé dans « les dispositions communes à toutes les juridictions » (qui forment un titre un), il sera traité avant même que la procédure devant chaque type de juridiction ait été présentée ; la chronologie n’est pas ici retenue au profit d’une autre logique (dispositions communes/procédures spécifiques) ; et sauf à observer aussi que toutes les juridictions ne sont point étudiées, puisque les juridictions de sécurité sociale sont omises.
- En revanche, la troisième partie (les voies de recours) est tout à fait originale, car le plan révèle le fond de la pensée de l’auteur : après un chapitre préliminaire consacré aux « notions générales sur les voies de recours » (et qui n’a donc pas été intégré, à juste titre, à la première partie sur les notions essentielles du droit judiciaire privé), Jacques Héron va développer, en deux titres, les voies de recours « générales » et les voies de recours « spéciales ». La curiosité, sur laquelle nous reviendrons au fond, c’est de regrouper l’appel et le pourvoi en cassation, au titre des voies de recours générales, pour mieux les opposer aux trois autres (opposition, tierce opposition et recours en révision), sans s’attacher à la distinction classique qui oppose les voies de recours ordinaires (appel et opposition) aux voies de recours extraordinaires (pourvoi en cassation, tierce opposition et recours en révision).
- Quant à la quatrième et dernière partie, son originalité tient d’une part au fait qu’elle regroupe « les incidents liés à la compétence » et les autres, plus traditionnellement étudiés sous cette terminologie (ceux relatifs à la preuve et tous ceux relatifs à l’instance elle-même ou aux parties) et, d’autre part, qu’elle intègre les règles de compétence d’attribution et territoriale pour chaque juridiction, dans une étude consacrée aux « incidents liés à la compétence », ce qui oblige l’auteur à jouer avec les mots et à parler de « détermination de l’incompétence » au lieu de « détermination de la compétence », pour pourvoir justifier leur étude à cet endroit du précis.

II – Jacques Héron et les grandes théories de la procédure civile

             Nous n’avons pas l’ambition de toutes les étudier ici d’une manière approfondie, mais d’insister sur quelques aspects particuliers qui font l’originalité de la pensée de Jacques Héron. Nous suivrons le plan classique des trois théories de l’action en justice, de la juridiction et de l’instance (en nous limitant, dans ce dernier cas, aux classifications, proposées par Jacques Héron, des voies de recours), bien que l’auteur n’ai pas repris expressément ce plan.
            Quelques mots au préalable sur les sources de la procédure civile. Jacques Héron apporte beaucoup sur l’élaboration du Nouveau code de procédure civile, car il avait pris la peine d’aller interroger les principaux rédacteurs du projet, notamment Monsieur le Doyen Gérard Cornu (cf. n° 14, note 1, p. 18) ; et son introduction fourmille de détails sur le rôle respectif de chacun au sein de la Commission de réforme. En revanche, rien sur les sources de droit fondamental ; sans doute, parce qu’on est au tout début des années quatre-vingt-dix et que l’internationalisation de la procédure civile et sa soumission au droit venu d’ailleurs, c’est à dire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, n’ont pas encore atteint le niveau de pénétration que nous connaissons aujourd’hui ; il faudra attendre la fin des ces années quatre-vingt-dix pour voir émerger ces sources. Et Jacques Héron écrira dans les Mélanges offerts à M. Pierre Drai, une contribution faisant le lien, notamment par la notion d’impartialité, entre cette Convention européenne et les voies de recours ; s’il avait survécu, il est certain qu’il aurait enrichi l’ouvrage de cet apport considérable.

a) l’action en justice, entre droit au juge et demande en justice

            D’entrée de jeu, Jacques Héron frappe fort : au numéro 37, il écrit que « l’action n’est pas un droit virtuel, distinct des demandes et des défenses. Lorsqu’on parle d’action, il ne s’agit que d’une façon commode de désigner ces deux sortes d’actes processuels, et le contenu que l’on attribue à l’action ne constitue rien d’autre que des conditions de recevabilité de ces actes, c’est à dire des éléments du présupposé de la règle déterminant les conditions d’efficacité des demandes et des défenses ». Suit la démonstration de la thèse, fondée sur une approche structurale de l’action, avec un soin particulier pris non seulement à présenter sa propre analyse (n° 39), mais aussi à écarter les objections qu’on pourrait lui opposer (n° 40-41). L’appui sur les travaux de Motulsky et de celui qui fut son directeur de thèse (Pierre Mayer) est ici patent, non sans souci de préciser sa propre pensée par une critique de Motulsky dans la présentation de sa théorie sur les conditions d’une règle (cf. note 3, n° 39, p. 41).
            Défendue avec talent et bien argumentée, cette nouvelle théorie entraîne toute une série de conséquences (cf. n° 42 à 50) orientée autour de l'idée qu'il faut rendre aux demandes et aux défenses, ainsi qu'au droit substantiel des attributs, des règles que l'on attache traditionnellement à l'action ; celle-ci n'existant pas en soi, il faudrait restituer ces attributs à leur propriétaire, ainsi des caractères libre et facultatif de l'action qui appartiennent aux demandes et aux défenses et de l'obligation naturelle qui appartient au droit substantiel. Autre conséquence, qui rend difficile d'application pratique cette thèse, la distinction sémantique entre les « actes de procédure » et les « actes processuels » ; après avoir énoncé que « pour chacun des actes du procès », qu’ils émanent du demandeur ou du défendeur, « peut et doit être opérée la distinction entre la manifestation de volonté et l’objet de cette manifestation, entre l’acte créateur et ce qui se trouve ainsi créé », Jacques Héron affirme que « pour éviter de confondre les deux aspects de l’acte juridique, lorsqu’il se rapporte à une procédure, nous proposons de réserver l’expression acte de procédure pour désigner la manifestation de volonté et de parler d’acte processuel pour désigner le contenu de l’acte, c’est à dire l’effet de droit recherché par les parties » (cf. n° 51, p. 49)[100].
Nous avons critiqué, en son temps, cette subtile distinction qui conduit à recourir à une non moins subtile sémantique[101]. S'il est vrai que dans tout acte juridique il faut distinguer ce qui relève de la manifestation de volonté elle-même et le contenu de l'acte[102], pourquoi faudrait-il appeler « acte de procédure » au sens de manifestation de volonté ce qui n'est, après tout, que l'action envisagée comme un pouvoir d'agir, et « actes processuels » au sens de demandes et défenses, ce qui constitue l’exercice de l'action et pour lequel les mots classiques de demandes et défenses conviennent très bien ? Au niveau du droit d'agir, cet affinement ultime des concepts nous semble introduire une abstraction quelque peu inutile, dans une discipline qui a besoin de concret. On peut ajouter, au strict niveau du vocabulaire, que si l’on inverse les expressions « actes de procédure » et « actes processuels », et qu’on décide, de manière tout à fait arbitraire, que l’acte de  procédure désigne non plus la manifestation de volonté, mais le contenu de l’acte, qu’à l’inverse l’acte processuel désigne désormais la manifestation de volonté et non plus le contenu de cet acte, on ne voit pas ce que cela change à la portée de la distinction ; en d’autres termes, le vocabulaire pouvant être inversé par pure convention linguistique, la théorie ne trouve guère de fondements juridiques réels.
Il est vrai, en revanche, que l'évolution contemporaine de la procédure civile qui se traduit pas son attraction à la garantie des droits fondamentaux, tend à absorber l'action en justice, conçue comme un pouvoir légal d'agir, dans la théorie du droit à un juge ; sous ce regard, la théorie de Jacques Héron, apparaît prémonitoire, même si l’on doit l'élaguer de ses applications sémantiques qui viennent d'être relevées. Entre le droit subjectif d’agir en justice au sens d’une liberté fondamentale et les demandes et défenses au sens procédurier du mot, l’espace est mince et se rapproche du néant[103]. En ce sens, Jacques Héron avait raison.
b) le critère de l’acte juridictionnel et la nature juridique des ordonnances sur requête
            Jacques Héron va développer sa propre conception de l’acte juridictionnel (a) et de la nature juridique de l’ordonnance sur requête (b).
a) La notion d’acte juridictionnel
            D’une façon tout à fait originale et à l’encontre de la présentation généralement adoptée par les auteurs processualistes, Jacques Héron fait précéder l’étude de la notion d’acte juridictionnel de celle de matière gracieuse et écrit « qu’il est possible de dégager une notion de la matière gracieuse, indépendamment de ce qu’est l’acte juridictionnel » (cf. n° 254, p. 191). Après avoir insisté sur l’importance qu’il y a à ne pas confondre « absence de contestation » (au sens de la loi du 15 juillet 1944 sur la chambre du conseil) et « absence de litige » au sens de l’article 25 du Nouveau code de procédure civile (cf. n° 257, p. 192), Jacques Héron analyse le second élément qui, dans cet article 25, caractérise la matière gracieuse, à savoir l’exigence légale d’un contrôle du juge (cf. n° 258, p. 192-193). Et d’une manière tout à fait prémonitoire, il prend l’exemple du changement de régime matrimonial dont le législateur pourrait décider de le sortir de la matière gracieuse en supprimant le contrôle du juge (cf. n° 259, p. 194).
            Pour caractériser l’acte juridictionnel, Jacques Héron s’en tient au critère, qui nous vient de la doctrine italienne, de la qualité de tiers du juge. Il ne s’attarde pas sur l’exposé et la réfutation des principales thèses, essentiellement publicistes, qui ont été présentées depuis un siècle pour découvrir le critère de l’acte juridictionnel ; en une trentaine de lignes, l’affaire est réglée (cf. n° 270, p. 199-200), pour aller à l’essentiel, à savoir que l’acte est juridictionnel parce que le juge est un tiers aux intérêts en cause, que ces intérêts s’expriment dans un litige (donc un contentieux) ou pas (donc la matière gracieuse est de nature juridictionnelle) (cf. n° 271, p. 200-201). Et Jacques Héron d’insister davantage sur la matière gracieuse pour écrire que « ce n’est pas parce que le recours au juge est exceptionnel et peut apparaître artificiel que l’on doit en déduire que le jugement gracieux n’est pas spécifique de l’activité du juge. C’est tout le contraire. L’examen de l’acte est confié au juge parce qu’il est un tiers, étrangers aux intérêts en cause et que la loi veut qu’il agisse en juge » (p. 201).
            Ainsi est mise en évidence, en majeure, la qualité de tiers du juge. Cette qualité, pour Jacques Héron, est essentielle, ce qui explique sans doute qu’il n’ait pas souhaité développer la critique des autres thèses, ni même chercher à combiner les critères. C’est sans doute un peu réducteur et nous préférons toujours pour notre part insister à la fois sur le critère téléologique fondé sur le but de la fonction juridictionnelle, ce but étant de dire le droit, d’opérer la vérification des situations juridiques, à l’aide d’une constatation qui constitue, à elle seule, l’acte juridictionnel, pourvu qu’elle soit l’œuvre d’un tiers aux intérêts en cause, et sur les signes aussi importants que la distinction et la structure des organes, l’existence de formes procédurales. Mais il est vrai que la qualité de tiers permet de mettre en valeur le fait que l’acte juridictionnel peut émaner d’autorités qui ne sont point des juridictions, ainsi des autorités administratives indépendantes, notamment dans le secteur de la régulation économique[104]. Le critère du tiers « colle » parfaitement aux actes juridictionnels qui émanent d’autorités qui ne sont pas, par nature, des juridictions.
b) La nature juridique de l’ordonnance sur requête
            C’est à propos de la nature juridique de l’ordonnance sur requête que Jacques Héron va déployer tout son talent. Voulant sortir du faux dilemme, nature gracieuse ou nature contentieuse de cette ordonnance, dans laquelle l’enfermait et s’enfermait une certaine doctrine, Jacques Héron, présente d’abord, pour la réfuter, la théorie dite évolutive, puis la sienne propre. Comme toujours, Jacques Héron prend soin de décrire, le plus scrupuleusement possible, la thèse adverse, argument par argument, avant de mieux la démonter pied à pied. Jamais l’étudiant qui lira le manuel n’ignorera qui a écrit quoi et pourquoi la thèse ne peut emporter la conviction de l’auteur. Souci permanent d’une grande honnêteté intellectuelle qu’on ne rencontre malheureusement pas toujours dans la doctrine contemporaine, qui ignore,  parfois intentionnellement, parfois par négligence ou ignorance, ce qu’elle doit à ceux qui l’ont précédée. Un peu comme dans la fameuse affaire Branly.     
            Alors que la doctrine classique et dominante considérait que les ordonnances sur requête sont toujours gracieuses, une doctrine plus moderne avait cherché à approfondir la nature juridique de ces ordonnances, en prospérant dans une voie qui, pour avoir été dénoncée, n’en était pas moins porteuse d’un renouveau et collait davantage à la réalité procédurale, en ne retenant pas une conception unitaire de cette nature juridique[105]. C’est dans cette voie que va s’engager Jacques Héron, mais en conduisant la démarche à son terme extrême et, surtout, en l’étayant d’arguments très forts. La démonstration qu’il va faire de sa thèse est un modèle du genre. Qu’on en juge.
            C’est d’abord l'affirmation que les ordonnances sur requête seraient, « dans l'écrasante majorité » des cas, contentieuses, parce que « les demandes les supportant seraient dirigées contre un adversaire ». Et il est vrai que l'on peut adopter une autre lecture de l'article 493 du nouveau Code que celle qui en était traditionnellement faite jusqu’à la démonstration de Jacques Héron ; selon lui en effet, lorsqu'il est écrit dans ce texte que « le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse », cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'adversaire dans l'immédiat, donc pas de litige mais, tout au contraire, qu'il est permis dans les conditions et les effets prévus par le Code (art. 493 à 498) de ne pas faire comparaître cet adversaire, de ne pas l'appeler, parce qu'il est indispensable que le litige soit tranché, dans un premier temps au moins, sans débat contradictoire ; en d'autres termes, l'article 493 règle la question du contradictoire, qui est écarté pour des raisons d'efficacité (profiter d'un effet de surprise), et non pas la question de la nature gracieuse ou contentieuse de l'ordonnance qui sera rendue, question qui relève, elle, de l'absence ou non de litige. Et Jacques Héron de poursuivre que c'est cas par cas qu'il faudra rechercher ce litige ou son absence pour qualifier la décision :
- lorsque ce litige existe, l'ordonnance sur requête sera, tout comme l'ordonnance de référé, contentieuse, mais, à la différence de celle-ci, non contradictoire, article 493 et textes spécifiques à chaque juridiction[106] ; article 17 pour le recours approprié ; article 54 pour l'acte introductif d'instance.
- lorsque le contrôle du juge s'exerce, sans qu'il soit possible de trouver un adversaire contre lequel la décision sera prise à son insu, on est conduit à reconnaître un caractère gracieux à l'ordonnance rendue sur requête (art. 25 et 60).
L’intérêt de la thèse de Jacques Héron est que la pratique vérifie cette distinction, qui a le mérite de ne pas être dogmatique. Ainsi de l'article 145 du nouveau Code qui permet de demander une mesure d'instruction in futurum, avant tout procès, mais en prévision de celui-ci ; le même objectif pourra être atteint selon trois voies différentes qui illustrent chacune la nature juridique de l'ordonnance qui ordonnera la mesure d'instruction :
- La demande peut être présentée en référé, ce qui est le cas le plus fréquent ; dans cette hypothèse la mesure sera ordonnée, après une procédure contradictoire, par une décision provisoire de nature contentieuse ;
- La demande peut aussi être présentée par requête unilatérale, ce que la jurisprudence n'autorise que « si les circonstances exigent que les mesures ne soient pas prises contradictoirement »[107]. On voit bien ici que le recours à cette seconde procédure ne trouve sa justification que dans la nécessité de se passer du débat contradictoire, sans modifier les critères de qualification de l'ordonnance rendue : qu'il y ait ou non débat contradictoire, il existe un adversaire et le juge aura procédé aux mêmes constatations pour en tirer les mêmes conséquences ; on comprendrait mal, dans ces conditions que l'ordonnance rendue sur requête unilatérale soit moins contentieuse que celle rendue en référé.
- Enfin, la demande peut être présentée conjointement, sans litige, auquel cas l'ordonnance rendue sera bien juridictionnelle, le juge ayant procédé à une vérification, mais gracieuse car rendue en l'absence de litige[108].
            Sauf erreur de notre part, il ne semble pas que la démonstration ait reçu un démenti péremptoire.
c) les classifications des voies de recours
            Conformément à sa méthode que nous avons relevée, Jacques Héron va d’abord détruire la théorie classique qui classe les voies de recours, d’une part en voies de réformation et voies de rétractation et, d’autre part, en voies de recours ordinaires et voies de recours extraordinaires ; sans s’attarder sur cette critique de la théorie classique, relevons seulement que Jacques Héron démonte point par point les deux grandes classifications, en insistant sur ce qu’elles ont de peu conforme à la réalité procédurale (ainsi de l’opposition qui ne peut pas répondre à la définition a contrario des voies ordinaires que donne l’article 580, NCPC ; ainsi du pourvoi en cassation pour lequel la définition de ce même article 580 ne convient pas du tout, cf. n° 572, p. 409).
            Comme toujours, Jacques Héron va partir d’une nouvelle donne, en l’occurrence le constat que les voies de recours constituent l’une des espèces de l’action et que « le premier élément à retenir est que la classification des voies de recours doit s’ordonner autour de ce que peut demander au juge celui qui exerce la voie de recours : que va-t-il demander et comment va-t-il le demander ? » (cf. n° 573, p. 410). De là, en réponse à ces deux questions, une première classification fondée sur le choix (offert au législateur) entre la destruction et le remplacement de la décision attaquée, classification qui répond à la question « que va demander celui qui exerce le recours ? » ; et une seconde classification, qui répond à l’autre question (comment va-t-il le demander ?) et qui se fonde sur l’organisation du remplacement de la décision attaquée, puisque, selon l’auteur, le législateur a opté pour des voies de recours, voies de remplacement (cf. n° 575, p. 412).
            Cette organisation du remplacement de la décision attaquée s’ordonne selon que la voie de recours est « générale » ou « spéciale » : elle est générale si « elle paraît apte à corriger n’importe quelle sorte de mal jugé » (cf. n° 578, p. 414) ; sous ce regard, on comprend aisément – et c’est tout le génie de Jacques Héron d’amener une conclusion qui ne s’imposait pas de prime abord – que l’appel et le pourvoi en cassation puissent être réunis dans la même catégorie des « voies de recours générales », au sens que, chacune pour ce qui la concerne, constitue la voie de recours de principe, sans prise en considération de circonstances particulières qui ne se retrouveraient pas dans toutes les affaires de même nature. En revanche, la voie de recours est spéciale si elle répond à un besoin spécifique, si elle a été instituée en vue d’une situation particulière ; ainsi l’opposition ne répond qu’au souci de permettre de contester un jugement rendu par défaut, alors que cette situation doit rester exceptionnelle, « particulière » ; de même pour la tierce opposition qui ne vise que la situation, exceptionnelle elle aussi, où un tiers serait intéressé par le jugement rendu ; de même enfin pour le recours en révision qui n’a lieu d’être que lorsque des circonstances frauduleuses rendent probable que le jugement a été rendu en trompant le juge, situation elle aussi exceptionnelle. Ainsi apparaît une ligne de partage théorique qui colle à la pratique : d’un côté le « normal » (ce que Jacques Héron appelle le « général »), de l’autre l’exceptionnel, le particulier (ce que Jacques Héron appelle le « spécial »). La démonstration est lumineuse et si elle ne correspond pas à la classification retenue par les rédacteurs du Nouveau code de procédure civile, peu importe ; elle a sa cohérence propre, tout s’articule à la perfection !
            Plus tard, dans l’un de ses deux derniers articles publiés à titre posthume, Jacques Héron va approfondir sa théorie des voies de recours et présenter un critère de classement fondé , à partir de la Convention européenne des droits de l’homme, sur l’idée d’impartialité du juge[109]. Le temps lui aura manqué pour intégrer cette évolution dans une nouvelle édition de son manuel et aujourd’hui c’est lui qui nous manque, cruellement, pour poursuivre l’œuvre entreprise, pour renouveler cette matière qui devenait un peu poussiéreuse, qu’on l’appelle procédure civile ou droit judiciaire privé. Mais c’est le propre des grands auteurs (et des grands hommes) que de s’imposer par leur seule intelligence sans rien imposer aux autres, de prendre racine dans le champ de leur discipline, de préparer la relève par des idées, parfois audacieuses, toujours courageuses et astucieuses, par la direction de thèses, etc.. A ce titre, Jacques Héron était un Maître et son décès prématuré a privé la science juridique française de tout ce qu’il lui aurait certainement apporté en novations et innovations.

VIII - LE TEMPS EN PROCÉDURE CIVILE

 Rapport au XVème colloque des Instituts d'études judiciaires, 
Clermont-Ferrand, 13-15 octobre 1983, 
Annales de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand
LGDJ éditeur, 1983, Fascicule 20, pages 21 à 63.


 

















































[2] On verra plus qu’un clin d’œil dans le fait que Frédérique Ferrand a soutenu une thèse de procédure civile en droits français et allemand, et Cécile Chainais une thèse, de procédure civile aussi, en droits français et italien.
[3] Jean CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 22ème éd., PUF, coll. Thémis, 1995, n° 191. Le doyen Carbonnier constate que ces auteurs se livraient déjà « à d'importantes recherches théoriques, marquées souvent par l'influence du droit public », alors que, dans le même temps, « les procéduriers français travaillaient encore principalement par exégèse du Code de procédure civile ».
[4] S. Guinchard et T. Debard (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 18e éd., juin 2010, daté 2011, « Doctrine ».
[5] S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile - Droit interne et droit de l’Union européenne, 30e éd., centenaire de l’ouvrage, Dalloz, sept. 2010, n° 14.
[6] À preuve, l’ordonnance n° 2006-673, 8 juin 2006 qui sort du code de l’organisation judiciaire les règles relatives aux tribunaux de commerce, aux conseils de prud’hommes, aux tribunaux paritaires des baux ruraux.
[7] J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, PUF, coll. Thémis, 22e éd., 1995, n° 191. Pour un commentaire composé de cette citation, v. S. Guinchard, F. Ferrand et C. Chainais, Procédure civile, Hypercours, Dalloz, 2009, p. 27.
[8] Jusqu’à l’arrêt du 27 févr. 1970, rendu en chambre mixte, pourvoi n° 68-10.276.
[9] Com. 22 mars 1988, pourvois n° 87-15.901 et 87-15.902.
[10] Ass. plén., 31 mai 1991, pourvoi n° 90-20.105.
[11] Boitard, Leçons de procédure civile, 12e éd., 1876, de Linage, (continuées par Colmet-Daage et par Glasson, 15e éd., 1890), Introduction, pp. 1 et 2.
[12] Marchal et Billard éd., 5e édition en 1880-1888, 13 vol.
[13] Larose et Forcel éd., 1882-1897, 7 vol.
[14] A. Tissier, « Le rôle social et économique des règles de la procédure civile », in Méthodes juridiques, 1911, p. 105.
[15] H. Visioz, « Observations sur l’étude de la procédure civile », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1927 ; article repris in Études de procédure, 1956, Bière, p. 3, « Études » qui seront elles-mêmes rééditées en 2011 aux éditions Dalloz avec une présentation de S. Guinchard.
[16] Etudes de procédure, op. cit., p. 8, in fine.
[17] H. Visioz, Observations sur l’étude de la procédure civile, 1927, préc.
[18] Etudes de procédure, op. cit., p. 8, in fine, p. 9 et 10.
[19] Neuvième édition en 1923.
[20] Précis Sirey, 1927 ; à peine plus de cinq cents pages, mais avec des formules et des annexes « complémentaires ».
[21] Première édition en 1909, Fontemoing, reprise avec une simple mise à jour de 2 pages en 1911, chez Dalloz.
[22] Par S. Guinchard, C. Chainais et F. Ferrand, sept. 2010.
[23] Sirey, 1924.
[24] Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1927.
[25] Études de procédure, op. cit., p. 10.
[26] Ibid., p. 11.
[27] Ibid., p. 27 à 52.
[28] Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1931.
[29] G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 3e éd. 1996, PUF, p. 27.
[30] RTD civ. 1942, 309 ; 1943, 133 et 1944, 132.
[31] Sirey, 1re éd. 1932 ; 2e éd. 1949.
[32] G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 3e éd. 1996, PUF, p. 27.
[33] Morel, Traité élémentaire de procédure civile, Sirey, 2e éd. 1949, n° 9.
[34] Ibid., n° 8.
[35] Ibid., n° 4.
[36] Montchrestien, coll. précis Domat.
[37] S. Guinchard, « Jacques Héron et son droit judiciaire privé », in Mélanges Jacques Héron, LGDJ, 2009, 247.
[38] V. la liste dans notre précis de Procédure civile, préc. Dalloz, 2010, pp. 97-98.
[39] S. Guinchard, « Le droit a-t-il encore un avenir à la Cour de cassation ? », in Mélanges Terré, 1999, p. 761, spéc. p. 764-766.
[40] Com. 26 oct. 1999, Bull. IV, n° 182 ; JCP 2000, I, 209, obs. Ph. Simler ; D. 2000, somm. 340, obs. M.-N. Jobard-Bachelier ; D. Legeais, Rev. dr. bancaire et bourse, nov.-déc. 1999, 196 ; JCP 2000, II, 10262, note D. Legeais. Procédures, févr. 2000, n° 36, obs. H. Croze ; D. 2000, somm.. 340, obs. M.-N. Jobard-Bachelier. Civ. 1re, 4 oct. 2000, D. 2001, 698, obs. L. Aynès. Mettant fin à cette option, une chambre mixte a éludé le débat en relevant que les demandes reconventionnelles étant formées, à l’encontre des parties à l’instance, de la même manière que les moyens de défense (art. 68, al. 1er, CPC), les juges du fond devaient répondre à la demande de la caution qu’elle qu’en fût la qualification[40] ! Si l’argument est habile, la solution ne donne pas entière satisfaction, car le régime des deux voies procédurales n’est pas identique (cf. art. 49 et 51, d’une part, 67 et 70 d’autre part).
[41] JCP 2000, I, 209.
[42] C. Lecomte, « De l’immobilisme en procédure civile du code de 1806 au XXe siècle », in Coutumes, doctrine et droit savant (dir. V. Gazeau et J.-M. Augustin), Univ. Poitiers, coll. Faculté de droit, LGDJ 2006, p. 251, spéc. p. 252.
[43] Selon J. Foyer, in Le NCPC (1975-2005), Économica, 2006, p. XIV, c’était le principe (italien) d’impulsion processuelle que Bartin va « magnifier » dans le Cours de droit civil d’Aubry et Rau (4e éd.) sous le thème de la neutralité du juge.
[44] La circulation du modèle juridique français, travaux Association H. Capitant, t. 44, 1993, Litec, 1994 : Belgique, p. 39 ; Grèce, p. 385 ; Japon, p. 553.
[45] F. Aimerito, « Aspects de l’application du droit privé : l’application du CPC et l’administration de la justice civile dans le Piémont sous domination napoléonienne », Mélanges Maryse Carlin, La Mémoire du droit, 2008, p. 17.
[46] A. Tissier, « Le centenaire du Code de procédure civile et les projets de réforme », RTD civ. 1906, 625.
[47] C. Lecomte, « Le NCPC : rupture et continuité », in Le NCPC (1975-2005), op. cit., Économica, 2006, p. 5.
[48] J. Héron, « Le NCPC », in La codification, coll. « Thèmes et commentaires », Dalloz, 1996, p. 86 ; R. Perrot, « L’unification des procédures devant les juridictions autres que le tribunal de grande instance, » Annales Fac. droit Lyon 1970, II, 632 et s. ; H. Solus, « Le problème de l’unification de la procédure civile, selon les décrets de 1971, 1972 et 1973 destinés à s’intégrer dans le nouveau Code de procédure civile », D. 1975, chron. 45.
[49] J. Foyer, in Le NCPC, vingt ans après, colloque Cour de cassation, déc. 1997, Doc. fr., 1998, p. 323.
[50] H. Vizioz, RTD civ. 1943, 56 et Etudes de procédure, 1956, 441.
[51] J. Foyer, « Éloge de Motulsky », in Journées H. Motulsky, 20 déc. 1991, Cour de cassation, p. 9 ; rapport de synthèse, colloque, Le NCPC, vingt ans après, Doc. fr. 1998, p. 324 (qui cite, comme exemple de cette inspiration, l’ouvrage de Tancrède de Bologne).
[52] Ibid.
[53] Doc. fr. 1997. Sur ce rapport, R. Martin, JCP 19 févr. 1997, actualités ; A. Garapon, D. 1997, chron. 69 ; R. Perrot, Procédures avr. 1997, chron. n° 4.
[54] États généraux de la profession d’avocat, Rev. jur. d’Ile de France oct.-déc. 1997 et Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1997.
[55] Commentaires généraux (dans l’ordre chronologique) : S. Guinchard, D. 1999, chron. p. 65 ; Rép. proc. civ. janv. 1999, synthèse annuelle 1998 ; G. Canivet et Chapelle, Gaz. Pal. 4 mars 1999 ; B. Daille-Duclos, JCP E 1999, 409 ; R. Perrot, Procédures mars 1999, chron. n° 3 ; J. Héron, RGDP 1999, 65 ; C. Jamin, RTD civ. 1999, 225 ; M. Douchy, Gaz. Pal. 15 juin 1999.
[56] Commentaires : E. Bonnet, LPA 2 mars 1999 ; A. Perdriau, JCP 1999, I, 121 ; A. Monod, Procédures avr. 1999, chron. n° 5.
[57] J.-M. Coulon, « Du rapport Coulon au rapport Magendie », in Le NCPC (1975-2005), op. cit., Économica, 2006, p. 87 ; E. Putman, « Le décret du 28 décembre 2005 et les principes directeurs du procès civil », Bull Aix, 2006-2, p. 31.
[58] C. Castaing « Les procédures civile et administrative confrontées aux mêmes exigences du management de la justice », AJDA 2009, 913.
[59] Documentation française, août 2008.
[60] Première édition en janvier 2001, dir. S. Guinchard. 6e éd. janv. 2011.
[61] Cornu et Foyer, Procédure civile, 3e éd., PUF, 1996, n° 3, p. 9.
[62] CEDH, 21 mars 2000, Dulaurans c/ France.
[63] CEDH, 23 oct. 1996.
[64] CEDH, 14 nov. 2000.
[65] CEDH, 9 nov. 1999, Gozalvo c/ France.
[66] Dalloz éd., 6e éd., janv. 2011.
[67] S. Guinchard, « Vers une démocratie procédurale », Justices, nouvelle série, 1999/1, p. 91, repris in « Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire », in Clés pour le siècle, Paris II-Dalloz, mai 2000, pp. 1135-1211. Et aussi, « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? » in Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant, 2004, qui reprend et développe l’idée émise dès la première édition de ce précis (janv. 2001).
[68] Selon l’heureuse formule de J.-C. Magendie, in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, 2010, 329 : « Loyauté, dialogue, célérité, trois principes à inscrire en lettres d’or aux frontons des palais de justice ».
[69] Pour une illustration dans l’arrêt Kress, 7 juin 2001, à propos de la place du commissaire du gouvernement au Conseil d’État, S. Guinchard, « Ô Kress, où est ta victoire, ou la difficile réception en France d’une (demie) leçon de démocratie procédurale », Mélanges G. Cohen-Jonathan, Bruylant éd. 2004.
[70] Dans la défunte revue Justices, 1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges de l’université Paris II publiés à l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire, Dalloz, 2000 ; v. aussi, notre contribution précitée aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? »
[71] V. aujourd’hui la 30e édition, op. cit. 2010, n° 66.
[72] La procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une technique de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. S. Guinchard, « Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique ou européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant-LGDJ, 2004.
[73] V. notre contribution aux Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Buylant, 2004, à propos de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une (demie) leçon de démocratie procédurale.
[74] Après, pour le droit privé, les Ecrits d’Henri Motulsky : Etudes et notes de procédure civile, préfacés par Georges Bolard, déc. 2009) et Etudes et notes sur l’arbitrage (préfacés par Claude Raymond, nov. 2010). Pour le droit public : Les Principes de droit public de Maurice Hauriou, préfacés par Olivier Beaud, 2010.
[75] Pigeau en 1811, Berriat-Saint-Prix en 1811-1813, Thomines-Desmazures en 1832, Boncenne en 1837.
[76] Boitard, Leçons de procédure civile, 12ème éd. par Colmet-Daage,  1876, dont Visioz cite une phrase de l’introduction, significative de cette tendance.
[77] Ce mot n’est sans doute choisi au hasard, car quelques lignes plus haut, ce chrétien engagé faisait allusion à « l’esprit religieux ».
[78] Avec Boncenne.
[79] Glasson, Précis théorique et pratique de procédure, 1ère éd., 1902.
[80] G. Bruillard, Manuel de procédure civile – Cours professé à l’école supérieure d’organisation professionnelle, Presses universitaires, 1944.
[81] Berriat-Saint-Prix, Cours de procédure civile, 1ère éd., 1811.
[82] Rauter, Cours de procédure civile, 1834.
[83] Parmi les auteurs italiens cités, outre Chiovenda et par ordre chronologique de leurs écrits cités par Visioz : Rocco (1906), Cicala (1909), Caldi (1910), Calamandrei (1920),  Mortara (1922), Bellavatis (1924), Carneluti (1926).
[84] Troisième édition en 1912-1913.
[85] A la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, p. 169 de cet ouvrage.
[86] Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence en France et à l’étranger, 1931.
[87] Com. 22 mars 1988, pourvois n° 87-15.901 et 87-15.902.
[88] Ecrits réédités dans la bibliothèque Dalloz : études et notes de procédure civile, déc. 2009, préface de Georges Bolard ; Etudes et notes sur l’arbitrage, nov. 2010, préface de Claude Reymond.
[89] Cornu et Foyer, Procédure civile, 3ème éd. 1996, PUF, p. 27.
[90] H. Motulsky, Droit processuel, textes réunis par Marie-Madeleine Capel, Les cours de droit, 1973.
[91] Première édition en janvier 2001, ss. la direction de S. Guinchard. 6ème édition en janvier 2011.
[92] Dans la défunte revue Justices, 1999/1, p. 91, puis dans les Mélanges de l’université Paris 2 publiés à l’occasion de l’entrée dans le troisième millénaire, Dalloz éd., 2000 ; v. aussi, notre contribution aux Mélanges J. Van Compernolle, Bruylant éd., 2004, « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? ».
[93] V. aujourd’hui la 30ème édition, op. cit. 2010, n° 66.
[94] La procédure est à la fois une technique d’organisation du procès et une technique de garantie des libertés et droits fondamentaux, v. S. Guinchard, « Le réveil d’une belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la procédure civile entre droit processuel classique, néo-classique ou européaniste et technique d’organisation du procès », Mélanges R. Martin, Bruylant/LGDJ, 2004.
[95] V. notre contribution aux Mélanges Gérard Cohen-Jonathan, Buylant éd., 2004, à propos de l’arrêt Kress c/ France, qui nous a valu une (demie) leçon de démocratie procédurale.
[96] RTDCiv. 1942, 309, 1943, 133 et 1944, 132.
[97] Justice et droit du procès – Du légalisme procédural à l’humanisme processuel, Mélanges en l’honneur de Serge Guinchard, Dalloz, mai 2010.
[98] La formule est d’Audrey Hepburn pour rendre hommage à Grégory Peck.
[99] V. sa thèse sur « Le morcellement des successions internationales », Economica, 1986.
[100] V. aussi, sur l’acte de procédure comme acte juridique, la note de Grérad Cornu ss. Civ. 2ème, 20 mai 1976, D. 1977, 125. Et Jacques Héron, Réflexions sur l’acte juridique et le contrat à partir du droit judiciaire privé », Revue Droits, 1988, n° 7, p. 85.
[101] Cf. Serge Guinchard et Frédérique Ferrand,  Précis Dalloz de procédure civile, 28ème éd., oct. 2006, n° 94.
[102] Kelsen, La théorie juridique de la convention, Archives de philosophie du droit, 1940, p. 33.
[103] Serge Guinchard et Frédérique Ferrand, op. cit., n° 65, p. 108.
[104] V. Serge Guinchard et Frédérique Ferrand, op. cit. n° 205 et 206.
[105] Sur tous ces points, v. Serge Guinchard et Frédérique Ferrand, op. cit., n° 214 et 215.
[106] Président du TGI : art. 812 ; tribunal d'instance : art. 851 ; tribunal de commerce : art. 874 et 875 ; tribunal paritaire des baux ruraux : art. 897 ; premier président de la Cour d'appel : art. 958.
[107] Civ. 2e, 13 mai 1987, RTD civ. 1988, 181, obs. Perrot.
[108] Pour une illustration de la difficulté à qualifier l'ordonnance sur requête conjointe, V. Bourges, 28 mai 1985, Gaz. Pal. 1986.431, obs. J.M., qui y voit une décision contentieuse introduite par une requête de l'article 54, alors qu'il s'agissait plus vraisemblablement d'une décision gracieuse introduite par une requête de l'article 60 (deux ex-époux et un tiers agissaient en commun en déclaration de paternité). TGI Rouen, 7 oct. 1993, Gaz. Pal. 20 janv. 1994, somm. v° Filiation (demande conjointe du père naturel et du fils qu'il a reconnu, en expertise comparée des sangs pour lever le doute commun sur la réalité de cette paternité).
[109] Convention européenne des droits de l’homme et théorie des voies de recours, Mélanges P. Drai, Dalloz éd., 2000, p. 369.

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