vendredi 6 décembre 2019

LYON-PARC-AUTO: L'ART CONTEMPORAIN DANS LES PARKINGS


Interview donnée à Régis Guillet pour la revue MOB’ART

éditée par la société Lyon Parc Auto, n° 11 de novembre 2019, pages 14 et 15.


     À la suite de l'opération de rénovation des parkings de la métropole lyonnaise, entreprise par LPA sous l'autorité de Serge Guinchard, achevée en 1995 et décrite dans cet article, le parking des Célestins, inauguré en 1994, a obtenu en 1996 le trophée « EPA Award 1995 », décerné par l'European Parking Association en congrès à Budapest. Cette opération est considérée comme une initiative originale, à l'origine d'un mouvement à l'échelle européenne de valorisation des parcs de stationnement. L'agence néerlandaise de l'architecte Rem Koolhaas a en particulier suivi cet exemple lyonnais
Voir Wikipédia, V° Parking des Célestins.


Comment avez-vous été amené à diriger LPA ? avez-vous hésité à endosser cette responsabilité ?
[Serge Guinchard] suite à la victoire de Michel Noir aux élections municipales de Lyon, des aménagements ont été apportés pour la représentation de la Ville dans nombre d’organismes, notamment les sociétés d’économie mixte, dont LPA. Ayant été membre de l’équipe représentant la ville dès le mandat 1983-1989 et étant devenu adjoint aux finances de la Ville de Lyon et chargé du contrôle de gestion tant à la Ville qu’à la Communauté urbaine, il a semblé naturel aux décideurs de l’époque que je sois désigné comme administrateur puis président de cette société. Raison supplémentaire dans la réponse suivante.

Aviez-vous, à cette époque, une appétence pour les sujets liés au stationnement et, plus généralement, aux questions liées aux déplacements ?
[Serge Guinchard] De façon certaine et évidente car dans le mandat précédent 1983-1989, j’avais été en charge de la police municipale et des déplacements urbains et étais administrateur de LPA. Je m’étais beaucoup intéressé aux déplacements urbains, avec notamment la création des toutes premières pistes cyclables sur quais et les ponts pour passer aisément d’une rive à l’autre. À l’époque (vers 1984, il y a donc 35 ans), c’était prémonitoire.

La SEM vous paraissait-elle l'outil adapté pour LPA ?
[Serge Guinchard] Absolument. C’est l’outil qui permettait d’utiliser les recettes du stationnement en surface pour une politique active de construction de parkings. De plus la forme juridique de la SEM permet des investissements de partenaires institutionnels (je pense à la Caisse des dépôts et consignations, aux collectivités locales) et permet de croiser les points de vue des décideurs politiques avec les intérêts économiques de la société et ceux de la population. C’est le « mariage » idéal du public et du privé.

Quelles ont été vos premières décisions ?
[Serge Guinchard] Établir un programme de construction de 8 000 places sur 5 et 6 ans. Donner les pleins de pouvoir de gestion au directeur général (François Gindre), le Président d’une SEM n’étant pas un président exécutif. Intégrer à cette politique de construction une vision culturelle et artistique.

Comment avez-vous eu l'idée d'amener l'art dans les parcs ?
[Serge Guinchard] La matrice de cette politique volontariste c’est (comme bien souvent à Lyon !) un dîner amical chez le secrétaire général de la Communauté urbaine de Lyon (Pierre Ducret, que je salue ici), au cours duquel l’un des participants dont je n’ai pas gardé la mémoire avait tenu un discours agressif sur les élus, les considérant notamment comme des « pourris, des incapables, etc. » ; peu enclin à endosser ce vêtement (j’avais été pendant 6 ans Doyen de la Faculté de droit de Lyon et avais toujours gardé mes fonctions universitaires en parallèle avec mes fonctions politiques), je réagis très vivement et, venant sur le terrain de la place des parkings dans notre ville, je fis observer que presque tous les futurs parkings envisagés se trouvaient placés devant un monument historique de Lyon (cf. le musée Saint-Pierre et l’Hôtel de Ville) ou sur un site culturel (cf. la place des Célestins) ou historique (cf. l’ancienne école de santé de Lyon) et que je souhaitais que mes interlocuteurs soient imaginatifs et qu’ils me fassent des propositions pour valoriser ce fait, cette chance pour Lyon. C’est alors que, soutenu par Georges Verney-Carron, ce dernier fit observer que les artistes seuls ne suffiraient pas à faire changer l’image des parcs (et des élus !) et qu’il fallait les concevoir non plus comme des entrepôts, mais comme des espaces publics à part entière. Dès le lendemain, j’en parlais à François Gindre et lui demandais de monter des équipes pluridisciplinaires architectes-artistes-designers pour créer une nouvelle génération de parcs. C’est ainsi que naquit la proposition de Monsieur Georges Verney-Carron de monter une triple opération d’art :
a) en premier lieu, l’intégration systématique d’une œuvre d’art originale, d’un artiste contemporain, dans chaque parc et en liaison avec l’architecte, dès la conception de l’ouvrage ; il fut convenu que tous les artistes seraient sélectionnés par concours, sans aucune intervention des élus, ce qui fut rigoureusement respecté ;
b) en deuxième lieu, l’association de Jean-Michel Vilmotte, en tant « qu’architecte de la lumière », pour tous les parcs, à l’architecte retenu (par concours) pour construire l’ouvrage ;
c) en troisième lieu, fut choisi, pour la signalétique, Monsieur Yann Pennor’s ; c’est à lui que l’on doit les couleurs jaune et noir aux lieu et place du traditionnel rouge et blanc, tant à l’extérieur des parcs pour les signaler, qu’à l’intérieur pour guider les automobilistes ; ce choix de couleur a, depuis, été repris par d’autres constructeurs de parcs de stationnement, tant à Lyon qu’en dehors de Lyon, notamment à Paris ; il a été fait après qu’un sondage auprès d’automobilistes lyonnais ait fait apparaître que ces deux couleurs, qui sont aussi celles des grands prix de formule 1, revenaient majoritairement dans les réponses.

Cette décision a-t-elle rencontré des oppositions ?
[Serge Guinchard] À ma connaissance non, mais peut-être que certains n’ont pas osé se manifester !

Avec le recul, comment jugez-vous votre passage à la tête de LPA ? Si c'était à refaire, quelle décision ne prendriez-vous pas et quelle est la décision dont vous êtes le plus fier ?
[Serge Guinchard] Difficile de se juger soi-même, mais ce fut pour moi à la fois une passion, un vrai bonheur et l’une de mes fonctions politiques les plus près du terrain et les plus enrichissantes d’un point de vue humain (la fonction, je tiens à le préciser, a été exercée bénévolement).
Je ne vois pas de décisions prises que je ne prendrais pas aujourd’hui. Bien évidemment, ma fierté c’est d’abord d’avoir  introduit l’art contemporain dans les parkings, généralement sous terre. C’est ensuite que cette politique a permis à la Ville de Lyon d'obtenir un premier prix international à Vienne (Autriche) en 1996 pour 1995. Mon regret est que l’équipe de Raymond Barre n’ait pas pensé (ni souhaité ?) m’inviter pour recevoir ce prix. Pour tout dire, c'est assez mesquin et à la hauteur dont certains conçoivent la politique.

Quel regard portez-vous sur LPA aujourd'hui ?
[Serge Guinchard] Aucun, d’une part parce que je ne vis plus à Lyon, d’autre part parce que, dans toutes les fonctions que j’ai exercées, politiques ou universitaires, je ne me permets pas de juger mes successeurs.

Quand vous venez à Lyon, stationnez-vous dans des parcs LPA ? Quel est votre préféré ?
[Serge Guinchard] Je ne stationne pas dans les parkings de LPA car généralement je viens en train (de Paris) et quand je viens en voiture (de Chamonix) je dispose d’un garage privé. Tous les parkings construits sous mon impulsion et ma présidence, au nombre de six, ont ma préférence ; je sais que cela peut paraître antinomique, mais comme un père (ou une mère) aime tous ses enfants à égalité et en équité, j’aime chacun de mes 6 parkings, chacun pour ce qu’il apporte à l’art contemporain et au public qui les fréquente. Par exemple, sans ordre de priorité : celui de la place des Célestins (avec Daniel Buren et son œuvre intitulée « Sens dessus dessous », magnifique parking en escargot, avec des vues sur un puits de lumière comme dans un théâtre à l'italienne et, au fond, un miroir qui tourne en reflétant le parking à l'envers. Celui de la gare de la Part-Dieu par sa référence à la littérature, notamment à la poésie (« Les aventures d’Ulysse sous terre » par Joseph Kosuth). Celui de la place des Terreaux : par l’œuvre de Matt Mullican, « Sans titre », exposition de poteries, chacune étant reproduite en double exemplaire), par son entrée piétons dans le musée Saint-Pierre et son plafond à la française,  par son rappel de l’histoire de Lyon de l’antiquité romaine au niveau moins 7 au TGV (au rez-de-chaussée). Celui de l’avenue Berthelot par l’émotion mémorielle qu’il suscite avec l’œuvre de Dror Endeweld (« Innommable, innombrable de 1 à 12 unités et de – 2 à 10 »), dont le graphisme rappelle les chiffres qui, sur les bras des déportés les identifiaient de manière indélébile dans les camps, par sa proximité de l’ancienne École de Santé des armées où Klaus Barbie exerçait ses horribles fonctions à la tête de la Gestapo. Celui de la place de la République pour les néons de François Morellet (œuvre intitulée « Les hasards de la République ») et pour avoir été l’un des premiers sans piliers gênant les manœuvres des automobilistes. Celui de la Croix-Rousse enfin, avec Michel Verjux (« De plain-pied et en sous-sol »).

Comment imaginez-vous LPA dans 50 ans ?
[Serge Guinchard] Difficile à dire, compte tenu de la rapidité avec laquelle les évolutions chronologiques se réalisent. Qui aurait imaginé en 1950 ce qu’est devenu le monde des déplacements urbains en 2020 ? Les innovations – je pense notamment à l’intelligence artificielle, aux « blockchain », aux techniques d’autonomisation des voitures par rapport à leur conduite par les hommes – ne peuvent pas encore toutes être appréhendées dans leurs effets sur notre vie quotidienne. Et d’autres viendront, que notre intelligence n’imagine pas encore.